À l'heure où l'école fut finie, la cour était pleine d'adultes qui attendaient leurs enfants.
On aurait dit une école maternelle...
Les élèves dont les parents n'étaient pas là partirent tous en un seul groupe.
La route à suivre avait été décidée par la maîtresse.
Sur le chemin, personne n'avait vraiment la tête à faire la conversation.
On aurait dit un groupe d'alpinistes exténués, qui faisaient leur randonnée en silence.
Puis tout doucement, le groupe s'étiola.
Un par-ci, un par-là,
et à la fin, il ne resta plus que Rena et moi.
Normalement, j'aurais dû la raccompagner chez elle, mais elle avait refusé.
— Tu es sûre ?
C'est dangereux de se déplacer seul...
— Et toi, alors ? Si tu m'accompagnes, tu devras rentrer tout seul, non ?
Il fait encore jour,
il ne m'arrivera rien.
— Tu penses ? Oui, après tout....
Ben alors, salut, à demain. Fais gaffe en rentrant, d'accord ?
— Oui...
Tiens ?
Mais, c'est pas le policier d'hier ?
Rena pointa du doigt vers ma maison.
Une voiture était garée devant.
Ôishi en descendit.
Il devait sûrement m'avoir attendu pour me coincer sur le chemin du retour...
Il s'approcha de nous avec un sourire salace, comme à son habitude.
— Rena, tu devrais y aller.
Quand il se met à parler, il n'arrête plus.
— Mais....
pourquoi la police veut-elle te voir, Keiichi ?
... Elle est vraiment gentille, cette fille.
Elle ne m'avait pas pressé de question quand j'avais commencé à m'inquiéter pour Rika.
Elle aurait eu tout à fait raison de me soupçonner dès cet instant.
Mais elle ne m'avait jamais rien demandé, jusqu'à maintenant.
Elle a sûrement l'intention d'attendre que je me décide à tout lui avouer de moi-même, sans me forcer.
— ... C'est pas moi, le coupable.
— Oh, je m'en doute, hein.
— ... Je ne suis pas le coupable, mais…
je ne suis pas étranger à toute cette affaire.
Rena continuait de sourire, encourageante.
Je pensais qu'elle serait dégoûtée, qu'elle aurait un regard révulsé, mais non, rien du tout.
— Je te dirai tout une prochaine fois, d'accord ?
— D'accord.
J'attendrai que tu me dises tout, alors.
— ... Allez, file.
Rena acquiesça, puis partit au petit trot.
Je restai seul.
Devant moi se dressait l'inspecteur Ôishi.
— Bonjour, bonjour,
M. Maebara.
— ... Bonjour.
— Vos parents ne sont pas là, on dirait.
Je ne savais pas trop quoi faire.
Il était même prêt à venir me voir devant mes parents ?
J'avais eu de la chance.
Hmm, s'ils sont tous les deux absents, à cette heure-ci... Ils rentreront sûrement très tard ce soir.
— Je suppose qu'ils sont partis pour le travail.
Ils ne rentreront pas avant un bout de temps.
— Je vois.
Oh, vous savez, ça m'arrange.
Je n'aurais pas à les faire s'inquiéter pour rien.
Ôishi me passa une main dans le dos et m'entraîna avec lui.
Il voulait me faire monter en voiture.
— Quoi, vous voulez m'emmener au poste ?
Je ne suis pas le coupable, mais je suis le motif, l'élément déclencheur.
C'était finalement assez normal de devoir être interrogé par les forces de police.
Une sorte de résignation me gagna...
— Ah, non, non, pas du tout. Je me suis dit que nous serions mieux assis dans la voiture que debout dehors.
Je vous en prie, asseyez-vous.
Il ouvrit la porte de derrière et m'invita à m'installer sur la banquette arrière.
Si je monte, il ne me laissera pas sortir aussi facilement.
Mais si je ne monte pas, il risque fort de me passer les menottes.
Puisque de toute façon, ça revenait plus ou moins au même, autant coopérer.
La climatisation était mise à fond, mais on sentait l'odeur du filtre -- il n'avait probablement jamais été changé.
— Ah, c'est peut-être trop frais pour vous ?
Je peux la couper, si vous voulez ?
Il coupa le moteur, et progressivement, le silence se fit.
Tout doucement, le chant des cigales se mit à nous parvenir à travers les vitres fermées...
J'avais l'impression que le chœur se moquait de moi, me reprochant ma curiosité, ma couardise, comme autant de murmures qui portaient un jugement sur moi.
Pendant un instant, moi aussi, je repensai à tout ce qu'il s'était passé, en m'en lamentant en mon for intérieur.
L'inspecteur alluma une cigarette en silence et sembla prêter l'oreille au sanglot des cigales. Il attendait, sachant que je passerais à table tout seul.
À force, le silence me fut insupportable, et ce fut moi qui le rompis.
— Comment avancent les recherches ?
— Les recherches ?
Sur quoi ?
Nous faisons des recherches sur beaucoup de choses en ce moment, vous allez devoir être plus précis. Éhhéhhéhhéhhé !
— Sur tout.
— D'accord, pourquoi pas.
Normalement, je suis censé protéger le secret de l'enquête, mais bon, pour vous, je peux bien faire une exception.
Commençons par le commencement, voulez-vous ?
La mort de Tomitake et de Takano, le soir même de la cérémonie.
— Pour ce qui est de l'enquête sur eux... Je suis bien honteux de l'avouer, mais nous n'avons fait aucun progrès.
Pour la mort de M. Tomitake,
nous avons découvert des traces de violence sur son corps, il a été agressé par plusieurs personnes, mais nous n'avons aucune explication à donner sur le fait qu'il se soit arraché la carotide avec ses propres ongles.
