Je mis mes chaussures et la suivis dehors. Mion s'approcha de moi, lentement, hésitante.

Mais je rêve ou quoi, elle rougit ?

Mion

— Je... je peux te... te prendre le bras ?

C'était une requête bien facile à accepter.

Keiichi

— ... Ouais, vas-y, te gêne pas.

Son visage s'illumina comme un enfant qui voit un cadeau, et elle frotta son visage contre mon épaule.

Mion

— Tu n'es pas trop nerveux ?

Tu n'as pas peur que je te fasse une clef de bras ?

Keiichi

— Vous êtes vraiment pareilles, toi et ta sœur.

Non, je n'ai pas peur.

Pas du tout.

Je me remémorai les jours normaux des semaines passées.

Le boxon monstre que nous avions fait à l'Angel Mort.

C'était la semaine dernière... si proche et si loin à la fois.

Le soir-là, Shion m'avait tenu le bras.

Maintenant, c'était Mion à mes côtés.

Elles étaient vraiment identiques.

La pression sur mon coude, la sensation sur mon bras, la chaleur de leur corps... tout était strictement pareil.

Mion

— ... Je crois que Shion aussi était amoureuse de toi.

Keiichi

— Ah oui ?

En temps normal, je serais devenu tout rouge et j'aurais retiré mon bras.

Mais là... je n'avais aucune raison de le faire.

Keiichi

— Vous étiez proches ?

Mion

— Hmmm... je sais pas trop.

Tu crois que tes mains sont proches ?

Keiichi

— Quoi ?

Ma main droite et ma main gauche ?

Bah, c'est pas vraiment vérifiable, j'ai deux mains, elles sont toujours ensemble, quoi. Il n'y a pas à se poser la question, en fait.

Mion

— Ben c'est exactement ça pour moi et ma sœur.

C'est pas quelque chose qu'on peut quantifier.

Donc en gros, elle essayait de me dire qu'elles n'étaient pas très proches...

Mion

— Pour prendre un exemple, disons que si tu es droitier, tu utilises mieux ta main droite que ta main gauche, mais c'est la seule différence, non ?

Mion

Imagine, tu dois soulever quelque chose à une main, ben tu utiliseras ta main droite si tu es droitier, simplement par habitude.

Mion

Je crois que c'est la seule différence entre elle et moi.

Keiichi

— ...

Mion

— Mais bon, c'est pas pour ça que je n'ai pas besoin de mon autre main.

C'est dur à expliquer, mais c'est un peu comme ça entre nous.

Keiichi

— Je suppose que vous êtes trop proches pour vous rendre compte qu'en fait,

vous vous entendez très bien.

Je suis fils unique, alors, le jour des préparatifs,

Keiichi

quand je vous ai vues vous chamailler, j'ai été très jaloux, je dois dire.

Mion

— ... C'est parce que tu ne sais pas ce que c'est.

On s'amusait à tourner les gens en bourrique autrefois,

Mion

mais maintenant nous sommes différentes l'une de l'autre, c'est très énervant d'avoir quelqu'un qui te ressemble tellement physiquement, les gens n'acceptent pas de reconnaître ton caractère exceptionnel.

Je ne savais pas si ses liens avec sa sœur lui faisaient honte ou pas.

Je ne les comprendrai décidément jamais, ces deux-là.

De toute façon, ce n'était pas mes oignons.

Je fis la seule chose sensible à faire : j'opinai du chef.

Mion marchait vers le fond du jardin. Elle m'entraîna vers la barrière que j'avais vue en venant ici avec Rena, celle qui bloquait l'accès à la forêt.

Et dire que la forêt entière faisait partie de la propriété... c'était pas rien.

Keiichi

— ... C'est énorme, ce truc.

Vous avez dû vous amuser comme des folles ici quand vous étiez gamines ?

Mion

— ... ... ...

Mion avait l'air de chercher dans ses souvenirs.

Je n'avais aucune preuve, mais j'étais sûr qu'elle revoyait des souvenirs encore heureux, où elle et sa sœur se chamaillaient comme des chatons.

Le vent faisait bouger la barrière, qui claquait tout doucement.

Mion ne disait plus rien.

Je suppose qu'elle se souvient de sa sœur.

Celle qu'elle avait dû tuer de ses propres mains.

Je restais simplement à ses côtés,

en silence,

à son bras.

Mion s'arrêta et regarda dans une autre direction.

Mion

— ... Shion…

Shion est encore vivante.

Keiichi

— ... Vraiment ?

Mion me regarda droit dans les yeux un petit moment, puis acquiesça.

Mion

— ... Vraiment.

Je voulais la mettre à mort de la manière la plus horrible, alors je l'ai enfermée.

Mais j'ai eu beau réfléchir, je n'ai rien trouvé.

Mion parlait souvent de sa haine envers Shion, mais je suppose qu'elle ne la détestait pas vraiment.

Avec ma main libre, je lui ébouriffai les cheveux en souriant.

Elle ne m'avait pas sauvé seulement moi.

Elle avait aussi épargné sa sœur.

Mion est devenue un démon et a tué de nombreuses personnes, mais elle a su résister au monstre dans son âme.

Elle a réussi à lui voler deux victimes, c'était déjà pas mal.

Mion me regarda avec de grands yeux tristes,

puis relâcha mon bras.

Puis elle continua.

Mion

— ... Suis-moi.

Je veux te montrer l'étendue de mon crime.

Mais je te préviens, je ne sais pas si tu pourras supporter de voir la vérité en face.

Keiichi

— ... ... ...

Instantanément, je sus.

Je suis que plus loin sur ce chemin... les dépouilles des victimes m'attendaient, l'une à côté de l'autre.

