Rena

— Aaah, ça y est, Keiichi est là !

Bonjour Keiichi, en forme ce matin ?

Lorsque je vis les filles ce jour-là, Rena était surexcitée et sautillait sur place.

Keiichi

— Comment ça “ce matin” ? On est déjà tard dans l'après-midi,

c'est même presque le soir, maintenant !

Rena

— Mais oui, mais moi, c'est la première fois que je te vois aujourd'hui...

Keiichi

— Oui, ok, d'accord, comme tu voudras.

Et toi Rena, en forme “ce matin” ?

Je lui chopai le crâne et lui ébouriffai les cheveux.

Elle ronronna de plaisir, comme un petit chat.

Mion

— Yo, salut Kei !

Désolée d'être rentrée sans rien dire, hier.

Keiichi

— Aaah, nan, c'est moi qui devrait m'excuser,

je t'ai fait poireauter un bout de temps, non ?

Rena

— Ah, vous parlez des préparatifs ?

Alors, c'était comment, Keiichi ?

Tu as bien travaillé, à ce que je vois ?

On dirait bien qu'elle a remarqué que j'avais mal aux muscles un peu partout...

Mion

— Oh, il s'est donné du mal.

À la fin, il était complètement raplapla !

Elles éclatèrent de rire et je les enjoignis, mais mon rire à moi était un peu plus jaune.

Keiichi

— Où sont Rika et Satoko ?

On les voit seulement directement là-bas ?

Rena

— Oui.

Rika a un rôle important à jouer pour la cérémonie, alors elle est restée là-bas depuis hier.

Satoko est censée l'aider entre-temps, donc normalement elles y sont déjà toutes les deux.

Ah, mais oui !

Aujourd'hui, c'est le grand jour pour Rika.

Elle s'est entraînée dur rien que pour ce soir.

Il faut absolument que je voie ça !

Keiichi

— OK, alors allons-y !

魅音

— OUAIS !

Plus nous approchions du sanctuaire et plus les gens étaient nombreux. Puis vinrent les premières voitures stationnées...

Et enfin, la musique de la fête commença à parvenir à nos oreilles.

Je n'arrivais plus à me contenir, je voulais y être le plus vite possible ! Je gravis les marches qui menaient au temple deux par deux...

Rena

— Keiichi, attends, tu vas trop vite !

Attends donc !

Mion

— Roh, Kei, mais t'es un vrai gamin, c'est pas possible !

J'arrivai au sommet. La vache ! Il y avait un de ces peuples, mes aïeux ! Et toutes ces couleurs !

Rena

— Ouah, c'est magnifique ! Super !

Mion

— Je parie que presque tout le village est ici.

Mion

Tiens, mais c'est le doyen des Kimiyoshi, là-bas !

Il est si vieux qu'il ne sort plus de son lit. D'ailleurs, la dernière fois qu'il s'est levé, c'était pour la fête l'année dernière, je crois bien…

Effectivement, je n'avais jamais vu le vieillard en question, et beaucoup des gens que je voyais m'étaient inconnus.

Je suppose qu'ils avaient tous fait l'effort exceptionnellement.

Rena

— Ah,

là-bas, c'est Satoko !

Ooohéééé !

Satoko

— Tiens donc, vous êtes là ?

Bonjour à vous, mes chers !

Keiichi

— Salut, Satoko.

Dis-donc, il y a un sacré peuple aujourd'hui ! Fais attention à ne pas te perdre, hein ?

Satoko

— Mais quel toupet ! Je n'ai plus l'âge de me perdre dans la foule, espèce de rustre !

Elle réagit au quart de tour, parfait ! Elle est aussi pressée que moi d'en découdre, on dirait…

Rena

— Et alors, où est Rika ? Elle devrait avoir encore du temps libre avant la cérémonie, non ?

Satoko

— Rika est allée recevoir officiellement M. le maire, et en profitera pour dire bonjour aux gens importants du village.

Mais je pense qu'elle en aura bientôt fini.

Hmm, c'est la prêtresse, c'est elle qui a le plus de responsabilités ce soir.

C'est un peu comme si elle était la maîtresse de maison ce soir, en fait... Ça doit pas être facile, comme rôle.

Rika

— ... Non, vous avez raison, ce n'est pas facile du tout.

Et bonjour, accessoirement.

Rena

— Ouah... Hauuuuu !

Rika-chaaaaan !!

Je-j-JE LA RAMÈNE À LA MAISON !

Rika se tenait devant nous, portant un habit traditionnel de prêtresse, beau comme neuf et parfaitement à sa taille.

Il faisait ressortir son côté mystérieux à la perfection !

Mion

— Alors, il est comment ?

Pas trop grand ?

Ma grand-mère m'a donné quelques épingles pour le cas où les manches tomberaient trop.

Rika

— Non, pas de problème.

C'est vraiment impeccable.

Rika fit quelques mouvements d'échauffement pour montrer à quel point elle était bien dedans.

Rena

— Meuh c'euh trop meugnon, elle est toute mimii,Hau !

Son charme avait déjà fait une victime -- dont je tairai le nom par politesse -- qui saignait abondamment du nez.

Rena

— Et toi, Keiichi, tu ne la trouves pas chou, alors ?

Alors s'il n'y a pas de compétition, je peux la ramener à la maison, hein ?

Keiichi

— Ah, mais elle est super mignonne, je trouve.

Ça lui va très bien.

Je suis presque tenté de faire semblant d'être de sa famille et de la prendre en photo sous tous les angles.

Keiichi

Et avec les photos de plusieurs points de vues, je pourrais reconstituer une image holographique... Moui, et comme ça je pourrais la mang- euh, je veux, la regarder tous les soirs !

Rena

— Hauuuuuu ! Mais c'est une super idée, ça !

Des étoiles dans les yeux, la bave aux lèvres, saignant du nez, Rena -- et moi-même -- restions fascinés par Rika.

Satoko

— Ma chère, je vous conseille de rester sur vos gardes avec ces deux-là dans les parages...

Rika

— Oui, je ne voudrais pas me retrouver enchaînée dans une cave secrète repeinte en jaune.

Mion

— Ahahahahaha !

Tu n'as pas l'air d'en avoir peur, on dirait presque que tu t'en réjouis !

Rika

— ... Mii, il y a des choses avec lesquelles il ne faudrait pas plaisanter.

Nous éclatâmes tous de rire.

Mion

— Bon, ben on n'a pas que ça à faire non plus, alors en route !

Tu n'as pas beaucoup de temps, Rika, c'est bien ça ?

Keiichi

— Ouais, c'est vrai. Allez, c'est parti !

Membres du Club

— OUAIS !

Forain

— Salut !

V'la-t-y pas la Sonozaki !

Venez donc manger !

Des nouilles sautées avec du porc, ça vous va ?

Je peux rajouter des rondelles de poulpe !

Mion

— Salut le vieux !

Tu as même du poulpe dans les nouilles ?

Dis-donc, ça marche fort les affaires, cette année !

Rena

— Hmmm, ça a l'air très bon !

Keiichi

— Ouais. Et puis l'odeur est très agréable, elle donne faim !

Et la chair est un peu al dente, pas trop dure mais pas molle.

Toute cette viande, il y a de quoi manger !

Ouais, c'est pas mal du tout !

Mion

— Ouohho,

Kei, je savais pas que tu étais dégustateur professionnel ! Tu t'y connais ?

Rena

— Une chose est sûre,

quand il mange et qu'il aime, son sourire fait tellement plaisir à voir que du coup, ça paraît encore meilleur !

Keiichi

— Je ne mens jamais sur la nourriture, si je vous dis que c'est délicieux, c'est que c'est délicieux, point barre.

Keiichi

Il faut être honnête là-dessus. Si je trouve quelque chose de bon, je vous conseille automatiquement de goûter.

Rika

— Eh bien alors,

résumez-nous le fond de votre pensée sur ces nouilles sautées.

Keiichi

— Ben, pour aller à l'essentiel…

Elles sont super bonnes !

Si j'avais plus qu'un seul estomac, j'en prendrais tout de suite une autre portion !

D'un seul coup, les gens firent la queue pour venir en acheter. Cool…

Mion

— Eh ben, impressionnant !

Tu donnes vraiment envie aux gens de venir ! Chapeau !

Je devrais pas m'en vanter, mais j'étais assez fier de moi sur ce coup-là.

Je bombai le torse.

Satoko

— Ah oui, vraiment ?

Alors je vais essayer.

Monsieur, je prendrai bien une barquette de beignets de pieuvre.

Du stand d'à côté, Satoko se fit servir quelques beignets tout chauds. Elle souffla un peu sur l'un d'entre eux puis l'engloutit.

Rena

— Alors, Satoko ?

Si tu dis que c'est bon, j'en prendrai aussi !

Satoko se mit à mâcher petit à petit,

puis consciencieusement.

Enfin, elle avala.

Mion

— Alors, madame la juge, combien d'étoiles mettriez-vous à ce stand dans le guide Michelin de Hinamizawa ?

Satoko

— Eh bien…

... Hmmmm...

On sentait qu'elle avait envie d'en parler, mais pourtant, Satoko n'arrivait pas à savoir par quoi commencer.

Que se passait-il ?

Nous prîmes chacun un beignet pour voir de quoi il en retournait.

Rena

— Ah ?

Je n'ai rien eu.

Rika

— Moi non plus.

Madame Pieuvre n'était pas chez elle, il faut croire.

Ne me dites pas que...

On n'est quand même pas tombés du premier coup sur le seul stand où les beignets de pieuvre ont pas de pieuvre dedans ?

Certains forains peu scrupuleux le font, parce que de toutes manières ils ne sont là que pour une journée...

Mion

— Ah non, moi j'en avais.

Hmm.

En tout cas, le morceau de pieuvre était excellent.

Satoko

— Comment juger des beignets de pieuvre qui n'ont de pieuvre que le nom ?

Les gens se retournèrent.

Les gens qui faisaient la queue nous regardaient d'un air intéressé, et méfiant...

Rena

— Eh bien, hmm, voyons voir... Que dites-vous de cela ?

Ces beignets de pieuvre sans pieuvre sont bons pour la santé !

Ils sont parfaits pour les gens qui n'aiment pas le poulpe !

Certaines personnes dans la queue firent de grands yeux en s'en allèrent aussitôt.

Hmmm, c'était pas l'effet escompté...

Mion

— Attendez, je vais essayer.

Ils nous font bien sentir le goût plat et banal de la farine, du poireau et du gingembre !

Mion

Comme il n'y a pas de morceau de pieuvre pour relever le tout, euh…

C'était bien essayé, mais dès qu'elle avait dit qu'il n'y avait pas de morceau de poulpe, une partie des gens étaient allés voir ailleurs.

Keiichi

— Euh, Rika, tu veux pas essayer ?

Dis simplement ce que tu penses sincèrement, tu verras, c'est simple.

Rika

— Franchement, 400 yens pour ça, c'est de l'arnaque.

Arg !

C'est trop sincère, ça !

La plupart des clients partirent.

Il faut dire, des stands de beignets de pieuvre, il y en avait sûrement d'autres...

Mion

— Aïe aïe aïe aïe aïe

~~...

Je crois qu'on a fait une bourde, là.

Une grosse bourde, même.

Eh, Satoko !

C'est toi qui as commencé, alors à toi de rattraper le coup !

Satoko

— Mais enfin, c'est impossible, voyons ?

Des beignets de pieuvre sans pieuvre, cela n'a aucun goût !

Aaaaah mais quelle idiote ! Pas si fort !

Il ne restait plus personne dans la queue.

Rena

— Aaah,

ils s'en vont tous !

Oh oh,

le tenant nous fait les gros yeux.

Pourquoi il nous regarde comme ça ?

Pffff, c'est pas vrai...

Elles sont irrécupérables.

Bon, il va bien falloir que je leur explique comment on fait...

Rika

— Je suis sûre que Keiichi saura nous sortir de cette impasse.

Sauvez cet arnaqueur, vous êtes son dernier espoir.

Keiichi

— Il ne faut pas dire de méchantes choses avec un grand sourire, comme ça.

Enfin, admettons.

Regardez faire et prenez-en de la graine.

Je repris un beignet sans poulpe avec un cure-dent et l'enfournai tout rond.

Toujours pas de morceau de pieuvre.

Mais Mion en avait eu un.

C'était important.

Keiichi

— Je pense que le mec qui tient le stand est en fait vraiment très respectueux des pieuvres.

On peut même dire qu'il les aime.

Membres du Club et Forain

— QueeeWOUA ?

Les filles poussèrent un cri de surprise.

Le tenant du stand aussi.

Keiichi

— Oui, j'en suis sûr et certain, il adore les pieuvres.

Et c'est exactement à cause de son amour pour les pieuvres qu'il n'a pas voulu faire des beignets mauvais.

J'ai pas raison ? Vous pouvez nous le dire, hein !

Le gérant me regarda, un peu hésitant, puis finit par baisser la tête en acquiesçant.

