Soudain, ma vision s'élargit et une brise fraîche vint caresser mon corps.

J'étais arrivé au promontoire qui surplombait le village.

Depuis cet endroit, je pouvais voir des lumières s'allumer un peu partout, l'une après l'autre. Malgré l'heure tardive, le village se réveillait.

Après Takano, après le maire, c'était maintenant les nouvelles de Rika et de Satoko qui faisaient le tour du village.

Mes genoux lâchèrent.

L'heure était grave.

J'avais pendant un instant espéré les retrouver toutes les deux très rapidement,

quitte à me faire charrier par la suite par Rena et Mion.

Mais cet espoir s'envolait petit à petit, inexorablement.

Les lumières du village étaient sans équivoque.

Je frappai du poing devant moi, sur le sol, et restait à quatre pattes, tête baissée.

La tristesse et l'amertume m'assaillaient par vagues successives.

Keiichi

— ... Eh merde... merde !

C'est ma faute... c'est sûrement ma faute !

C'est parce que je n'ai pas supporté la pression... parce que j'en ai parlé à Rika !

Et maintenant, c'était elle la victime, et même Satoko !

C'était notre croix, à Shion et à moi. C'était notre calvaire, et nous devrions le porter jusqu'à la fin...

Quoique... le problème remonte plus loin, en fait.

Le péché qui a tout déclenché, c'est le fait que nous ayons pénétré par effraction dans le temple des reliques sacrées...

Nous savions pertinemment que nous n'avions rien à faire à l'intérieur !

Et pourtant, la curiosité avait été la plus forte...

Je me déteste... je me déteste !

J'entendis un bruit de pas sur le gravier, derrière moi,

mais peu m'importait de savoir qui c'était.

Rena

— Keiichi ?

... Keiichi !

Tout va bien ?

Heureusement, c'était Rena.

Elle s'approcha et s'accroupit pour me caresser le dos.

Je suppose que dans ma position, je donnais l'impression d'être malade...

Keiichi

— C'est…

Tout est de ma faute.

C'est de ma faute, tout ça...

De ma faute...

Rena

— Mais non voyons,

tu n'as rien fait.

Il ne faut pas t'en vouloir...

Je sentais bien qu'elle choisissait ses mots pour ne pas me vexer et pour me remonter le moral.

Mais en même temps, c'était justement cet aspect-là qui me faisait réagir.

À la manière dont elle le disait,

elle laissait sous-entendre qu'elle savait que je devais être au courant de quelque chose à propos de leur disparition.

Tout à l'heure, Rena n'avait pas cherché à savoir “pourquoi” j'avais tenu à aller vérifier si Rika et Satoko allaient bien.

Mais maintenant que ma peur était devenue réalité, il était évident que je devais en savoir plus que je ne voulais bien vouloir le dire.

Que faire…

Non, vu ce qu'il s'est passé, je ne peux décemment pas lui dire...

Si elle devait venir à disparaître, je ne pourrais jamais me le pardonner.

Rena

— Keiichi,

ne reste pas dans le courant d'air, tu vas attraper froid.

Keiichi

— ... ... ...

Rena s'assit par terre.

Rena

— Ils ont dit que les enfants devraient aller se coucher.

Elle me montra son poignet :

il était plus d'une heure du matin.

Le temps passe trop vite.

Combien de temps suis-je donc resté affalé ici ?

Rena

— Si tu ne dors pas maintenant, ce sera dur d'aller à l'école demain.

Les adultes aussi sont exténués, ils ont cherché le maire hier jusque 3h du matin, ils n'en peuvent plus.

Rena

Ils vont bientôt arrêter les recherches.

J'étais furieux d'entendre ça. Comment osaient-ils chercher moins longtemps que pour le maire ? Mais d'un autre côté, tout était de ma faute, j'étais mal placé pour parler.

Rena

— Ne t'en fais pas.

La police est arrivée il y a quelques minutes.

Ils ont appelé des renforts, les voitures arrivent.