Suivre Mion, c'était aller voir les cadavres de Rika et de Satoko.

Et aussi accepter le fait que ma meilleure amie était une sadique meurtrière.

Mion

— ... Tu sais, c'est déjà trop tard.

Tu peux choisir de ne pas aller regarder, si tu veux.

Alors, reste ici.

Je vais aller en finir une fois pour toutes.

Je dressai l'oreille à ces funestes paroles.

Les mots de Rena me revinrent en tête.

Mion a peut-être l'intention de prendre son destin entre ses propres mains.

Je ne devais surtout pas la laisser seule.

Et puis, c'était un peu ses dernières volontés, je pouvais bien lui accorder ça.

Je savais que ce serait dur à supporter, mais je devais faire l'effort.

Même si je refusais d'aller les voir, de toute façon…

c'était déjà…

c'était

déjà fait.

Keiichi

— ... Quel que soit ce qu'il m'attend là-bas...

Mion

— Oui ?

Keiichi

— ... Quel que soit le spectacle, là-bas, je veux que tu saches que Mion Sonozaki a toujours été et restera toujours ma meilleure amie,

et que je suis très fier de la connaître.

Ça ne changera jamais.

Le vent se leva et vit claquer la barrière encore une fois.

Mion

— ... Pourquoi est-ce que toi et Rena

vous devez toujours avoir la classe dans les moments où je vous demande rien ?

En temps normal, ce serait un reproche, mais aujourd'hui...

elle souriait d'un air un peu triste.

Elle se remit en marche.

Nous partîmes sur le sentier qui menait au plus profond de la forêt.

Après avoir suivi un long et étroit sentier de chasse, nous arrivâmes à une sorte de pente assez raide, en forme de tonnelle, un peu comme l'entrée d'une mine, ou un abri anti-aérien.

Il y avait des pentes tout autour, il était donc conçu pour être invisible de l'extérieur.

Il y avait de très nombreux corbeaux dans les arbres alentour.

Et l'odeur pestilentielle qui m'assaillait les narines venait certainement de l'intérieur.

Mion

— ... ... ... Si tu veux t'en aller, c'est maintenant ou jamais.

Je ne sais pas pour qui tu prends Mion Sonozaki,

mais je peux te dire que ce qu'elle a fait dans ce bâtiment te sera difficile à accepter.

…………

Keiichi

— Non, cela n'y changera rien.

Je te le dirai autant de fois que nécessaire :

Mion Sonozaki est ma meilleure amie.

Je serrai les poings.

Il y aura sûrement des choses horribles à l'intérieur.

Je devrai faire très attention à me contrôler si je ne veux pas me sentir mal.

Mais il faudra que je tienne le choc.

Je ne veux pas décevoir Mion.

Elle doit rester ma meilleure amie.

Mion

— ... Je ne suis plus que l'incarnation du démon.

Je ne sais plus ce que c'est que les émotions humaines, mais…

je crois que je comprends…

pourquoi Mion est tombée amoureuse de toi.

Keiichi

— Ne dis pas ça comme si c'était une autre.

Tu es Mion,

pas un démon.

C'est bel et bien du sang humain qui coule dans tes veines.

Mion passa ses mains au coin des yeux puis posa les mains sur la grande porte à l'entrée de la tonnelle.

Il y avait une serrure énorme qui bloquait le tout.

C'était la même que celle du temple des reliques sacrées, et elle indiquait clairement que l'endroit était réservé à certaines personnes très spécifiques.

Les portes s'ouvrirent vers l'intérieur... et une nuée de moucherons nous passa dessus.

Quand j'étais gamin, j'avais eu un aquarium avec un crabe, et je me souvins l'avoir oublié une fois sur ma fenêtre et avoir senti ce même genre d'odeur.

C'était l'odeur de la mort.

L'intérieur était noir, mais Mion alluma la lumière.

Le vestibule formait un tunnel qui menait plus loin.

Dans ce tunnel, il y avait des sas, et même de grandes pièces aménagées rudimentairement.

Cet endroit avait dû servir de refuge pendant la guerre… Quoique.

Cet endroit n'avait pas l'air d'un grand trou creusé à la va-vite pour s'abriter des bombes.

Il ressemblait plutôt à une deuxième maison, bâtie sous la terre.

Il y avait beaucoup d'aérations, car depuis ce tunnel, je pouvais entendre les grillons chanter.

Mion

— Tu as vu ce qu'il y avait dans le temple, n'est-ce pas ?

Les instruments de tortures.

Ils ont tous été construits pour faire en sorte que les habitants respectent les lois du village.

Mion

S'ils ne s'y pliaient pas, on en prenait un et on le torturait de la manière la plus cruelle possible pour faire peur aux autres.

Keiichi

— ... Ouais, mais c'est de l'histoire ancienne, ça.

Mion

— À la base, c'était une cérémonie pour faire une démonstration de la force des trois clans fondateurs.

Mion

Mais bon, avec le déclin des Furude et des Kimiyoshi, ce n'était plus très facile à organiser.

Keiichi

— J'imagine, oui.

Les gens d'aujourd'hui ne sont plus du genre à attendre gentiment de se faire enlever et dépecer.

Mion

— C'est pour ça que c'est le clan des Sonozaki…

qui a dû reconstruire un endroit spécifique dédié aux sacrifices de la purification du coton.

Mion ouvrit une lourde et large porte...

L'intérieur de cette salle

était bel et bien

une reproduction fidèle de l'intérieur du temple des reliques sacrées...

Mion

— Tu vois tout ça ? Il y a de quoi faire, hein ?

Nous avons récupéré une partie dans le temple, d'ailleurs.

... Les instruments dans le temple étaient vieux et rouillés, mais ceux qui se trouvaient ici étaient parfaitement entretenus.

