Je me trouvais sur le chemin du retour.
Le chant des cigales faisait ressortir la fraîcheur du soir.
Il était bien plus tard que je ne le pensais.
L'orange et l'ocre remplaçaient implacablement le bleu outremer.
Fatigué de gravir la côte qui menait à Hinamizawa, j'étais descendu de mon vélo et le poussais désormais.
— ... ... ...
Je ne comprenais plus rien à ce qu'il m'arrivait.
Personne ne m'avait dit en face que j'avais fait quelque chose de mal.
En fait, je crois même que ça m'aurait rassuré.
Ce qu'il s'était passé hier... était seulement le résultat de ma curiosité.
C'était censé être juste une petite cachotterie, un peu comme les enfants qui traversent au feu rouge à plusieurs pour avoir moins peur.
À bien y réfléchir, il y avait des tas d'objets horribles dans ce temple.
Pas étonnant que l'entrée soit interdite. Seuls les membres du clan des Furude avaient le droit de s'y rendre.
Mais en fait, la nature de ce qu'il y avait dans le temple ne pouvait pas me servir à justifier ce que j'avais fait.
Mion avait l'air de savoir ce que nous avions fait tous les quatre.
Et apparemment, je ne sais comment, la police aussi était au courant.
Mais alors, on avait vraiment fait quelque chose de mal ?
Il faut croire que oui.
Et probablement même bien pire que ça.
J'avais commis une faute.
C'était la dure réalité des faits.
Et pourtant, je n'arrivais pas à l'accepter, j'avais même été jusqu'à mentir à ce sujet… Peut-être que si je m'excusais, les gens me pardonneraient ? Il faudrait être convaincant...
Hier, j'ai fait quelque chose de mal.
Au mépris du respect le plus élémentaire, je suis entré par effraction dans un lieu de culte.
Je vous promets d'oublier ce que j'ai vu.
Et je vous jure que je ne recommencerai plus.
Je vous demande pardon. Je vous demande pardon. Je vous demande pardon...
Hmmm. Il faisait de plus en plus frais.
Apparemment, même l'air du soir ne voulait plus de moi -- pourquoi sinon me forcer à marcher plus vite, si ce n'était pour me faire rentrer plus vite à la maison ?
Sauf que mine de rien, il avait tout à fait raison de faire ça.
Après tout, mes excuses n'y changeraient rien, alors pas la peine de rester dehors à préparer la meilleure manière de faire amende honorable.
Je ferais mieux de rentrer à la maison.
Je ferais mieux de monter dans ma chambre et de me coucher en mettant un peu de musique.
Je suis sûr que ce serait tellement banal que ça me rassurerait après tout ce que j'avais vécu aujourd'hui.
— ... ... Pouh...
Ma décision prise, je réenfourchai mon vélo et me mis en route.
Je pédalais fort.
De plus en plus fort.
De plus en plus vite.
Le vent frais du soir était une bise glacée sur mon visage, mais je la pris comme une punition bien méritée, et c'était plutôt agréable...
Je n'eus pas beaucoup d'appétit ce soir-là, et me retirai presqu'aussitôt dans ma chambre.
Un peu plus tard, j'entendis ma mère m'appeler d'en bas.
— Keiichi,
téléphone pour toi.
Une certaine Sonozaki.
Sonozaki ?
Mion ?
Hmm, non, probablement Shion, en fait.
Après tout, elle m'avait dit cet après-midi qu'elle me rappellerait ce soir.
Comme l'inspecteur s'était incrusté, elle n'avait pas pu me parler cet après-midi.
D'où son appel maintenant...
— Oui allô ?
Shion ?
— Salut.
Pas eu de chance, aujourd'hui, hein ?
Sa petite phrase eut le don de m'énerver.
Elle m'avait laissé en plan, c'était un peu de sa faute !
— Allons, allons, cherche pas d'excuses.
Je t'ai fait un signe de tête, mais tu n'as pas réagi.