Je regardai en contrebas. Quelques rais de lumière perçaient l'obscurité de la montagne -- les phares des policiers, probablement. Ce n'était pas naturel à cette heure de la nuit…

Par contre, je ne voyais pas la lumière de leurs gyrophares.

Ils n'avaient pas allumé les sirènes non plus.

Ah, mais bien sûr...

Tous les événements qui avaient de près ou de loin un rapport avec la malédiction devaient être passés sous silence...

Le sort de Rika et de Satoko sera le même que celui de toutes les autres enquêtes.

On ne saura rien.

L'affaire sera étouffée.

Il n'y aura

aucune trace.

Le visage de poupée de Rika s'estompait dans ma mémoire.

Pareillement, le joli sourire de Satoko, avec ses deux quenottes, s'estompait lui aussi.

Plus j'essayais de m'en souvenir, et plus ma vision se troublait.

Le proverbe dit que répéter sept fois la même chose à un idiot n'est pas suffisant, mais c'était vrai. Ma cervelle était une vraie passoire. Les larmes me montèrent aux yeux.

Rena

— Keiichi, je ne sais pas pourquoi tu t'en veux, mais arrête, d'accord ?

Je ne pouvais rien dire.

Si je lui répondais, de fil en aiguille elle apprendrait tout.

Je n'avais pas envie de la mêler à ça.

Je ne voulais pas la voir disparaître à son tour...

Keiichi

— Écoute, Rena…

Laisse-moi, j'ai besoin d'être seul, s'te plaît.

De toute façon, je n'arriverai probablement pas à dormir.

Autant servir à quelque chose et chercher Rika jusqu'à ce que je ne puisse plus tenir debout...

Tout le village était sur le coup, mais nous ne les avions toujours pas trouvées.

Une personne de plus dans les recherches ne ferait sûrement pas des masses de différence.

Mais je ne pouvais pas rester ici sans rien faire. Je devais absolument participer aux recherches.

Keiichi

— C'est ma faute si elles ont disparu.

Je ne peux pas aller me coucher avant les autres, c'est pas possible.

Rena resta silencieuse. Je la vis réfléchir.

Non, me dites pas que... qu'elle m'a entendu ?

Rena

— Tu dis que c'est de ta faute, mais pourquoi ?

Tu as une raison en particulier ?

Je sentais bien qu'elle voulait me rassurer, me dire que ce n'était pas possible, que je n'avais rien à me reprocher, sauf que Rena ne savait pas ce qu'il s'était passé.

Si elle savait ce que nous avions fait le soir de la cérémonie, elle serait en train de me crier dessus et de m'insulter...

Mais je ne pouvais même pas la laisser m'insulter.

Cela revenait à avouer ma faute.

Cela revenait à lui parler de ce que j'avais fait... et à l'impliquer... et lui faire courir le risque de disparaître demain ou après-demain...

Je ne voulais pas m'imaginer Hinamizawa sans Rena.

Elle était si gentille,

si dévouée,

si marrante,

avec ces cris bizarres et ses goûts farfelus...

Non, je ne voulais pas m'imaginer le quotidien sans elle.

Je ne pouvais pas la laisser disparaître !

Cette fois-ci, je porterai ma croix tout seul,

vraiment tout seul.

Rena

— ... Keiichi, je sais que tu penses en premier à tes amis.

Je sais que tu t'en veux.

Mais tu sais, je pense que ce n'est pas de ta faute.

Rena

Je sais que ce n'est pas de ta faute.

Keiichi

— Comment ça, tu sais ?

Toutes les alarmes se déclenchèrent en moi.

Mais comment elle peut savoir ? Je lui ai rien dit !

Ou bien alors... aurait-elle pu deviner ? Déduire ce que j'avais fait d'après ce que j'avais dit les autres jours ?

C'est pas bon, ça, pas bon du tout !

Elle va disparaître, elle se faire enlever, elle va mourir !

Rena me choppa la tête et m'ébouriffa gentiment les cheveux, comme je faisais d'habitude avec elle.