Je pensais à une drogue ou à une substance illicite, mais l'autopsie n'a rien donné.
— Et pour Mme Takano ?
— Pareil, aucune idée du pourquoi du comment.
L'autopsie d'un corps carbonisé, c'est trèèès compliqué, vous savez.
Nous pensons qu'elle a été étranglée puis aspergée d'essence.
Elle a été retrouvée à Gifu,
et les collègues de là-bas ne sont pas très coopératifs, en fait, ils disent que c'est leur affaire.
Aaah, ahem, mais assez avec mes histoires de collègues.
Il n'a rien trouvé dessus alors ? C'est toujours une mort inexplicable.
— En tout cas, le meurtre a dû être commis juste après la cérémonie.
Pour Mme Takano, l'autopsie n'est pas très concluante, mais celle de Tomitake indique clairement l'heure du décès. Ils ont sûrement été tués ensemble, et elle a été transportée jusque dans la province d'à-côté.
— Hmmm, pourquoi l'avoir déposée là-bas ?
Ils auraient pu la laisser sur place...
— Eh, mais dites-donc, vous êtes plutôt doué pour réfléchir !
C'est justement le détail qui me tracasse.
Oh, il y en a d'autres, vous vous en doutez, mais... enfin, pour l'instant, je ne peux pas vraiment vous en dire plus.
— Et le maire, alors ?
Vous avez trouvé un indice ?
J'eus soudain peur de devoir répondre à ses questions, aussi j'enchaînai aussitôt.
— Nous avons essayé de reconstruire son emploi du temps le jour de la disparition.
Nous n'avons pas vraiment trouvé d'indice, mais je peux vous en parler quand même...
Le maire, Kiichirô Kimiyoshi,
était en fait gravement malade.
— Les gens qui viennent de nobles familles sont très fiers, vous savez.
Le maire se rendait en fait très souvent dans un hôpital très connu à Shishibone, il allait voir un proctologue.
Le jour où il a disparu, il avait un rendez-vous là-bas, alors il est parti aux premières lueurs de l'aube pour ne pas se faire voir.
Je savais que dans ce genre d'établissements célèbres, il fallait attendre son tour pendant longtemps.
Même avec un rendez-vous, il avait dû s'y rendre plusieurs heures à l'avance.
— Il est sorti de consultation vers 13h.
Puis il a mangé au restaurant, dans l'hôpital, et a tué le temps en lisant des magazines.
Enfin, disons que nous avons trouvé des tickets de caisse dans son portefeuille, à la maison, et que donc nous avons su qu'il avait acheté plusieurs magazines là-bas.
Hmm, rien de bizarre.
— Il devait se rendre à une réunion au conseil municipal le soir-là.
Il a donc pris le train pour rentrer largement à l'heure, mais en fait, quelqu'un s'est suicidé en se jetant sous le train, alors les voies ont été bloquées cet après-midi-là.
Du coup, il est rentré à la maison juste avant la réunion.
Les membres de sa famille l'ont vu repartir vers la salle municipale en toute hâte.
— C'était quoi, cette réunion, alors ?
Il a disparu juste après la réunion, non ?
— Il y avait les trois chefs de clans et quelques personnes importantes au village, responsables de certaines activités de quartier.
Je suppose qu'ils se sont concertés à propos des événements tragiques qui avaient eu lieu cette année.
Hmmm, et donc sur le chemin du retour, il a disparu...
Quand je pense à Shion, elle l'aimait tellement.
Il l'avait rassurée quand elle s'était confessée à lui.
Je me souviens encore de sa voix si désemparée au téléphone...
— Hein ?
…
... Hein ?
— Quoi, j'ai dit une bêtise ?
Mon petit cri de surprise m'avait moi-même pris par surprise, en fait.
Mais pourquoi est-ce que j'étais surpris, au juste ?
Je me tins la tête entre les mains pour essayer de me souvenir de ce qu'il m'était passé par la tête à l'instant.
Allez, souviens-toi, Keiichi !
Tu as découvert quelque chose de super important !
Super important !!!
Le soir de la purification...
C'était le point de départ.
Cette nuit-là, Mme Takano s'est fait tuer.
Le lendemain, tout le monde en parlait au village.
Ils ont décidé de faire une réunion ce soir-là pour en discuter entre eux.
Mais le maire avait une consultation à l'hôpital, très loin, et il était parti dans le plus grand secret.
Il est allé consulter le médecin,
il a mangé,
et il s'est fait piéger dans les transports en commun à cause d'un suicide.
Lorsqu'il est rentré, c'était l'heure de la réunion.
Il a changé de veste et il est parti à vélo en toute hâte jusqu'à la salle du conseil municipal.
Donc depuis le moment où il a su pour les meurtres et celui de la réunion,
personne ne savait où il était.
Dans le plus grand secret, en faisant bien attention à ne pas se faire repérer,
il est allé seul à l'hôpital,
il est allé manger seul,
et il est rentré, toujours tout seul.
Personne ne pouvait le contacter là où il était.
Même pas par téléphone.
Mais il y a un truc.
Il y a un truc qui cloche, Keiichi...
... ... ... Aah!
— ... Kei... Dis-moi ce que je dois faire, Kei... Oh, mais qu'est-ce que j'ai fait...
— Qu'est-ce que tu as ?
Ben, dis-moi.
Pas de secrets entre nous, allez, quoi.
— Je... Je lui ai parlé... je lui ai dit pour le temple.
Je lui ai tout avoué.
Je lui ai tout avoué.
— J'ai avoué au maire que nous étions entrés dans le temple des reliques ce soir-là.
Et que quelqu'un nous avais vus et qu'il en avait après nous.
— Et,
il a répondu quoi ?
— Il a... Il ne s'est pas mis en colère...