Tu es resté planté là comme un idiot.
— Comment tu peux dire une chose pareille ?
Tu t'es barrée en moins de deux, j'ai dû rester avec lui, après !
— Pas la peine de t'en plaindre à moi, j'y suis pour rien.
Elle manque pas de culot, quand même.
Finalement, elle n'était pas du tout comme Mion.
D'un seul coup, je me rendis compte qu'en fait, j'estimais normal de la voir réagir comme sa sœur. En fait, j'étais vraiment un idiot…
— Ok, comme tu voudras.
La prochaine fois, je me barre sans rien dire, on verra comment tu réagiras.
— Eh, ladies first, hein. S'te plaît ?
Ahahahahaha !
C'est seulement en l'entendant rire de si bon cœur que je compris qu'elle n'était pas spécialement énervée après moi.
Hmm, elle a raison.
J'étais de mauvaise humeur parce que j'étais resté avec l'inspecteur, mais je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même, j'aurais pu tout aussi bien me barrer en courant.
Il faudrait arrêter de rejeter tout le temps la faute sur les autres.
Et aussi apprendre à assumer...
— Bon, bref... Tu voulais me parler de quoi, alors ?
— Euh…
ben écoute, si tu es déjà au courant, c'est pas le genre de trucs que je veux ressasser...
Hum…
Est-ce que... t'es au courant ?
Shion parlait d'une toute petite voix, comme si elle avait peur des oreilles indiscrètes.
Si je suis au courant ? Je dois dire que ça m'aidait pas beaucoup.
— Ben désolé, mais je vois pas du tout de quoi tu parles.
T'as pas un indice à me donner ?
— ... Donc…
t'es pas au courant.
Je vois pas pourquoi elle peut en déduire ça.
Sa voix, par contre, était toujours basse et sérieuse.
— En fait…
le soir de la purification du coton...
Oh non, elle va pas s'y mettre aussi ?
J'eus des sueurs froides dans le dos.
— Allô ?
Kei, tu m'écoutes ?
— Ouais,
je suis là.
Alors quoi, hier ?
— Ben... on est entrés... tu sais où, tous les quatre.
C'était pas agréable à entendre... mais c'était la vérité.
Je ne pouvais pas revenir en arrière là-dessus...
— Et ensuite, on s'est promenés, et on s'est séparés près des marches, tu te souviens ?
Takano est allée près de la rivière avec Tomitake, et nous sommes restés là.
Puis je suis partie avec des gens de ma famille.
— Oui,
et alors ?
— Écoute, si tu réponds par d'autres questions, on ne va pas réussir à parler beaucoup, alors… Je vais commencer par une question.
Tu veux bien ?
— Laisse-moi deviner, “Est-ce que tu as vu Takano et Tomitake hier soir ?”, c'est ça ?
— Hein ?
Oui, c'est ça.
Tu les as vus, après ?
Je dois dire que j'étais vraiment surpris.
C'était la troisième fois aujourd'hui.
Mais pourquoi,
bon sang ?
— Mais pourquoi ?
C'est quoi cette histoire, enfin ?
— Bordel, Kei,
RÉPONDS à la question,
je t'en demande pas plus.
— Mais toi, tu les as vus ?
Réponds et je répondrai !
Ma voix tremblotait comme une chèvre. Je commençais sérieusement à avoir peur.
Shion resta silencieuse pendant un bon moment.
J'étais en train de me demander si je l'avais vexée ou si j'avais dit une connerie, quand enfin elle se décida à répondre.
— Je ne les ai plus vus, tu t'en doutes.
Les membres de ma famille peuvent témoigner.
— Moi non plus je les ai plus vus.
Si tu veux des preuves... bah Mion ou Rena peuvent témoigner.
Satisfait de voir que nos réponses concordaient, je poussai un long soupir de soulagement. À l'autre bout du fil, Shion aussi.
— Merci d'avoir répondu franchement.
