Impossible de dormir, évidemment.

J'avais compris, trop tard certes, mais compris, que Shion était en fait de mon côté.

C'était la seule personne avec qui je pouvais en parler, avec qui je pouvais partager cette peur. Et à cause de mon comportement, elle m'avait raccroché au nez…

J'ai attendu encore et encore, mais elle ne me rappela pas.

J'avais peur de rater son appel téléphonique si je dormais. Mais j'eus beau attendre et attendre, pas la moindre impulsion sur la ligne.

Régulièrement, je tombais de sommeil, mais je me réveillais toujours en sursaut, persuadé d'avoir entendu une sonnerie.

Finalement, je pris l'appareil avec moi et m'endormis en le serrant contre moi.

Ce qui ne changea strictement rien au problème...

Lorsque le matin fut venu, j'eus la certitude qu'elle ne rappellerait plus.

D'un seul coup, à cette réalisation, le sommeil voulut m'emporter.

Keiichi

— Rah, merde !

C'est pas le moment de dormir, Keiichi Maebara !

Je me frappai le visage des deux mains pour me réveiller.

J'allais dans la salle de bain pour me nettoyer la figure -- je ne le faisais jamais d'habitude.

Mais cela ne fut pas suffisant pour vraiment me réveiller, alors je me brossai les dents.

Enfin, mes yeux cessèrent de se fermer de leur propre volonté.

Ma mère par contre m'observait depuis tout à l'heure avec un regard incrédule, les yeux ronds comme des billes...

Maman de Keiichi

— Qu'est-ce qu'il se passe, Keiichi ?

Tu sors aujourd'hui ?

Keiichi

— Euh…

ben, à l'école ?

Rena

— Keiichi, tu n'as pas l'air en forme aujourd'hui.

T'es sûr que c'est pas un coup de froid ?

Keiichi

— Mais non, j'ai pas assez dormi, c'est tout.

Si je commence à raconter des âneries, je compte sur toi pour rattraper le coup.

Rena

— Ahahahahaha !

Je suis curieuse d'entendre ce que ton subconscient a à raconter !

Du coup, je suis très intéressée !

Son sourire radieux et sincère faisait vraiment plaisir à voir -- je n'avais pas m'inquiéter de savoir s'il était vrai ou pas, et j'étais franchement pas en état pour être parano.

Mion

— Yo.

Ça va vous deux ce matin ?

Salut.

Rena

— Eh ben ?

Mii, toi aussi tu as l'air de ne pas avoir beaucoup dormi, dis-moi ?

Hier elle était bourrée, mais aujourd'hui non plus elle n'avait pas l'air en forme.

Notre humeur d'habitude si joyeuse était bien sombre ce matin.

Mion

— Ouais,

je me suis couchée vers 3h du matin, alors...

Chuis fatiguée.

Keiichi

— 3h du matin ? Après la nuit d'hier?!

Qu'est-ce que tu foutais debout à cette heure-là ?

Laisse-moi deviner, t'as commencé une série de mangas et tu les as tous lus à la suite ?

Keiichi

Ouais, je connais, c'est vite arrivé...

Je pensais la réveiller en faisant un peu d'humour.

Mais ni Mion ni Rena ne prirent le temps de sourire.

Rena était blafarde.

Rena

— ... Mais alors…

Me dis pas que…

vous n'avez pas retrouvé le maire ?

Mion

— ... Non.

Keiichi

— Euh, une minute les filles.

De quoi vous parlez, là ? C'est quoi cette histoire, vous ne savez pas où est le maire ?

Une fois arrivés à l'école, je remarquai que les voix n'étaient pas aussi joyeuses que d'habitude.

Satoko

— Bien le bonjour, Keiichi.

Vous avez entendu les dernières nouvelles ?

C'est terrible, n'est-il pas ?

Keiichi

— Je le connais pas trop, le maire. C'est un vieux, non ?

Il est peut-être un peu sénile, il s'est perdu et il tourne en rond si ça se trouve. Non ?

Satoko

— M. le Maire est encore en pleine possession de ses moyens intellectuels.

Il assure les cours de calligraphie et les entraînements de kendô, il est très alerte pour son âge.

Rika

— Il a juste du mal avec la géographie, un peu comme moi. Il s'est sûrement perdu.

Rena

— Oh, mais si tu es perdue…

Hau~~~! Alors je dois te ramener à la maison !

Il n'y a qu'une seule catégorie de gens qui sont mimis au point de devoir obligatoirement les ramener à la maison si elles sont perdues, ce sont les petites filles.

Les séniles grabataires qui bavent de partout ne déclenchent pas la PASSION en nos âmes.

Mais trêve de plaisanteries, la maîtresse arrivait déjà.

Tout le monde se rendit rapidement chacun à son bureau.

Cie

— Bonjour à tous,

les enfants.

Boooonjouuuur maîîîîîtreeeeeeeeesse !

C'était comme d'habitude, mais en un peu plus... plus…

Je sais pas.

Cie

— Je pense que vous le savez déjà,

mais hier soir, le maire n'est pas rentré chez lui, et pourtant nous l'avons attendu pendant très longtemps.

L'un d'entre vous a-t-il vu M. le Maire hier ?