Rena

— ... Laisse-moi deviner,

tu as peur que je disparaisse à mon tour, c'est ça ?

À cause de la malédiction de la déesse Yashiro ?

Elle continua de me caresser la tête.

Rena

— T'en fais pas, va, je ne risque pas de me faire enlever.

Aucune chance.

Je te le promets.

Keiichi

— Mais... mais comment tu peux en être aussi sûre ?

Il y a de nouvelles victimes tous les soirs !

Tu n'as aucune garantie qu'il n'y aura pas d'autre victime demain !

Cette victime, ce sera peut-être toi !

Je me fous de savoir qui est derrière tout ça.

Mais s'il a l'intention de me supprimer, qu'il le fasse maintenant !

C'est trop cruel de voir partir d'autres innocents avant soi !

Eh mais... Shion avait dit la même chose au téléphone hier soir...

Ils ne vont pas nous tuer si facilement…

Ils vont d'abord tuer tous nos amis, l'un après l'autre…

et après nous avoir fait mal, après nous avoir fait peur, après nous avoir tout pris, ils nous tueront nous !

Keiichi

— Je... écoute, Rena...

Je t'en supplie, ne te fais pas avoir...

Ne te fais pas enlever avant moi...

Je n'arrivais plus à contrôler mes émotions.

Rena

— Roh, allons, Keiichi. Il faut pas pleurer, tu as l'air bête quand tu pleures.

Rena

Allez, allons voir les autres.

Rena

Le club des femmes au foyer a fait de la soupe, ça va te faire du bien, tu verras.

Rena

Avec ça, tu devrais te calmer.

Elle me passa un bras sous l'épaule pour m'aider à me lever.

Je n'eus pas la force de m'y opposer.

Dans la cour, des réchauds faisaient bouillir l'eau pour la soupe.

De nombreux villageois regardaient ou sirotaient leur bol de soupe en silence, les yeux hagards, assommés.

Leurs mines étaient exténuées.

Ils avaient sûrement couru dans tout le village jusqu'à maintenant.

Mais d'après leurs regards éteints, je compris instantanément qu'ils n'avaient rien trouvé...

Mion

— Ben alors, p'tit gars, t'étais où ?

J'ai eu peur que tu y sois passé toi aussi, tu sais !

Keiichi

— ... Pardon.

Mion me tendit un bol, mais je n'avais vraiment pas d'appétit. Je le refusai.

Rena

— Mii…

Alors ?

Vous avez quelque chose ?

Le visage blême, Mion prit une gorgée de soupe avant de répondre.

Mion

— ... Non, rien du tout.

Elles sont rentrées ensemble de l'école.

Puis elles sont parties toutes les deux en vélos, mais personne ne sait où.

Personne ne les a vues rouler à vélo...

Quand la nuit tombe à Hinamizawa, les gens rentrent tout de suite chez eux.

Les gens qui rentrent de la ville se dépêchent, ils rentrent en voiture ou en mobylette, mais généralement il n'y a personne dans les rues.

Rien d'étonnant à ce que personne ne les ait vues.

Mion

— C'est la même chose qu'hier pour le maire...

J'abandonne.

J'eus une pointe soudaine de colère à l'entendre parler comme ça, mais je me calmai aussi sec.

Mion avait fait tout son possible jusque maintenant pour essayer de retrouver Rika.

D'ailleurs, elle avait aussi aidé dans les recherches toute la nuit hier soir, pour le maire.

Elle devait être bien plus fatiguée que moi.

Et moi, qu'est-ce que j'ai fait ?

Je suis resté dans mon coin à m'apitoyer sur mon sort.

Je n'avais aucun droit de lui faire des reproches.

Mion

— P'tit gars, je sais que c'est pas ton genre, mais pour ce soir, il va falloir arrêter.

Nous venons de prendre la décision, il y a quelques instants.

Ils finissent leur soupe et ils rentrent se coucher.

Keiichi

— Alors... C'est tout ?

Mion

— Euh, non, c'est pas terminé, hein.

