Après avoir mangé ce soir-là, je ne me sentais plus la force de regarder la télé. Je montai dans ma chambre et me terrai sous ma couette, ressassant des pensées déprimantes.
J'avais tout avoué à Rika.
Sur le coup, elle m'avait semblé rassurante, mais à la réflexion, je me demandais si j'avais vraiment fait le bon choix...
Plus j'y pensais, et moins je comprenais ce que Rika m'avais dit.
Elle savait tout sur la mort de Takano... comme si elle avait été présente sur place.
Je fus pris de frissons d'horreur.
Est-ce que par hasard... j'aurais parlé à la personne à qui je n'aurais surtout pas dû parler ?
J'aurais dû insister et faire celui qui ne savait rien...
Je n'aurais pas dû me montrer aussi faible...
Le remord et la peur m'assaillirent à nouveau, et rendirent ma soirée encore pire qu'elle ne l'était déjà.
On toqua à ma porte.
J'étais tellement surpris que je crois bien que j'ai crié.
Sous ma couette, heureusement.
— Keiichi !
Je t'appelle depuis tout à l'heure, tu es sourd ou quoi ?
Téléphone pour toi !
Une certaine Sonozaki.
C'était mon père.
Il me tendit le combiné transportable.
— Sonozaki, mais laquelle ?
La grande ou
la petite ?
— Comment veux-tu que je le sache.
Tu n'as qu'à répondre et le lui demander.
Je pris le combiné et retournai à ma couette.
— A-a-a-allô ?
Mion ?
Shion ?
— C'est moi.
Shion.
Bonsoir.
Je me levai d'un bond.
J'avais attendu son appel toute la nuit, et enfin, c'était elle.
— Shion, je…
je m'excuse pour hier soir.
J'étais tellement énervé, je...
— ... ... ...
Je l'entendis soupirer très profondément à l'autre bout du fil.
— Toi et moi, on est dans le même bateau.
Je m'excuse d'avoir mis la faute sur toi.
Je le referai plus, je te le promets.
Je te demande pardon, alors s'il te plaît, arrête de me faire la gueule...
— C'est bien parce que j'ai arrêté de faire la tête que je te téléphone.
Si vraiment tu regrettes, je veux bien oublier l'incident, mais cesse de t'excuser tout le temps.
Elle avait l'air encore un peu en colère, mais j'avais obtenu son absolution.
— Comme tu l'as dit, nous partageons le même sort désormais.
Nous devons sans cesse nous assurer que l'autre est sain et sauf, c'est notre seule chance.
— Oui, je suis d'accord.
— ... Du coup, je me suis dit qu'il valait mieux mettre nos informations en commun.
Histoire de ne pas finir comme Takano.
Je déglutis.
La salive me fit mal à la gorge.
— Bon, reprenons là où nous en étions hier.
Tu veux bien m'écouter, sans te fâcher cette fois-ci ?
— Ouais…
pas de problème.
— Ok, alors...
D'une, il semblerait bien que le fait d'entrer dans ce temple était bien plus tabou que je ne le pensais.
... Oui, quand on voit la fin qu'a connue la pauvre Mme Takano...
— Les coupables ont d'abord tué les instigateurs de la souillure du temple... et maintenant ils vont nous vouloir nous.
Je sais que tu ne veux pas l'accepter, mais il va falloir t'y faire, mon cœur.
Une fois que tu auras disparu, il sera trop tard, tu sais ?
— Oui, oui, je sais.
Il vaut mieux rester prudent, ça mange pas de pain.
— Tu sais, moi aussi j'aimerais fuir d'ici.
Je ne veux pas croire que le fait d'avoir regardé ces objets de tortures séculaires soit si grave et que je mérite une mort pareille !
En même temps, c'est ça les tabous.
Ils sont là pour être respectés par tous, alors dans les yeux de ceux qui les respectent, ceux qui les enfreignent ne peuvent pas être laissés impunis.
— Si tu remarques quelque chose ou si tu apprends quelque chose de louche, fais-moi signe. Je ferai pareil, bien sûr.