Quelques mains se levèrent pour dire ce qu'elles savaient.

Mais personne ne put vraiment apporter d'information concluante, et les élèves se mirent à discuter entre eux à voix basse, apeurés.

Cie

— Eh bien si vous voyez le maire, allez le dire à une grande personne, d'accord ?

Bon, il est temps de commencer la classe.

Les cours habituels commencèrent...

Les messes basses se poursuivirent même pendant la pause de midi.

J'entendais des tas d'histoires différentes un peu partout.

Tout le monde parlait de la disparition du maire.

Pour résumer un peu tout ce que les élèves se disaient, voilà en gros le topo :

Hier soir, le maire est allé à une réunion dans la salle municipale située dans le temple.

La nuit était déjà noire lorsque cette réunion s'est terminée.

La maison du maire est un peu à l'écart du gros du village.

Il était tard et il faisait nuit, et puis Hinamizawa n'est pas très éclairé.

Personne n'a vu le maire après cette réunion.

Mais il était déjà l'heure de manger, donc normalement, il devrait être rentré chez lui pour dîner, sans faire de détour pour s'arrêter ailleurs.

Sa famille a attendu et attendu encore…

mais le maire n'est pas rentré.

Elle a pensé à un accident.

Les gens ont pensé à tous les types d'accidents possibles, ils ont regardé les canalisations d'eau, les égouts, les puits, les terrains boueux aussi.

En même temps, il faisait nuit, ils n'ont pas pu faire les recherches comme ils le voulaient.

La police avait dit qu'elle viendrait donner un coup de main aux recherches lorsqu'il ferait jour.

S'ils ne le trouvent toujours pas, ils comptent faire des battues en montagne.

Et donc pendant que nous étions en cours, en ce moment-même, les grandes personnes du village étaient à sa recherche.

Et plus les recherches se font infructueuses...

Plus le temps passe...

Et plus les gens pensent... à la malédiction.

Plus ils parlent de l'“enlèvement des démons”.

Le maire aura été la victime de cette année...

Tout le monde y pensait, mais personne n'osait en parler.

Et pourtant, cette rumeur se propageait dans tout le village.

« Et si le maire avait été enlevé par les démons pour être sacrifié à la déesse Yahiro ? »

Mes camarades de classe se rassuraient l'un l'autre en disant que puisque cette année, la “malédiction” n'avait pas encore frappé, il n'y avait pas de raison que le maire ce fût fait “enlever par les démons”.

Mais moi, je savais.

Je savais que la malédiction avait déjà frappé cette année, et qu'elle avait emporté deux personnes.

Je devais par contre admettre que je n'aurais pas cru que c'était le maire qui allait “disparaître”.

J'avais une bonne raison pour cela.

Shion et moi avions fait quelque chose de bien pire, qui nous mettait bien plus haut que lui sur la liste des gens à éliminer.

Nous étions entrés par effraction dans le temple des reliques sacrées, tous les quatre, avec nos chaussures...

Puisque M. Tomitake et Mme Takano étaient morts, il semblait logique de nous enlever Shion et moi...

Keiichi

— La prochaine, ce sera vraiment soit elle, soit moi...

J'eus un petit rire désabusé.

Je lui avais gueulé dessus au téléphone, parce que la peur d'être enlevé m'était insupportable,

et maintenant que la victime était une autre je me plaignais presque que ce ne fût pas moi... C'était comique, quelque part.

Jadis, dans les temps vraiment anciens, on plongeait la victime dans le marais près du village. Il était si profond qu'il était à l'origine du tout premier nom du village, “Onigafuchi” soit « les abysses des démons ».

Si moi, un tout nouveau dans le coin, je faisais cheminer mes pensées vers là-bas, alors tous les autres habitants du village le faisaient aussi, certainement.

La police avait peut-être même déjà envoyé des plongeurs là-bas...

Ils ne trouveront sûrement rien.

Les disparus des autres années n'ont pas été retrouvés non plus, après tout.

Le marais était l'endroit le plus suspect, et pourtant jamais on n'avait retrouvé de corps là-bas.

C'était un marais magique... enfin, maléfique. Il n'avait pas de fond.

J'entendis alors quelqu'un dans la classe dire ça à son voisin :

Jeune garçon

— Au fait, c'est pas vers cette époque que Satoshi a disparu l'année dernière ?

Quoi ?

Satoshi ?

J'avais entendu ce nom quelque part...

Oui... c'était lui qui avait disparu l'année dernière.

Les élèves qui parlaient de lui étaient tout près, aussi je pus tout entendre.

Jeune garçon

— Il me semble qu'on l'a cherché partout aussi, non ?

Jeune garçon

— Ouais, et ils l'ont jamais retrouvé, finalement.

C'était quoi, en fin de compte ?

Ils ont dit qu'il ne s'était pas fait enlever par les démons, non ?

Jeune garçon

— Oui.

J'ai entendu qu'il avait vidé son compte en banque et qu'il avait fait une fugue.

Un policier disait qu'un témoin l'avait vu monter dans le Shinkansen à Nagoya.

... Une fugue... hmmm.

C'était très plausible, mais la raison ne m'intéressait pas.