Il m'a fait un petit sourire, et il m'a dit que si je le regrettais vraiment, eh bien la déesse m'épargnerait.
Il m'a vraiment... vraiment dit ça en souriant... Et puis il m'a dit que... qu'il s'en chargeait, qu'il ne m'arriverait rien...
...ngh...!!
Je me mis à suer à grosses gouttes.
L'une d'entre elle me glissa lentement le long du front, puis sur le nez... puis tomba au sol.
Mais alors, donc…
quoi ?
Bon, vas-y, Keiichi, fais pas celui qui comprend pas.
Quand est-ce qu'elle a pu lui parler ce jour-là ?
Elle m'avait dit qu'elle avait su ce qu'il s'était passé en écoutant son père au téléphone.
À ce moment-à, le maire était à l'hôpital, très loin, injoignable.
Il n'avait dit à personne où il allait.
Personne ne savait qu'il était parti, en fait.
Et à cause du suicide, il n'était rentré que très tard, juste avant la réunion.
Il est allé en toute vitesse à la salle municipale, et la réunion a duré jusqu'à la nuit noire.
Et lorsque la réunion fut finie...
On ne sait pas.
Plus personne ne l'a vu après la réunion.
Il s'est volatilisé.
Et donc…
donc…
eh bien…
euh...
— M. Maebara ?
Vous êtes sûr que ça va ?
Vous transpirez, vous voulez que je remette la climatisation ?
— ... ... ... ... ...
Mon cerveau me disait de ne pas continuer à réfléchir.
Je me mis à trembler. Toute ma tête tremblait fort, comme un mixer.
Lorsqu'enfin je me calmai, il ne me restait plus beaucoup de cervelle dans la tête.
— M. Maebara ?
Coucou ?
— ... Ah...
Oui, quoi ?
Ôishi ralluma une cigarette, j'avais perdu le compte.
Le cendrier était plein de mégots.
S'ils étaient une indication du temps que j'avais passé à réfléchir...
alors j'avais réfléchi un fameux moment.
— Écoutez, je vous ai dit tout ce que je savais.
Vous ne voudriez pas m'aider ? C'est à votre tour de parler, maintenant.
— ...
Mon cerveau ressemblait à un diabolo anis.
Je n'étais vraiment plus en état de réfléchir.
— Allez, quoi, dites quelque chose.
N'ayez pas peur,
je ne pense pas que vous soyez le coupable.
L'inspecteur essayait de garder le sourire et de se montrer convaincant.
— Je sais que vous êtes entrés par effraction dans ce temple.
Tout le monde était au courant dans le village, dès le lendemain.
Évidemment, aux yeux de la Loi, c'est un problème, mais ce n'est pas si grave.
Qu'y avait-il à l'intérieur ?
Les gens qui sont entrés ont disparu les uns après les autres, ça devait forcément être terrible.
— ... Il n'y avait rien…
rien de spécial.
Après l'avoir dit, je me rendis compte que je venais d'avouer, mais après tout, qu'importait ?
— Il n'y avait vraiment rien du tout ?
Je veux dire, les gens qui sont entrés là-dedans sont tombés l'une après l'autre.
Même le maire et la petite Rika, qui étaient responsables pour avoir changé la serrure.
C'est très grave, alors il devait forcément y avoir quelque chose dans ce temple pour justifier une telle série de disparitions ?
J'étais fatigué rien qu'à l'écouter.
Alors c'était ça qu'il voulait savoir ? Tout ça pour ça ?
— ... Il y avait des tas de vieux instruments de tortures qui étaient utilisés au Moyen-Âge.
Mme Takano nous les a montrés.
— C'est tout ce qu'il y avait ?
— Oui, c'est tout ce qu'il y avait.
— Il n'y avait rien de plus terrible, de plus important ? Quelque chose qu'il faudrait passer sous silence, sous peine de mort ?
Je sais pas moi, de la drogue, par exemple.
De la cocaïne, ou du pavot, ou...
des armes à feu en provenance de Russie ou de Chine.
Il n'y avait pas de grosses caisses louches un peu partout ?
Non, il n'y avait rien eu de tout cela, mais...
Les objets du temple étaient déjà suffisamment terribles, je trouvais.
Et puis, les gens respectaient cet endroit, c'était un lieu sacré. Ils devaient vouer un culte à ce qu'il y avait à l'intérieur, mon avis sur la question était le dernier de leurs soucis.
Nous avions tous les quatre brisé un tabou.
Il fallait nous punir.
C'était logique.
— Je pensais qu'il devait y avoir un terrible secret dans ce temple, alors j'ai demandé un mandat de perquisition.
Mais bon, il est bien gardé.
Les Sonozaki sont tout de suite venus gueuler, comme quoi c'était un site protégé, que c'était impensable de perquisitionner dans un lieu de culte, que c'était une insulte pour tous les croyants...
Ahh, bon sang !
Alors je n'avais pas le choix, vous deviez absolument me dire ce que vous y aviez vu.
— Je vous jure, inspecteur, il n'y avait que des instruments de tortures rouillés.
Je n'ai rien remarqué de particulier dedans.
— Hmmm... ...
Alors Tomitake et Takano sont vraiment morts pour un simple tabou religieux ?
Que répondre à cela ? “Un simple tabou religieux”, il en a de bonnes...
— Vous savez, je ne veux rien vous cacher,
mais, vous êtes le dernier.
À part vous, ils ont tous disparus.
Vous êtes le dernier encore en vie.
Pourquoi êtes-vous encore sain et sauf et les autres non ?
C'est ce que j'aimerais savoir, qu'est-ce qui vous rend si différent d'eux ?
Il y avait un truc qui clochait dans ce qu'il me disait.
Vous êtes le…
vous êtes le…
le quoi ?