Ils étaient bien plus réels et menaçants.

Tous les instruments avaient l'air d'être prêts à l'emploi.

Les objets à lames avaient les lames très brillantes, et les objets à pointes avaient l'air très affûtés.

Je pensais voir du sang un peu partout, mais l'endroit était carrelé au sol et aux murs, comme dans une salle de bain.

Il y avait même une petite inclinaison qui se terminait en bouche d'eaux.

Vu les tuyaux d'arrosage attachés au mur, je dirais que tout était fait pour pouvoir nettoyer le sang sans problème...

Mion

— D'après les écrits de mes ancêtres,

les blessures qui provoquent des giclées de sang ne font pas forcément très mal, mais ont un impact énorme sur les gens.

La cérémonie, c'était un peu un show.

Mion

Mes ancêtres amélioraient le spectacle en se servant de leur propres expériences passées.

Mion me montra le fond plus sombre de la pièce.

Il y avait une petite tribune avec des coussins spéciaux.

Mion

— C'était les loges, si tu veux.

Ben oui, si les sacrifices étaient des spectacles,

il fallait bien avoir des spectateurs.

Keiichi

— ... ... ...

Je cherchai quelque chose à dire, mais j'étais trop sidéré, rien ne sortit.

Je décidai de serrer les dents en attendant la fin -- je savais que Mion et moi irions mieux après ça.

Mion

— Voilà, c'est ici.

Je les ai tous tués ici.

Il n'y avait aucun spectateur, malheureusement, mais j'ai vraiment fait ça très bien.

Ah, si, il y avait un spectateur, en quelque sorte.

Keiichi

— Ah oui,

et qui ça ?

Mion

— Moi-même.

Le démon en moi a observé Mion pendant la torture et la mise à mort.

Elle se mit à rire toute seule.

Ce n'était vraiment pas un rire sympathique.

Mion

— Les boxes des prisonniers sont là-bas.

Keiichi

— Et Shion y est, alors ?

Mion opina du chef.

Il était temps de mettre un terme à tout cela.

Je devais la sortir de là le plus vite possible.

Je parie qu'elle doit se morfondre en se demandant quand est-ce qu'elle y passerait.

Mion ouvrit une porte très bruyante, qui laissait présager des espaces immenses, d'après l'écho.

Elle chercha des interrupteurs à tâtons, et quelques lumières s'allumèrent au loin.

Lorsque mes yeux s'habituèrent à l'obscurité ambiante, je remarquai que nous étions dans un grand dôme.

Les murs étaient en fait constitués par la roche nue.

De temps en temps, il y avait quelques poches creusées dans la roche, comme des trous de vers dans un fruit, avec simplement quelques barreaux devant.

C'étaient donc ça, les boxes des prisonniers.

Keiichi

— ... Où sont-ils ? Rika, et Satoko ...?

Mion

— De quoi, les corps ?

Je ravalai la bile dans ma gorge. Je ne m'étais pas attendu à cette question…

Keiichi

— Ouais…

Oui, les corps.

Il faudrait les sortir de là, non ?

Mion

— ... Je voulais pas les laisser s'infester de mouches, alors je les ai jetés dans le puits un peu plus loin.

... Désolée, j'ai pas réfléchi plus loin.

Keiichi

— ... ...

Je ne pourrais même pas leur dire adieu, alors...

J'eus une pensée amère pour Rika.

Je crois que si Mion ne s'était pas excusée, je lui aurais collé un gnon.

Calme-toi, Keiichi, reste zen.

C'est toi qui lui as promis, tu as dit qu'elle était et resterait ton amie pour toujours !

Keiichi

— Oui... Oui, je l'ai dit, c'est vrai.

À peine avais-je fini de me parler tout seul qu'un bruit se fit entendre dans l'une des prisons.

Je relevai la tête.

Keiichi

— ... Shion ?

... Shion, c'est toi ?!

Shion

— Ke-Kei ?

C'est toi, Kei ?

Je courus vers le boxe en question.

Une main blanche apparut près des grilles.

C'était bel et bien Shion.

Keiichi

— Shion, tout va bien ?!

Pas blessée ?!

Shion

— Nooon...

NoooooooooooooooOOOOOOONN !

Elle se mit à hurler, le visage déformé par la peur.

Mion était juste derrière moi.

Ah, oui, c'est compréhensible.

Elle ne sait pas que tout est terminé.

Keiichi

— Non, Shion, calme-toi, calme-toi.

C'est fini, ce n'est rien.

Tout est fini.

J'essayais de lui parler calmement, pour ne pas l'effrayer, mais cela n'avait aucun effet.

Shion continua de hurler de peur, encore et encore...

Mion

— Bonjour Shion.

Alors, comment vas-tu aujourd'hui ?

Shion

— Arrête ! J'en ai marre, ça suffit !

Shion

Je ne veux plus les entendre...

Shion

Je ne veux plus les voir mourir !

Shion

Si tu me détestes tellement que ça, tue-moi maintenant !

Shion

C'est moi que tu hais, non ?

Shion

Alors tue-moi ! Tue-moi ici et tout de suite !

Shion

Miiioooonnnnn !!!!

Keiichi

— Mais, calme-toi voyons, Shion, EH !

Eh, c'est bon,

je suis là,

calme-toi...

Shion s'accrocha aux barreaux et se mit à hurler de manière incohérente, à moitié folle.

Je me poussai du côté et laissai Mion venir à côté de moi.

Si Mion lui avait fait une telle peur, c'était la seule à pouvoir la calmer maintenant.

Mion resta juste derrière mon épaule et se mit à parler très doucement et très calmement.

Mion

— Allons, rassure-toi,

je ne vais pas te tuer.