Quand le soleil sera levé, la police va nous ramener des renforts et nous pourrons passer le coin au peigne fin.

Et puis, elles sont peut-être allées à Okinomiya.

Mion

Ils iront vérifier dans tout le district s'ils ne trouvent rien en rapport avec les filles ou le maire.

Keiichi

— ... ... ...

Mion

— Mais dis-moi plutôt ce qui c'est passé !

Où tu étais passé ?

Je t'ai pas vu partir, j'ai eu peur, tu sais ?

Je fus soudain mis sous les projecteurs, mais je n'avais plus la force de me défendre.

Keiichi

— ... Pardon. Je ferai plus attention.

Mion

— Tu n'as rien remarqué ?

Quelqu'un de bizarre, ou un inconnu, ou quelqu'un qui t'observe ? Non, personne ?

Mion était très sérieuse en me disant cela.

Je n'avais vraiment pas été très prudent sur le coup-là.

Pour moi, cette épreuve était déjà un arrache-cœur.

J'avais encore plus mal d'en prendre pour mon grade, mais après tout, c'était ma faute.

C'était à moi de l'expier, de porter ma croix, et à moi tout seul.

Keiichi

— Non, je n'ai rien remarqué.

Mais je ferai attention. Promis.

Désolé.

Apparemment heureuse de l'apprendre, Mion poussa un long soupir et se montra nettement plus rassurée.

Ôishi

— Ohohohooo ?

Mais c'est que ça sent rudement bon par ici !

Je peux en avoir un peu ?

Une voix grasse et obscène se fit entendre.

L'inspecteur Ôishi s'approchait, débonnaire, avec quelques subordonnés derrière lui.

Il avait l'air tout content, ce qui faisait franchement tache parmi les autres.

Mion

— Oh, il ne nous en reste pas beaucoup.

Mais si vous voulez le fond, je vous en prie, servez-vous.

Mion ne s'entend pas avec lui, c'est vrai...

Mais son attitude n'avait pas l'air de le déranger le moins du monde.

Le train de ses injures roulait sur le rail de son indifférence.

Ôishi

— Hmmm, c'est pas de chance.

Le fond de la soupe est toujours très salé, hein ?

C'est pas bon pour ma santé,

mais vous les jeunes, vous en voulez ?

Ses hommes refusèrent en rigolant.

Rena

— Dites-nous, la police a trouvé quelque chose ?

À défaut de soupe bien chaude, Ôishi avait droit à un grand sourire de la part de Rena.

Ôishi

— Ne vous en faites pas, mademoiselle.

Tout va comme sur des roulettes.

Nous poursuivons les recherches, vraiment hein.

Éhhéhhéhhéhhé !

Il ne disait rien à propos de nouveaux indices.

Donc, aucun progrès, l'enquête était au point mort.

Je n'aimais pas ses manières de tourner autour du pot.

Ôishi

— Mais dites-moi,

il est très tard.

Vous devriez aller vous coucher, les enfants.

Vous allez tomber malades.

Mion

— ... Oui.

Allez vous deux, vous devez vous reposer.

Il faut bien que nos impôts servent à quelque chose, laissez-les bosser.

Ôishi

— Oh, mais nous aussi, nous payons des impôts, vous savez.

C'est un peu comme si on se faisait servir nos propres nouilles, par moments... Éhhéhhéhhéhhé !

Personne ne releva son mauvais goût.

Le seul à rire comme un idiot était Ôishi lui-même.

Rena

— Eh bien alors, nous comptons sur vous, inspecteur.

Allez, Keiichi, on rentre ?

Demain sera déjà suffisamment difficile.

Ôishi

— Je suis bien d'accord.

Ah, mais si vous voulez, nous pouvons vous raccompagner, vous savez ?

Nounours, ramène la voiture.

Keiichi

— Ah... ne vous en faites pas pour nous, voyons.

Nous sommes à vélo, en plus...

Ôishi

— Ah, mais ce n'est rien.

Nous avons ramené un break.

Il y a de la place pour vos vélos.