— Attendez une seconde, inspecteur.
Vous êtes le quoi ? Qu'est-ce que vous voulez dire au juste ?
— Éhhéhhéhhéhhéhhé !
Beeen, que voulez-vous que je vous dise ?
Vous êtes le dernier
à être encore en vie, quoi ?
Les trois autres qui se sont introduits avec vous ont tous disparu.
Je suis le dernier en vie ?
Mais non !
Il reste Shion, pourtant ?
— Ce soir-là, Tomitake et Takano ont été assassinés.
Le lendemain, Shion Sonozaki a disparu.
Vous êtes le seul encore sain et sauf jusqu'à aujourd'hui.
Pourquoi vous ?
C'est ce que j'aimerais savoir.
— Comment ça, Shion a disparu ?!
Mais vous déconnez ou quoi ?
Je lui avais crié dessus,
mais ce n'était pas important.
Tomitake était mort.
Takano était morte.
Et Shion avait disparu ?
Mais quand ?
Mais qu'est ce qu'il raconte comme conneries, ce mec ?
— Hein ? Mais je pensais que vous étiez au courant ?
— Mais non, c'est la première fois qu'on me le dit !
Où, quand ?
— Eh bien, ça remonte pas mal, laissez-moi compter les jours, le lendemain de la fête, oui, c'est bien ça.
Ça remonte pas mal ?
Mais c'est quoi son délire ?
— Shion Sonozaki est connue pour dormir chez des oncles quand ça lui chante. Les gens sont habitués à ne pas savoir où elle est.
Elle sèche les cours quand elle veut, de toutes manières.
Ses professeurs ne savent pas trop comment y remédier.
— Mais enfin, je m'en fous de ça !
Je vous demande quand est-ce qu'elle a disparu !!
— Eh bien, je vous l'ai dit, le lendemain de la fête.
Un frisson me parcourut tout le corps à rebrousse-poil.
Ma vision se déforma, et je commençai à perdre le sens de l'équilibre.
Impossible de me calmer.
Une seconde,
une seconde !
Elle avait déjà disparu le lendemain ?
Mais alors...
Qui est-ce qui m'a appelé au téléphone hier et avant-hier ?
Elle m'a appelé tous les soirs.
Elle m'a remonté le moral tous les soirs.
Nous nous étions jurés de nous battre, de ne pas nous faire tuer !
Elle était au téléphone avec moi ce soir-là…
oui, c'était elle au téléphone,
c'était elle au téléphone, normalement...
— Elle sèche les cours quand elle veut, et ses parents ont l'habitude, alors l'école ne les prévient même plus.
Nous avons mis du temps avant de nous rendre compte qu'elle avait disparu.
J'avais mal partout.
J'eu un coup de froid dans le dos... qui se répandit sur tout mon corps.
Et lorsque ma peau fut glacée, le froid pénétra à l'intérieur de mon corps...
— Mais au fait, vous vous souvenez ?
L'après-midi-là, je vous ai parlé dans la bibliothèque.
Elle était avec vous à ce moment-là.
Personne ne l'a plus revue depuis.
Impossible de savoir où elle est passée.
— C'est pas possible...
C'est pas vrai....
Lorsqu'Ôishi était arrivé, elle m'avait laissé en plan pour pouvoir s'enfuir. Elle avait dit qu'elle devait aller travailler.
Et le soir, elle m'avait appelé !
— Il paraît qu'elle travaillait au restaurant Angel Mort ?
Depuis cet après-midi-là, elle n'est pas venue travailler.
Ni depuis, d'ailleurs.
Le personnel a essayé de la joindre, mais sans succès.
— C'est pas possible...
C'est pas possible....
— Ce ne sont que des preuves indirectes, mais...
Elle a disparu entre le moment où elle est sortie de la bibliothèque
et le moment où elle aurait dû arriver à son travail.
Mais alors…
juste après m'avoir laissé avec lui ?
— Vous ne saviez vraiment pas, apparemment.
Ah, j'aurais dû vous en parler, alors, on aurait perdu moins de temps.
J'espère que vous comprenez ma situation, maintenant ?
Je n'ai plus que vous comme témoin, vous devez absolument m'aider.
Vous êtes le dernier en vie parmi ceux qui sont entrés dans ce temple.
C'est pas possible…
Oh non, c'est pas vrai....
— La prochaine victime, ce sera vous, M. Maebara, c'est sûr et certain.
J'espère que vous vous montrerez un peu plus coopératif.
C'est pas possible,
non, pas elle,
c'est pas vrai, non...
Elle ne peut pas avoir disparu !
C'est du grand n'importe quoi, cette histoire !
Shion m'a téléphoné avant-hier.
Elle m'a aussi téléphoné hier.
Et elle me rappellera ce soir.
C'est elle qui m'appelait.
C'est Shion qui m'appelait...
— Shion Sonozaki a disparu depuis un moment.
Vous êtes le dernier sur la liste.
Mais alors, c'est qui qui m'appelle au téléphone tous les soirs ?
C'est QUI qui m'appelle au téléphone tous les soirs ?
C'EST QUI QUI M'APPELLE TOUS LES SOIRS ?!
— C'est pas possible…
NNNnnnooooooooooooooooooooooooooonnn !
Je m'allongeai sur le canapé et laissai le temps passer.
J'avais la tête complètement vide et n'arrivais même plus à former des pensées cohérentes.
Mes parents m'avaient laissé un message pour me dire qu'ils rentreraient tard et que je devrais manger des nouilles chinoises.
Je pouvais me les préparer à tout moment, mais je n'avais même pas d'appétit. C'est pourquoi je restais là, à ne rien faire, la tête levée au plafond.
L'aiguille de la pendule indiquait déjà 22h passées.