Les autres disparus avaient sûrement eu, eux aussi, une bonne raison.

L'un était un meurtrier en fuite, l'autre était morte mais seulement introuvable...

Ce n'était pas comme si ces gens s'évanouissaient comme par magie, sans aucune raison.

Mais il n'empêchait que…

au bout du compte, ils disparaissaient quand même.

Lorsque quelqu'un était tué par la malédiction, automatiquement, comme une mécanique bien huilée, quelqu'un disparaissait.

Oh, bien sûr, les raisons étaient diverses, mais des personnes disparaissaient.

Si l'on partait de ces considérations, c'était la première fois que quelqu'un disparaissait “sans raison”, en fait.

Le maire était finalement le premier à réellement s'être fait “enlever par les démons”.

En même temps, cette réalisation n'était pas spécialement révolutionnaire et ne faisait absolument pas avancer le schmilblick...

Rena

— Je crois que je me suis un peu trompée dans l'assaisonnement, aujourd'hui.

Désolée.

Le repas de Rena était resté presqu'entièrement, alors que d'habitude nous le finissions en moins de deux.

Pourtant, il ne pouvait pas être mauvais, ce n'était pas possible...

Satoko

— Ah, mais détrompez-vous, ma chère,

c'est très bon, je vous assure !

Satoko prit plusieurs morceaux de légumes du plat et les mit en bouche.

Satoko

— Ah, oui, il sont rudement bons !

Encore plus qu'à l'accoutumée.

*mâche* *mâche*  !!

Rena

— Ahahahaha ! Satoko, ce sont des pommes dauphines au potiron.

Tu es sûre que tu goûtes ?

Satoko

— HhhHH ! Pardon ?

Mais voyons, si c'est vous qui les avez cuisinées, alors même le potiron sera délicieux !

... Satoko n'aime pas le potiron ?

Elle se forçait sûrement à sourire, pour faire plaisir à Rena.

Tout le monde s'en rendait plus ou moins compte.

Aujourd'hui, aucun repas n'était vraiment appétissant.

Et pourtant, Satoko nous rappelait avec insistance que tout était délicieux.

Keiichi

— Si elles sont si bonnes que ça, je vais devoir en reprendre, je ne peux pas supporter de te les laisser pour toi toute seule...

Satoko

— Ah, mais elles sont succulentes, vous devriez y goûter !

Keiichi

— Parfois, il faut que je montre que je suis un adulte.

Je veux bien me réfreiner aujourd'hui, tu peux en manger autant que tu voudras,

je te donne ma part !

Satoko

— Mais enfin...

Elle devait vraiment détester le potiron du plus profond de son estomac.

Ce qu'elle faisait là était adorable, c'était une belle preuve d'amitié que de la voir se forcer pour mettre de l'ambiance.

Je lui choppai la tête et lui ébouriffai tendrement les cheveux en souriant.

Satoko se remit à pleurer, à chaudes larmes cette fois-ci. Elle en faisait un peu trop, quand même...

Keiichi

— Mais je plaisante, voyons.

Keiichi

Je ne suis pas assez responsable pour te laisser manger les meilleurs morceaux sans faire une crise de jalousie.

Keiichi

Rena, sers-toi.

Keiichi

C'est la soupe d'hier avec les légumes des champs, mais c'est encore meilleur quand ça a reposé toute la nuit.

Rena

— Oui, c'est vrai...

Les tranches de radis blanc sont presque transparentes, c'est joli.

En tout cas, elles donnent envie, je me sers !

Rena prit quelques morceaux avec ses baguettes, et enfin, l'ambiance normale de midi revint.

Mais uniquement à notre table.

Partout ailleurs, les autres tables étaient occupées à discuter entre elles des histoires glauques et effrayantes de la malédiction...

Cela faisait quand même cinq fois de suite.

L'année dernière, tout le monde avait espéré en voir le bout.

Mais alors, c'est quoi au juste ?

Le projet de barrage avait été décidé.

Les gens qui voulaient le construire sont les méchants, dans l'histoire.

Donc ils sont victimes de la malédiction, car la déesse est en colère après eux.

OK, admettons.

Sauf que le projet a été abandonné il y a longtemps maintenant.

Alors pourquoi elle continue ?

Je revins à moi et me frappai les joues pour m'éclaircir les idées.

À quoi ça servirait si elles se démènent dans le vide et que je repars tout de suite dans mes histoires lugubres ?

Je devais oublier tout ça, penser à autre chose.

Et puis, je faisais d'une pierre deux coups.

Le fait de penser à autre chose me permettait d'oublier pour un instant que j'étais certainement le prochain sur la liste des victimes...

Keiichi

— Dites, elle met son temps, Mion.

Elle est si longue que ça quand elle se lave les mains ?

Elle n'était toujours pas revenue.

Rena

— Ahahaha,

oh, je pense qu'elle fait la sieste, va.

Elle a été aider aux recherches pendant la nuit, après tout.

Je poussai un long soupir.

Aujourd'hui, les dieux sont contre moi.

Je peux faire ce que je veux, tout revient immédiatement à cette histoire avec le maire.

Rien à faire, vraiment.