Les gens nous regardèrent, un peu surpris, curieux de savoir le pourquoi du comment.

Satoko

— Mais enfin mon cher, s'il les aime tellement, pourquoi fait-il des beignets sans chair de poulpe ?

Ne serait-ce pas là une trahison, un sacrilège même ?

Keiichi

— Oui, d'une certaine manière,

c'est effectivement une trahison.

Mais à bien y regarder, c'est un compromis, en fait.

Il a fait des beignets de pieuvre, aujourd'hui aussi.

Keiichi

Mais très peu, il n'y en a pas assez pour tout le monde, alors il n'en met qu'un ou deux par barquette.

Mion

— Hmmm, pris au mot, c'est exact.

Le mien en avait.

Et d'ailleurs, il était vraiment pas mal, hein ?

Keiichi

— Exact.

Tu es tombé sur un vrai.

Keiichi

Les autres…

les autres ne sont là que pour faire un compromis avec l'image traditionnelle de la barquette de huit beignets de poulpe par portion.

Rena

— Keiichi, je dois avouer que je ne comprends pas trop où tu veux en venir.

Pourquoi y mettrait-il un vrai et sept faux ?

Keiichi

— Le secret réside dans le poulpe.

Monsieur, laissez-moi deviner.

Vous avez mis de la véritable pieuvre d'Akashi, je me trompe ?

Keiichi

La pieuvre d'Akashi se fait rare depuis quelques années. C'est la meilleure sorte que l'on puisse acheter, mais les prix sont exorbitants.

Elle est trop chère pour être rentable dans des beignets de poulpe...

Le visage baissé, le gérant rompit son silence dans un soupir désabusé.

Forain

— Ouais,

une pieuvre d'Akashi, ces jours-ci, ça coûte les yeux de la tête...

Keiichi

— Et pourtant, vous avez tenu à faire des beignets avec de la pieuvre d'Akashi !

Keiichi

Vous auriez largement pu mettre une variété à deux balles !

Keiichi

Il y a plein de stands qui font de la fausse publicité en faisant croire que c'est du bon poulpe alors qu'en fait c'est un truc infâme !

Keiichi

Mais vous, vous avez préféré rester honnête envers vos clients !

Keiichi

Il vous fallait de la vraie pieuvre d'Akashi !

Keiichi

Vous avez fait des pieds et des mains pour en obtenir.

Keiichi

Parce que vous aimez la pieuvre !

Keiichi

Parce que vous la respectez !

Keiichi

Mais vous étiez obligé de faire un compromis quelque part...

Satoko

— Mais alors, qu'a-t-il donc fait ?

Keiichi

— Il joue sur le nombre de beignets.

Une barquette doit en avoir huit, c'est la portion la plus répandue.

Il ne pouvait pas décemment vendre un seul beignet au prix de huit, mais il n'avait pas assez de poulpe !

Keiichi

Et il devait faire des barquettes de huit beignets, sans quoi il n'aurait rien vendu.

Alors il a ravalé ses larmes !

Keiichi

Et pour pouvoir se permettre de faire de vrais beignets de poulpe délicieux...

Il a été obligé de les placer chacun avec sept autres faux beignets !

Le gérant éclata en sanglots.

Je m'approchai de lui et lui plaçai la main sur l'épaule.

Keiichi

— Les autres peuvent penser ce qu'ils veulent, moi, je n'oublierai pas votre attitude et votre respect envers la nourriture.

Vous êtes un vrai pro des beignets !

Vous n'avez pas à avoir honte !

Des applaudissements nourris fusèrent d'un peu partout.

Le gérant se mit à pleurer sur mon épaule.

Keiichi

— Mesdames, Messieurs !

Si vous ne faites pas confiance à quelqu'un comme lui, qui respecte son travail et ses produits, alors qui va le faire à votre place ?

Qui va s'assurer de la qualité de ce que vous mangez ?

Keiichi

Faites ce que bon vous semblera, mais moi, je mangerai mes beignets chez lui !

Rena

— Eh, mais il en vient de partout, du coup !

Keiichi, tu as réussi !

Mion

— C'est plus dû à ton beau discours qu'au goût des beignets eux-mêmes, j'ai l'impression.

Je parie que tu saurais vendre de l'huile de baleine !

Rika

— Tu pourrais faire animateur dans un supermarché.

Satoko

— … Je pense qu'il serait bon pour vendre des couteaux magiques louches.

Les teneurs des stands alentour, médusés, nous appelèrent.

Forain

— Eh les enfants, venez un peu chez moi, prenez des barbes à papa, vous m'en direz des nouvelles !

Keiichi

— Bon, vous avez compris ?

Allez Rena, c'est à toi !

Rena

— Bon, vous allez voir ce que vous allez voir !

Rena

Hau !

Rena

La purée de haricots sucrés est toute fraîche, c'est super bon !

Rena

Et regardez-les, la pâte est déposée sur la gelée comme le poisson frais sur des canapés de riz !

Rena

Hau, c'est super trognon !

Rena

Je veux les mêmes à la maison !

Elle s'est auto-convaincue, on dirait...

Mais sa façon naturelle de complimenter le produit a un impact substantiel sur les autres !

Une queue se forma presqu'instantanément !

Keiichi

— Allez, et maintenant le stand de galettes salées !

À toi, Satoko !

Satoko

— Hmmm, voyons voir cela...

Mettons-y quelques nouilles sautées, des restes de panure pour le croquant, et des tranches de bacon entières...

Satoko

Regardez, lorsque l'on mord dedans, on dirait qu'elle vous tire la langue !

Keiichi

— Ahahaha !

Hmmmmm, vache, mais c'est super bon en plus !

Je vais m'en faire une aussi !

Les gens se pressèrent aussitôt derrière moi !

Mais qu'est-ce qu'il se passe, ici ?

Les gens nous suivent comme des petits chiens, ou quoi ?

Rika

— Disons qu'à vous entendre dire tout le temps que c'est tellement bon, vous leur donnez faim et ils ont l'impression que c'est vraiment meilleur que d'habitude...

Hmm, je vois.

Je vis aussi que Rika avait un bavoir pour ne pas salir son bel habit, et qu'il était plein de sauces de différentes couleurs.

Mion

— Ok, les enfants, alors moi aussi, je vais m'y mettre !

Allez, Kei, lequel je dois faire ?

Keiichi

— Ben va dans le stand juste à côté ! Montre-nous ce que tu sais faire !

Rena

— Oh ? Mais... Keiichi, à côté, c'est...

Hmmm ?

Oh, un stand de poisson rouge !

Ça va pas être le même type d'exercice alors.

Mion

— Nan, nan, nan, je suis la chef du club, je dois faire avec, quel que soit le handicap !

Vous allez voir !

Satoko

— Alors montrez-nous de quoi vous êtes capable, ma chère !

Les gens se retournèrent, impatients de voir la suite.

Forain

— Bonsoir, m'selle.

Tenez, un bol, une passoire, je vous en prie.

Mion

— OK, allons-y...

— Ils sont tous en pleine forme !

Je sens que je vais me régaler !

Regardez-moi le petit, là, je suis sûre qu'il serait super bon, même cru !

Un murmure agité parcourut la foule.

Satoko

— Euh... Mion ? Ma chère, vous rendez-vous compte de ce que vous dites ?

Rena

— Mii, c'est pas vrai ?

Tu n'as pas mangé le poisson que je t'ai offert l'année dernière, quand même ?

Mion

— Hein, quoi ? Mais, bien sûr que non, qu'est-ce que tu racontes ?

Mion, toute rouge, secoua la tête à toute vitesse.

Keiichi

— Mais pourtant... Tu viens de dire qu'ils avaient l'air délicieux ? Que tu allais te régaler ?

Shion

— Oui, je suis témoin, c'est ce qu'elle a dit.

Elle est omnivore, tout ce qui lui tombe dans la bouche, elle avale.

Rika

— Si vraiment ils sont si bons, ces poissons rouges, j'essaierai la prochaine fois...

Rena

— Non, non, non, Rika, arrête ! Tu vas te rendre malade !

Eh,

attendez une seconde !

Shion, depuis quand t'es là ?

Shion

— Bonsoir mon cœur, bonsoir vous toutes !

Mion

— Ah ! Aaaaaaaaaah !

D'où tu sors, toi ?

Shion

— Je vous suis depuis votre petite scène avec les beignets de pieuvre.

Tu fais un boucan d'enfer avec ta grosse voix, alors je vous ai repérés tout de suite !

Mion

— Rah,

mais lâche-nous la grappe !

Allez, casse-toi, va voir ailleurs si j'y suis !

Shion

— Allons, allons, pas la peine de me crier dessus.

Hein, Kei ?

Je peux bien rester avec vous, non ?

Se tournant vers moi, elle me prit la main, et la plaça contre elle.

Ma main entra en contact avec deux masses molles.

Rena

— Keiichi, tu penses à des choses cochonnes... Tu saignes du nez !

Keiichi

— Nbon, bas du dout ! Quand du abbuies sur le bot de mayonnaise, y a un vilet qui sort, non ?

Ben là c'est bareil,

je beux absolument rien y vaire !

Shion

— Ah oui ?

Mais alors si j'appuie plus fort, tu saigneras plus fort ?

Shion

Voyons cela ☆ !

Appuie.

Je la sentis placer tout mon avant-bras au creux de son décolleté.

Les poils de mon bras se hérissèrent, et un frisson remonta jusqu'à mon nez... qui explosa en un geyser de sang.

Mion

— Aaah !

Shion, arrête-ça tout de suite !

Satoko

— Oh, mais quelle indécence, quelle luxure, quelle perversion !

Vous me décevez beaucoup !

Rika

— Et moi, quel effet je vous fais, Keiichi ?

Rika prit mon autre bras et le pressa contre sa poitrine.

Hmmm, d'un côté mon bras se perdait entre deux fruits mûrs et gorgés de soleil, tandis que l'autre tâtait une jeune pousse ferme, encore verte, mais prometteuse.

Hmmmmmm, quel choix cornélien !

Il y eut une explosion de son.

Puis Shion, Rika et moi-même fûmes étendus au sol, KO.

Mion

— Merci, Rena.

Rena

— Vous êtes tous de gros pervers ! Comme je vous envie… Hau…

Rika

— Aïe,

tu fais mal quand tu frappes, Rena...

Satoko

— Ma chère, je ne veux pas vous vexer, mais vous l'avez bien cherché !

Rah la la...

Avec Shion parmi nous, nous faisions tout de suite encore deux fois plus de boxon...

Shion

— Ahahahahahahahahaha !

Tes amis sont vraiment adorables, Mion.

On ne s'ennuie pas avec eux.

Mion

— Ah oui ?

Mais nous, sans toi, on s'amuserait beaucoup plus !

Shion

— Ahahahahahahahahahahaha !

Shion

J'aimerais rester avec vous, mais si je continue de flirter avec toi, Keiichi, je crois que ma sœur va me mordre pour de vrai.

Shion

Je vais vous laisser pour le moment.

Shion

Je reviendrai plus tard.

Shion

À bientôt, Mion !

Mion

— Ne reviens plus jamais !

Ramenez-moi du sel, ou des cendres, ou des haricots, de l'ail, n'importe-quoi, mais de quoi la garder à distance !

Shion partit en riant et se fondit dans la foule.

Satoko

— J'ai comme l'impression d'avoir vu Mion sous un jour nouveau.

Rena

— Lorsque sa sœur est là, Mii devient très mignonne à regarder !

Mion se retourna et plaça un coup sur la tête de Rena avec la jointure de son poing.

Mion

— Arrête de dire des conneries, toi ! Allez, on bouge !

Et ainsi, de surprises en délires, nous fîmes le tour des stands.

Mon argent de poche baissait vite, mais au bout d'un moment les tenants des stands commencèrent à nous offrir des plats gratuits, aussi je pus conserver une bonne partie de ce que ma mère m'avait donné.

Thuuump !

Il y eut soudain un grand coup de tambour.

Satoko

— Rika, je pense que cela va bientôt être l'heure pour vous.

Rena

— Oh... oui, c'est bientôt.

Je vois... nous y sommes enfin, alors...

Rika

— Je commence à être un peu nerveuse.

Mion

— Allons donc, aie confiance en toi !

Tu ne te seras pas donné du mal pour rien, tu verras !

Mion lui mit une grande tape dans le dos.

Satoko

— Elle a raison, vous savez. Vous y arriverez !

Rika

— ... Je vais faire de mon mieux.

Rena

— Voilà ! Allez, courage !

Je serrai le poing et levai le bras.

Keiichi

— On est tous avec toi, Rika !

Membres du Club

— Courage ! Te laisse pas abattre !

Rika nous fit un sourire éblouissant, tourna les talons, et s'en alla le cœur léger.

Rena

— Bon, eh bien alors, allons-y nous aussi !

Keiichi

— Oui, il faut l'encourager !

Satoko

— Non, surtout pas, voyons !