Bon, ben alors, tiens-toi bien, d'accord ?
Il paraît qu'ils sont morts hier soir.
— Attends, désolé Shion.
Je crois que j'ai mal entendu, tu disais ?
— Il paraît qu'ils sont morts hier soir.
On a retrouvé le corps carbonisé de madame Takano.
Et Tomitake s'est suicidé, il semblerait.
Je l'ai su ce matin.
Mon père en parlait au téléphone avec un de mes oncles.
Tard hier soir, une patrouille de police qui était restée jusqu'à la fin du nettoyage et qui rentrait au poste avait trouvé le corps de Tomitake sur la route entre Hinamizawa et Okinomiya.
Il était mort en se suicidant,
en se tranchant la gorge.
— Attends, tu délires, là ? On se tranche pas la gorge pour se suicider !
Et puis même, il respirait la joie de vivre, il était amoureux !
C'est sûrement une erreur !
— Bon écoute, la police a fait une autopsie, d'accord ?
Il s'est tranché la gorge, avec ses propres ongles !
Il a gratté, gratté, et puis il s'est arraché la carotide !
Il s'est étouffé dans son propre sang !
— Nan mais tu me prends pour un idiot ?
C'est pas crédible comme suicide !
Je m'effrayai au propre son de ma voix. Je décidai de changer de ton.
Je raccrochai le combiné principal et pris le transportable avec moi dans ma chambre -- mes parents n'avaient pas besoin d'entendre notre conversation.
— Je m'excuse, j'aurais pas dû te crier dessus.
Alors ?
Et madame Takano, c'est un suicide ?
— Pour elle, c'est pas sûr...
Son corps avait été retrouvé dans les montagnes de la province de Gifu.
Un employé de nuit dans une station avait vu la lueur de flammes sur la colline, alors il avait prévenu les pompiers.
Ce sont eux qui l'avaient trouvée.
L'autopsie a révélé que le corps était celui d'une femme brûlée entièrement.
Les policiers n'arrivaient pas à l'identifier, mais ils ont eu un appel de la brigade d'Okinomiya qui leur a filé un dossier médical, et les empreintes dentaires correspondaient, c'est comme ça qu'on a su que c'était elle.
La cause de la mort n'était pas connue, mais elle était en sous-vêtements, aucun autre effet personnel sur elle. Probablement assassinée.
— Elle était dans un baril d'essence vidé... la police dit que le suicide n'est pas impossible.
— Mais ils sont pas sérieux !
Il y a beaucoup d'autres manières plus simples et moins douloureuses !
C'est pas un suicide !
— Je suis tout à fait d'accord !
Surtout pour Tomitake, ça paraît incroyable !
Après un petit moment passé à soupirer l'un et l'autre, le silence et le calme s'installèrent.
C'est grâce à ce calme relatif
que je compris enfin pourquoi Shion tenait tant à m'en parler...
— Je pense que les gens vont dire que c'est la malédiction.
Il faut dire que nous avons le profil.
— Comment ça “le profil” ?
Atttends, tu peux pas dire ça comme ça ! Et puis d'abord, je...
J'allais lui dire que c'était elle qui m'avait entraîné là-dedans,
mais je me tus.
Ça ne sert à de rejeter la faute sur les autres.
J'aurais pu tout aussi bien refuser de la suivre à l'intérieur.
C'était uniquement de ma propre faute
si la curiosité avait pris le dessus.
— Shion.
Quand on est entrés dans ce bâtiment hier soir, tu as pensé que ça pourrait nous arriver ?
— Bien sûr que non.
Oh, je me doutais bien que certaines personnes viendraient gueuler si elles l'apprenaient, mais de là au meurtre...
Elle disait certainement ce qu'elle pensait vraiment.
Elle voulait juste enfreindre la loi et se griser avec cette sensation de supériorité.
Je comprenais tout à fait cela.
— Mais il y a plus que cela, Keiichi.
Réfléchis-y une seconde.