En mettant nos informations ensemble, nous arriverons peut-être à en découvrir plus sur le meurtrier de Takano... ou même d'ailleurs sur l'auteur de tous ces meurtres, en fait.
Nous aurons peut-être au moins un indice.
— Hmmm, tu n'as pas tort.
Si, c'est logique.
C'était bizarre de la voir si... si décidée à regarder de l'avant.
Moi, honnêtement, je faisais dans mon froc. J'avais un peu honte d'être aussi négatif…
— Bon, autant commencer par moi, puisque c'est moi qui ai eu l'idée.
J'ai l'impression d'être observée en permanence par plusieurs personnes.
— QUOI ?
— Enfin, c'est peut-être juste moi qui me fais des idées.
Mais bon, je préfère le dire.
Si toi aussi tu te sens observé, alors, ben...
C'est peut-être pas seulement la peur qui te joue des tours.
— Non, si ce n'est que ça, tu peux te rassurer.
Personnellement, rien à signaler de ce côté-là.
Enfin, je crois.
Je me remémorai la journée.
Je n'avais pas de preuve que tout allait bien de mon côté, à vrai dire...
— Hmmm, je vois.
Alors, c'est mon imagination, mais fais attention, toi aussi.
Surtout quand tu marches seul dans la rue.
J'habite à Okinomiya, il y a toujours du monde dehors, mais toi, à Hinamizawa...
Tu dois te retrouver souvent seul sur les routes.
Alors fais très attention.
— Oui, tu as raison.
J'y penserai.
— Quoi d'autre... Est-ce que... est-ce que ma sœur…
était bizarre aujourd'hui ?
— Mion ?
Ben, bizarre, non, enfin, tu veux dire quoi par là ?
— L'autre jour, elle m'a mis la pression pour savoir où j'étais le soir de la cérémonie.
— Hein ?! Moi aussi !
À moi aussi, elle m'a demandé...
— J'en étais sûre.
Je lui ai rien dit à propos du temple.
Et toi ?
— De même.
Je suis resté vague.
Il y eut un petit soupir de soulagement de part et d'autre de la ligne.
— Depuis la nuit de la purification, ma sœur est bizarre.
Reste prudent, on se sait jamais, d'accord ?
Mion était bizarre... Hmmm.
À part ce jour où elle m'a posé les questions, je ne trouvais rien d'anormal dans son comportement.
De mon point de vue en tout cas…
Mais bon, sa sœur jumelle devait la connaître bien mieux que moi.
Elle savait sûrement déceler des changements subtils que d'autres ne remarqueraient pas...
— D'accord,
je ferai attention.
Rena est toujours avec nous sur le chemin du retour, donc pas de problème de ce côté-là, je pense.
— Sois quand même sur tes gardes.
Si tu as un doute ou quoi que ce soit, appelle-moi pour me prévenir.
— Compris.
— Et toi ? Tu as quelque chose à me dire ?
... Voyons voir...
Je devrais peut-être lui dire qu'Ôishi m'avait posé les mêmes questions.
— Quoi, la fois où tu as été trop lent pour t'enfuir ?
— Oui.
L'inspecteur m'a posé des questions, il n'a pas pris de pincettes.
Il m'a demandé si j'avais vu Tomitake ou Takano, ou même toi.
Il m'a avoué ensuite qu'il nous avait vus ensemble tous les quatre.
— Il faut dire que pour la police, nous sommes les derniers à les avoir vus vivants, c'est compréhensible.
Je trouve normal qu'ils viennent nous poser des questions...
— Je suis resté vague aussi, mais je crois que du coup, ils sont encore plus intéressés par ce que j'aurais à dire.
On ne la lui faisait pas, à l'inspecteur, c'était un vieux briscard.
En voyant mon attitude ce jour-là, il avait sûrement tiré ses propres conclusions.
— Dis, Shion.
Tu crois que nous devrions en parler à la police ?
Je veux dire, vu notre situation, si nous leur expliquons tout, il y a de fortes chances pour qu'ils essaient de nous protéger, tu ne crois pas ?