Étant nouveau dans le village, je pense que je ne comprenais pas trop le choc de voir cette tragédie se répéter pour la cinquième fois consécutive...

Je devrais peut-être essayer d'en savoir plus là-dessus.

Rena

— Tu sais, lorsqu'elle était petite, le maire était toujours très gentil avec Mion.

Elle n'arrêtait pas de faire des bêtises, mais il ne s'énervait jamais.

Elle m'en a souvent parlé, tu sais.

Je vois.

Elle aussi devait être sous le choc.

C'était flippant de savoir qu'une personne avait disparu à cause de cette malédiction.

Mais si en plus c'était quelqu'un que l'on connaissait bien... alors le choc devait être bien plus important.

Satoko aussi avait l'air de s'en rendre compte. Elle mordait sur ses lèvres et se retenait de pleurer, tête baissée…

Keiichi

— Et Rika alors ?

Elle dort avec elle, tu penses ?

Satoko

— Rika n'est pas restée si tard.

Les gens lui ont demandé avec ferveur d'aller se coucher lorsqu'elle a commencé à bâiller.

Je me souvins avoir vu de nombreuses vieilles personnes du village égrener des chapelets et des rosaires en la voyant, en lui parlant avec le plus grand respect.

Je les imaginais bien la gâter pourrie.

... Mais alors, Rika avait une technique secrète qui lui servait à obtenir tout ce qu'elle voulait ?

Keiichi

— On dirait l'idole des vieux.

Peut-être qu'ils voudraient tous l'avoir comme petite-fille ou arrière petite-fille ?

Rena

— Ahahahahaha !

Ah, je ne sais pas !

Mais en tout cas, j'aimerais bien la voir bâiller !

Je suis sûre qu'elle ouvre tout grand la bouche, comme un petit chat ☆

Meuh c'euh trop meugnon ! Je veux la même à la maison !

Satoko

— Je ne suis pas sûre de partager votre avis, ma chère.

Si elle ouvre la bouche si grand que cela, nous verrons jusqu'à l'intérieur de sa gorge...

Rena

— Oh oui, oui oui oui, le bâillement géant de Rika ! Aaaaah mais ce serait super chou !! Hau !

Rena était vraiment impayable.

Elle réussit enfin à m'arracher un rire sincère.

Eh, mais au fait...

Je suis de corvée aujourd'hui !

Je dois aller arroser les fleurs.

Elles sont situées juste devant la salle des professeurs, donc si je ne le fais pas correctement, la maîtresse le saura tout de suite.

Rena

— Oh, mais je suis sûre que tu es toute mimii aussi, Satoko !

Bâillement géant !

Satoko

— Hais, ahnêhez !

Enfin, voyons, je vais m'étouffer !

Rena

— H-Hau !

J'ai pas vu grand'chose, mais c'était tout mimii !

Toi aussi, Satoko, je vais te ramener à la maison !

Rena enlaça Satoko par le cou et fit son possible pour lui ouvrir la bouche, mais je ne suis pas sûr que ça compte comme un bâillement.

Plus je la voyais, plus je me disais qu'en fait…

……

même s'il fallait pas le dire à voix haute... elle était sûrement pédophile sur les bords, quelque part.

Satoko gloussait comme une poule que l'on allait égorger, c'était hilarant de la voir dans cet état.

Je regardai autour de moi et vis que la classe entière les observait en rigolant.

... Je parie que Rena le fait exprès...

Et même si ce n'était pas le cas, leurs idioties nous avaient tous remis de bonne humeur, et c'était tout ce qui comptait.

Bon, bref.

Je vais aller arroser ces plantes maintenant, vu qu'elles n'ont pas besoin de moi...

Je partis en marche arrière, doucement, pour ne pas casser l'ambiance, puis sortis sans bruit de la salle de classe.

L'arrosoir était en train de pendre dans la salle d'eau.

Au départ, ce bâtiment appartenait aux Eaux et Forêts, il n'y avait que des hommes ici, alors vous vous doutez bien qu'il n'y avait jamais eu de fleurs.

Mais depuis que l'école y avait pris place, c'était une sorte d'embellissement, une touche pour rehausser le tout, en remerciement.

Sauf que la zone fleurie était plutôt vaste, voyez-vous.

Il y en avait par-ci par-là.

Des arcs de cercle, des contours, des volutes...

Il fallait au moins utiliser six ou sept pleins d'arrosoir pour donner de l'eau aux plantes.

Aujourd'hui, il y avait aussi un autre élève de corvée, mais c'était l'une des plus jeunes filles de la classe.

Elle n'arriverait probablement pas à lever l'arrosoir plein d'eau.

Je ne pouvais pas lui laisser ce travail sur les bras...

Si seulement elle avait été plus grande... généralement, les filles aiment arroser les plantes, alors elles le font sans vous demander votre aide ni votre avis...

Keiichi

— Bon,

il serait temps de le faire.

Je pris un arrosoir plein et me dirigeais vers la porte principale lorsque qu'un employé communal m'interpela.

Homme

— Ah, eh gamin ? Il y a un petit jardin derrière la salle des équipements.

Il est assez mal en point.

Tu peux aller leur donner de l'eau aussi ?

Keiichi

— Ah, le jardin du curry ?