Oh, non, je ne te tuerai pas encore...

Héhéhéhéhéhéhéhéhé, ahahahahahahaha !

Son rire sinistre était loin de la calmer, au contraire.

Shion se mit à trembler de plus en plus fort -- sa grille faisait de plus en plus de bruit.

Shion

— Arrêêêêête !

Ne le tue pas, pas LUI !

Il n'a rien à voir là-dedans !

C'est moi que tu dois tuer, MOI !!

J'en ai assez, je veux plus les enteeeeeeeendre !

Mion

— AHHAHAHAHAHAHAHA, HAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Puisque tu as tellement envie de mourir, si tu veux, après l'avoir tué et dépecé, je reviendrai et je te passerai au hachoir, qu'est-ce que tu en dis ?

Mion

Mais attention, je ferai ça bien comme il faut, petit à petit.

Mion

D'abord je t'écartèlerai, et puis je prendrai le billot et je ferai des tranches fines en commençant par les extrémités. Je ferai attention aux cartilages.

Mion

Et ensuite je te passerai au hachoir, je l'ai nettoyé et aiguisé exprès pour toi.

Mion

Ah, mais tu préfères peut-être me regarder pendant que je prépare ton p'tit gars ? C'est ça ?

Keiichi

— Eh, mais arrête tes conneries !

Tu vois pas que tu lui fais peur ?

Shion

— Non, NOOOOOOOOOOOOOON !

Vas-t'en, Keiichi !

Elle était complètement folle.

Je me retournai pour engueuler Mion.

Je la vis se fendre d'un sourire immense, en forme de croissant de lune.

Je compris soudain une chose.

Ce n'était plus ma meilleure amie qui se trouvait devant moi.

Ce n'était pas non plus la triste héritière du clan des Sonozaki, digne et sobre dans la douleur.

Mais alors... dans ce cas…

Qui c'est, cette fille ?

Ba-baamm!!!!

Il y eut un bzzzzt, et je me sentis raidir, tout d'un coup, tandis que ma vision s'estompait.

Tout mon corps devint un poids mort, et je tombai à terre.

D'abord à genoux, puis face contre terre.

Puis mon corps entier fit connaissance avec le sol.

Pourtant, je me sentais bien, un peu planant, bien au chaud.

Je ne percevais plus grand'chose.

Ma tête bourdonnait un peu, comme lorsque je m'assoupissais en voiture et que je distinguais à peine les voix déformées de mes parents.

Oui, je ne peux pas dire que j'écoutais les voix, car je ne comprenais pas ce qu'elles disaient.

Et puis à vrai dire, ce qu'elles disaient ne m'intéressait pas.

Alors pour être franc, ni les cris hystériques de Shion, ni le rire démoniaque de Mion ne me firent le moindre effet.

Mion

— Hmmm, je me demande comment le cuisiner, tiens.

Aah, je sais, la cloueuse ! Qu'est-ce que tu en dis ?

Je voulais la tester sur les deux petiotes, mais il n'y avait pas leur taille pour les attacher.

Mion

Oui, c'est une très bonne idée, et puis, ça nous changera un peu ! Aaahahahahhahahaha !

Mion me souleva par derrière et me traîna.

Mes talons traînaient au sol, et en route, je perdis une chaussure.

Shion

— Noooooooon!

Arrêêête, je t'en supplie ARRÊTE !

Nooon…

non...

……...hoooonnnhhoon...

Shion avait complètement perdu les pédales et pleurait à chaudes larmes.

Mion s'arrêta tout net en l'entendant pleurer. Me laissant par terre sans plus de cérémonie, elle retourna à la cellule de sa sœur.

Mion

— Eh ben alors, mais tu sais que tu es toute mimii quand tu pleures ?

Mion

Je ne pouvais pas te sentir quand tu faisais ta forte et ta fière, mais là je dois avouer que ta voix me plaît beaucoup. Elle te va à ravir.

Héhéhéhéhé !

Shion

— ... Mion,

je t'en supplie, je t'en supplie.

Tu pourras me faire tout ce que tu voudras, ça m'est égal,

mais s'il te plaît, laisse-le partir, ne lui fais pas de mal, je t'en prie !

Je t'en supplie...

Il me semblait pourtant qu'elle était toujours un niveau au dessus de Mion.

Mais aujourd'hui, Shion fanfaronnait nettement moins.

Je ne savais même pas qu'elle pouvait avoir une voix aussi misérable...

Mion la regardait avec un sourire cruel et jouissif.

Mion

— Je n'ai aucune intention d'écouter ce que tu veux, mais je dois dire que là, tu as su trouver un ton qui me convient tout à fait.

Mion

J'aime les gens qui savent reconnaître leur place.

Mion

Je pourrais peut-être t'accorder un souhait, pourquoi pas ?

Mion

C'est vrai que je me suis rarement comportée comme une grande sœur modèle, je peux bien faire un geste, pour une fois...

Shion

— Oh, merci...

Merci...

Merci infiniment, merci du fond du cœur...

Mion

— Hmmm, bon.

Mion

Alors excuse-toi. Excuse-toi pour tout ce que tu m'as fait dans ta vie.

Mion

Alors peut-être, je tirerais un trait sur le passé.

Mion

Et peut-être même bien que j'irais même jusqu'à épargner sa vie, mais juste la sienne, attention...

Si elle m'épargne seulement moi, ça veut dire que de toute façon, Shion va y passer...

J'entendis des frottements bizarres près des grilles. Je suppose que Shion s'était agenouillée et avait posé le front sur le sol.