Elle ne répondit pas tout de suite.
Je l'entendis pousser plusieurs soupirs, elle y réfléchissait.
— Au fait, il m'a dit qu'il avait des soupçons sur Mion, enfin, un truc du genre.
Oui,
c'est bien ce qu'il a dit, il me semble.
— Je te l'ai déjà expliqué, le clan des Sonozaki a une influence énorme sur tout ce qu'il se passe à Hinamizawa.
Ôishi pense que le village entier est impliqué dans cette histoire de meurtres en série, et que donc forcément, les Sonozaki y sont mêlés de près.
— Comment... Il croit que tout le village est dans le coup ?
Oui, oh, t'excite pas, hein, tu as promis.
Shion ne perdait pas le nord.
— Lorsqu'il y a eu ces affrontements sur le chantier, le prêtre était trop pacifiste. Les gens furent tellement déçus de voir qu'il ne prenait pas la tête de la rébellion que ce sont les Sonozaki qui durent le faire.
Ma sœur t'a parlé des affrontements, je suppose ?
— Oui.
Le village s'est uni contre l'ennemi pour lui faire face.
Il y a eu des manifestations, des procès, des émissions à la télé...
— Oui, mais il y a surtout eu des actions beaucoup plus radicales.
Les gens racontent que le clan a fait des actes de résistance en restant bien dans l'ombre.
— Des trucs illégaux, alors ?
— Par exemple, ils s'introduisaient sur le chantier la nuit pour voler du matériel, ou pour casser des machines, ou mettre du sucre dans les réservoirs.
— Du sucre dans les réservoirs ?
Je vois pas ce que ça fait...
— Ah non ? Mais tu dors en histoire ou quoi ?
C'était très répandu pendant la guerre, les résistants français le faisaient déjà à l'époque.
Le sucre fait cramer le moteur, il est inutilisable après ça.
Mais... c'est plutôt mauvais, ça, non ?
C'est de la destruction de biens publics ?
— Lorsque la surveillance du chantier a été accrue, ils ont commencé à attaquer les gens importants en charge des travaux.
Par exemple en faisant des menaces aux fonctionnaires qui avaient approuvé le plan.
Ils sont allés jusque tout en haut, jusqu'au ministre des travaux publics.
J'ai entendu dire qu'ils avaient même enlevé des enfants...
— Des enlèvements ?!?
— Comme je te le dis.
Le mec en charge du projet au ministère, eh ben son fils a disparu, envolé comme par magie.
Et puis un jour, on l'a retrouvé en amont de la rivière, tout là-haut à Takatsudo.
Il paraît qu'il n'y a pas eu de demande de rançon, mais bon, les gens disent qu'il a eu des pressions pour faire arrêter le chantier.
Il y a eu encore des tas de choses, trop nombreuses pour que je te les énumère toutes...
— La vache... ouais, quand même.
— Et tu imagines, en plein dans ce bourbier,
il y a eu le premier meurtre.
Le chef de chantier découpé en morceaux.
On raconte que le clan aurait payé l'un des gars du chantier pour provoquer cette bagarre... mais bon, il est toujours en fuite, alors, aucun moyen de vérifier.
Présenté comme cela, je n'avais aucun mal à comprendre les soupçons qui pesaient sur les Sonozaki.
— Ôishi pense d'ailleurs que le mec n'est pas en fuite, mais qu'on l'a fait disparaître pour l'empêcher de parler.
C'est normal, après tout...
Même moi, qui suis de la famille, j'ai des soupçons.
Que le clan Sonozaki gère certaines machinations en coulisses, ça ne m'étonnerai pas vraiment.
— T'es pas sérieuse...
Tu veux vraiment me faire croire que ta famille serait capable de faire un truc pareil ?
— Tu n'as pas besoin d'y croire, mon cœur, tous les autres habitants y croient, eux.
Ils se sont battus réglos sous les projecteurs, mais les Sonozaki ont bien aidé en faisant des coups bas dans l'ombre...