Avec les patates et les carottes ?

Je suis sûr que c'était la maîtresse qui avait fait planter ce jardin, elle était tellement folle de curry...

Mais utiliser les élèves pour l'entretenir, c'était un peu un abus de pouvoir...

Seulement allez lui dire ça en face si vous l'osez... moi pas.

Le soleil tapait fort.

Le concert des grillons me rappelait qu'aujourd'hui était un jour comme les autres, comme l'avaient été hier et avant-hier.

En passant à côté de la salle de classe, je remarquai que Rena et Satoko avaient commencé un match de catch. Mais où allaient-elles chercher tout ça ?

Elles avaient placé les tables sur les côtés pour construire le ring, et les autres élèves les encourageaient du dehors.

... Ouais, c'était ce qu'il fallait.

Après l'école, de toute façon, il nous faudra retourner à la réalité et parler du maire.

Autant penser à complètement autre chose à l'école, tant que possible, et passer une journée normale et insouciante.

Je rigolai doucement en les regardant mimer les manchettes et les coups de pieds arrières retournés-dans-ta-face-que-tu-te-les-prends-t'as-la-tronche-défoncée...

Au pire elle pourrait faire tomber une table, et après ?

Eh, mais c'est ma trousse ! Oh ! MAIS !

Hmmmm, ça passera pour cette fois, mais c'est bien parce que j'ai plus important à faire...

Je me dépêchai de remplir mon office, pressé d'en finir.

Enfin, fini ! ou pas.

Il y avait encore le jardin.

Keiichi

— J'ai franchement pas envie, mais il vaut mieux le faire si je ne veux pas avoir d'ennuis plus tard...

Résigné, je remplis à nouveau l'arrosoir et me rendis derrière la salle des équipements.

C'était un endroit toujours humide, plein d'insectes et de limaces, et les autres élèves n'aimaient pas trop s'en approcher.

Alors lorsque je croisai Rika dans ce lieu si peu engageant, je peux vous dire que j'ai été très surpris.

Keiichi

— Ouoh !

Haah, Rika, tu m'as fais une de ces peurs...

Mais t'es pas bien de surprendre les gens comme ça ?

Elle ne bougea pas, perdue dans ses pensées. On aurait dit une poupée.

J'étais finalement le seul à m'étonner.

Apparemment, ma présence n'avait pas l'air de l'intéresser le moins du monde.

Keiichi

— ... Rika ?

Enfin, elle me remarqua.

Lorsqu'enfin elle me regarda, je remarquai que quelque chose clochait.

Ses yeux étaient rouges et ses joues étaient sales, pleines de larmes et de terre.

Elle avait de l'herbe dans les cheveux et ses habits étaient froissés, comme si elle était tombée.

Keiichi

— Rika !

Mais... tu es blessée ?

Tu es tombée ?

Rika

— *sniff*

Non…

vous n'y êtes pas… Pas du tout.

Elle s'essuya les yeux et essaya de paraître joyeuse.

Mais je ne pouvais pas la croire, ce n'était pas normal.

Keiichi

— Que s'est-il passé ?

Ne me dis pas que tu étais sur le toit pour dormir et que tu es tombée ?

Rika

— Je vais bien, ce n'est pas grave.

Il y a plus important ; j'ai une question à vous poser, Keiichi.

Elle se jeta tout contre moi, passant ses bras autour de mon torse et se serrant très fort contre moi.

Au début, je pensais qu'elle voulait s'empêcher de pleurer ou au moins m'empêcher de la voir craquer.

Mais je finis par comprendre qu'elle faisait cela pour que je ne puisse pas m'enfuir sans répondre à sa question... et ça me mettait mal à l'aise.

Un frisson d'horreur me parcourut.

Keiichi

— Mais…

qu'est-ce que tu me veux ?

Elle leva la tête et me regarda droit dans les yeux.

À croire qu'elle essayait de lire la réponse dans mon regard, sans avoir à poser la question.

C'était une perspective terrifiante.

Incapable de soutenir son regard, je détournai les yeux.

Rika

— Keiichi.

Le soir de la cérémonie... est-ce que vous avez fait quelque chose de mal ?

Je me mis à trembler de partout.

Normalement, j'aurais été le seul à m'en rendre compte, mais Rika se pressait tout contre moi -- elle devait le sentir.

Une peur indicible, comme un mauvais pressentiment, me remonta le corps des pieds jusqu'à la colonne vertébrale, tout le long jusqu'au cervelet.

Rika

— Keiichi,

vous ne vous souvenez vraiment pas ?

— ...

Je restai figé.

Je ne savais plus quoi faire ni quoi dire.

Mion m'avait posé la question.

M. Ôishi m'avait posé la question.

Shion m'avait posé la question.

Et maintenant... Rika me posait la question.

Je pensais que personne ne serait au courant, mais en fait…

si ça se trouve, tout le monde le sait ?

Ils le savent tous et toutes, et ils viennent me le demander.

Ils ont peut-être l'intention de me poser la question jusqu'à ce que j'avoue ?

À bien y réfléchir... il paraissait évident qu'ils étaient tous parfaitement au courant.

La meilleure preuve, c'était que Tomitake et Takano étaient morts...