Est-ce que Shion appellera, ce soir ?
Elle a pourtant déjà disparu.
Et malgré sa disparition, elle me téléphone tous les soirs.
Mais qui m'appelait vraiment ? Et d'où ?
Plus j'y pensais, et plus j'en tremblais de peur.
Je me suis même demandé si je ne devais pas tout simplement débrancher le téléphone.
Si ma raison ne m'avait pas retenu au dernier moment, je l'aurais fait.
Attends une seconde, Keiichi.
L'inspecteur t'avait dit pourtant que Shion avait l'habitude de disparaître.
Elle est peut-être chez de la famille, chez un oncle qui n'aurait pas encore prévenu ?
Nous sommes en danger de mort, donc il n'est pas curieux outre mesure qu'elle ait voulu se cacher.
C'est pour ça que l'inspecteur n'a pas pu trouver sa trace, pas parce qu'elle a été enlevée.
Mais oui, bien sûr !
Shion n'a pas disparu, en fait !
À cet instant, à l'insu de ma conscience, ma main droite se leva et me flanqua une gifle.
Ce n'était que bien peu de choses, mais cela suffit à m'empêcher de devenir fou.
— Il va falloir arrêter de prendre tes rêves pour la réalité, Keiichi.
Je savais que je ne voudrais pas accepter sa disparition.
Je savais que ce serait trop dur... trop éprouvant, trop effrayant.
Je n'aurais qu'à lui demander au téléphone si c'était vraiment elle.
Mais en aurais-je le courage ?
Et puis, ça paraissait ridicule...
— Il ne faut pas abandonner, Keiichi.
Tant qu'elle croit que je m'imagine que c'est Shion, j'ai un avantage.
Il fallait lui demander innocemment.
Amener la conversation.
Poser la question.
Faire comme si de rien n'était.
Je t'aurai, enflure...
C'était une perspective effroyable, oui.
Mais puisque j'étais le dernier survivant des quatre, il n'y avait plus que moi pour pouvoir le faire.
Mais alors... qui était en train de se faire passer pour elle ?
Même au téléphone, la voix doit être parfaitement ressemblante, ce n'est pas si évident.
Non, la voix était toujours celle de Shion.
En tout cas, elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.
... ... ... Bien sûr...
Il y a quelqu'un qui pourrait le faire.
Quelqu'un dont la voix lui ressemble parfaitement.
Mion.
Bien sûr, Mion.
Qui d'autre ?
Enfin, après tout ce temps -- vraiment bien après la bataille -- je sus ce qui avait cloché chez Mion ces jours-ci...
Elle avait su pour le temple, elle m'avait tout de suite posé la question.
Elle avait parlé de la malédiction qui pesait sur Satoko en faisant trembler l'échelle.
Elle avait encore fait des tas de choses...
Mais pourquoi... pourquoi elle ?
Je me souvins de ce que l'inspecteur m'avait dit sur sa famille.
Mion était plus au moins au centre de tout ce qu'il se passait par ici, elle finissait toujours par être au courant de tout...
Même de choses qui s'étaient passées après que Shion eut disparu !
Il faut que je sois courageux.
Que je sois très courageux.
Il faut absolument que j'aie le courage de répondre au téléphone, ce soir.
C'est trop facile de fuir...
Mais cela ne ferait que repousser l'inévitable. Ce qui lui donnerait plus de temps pour se préparer à me faire disparaître.
Je ne dois pas m'enfuir.
Je dois absolument lui faire face.
La prochaine victime, ce sera moi.
Je suis sûr que “Shion” va essayer de me faire tomber dans un piège.
Reste sur tes gardes, sur tes gardes !
La vache, j'ai peur, mais putain, j'ai peur...
Rah, je veux pas, non, faites qu'elle appelle pas...
... Comme par hasard,
le téléphone se mit à sonner.
Je savais une chose, c'est que je ne savais pas qui appelait, ni d'où.
Shion avait disparu.
Depuis belle lurette, elle avait disparu.
Depuis le lendemain de la fête, elle s'était volatilisée.
Et pourtant…
l'air de rien…
tous les jours, elle m'avait appelé.
Ce soir encore...
Je ne pense pas que ceux qui ont été enlevés soient encore en vie.
Mais alors, si c'était vraiment Shion qui appelait…
elle m'appelait depuis le royaume des morts ?
Non, bien sûr que non.
Quelqu'un de bien vivant se faisait passer pour elle et me téléphonait tous les soirs.
Shion est morte depuis longtemps... mais cette personne veut me faire croire qu'elle est encore en vie.
Le téléphone sonnait encore et toujours, obstinément.
S'il suffisait de ne pas y répondre, c'est ce que je ferais.
Mais je savais que ça ne me mènerait nulle part.
Alors, si je réponds, je fais quoi ?
Je lui pose la question tout de go ?
Ou bien alors je fais semblant de la croire et je tente de la coincer ?
— ... C'est ce qui me paraît le plus facile à faire, et le moins dangereux, surtout.
Lorsqu'elle se rendra compte que je sais que ce n'est pas Shion à l'autre bout du fil, je me demande ce qu'elle fera. J'en avais déjà peur.
Mais tant que je fais semblant de me faire berner, elle ne fera sûrement rien de dangereux.
Hmm, je vais faire le plus attention possible, ça me paraît être la meilleure solution...
Allez, décide-toi.
Décroche.
Parle-lui comme si de rien n'était.
Sauf qu'aujourd'hui, il ne faudra pas seulement lui parler.
Il faudra essayer d'en savoir plus sur elle.
Savoir qui c'était.
Ce qu'elle comptait faire.
Et pourquoi.
Pourquoi est-ce que tu fais tout ça ?
C'est vraiment toi qui as tué Tomitake ?