Puis j'entendis des murmures plaintifs : elle était sûrement en train de s'excuser en utilisant les formules les plus humbles et polies qu'elle connaissait. Je ne réussis pas à saisir ce qu'elle disait au juste, mais je voyais bien ce qu'elle voulait faire.

Mion avait l'air de se régaler du spectacle, mais elle donna quand même des coups de pieds dans la grille pour lui signaler son mécontentement.

Mion

— Et tu crois qu'avec ça, tu pourras te faire pardonner les années de haine et de souffrance que j'ai subies ?

Mion

Mais tu crois au Père Noël, ma grande ?

Mion

Je crois que je vais me faire un hamburger, j'ai justement une belle pièce de viande sous la main !

Shion

— NOOOOOOOOOOOON !

Attends, non,

laisse-moi une chance !

Juste encore une fois, je vais réessayer !

Mion s'arrêta puis haussa les épaules en hochant la tête.

Mion se faisait prier, mais je savais qu'elle adorait ça.

Mion

— Rha là là là là... Je sais même pas pourquoi je fais ça, moi. C'est vrai que tu n'as jamais appris la politesse, toi.

Mion

Allez, je suis ta grande sœur, il faut bien que je montre l'exemple… Je vais t'expliquer comment on demande pardon quand on est vraiment, mais vraiment désolée.

Mion

Je ne te le dirai qu'une seule fois, alors écoute bien. Et si tu fais une seule faute, tu auras perdu,

c'est compris ?

Shion

— Oui !

Houi...

Mehhci, mehhci beaugoup...

Ooh…

Shion avait du mal à parler, à force de crier, sûrement.

Je sentis quelque chose monter dans ma poitrine.

La colère, je pense.

Eh mais !

Je commence à reprendre le contrôle de mon corps...

Enfin, pas vraiment. J'étais de nouveau capable de sentir les choses avec le toucher.

C'était pas mal, mais je ne pouvais pas encore bouger le moindre muscle !

Mion

— Alors, j'espère que tu as une bonne mémoire ?

On va vite le savoir.

Et tu as intérêt à y mettre du cœur, tu m'entends ?

... Si tu y arrives, alors je te promets que tu seras la seule à mourir.

Shion

— Oui…

Merci, merci mille fois...

Y a quelque chose qui cloche.

Y a quelque chose de complètement pas normal, là.

C'était pourtant Mion à l'instant...

Mais là, c'est plus Mion !

La Mion que je connaissais ne ferait jamais ça ! Elle n'était pas du genre à humilier quelqu'un pour le plaisir !

Mion

— Allez,

à toi.

Je t'écoute.

Shion

— ... Moi, Sh…

Shion Sonozaki,

C'est pas possible, la vraie et la fausse ont dû échanger leurs places pendant que je courais vers la cellule tout à l'heure, autrement, ce n'est pas possible !

Cette fille, c'est pas Mion !

C'est PAS MION !

Shion

— Moi, Shion Sonozaki, ne suis qu'une sale truie hideuse et dégénérée qui ne mériterait même pas d'être comparée en rêve à ma grande sœur Mion.

Shion

Je n'ai jamais su tenir la place qui était mienne, et j'ai, à de nombreuses reprises, jeté la honte et le discrédit sur le nom de ma sœur par le passé.

uhk.....

Mion

— Eh ben alors, c'est bien, continue, tu te débrouilles pas mal.

Tu commences à me plaire, presque.

Je sentis mon sang me démanger de partout.

Mes sens revenaient...

Encore un tout petit peu !

Vite, pendant que la fausse Mion ne me regarde pas ! Vite !

Shion

— Je regrette profondément m'être comportée avec tant d'arrogance avec elle,

et je jure de la servir avec humilité

jusqu'à la fin de mes jours.

Par là-même,

Mion

— AHHHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Son rire se réverbéra, amplifié, dans tout le dôme, ce qui le rendit particulièrement inhumain.

C'était un rire qui venait vraiment du plus profond des entrailles…

Un rire infernal…

Un rire de démon.

Après avoir hurlé de rire pendant de nombreuses secondes, elle s'arrêta tout net.

Mion

— Allez, va, tu peux arrêter.

C'était marrant.

Je ne pensais pas que tu te rabaisserais si bas.

Oui... oui.

Je me suis bien amusée.

Mion revint vers moi, me reprit par derrière et continua de me traîner jusqu'à la salle de torture.

Shion

— Mais... Noon... NON !

Tu avais promis ! Ne le tue pas ! Seulement moi !

Laisse-le partir !

Mion

— Mais t'inquiète pas, ma grande.

Je vais te tuer, ça va venir.

Je veux juste te faire écouter un peu de musique, tu verras, je suis sûre que Keiichi sait pousser de magnifiques hurlements de douleur.

Shion

— ... ... Nooon... Noooooooon... NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !

À peine arrivés dans la pièce, Mion m'installa et m'attacha sur une grosse étoile en bois truffée d'entraves.

En un instant, je fus incapable de bouger.

Elle me défit les poings et écarta bien mes doigts, les attachant tous un à un, séparément.

Puis elle serra toutes les entraves depuis le poignet jusqu'aux extrémités le plus fort possible.

Shion

— NOOOON !

Laisse-le ! Ne le tue pas !

Miioooonn!!!!

J'entendais toujours les hurlements de Shion. Apparemment, la porte qui menait au grand dôme souterrain avait été laissée ouverte.

Mion

— J'espère que tu entends comme il faut, Shion ?

Je vais commencer !

Il est encore jeune, je suis sûr qu'il pousse de jolis cris, tu m'en diras des nouvelles !

Keiichi

— ... Arrête avec tes conneries, bordel de merde...

Lorsque je pus enfin reprendre le contrôle de mon corps, je ne pouvais plus faire grand'chose, à part parler.