Ils en sont tous persuadés.
C'est pourquoi ils nous révèrent, un peu comme un méchant charismatique ou un héros sombre...
— ... ... ...
— Tu sais, je crois que je n'en connais qu'une toute petite partie.
Par exemple, pour cette histoire d'enlèvement, je crois que seules de très rares personnes sont au courant à part ma grand-mère...
Les Sonozaki aiment les secrets.
— Ils préfèrent tout passer sous silence, hein ?
Ce clan était bien mystérieux.
Même leurs membres ne savaient pas tout ce qu'il se tramait chez eux.
J'étais un peu effrayé de savoir que Mion, en tant qu'héritière du clan, devait se trouver au milieu de tous ces imbroglios...
— Tu sais, ma sœur était souvent dans le coup pour les actions illégales.
— Sans déconner ?
Mais pourquoi ? Et surtout comment ?
— Ben, mon père est un gros poisson chez les Yakuzas, tu sais.
Il lui a filé une escorte, quelques jeunots bien teigneux.
Ils ont réussi à faire pas mal de dégâts.
— Mion a fait ça ?
— Oui, on ne dirait pas, hein ? Elle est beaucoup plus calme et maître de soi maintenant, mais à l'époque, hou là…
Destructions, violences, insultes, obstruction aux forces de l'ordre, elle s'est fait pincer une paire de fois.
Mais comme elle était mineure, la police devait la relâcher, c'est la loi.
Je pense que ma sœur savait pertinemment que son âge la protégerait des conséquences de ses actes.
C'était un peu déplacé, mais je pouffai de rire.
Sacrée elle, quand même...
Ce n'était pas la bosse des maths qu'elle avait, mais... mais la corne de... des mauvais coups, ou quelque chose du genre...
— Mais enfin, y a vraiment pas de quoi rire !
Reste un peu sérieux, oui ?
— Ah, désolé, c'est pas pour me moquer ou quoi...
Shion ne trouvait ça vraiment pas marrant.
— Enfin bref, c'était une traînée, et maintenant elle est le bras droit du chef du clan.
Ôishi n'est pas si ridicule que cela quand il dit qu'elle peut avoir un lien avec le meurtre, tu sais.
... Je restai silencieux un moment.
Ça ne passait absolument pas avec l'image que j'avais de Mion.
Elle avait versé dans la criminalité dès son plus jeune âge pour empêcher ce projet de barrage.
Et en même temps, elle était l'héritière du clan des Sonozaki…
des gens mêlés de près à cette série de meurtres.
Est-ce que la Mion que je connaissais était la vraie ?
Ou bien était-ce l'autre qui était son vrai visage ?
Aucune idée.
Mais j'avais du mal à accepter cette autre image d'elle.
— Enfin bref, passons.
Au moins, tu sais que tu dois te méfier d'elle.
Alors fais attention à toi.
... Je n'avais pas envie de le savoir.
Mion est ma meilleure amie.
Elle ne me mettra jamais dos au mur, c'est pas possible.
Oui, elle m'a posé des questions sur la soirée de la cérémonie, mais c'était pas un interrogatoire forcé non plus...
Hmmm... ... ...
— Entendu.
Je ferai attention.
— Je sais que nous sommes issues des mêmes parents, mais dans le clan, nous n'avons pas du tout le même rang.
Dis-toi bien qu'elle est considérée comme quelqu'un qui n'a vraiment rien en commun avec moi.
Je t'en supplie.
Plus j'écoutais Shion me parler de sa sœur, et moins j'étais sûr de savoir qui était Mion.
La Mion que je voyais tous les jours n'était pas si dangereuse.
Elle était drôle, elle était sympa, elle était toujours à fond dans ses délires...
Shion devait forcément le savoir. Et pourtant elle voulait casser cette image dans mon esprit…
Je devais me méfier de ma meilleure amie.
Ne plus lui faire confiance.
C'était très dur à accepter... et surtout à avaler.
— Quant à l'inspecteur...
Si tu penses que c'est mieux de lui dire, ne te gêne pas.