C'est un rite sacré, pas un numéro de prestidigitation !

Je sais ! Désarmé par la gentillesse de Satoko, je lui ébouriffai les cheveux en souriant.

Mion

— Alors dépêchons-nous !

Les meilleurs places seront vite prises !

Allez !

Mion partit en courant, et nous suivîmes, quelques instants après elle.

Une foule de gens se pressait pour aller voir la cérémonie.

Keiichi

— La vache, il y a un de ces peuples !

Je me retournai vers les filles, mais aucun des visages derrière moi ne m'était familier.

Mais où sont-elles passées ?

Hmmm... nous nous sommes probablement perdus de vue dans la foule, ce n'est pas étonnant.

Je vis au loin la tête de Mion,

mais elle me tournait le dos et je ne pensais pas pouvoir la rejoindre avec tous ces gens entre nous.

Bah, pas grave, après tout.

Je n'aurai qu'à la rejoindre après la cérémonie de Rika.

Je décidai de rester seul et d'observer la scène d'où je pouvais.

Je tournai la tête à droite à gauche, mais impossible de me déplacer dans cette foule...

Thuuump !

Encore une fois, le grand tambour retentit.

Il annonçait le début de la cérémonie religieuse.

Je n'arrivais pas bien à voir la scène, mais Rika était arrivée, suivie par le maire et par d'autres hommes en costumes de cérémonie.

Les anciens du village poussèrent des murmures de surprise, puis sortirent presque tous leurs chapelets pour les égrener avec ferveur.

J'étais vraiment énervé de ne pas voir à cause de toutes ces têtes.

Nous aurions dû jouer un peu moins pour nous assurer de bonnes places pour le spectacle...

Rika récita un poème ancien, puis entama une formule rituelle. Elle prit alors un énorme râteau sacré et s'approcha du tas de futons placé sur l'autel.

Ah, c'est vrai,

la cérémonie consistait à purifier symboliquement le coton des couettes et autres...

Puis elle se mit à danser selon un rythme et selon des pas bien précis.

Le râteau qu'elle tenait droit devant elle avait vraiment l'air très lourd. Je comprenais maintenant pourquoi elle s'était entraînée avec le marteau à riz gluant.

Faisant attention à ne pas le faire tomber, elle le balançait de droite à gauche, le levait bien haut et l'abattait sur les futons de temps en temps, transpirant à grosses gouttes.

Elle se devait de le faire avec une certaine prestance, elle était une prêtresse, pas une simple petite fille.

Elle devait avoir une sacrée pression sur les épaules...

Aaah, merde ! Mais pourquoi je suis si mal placé ?

J'aurais dû me mettre à un endroit d'où j'aurais pu la regarder dans les yeux !

Shion

— Psst, Kei, viens par ici.

Quelqu'un m'avait saisi par le col.

C'était Shion.

Elle me fit signe de la suivre hors de la foule.

Je pouvais lire sur son visage qu'elle voulait me conduire dans un endroit que je ne connaissais pas.

Keiichi

— Shion, qu'est-ce qu'il y a ?

Shion

— Chuuuuuut.

Suis-moi sans faire de bruit.

Nous fîmes un grand détour pour éviter la foule.

Heureusement qu'elle était là, je ne connaissais pas du tout le coin !

Je me dépêchai de la suivre,

car sans elle, j'étais sûr de me perdre.

Je me demandais où elle voulait m'emmener. Elle faisait le tour de la foule pour aller au fond du sanctuaire.

Keiichi

— Eh, tu vas où comme ça ?

On est en train de s'éloigner !

Shion

— Mais chuuuuuuuuuuuuuuut !

Tu verras quand quand nous y serons.

Shion me fit un clin d'œil. Elle ressemblait beaucoup à Mion, comme ça.

Il n'y avait plus personne ici, et la lumière ne nous parvenait plus que du ciel.

Nous étions loin de la scène, désormais.

Mais comment étions-nous censés voir Rika depuis cet endroit ?

Keiichi

— Aaah, je vois, tu m'emmènes plus haut sur la montagne ? Il y a moyen de voir la scène de tout là-haut ?

On peut accéder aux toits du temple ?

Shion

— Pardon ? Mais de quoi tu parles ?

Keiichi

— Ben, comment on va faire alors pour voir la cérémonie ?

Shion

— Quoi, tu voulais voir Rika ?

Mon cœur, tu vises beaucoup trop bas, tu pourrais avoir nettement mieux, tu ne crois pas ?

Keiichi

— Attends, on parle pas de la même chose, là.

Tu n'es pas en train de m'emmener dans un endroit duquel je pourrais mieux voir la scène ?

Shion

— Quoi ?

Bien sûr que non, je n'ai jamais dit ça ?

Raaah !

Mais bordel, pourquoi ?

Chaque fois que je lui parle,

elle et moi ne comprenons pas la même chose !

C'est ma faute ?

Je suis trop con ? Il y a un truc, quoi !

Keiichi

— Mais alors, pourquoi tu m'as amené ici ?!

Shion me regarda droit dans les yeux et plaça son index sur mes lèvres.

Nous étions loin de tout. Personne autour de nous... et peu de lumière. Nous étions juste elle et moi, dans la chaleur d'une nuit d'été.

Uh oh.

C'est pas vrai... naaaan, je rêve ?

Shion va pas... Mais alors, c'est le Grand Soir ?!

Shion

— Chuuuuuuuut.

Regarde là-bas.

Mais regarde !

D'une toute petite voix, elle me montra les buissons un peu plus loin.

Je pus distinguer deux silhouettes... un homme et une femme.

Keiichi

— Ben, que font-ils ici ?

... Naaan, tu crois pas que... ?

Shion

— Sois pas stupide, évidemment qu'ils sont là pour se bécoter dans l'obscurité !

Regarde bien qui c'est !

Tu les reconnais ?

Je scrutai la pénombre, essayant d'habituer mes yeux à l'obscurité ambiante.

Eh mais... Ce sont Tomitake et madame Takano !

Ils étaient selon toute évidence en train de se déplacer très silencieusement. Ils faisaient très attention à ne pas se faire remarquer, et se dirigèrent vers un grand bâtiment un peu plus loin. Ils s'arrêtèrent juste devant la porte.

Keiichi

— Shion,

c'était ça que tu voulais me montrer ?

Shion

— Écoute, mon cœur,

tu pourras voir Rika faire cette cérémonie l'année prochaine, mais ça, tu ne le verras peut-être plus jamais de toute ta vie !

Les deux filles Sonozaki étaient très différentes l'une de l'autre, mais ce côté pervers était exactement le même chez l'une et chez l'autre...

Keiichi

— Écoute, moi j'y vais !

Ne m'appelle plus pour ces conneries, d'accord ?

Shion

— Eh, si tu bouges, ils vont nous remarquer ! Reste ici !

Soudain, madame Takano se retourna !

Takano

— Tiens donc, qui est là ?

Nous devions tenter le coup et retenir notre respiration en attendant que ça se passe, mais madame Takano nous avait bel et bien repérés.

Je regardai Shion, puis nous nous levâmes d'un commun accord.

Shion

— Bonsoir.

La lune est belle, vous ne trouvez pas ?

Takano

— Tiens, tiens,

si ce n'est pas Shion et le jeune Maebara que voilà.

Bonsoir vous deux ! Oui, la lune est très belle.

Tomitake

— Ohho, mais dis-voir, Keiichi, tu es un petit fripon ?

Un rendez-vous galant dans les buissons, tard le soir ? Tu me diras, vous avez l'âge, tout doucement...

Je crois que nous vous devons des excuses. Ahahahaha !

Eh, mais c'est eux qui voulaient ... vous-savez-quoi, pas nous !

J'étais un peu en colère contre eux.

Shion

— Oh, mais alors, vous n'êtes pas là pour des questions d'hormones ?

Tomitake

— Euh, non, voyons, bien sûr que non.

Mais ce ne serait pas déplaisant, j'avoue.

Takano

— Ahahahaha…

Non, je vais vous décevoir, nous ne sommes pas là en tant que couple pressé.

Désolée, il n'y aura pas de spectacle.

Shion

— Hmmmmm.

Mais alors, que faites-vous ici ?

Tomitake, vous n'étiez pas en train de trafiquer ce cadenas à l'instant ?

Quoi ? Je les observai à nouveau.

Oui, c'était l'impression qu'ils donnaient.

On aurait dit qu'ils voulaient pénétrer dans ce bâtiment en forçant le cadenas.

Tomitake

— Bon, je vois que nous ne pouvons plus vous le cacher, de toutes manières…

Oui, nous voulions y entrer.

Mais gardez-le pour vous, d'accord ?

Keiichi

— Comment ça, le garder pour nous ?

Mais enfin, vous voulez voler des trucs, ici, non ?

Tomitake éclata de rire. Je restai interdit.

Takano

— Voyons, je t'en prie.

Un voleur prend des objets dans les endroits où il s'introduit,

mais nous, nous n'avons pas l'intention de prendre quoi que ce soit !

Shion

— Ah oui ?

Shion

Alors pourquoi êtes-vous ici ?

Shion

C'est le bâtiment des reliques sacrées, ici, l'entrée est strictement interdite.

Shion

On dit que seuls les membres du clan des Furude et de rares autres personnes ont le droit d'y pénétrer.

Le bâtiment des reliques sacrées ?

Je fis quelques pas en arrière et contemplai à nouveau l'édifice dans son ensemble.

Il avait été bâti à l'écart des autres, avec une charpente solide, un peu comme un grand coffre-fort.

Il était sale, ce qui prouvait que l'on venait rarement l'ouvrir.

Et il était... très imposant.

Oui, effectivement, ce n'était pas un bâtiment ordinaire.

Takano

— Cet endroit,

Takano

on l'appelle le temple des reliques sacrées.

Takano

C'est un peu un coffre où l'on entrepose les objets utilisés pendant les rituels religieux.

Takano

Hmm, non, en fait, il faut le voir plus comme un temple voué aux cultes des objets qui s'y trouvent.

Takano

Le râteau dont se sert Rika aujourd'hui pendant la cérémonie, eh bien tout le reste de l'année, il se trouve bien au chaud, dans ce bâtiment.

Takano

Bien sûr, toute personne ne faisant pas partie du clan des Furude est déclarée

impure et ne doit donc pas souiller ce lieu.

Il est considéré comme sacré.

Cela faisait une raison de plus pour déguerpir d'ici en vitesse ! Non ?

Madame Takano me fit un sourire un peu enfantin, un peu... innocent, et en même temps, quelque part, un peu cruel.

Takano

— Je t'ai dit que j'étudiais les vieilles légendes de Hinamizawa, non ?

Je pense que la réponse à la plupart de mes questions se trouve ici.

Takano

J'ai attendu très longtemps pour pouvoir venir jusqu'ici, tu sais.

C'était prévu de longue date, alors ?

Hmmm, oui,

le soir de la fête était probablement le seul jour de l'année pour tenter une chose pareille.

Shion

— Je vois...

Mais je savais pas que vous saviez crocheter les serrures, Tomitake.

Tomitake

— C'est bon, arrête, là.

Je suis pas là parce j'en mourais d'envie, hein.

Takano

— Désolée de t'avoir forcée à me suivre.

Mais c'est grâce à toi si j'en suis là aujourd'hui, Jirô.

Merci pour ton aide.

Tomitake

— Ouais, je sais...

Mais c'est la dernière fois, Miyo !

Je n'aime pas ce genre d'endroits.

Takano

— Ahahaha... Aaaah, Jirô, tu es un amour.

Il y eut un petit “clic”.

Tomitake ouvrit le cadenas, puis l'enleva complètement et le posa à côté de la porte.

Tomitake

— C'est ouvert.

Takano

— Merci.

Enfin, nous y voilà...

Madame Takano déglutit. Elle avait l'air très excitée à l'idée de découvrir ce qu'il y avait ici.

À peine la porte ouverte, une odeur de pourriture et de poussière nous assaillit.

Moi qui avais dit tout haut ne pas croire aux malédictions, je peux vous dire que j'étais prêt à changer d'avis sur le champ.

J'avais peur de rentrer ici avec mes chaussures. Les dieux ne me le pardonneraient jamais.

Takano

— Qu'en dites-vous ?

Vous êtes complices, maintenant.

Vous ne voulez pas entrer ?

Takano

Je suis sûre que c'est une pièce unique dans l'histoire du Japon. Ce musée de l'histoire de Hinamizawa ne sera probablement jamais ouvert au public,

sauf cette nuit. Hehehehe…

Keiichi

— Ah, mais, on n'est pas vraiment complices, hein ?

Shion

— Allez, quoi, tu trouves pas ça excitant ?

Allez, viens, allons jeter un coup d'œil !

Shion prit mon bras et se serra tout contre moi, tremblante.

Keiichi

— Mais... tu te rends compte qu'on n'a pas le droit de faire ça, quand même ?

C'est un lieu sacré !

Le temple des reliques sacrées, tu disais, non ?