Tu ne trouves pas que la malédiction est bizarre, cette année ?
Ben, les faits déjà sont super bizarres.
Je ne voyais pas trop où elle voulait en venir...
— La police a retrouvé deux cadavres.
Tu te souviens de ce que je t'ai dit ?
Chaque année, il y a un mort et un disparu.
Mais cette année, curieusement, il y eu deux morts.
— ... Oui, c'est vrai, c'est pas comme les autres fois... mais bon, ça change pas grand'chose.
— Ah, mais si, mon cœur.
Réfléchis.
Ecoute.
Les gens vont dire que les deux morts sont dus à la colère de la déesse Yashiro.
Il va donc falloir lui offrir deux victimes en sacrifice pour l'apaiser.
— Tu penses ?
OK, mais alors, où tu veux en venir ?
Tu crois que deux personnes ont disparu cette année ?
À cet instant, je ne savais pas pourquoi, mais mon dos se raidit.
— Je ne pense pas que les deux personnes aient déjà été enlevées, en fait.
Je pense que ça…
va venir dans les prochains jours.
Je parie qu'elle aussi, elle avait le dos froid et raide en ce moment.
— Tu penses qu'elles vont…
se faire enlever plus tard ?
Shion ne répondit pas.
Je ne savais quoi dire de plus.
Je sentis une fraîcheur, comme une main froide qui remontait de mon ventre à mon torse, qui me saisissait la poitrine et qui massait mon cœur...
— ... ... ...
Nous gardâmes le silence un petit moment.
Tomitake avait ouvert le temple, il était mort. Madame Takano avait exploré l'intérieur, elle était morte, elle aussi.
S'il devait y avoir deux autres victimes...
... alors les deux enfants qui les avaient accompagnés étaient tout désignés, non ?
— ... T'es pas sérieuse ?
Déconne pas, vas-y...
Il n'était pas trop tard, elle pouvait encore me dire que ce n'était qu'une blague...
mais à vrai dire, même moi je n'y croyais plus.
Si Tomitake et Takano étaient morts dans un accident de la route ou dans des circonstances un peu plus normales, j'aurais vraiment cru au hasard.
Mais là... le suicide en s'arrachant la carotide... ou le bain d'essence enflammée... n'étaient pas vraiment des morts normales.
Elles n'étaient pas le fruit du hasard.
C'était un peu comme si... comme si quelqu'un avait voulu prouver quelque chose.
Une sorte de démonstration de force.
Ils sont entrés dans le temple par effraction, et aujourd'hui ils sont morts...
Quelqu'un essayait de faire passer un message aux survivants.
Et pourtant, je n'avais aucune envie d'accepter les faits.
Si je les acceptais, alors je devais reconnaître que j'étais en danger et me préparer à subir des choses horribles. Je devais nier les faits. Même si je savais que je me berçais d'illusions.
— Nan mais attends, là. Pourquoi c'est pas dans les journaux, cette histoire ?
Des meurtres aussi étranges, tu penses bien que tous les journaux et toutes les télés tiendraient l'antenne avec !
Et les journaleux de seconde zone, je te raconte même pas !
— Les médias ne sont pas tenus au courant, voyons.
C'était comme ça aussi les autres années.
Après la troisième fois, les journalistes du dimanche en ont fait leur choux gras.
Les villageois et les autorités locales craignaient pour la tranquillité des habitants et pour l'image de la région.
Alors depuis l'année dernière, la police ne disait plus rien, tout se faisait en secret...
— Le maire et les députés Sonozaki sont allés mettre la pression sur la police.
— Mais alors... leur mort va rester secrète ? Personne n'en saura rien ?
— Oui, probablement.
Oh, la police mènera une enquête, ne t'en fais pas.
Mais bon, les enquêtes secrètes n'ont pas les mêmes droits et les mêmes prérogatives, la police sera très limitée dans ses possibilités de recherche.
Dans les faits, cela va leur mettre pas mal de bâtons dans les roues.