Bah, je suis fatigué, mais je réussirai bien à rentrer à la maison, je suis à vélo, ça ira vite...

Et puis, j'ai pas trop envie de rester avec la police.

Sauf que Rena avait déjà accepté leur proposition.

Rena

— Si c'est dit si gentiment, alors je veux bien vous prendre au mot.

Et puis c'est plus sûr que si nous devions rentrer seuls.

Oui, du point de vue de la sécurité, Rena avait entièrement raison.

Ôishi

— Eh bien alors, c'est parti mon kiki !

Mion

— Bon, alors,

Bonne nuit.

Rena... Keiichi...

Rena

— Merci.

Toi aussi, va te coucher.

Bonne nuit.

Je lui fis simplement signe de la main avant de m'en aller.

Nous n'avions pas encore retrouvé Rika ni Satoko.

Mais l'angoisse était chassée de plus en plus par le sommeil.

Rena montra nos vélos, et l'inspecteur les mit dans le break en deux temps, trois mouvements.

Il nous fit nous asseoir sur la banquette arrière.

Le démarrage fut laborieux, mais les sièges arrières, d'habitude si durs dans ces véhicules, étaient largement assez confortable pour m'inviter dans les bras de Morphée.

Ôishi

— Bon, eh bien, ladies first ?

On va commencer avec la maison de la miss.

Où habitez-vous, mademoiselle ?

Rena

— Oh, merci.

Alors, pour aller chez moi, le plus simple... hmmm...

La voix de Rena se fit de plus en plus distante.

Je sombrai réellement dans les méandres du sommeil...

Ôishi

— Allloooooo ???

M. Maebara, vous m'entendez ? Réveillez-vous, vous dormez ?

Hmm ? ...

...

L'endroit était désert.

La voiture de police, arrêtée.

Ôishi me mettait de petites claques pour me réveiller.

Vous pouvez me croire sur parole, la méthode était efficace.

Keiichi

— Ah, désolé, j'ai dû m'assoupir...

Il me pressa quelque chose de frais sur le nez.

Un truc en fer ?

Oh, une canette de café...

Ôishi

— Elle est tiède.

C'est du café au lait sucré, c'est pas mal, même à cette température.

Keiichi

— Ah... Merci.

Je pris la canette et l'ouvris automatiquement.

Petit à petit, le café me réveilla.

Plus je me réveillais, plus je me rendais compte de ma situation. Mais pourquoi la voiture est-elle arrêtée ? Pourquoi un café ?

Ôishi n'était plus au volant, mais à côté de moi, sur la banquette arrière.

Mais, c'est louche, non ?

Il m'a interrogé l'autre jour dans la bibliothèque.

Il était trop tard maintenant.

Il m'avait à sa merci.

L'inspecteur ne me relâchera pas jusqu'à ce qu'il ait obtenu les réponses qu'il voulait.

Ôishi

— Éhhéhhéhhé... Allons, ne faites pas cette tête.

Je ne vais pas vous manger, voyons.

M. Maebara.

Ôishi but son café, puis s'étira lentement. Il était très calme et très cool.

Par contre, la pression montait pour moi.

Keiichi

— ... Vous... qu'est-ce que vous voulez de moi, aujourd'hui ?

Ôishi

— Qui, moi ?

Rien du tout, pourquoi ?

Il avait un culot monstre de faire l'innocent.

Il était vraiment plein de ressources, cet homme.

Ôishi

— Personnellement, je n'ai rien à vous dire.

Mais je me disais que peut-être vous, vous voudriez me dire quelque chose.

Keiichi

— Euh… Non,

pas que je sache.

Ôishi

— Ah oui ?

Vraiment ?

C'est vrai ce mensonge ?

Éhhéhhéhhéhhé...

Le break ne s'ouvrait que d'un côté.

Celui où Ôishi était assis.

... Je n'avais aucune chance de pouvoir m'enfuir.

Il ne me reste plus qu'à me taire jusqu'à ce qu'il en ait marre.

Mais Ôishi n'avait pas l'air de s'en faire. Il prit une cigarette.