C'est pas prudent de rentrer ici !

Shion

— Écoute, mon cœur, je suis une Sonozaki, et je pense savoir à peu près ce qu'il y a à l'intérieur.

Mais je veux te le montrer à toi.

Keiichi

— Tu veux me le montrer ?

Je croyais qu'elle se servait de moi comme excuse pour venir ici, mais en fait, non. Elle avait l'air sérieuse.

... En même temps, je n'aurais pas su dire si elle mentait ou pas.

Mais bon, j'étais un garçon comme les autres.

J'étais même un peu plus curieux que la moyenne.

On n'a pas tous les jours la chance de pouvoir entrer dans un endroit interdit qui pourrait receler des trésors inestimables.

Pour être honnête, j'avais vachement envie de savoir ce qu'il y avait ici !

Mais j'aurais préféré ne pas forcer le cadenas…

Ç'allait se voir !

Shion

— Si tu ne trouves pas ça intéressant, tu pourras sortir tout de suite.

Mais je pense que ça devrait t'intéresser.

Tomitake nous regarda l'un et l'autre, puis s'assit dans la partie ombragée de l'entrée pour faire une pause.

Tomitake

— Je monte la garde.

Allez faire un tour à l'intérieur.

Je dois dire que le contenu ne m'intéresse pas vraiment,

mais je parie que tu trouveras ça fascinant, Keiichi ! Héhéhéhé...

Je ne compris pas trop pourquoi il rigolait.

Keiichi

— Vous savez ce qu'il y a là-dedans ?

Tomitake

— Oui, je pense.

Miyo m'en parle depuis une éternité.

Shion

— Vous êtes bien à plaindre, avec une femme aux centres d'intérêts aussi particuliers...

Tomitake sourit, mais ne répondit rien.

Madame Takano était du genre à essayer de faire partager sa passion de manière très directe, quitte à laisser tout le reste de côté -- ce qui la rendait assez effrayante.

Mais Tomitake était on ne peut plus normal.

Si lui me disait que je pouvais aller jeter un œil, c'est que ce n'était pas si terrible que ça.

Keiichi

— Mouais... mais juste un peu, alors.

Si ce n'est pas intéressant, je me casse vite fait bien fait.

Shion me fit un clin d'œil.

Takano

— Vous vous êtes décidés, à ce que je vois.

Alors ne perdons pas de temps.

Jirô, je compte sur ta vigilance.

D'un geste lent de la main, Tomitake nous fit au revoir.

Il régnait un noir d'encre, mais madame Takano sortit bien vite une lampe de poche. À la lueur de celle-ci, nous comprîmes très vite que nous nous trouvions dans un étroit vestibule.

Tomitake

— C'est tellement sombre.

Faites attention à ne pas tomber par terre.

Takano

— Ne t'inquiète pas...

Bon, allez, je compte sur toi.

Tu veux bien fermer la porte ?

Comme pour le mettre à l'écart, tel un enfant privé de dessert, madame Takano poussa la porte derrière elle pour enfermer Tomitake dehors.

Tomitake

— Oui, j'ai compris…

Allez, à plus tard, amusez-vous bien.

Dans un bruit grave et sourd, mais qui résonna longtemps dans le silence ambiant, la porte fut remise bien sur ses gonds.

Lorsque le silence fut revenu, nous n'avions plus que la lueur de la lampe de poche de madame Takano pour guider nos pas.

Takano

— N'ayez pas peur.

C'est un modèle spécial, il y a des piles de rechange pour le cas où.

Elle ne s'éteindra pas.

On dirait qu'elle a vu la peur sur mon visage.

Inconsciemment, je tournai le regard, très gêné.

Au fond de cette pièce, nous vîmes de lourdes portes aux décorations superbes.

On dirait bien que c'étaient les dernières portes avant le trésor qu'elles protégeaient.

Takano

— Ce n'est qu'une sorte de remise ou d'agrès, et pourtant il y a un vestibule, vous trouvez ça normal, vous ?

Takano

Je pense plutôt que la distance entre les portes a été calculée pour que les gens ne s'avisent pas de laisser les deux ouvertes en même temps. Cela les mettait à l'abri des regards curieux.

Elle avait l'air vraiment impressionnée par l'ingéniosité simple du système.

En tout cas, il faisait vraiment sombre ici.

Tiens ?

C'est quoi ça ?

Il y avait sur le mur un gros disjoncteur, mais il était placé un peu n'importe comment, pas imbriqué dans la charpente.

Keiichi

— Ce ne serait pas la lumière ?

Je remis le plus gros en marche, et la lumière fut.

Surpris par l'éblouissement des lampes, nous nous cachâmes les yeux un instant.

Shion

— Non mais ça va pas ?

Shion frappa ma main et remis le tout hors-circuit.

On entendit un petit patch et les ténèbres nous engloutirent à nouveau...

Keiichi

— Aïeuuh...

Shion

— Mais t'es fou, Kei ?

On est ici dans le plus grand secret !

Si tu allumes la lumière, tout le monde va le savoir !

Shion me passa un savon.

Elle avait peur que quelqu'un ait remarqué la lumière.

Takano

— Allons, pas de problème,

ce n'était qu'un court instant.

Madame Takano était nettement plus posée.

Je parie qu'elle avait imaginé une histoire pour le cas où elle se ferait prendre...

Takano

— Allons plus avant.

Allez, poussez !

Voilà...

Une fois les lourdes portes ouvertes, une odeur de poussière, mêlée à une autre odeur, plus répugnante, se mit à agresser nos narines.

On aurait dit l'odeur du placard de la cuisine dans lequel des trucs ont été oubliés pendant des années...

et puis aussi en même temps, une odeur de poisson pourri, mais genre comme les poubelles d'une poissonnerie, très, très forte, quoi. Une odeur difficile à décrire, mais intenable.

D'après l'écho de nos pas sur le sol, cette pièce-ci était immense.

Madame Takano passa lentement la lampe de poche de droite à gauche pour jauger la pièce.

Keiichi

— Ouah !

Tout au fond du temple se trouvait un autel, derrière lequel se trouvait une immense statue.

Même à la lueur de cette lampe de poche, le peu que l'on pouvait en voir était impressionnant.

Takano

— Je te présente le dieu protecteur de Hinamizawa,

la déesse Yashiro.

Shion

— ... Cette statue est bien plus belle que celle que l'on voit dehors.

La déesse Yashiro.

Le dieu protecteur de Hinamizawa...

Celui qui soi-disant punissait de sa malédiction tous les félons qui osaient souiller ses terres sacrées, comme par exemple ces humains qui avaient voulu construire un barrage par ici...

Takano

— Il y a beaucoup plus d'objets sacrés que je ne l'imaginais.

Mais c'est un peu dommage.

On dirait bien que personne ne les a nettoyés ni entretenus.

Ils sont en piteux état...

Il y avait des objets bizarres partout, sur les murs, pendant du toit, dans des étagères...

Madame Takano les regardait, fascinée, ébahie, heureuse.

Ils n'avaient pas vraiment de formes très artistiques. On aurait plutôt dit des outils de forgeron ou de charpentier.

Des trucs pour construire de grandes choses en bois ou en acier.

Je ne voulais pas être trop malpoli, mais franchement, rien de bien folichon.

J'avais espéré voir des choses comme des coffres en bois précieux ou des objets raffinés comme ceux de l'époque Heian, mais…

il n'y avait rien de cela ici.

Ma déception était grande, et madame Takano s'en rendit compte aussitôt.

Takano

— Tiens donc ?

Tu ne les trouves pas fascinants ?

Keiichi

— Je ne suis pas critique d'art, vous savez.

Je ne sais pas trop ce que ces objets valent.

Takano

— Oh,

je crois que tu ne comprends pas trop ce que sont ces objets.

Mais ce n'est pas étonnant.

Elle sortit un cahier de son sac et se mit à le feuilleter. Il avait l'air d'avoir été lu et relu des milliers de fois.

Takano

— Bon, eh bien alors, je vais te raconter quelques histoires.

Ce sont des histoires qui se transmettent dans la région.

Des choses très connues, tu pourrais les trouver à la bibliothèque municipale.

Elle veut me raconter des histoires... ici ?

Elle tient vraiment à me faire peur, on dirait...

Mais Shion était parfaitement calme.

Si elle était aussi réaliste que Mion, alors je me devais de rester sérieux et de ne pas flipper.

Elle serait capable de rapporter mes réactions aux autres, alors faisons au moins semblant d'être calme.

Takano

— Tu es prêt ?

Alors, voyons cela.

Après s'être assurée qu'elle avait toute mon attention, elle se mit à lire le texte d'une voix douce, comme une maîtresse d'école qui lit un conte aux gosses de maternelle avant la sieste...

Takano

— « Il était une fois un village perdu dans les montagnes, avec un grand marais.

Takano

Ce marais était très profond, tellement que les gens pensaient qu'il n'avait pas de fond, en fait.

Takano

Ils disaient que le marais menait directement au pays des démons, au plus profond de la terre. »

« Le marais était même plus profond que l'océan, et les gens qui y tombaient ressortaient tout en bas, sur les rives du monde des morts.

Les gens appelaient ce village Onigafuchi, soit “les abysses des démons”. »

Eh, mais ?

Elle a parlé d'un marais sans fond hier, non ?

Mais alors...

Keiichi

— Ce village, ce serait pas Hinamizawa ?

Takano

— Je vois que tu ne fais pas qu'écouter, tu réfléchis aussi.

Oui, c'est exact.

Les écrits précisent toujours que c'est un village, mais bon, c'est un détail.

Keiichi

— Le village des abysses des démons...

C'est un nom bien flippant.

Shion

— Et puis il donnait tout de suite une certaine image du village.

J'ai entendu dire que le nom actuel avait été donné lors de la révolution de Meiji.

C'était alors ça, le vrai nom du village...

Il était connu pour son marais avec les ogres et les démons ?

Takano

— Les habitants du village considéraient le royaume des morts comme étant le pays des démons,

Takano

et ils vénéraient leur marais comme étant une porte divine qui faisait le lien entre ces deux mondes.

Takano

Mais un jour, il s'est passé quelque chose.

« Du fond du marais, les ogres et les démons sortirent, l'un après l'autre, en grand nombre.

Le trop-plein du royaume des morts se retrouva ici.

Et les villageois eurent peur. »

« Les démons se jetèrent sur les habitants, sans pitié.

Les villageois ne pouvaient rien faire à part trembler de peur.

Ils tentèrent de s'enfuir et de se cacher. »

Keiichi

— Eh donc, un héros est venu pour fritter les démons ?

Takano

— Non, Superman n'était pas encore né à cette époque.

Keiichi

— Alors... ils ont fait bloc et ils ont repoussé les démons ?

Takano

— Ne dis pas de sottises, voyons.

Ils ne faisaient pas le poids.

Keiichi

— Alors... ils ont tout abandonné et ils sont partis ?

Takano

— Non plus.

Les villageois ne pouvaient pas abandonner leurs terres, de quoi auraient-ils vécu ?

Même si les démons leur faisaient peur, ils n'ont pas pris la fuite.

Keiichi

— Mais alors ils ont fait quoi ?

Ils ont attendu d'être exterminés ?

Ils ne se sont pas battus, ils ne pouvaient pas s'enfuir...

donc oui, ils ont dû attendre la fin, je vois rien d'autre...

« Et lorsque tout le monde avait perdu espoir...

un dieu descendit du ciel :

la déesse Yashiro. »

Keiichi

— Ooooh, je vois…

C'est donc la déesse Yashiro qui apparut sur Terre pour flanquer une dérouillée aux méchants.

Shion

— Ah la la, tu es bien un garçon, pas de crainte de ce côté-là.

La violence n'est pas la seule solution aux problèmes, tu sais.

J'eus un peu honte et me tus, ne sachant pas quoi répondre.

Takano

— Ce qu'il faut savoir à propos de la déesse Yashiro…

c'est qu'elle n'était pas une guerrière.

C'était un être plein de compassion.

« La déesse Yashiro dégageait une force immense, sans commune mesure avec celles des démons.

Ils refusèrent de se battre contre elle et se jetèrent à ses pieds en soumission.

Elle leur ordonna de retourner dans leur royaume, mais les démons se mirent à pleurer. Ils lui expliquèrent qu'ils ne pouvaient plus repasser par le marais. »

Takano

— Le royaume des morts avait des lois, lui aussi.

Et ces démons-là avaient été bannis.

« Ils n'étaient chez eux ni dans le monde des humains,

ni dans leur propre monde.

Ils savaient que ce n'était pas bien d'avoir attaqué les humains,

mais ils le regrettaient et voulaient s'en repentir. »

Takano

— Lorsque les habitants entendirent l'histoire des démons, ils eurent pitié.

Et après en avoir débattu pendant longtemps, il fut décidé qu'humains et démons vivraient ensemble.