Rika

— ... Keiichi ?

Qu'est-ce que je dois lui répondre ?

Je regrettai de tout mon cœur être entré dans ce temple, mais ce n'était sûrement pas suffisant.

Je savais déjà à peu près quelle réponse sortirait de ma bouche.

Keiichi

— Ben... tu sais, je suis pas très bien élevé.

Je fais tellement de mauvaises choses déjà en temps normal, alors...

J'en étais sûr... encore une fois, j'essayais de répondre à côté de la plaque.

Rika me regarda avec un regard si pur, si intense, si innocent...

Je ne pus le soutenir.

Nous restâmes silencieux un moment, puis elle me lâcha.

Rika

— Excusez-moi de vous avoir posé la question.

Oubliez-ça, soyez gentil...

Elle me fit un petit sourire.

Puis elle se retourna et s'en alla en courant à petits pas, comme si de rien n'était.

Elle ne dit pas un mot, mais j'eus la nette impression que ce silence me faisait de lourds reproches.

Je n'arrivai pas à terminer ma phrase.

...

Keiichi

— Rika, attends !

Je m'étais préparé : si elle ne m'entend pas, je laisse tomber.

Mais Rika m'entendit.

Elle se retourna et attendit la suite sans rien dire.

C'était pourtant moi qui avais envie de lui poser quelques questions.

Mais le fait de lui poser ces questions, c'était un peu reconnaître ma faute...

Keiichi

— Dis-voir... En fait... Hmmm...

Rika

— Oui, quoi ?

Si de toute façon elle est au courant, je peux bien lui demander une chose...

Pourquoi ils veulent tous savoir ce qu'il s'est passé cette nuit-là ? Pourquoi me le demander à moi ?

C'est si grave que ça,

ce que nous avons fait ce soir-là ?

Je veux dire, je regrette, et puis j'ai juste regardé, quoi...

On n'a touché à rien, on n'a rien volé, rien cassé...

Vraiment, quoi !

Et pourtant... Tomitake et Takano ont connu une fin atroce.

Si eux ont dû payer un tel prix, alors il n'y avait aucune raison pour m'épargner moi...

Keiichi

— ... ... ...

Rika pencha la tête sur le côté avec une petite mimique craquante, et attendit derechef.

Mais si j'avoue... peut-être qu'elle changera du tout au tout ?

Ben oui, après tout...

C'est la prêtresse du temple Furude.

En théorie, c'est la dernière personne qui peut se permettre de faire preuve de clémence à mon égard.

Mais alors, lui avouer à elle, ce serait pire que d'avouer à Mion ou à l'inspecteur, d'une certaine manière... Non ?

Keiichi

— ... ... ...

Rika aurait pu se lasser d'attendre et partir.

Et pourtant, elle restait là.

Sérieuse, tranquille, patiente, silencieuse, elle attendait obstinément pour savoir ce que j'allais lui dire.

Il faudrait lui dire, Keiichi.

Dis-lui que tu regrettes. Présente-lui tes excuses, demande-lui pardon.

La mort de Mme Takano était suffisamment monstrueuse pour faire réfléchir n'importe qui.

Tel un broyeur mécanique, le désarroi effaçait la raison dans mon cerveau...

Après avoir réduit mes cellules grises en purée liquide, elles devinrent une sueur froide et épaisse qui se mit à couler sur tout mon corps.

Rika

— Keiichi...

Rika leva la main vers ma tête pour me la caresser.

Rika

— Je ne sais pas trop ce qui vous tracasse.

Je ne savais pas quoi lui dire.

Je baissai légèrement la tête et sa main put atteindre mon crâne.

Elle me caressa la tête, un peu comme on caresse un chat. C'était bizarre.

Rika

— Lorsque l'on se promène un peu dans le parc, derrière le temple principal, il y a une grande remise en bois.

C'est le temple des reliques sacrées, vous connaissez ?

Je fus incapable de respirer.

Pourtant, Rika ne semblait pas vouloir me mettre spécialement la pression.

Rika

— Il semblerait que des chats sont entrés dans ce temple le soir de la cérémonie.

Keiichi

— Des chats ? C'est-à-dire ?

Rika

— Eh bien,

des chats.

Miaou, miaou.

Rika savait.

Elle savait que j'avais peur.

C'est pour ça qu'elle me parlait par images, pour ne pas trop aggraver la situation.

Rika

— Les chats voulaient entrer dans ce temple depuis longtemps.

Mais je ne leur avais pas montré l'intérieur, par méchanceté.

Alors, le soir de la cérémonie, quand tout le monde regardait ailleurs,

Rika

ils y sont entrés sans rien dire à personne.

Des chats...

Elle parlait de madame Takano et de Tomitake, je suppose.

Ou bien alors... peut-être aussi de moi ?

Rika

— Il se trouve que dans le temple, il y avait des tas de choses effrayantes.

Rika leva les deux avant-bras devant elle en tirant la langue, comme un fantôme.

Rika

— Les chats ont failli mourir de peur.

Alors ils sont partis en courant dans tous les sens, et des shhhh, et des schliiiing, et des rrrrrrr, et des miaous, et des ronrons, c'était assez confus.

