— Ouais, je sais,
je suis désolée.
Aujourd'hui, je suis censée aider un oncle pour le boulot, c'était pas prévu mais il me l'a fait savoir ce matin.
— Quoi, c'est vrai ?
Mais alors aujourd'hui, on jouera pas du tout ?
— Ben écoute, euh... je suis vraiment, vraiment désolée, quoi...
Les mains jointes, Mion baissa la tête pour implorer notre clémence, puis éclata de rire.
— Vous savez, si vous avez tellement envie de jouer, vous pouvez le faire sans moi, hein, je vous en voudrai pas.
Le casier du club est rempli de jeux,
vous n'avez qu'à en prendre un au hasard !
Le casier auquel elle fait référence est celui duquel elle prend tous les jours ce dont nous avons besoin pour jouer.
Il a l'air d'un casier tout à fait innocent, dans lequel on pourrait placer une veste et un sac, ou à la rigueur un seau et un balai. Et pourtant ! Elle a des centaines de trucs là-dedans !
Elle peut y trouver des tas de jeux, et aussi tous les accessoires nécessaires pour les gages, des objets tous plus louches les un que les autres, des costumes complets même parfois !
Je suis persuadé que si un jour elle devait tout sortir pour y remettre de l'ordre, le contenu de ce casier prendrait tellement de place que l'on ne saurait plus où mettre les pieds par ici.
— Hmmm... nan, je préfère pas y toucher.
Si je l'ouvre, le contenu va se répandre sur le sol et il faudra tout ranger après...
— Ahahaha !
Moui, c'est probable.
Il vaut mieux laisser faire le pro, va. Hahahaha !
À l'entendre, on pourrait croire que son statut de responsable du club lui donnait des superpouvoirs. Je vous jure, parfois...
— Mii.
La maîtresse cherche la clef de la salle des équipements.
Tu n'aurais pas une petite idée de l'endroit où elle pourrait être ?
— Hmm ?
Mais... je l'ai rendue, la clef, pourtant... non?
Elle déplaça lentement sa main pour fouiller dans ses poches.
Son visage prit soudain un air surpris. Je crois que je sais où ce trouve cette clef, moi aussi...
— Eh bien alors, vous voyez bien ?
Je vous l'avais pourtant bien dit que c'était elle qui l'avait !
— Moi aussi j'avais vu tout juste.
Nous avons gagné toutes les deux, Satoko !
Elles se tapèrent dans les mains en poussant de petits cris de joie.
— Raaarhh, la FERME !
Slap! Clap!
Leur plaçant vite fait deux coups de coude sur le crâne, Mion sortit de la classe pour se rendre à la salle des professeurs.
— Ah, au fait,
vous avez entendu ?
Aujourd'hui, Mion doit aller bosser, alors il n'y aura pas de club.
— Oh, est-ce bien vrai ?
Cela présage de bien mornes instants cet après-midi...
— ... miiii.
Elles avaient l'air déçues.
On pouvait dire ce qu'on voulait, ce club, c'était quand même ce qu'il y avait de plus marrant à faire à l'école.
C'était compréhensible, voire même normal, de les voir tirer la tête quand il tombait à l'eau.
— En tout cas, je me demande bien ce que ça peut être comme boulot.
C'était le plus souvent la seule raison qui la poussait à rentrer plus tôt.
Mais elle ne travaillait pas tous les jours.
Elle y allait parfois quelques jours de suite, et ensuite plus rien pendant un moment.
C'est pas très régulier tout ça, et franchement dit ça fait pas très sérieux. Quel magasin est-ce que ça peut bien être ?
— Elle ne travaille pas dans un magasin en particulier.
— Mais alors... elle est employée à la journée ou quoi ?
Il y a quoi comme petits boulots dans ce genre-là ? Elle bosse sur les chantiers ?
Je n'arrive pas à l'imaginer avec une pioche, ni même avec un casque de sécurité je dois dire...
— Mion sert surtout à remplacer certains employés au pied levé, pour le cas où ils tomberaient malades.
— Aaah, je vois...
C'est vrai qu'elle en avait déjà parlé avant, du magasin de son oncle, non ?
Je me rappelle avoir entendu un truc du genre.
— Mii n'a pas qu'un seul oncle, elle sert un peu partout.
Quoi ? Elle a tellement d'oncles que ça ?
Ils ont tous des magasins ? Sérieux ?
— Allons donc, mon cher, vous ne saviez point ?
De nombreuses personnes parmi les Sonozaki ont leur modeste boutique à Okinomiya.
— Ah ouais ?
Bah nan, je savais pas.
Y'en a vraiment tellement que ça ?
— Parfaitement.
Il y a une boulangerie Sonozaki, un maraîcher, un restaurant de nouilles chinoises aussi...
et de nombreux autres, en fait.
D'ailleurs, le magasin de jouets où nous étions ce dimanche appartient aussi à l'un de ses oncles.
Alors là, je dois dire que je suis scié.
Impressionnant !
— La vache, ils sont tous doués pour les affaires, ma parole !
Je n'aurais jamais cru qu'il y aurait tellement de magasins différents dans la même famille !
— Oh, mais il y a aussi des usuriers, des voleurs immobiliers, des maqueraux...
Vous avez le choix.
Hmm, oui, ce ne sont pas les plus fréquentables,
mais ils participent à la diversité, je suppose...
— Je comprends mieux pourquoi elle fait tout un foin quand on lui emprunte de quoi s'acheter une boisson, c'est le côté usurier qui court dans la famille qui ressort !
Je comprends mieux !
— Une fois, je lui ai emprunté de quoi faire mes courses, et je l'avais complètement oubliée, et...
elle m'a prise à part et m'a menacée de me noyer dans le bain si je ne lui rendais pas ce que je lui devais avec les intérêts !
J'eus une image mentale de Rika faisant le commerce de son corps dans l'une des thermes de la ville.
Aaah, mon nez ! Vite, un mouchoir...
— Non mais vous rendez-vous compte de la honte ? Se noyer dans l'eau de son propre bain, les gens garderaient de Rika l'image d'une idiote pas même capable de se laver !
... Mais de quoi elle parle... ?
Oh, ne me dites pas qu'elle ne comprend pas l'expression ?
En même temps, à son âge, elle n'est pas forcément au courant des côtés plus sombres de la société...
Désarmé par tant d'innocence, je lui caressai la tête en souriant, Rika se joignant à moi presqu'aussitôt.
— Euh…
Plaît-il ? Pourquoi ce regard ? Pourquoi ce traitement ? Qu'ai-je donc fait ?
— Tu es une brave petite fille, alors tu le mérites. Ne t'en fais pas !
Satoko nous regarda tour à tour, incrédule. Elle était bien consciente que nous devions nous moquer d'elle, quelque part, mais elle fut incapable de comprendre pourquoi.