Keiichi

— Hmmm, dans les légendes, généralement on tue l'ennemi ou bien on le boute hors du pays, mais c'est la première fois que les méchants et les gentils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

Shion

— Disons que c'est plutôt rare.

Les démons ont toujours été des créatures symbolisant le Mal.

Alors un village qui décide de vivre ensemble avec eux, effectivement, ce n'est pas commun.

« Lorsque les démons apprirent que les villageois les acceptaient chez eux, ils n'en crurent pas leurs oreilles, puis ils fondirent en larmes de joie et de reconnaissance.

Les villageois leur donnèrent un endroit où ils pourraient vivre en paix.

En retour, les démons apprirent aux villageois certaines choses, ils leur firent profiter de leurs pouvoirs et de leur savoir. »

Takano

— La déesse Yashiro fut très satisfaite de la tournure des événements.

Elle donna aux démons forme humaine pour qu'ils ne soient plus discriminés par leur apparence.

Takano

Puis elle décida de rester elle aussi sur la Terre pour veiller sur le village et s'assurer que les gens et les démons cohabiteraient en paix.

C'était donc un lieu où vivaient à la fois les hommes, les démons et les dieux.

J'avais toujours pensé que les démons se feraient défoncer la tête, pour moi, c'était dans l'ordre des choses.

Mais là, un dieu intervient pour donner un happy end à l'histoire.

C'est très rare comme cas de figure, et ce n'était pas dénué d'intérêt.

Takano

— Normalement, l'histoire aurait dû se finir ici, comme un conte de fées.

Mais à l'époque d'Edo, de nombreux chapitres furent ajoutés, et l'histoire continue pour un moment.

« Après plusieurs générations, hommes et démons eurent des enfants en commun et il fut impossible de les différencier. »

Keiichi

— Mais alors, les démons ont été absorbés dans le village et ont disparu ?

Shion

— Non,

pourquoi ?

Ils se sont mélangés aux autres, mais leur essence est restée.

« Les humains qui avaient acquis les pouvoirs et les connaissances des démons n'étaient plus vraiment des humains. Ils furent considérés comme des sages immortels.

Ils savaient que leurs pouvoirs les rendaient différents des autres, aussi vivaient-ils cachés, mais les habitants des villages au pied de la montagne se mirent à leur vouer un culte. »

Takano

— Cette histoire est le point de départ de beaucoup d'autres légendes et de contes dans la région.

C'est le minimum à savoir,

le b-a-ba en quelque sorte.

Keiichi

— Vous dites le point de départ, mais quel détail exactement ?

Shion

— Le fait que les habitants du village soient les descendants des démons.

Toutes les autres légendes qui sont nées ici partent du principe que les villageois sont issus de la race des démons.

Shion me regarda avec un sourire un peu triomphant.

Elle serait en train de me dire que le sang des démons coule dans ses veines ?

Mais... ils doivent bien avoir une raison pour croire à ça, non ?

Peut-être qu'il y a une réalité historique en ce sens ?

Takano

— Tiens donc ?

Tu penses que les démons auraient pu réellement sortir du marais dans le passé ? Qu'ils se seraient réellement mêlés aux villageois ?

Keiichi

— Hmmm, non, pas exactement, je pense à autre chose en fait...

Dans cette histoire, les démons sont les ogres qui vivent dans le royaume des morts.

Mais dans le Japon antique, le mot démon pouvait désigner un tas de créatures.

L'un des exemples les plus connus est celui des naufragés.

Imaginons qu'un navire qui passe au large fasse naufrage, des survivants espagnols ou portugais, ou hollandais même, sont portés par les vagues jusque sur les plages japonaises.

Eh bien, leur apparence était tellement différente -- la couleur des cheveux, la taille, la corpulence, la forme du visage, bref un peu tout -- que les gens ne pensèrent pas qu'ils étaient humains. Aussi ils les appelèrent “démons”.

Les légendes parlent de démons rouges et bleus, parfois, et c'est un détail très intéressant.

Les européens, lorsqu'ils bronzent trop au soleil, deviennent tout rouges, car ils n'ont pas la peau très colorée.

Et comme leur peau est très blanche, on voit parfois leurs veines bleues, le long des bras, par exemple.

Certains naufragés arrivés au Japon ont été considérés comme étant des démons et pourchassés, persécutés.

Pour survivre, ils se sont cachés dans les montagnes ou sont devenus voleurs.

Keiichi

— Je ne sais pas, c'est peut-être un peu naïf de ma part,

mais enfin, je pensais que ce n'était pas incompatible...

Le regard de madame Takano était de plus en plus souriant. Pensant qu'elle allait se moquer de moi, je baissai la tête en rigolant nerveusement, un peu gêné.

Mais les commentaires blessants ne vinrent jamais.

Takano

— Tu sais, ce n'est pas idiot comme théorie.

Certains anthropologues sont même persuadés que c'est le cas.

Mais personne ne sait réellement ce qu'il en est.

Takano

Est-ce que des voleurs sont arrivés en grand nombre, ou est-ce que réellement des démons ont émergé du marais, personne n'a de preuve.

Keiichi

— Mais alors... vous croyez à quelle théorie, vous ?

Takano

— Oh, je me moque de savoir la vérité, mais je préfère croire à la théorie qui est la moins réaliste possible, j'aimerais garder une part de rêve et de mystère.

Je trouve cela plus romantique, pas toi ?

Romantique ? Voilà un avis très surprenant, considérant la situation.

Je pensais qu'elle était du genre à rejeter les solutions irréalistes.

Takano

— Et donc, nous y voilà.

C'est maintenant que l'histoire

devient vraiment intéressante.

Madame Takano interrompit son histoire un instant pour se passer la main dans les cheveux et se remettre un peu dans l'ambiance, faisant durer le suspense.

Shion

— ... ?

Shion se retourna d'un mouvement brusque, scrutant les environs.

Je promenai le regard sur la pièce, mais ne vis rien de particulier.

Keiichi

— Qu'y a-t-il, Shion ?

Shion

— ... Désolée,

je... ne t'en fais pas, ce n'est rien.

Elle se comportait vraiment comme si de rien n'était, aussi je reportai mon attention à l'histoire.

Madame Takano inspecta les environs, s'éclaircit la gorge et poursuivit.

Takano

— Je t'ai dit que les villageois avaient du sang de démon qui coulait dans leurs veines.

Eh bien, il se trouve que ces démons étaient des ogres mangeurs d'hommes.

Keiichi

— Des ogres mangeurs d'hommes…

eh ben, pas ragoûtant comme histoire.

Takano

— Et ce sang n'est pas tout à fait normal, en fait.

De temps en temps, il retrouve son pouvoir magique.

L'histoire si jolie il y a quelques minutes promettait de devenir gore dans pas longtemps.

Takano

— De temps en temps, tous les dix, quinze, vingt ans, ce n'est pas documenté,

Takano

les descendants des ogres mangeurs d'hommes avaient besoin de chair humaine.

Takano

Mais évidemment, ils ne pouvaient pas se permettre de se manger entre eux.

Takano

Alors parfois, ils partaient à la chasse dans un village et ils enlevaient quelqu'un. On appelait ce rituel “l'enlèvement des démons”.

Keiichi

— C'est-à-dire ?

Takano

— Eh bien, il n'y a pas grand'chose à expliquer, je pense.

Les habitants du village allaient tous ensemble en attaquer un autre, et ils enlevaient de force une pauvre victime.

C'était très simple et direct comme explication, mais à bien y réfléchir, c'était une image terrifiante.

Ils perdaient leur humanité…

Et se transformaient littéralement en ogres mangeurs d'hommes.

Et alors ils attaquaient les villages du monde souillé qu'ils ne fréquentaient jamais,

uniquement pour enlever quelqu'un et le manger.

Keiichi

— Mais alors, c'est comme si la paix n'avait pas existé ?

Et la déesse Yashiro alors ? Elle a laissé faire ?

Elle était là pour les surveiller, non ?

Takano

— Oh, mais la déesse Yashiro était d'accord.

Les victimes de l'enlèvement des démons étaient choisies par la déesse, et les ogres n'avaient pas le droit de toucher à quelqu'un d'autre.

Takano

Et puis, c'était généralement une seule personne, parfois deux à la rigueur.

La belle photo de famille entre les humains et les créatures surnaturelles

tourna soudain en négatif,

et se fit

monstrueuse.

Takano

— Et le soir où les ogres avaient enlevé quelqu'un, ils faisaient une cérémonie pour pouvoir la manger.

Cette cérémonie était appelée la purification du coton.

La purification du coton.

C'était la fête de ce soir.

J'avais du mal à faire le lien entre la fête joyeuse de ce soir et l'histoire horrible qu'elle me racontait.

Keiichi

— Mais, la purification du coton sert à, comment dire,

à honorer et à remercier les couvertures et les futons qui ont aidé les villageois à survivre à l'hiver si rude de la région, c'est pas ça ?

Shion

— Mon cœur,

l'idéogramme de coton, “Wata”, a plusieurs sens.

Ca peut se lire “entrailles”.

Shion, restée silencieuse jusque-là, prit la parole.

Keiichi

— Euh, wata ?

Keiichi

Il y en a d'autres qui se lisent comme ça, mais je ne t'apprends rien, je suppose.

Keiichi

L'idéogramme des intestins, par exemple. Il prend le sens d'“entrailles” quand on parle de poisson, d'ail--

Keiichi

oh putain...

Les pièces du puzzles se mirent en place avec un grand clic dans ma tête.

Keiichi

— “La purification des entrailles”...

Médusé, je me mis à trembler, le fait de l'avoir dit m'ayant fait soudain réaliser toute l'horreur de la situation.

Takano

— Exact.

Je pense que c'est exactement comme tu es en train de te l'imaginer.

Takano

Ces dernières années, la purification du coton est devenue une fête banale qui tombe toujours en juin, un peu avant le début de l'été, mais jadis, c'était complètement autre chose.

Takano

C'était un festin cannibale qui se déroulait uniquement pendant une nuit bien spéciale.

Keiichi

— Non, vous mentez !

Je n'avais aucune preuve, mais elle non plus.

Et je ne pouvais pas accepter cette histoire.

Takano

— Tu as dis tout à l'heure que la cérémonie servait à purifier le coton des couettes.

Et si la couette pleine de coton était en fait un symbole ?

Keiichi

— Nan, une couette,

c'est une couette, point barre !

Elle sert pour dormir !

C'est un objet qui ne sert qu'au repos !

Il fallait absolument nier l'explication qu'elle voulait me faire comprendre.

Mais tout au fond de mon âme, j'avais très bien compris ce qu'elle avait voulu dire.

Des couettes remplies de cotons.

Si le coton était un symbole pour les entrailles, alors la couette pleine de coton désignait en fait un être humain.

Takano

— Maintenant, souviens-toi de la danse et des mouvements de la cérémonie que faisait Rika.

Tu comprends

ce qu'elle était vraiment en train de faire ?

Keiichi

— Nan, je comprends pas !

Et puis d'abord, je l'ai jamais vue en entier, cette cérémonie, moi !

Shion

— Chuuuuuuut,

Kei, t'excite pas comme ça...

Shion me tira les oreilles pour me rappeler au silence,

mais cela ne suffit pas pour me calmer.

Takano

— Tu vois le râteau de cérémonie qu'elle portait ?

Takano

Tu t'es quand même rendu compte que ce n'était pas un râteau pour travailler dans les champs, j'espère ?

Takano

... Il servait très probablement à ouvrir le ventre de la victime.

Je ne savais pas comment la danse de la cérémonie évoluait vers la fin.

Alors madame Takano, dans sa grande “bonté”, me l'expliqua.

Pour résumer simplement... après la partie que j'avais vue,

Rika devait percer les futons,

puis les entailler de bas en haut,

puis plonger le râteau à l'intérieur pour en ressortir le coton.

Puis le coton était découpé en petits morceaux et jeté dans la rivière.

En gros.

Takano

— C'est un peu comme lorsqu'on vide le poisson vite fait en jetant les entrailles à la poubelle,

sauf qu'eux le font avec toute une cérémonie et un grand respect.

Takano

Après, chaque haut dignitaire découpe une partie de la chair et la mange, enfin, c'est la supposition la plus probable.

...Heehee.

Toute cette histoire semblait l'amuser au plus haut point. Je fus pris de haine et de révulsion à la voir rigoler en douce en s'imaginant la scène.

Rika s'était donné beaucoup de mal, pendant des semaines, pour arriver à assurer cette cérémonie.

Avec ses histoires,

madame Takano était en train

de souiller l'image de cette fête.

Quand je pense que Rika avait fourni tellement d'efforts, qu'elle était tellement nerveuse ce soir...

Shion

— Dites, vous pourriez choisir vos mots, s'il vous plaît ?

Kei est encore un peu naïf, alors allez-y doucement avec lui.

Shion dit tout haut ce que j'avais pensé tout bas, et je lui en étais reconnaissant.

Elle, au moins, me comprenait vraiment bien.