Les cris des insectes dans la nuit me firent trouver le temps très long.

Ôishi

— ... J'étais pourtant persuadé que vous auriez quelque chose à me dire...

Il souffla, propulsant de la fumée devant lui.

Même en ouvrant la fenêtre, les volutes bleutées restaient dans l'habitacle.

Je me demande jusqu'où l'inspecteur est au courant.

Que sait-il, que veut-il savoir de moi ?

Si je lui parle... va-t-il disparaître, lui aussi ?

En même temps... j'ai l'impression que lui est hors de danger.

Ôishi

— Je me demande pourquoi tout ça est arrivé, en fait.

L'inspecteur finit par parler tout seul, me faisant à moitié la conversation.

Pourquoi tout ça est arrivé ?

Comment veut-il que je le sache ?

C'est bien l'un des rares trucs que j'aimerais savoir aussi !

Ôishi

— Vous connaissiez Jirô Tomitake et Miyo Takano, n'est-ce pas ?

Je vous ai moi-même vus ensemble tous les quatre, avec Shion Sonozaki.

Keiichi

— ... ... ...

Ôishi

— Vous savez ce qu'ils font en ce moment ?

Keiichi

— ... ... ...

Ôishi

— Pour vous dire la vérité... Ils sont morts.

Et ça n'était vraiment pas joli à voir.

Je parie qu'il avait voulu me choquer avec cette information.

Pas de chance, j'étais déjà au courant. Je ne montrai aucune réaction.

Ôishi

— Tiens donc ?

Ne me dites pas que vous étiez au courant ?

Pour cette question, garder le silence voulait dire oui, alors je restai muet.

Ôishi

— Alors, peut-être que vous savez aussi pourquoi ?

Pourquoi la déesse de Hinamizawa les a maudits .

Il paraît qu'ils sont entrés dans un bâtiment dans lequel ils n'auraient jamais dû aller.

Le temple des reliques sacrées.

L'endroit interdit qui scellait le passé sanglant de Hinamizawa.

L'endroit où tout avait basculé...

Ôishi

— Et vous savez donc aussi qu'à cause de cela, la prêtresse et le maire aussi vont être maudits ?

Il veut dire, par ma faute et celle de Shion ?

Mais bon, il avait raison...

Si nous ne leur avions rien dit...

Ôishi

— Il s'appelait comment encore ce bâtiment ? Je sais plus.

Ôishi

Bref, il semble que les gens leur en veuillent d'avoir été trop pingres sur la serrure, ils disent que c'est à cause de ça que des voleurs ont pu souiller le lieu sacré.

... ... ... Quoi ?

Mais... quoi ?

Ôishi

— Jusque l'année d'avant, le... aaah voilà, le temple des reliques sacrées avait été fermé par un mécanisme énorme avec une barre de force au milieu pour maintenir les nombreuses serrures en place.

Ôishi

Sauf que quand le prêtre est mort, c'est sa fille qui a dû s'occuper du temple, toute seule puisque sa mère est morte aussi, et elle n'avait carrément pas la force physique pour tout actionner.

Ôishi

Il paraît qu'elle a demandé au maire si elle ne pouvait pas mettre plutôt un petit cadenas à la place.

Je n'avais jamais entendu parler de cette histoire de barre de force... mais c'est vrai que le cadenas de la porte avait été très simple à forcer.

Il n'était pas assez solide pour protéger un lieu si important, c'est vrai.

Ôishi

— Mais bon, Rika est une petite fille, encore.

La barre rouillée, elle pouvait sûrement la bouger, mais il lui aurait fallu un bail pour ouvrir les portes.

Ôishi

Alors le maire a engagé des artisans et ils ont fait une serrure en forme de cadenas.

Keiichi

— Mais... Je vois pas le rapport avec “pingres”.

Ôishi

— Eh bien en fait, la serrure avant, c'était un truc énorme, et personne n'avait pu pénétrer par effraction dans le temple.