Keiichi

— Mais, c'est qui ces chats ?

Rika

— Les chats sont les chats.

Miaou, miaou !

Rika ne voulait pas dire les choses telles qu'elles étaient.

Mais alors... elle parle aussi de moi ?

Keiichi

— Rika…

S'il te plaît, il faut que je sache...

Ils sont censés faire quoi, maintenant, ces chats ?

Je savais que c'était bien fait pour ma poire.

Et avec cette question, j'admettais ma faute à demi-mots.

Rika

— Bah, un chat est un chat, vous savez. À part faire miaou ou ronron, il n'a pas de souci à se faire dans la vie.

Keiichi

— Mais enfin, c'est pas sérieux !

Rika

— Pourquoi, vous pensez qu'il devrait faire plus que cela ?

Elle était bien consciente qu'à mots couverts, nous menions une discussion sérieuse.

Je n'avais pas avoué…

et pourtant, d'une certaine manière, j'avais reconnu les faits.

Mais je n'ai pas envie de finir comme les deux morts.

Je n'ai aucune envie d'être sacrifié...

C'est pour ça que j'avais décidé de me taire et de faire comme si je ne savais rien, au début.

Mais maintenant, ce n'était franchement plus possible...

Keiichi

— Non, Rika, en tout cas, l'un des chats ne peut pas se contenter de miauler.

Parce qu'en fait... des chiens l'ont vu entrer dans ce temple.

Rika

— Des chiens...

Keiichi

— Oui,

des chiens.

Et ils viennent voir le chat tous les jours en le menaçant, en lui disant d'avouer qu'il avait fait des bêtises, qu'il était entré en cachette.

Rika

— ... ... ...

Pour la première fois, Rika avait l'air perturbée.

Oh, elle faisait son possible pour ne pas me le montrer, mais je pus distinguer sans problème une ombre dans son regard.

Keiichi

— Rika...

Le silence m'était insupportable. Je devais la forcer à me répondre.

Mais Rika me montra alors un grand sourire.

Rika

— Ne vous en faites pas.

Je protégerai le chat contre les chiens.

Hein ?

Je n'en croyais pas mes oreilles. Elle a bien dit ce que je pense ?

Rika

— Le chat a l'air terrorisé, mais il n'est pas vraiment en danger.

Je crois que ces chiens ont mal interprété ce qu'il s'est passé et qu'ils se font des films.

Keiichi

— Comment, il n'est pas vraiment en danger ?

Rika

— Ce chat est un grand peureux.

Mais je saurai le protéger, vous verrez. Je me débrouillerai.

Comment ça... Mais que pourrait-elle bien faire ?

Bizarrement, sa présence et ses mots me semblèrent rassurants.

Rika

— Ce ne sera pas facile, mais je ferai de mon mieux.

Courage ! Je ne dois pas me laisser abattre !

Elle serra le poing et le leva bien haut vers le ciel.

Elle pensait que le chat pouvait se cantonner à miauler pour régler ses problèmes.

Elle me demandait de la laisser faire.

Mais est-ce que c'était vraiment suffisant ?

Keiichi

— Mais... tu es sûre que... tu t'en sortiras ?

Rika

— Si je ne fais rien, les chiens risquent de compliquer les choses encore plus.

... Je ne compris pas ce qu'elle voulut dire par là.

Rika me parlait en partant du principe que je savais certaines choses.

C'est pourquoi je pouvais suivre la conversation au début.

Mais alors là, j'étais complètement paumé.

Je n'avais compris qu'une seule chose…

je n'avais aucun souci à me faire, je devais simplement la laisser s'en occuper.

Rika se remit encore une fois sur la pointe des pieds pour me caresser la tête, puis me fit un petit sourire.

J'ai un peu honte de le dire... mais j'en ai eu les larmes aux yeux.

Keiichi

— Je... je suis désolé, Rika.

Tu sais, ce chat... il voulait juste s'amuser... il pensait pas à mal.

Il savait pas que ça allait déclencher tout ça...

Rika

— Ce chat a peur de tout.

C'est pour ça que je ne voulais pas lui montrer ce temple.

Elle avait raison.

Il fallait être pas normal dans sa tête pour visiter ce temple de son plein gré.

C'est bien pour ça qu'il y avait un cadenas, pour empêcher les curieux d'entrer facilement...

Keiichi

— Rika…

Ce chat, d'après toi, que va-t-il lui arriver ?

Il n'était pas tout seul ce soir-là, deux de ses amis sont déjà... ils ont été...

...

Leurs morts étaient tenues secrètes.

Elle ne savait peut-être pas ?

Rika

— Vous parlez de Tomitake et de Takano ?

Je la regardai avec de grands yeux,

surpris et choqué de la voir sortir leurs noms sans broncher.

Rika

— ... Vous feriez mieux de les oublier.

Un frisson parcourut à nouveau ma colonne vertébrale.

Keiichi

— Co-comment ça, les oublier ?

Rika

— Oui, les oublier.

Ce n'est pas bon pour vous de penser à eux.

Plus vous y réfléchissez, et plus vous avez peur.

Alors je vous conseille de les oublier le plus vite possible.

Le sourire aux lèvres, sur le ton le plus naturel au monde, Rika racontait des choses terribles...