Takano

— Ah, excuse-moi,

je pensais que les garçons aimaient les histoires un peu choquantes.

Elle se repassa la main dans les cheveux avec grâce et élégance.

Shion

— Bon, maintenant que tu sais tout ça,

je suppose que tu commences à deviner quel genre d'objets sont entreposés ici ?

Regarde là-bas.

Elle tendit le bras pour me montrer l'un des murs.

Je regardai à nouveau les objets alignés là.

Ils m'avaient parus tout à fait banals tout à l'heure...

Keiichi

— Oh putain...

Tout à l'heure, je n'avais pas su à quoi ils pouvaient servir, et donc ils ne m'avaient pas intéressé…

mais maintenant, je les voyais sous un tout autre jour.

Au début, je pensais que c'étaient là des ciseaux ou des étaux à bois,

mais…

mais maintenant…

une photo me revenait en mémoire.

J'avais vu ces outils dans mon livre d'histoire.

Takano

— Hmm,

c'est vrai que les écrits allemands du moyen-âge étaient un peu mieux du point de vue médical, un peu plus réalistes surtout.

Ils ne servaient pas à construire…

C'étaient les premiers outils dont on se servait pour disséquer les corps.

À l'époque d'Edo, les médecins japonais ont découvert la médecine occidentale et ont commencé à disséquer les cadavres des condamnés qui avaient été exécutés.

Les premiers outils qu'ils ont utilisés à cet effet

ressemblaient beaucoup à ceux que j'avais devant les yeux.

Takano

— Si on veut vraiment le dire de manière répugnante, on peut considérer que ces objets servaient à faire la cuisine.

...Heehee.

Madame Takano se mit à longer les murs en les éclairant avec la lampe de poche.

Et comme elle possédait notre seule source de lumière, contents ou pas contents, nous dûmes la suivre...

Takano

— Regardez.

Elle nous montra une sorte de serpentin en fer avec des chaînes.

Ce n'était pas en soi très étonnant, mais à ses extrémités, on pouvait voir plusieurs anneaux, qui devaient certainement servir à maintenir une personne en place.

Shion

— Kei,

regarde voir !

Je suivis du regard la direction de son doigt et vis soudain un meuble de forme humaine.

Mon sang se glaça dans mes veines, une fraîcheur douloureuse remontant lentement le long de ma colonne vertébrale.

On pouvait voir de nombreux mécanismes qui servaient à y maintenir quelqu'un en place, tous placés près des articulations,

mais le plus impressionnant, c'est que le meuble donnait l'impression d'ouvrir les bras et de se jeter sur sa prochaine victime...

Takano

— Hmmm, je pense que c'est une planche à découper.

Ils attachaient la victime dessus et la préparait sur ce meuble, comme on préparerait de la viande.

À ses mots, je tressaillis.

En scrutant bien, je distinguai des marques noires de couteaux, ou plutôt des scies, un peu partout dessus.

C'étaient des marques on ne peut plus évidentes de son utilisation.

Cet objet ne servait pas à intimider les prisonniers, il avait réellement servi comme planche à découper, en fait, ces marques en étaient la preuve incontestable.

Une personne qui serait attachée dessus ne pourrait certainement pas faire le moindre geste.

Elle ne pourrait qu'attendre, impuissante.

Et alors quelqu'un viendrait lui percer le ventre, ou la découper, et l'éviscérer...

Shion

— J'en avais déjà entendu parler,

mais... c'est super impressionnant...

Shion avait dit qu'elle pensait savoir ce qu'il y avait ici, mais apparemment c'était encore pire que ce qu'elle avait imaginé.

Takano

— Oh, mais il y en a encore d'autres.

Alors, qu'est-ce que vous en dites ?

C'est plus intéressant que l'atelier du fabriquant de jouets, non ?

Madame Takano était toute contente, presque extatique.

Je ne la comprenais vraiment pas.

Elle était pas bien dans sa tête, cette femme.

Tous ces objets horribles... ont l'air de l'amuser, de la fasciner.

Sauf que moi, pas du tout.

Je vais être tout à fait honnête :

J'avais les chocottes.

Mais il y avait quelque chose qui me faisait encore plus peur que ces objets :

Madame Takano.

S'il lui prenait l'idée d'éteindre la lampe de poche...

... je me mettrais à avoir peur du noir et je ne saurais pas comment réagir si quelque chose me touchait.

C'est pour cela que j'avais très peur.

J'avais très peur d'elle, car elle était la seule à avoir de la lumière.

Je remarquai soudain que Shion se cramponnait à ma manche.

Elle me gênait un peu pour marcher, mais je n'eus pas le cœur de l'envoyer paître.

Ce n'était pas grand'chose, mais je préférais sentir son contact...

Nous n'avions pas fait la moitié du temple, et déjà l'atmosphère était toute autre.

Il y avait des tas de récipients et d'objets tous plus écœurants les uns que les autres.

Certains servaient à maintenir quelqu'un prisonnier de la façon la plus sadique possible.

D'autres servaient à torturer plus vite, ou plus net, ou plus facilement.

Et encore, tant qu'on pouvait comprendre à quoi l'objet servait, c'était rassurant.

Mais parfois, on tombait sur un truc qui déclenchait les pires choses dans mon imagination.

Je n'avais franchement aucune envie d'essayer d'en savoir plus sur toute cette collection, mais une chose était certaine.

Il n'y avait dans ce temple rien dans le style d'un sabre pour pouvoir tuer la victime rapidement.

Les armes meurtrières sont évidemment construites pour tuer leur cible.

C'est leur but premier, donc il est normal que la personne sur laquelle vous utilisez une arme meure très rapidement.

Mais ici, c'était différent.

Les objets ici servaient à…

à découper,

à démembrer,

à bouillir ou rôtir,

ou bien à presser ou râper un être humain.

C'étaient des instruments de torture.

Ils n'étaient pas faits pour tuer.

Ils étaient faits pour faire souffrir, et la victime finissait par mourir en fin de compte, mais ce n'était pas le but premier.

D'ailleurs...

Si la victime mourait rapidement pendant la cérémonie, c'était encore pas le pire des cas.

Mais si elle était là, souffrante et meurtrie... mais sans pouvoir mourir ?

Si ces geôliers la maintenaient en vie le plus longtemps possible ?

L'horreur indicible de cette perspective m'apparut très clairement à cet instant, et je réalisai toute la différence entre une torture et une exécution...

Takano

— Tu sais, l'être humain est très résistant,

on ne meurt pas si facilement que ça.

Madame Takano savait ce qu'il me passait par la tête, et elle en rigolait...

Takano

— Pendant les chasses aux sorcières en Europe, on les brûlait vives, mais elles mouraient très vite.

Takano

Lorsque le corps se recouvre de brûlures, il entre en état de choc et libère des substances chimiques qui nous font perdre connaissance.

Takano

Enfin bon, c'est vrai que c'est nettement plus douloureux et plus long que la guillotine.

Elle présentait tout cela d'un point de vue médical, très détaché.

C'était étrange... mais Shion m'expliqua le pourquoi du comment.

Shion

— N'oublie pas qu'elle est infirmière, Kei.

On dit souvent que les médecins sont les personnes les plus terrifiantes... eh ben c'est vrai, je vous assure.

Takano

— Mais dans certains écrits de la Rome antique,

Takano

on trouve des descriptions de tortures aussi. Par exemple, le grill, une simple grille en fer posée sur un feu,

Takano

une sorte d'ancêtre du barbecue, donc.

Takano

Ils faisaient griller les gens lentement en les plaçant entre deux grilles placées au contact des cendres chaudes.

Mes souvenirs eurent la mauvaise idée de me rappeler les saucisses que l'on mangeait chaque année lorsque l'on partait en camping.

Takano

— De cette manière,

étrangement, les gens mettaient un temps fou à mourir.

Takano

Certains récits disent que même après avoir été cuits d'un côté pendant un jour et une nuit, certains prisonniers étaient carbonisés, mais pouvaient encore parler intelligiblement.

C'est pas vrai... ils étaient encore conscients ?

Dans la Rome antique, les exécutions étaient publiques, et il fallait les faire durer longtemps pour pouvoir satisfaire la curiosité de tout le monde, alors ils avaient dû beaucoup y réfléchir.

Takano

— Il y avait paraît-il

une méthode pour ouvrir un prisonnier, lui sortir les tripes avec un crochet de boucher et le garder conscient.

Je sentis Shion se placer tout contre mon dos et passer ses bras autour de ma taille.

Elle se protégeait le ventre,

et le mien par la même occasion...

Takano

— On pourrait croire que lorsqu'on tire les intestins hors du ventre, la personne meurt tout de suite,

mais en fait, pas du tout.

Si l'on fait très attention et qu'on ne brusque pas trop,

Takano

on peut faire en sorte que la personne se rende compte que vous êtes en train de lui retirer les intestins.

Je commençai à sentir une drôle de sensation dans mon ventre.

Comme si mes entrailles se bougeaient d'elles-même pour se cacher du regard de madame Takano...

Takano

— Il n'est pas difficile d'imaginer une méthode plus barbare

où l'on tirerait un morceau pour le couper et le jeter aux bêtes, puis retirer un morceau, le recouper, etc.

Ça ne semble pas inimaginable, n'est-ce pas ?

Takano

Sauf que la victime était encore consciente.

Ça doit être une expérience plus effroyable que douloureuse, je pense.

J'entendis Shion déglutir plusieurs fois.

Madame Takano, quant à elle, continuait de nous raconter tout cela sur un ton passionné.

Takano

— Je pense que la purification du coton était quelque chose de ce genre, à l'origine.

Tiens ? Écoutez-voir ?

Vous n'entendez rien ?

Je n'avais rien envie d'entendre...

et pourtant bien sûr, justement à ce moment-là, mon cerveau me joua des tours et j'eus l'impression d'entendre toutes sortes de bruits.

Madame Takano nous observa un instant, puis, après s'être assurée que nous avions eu la peur de notre vie, elle tenta de détendre l'atmosphère en riant un peu.

Puis elle tourna les talons et reprit sa ronde.

Je ne pouvais pas rester ici, loin d'elle, donc sans lumière...

Shion et moi fûmes contraints et forcés de poursuivre la visite avec elle.

Takano

— Je pense que nous en avons fait un tour rapide,

mais qu'en dis-tu ?

C'était intéressant, non ?

Elle leva alors le faisceau de lumière vers le plafond, au milieu de la pièce.

Normalement, il n'était rien censé y avoir par là, mais comme par hasard, il y avait maintenant un truc effroyable qui pendait.

Shion

— Kei,

regarde en l'air ! Regarde ça !

Shion s'agrippa à mon cou en criant :

Keiichi

— Ouh... putain de sa vieille...

En fait, je n'avais pas trop fait attention à cause du noir d'encre qui nous entourait, mais il y avait aussi des tas de choses qui pendaient au plafond, en fait.

Ils étaient tous faits à partir de lamelles d'acier…

C'étaient des cages.

Quoique, des cages... un peu petites.

Il y avait à peine la place pour une personne, un peu comme un cercueil.

Je n'osai pas imaginer être enfermé là dedans.

C'était... ah non,

en fait, elles devaient servir simplement à maintenir le prisonnier en l'air, je pense.

Il y en avait des grandes, des petites... certaines avec des formes bizarres, aussi.

Je repensai à la manière dont on pouvait griller un être humain.

Nous n'étions pas seulement entourés d'instruments de torture,

nous étions littéralement écrasés sous un amas d'objets sordides.

Takano

— Ce sont des types d'instruments très courants en Europe,

mais pas au Japon. Je dois avouer que c'est très intéressant...

Shion

— Kei…

Il y a quoi, là-bas ?

Un squelette ?

Une momie ?

Keiichi

— Hein, quoi, où ça ?

Shion pointait obstinément du doigt vers plusieurs cages qui pendaient l'une contre l'autre, mais je ne sus pas dire de quelle cage elle me parlait.

Et puis il faisait tellement sombre que je n'aurais pas su discerner grand'chose.

Takano

— ... Hmm, je ne vois rien, personnellement.

Tu es sûre que ton imagination ne te joue pas des tours ?

Shion

— ... ... ...

Shion n'avait pas l'air d'accepter ça comme réponse, mais elle n'avait aucun moyen de vérifier.

Takano

— J'espère que j'ai réussi à te convaincre de l'existence de ces cérémonies effroyables.

Elles se passaient toutes dans ce village.

Je n'avais pas vraiment le choix, non ?

La plupart des objets horribles nécessaires à ces exactions se trouvaient juste devant mes yeux...

Même en Europe, qui se targue d'être un continent très axé sur les arts et la connaissance, il y avait eu la période d'obscurantisme du Moyen-Âge, pendant lequel les gens avaient chassé les sorcières.

On savait grâce aux livres d'histoire à peu près exactement le degré de raffinement de leur cruauté.

Le Japon devait être exactement pareil.