Mion

— Ah tiens, t'es enfin réveillé, toi ?

Je m'excuse de t'avoir menti tout à l'heure.

Je t'ai dit que je voulais la tuer de la façon la plus horrible et que je n'avais rien trouvé de bien,

ben j'ai menti.

Mion prit une trousse de couvreur.

Elle en sortit de longs clous et une petite masse.

Mion

— Je lui fais écouter les cris de souffrance et d'agonie de toutes les personnes qui devaient mourir par sa faute, et quand elle aura bien mijoté dans sa propre peur, je la supprimerai.

Pas mal, hein ?

Héhéhéhéhéhé !

Keiichi

— ... Mais en fait…

t'es qui au juste, toi ?

Mion

— Hein ?

Ben, Mion, ça se voit, quand même, non ?

Tu sais bien, Mion Sonozaki.

La peur t'aurait-elle fait perdre la raison, mon grand ?

Keiichi

— ... Non, je ne crois pas, non.

Tu ne peux pas être Mion !

Mion, avec un sourire incrédule, continua les préparatifs de la torture.

Mion

— Hmmm, tu crois vraiment ?

Mais alors, si je ne suis pas Mion, qui suis-je ?

Keiichi

— ... Tu es... le démon.

Mion

— Hein ?

Keiichi

— ... Tu n'es pas Mion.

Elle était là tout à l'heure, rends-la-moi.

Mion

— P'tit gars, tu es sûr que ça va, la tête ?

La peur te fait délirer, je crois bien.

Keiichi

— Ne me touche pas !

Sale monstre !

Rends-la-moi !

Rends-moi Mion !

Rends-moi ma meilleure amie !

Elle me regarda, sidérée, et resta un moment sans savoir trop comment réagir.

Personnellement, je me doutais bien que je devais être victime d'une hallucination.

Ma tête comprenait bien que ce que je disais n'avait pas beaucoup de sens.

Mais d'un autre côté...

C'était impossible ! La fille qui se tenait devant moi ne pouvait pas être Mion !

Je ne pouvais pas accepter une chose pareille !

C'est pour ça que ça m'est venu à l'esprit.

En fait, Mion est possédée par un démon... et elle a maintenant une sorte de double personnalité. Et là, pour le moment, c'est le démon qui a le contrôle de son corps !

La vraie Mion n'est qu'une victime... le vrai monstre, le vrai meurtrier, la véritable enflure dans l'histoire, c'est lui !

Ça ne peut être que lui !

Mion

— AaaaAAHHHAHAHAHAHAHAHA HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA ! AAAAHHHHHHAA HAHAHAHAHAHAHAHA !

Mion était complètement explosée de rire.

Mion

— ... Roh la vache, sacré toi, va, ce que tu peux être naïf quand même...

Tu ne peux pas croire que ce soit moi qui vais te faire la peau, c'est ça ? C'est pour ça que tu dis que c'est pas moi ?

Mion

Ah, c'est la première fois que je vois un mec aussi con que toi, tu es formidable, p'tit gars !

Keiichi

— ... Si t'as envie de te foutre de moi, te gêne pas.

Mais tu peux te mettre debout sur la tête, tu ne me feras jamais croire que tu es Mion Sonozaki, jamais, tu m'entends ?

Rends-la-moi !

Vade retro, satanas !

Mion

— AhaHAHAHAha, AHAHAHAHA !

P'tit gars ! P'tit gars, j'ai compris, ahahaha, tu as envie de littéralement me faire mourir de rire, c'est ça ?

AHAHAHAHAHAHAHA !

Je ne pouvais pas me laisser intimider par ses rires.

Je me mis à hurler moi aussi.

Je devais absolument atteindre la vraie Mion, qui était sûrement endormie, prisonnière dans ce corps...

Keiichi

— Allez, Mion !

Du nerf, bordel !

Montre-lui ce que tu sais faire ! Montre-lui que c'est toi, la plus forte !

Mion

— AhahaHAHAhaha, AHAHAhahAHAHA HAHAHAHHahHAhahAhAHahAhahaAHhHAhAHha !

Mion était par terre, en train de pleurer de rire. Mais les larmes qui me montèrent aux yeux étaient de toute autre nature.

Ne pouvant pas bouger mes bras, je ne pouvais pas les essuyer, alors je les laissai couler.

Keiichi

— J't'en supplie, Mion !

MION !

Comment as-tu pu perdre face à lui ?

T'es pourtant pas si faible que ça, non ?

Baisse pas les bras…

Bats-toi !

BATS-TOIIII !

Mion se releva et reprit les clous. Elle faisait tout pour s'empêcher de repartir d'un fou rire, ça se voyait.

Elle plaça un clou près de l'une de mes phalanges.

Elle en avait encore plusieurs dizaines à côté d'elle. Puis elle prit la petite masse.

Je compris alors enfin ce qu'elle avait l'intention de faire.

Mais pourtant, je n'eus pas spécialement peur.

Je continuai à crier.

Mion

— Ahahaha, HAHAhaha, haaaa, ahaaha...

Haaaaaa, la vache, j'ai mal au ventre, maintenant, c'est malin.

Bon, je peux y aller ?

Il serait l'heure de commencer, là, tu crois pas ?

Allez, et fais-moi des jolis cris, hein.

Mion

Ce n'est pas toi que je veux torturer avec ça, c'est ma conne de sœur.

Keiichi

— ... Pourquoi…

... Pourquoi ?

Pourquoi tout ça...

... Mion !

Je n'étais plus capable d'articuler la suite.

Je fus pris de sanglots incontrôlables, non pas par peur des clous.

Mais parce que je sus que Mion avait perdu face au démon qui vivait en elle.

Et pourtant... il semblait y avoir du changement dans son expression.