Ôishi

Mais l'année où Rika et le maire se concertent pour changer la serrure et rendre l'accès plus facile, pan, des voleurs réussissent à y pénétrer.

Ôishi

Enfin, c'est ce qu'on dit.

Keiichi

— Mais pourtant...

Ôishi

— Et donc à cause de ça, certains pensent que des gens ont voulu punir à la fois les voleurs, mais aussi ceux qui avaient donné l'idée aux voleurs de tenter leur chance.

Ôishi

Enfin bon, c'est juste ce qu'il se raconte, hein.

M.Maebara,

qu'en pensez vous ?

Keiichi

— Mais que voulez-vous que je vous dise ?

Je sais même pas qui c'est, ces “gens”, et puis...

Ôishi

— Vous connaissez les trois clans fondateurs ?

Lors de la fête de la purification du coton, les chefs de ces clans font un discours.

Vous les avez vus ?

Keiichi

— Non, je suis allé à la fête un peu plus tard, le soir.

Ôishi

— Les trois clans fondateurs de Hinamizawa sont les trois familles les plus vieilles du village.

Il y a...

les Kimiyoshi,

les Sonozaki,

et les Furude.

Il paraît que ces trois clans remontent à très, très loin.

Ôishi

Depuis toujours, ils ont décidé de toutes les questions relatives au village.

Kimiyoshi... le vieux dont me parlait Shion s'appelle comme ça. C'est lui, le maire.

Les Sonozaki... c'est la famille de Mion.

Et donc le clan des Furude... c'est Rika et sa famille ?

Ôishi

— Les Sonozaki sont devenus très influents après la guerre.

Ôishi

Depuis les affrontements lors de la construction du barrage, ce sont eux qui tirent toutes les ficelles du village.

Ôishi

Mais les décisions importantes se font toujours entre les chefs des trois clans, c'est la tradition.

Ôishi

Alors au début de la fête, ils doivent faire un petit discours.

Ôishi

Je suis en train de vous parler du maire Kimiyoshi, de la grand-mère Sonozaki, et de Rika, la dernière survivante des Furude.

Keiichi

— ... Je savais que les Sonozaki étaient influents dans le coin, mais je ne savais pas pour Rika.

Ôishi

— Bah, comme vous le savez, ses parents sont morts.

Dans les faits, le clan des Furude n'a plus aucun pouvoir politique.

Ôishi

Par contre, la petite Rika a un don, les anciens du village lui vouent un culte presque religieux.

Oui, Rika avait la cote auprès des anciens.

Keiichi

— Et vous voulez en venir où avec les trois clans ?

Ôishi fit des tas de simagrées, puis s'alluma une deuxième cigarette pour faire durer le suspense.

Ôishi

— Après tout ce que je vous ai dit, vous ne comprenez toujours pas ?

Keiichi

— C'est bien pour ça que je vous pose la question.

L'inspecteur eut un sourire désabusé, puis fit de grosses bouffées de fumée.

Ôishi

— Les chefs des trois clans fondateurs disparaissent les uns après les autres,

quel heureux hasard, vous ne trouvez pas ?

Ôishi

Je pense qu'il s'agit d'un problème interne au village, mais je ne vois pas trop comment décrypter plus que ça.

Keiichi

— Je suis pas plus avancé que vous, vous savez.

Ôishi

— Mais justement...

Le chef des Kimiyoshi a disparu, celui des Furude a disparu, donc maintenant, logiquement, c'est le chef des Sonozaki qui... qui...

Ôishi

qui-qui c'est qui le gentil 'tit toutou ? Éhhéhhéhhéhhé, vous la connaissez pas ?

Je rigole, bien sur…

Keiichi

— Mais, le chef des Sonozaki, c'est qui ?

Ôishi

— Officiellement, c'est la doyenne du clan, mais dans les faits, elle délègue pratiquement tout à sa petite-fille, Mion.

Je revis Mion donner les ordres à tous ces gens lors des recherches.

Keiichi

— Quoi, c'est MION ??

Elle va disparaître ?