Si la police est de notre côté, ça ne pourra que nous être utile.
— Alors toi aussi tu le penses ?
— Oui, sauf que comme je viens de te le dire, la police soupçonne ma famille.
Surtout Ôishi, il a vraiment une dent contre nous. Il est persuadé que nous sommes les coupables derrière tous les meurtres.
Donc il me soupçonne aussi, quelque part.
J'aimerais ne pas avoir trop souvent affaire à lui, si possible.
Moui, elle n'a pas tort, après tout.
S'il est persuadé qu'elle fait partie des coupables, il ne sera pas tendre avec elle...
Je commençais enfin à comprendre pourquoi Mion n'aimait pas l'inspecteur.
— Je suppose qu'il est déjà au courant, mais quand tu lui parles, essaie de ne pas donner mon nom, d'accord ?
Tant que tu ne parles pas de ma famille, il t'écoutera sans douter de ta bonne foi.
— D'accord,
je ne dirai pas ton nom.
— Je pense que la police peut nous être très utile pour savoir ce qu'il se trame.
Si Ôishi te raconte des trucs intéressants, n'hésite à me les répéter par la suite.
— Ouais, bien sûr.
Il vaut mieux mettre nos infos en commun et les analyser ensemble.
Il faut trouver qui a tué Mme Takano.
Et aussi qui nous en veut à ce point.
Tant qu'on ne le saura pas, il faudra nous défendre par nous-même !
— Et sinon ?
À part l'inspecteur, rien d'autre ?
Même des trucs insignifiants, hein.
À part l'inspecteur, à part l'inspecteur...
Ah !
Je devrais lui dire pour Rika...
Elle avait l'air de savoir quelque chose.
Elle m'avait dit de la laisser faire, mais je ne voyais pas trop...
Ah, mais au fait !
Je lui avais parlé de Shion, aussi...
C'est pas bon...
Je suis sûr qu'elle va m'engueuler...
— Alors, rien d'autre ?
Kei ? Eh ?
Mon silence avait l'air de la préoccuper.
— Hmm, ben en fait... comment dire...
J'étais clairement en train d'hésiter, alors Shion prit les devants pour me parler de ce qui la travaillait.
— Écoute, si tu n'as rien de spécial, je voudrais te poser une question.
J'ai entendu tout à l'heure que…
que l'on était toujours sans nouvelles de M. Kimiyoshi. C'est vrai ?
Monsieur Kimiyoshi ?
Oh, sûrement le maire...
— Qui, le maire ?
De quoi, mais, t'étais pas au courant ?
— Non, je sais rien du tout !
J'ai surpris une conversation au téléphone, enfin, j'écoutais aux portes, quoi, c'est comme ça que je l'ai su.
C'est là que je sus que j'en avais trop dit.
À Hinamizawa, tout ce qui a un rapport avec la malédiction est strictement confidentiel... tout est camouflé.
— Ouais, ben…
en fait, hier, après la réunion du conseil municipal, il n'est pas rentré chez lui,
alors les gens l'ont cherché partout. Mais ils ne l'ont pas trouvé.
Je pense que la police doit aider dans les recherches, d'ailleurs.
— Aaaaah, mais pourquoi tu ne me l'as pas dit tout de suite !
Shion avait l'air de flipper complètement.
— Désolé, écoute, je croyais que tu le savais...
J'ai aucune raison de te le cacher, tu le sais bien !
Silence à l'autre bout du fil.
Non... me dites pas que... Elle va quand même pas raccrocher encore une fois !
— Oh, Shion ? Allô, Shion !
— ... Kei…
Dis-moi ce que je dois faire, Kei…
Oh, mais qu'est-ce que j'ai fait...
Elle parlait d'une voix fluette, apeurée. Ce n'était pas la même Shion qui m'avait parlé jusqu'à maintenant…
— Qu'est-ce que tu as ?
Ben, dis-moi.
Pas de secrets entre nous, allez, quoi.
Shion garda le silence pendant un long moment... puis parla sur un ton humble et résigné, comme si elle se confessait.