Qu'est-il arrivé au maire ?
À Rika ? À Satoko ?
Mon bras était juste au-dessus du téléphone, il tremblait comme une feuille.
Je voulais lui demander tellement de choses... trop de choses.
J'étais terrifié.
Bon allez, prends ce téléphone.
Allez, décroche.
Décroche !
— A... Allô ?
Espérons que ce soit pas elle...
— Ah, c'est toi, Kei ?
C'est moi.
C'est Shion.
Bon, ça, c'est réglé. Je pouvais laisser mes espoirs de côté...
Je n'arrivai pas à m'empêcher de trembler.
Allez, serre les fesses !
— Tu as mis du temps à décrocher, dis-voir, j'ai cru que tu n'étais pas là.
— Ah, désolé, je…
je sors du bain, là, en fait.
— ... Ah oui ? Et tes parents, ils répondent jamais ou quoi ?
Oh, ils ne sont pas là, alors ?
Eeeh meeeerde....
Elle sait que je suis tout seul à la maison, maintenant...
— Non, en fait, je suppose qu'ils ont autre chose à faire que de répondre en ce moment.
Mais dis-moi,
tu as entendu la dernière ?
À propos de Rika et de Satoko.
— Non.
Finalement, il s'est passé quoi ?
Vous ne les avez pas trouvées ?
— ... Non, effectivement.
On ne les a pas trouvées.
— Écoute, mon cœur, il faut pas perdre espoir...
... ... ...
Si l'inspecteur ne m'avait pas prévenu, je serais sûrement en train de la remercier avec les larmes aux yeux.
Sauf que désormais... je savais que c'était du vent.
L'autre personne au bout du fil imitait Shion à la perfection…
C'était déprimant,
effrayant même.
— ... Rika et Satoko
ont sûrement été enlevées.
— Oui.
Je crois que c'est clair.
C'était une affirmation terrible, ignoble et décisive à la fois.
Pendant un moment, j'étais tellement scié que je pus plus rien dire.
J'avais juste posé une question.
Et “Shion” avait répondu par une affirmation catégorique.
Cela en disait long...
— ... Tu crois que Rika et que Satoko... nan, rien.
Désolé.
Tu crois que le maire…
Qu'est-ce qu'il a pu lui arriver, tu penses ?
Tu crois qu'il est encore en vie ?
J'aurais voulu savoir pour les filles.
Mais en fait je préférais ne pas savoir.
Si elle me répond ce que je crois qu'elle va répondre sans ambages, je fais quoi ?
Je ne voulais pas le savoir, alors j'avais détourné la conversation.
Mais le nœud du problème était le même, est-ce qu'ils éta-
— Il est mort depuis un bail, je pense.
— Mais…
Oh vas-y…
tu peux pas dire ça comme ça, quoi...
— Je crois que ça doit être très dur d'enlever un être humain et de le garder en vie pendant longtemps.
S'il n'a pas l'intention de demander une rançon ou de s'en servir pour autre chose, le coupable ne va probablement pas s'embarrasser de prisonniers.
Je me sentis vaciller sur mes pieds.
Tout était noir autour de moi, tout commençait à tourner...
Je posai une main au mur pour m'empêcher de tomber.
Une envie de vomir me remonta dans la gorge.
Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?
Comment peut-elle dire ça…
si calmement ?
— Mais enfin, comment tu peux dire ça ?
On parle de vies humaines, là, oh ?!
— Je sais que c'est effroyable,
mais il faut bien se rendre à l'évidence, c'est probablement ça.
Mais alors, si le maire est mort, il y a de grandes chances pour que Rika et Satoko soient mortes !
Non, non... ce sont des gamines, un vieux je comprends, mais pas des gamines ?
On parle de Rika !
Et de Satoko !
Ils ne vont pas les tuer si facilement !
— Je pense qu'il vaut mieux se faire à l'idée que Rika et Satoko ont subi le même sort.
— Nooooooooooooooooooon !
Je ne voulais pas y croire !
Je savais que crier n'y changerait rien, je savais bien,
mais…
mais…
je ne pus pas m'empêcher de hurler dans le combiné.
— Noooooooooonnn... Nooohhonnnn...
Impossible de retenir mes larmes.
Ce que je craignais le plus était certainement arrivé.
Et c'était entièrement de ma faute.
C'est moi qui les ai tuées.
C'est moi qui suis responsable de leurs morts.
Parce que j'étais trop faible, parce que je leur ai parlé.
C'est à cause de ça qu'elles sont mortes.
C'est comme si je les avais tuées de mes propres mains.
J'aurais dû résister quand Rika m'avait regardé avec ses yeux innocents !
C'est ma faute…
C'est ma faute !
C'est ma faute !
Je n'arrivais plus à m'arrêter.
Je n'avais plus de voix, mais je pleurais.
J'ai pleuré et pleuré encore.
— Kei...
Faut te ressaisir.
... ... ... Rika et Satoko ont été assassinées.
On ne retrouvera même pas leurs corps.
Je ne pourrais même pas me recueillir devant leur dépouille pour demander pardon. À tout jamais.
C'était un châtiment d'une cruauté inimaginable.
Shion essayait de me réconforter au téléphone, mais je ne l'entendais pas vraiment.
— Mais enfin, bon sang !
Le prochain, c'est toi ou moi !
Alors s'il te plaît, ressaisis-toi, bordel !
Je t'en supplie !
Allez, quoi !
Shion aussi se mit à crier, d'une voix très émue. Je lui sentais les larmes aux yeux.
Mais de plus en plus, j'éprouvais de la haine pour cette voix...
C'est elle, c'est “Shion” qui...
C'est celle qui se faisait passer pour “Shion”, au bout du fil, qui les a tuées.
Pourquoi ?
POURQUOI !