Rika

— Je ne sais pas où vous l'avez su, mais vous feriez mieux de vous nettoyer les oreilles jusqu'à ce que vous ayez tout oublié.

Keiichi

— Mais enfin, Rika, tu sais bien comment…

je veux dire, la manière dont ils sont morts était…

Rika

— La façon dont ils sont morts importe peu, cela ne vous regarde pas.

Elle avait eu la force et le culot de le dire.

Ça ne te regarde pas.

Alors oublie.

Je pensais avoir une petite fille sage et innocente devant moi, mais en fait, elle réservait bien des surprises.

Ne te mêle pas de cette affaire.

Mais ne t'en fais pas, je sauverai ta peau.

Ces paroles ne convenaient pas au personnage. Je ne savais plus quoi penser d'elle.

Keiichi

— Et... et Shion alors ?

Que va-t-il lui arriver ?

C'était peut-être dangereux d'en parler...

Mais je ne pouvais en rester là.

De toutes manières,

Rika devait être déjà au courant...

Rika

— La petite chatte ?

Miaou, miaou.

Keiichi

— Euh, oui.

La plus jeune.

Rika se mit à y réfléchir un petit moment.

Son silence était insupportable.

Rika

— Sa grande sœur est en colère.

Ouh là là, oui, elle est vraiment en colère.

Keiichi

— Mais alors, tu parles de...

Je me souvins des questions de Mion hier.

Rika parlait de Mion.

Rika

— Keiichi.

La grande sœur n'est pas vraiment d'humeur en ce moment.

Vous devriez la laisser tranquille pendant quelques temps.

Elle n'est pas d'humeur... Je ne voulais pas savoir ce qu'elle pouvait faire dans ces moments-là.

Mion est en colère, donc.

Elle est furieuse que nous soyons entrés dans ce temple.

Rika

— À partir d'aujourd'hui, vous serez privé de club.

Keiichi

— Hein, quoi ?

Mais pourquoi ?

Rika

— ... Je viens de vous le dire, j'aimerais que vous la laissiez tranquille pendant quelques temps.

Elle n'avait pas l'air de vouloir me laisser le choix.

Eh, Keiichi Maebara, joue pas au con.

C'est pas le moment de te rebeller contre elle.

Rika est la seule qui a promis de te sauver.

Alors fais ce qu'elle te dit, et laisse-la s'en occuper. Elle l'a dit pourtant, non ?

Le chat n'a qu'à faire miaou et ronron, il n'a pas d'autres soucis dans la vie...

Ouais... ouais, je crois que je vais tout oublier.

Je vais compter sur elle.

Je vais oublier tout ce que j'ai fait, vu et entendu ce soir-là !

J'entendis alors au loin la cloche du directeur qui sonnait la fin de la pause midi.

Keiichi

— Bon... Il serait temps de retourner en classe.

Rika

— Un instant, Keiichi.

J'avais cru pouvoir repartir vite en classe pour oublier cette histoire, mais Rika avait vu à travers mon jeu...

Rika

— Si les chiens devaient essayer de mordre le chat, prévenez-moi le plus vite possible.

Les chiens...

Je fus pris d'un frisson d'épouvante. Elle disait cela de la manière la plus édulcorée possible, mais la réalité des faits dont elle parlait était toute autre...

Keiichi

— De quels chiens tu parles au juste ?

Rika

— Les chiens qui ont mordu le maire, par exemple.

Je ne comprends pas trop pourquoi ils l'ont mordu.

Ils auraient dû aller d'abord mordre les chats restants.

Le sang se glaça d'un seul coup dans mes veines.

Rika savait pertinemment.

Elle savait que les prochaines victimes de ces actes barbares…

seraient Shion et moi-même.

Je comprenais de moins en moins qui au juste était cette petite fille devant moi.

Le doute et la peur s'installèrent en moi... et n'étaient pas loin de se transformer en colère.

Était-elle le Messie ?

Ou bien une créature étrange qui attendait son heure avant de m'exécuter ?

En l'état actuel des choses, impossible de me prononcer...

Rika

— Je vous demande pardon.

Je savais que le chat était un grand peureux, et pourtant je lui ai dit des choses qui lui ont sûrement fait très peur.

Je vous demande pardon.

Elle se courba et baissa la tête.

Elle avait en tout cas raison, j'étais terrorisé.

Je sentais mon corps trembler de partout.

Lorsqu'elle tendit la main pour me caresser la tête, je rentrai, par un réflexe malheureux, la tête dans les épaules...

Rika

— ...

Keiichi

— Je... Désolé, je... pardon...

Son regard se teinta d'une peine immense, mais je n'eus pas le courage de la laisser me caresser à nouveau...

Plus tard ce jour-là, Rika annonça qu'elle n'avait pas la tête à jouer.

Elle refusa tout net de participer au club.

Rena et les autres furent très déçues.

La grande sœur n'est pas vraiment d'humeur en ce moment.

Me rappelant ce que Rika m'avait dit plus tôt, je me mis à observer discrètement Mion.

Mais si l'on faisait abstraction de son interrogatoire la veille, Mion me semblait se comporter comme tous les jours...