— Je te demande pardon...
Je voulais pas te le cacher,
mais en fait, c'était pas encore venu dans la conversation, c'est tout, je...
— T'en fais pas, c'est rien. On est ensemble maintenant.
Allez, je m'énerverai pas, je te promets.
Elle resta quand même encore silencieuse un moment avant de passer à table.
— Je…
.........
Je lui ai parlé…
je lui ai dit pour le temple.
Je l'entendis respirer un grand coup. Elle s'imaginait peut-être que j'allais lui crier dessus ?
Mais à vrai dire, cela me rassurait.
Elle avait fait comme moi, elle s'était confessée à quelqu'un.
Je ne pouvais pas lui en vouloir, alors je lui parlai le plus gentiment que je pouvais.
— Je suppose qu'à tes yeux, c'était quelqu'un digne de confiance ?
— ... Oui.
Il a... Il a toujours été très gentil avec moi, depuis que je suis toute petite.
Elle aussi devait être sous le choc en apprenant la disparition du maire.
Elle était plus forte que Mion, mais pourtant là, elle montrait aussi une certaine tristesse, un certain désarroi.
— Je n'arrêtais pas de faire des bêtises et des choses méchantes, mais il ne s'énervait jamais.
Il m'a toujours écouté...
Il était tellement gentil...
— Ne parle pas de lui au passé, Shion.
Il n'est pas obligatoirement mort.
N'abandonne pas !
Shion se tut.
J'avais parlé un peu à la hâte... même moi, j'étais persuadé que nous ne le reverrions plus jamais.
Je suis prêt à parier que nous ne saurons jamais s'il est mort ou vivant.
Et je savais qu'en ce moment, Shion pensait très certainement exactement la même chose...
— J'ai avoué au maire
que nous étions entrés
dans le temple des reliques ce soir-là.
Et que quelqu'un nous avait vus et qu'il en avait après nous.
— Il savait pour la mort de Mme Takano ? Il savait que ce n'était pas une mort normale ?
— ... Oui,
il savait.
Je lui ai même demandé si je risquais d'être sacrifiée pour apaiser la colère de la déesse.
Je lui ai demandé cash.
— Et,
il a répondu quoi ?
— Il a... Il ne s'est pas mis en colère...
Il m'a fait un petit sourire, et il m'a dit que si je le regrettais vraiment, eh bien la déesse m'épargnerait.
Il m'a vraiment…
vraiment dit ça en souriant...
Et puis il m'a dit que... qu'il s'en chargeait, qu'il ne m'arriverait rien...
...ngh...!!
Je l'entendis fondre progressivement en larmes. Je ne savais pas trop comment la réconforter.
Je n'arrivais pas à m'imaginer le maire, je ne le connaissais pas du tout, et je ne savais pas quels liens les unissaient tous les deux.
Mais je savais aussi que c'était très rassurant d'entendre quelqu'un vous dire que tout se passerait bien...
J'en avais fait l'expérience le jour-même en parlant à Rika.
S'il devait lui arriver quelque chose...
Je crois que j'aurais un choc aussi.
— ... C'est de ma faute.
C'est parce que je lui ai parlé...
— Ne dis pas ça, voyons.
Ce n'est pas ta faute.
— SI !!
Si, c'est MA faute !
Si je ne lui avais.... rien dit...
S'il ne l'avait pas su...
Il serait encore là !
Il s'est fait tuer, j'en suis sûre !
Mais enfin réfléchis, c'était JUSTE pile le jour où je lui ai avoué ! Il venait de me dire que tout irait bien... et le soir-même, il a disparu !
Tous ceux qui sont au courant
seront tués aussi.
— Je n'aurais jamais dû lui dire !
C'était notre faute, à nous quatre !
On aurait dû payer pour nos crimes, mais sans y mêler les autres !
Je lui en ai parlé, et il est mort !
Tous ceux qui seront mis au courant se feront tuer !
Il s'est fait tuer parce que je lui ai tout avoué !
— Oh, attends une seconde !