— Pourquoi ?!
Pourquoi les enlever, pourquoi les tuer ?
J'y connais rien à cette malédiction, mais putain, on parle de vies humaines, merde !
On tue pas quelqu'un pour une broutille !
— Oui,
je suis bien d'accord.
Le coupable est un vrai monstre.
Je faillis exploser le combiné par la seule pression de ma main.
Mais c'est pas vrai... Elle compte faire comme si c'était pas elle ou quoi ?
J'avais la rage au ventre, et ma hargne menaçait d'exploser à tout moment.
— Eh, Shion.
Dis-moi.
Pourquoi est-ce que dans ce village, il faut tuer des gens le soir de la purification du coton ?
— J'en sais rien, j'aimerais bien le savoir aussi.
— Le projet de barrage est mort et enterré, non ?
La déesse a pas eu assez de sacrifices ou quoi ?
Alors pourquoi ? Pourquoi, hein ? POURQUOI ?
Donne-moi une seule raison !
Je ne comprenais plus rien à rien, j'étais déchaîné.
Le torrent de mes émotions m'emportait.
Ce n'était pas une simple question, j'étais passé à un interrogatoire.
Et au bout du fil, “Shion” n'avait rien remarqué.
C'était tellement grotesque et ridicule que je partis d'un grand éclat de rire.
— Écoute, je sais ce que tu ressens.
La guerre du barrage est finie depuis des années.
Et pourtant chaque année, ça continue.
Pourquoi ?
Dans quel but ?
Pourquoi des innocents doivent-ils y passer ?
Où est l'intérêt ?
— C'est moi qui te poses la question !
— Mais moi aussi j'ai envie de le savoir, ducon !
Pendant un moment, il n'y eut que le bruit de nos respirations dans le combiné.
Nous étions tous les deux hors d'haleine.
— Écoute-moi bien,
la malédiction, ça n'a jamais existé, ce sont des conneries tout ça.
Je suis d'accord avec toi, chaque année, quelqu'un utilise cette malédiction comme excuse pour tuer des gens.
C'est très malin de sa part.
Il a toujours réussi à suivre le modèle-type de la malédiction telle qu'elle est connue dans les histoires de grands-mères, et à éliminer à chaque fois des ennemis du village !
Et cette année, il a tué Mme Takano et Tomitake !
— Ben alors quoi, il a eu deux victimes, ça pouvait pas lui suffire, non ?
Pourquoi le maire ? Pourquoi les deux gamines ?
Je m'en fous, moi, du passé !
Je veux juste savoir pourquoi il avait besoin de tuer Rika et Satoko ! Le reste, je m'en tape !
Alors pourquoi ?
Je lui en avais même pas parlé, à Satoko !
Alors pourquoi même elle…
POURQUOI ?
Il y eut un grand silence.
Shion ne répondit pas tout de suite.
— Vas-y, Kei…
Arrête…
Tu peux pas me faire ça, quoi...
sniff
Elle…
Elle pleure ?
— ... J'en sais pas plus que toi.
Tout a changé depuis le moment où nous sommes entrés dans le temple...
— ... ... ...
Je ressentais la même chose.
À force de l'entendre pleurnicher, je finis par commencer à me calmer...
— Le soir-là, quand j'ai su pour Mme Takano, j'en ai pas cru mes oreilles.
Mais j'ai compris très vite que…
que la prochaine fois,
ce serait mon tour !
Nous étions quatre à nous être introduits là-dedans.
Il n'y avait aucune chance pour que toi ou moi soyons pardonnés et pas eux.
Tu n'imagines pas comme j'ai eu peur quand je m'en suis rendu compte...
... Elle ne mentait pas.
C'était même un peu ce que moi j'avais ressenti, et ça me faisait du bien de l'entendre dire.
— C'est pour ça que…
que j'ai tout avoué à M. Kimiyoshi...
Je lui ai dit que nous étions entrés dans le temple interdit, mais que c'était pas sérieux, c'était juste pour faire des bêtises.
Je savais bien qu'on avait pas le droit,
mais... on pensait pas à mal…
c'était pour se faire peur plus qu'autre chose...
Ils se sont fait tuer tout de suite après…
de manière horrible.
Depuis ce jour-là... j'ai peur d'être la prochaine...
M. Kimiyoshi était le seul qui pouvait me protéger.
C'est pour ça que je suis allée le voir…
pour lui demander de l'aide...
Il a... Il ne s'est pas mis en colère...
Il m'a fait un petit sourire, et il m'a dit que si je le regrettais vraiment, eh bien la déesse m'épargnerait.
Il m'a vraiment... vraiment dit ça en souriant…
Et puis il m'a dit que... qu'il s'en chargeait, qu'il ne m'arriverait rien...
sniff…
Shion était en train de pleurer au souvenir de ce vieil homme qu'elle aimait tant.
C'était une voix poignante, sublime, très touchante.
... Est-ce que j'aurais pas fait une grosse connerie, là ?
Je me suis laissé emporté par mes émotions, encore une fois. Shion est dans le même bateau. C'est la seule personne qui soit de mon côté…
BADOUM.
Mon cœur se mit à battre plus fort.
Au plus profond de moi,
une voix s'éleva.
Souviens-toi, Keiichi...
Le maire a appris la mort de Mme Takano dans la nuit et a promis d'aller à la réunion du conseil municipal le soir-là.
Puis il est parti aux aurores pour aller à l'hôpital.
Sans en parler à personne.
Il est revenu pile à l'heure pour la réunion.
Il est allé directement de chez lui à la salle du conseil, il n'a pas eu le temps d'aller ailleurs.
L'inspecteur te l'a dit.
— ... Quand ?
Quand est-ce que tu lui as parlé ?
— *sniff*
Hein ?