Les fameuses cartes des enfers, qui décrivent les châtiments endurés dans le royaume des morts, étaient l'œuvre du savoir religieux de l'époque.

Il était donc normal que Hinamizawa ait aussi connu ce genre de choses.

D'un point de vue historique, c'était logique.

Les chasses aux sorcières, c'était il y a très longtemps, ça n'existait plus en Europe depuis longtemps aussi, d'ailleurs. Ce serait impensable aujourd'hui.

C'était pareil pour Hinamizawa, tout simplement...

Keiichi

— Tout comme le reste du monde,

Hinamizawa aussi a connu une période sombre d'obscurantisme.

En tout cas, c'est comme ça que je l'interprète.

Keiichi

Même si ce genre d'exactions ont été commises par le passé…

elles n'ont plus cours aujourd'hui.

Les villageois n'ont plus rien à voir avec ça.

Takano

— Maebara, tu aimes vraiment ce village, je me trompe ?

Elle se mit à rire doucement,

mais ce n'était pas pour se moquer de moi.

Shion

— Mais si je me souviens bien, vous aviez dit que vos recherches voulaient prouver que ce genres de pratiques existaient encore aujourd'hui,

non ?

Mon cœur s'arrêta de battre.

Elle croit que... que ces pratiques ont encore lieu ?

Takano

— ... Écoutez, c'est un secret, d'accord ?

Shion, tu es quelqu'un de compréhensif, alors je t'en ai parlé, mais je ne veux surtout pas que les gens du village l'apprennent.

Takano

Ils risquent de me prendre pour une impie et de me lyncher à mort.

Ces paroles eurent simplement pour effet de la faire sourire un peu plus, mais d'un sourire malsain.

Takano

— Keiichi, tu me promets de garder le secret ?

Si ça se savait, je serais peut-être frappée par la malédiction de la déesse Yashiro, ou bien même sacrifiée rituellement, qui sait.

Takano

Si c'est la malédiction, je me demande comment ils vont me cuisiner cette année.

Si je sers pour le sacrifice... on verra s'ils me plongent dans le marais.

Mais au fait, c'est ce soir

que la malédiction doit frapper, non ?

Madame Takano se parlait à elle-même plus qu'à nous.

Elle donnait l'impression de préférer subir la malédiction.

C'est à peine si elle se retenait de le dire.

Elle reprit un autre cahier, lui aussi très utilisé et annoté de partout.

Il contenait des articles de journaux, découpés, recollés et commentés, probablement selon une certaine logique.

C'était écrit très petit, il y avait beaucoup à lire.

Takano

— Je préfèrerais avoir accès à un exemplaire original de cette édition, mais j'ai dû me contenter d'un facsimilé.

Lisez ici.

C'était une copie tirée d'un microfilm, annotée de partout.

Au premier regard, impossible de lire de quoi ça parlait.

Takano

— C'est quelque chose qui s'est réellement passé.

C'était à la fin de l'ère de Meiji.

L'article dit que l'on a retrouvé un corps impossible à identifier dans le village d'Onigafuchi.

C'était une vraie copie d'une page de journal de l'époque. C'était vrai.

Takano

— Il n'existe quasiment aucune archive des enquêtes de police de l'époque, donc je ne peux pas me baser sur d'autres sources.

Ici, c'est un peu flou mais c'est lisible.

...[le] corps présente [d]es traces de sévices inhumains, du jamais vu de mémoire d'homme. Les personnes de la région pensent que c'est là l'œuvre des démons...

J'avais du mal à lire la suite, mais cela me suffisait largement...

Vers la fin de l'ère de Meiji.

On découvrit un cadavre salement amoché par ici.

Impossible d'identifier le corps.

Il faut dire que dans l'état où il était…

Il manquait la tête, et le reste était découpé en cinq parties -- le tronc et les quatre membres.

Il lui manquait l'épiderme sur tout le corps, et les restes présentaient des traces de sévices horribles.

De plus, le ventre avait été ouvert, et les entrailles entièrement vidées.

La police a tout de suite commencé à enquêter sur l'affaire, mais n'ont rien trouvé, même pas le nom de la victime.

Takano

— Tu comprends maintenant ?

C'était une scène qu'il m'était impossible à me représenter, même en essayant très fort.

Pour la première fois de ma vie, je remerciai le ciel de n'avoir aucune imagination...

Takano

— Ils disent que la personne était encore vivante lorsqu'ils lui ont arraché la peau du corps, et qu'ils l'ont torturée seulement après.

Takano

La personne qui a commenté cet article pense qu'ils l'ont éviscérée après l'avoir tuée.

Takano

Mais pour ma part, je pense que toutes les exactions

ont été commises pendant qu'elle était encore consciente.

Qu'est-ce que tu en penses ?

… Sa manière de parler était clairement destinée à me faire imaginer des choses plus horribles encore…

J'en pensais que mon cerveau n'arrivait plus à suivre. Elle avait déjà décrit la pire des choses que j'arrivais à concevoir mentalement.

Je détournai les yeux pour ne pas avoir à supporter son regard, mais partout ils tombèrent sur d'autres objets encore plus sordides que les autres.

Je me tournai sur moi-même et regardai à la ronde. Avec tout ce qu'il y avait ici, il ne devrait y avoir aucun problème pour recréer le même cadavre...

J'aimerais pouvoir nier l'existence de cette affaire.

J'aimerais pouvoir crier haut et fort que ça n'avait jamais existé.

Mais la simple vision de tous ces objets effroyables me rendait très conscient que je ne pouvais pas fuir cette réalité.

Keiichi

— D'accord, mais…

il prouve quoi, cet article ?

Takano

— Le commentateur de l'article émet la théorie que ce genre de pratiques barbares ont subsisté à Hinamizawa

jusqu'au début de notre ère.

Donc, ce corps serait…

les restes…

d'un festin cannibale perpétré par les habitants d'ici ?

Ce n'était franchement pas crédible.

Les festins cannibales avaient lieu dans les temps anciens.

Mais en même temps... l'ère Meiji, c'était il y a 100 ans.

Et on a déjà une trace visuelle, avec ce journal...

Keiichi

— Mais... même en admettant, c'est de la vieille histoire, tout ça.

L'ère Meiji, c'était au siècle dernier...

Takano

— C'est tout.

Takano

Tu trouves que c'est beaucoup, 100 ans ? Moi pas.

Takano

Et puis

Takano

ça a continué même après le début de l'ère Shôwa,

Takano

juste après la fin de la 2e guerre mondiale, il y a eu l'histoire des

boîtes de conserves de chair humaine.

Oh désolée, Shion.

Takano

J'avais oublié que cette histoire te rendait malade.

Madame Takano semblait réellement regretter en avoir parlé.

Je vis une ombre passer sur son visage, mais à part ça, Shion ne laissa rien transparaître.

Keiichi

— Pardon ?

J'ai pas rêvé, vous venez de parler de…

Chair humaine en conserve ?

Soudain, la lourde porte s'ouvrit derrière nous !

C'était Tomitake.

Tomitake

— Ahahahahahahahahahaha !

Je vous ai fait peur ?

Takano

— Alors, Jirô, la curiosité a pris le dessus ?

Regarde, c'est un magnifique musée d'objets de torture.

Tomitake

— Nan, j'ai pas trop envie de visiter, à vrai dire.

...Ahahaha...

J'ai jamais trop supporté ce genre d'histoires.

Riant à voix basse, madame Takano le taquina.

Tomitake

— Je voulais vous prévenir,

la danse et la cérémonie sont finies, et les gens sont partis vers la rivière.

Ils seront bientôt de retour, nous devrions partir d'ici.

Takano

— Ah, je vais devoir faire vite alors.

Finalement, je n'ai pas arrêté de parler.

Moi non plus, je n'avais pas envie de me faire surprendre à traîner par ici.

Takano

— Jirô, tu veux bien m'attendre dehors ?

Il me faut des clichés pour prouver mes dires.

J'aurais préféré prendre carrément certains objets avec moi, mais ça ne va pas être possible.

Elle sortit alors un petit appareil jetable de son sac et commença à prendre des photos dans tous les sens.

Elle avait l'air de prendre un pied énorme, comme si c'était une chasse au trésor.

Tomitake

— Quoi ?

Tu sors aussi, Keiichi ?

Keiichi

— Oui, j'en ai assez vu.

Shion, ça suffira comme ça, non ?

Tu viens ?

J'ai besoin d'air frais.

Shion

— Moi aussi.

Sortons d'ici en vitesse.

Je n'avais pas très envie de laisser madame Takano toute seule ici dans le noir...

Mais à bien y réfléchir, aussi horribles et cruels pussent être les monstres et les esprits maléfiques qui hantaient les ténèbres de ce bâtiment, c'était surtout elle qui me faisait peur.

Je parie que s'ils se montraient à elle pour la dévorer vivante, elle continuerait de prendre des photos en poussant de petits cris de joie.

Je regardai Shion et me rendis compte qu'elle pensait exactement la même chose que moi.

Nous eûmes un petit rire complice.

Laissant madame Takano à sa séance de photos, nous sortîmes tous les trois du temple interdit.

Il semblait bien que tout le monde était parti près de la rivière -- le bourdonnement des voix des gens nous parvenait très faiblement.

Les insectes nous offraient un concert nocturne, et rompaient la solitude silencieuse des environs.

Tomitake

— Alors,

c'était intéressant ?

À nos mines toutes pâles, Tomitake aurait pourtant dû comprendre ce que nous en pensions.

Mais apparemment, il voulait nous l'entendre dire.

Keiichi

— J'aurais dû rester avec vous et monter la garde dehors.

Tomitake

— Ahahahahahahahaha !

Il partit d'un fou rire franc qui nous fit un peu oublier la peur de tout à l'heure.

Tomitake

— Et toi Shion ?

Tu as eu peur ?

Shion

— Je savais un peu à quoi m'attendre, donc ce n'était pas si terrible que ça.

Mais ça fait quelque chose de les voir en vrai.

À l'entendre, on aurait pu croire qu'elle avait assuré.

Mais je savais qu'elle avait complètement flippé, sauf que j'avais eu encore plus peur qu'elle, donc il valait mieux pas trop la ramener...

Peu à peu, je finis par me calmer et me détendre.

Tomitake

— Elle a été sage pendant la visite ?

Je veux dire, elle a un petit côté... curieux.

Pour elle, c'était sûrement une caverne aux trésors, elle a dû être très excitée.

Shion et moi échangeâmes un regard et, pour toute réponse, nous mîmes à rire.

Tomitake

— J'espère qu'elle a juste regardé.

Si elle a touché à quelque chose ou si elle prend un objet, cela risque de se voir...

Ah, oui, c'était tout à fait possible, avec elle...

Surtout qu'elle était toute seule là-dedans, désormais.

Elle était capable de chourer un petit objet et de le cacher dans son sac.

Shion

— Ahahahaha ! Hmmmm, oui.

Elle en serait capable, en fait.

Shion m'ôtait les mots de la bouche.

Tomitake

— Elle n'a rien cassé, vous êtes sûrs ?

Je vous entendais faire un bruit monstre là-dedans, comme si vous sautiez à pieds-joints sur le plancher,

j'ai pas arrêté d'avoir peur qu'il se passe quelque chose...

Takano

— Désolé, Jirô,

je n'ai plus de film.

Tu as une pellicule sur toi ?

Nous fûmes tous surpris de la voir.

Nous ne l'avions pas remarquée. Si Tomitake fut surpris, il n'en montra rien.

C'était vraiment un homme, il était solide.

Tomitake

— Ahahahahaha !

Non, je n'ai plus de pellicule de rechange,

désolé.

Takano

— Rah...

Tu devrais toujours avoir une pellicule de rechange sur toi, comment veux-tu décrocher le prix Pullitzer, hein ?

Bah, c'est dommage, mais tant pis.

Tomitake se gratta la nuque, un peu embarrassé.

Sans pellicule, elle était obligée de s'en arrêter là.

Madame Takano se résigna à l'évidence.

Après avoir vérifié que personne n'avait rien oublié et rien perdu, elle ferma la porte et remit la lourde serrure en place à l'identique.

Tomitake

— Miyo, tu n'as rien pris de là-dedans, tu me le jures ?

Takano

— Allons, Jirô,

je ne suis pas une idiote, quand même.

Ker-clack.

Il plaça le cadenas et ferma à clef.

A priori, il était impossible de remarquer que quelqu'un était venu.

Tomitake

— Parfait !

Bon, alors, allons au marais, nous aussi.

Si nous ne jetons pas notre part de coton dans la rivière, alors ça ne servait à rien de venir...

Tomitake se mit en tête de notre petit cortège.

Jeter le “coton” dans la rivière, hein ?

Je secouai la tête plusieurs foix pour chasser les images sanglantes de mon imagination.

Madame Takano se retourna plusieurs fois pour regarder le temple des reliques sacrées.

Tomitake

— Ah, non, hein ! Tu n'y retourneras plus.

Tu as vu ce que tu voulais voir, non ?