Elle semblait se calmer, petit à petit.

Lorsqu'enfin je compris ce qu'il se passait en elle…

la vraie Mion était de nouveau aux commandes.

Mion

— ... Kei...

Je ne veux pas jouer au méchant à la James Bond et t'expliquer mon plan maléfique, mais...

puisqu'apparemment tu veux absolument savoir, je vais t'avouer une chose.

Est-ce que c'était vraiment Mion ou simplement le démon en elle qui faisait preuve de pitié ?

Aucune idée.

Mion

— Cela fait longtemps que je porte le démon en moi.

Il a essayé de me dévorer de l'intérieur, de me pousser à la violence.

Mais je l'ai toujours réprimé au fond de moi.

Mion

Pendant longtemps, j'ai cru que je l'avais vaincu à tout jamais. J'ai fini par oublier qu'il était là.

Mais il attendait son heure.

... Il dormait simplement, patiemment.

Je vis des larmes perler aux coins de ses yeux.

Mion

— Et puis un jour, il s'est réveillé.

Tu sais pourquoi ?

... ... Ses yeux étaient tristes, mais elle me portait un regard accusateur.

Mion

— Alors, tu sais ?

... ... Non, je ne savais pas.

Je ne voyais pas pourquoi elle avait perdu face à lui.

Mion

— ...

C'est ironique que ce soit le démon qui t'en parle, mais tu sais,

c'est toi qui as tout chamboulé.

Les larmes coulèrent sur ses joues en un mince filet.

Mion

— ... Ce jour-là…

si tu m'avais donné cette poupée sans hésiter…

rien de tout cela ne serait arrivé.

La poupée...

Bien sûr... La poupée que le gérant m'avait donnée ce fameux dimanche...

Mion

— Je parie que tu comprends pas ce que c'est.

Mion

Bah, c'est normal, après tout.

Mion

Mais tu sais, ça a été le truc qui a tout déclenché. Un peu comme une série de dominos, tu sais. Toutes mes défenses sont tombées les unes après les autres…

Mion

Je sais que tu ne t'es pas rendu compte du mal que tu m'as fait, mais... C'est à cause de toi, tout ça.

Keiichi

— ... ... Nan... sérieux ? ... c'est ma faute, alors...

Mion

— ... Si tu n'avais pas fait pleurer “Mion”, je ne me serais jamais réveillé.

Bon, c'est bon, là ?

On peut y aller ?

Mais alors…

c'est l'erreur que j'avais commise ce jour-là…

qui est responsable de tous ces meurtres ?

Keiichi

— Mais enfin... t'es pas sérieuse ?

Mion

— Je sais que tu ne l'as pas fait exprès.

Mais c'est toi la cause de tout ça, je t'assure.

Mion

Si tu m'avais donné cette poupée sans trop faire d'histoires... nous n'en serions pas là aujourd'hui.

Je me souvins alors d'une conversation avec Rena...

Elle me l'avait dit... D'ailleurs, j'étais allé au restaurant pour lui demander pardon à cause de ça.

Sauf que j'avais présenté des excuses

à Shion...

Mais alors... c'est pas vrai, non...

Je me suis même pas excusé auprès d'elle... pendant tout ce temps...

Je suis venu ce matin en lui disant que je voulais m'excuser de quelque chose, et finalement je ne me suis pas excusé du plus important !

Mais oui... c'est pour ça qu'elle a eu l'air déçue quand je lui ai parlé du temple !

Mais pourquoi je l'ai pas remarqué plus tôt ?!

Rena me l'avait dit... et comme je n'avais toujours pas compris, Mion elle-même a dû me le dire en face !

Je suis vraiment un idiot, je ne remarque rien ! On dit que la mort ne guérit pas de l'imbécilité, mais je devrais peut-être quand même essayer...

Keiichi

— ...........Ugh....... ooh...!!

Les regrets, les remords, la tristesse, la honte, le dégoût...

Toutes mes émotions se mêlèrent à ces larmes et me laissèrent un goût amer en bouche...

Mion

— Bon, je vais t'expliquer.

Tu verras, c'est tout simple.

Je vais te planter un clou dans l'extrémité de l'auriculaire de ta main gauche.

Mion

Ensuite, je passe aux autres doigts. Quand j'aurais cloué ton pouce, je reviendrai à ton petit doigt, et là, je te planterai un clou dans la deuxième phalange.

Mion

Je continue comme ça jusqu'à ce que tu aies quinze clous plantés dans les doigts,

Mion

puis je passe à ta main droite.

Et après, je... bah, ce sera une surprise, enfin, si tu es encore conscient.

Mion

Les doigts contiennent beaucoup de terminaisons nerveuses, tu vas déguster, p'tit gars.

La plupart des gens perdent connaissance avant la fin des trente clous, il paraît...

Mion posa le clou bien contre mon doigt.

Je ne pouvais même pas trembler tellement mes entraves étaient serrées.

Mion

— ... Tu sais, pour les autres, j'ai pas hésité une seule seconde,

mais pour toi, c'est dur.

Keiichi

— ... ... Si après ça, le démon se rendort...

Si après ça, tu redeviens normale, alors vas-y, fais-le autant que tu voudras.

Mion

— ... Oh putain…

t'es pas sérieux ?

Keiichi

— Comparé à ce que tu as subi, ce ne sera pas grand'chose, non ?

Mion

— ... ... ...

Keiichi

— Vas-y, lâche-toi.

Mais en contrepartie, j'ai deux choses à te demander. Je veux que tu me promettes de les faire !

Elle se tut.

Elle attendait la suite.

Keiichi

— Quand tu en auras fini avec moi, je veux que tu pardonnes à Shion.