— Excuse-moi de te demander ça, Shion.
Je sais que c'est pas facile pour toi, mais…
Shion... tu lui as tout avoué, non ?
Tu as tout dit au maire ?
— Ben, oui ?
... snfffff.
— Tu lui as dit quand ?
— ... Comment ça ?
Shion semblait avoir peur de ma question.
Pourtant, je ne lui avais pas dit que son récit n'était pas logique.
Je voulais qu'elle me prouve que ce qu'elle disait était vrai.
— Tu savais qu'il allait à l'hôpital pour se faire soigner des hémorroïdes ?
— ... Mais…
Kei...
Je vois pas le rapport ?
— Réponds-moi, s'il te plaît.
Si tu ne le savais pas, je ne vais pas te manger, tu n'as qu'à me dire que tu ne le savais pas.
Un long silence s'ensuivit.
Puis enfin vint une réponse, assez laborieuse.
— Eh bien... je savais…
pour les hémorroïdes… enfin, je m'en doutais.
Il avait toujours l'air d'avoir mal quand il devait s'asseoir...
— Il allait à l'hôpital à cause de ça.
Tu sais dans lequel, je suppose ?
— ... …
Non, désolée, mon cœur.
Je sais pas dans quel établissement il se faisait soigner.
Mais Kei…
je vois pas où est le rapport ?
Shion ne savait donc pas où le maire était allé.
Donc elle n'a pas pu aller là-bas pour lui en parler.
Et donc évidemment, elle ne l'a pas vu dans le train, puisqu'elle ne savait pas dans quel train il serait. Ou alors, à moins vraiment d'un coup de bol monstrueux, mais les chances étaient infinitésimales…
Elle n'a donc pu lui parler que lorsque il a été de retour à Hinamizawa.
Mais comme son train avait du retard, il a dû repartir immédiatement pour la réunion.
Il était arrivé pile à l'heure, presque en retard.
Il n'avait certainement pas eu le temps d'écouter Shion en chemin.
— Je veux te poser la question directement.
Shion, quand est-ce que tu lui as dit ?
Où, quand ?
Je te demande pas à la seconde près, mais au moins que je sache quand est-ce que tu l'as vu.
— ... ... ... Kei, pourquoi toutes ces hhHH questions ?
sniff…
Ses pleurs commençaient à m'énerver.
À l'entendre, je la persécutais...
Mais... il fallait lui dire.
Si je disais une bêtise, je préférais me faire tirer les oreilles par elle que par un ou une autre.
Qu'elle me prouve qu'elle était bien la vraie Shion...
— Ce n'est pas possible, Shion.
Le jour où le maire a disparu…
depuis le lever du jour jusqu'à l'heure présumée de sa disparition,
il n'a pas pu te rencontrer.
— ... Hein ?
Mais…
Mais...
— Le maire est parti aux aurores, dans le plus grand secret, pour une consultation dans une clinique très célèbre.
Tu viens de me dire que tu ne savais pas dans quel hôpital il allait.
Donc forcément, tu l'as attendu. Tu n'as pas pu le voir tant qu'il n'était pas rentré au village.
J'ai pas raison ?
— ... ... ... HhhHH.
— Sur le chemin du retour, alors qu'il était dans le train, il y a eu un suicide sur la voie, alors il est arrivé très tard chez lui. Il est tout de suite reparti pour la réunion du conseil municipal.
Donc tu n'as pas pu le rencontrer jusqu'à la réunion.
Shion pleurnichait toujours, mais beaucoup moins fort.
Je n'aime pas quand une fille pleure comme ça...
J'en avais franchement mal au cœur...
— Alors, quoi ? Tu as aussi participé à la réunion du conseil municipal ?
C'est là que tu lui en as parlé ?
Parce que si tu ne lui en a pas parlé pendant la réunion…
alors c'est pas possible.
Le maire a disparu juste après la réunion, alors qu'il rentrait chez lui pour manger.
Tu es allée à la réunion, alors ?
Oui ou non ?
C'était une question facile, et pourtant, elle ne répondit pas.
— Eh bien... oui,
en fait, ce jour-là, je suis allée à la réu-
— Ce jour-là, tu n'es même pas allée au travail, Shion.
C'est bien simple :
depuis que tu es partie de la bibliothèque, personne ne t'a vue.
— ... Kei,
écoute, je...
— Shion Sonozaki a...
a disparu le lendemain de la fête.
À l'autre bout du fil, ce fut le silence absolu.
Comme si la ligne avait été coupée, sauf qu'il n'y avait pas de tonalité...
— L'inspecteur Ôishi m'a dit que tu avais déjà disparu.
Et pourtant, tous les soirs, tu me téléphones pour me donner de tes nouvelles.
— HhhHH…
hH.
HhH
HhhHH...
Ses hoquets et ses pleurs devenaient de plus en plus rapprochés.
Mais je disais vrai, normalement. Je n'avais rien à me reprocher !
— Je t'en supplie, Shion.
Si je me trompe, je veux absolument que tu me le dises.
Dis-moi que je viens de raconter des conneries, je t'en supplie...
— HhhHH
Hggh
GghHHuh...
— Shion, tu n'as pas rencontré le maire.
Ou bien alors si vraiment tu l'as rencontré...
Si vraiment elle l'a rencontré ce jour-là...
— Tu n'as pu le voir qu'après la réunion.
Ce qui veut dire...
juste avant qu'il ne disparaisse, ou alors... après qu'il a disparu !
— Ggkhh, hhhh
...
Hu...
Hee
hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee hee
Tuuuut,
tuuuut,
tuuuut...
Pétrifié, stupéfait, abasourdi, je mis longtemps avant de réaliser qu'il n'y avait plus personne à l'autre bout du fil...