Takano

— Mais oui mais justement !

Takano

J'ai fait des tas de découvertes cruciales !

Takano

La plupart de mes théories ont été confirmées par ce que j'ai vu dans le temple.

Takano

À partir d'aujourd'hui, mes recherches vont être complètement différentes !

Eh ben, elle perd pas le nord...

Elle était vraiment prête à tout pour satisfaire sa curiosité intellectuelle. Dans un sens comme dans l'autre, c'était impressionnant…

En descendant les marches, nous pûmes voir de nombreuses personnes attroupées près du cours d'eau.

Au bas des marches, les gens prenaient un morceau de coton, puis le plaçaient sur leur tête, puis ils le jetaient dans l'eau.

La fête était plus ou moins terminée.

Tomitake

— Hmmm, c'est pas bon pour moi, ça.

J'ai raté la meilleure partie de la cérémonie.

Takano

— Ce n'est pas grave,

nous devons jeter le coton aussi.

Tu n'auras qu'à faire des photos de moi ?

Elle plaça malicieusement la tête contre son épaule.

Lui se mit automatiquement à rougir.

En tant qu'homme, j'avais beaucoup de respect pour lui. Ça devait être un sacré morceau de femme, cette madame Takano, et il réussissait à supporter tous ses caprices…

Takano

— Bon allez, bonsoir,

Keiichi.

Shion.

Tomitake

— On descends à la rivière.

Vous ne voulez pas venir avec nous ?

Shion

— Ne dites pas de bêtises.

On ne va quand même pas vous tenir la chandelle...

Amusez-vous bien !

Shion leur décocha un sourire espiègle et fripon, puis leur fit au revoir de la main.

... J'eus l'impression que Tomitake ne voulait pas se retrouver seul avec sa copine, mais après tout...

Shion s'étira, puis s'assit sur les marches qui menaient au sanctuaire.

Shion

— Pouh,

je suis crevée.

Keiichi

— Moi aussi.

J'en peux plus.

Shion

— C'est la première fois que tu viens à cette fête, hein ?

Ne t'en fais pas pour moi, tu peux y aller.

Je suis fatiguée, j'ai pas envie de me frayer un chemin dans la foule.

Hmmm, avec un peu de chance, je devrais obtenir l'un des derniers morceaux de coton.

Shion

— Je pense que ma sœur te cherche.

Tu devrais vraiment y aller.

Keiichi

— Oui,

c'est vrai qu'on s'est perdus de vue il y a un moment.

Je veux pas qu'elle me cherche toute la nuit, non plus...

Shion se mit soudain l'index sur les lèvres pour m'inciter au silence, mais son regard était malicieux.

Shion

— Ma sœur est jalouse comme une lionne, tu sais.

Shion

Si jamais elle apprend que je t'ai eu avec moi pendant toute la soirée, ça va mal se passer pour toi et moi. Alors j'espère que ce qu'il s'est passé entre nous ce soir restera notre petit secret, d'accord ?

Ce qu'il s'est passé entre nous ?

Non mais oh, il s'est rien passé, d'abord ! Mais elle veut me mettre la honte ou quoi ?

Shion

— Roh, mais qu'il est bête.

Shion

Pense un peu à ce que nous avons fait et ce que nous avons vu... Il paraît évident qu'il vaudrait mieux se taire là-dessus, tu ne crois pas ?

Shion

Parce que après ce qu'on vient de faire, on est les quatre candidats les mieux placés pour subir la malédiction de la déesse Yashiro, tu sais.

D'un seul coup, la nervosité me reprit.

Mais Shion éclata de rire à nouveau.

Shion

— Bon, ben je vais rentrer avant de tomber sur ma sœur.

Je ne me sens plus la force de lui rabaisser son caquet, alors elle risquerait de se douter de quelque chose...

Keiichi

— J'arrive vraiment pas à savoir si vous vous entendez bien ou pas, toutes les deux.

Shion

— Oh, nous nous entendons très bien.

Mais son visage en disait un peu plus que cela. Les relations entre jumeaux ne sont sûrement pas faciles tous les jours...

Keiichi

— Je suis fils unique, alors je suis mal placé pour faire des commentaires,

mais fais un effort, ok ?

Shion

— Effectivement, tu es très mal placé pour parler, je vais faire comme si tu n'avais rien dit.

Bon, je me sauve.

Tu devrais te dépêcher d'y aller, Kei.

Tu risques d'arriver trop tard.

Shion se leva et enleva la poussière accrochée à sa jupe.

Après l'avoir observée, je portai à nouveau mon regard vers la rivière.

Shion

— En tout cas,

je me demande ce que c'était, ce bruit.

Il me mettait vraiment mal à l'aise.

Keiichi

— Hmm ?

De quoi, quel bruit ?

Shion

— ... Ben, le bruit, quoi.

Tu sais bien, les bruits de planches.

C'était très fort et très énervant, ils ne t'ont pas dérangé, toi ?

Je la regardai sans comprendre, et elle répondit par un visage de plus en plus sérieux.

Bien sûr, je comprenais de moins en moins...

Keiichi

— Euh, attends.

Tu veux bien reprendre depuis le début ?

Qu'est-ce qui faisait du bruit ?

Shion

— ... Kei,

me dis pas que ça t'a pas dérangé ?

Encore une fois,

nous ne parlions pas de la même chose elle et moi.

Keiichi

— Shion.

Sans blague, d'accord ? Tu veux bien m'expliquer depuis le début ?

De quel bruit tu me parles ?

Shion

— Vas-y, eh, déconne pas.

Tu ne t'es pas inquiété plus que ça ?

Elle ne me croyait pas, et je ne comprenais pas de quoi elle parlait.

Chaque question en appelait une autre, et la discussion tourna très vite en rond.

J'aurais préféré lui gueuler dessus, mais je me suis retenu.

Je tentai une dernière fois de lui poser calmement la question.

Keiichi

— Bon, ok, je te pose la question une dernière fois,

c'est compris ?

Shion acquiesça de la tête.

Keiichi

— OK.

De quel bruit tu me parles ?

Shion

— Du bruit de planches.

On aurait dit qu'il y avait un gamin qui sautait sur le plancher au fond du bâtiment.

Tu n'as vraiment pas eu peur ?

Keiichi

— Pourquoi aurais-je eu peur ?

C'était quand ?

Je l'ai même pas entendu.

Shion

— Vas-y, arrête de me faire marcher, Kei, t'es pas sérieux, là ?

Shion s'approcha de moi, extrêmement sérieuse, et apparemment très nerveuse, aussi.

Je ne voyais pas ce qu'elle me voulait, mais pour qu'elle tire une tête pareille, il devait y avoir un truc pas net quelque part.

Shion

— Lorsque nous étions dans le temple

et qu'elle a commencé à nous expliquer à quoi les objets servaient, le bruit a commencé.

Juste un peu.

Et puis plus souvent.

Et ensuite plus fort.

Un bruit de planches ?

Keiichi

— Ouais, non, je te vois venir,

t'essaies de me faire peur avant de partir, c'est ça ?

J'étais sûr de n'avoir rien entendu de la sorte.

J'avais eu une trouille carabinée, alors s'il y avait eu le moindre bruit, je l'aurais remarqué...

Shion

— C'est toi qui es en train de me faire peur, là !

Plus elle en rajoutait une couche dans les détails juteux, plus le bruit était fort, je te jure que ça m'a flanqué la frousse !

J'eus froid dans le dos.

Mon sang se glaça à nouveau.

J'étais paralysé par la peur...

Shion

— Comme ni toi ni Takano ne semblaient y prêter attention, j'ai fait semblant de ne rien entendre, mais…

Vas-y, tu l'as entendu ?

Je te jure qu'une ou deux fois, ça a fait un sacré boucan.

Shion m'implorait du regard.

Mais mon regard était très certainement occupé à lui montrer toute la surprise et l'incompréhension qui agitaient mon esprit à cet instant précis.

Alors que nous étions en secret dans le temple des reliques sacrées, et que madame Takano nous expliquait l'utilité d'instruments de tortures inimaginables...

... Shion avait entendu un bruit stressant pendant toute la durée des explications, mais moi pas.

Je n'arrivai pas à savoir si c'est elle qui avait entendu des voix et qui devait se faire du souci pour sa santé mentale, ou si c'était moi qui devait penser à mieux nettoyer mes oreilles...

Mais apparemment, Shion fut plus rapide que moi à comprendre.

Shion

— Ahaha... ahahahahahahaha...

Keiichi

— Bon, quoi maintenant ?

Shion

— Je t'ai eu, Kei.

T'y as cru, hein ?

Keiichi

— Hein ?

Elle me mit une grande tape dans le dos.

Je ne sus pas trop dire comment je le savais, mais j'étais sûr qu'elle se forçait à rire.

Après m'avoir dit au revoir une dernière fois, elle partit en courant.

Je ne pouvais rien faire d'autre, aussi je la suivis du regard.

Cette fille,

je ne la comprenais vraiment pas.

Elle avait plaisanté en me disant qu'elle m'avait bien eu,

mais je ne pensais pas qu'elle m'avait menti.

Bien sûr que non.

Tomitake aussi avait parlé de ce bruit de planches.

Tomitake

— Je vous entendais faire un bruit monstre là-dedans, comme si vous sautiez à pieds-joints sur le plancher,

j'ai pas arrêté d'avoir peur qu'il se passe quelque chose...

Tomitake n'était pas méchant, il n'était pas là pour me charrier, et il avait entendu ce bruit, lui aussi.

Mais alors…

… C'était réel ?

Il y avait vraiment un gamin qui sautait à pieds joints, là-dedans ? c'est moi qui n'ai rien entendu ?

Chaque année, la malédiction de la déesse Yashiro frappe.

Et les candidats les plus à même d'y passer, ce sont madame Takano, Tomitake, Shion, et moi.

Le brouhaha des conversations me sembla étrangement lointain, et les cris perçants des insectes, étrangement proches.

J'étais si proche de la chaleur humaine, mais j'avais bien peur de ne plus pouvoir en profiter.

C'était une sinistre prémonition.

Soudain, quelqu'un bondit sur mon dos !

Rika

— Un-deux-trois pour Keiichi !

Heureusement, ce n'était que Rika.

Mion et Rena aussi étaient là.

Mion

— Ah ben quand même, on t'a enfin trouvé.

Il ne manque plus que Satoko à l'appel !

Rena

— On s'est tous perdus de vue cette année.

Il faudra qu'on décide d'un point de rendez-vous l'année prochaine.

Mion

— Oui,

la fête, ce n'est pas marrant si on n'est pas tous ensemble !

Son commentaire me mit un peu mal à l'aise.

Rika

— Dites-moi, Keiichi, vous avez bien regardé la cérémonie ? Vous m'avez encouragée ?

Keiichi

— Hein, euh, bien sûr !

J'ai tout vu !

Super prestation, de bout en bout !

Pas une erreur.

Rika

— ... ... ...

Rena

— …Oui.

Il a raison, tu sais,

ça ne compte pas vraiment, ce n'était rien...

Je sus instantanément que je n'aurais pas dû dire ça. Je me mis à avoir des sueurs froides.

Mion me mit la main sur l'épaule, forçant légèrement.

Ce n'était pas bon pour moi...

Mion

— Et alors, tu l'as fait ?

Tu as été jeter du coton dans la rivière ?

Son regard me disait clairement qu'elle savait pertinemment

que je ne l'avais pas fait.

Elle voulait juste voir si je lui mentirais... mais je n'avais plus les nerfs pour prendre des risques.

Rena

— Quoi,

tu ne l'as pas fait ?

Mais alors dépêche-toi,

avant qu'il ne soit trop tard !

Keiichi

— Désolé, je…

C'est la première fois pour moi, je savais pas ce que je devais faire.

Je connais pas encore les règles par ici.

Mion

— ... Ouais, c'est vrai après tout, tu pouvais pas le savoir.

Pardon.

Mion lâcha mon épaule, prit mon bras, puis se mit à descendre les marches.

Mion

— Au fait, p'tit gars...

Keiichi

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Mion

— T'as pas vu Shion ?

Je crus faire une crise cardiaque.

Mion devait forcément avoir senti ma réaction.

Keiichi

— Euh... ben…

je crois, oui. Il me semble.

Mais bon, elle te ressemble, alors... c'était peut-être toi en fait.

Mion

— Je vois pas trop comment tu pourrais nous confondre,

nous ne portons pas du tout les mêmes habits ce soir.

Keiichi

— Oh... euh, ouais, c'est pas faux...

Mion garda le silence. Un silence qui m'était insoutenable.

Mion

— Rah la la, où est-ce qu'elle est encore allée fourrer son nez, celle-là ?

Bah, c'est pas grave, j'ai l'habitude. Et puis, elle sait se débrouiller toute seule, pas de souci à se faire.

Après quelques instant, elle se remit à sourire. Mion m'entraîna par la main jusqu'en bas des marches, et m'emmena prendre un morceau de coton...