J'étais pris complètement par surprise, et mes poils se hérissèrent de partout.

C'est pas possible !

Ôishi

— Ce serait pas l'extase, hein ?

Keiichi

— Évidemment que non !

Je ne les laisserai pas faire !

Clamp.

L'inspecteur me prit par les épaules et me regarda droit dans les yeux.

Ôishi

— Alors coopérez, M. Maebara.

Keiichi

— ... Hmmm...

Ôishi

— Si vous avez remarqué quoi que ce soit sur elle récemment, dites-le moi.

Il m'a eu...

Mais maintenant il est trop tard.

Ôishi est tout près de moi et il attend la suite.

La pression…

Je n'arrivais pas à détourner le regard...

Juste à cet instant, la sirène de la radio se mit en route.

Près du siège conducteur.

Au début, il l'ignora complètement, mais à force, il dut se résoudre à me lâcher et à aller répondre.

Ôishi

— Oui, allô ?

Oui, je vous reçois 5/5.

Ouf, sauvé...

Je ne pouvais pas me permettre de fuir maintenant, mais l'ambiance était cassée...

Ôishi

— Oui, je vois...

Oui, oui.

Très bien, je rentre.

Oui.

Mais oui...

Apparemment, son chef le rappelait au poste.

La tension commença à s'évacuer de mon corps...

Ôishi

— Je dois rentrer, tout doucement.

Dommage, je sentais que le courant commençait à passer entre nous.

Il ouvrit la porte tout grand et partit se réasseoir sur le siège conducteur.

La porte resta ouverte.

Je pouvais y aller ?

Ôishi

— Vous savez, je vous admire, M. Maebara, vous êtes dévoué envers vos amis, c'est rare de nos jours.

Je comprends très bien que vous ne vouliez pas parler d'un ami à la police, c'est un peu le trahir.

Keiichi

— ... ... ...

Ôishi

— M. Maebara.

Je vais vous laisser la nuit pour y réfléchir, d'accord ?

Si vous avez le courage de simplement venir nous parler, alors peut-être que grâce à vous, nous pourrons sauver vos amies.

... Il est en train de me dire que Rika et Satoko ne seront pas les seules victimes.

Ôishi

— Je sais que vous le savez, mais tous les soirs depuis la fête, il se passe quelque chose.

Jusqu'à présent, la malédiction, c'était seulement une fois par an, mais là c'est tous les jours.

Ôishi

C'est bon pour les affaires.

Keiichi

— Je ne sais pas si c'est approprié comme description.

Ôishi

— Pensez-y : avant-hier une victime,

hier une autre victime,

ce soir encore une autre.

Rien ne nous dit qu'il n'y aura pas une autre victime demain.

Ôishi

C'est mon travail d'empêcher ces choses d'arriver, mais je n'y arriverai pas sans votre aide.

Je jetai un coup d'œil par la porte de la voiture et constatai qu'à ma grande surprise, nous étions devant l'entrée principale, chez moi.

Il connaît mon nom et mon adresse... je n'aime pas ça, mais là, je suis crevé.

J'ai autre chose à penser.

Ôishi

— Bah, je suppose que vous êtes fatigué.

Il est déjà 3h du matin, après tout.

Allez, passez une bonne nuit.

Keiichi

— Merci.

Bonne nuit à vous aussi.

Lorsque je fus descendu du break, Ôishi revint à la charge encore une dernière fois.

Ôishi

— Tant que vous ne m'aurez pas parlé, je viendrai tous les jours !

L'époque des interrogatoires musclés est dépassée...

Je ne sus pas quoi lui répondre, mais le claquement de la porte eut l'air de lui transmettre un message.

Il appuya légèrement sur le klaxon puis démarra et repartit dans la nuit...

Sans lui prêter plus attention, je me dirigeai vers l'entrée.

La porte était fermée à clef, mais la chaîne n'était pas en place.

J'ouvris la porte, me déchaussai dans le vestibule.

Puis me dirigeai vers les escaliers.

... Mes souvenirs de cette nuit-là s'arrêtent ici.