Avant de tuer le maire, le ou les meurtriers auraient dû nous tuer nous, tu ne crois pas ?
L'ordre est complètement inversé !
S'il faut absolument tuer quelqu'un ce serait d'abord toi ou moi !
Pourquoi tuer un autre d'abord ?
— Mais justement, c'est celui-là, le bon ordre logique !
Ils vont nous laisser en vie jusqu'à la fin, ils vont nous tuer en dernier !
— Que... Comment ?
Quoi ?
— Ils ne vont pas nous tuer si facilement... ils vont d'abord tuer tous nos amis, l'un après l'autre... et après nous avoir fait mal, après nous avoir fait peur, après nous avoir tout pris, ils nous tueront nous !
— Non, calme-toi, enfin !
Tu es en état de choc, tu sais plus ce que tu dis !
La disparition du maire n'a sûrement rien à voir avec toi, tu sais.
Rien du tout !
La mort de Takano non plus !
Je disais cela pour la rassurer, mais aussi pour ME rassurer...
— NON !
TOUT a un rapport !
C'est sûr et certain !
Il est mort parce que je l'ai mis au courant !
Il est mort parce qu'il a su ce qu'il s'est passé !
Il s'est fait tuer parce que... parce que je me suis confessée à lui…
Elle avait l'air de partir sur une boucle, ressassant toujours les mêmes propos.
J'avais de la peine à l'entendre devenir folle, mais en baissant le regard, je vis l'ombre au sol, entre mes pieds, se figer.
Un bras bleu et glacé sortit de cette ombre, et je sus instantanément que mon cœur cesserait de battre au moindre contact.
Ce bras m'attrapa la jambe, et toute trace de chaleur disparut de mon corps.
Un froid glacial, épouvantable,
givrant, meurtrissant,
absolu, me pénétra par tous les pores de la peau.
Quelque part dans ma tête, une partie de moi-même prenait pitié de Shion, une autre me disait de la laisser se débrouiller seule, et une autre répétait sans cesse ce qu'elle venait de dire, cherchant un indice.
Il est mort parce que je l'ai mis au courant.
Il est mort parce qu'il a su ce qu'il s'est passé.
Il s'est fait tuer
parce que je me suis confessée à lui.
Je répétai cette incantation magique, encore et encore, et enfin, je sus ce qui me tracassait.
Un frisson d'horreur parcourut mon dos.
— Mais alors... Rika !
RIKA !
— Hein ?
Quoi, qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Moi aussi !
Moi aussi j'en ai parlé aujourd'hui !
Oh non…
Je lui ai tout dit...
J'ai tout avoué à Rika…
aujourd'hui, à l'école !
— Rika, tu veux dire, la petite ?
La prêtresse ? L'héritière du clan des Furude ?
— Ben oui, Rika, quoi !
J'avais tellement peur... J'ai pas pu lui mentir.
Je lui ai tout raconté.
— Et qu'est-ce qu'elle a dit ?
« Ce chat est un grand peureux.
Mais je saurai le protéger, vous verrez. Je me débrouillerai. »
Elle avait dit ça avec le sourire.
Tout comme le maire avait souri à Shion pour la rassurer, avant de disparaître...
— Désolé, Shion,
mais je suis pas tranquille, il faut que je sache qu'il ne lui est rien arrivé !
— Oui, oui, bien sûr !
Appelle-la au téléphone.
Histoire de savoir si elle n'a rien.
— Ouais ! Oui, bien sûr, tout de suite !
— Écoute, je te rappelle demain, vers cette heure-ci, encore une fois, d'accord ?
Si je t'appelle, tu sauras que tout va bien pour moi.
— D'accord, compris.
Allez, salut !
Désolé hein !
Je raccroche !
Sans attendre sa réponse, je reposai le combiné.
Le danger qui nous guettait, Shion et moi, était passé au second plan.
Mon sixième sens, ou peut-être mon instinct de survie, me disait que quelque chose ne tournait pas rond.
Je le sens pas...
Je le sens vraiment pas !
— Putain, pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé...
Rika !