Je n'arrivais pas à y croire.
Des gens étaient morts... et pourtant la police allait faire comme si de rien n'était.
— Pour être un peu plus explicite,
en fait, même si quelqu'un meurt pendant la nuit de la purification du coton, la police ne fait pas suivre l'information au public.
— Mais c'est quoi ces conneries, c'est pas sérieux, oh ?
— Kei...
Je t'ai dit ce que j'en pensais l'autre jour, non ? Je suis sûre que quelqu'un du village se sert de cette légende pour ses propres desseins.
C'est ce que je voulais dire.
Chaque année, cette personne en profite pour tuer quelqu'un,
car elle sait qu'à cause de la malédiction, personne ne dira rien.
Si quelqu'un meurt cette nuit-là... les gens assument automatiquement que c'est la déesse Yashiro qui a frappé.
C'est donc cette malédiction qui en fin de compte, constitue ces meurtres en série.
Et pour ne pas nuire à l'image de la région, l'affaire est étouffée de façon à faire le moins de bruit possible...
— C'est ridicule !
Chaque année, il y a un meurtre et un enlèvement,
la police peut pas rester sans rien faire !
— Si la police faisait chou blanc à chaque fois, je serais d'accord avec toi.
Mais en fait, les affaires sont toujours plus ou moins résolues.
Et donc les événements sont considérés comme indépendants les uns des autres.
Chaque année, comme par hasard après la fête, il se passe des trucs louches,
mais il n'y a aucun élément pour les relier vraiment les uns aux autres.
La première année, les meurtriers ont été arrêtés, sauf un.
Le dernier est toujours en fuite, mais on sait à peu près tout ce qu'il y a à savoir sur l'affaire, elle est plus ou moins classée.
La deuxième année, c'était un accident.
Un accident mortel, certes, mais un bête accident.
La police a cherché partout pour étayer la piste du meurtre, mais ils n'ont rien trouvé.
Affaire classée.
La troisième année, une mort par maladie.
Le médecin qui s'est occupé du patient est très compétent, il a tenté de faire un diagnostic, il a fait des analyses.
Et puis il y a eu l'autopsie, aussi.
Et tout indiquait que ce n'était pas un meurtre.
Affaire classée.
La quatrième année, meurtre d'une femme au foyer.
Le meurtrier était un accro à l'héroïne.
Il avait voulu se marrer pendant qu'il planait et avait essayé de mettre en scène cette malédiction.
Il a tout avoué, mais s'est fait tuer en prison. Donc dans les faits, l'affaire est classée.
Mais oui...
Les affaires n'ont aucun lien apparent hormis la date, et elles ont toutes été plus ou moins résolues.
— Comment tu m'expliques qu'un malheureux hasard se déroule tout les ans pendant la nuit du festival ?
On pourrait se dire que c'est une série d'évènements reliés, mais ils n'ont pas de points communs.
Et pourtant, chaque année, une personne meurt et une autre disparaît!
Je n'y avais pas trop cru quand madame Takano m'en avait parlé le jour des préparatifs, mais aujourd'hui je devais bien admettre qu'elle avait raison.
— Mais alors... nous aussi, nous serons visés, tu penses ?
Pour faire la paire avec les deux morts, tu penses que nous serons enlevés tous les deux ?
J'avais la gorge sèche, et de plus en plus de mal à parler.
Shion ne répondit pas.
Mais son silence me paraissait largement assez explicite.
— Je veux dire... ouais, on est entrés et on n'aurait pas dû.
Mais on a juste regardé, quoi ?
On n'a rien volé, on n'a touché à rien. On n'en a parlé à personne, en plus !
Oui, c'était pas bien de notre part, mais est-ce que cela méritait-il la mort ?
Qui plus est, une mort horrible comme celles-là ?
— Et puis d'abord, c'était pas si intéressant que ça, hein.
Madame Takano était dans son trip, mais pas nous !