Elle a suffisamment payé pour s'être introduite dans le temple, tu crois pas ?

Mion

— Eh gamin…

Dans la situation où t'es, tu te fais plus de souci pour elle que pour toi ? Vraiment ?

Keiichi

— La deuxième chose que tu dois me promettre,

c'est que quand tu en auras fini, tu disparaîtras.

Keiichi

Je veux que tu te rendormes à tout jamais.

Redonne à Mion le contrôle de son corps.

Keiichi

... Je t'en supplie, c'est tout ce que je te demande.

Mion

— ............

............T'es pas croyable, putain. Il te viendrait pas à l'idée de demander quelque chose pour toi, non ? Que je te laisse partir, par exemple, je sais pas ?

Keiichi

— Ben écoute, si tu veux bien me faire une troisième promesse,

ce serait sympa de me laisser en vie.

Mion

— Ahahahahahaha !

Petit sacripant, va ! Tu m'as d'abord dit deux, il ne faut pas être trop gourmand non plus.

Alors la dernière, c'est niet.

Keiichi

— Ah ben merde alors, c'est con pour moi, ça...

Malgré la situation si absurde, nous trouvions encore le moyen de faire de l'humour et d'en rire...

Mion

— Tu sais, je ne tiendrai probablement pas ces promesses.

Je suis un démon, n'oublie pas.

Keiichi

— Bah là, écoute, tant pis, c'est la vie...

Quand le dentiste me faisait mal avec les appareils, j'avais serré le poing pour oublier la douleur.

Mais là, ça n'allait pas être possible du tout.

Je sais, je vais serrer les doigts de pieds.

Bon, je suis prêt.

Elle peut y aller.

Sauf qu'elle ne commençait pas.

C'était encore plus dur pour mes nerfs d'attendre sans savoir quand le coup allait partir...

Je crus que j'allais devenir fou...

Mion posa la masse par terre... puis me caressa gentiment le front.

Mion

— Kei...

Je... je veux bien t'accorder ton troisième souhait.

Keiichi

— ... Hein ?

Mon troisième souhait ?

Elle veut me laisser la vie sauve ?

Mion

— Ton premier souhait,

Mion

c'est de sauver Shion.

Mion

Je ne peux pas te l'accorder, ce n'est plus possible.

Mion

Le démon se chargera d'elle.

Mion

Je l'ai décidé il y a longtemps, je ne peux plus revenir en arrière là-dessus.

Mion

Abandonne cette idée.

Ses longs doigts fins passèrent sur mes joues et s'arrêtèrent à mon menton.

Mion

— Quant à ton deuxième souhait...

Mion

Rendre son corps à Mion.

Mion

Je ne peux pas te l'accorder non plus.

Mion

Je pense que Mion ne reprendra plus jamais le contrôle de son corps.

Mion

Si jamais tu devais me revoir un jour, sache que ce ne sera pas moi,

Mion

mais le démon qui sera devant toi.

Keiichi

— ... Mais non, faut pas dire ça !

Mion doit rester Mion !

Ce serait trop triste !

Mion

— ...

Tu entends ?

Ce bruit.

Mion ferma les yeux pour affûter son ouïe.

Moi aussi, j'entendais un bruit.

...Slaa...am...

............slaaaam...

C'était un sorte de boooohmmm très grave,

qui se répétait régulièrement.

Aaah, sûrement quelque chose qui frappe la porte en fer à l'entrée...

Mion

— Hmmm, je suppose que Rena a appelé Ôishi en nous voyant ne pas revenir.

C'est dingue, cette cruche est d'habitude deux de tension, mais là, elle tourne à plein régime... J'aurais jamais cru.

Keiichi

— Je vais te dire, pour une fois, je suis d'accord avec toi.

Mion me regarda en pouffant de rire, puis elle sortit un rasoir électrique de sa poche.

Lorsqu'elle l'alluma, un arc électrique apparut entre les bords.

Mion

— Je parie que c'est la première fois que tu en vois un ?

Mion

C'est un taz, enfin, un “pistolet incapacitant” pour parler correctement.

Mion

Je ne l'ai pas acheté au supermarché, tu t'en doutes, alors il est beaucoup plus puissant que les vrais.

Keiichi

— Aaah, c'est avec ça que tu m'as eu tout à l'heure ?

C'est pas un jouet pour les enfants, tu devrais le remettre dans sa boîte.

Mion

— Éhéhéhéhé,

ouais, t'as raison.

Elle le posa sur moi.

Je sentis le plastique froid sur mon cou.

Un bruit sourd énorme se fit entendre.

Ils avaient réussi à défoncer la première porte.

Le chemin était encombré là-haut, mais à part la distance, plus grand'chose ne séparait la police et cette salle.

Mion

— Je ne vais pas te tuer, mais j'aimerais que tu fasses une petite sieste.

La police sera vite là.

Tu supporteras ?

Alors, je vais encore une fois avoir mal partout ?

Je serrai les dents, même si je savais que ça ne servirait probablement à rien.

Mion hésitait encore.

Je rouvris un peu les yeux.

Mion

— ... ... Je te demande pardon...

Pardonne-moi d'avoir souillé l'image de Mion.

Keiichi

— Je t'ai fait une promesse avant d'entrer ici, non ?

Quoiqu'il arrive, Mion restera toujours la même dans mon cœur.

Mion

— ... Alors oublie-la.

Même si tu devais me revoir bientôt…

ne t'approche surtout pas de moi.

Je serai déjà morte. Ce sera le démon devant toi, contrôlant mon cadavre.

— Mais qu'est-ce que t-

*Bzzzzt* Comme une télé que l'on éteint, ma vision se réduisit à un point, puis tout devint noir et silencieux…