C'est de sa faute, et uniquement de sa faute à elle !
J'ai rien à voir là-dedans, moi !
D'façons j'm'en fous de cette légende, et aussi de ce qu'il y avait là-dedans !
Je savais bien que cela ne résoudrait pas le problème.
Mais ça me faisait du bien de me lâcher et de me débarrasser un peu de la peur qui m'oppressait.
— Et puis d'façons, moi je voulais pas y aller !
Je voulais voir la cérémonie de Rika !
C'est toi qui m'as emmené là-bas, je t'avais rien demandé !
Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, se fricoter ou dévaliser le temple, qu'est-ce que j'en avais à foutre, moi hein ?
Mais putain c'est vrai en plus, c'est toi qui m'as dit d'entrer !
T'as dis quoi, qu'il fallait que je sache, tu m'as bien eu !
Et maintenant, tu comptes faire quoi, hein ?
J'ai rien à voir là-dedans !
Alors, quoi ?
Tu comptes faire quoi pour résoudre la situation ?
Tu vas assumer ?
Hein ?
Putain, mais tu vas répondre, merde !
Clic. Tuuut, tuuut, tuuut, tuuut, tuuut...
Sans prévenir, Shion raccrocha.
Mais quel idiot je suis... Elle doit être morte de trouille elle aussi, et moi je lui gueule encore dessus...
Je regrettai amèrement ce que je lui avais dit.
Je me sentais très coupable. Mais elle avait raccroché... il était trop tard pour s'excuser.
Bon sang, mais quel
idiot...
Quand je pense que Shion m'a exprès appelé pour me prévenir de ce qui pourrait m'arriver...
J'ai fait ma tarlouze, en train de lui pleurer dans ses jupons...
Il faut que je la rappelle.
... Elle habite à Okinomiya. Je connais pas son numéro de téléphone.
Et comme j'ai dit à Mion que je l'avais pas vue, je ne pouvais l'appeler pour lui demander son numéro.
Je ne peux même pas la rappeler pour lui demander pardon !
Les remords m'assaillirent derechef, encore plus fort.
Je reposai le combiné et priai.
Avec un peu de chance, elle rappellerait.
Allez, Shion , je t'en supplie...Rappelle-moi ! Rappelle-moi !
Ring ring ring ring ring...
— Oui allô, c'est Keiichi !
Incrédule, je me jetai sur le combiné. Je devais absolument décrocher !
— Pardon ? Excusez-moi, je suis bien chez les Maebara ?
Pardonnez-moi de vous déranger à cette heure si tardive,
c'est Kimiyoshi.
Est-ce que par hasard votre père est là ?
C'était la voix d'une fille qui n'était clairement pas Shion.
J'étais dévasté.
— Je peux vous le passer, si vous voulez.
Je vais l'appeler.
Au moment où j'allais appeler mes parents, l'homme au bout du fil se mit à parler très vite.
— Ah, non, non, ne vous dérangez pas.
En fait... j'appelle juste pour savoir si par hasard monsieur le maire ne serait pas chez vous.
— Euh, je ne crois pas, non, nous n'avons pas de visite, à ce que je sache.
— Ah, eh bien d'accord alors.
Désolé d'avoir appelé si tard,
bonne soirée à vous !
Il raccrocha aussitôt.
Je ne savais pas qui c'était, mais cet idiot m'avait peut-être fait rater l'appel de Shion !
Bon vas-y,
calme-toi, Keiichi Maebara.
Tout ce que tu as réussi à faire, c'est à te mettre Shion à dos.
En même temps, si elle avait eu envie de rappeler, elle serait tombée sur le signal occupé…
Elle a certainement abandonné l'idée de rappeler...
Calme-toi, Keiichi Maebara.
Si elle rappelle, tu dois rester zen et commencer par lui présenter des excuses.
Elle comprendra sûrement, va...
... ... ...
Ce soir-là, j'attendis longtemps encore devant le téléphone…
Mais il ne sonna plus.