Aujourd'hui, je savais depuis le départ qu'il n'y aurait pas de club après les cours.

Shion m'avait invité cet après-midi.

Desserts à volonté, si j'avais bien compris !

Laissant exprès la moitié de mon repas de côté, je fis en sorte d'avoir les crocs pour plus tard...

Rena

— Dis voir Keiichi, tu m'as l'air bien joyeux aujourd'hui.

Il s'est passé quelque chose ?

J'aurais dû savoir que ça se remarquerait.

Rena avait l'air contente pour moi.

Voyons voir, je l'invite aussi ou pas ?

Hmmm... Il me semble que Mion avait parlé d'un système de ticket.

Si ça se trouve, sans ticket à son nom, elle ne pourra pas entrer.

Si je fais ça et qu'elle doit rester dehors à baver, ça va vraiment jeter un froid entre nous...

Keiichi

— Ouais.

Bah, j'ai eu un coup de chance, disons.

Je te raconterai tout demain !

Tu seras sûrement jalouse !

Rena

— Ohho ?

Raconte, raconte !

Moi aussi je veux de la chance !

Est-ce que... c'est quelque chose de mimiii ?

De mimiii ?

Hmmm, qu'est-ce qu'elle penserait de l'uniforme des serveuses ?

Elle nous ferait une épectase...

Keiichi

— Probablement.

Oui, y a des chances que ce soit très mimiii.

Rena

— Quoi ? Rah non, mais je veux, quoi !

C'est quoi ? Dis-moi !

Mion

— Ah ouais ?

Et que t'est-il donc arrivé ?

... Eh mais…

Ne me dis pas que tu as tiré un ticket au Angel Mort il y a dix semaines ?

Il était gagnant ?

Keiichi

— Mion, il y a dix semaines, j'habitais même pas encore ici.

Mion

— Ah, oui, c'est vrai.

Donc c'est pas pour la journée des desserts...

Rena

— Dis-vois, Mii, c'est quoi cette journée des desserts ?

Mion

— Ben, tu vois devant la gare, à Okinomiya, il y a un restaurant familial, c'est l'Angel Mort.

Mion

Ils changent la carte des desserts tous les quelques mois, au changement de saison.

Mion

Il y a une journée spéciale où ils les font goûter, et c'est aujourd'hui.

Mion

Je te préviens tout de suite, c'est pas la peine d'y aller,

Mion

l'entrée est uniquement autorisée à ceux qui ont eu un ticket gagnant.

Mion me l'avait déjà expliqué hier en se faisant passer pour Shion au téléphone.

Rena

— Alors je vais commencer à aller là-bas dès que possible !

Je ferai tout pour décrocher un ticket gagnant pour la prochaine journée spéciale !

Mion

— Ahahaha, bonne chance !

Il paraît que les tickets gagnants sont des tickets platinium, et qu'ils se revendent très cher au marché noir...

Mais alors, ce ticket dont elle veut me faire profiter, il est super important ?

Moi je croyais juste que j'avais un peu de bol et qu'elle me ferait manger gratos, mais en fait c'était beaucoup plus que ça !

Ça fait encore une raison de plus pour lui offrir un petit quelque chose en retour...

Keiichi

— Eh... merci, hein.

Je savais pas qu'ils étaient aussi précieux, ces tickets...

Je me penchai vers Mion, et à voix basse,

de façon à ce qu'elle fût la seule à m'entendre.

Mion regarda un instant dans la prunelle de mes yeux, puis secoua légèrement la tête, souriante.

Mion

— De quoi ?

Tu m'as dit quelque chose ?

Je lui fis un sourire gêné,

indiquant clairement ne pas vouloir en parler plus que ça.

Je savais bien que cela ne servirait à rien de lui dire merci tant qu'elle serait Mion.

Il faudra aller au restaurant.

Et là-bas, lorsqu'elle sera sous les traits de Shion, je lui dirai merci du fond du cœur.

Mion

— Bon, ben les enfants, c'est pas que je vous aime pas, mais le boulot promet d'être rude aujourd'hui.

Allez, à demain !

D'un grand geste du bras, Mion prit congé et s'en alla.

Rena

— Dis-moi, Keiichi.

Tu ne trouves pas que Mii est un peu…

guillerette ces temps-ci ?

Keiichi

— Hmm ?

Je sais pas trop, tu trouves ?

Rena n'en avait pas l'air, mais elle était une fine observatrice.

Je n'avais rien remarqué de particulier, pour ma part. Mais Rena avait peut-être plus d'affinité pour ces choses-là ?

Rena

— Tu n'as pas une petite idée, Keiichi ?

Mon intuition me disait pourtant que tu devais être au courant de quelque chose.

Avec un petit rire malicieux, Rena se retourna brusquement, puis passa la main pour aplanir sa jupe. Son regard en disait clairement plus long sur le fond de sa pensée.

Keiichi

— Comment ça au courant ? Moi ? Au courant de quoi ?

C'était très culotté de ma part de poser la question, surtout qu'il était évident que j'en savais plus que je n'en disais. Mais techniquement, ce n'était pas un mensonge.

Pour être honnête, je ne savais pas ce qu'il lui passait par la tête en ce moment.

Pourquoi se donnait-elle le mal de se créer une deuxième identité, et pourquoi tenter de maintenir ces deux identités lorsqu'elle me parlait ?

N'importe qui aurait pu voir à travers mon jeu, mais Rena n'eut aucune réaction particulière.

Rena

— Dommage.

Alors du coup, je ne vois pas trop.

Mais bon, si elle est contente, alors moi aussi.

Hauuuuu ♪

Poussant son cri fétiche, elle écarta les bras le plus possible en tournoyant joyeusement sur elle-même.

Je ne savais pas trop pourquoi, mais Rena était d'excellente humeur aujourd'hui.

Tellement que sa bonne humeur m'arrachait le sourire.

Même le chant des cigales me paraissait plus joyeux qu'à l'ordinaire.

Rena

— Mais tu sais...

Cessant du tout au tout de tourner sur elle-même, Rena reprit un air sérieux. Me regardant calmement, elle poursuivit :

Rena

— Mii…

récemment...

a beaucoup souffert d'une blessure.

Keiichi

— Une blessure…

hein ?

Rena ne pensait certainement pas à une blessure physique en disant cela.

Rena

— Elle faisait semblant de ne pas trop en souffrir au départ.

Mais comme un vraie blessure,

elle a gonflé.

Puis elle a eu des élancements.

Et puis la douleur est devenue tellement forte qu'elle s'en réveillait la nuit.

Rena

Et puis elle m'a téléphoné.

Elle pleurait, tu sais.

Keiichi

— Écoute, je suis désolé, mais…

de quoi tu parles, là ?

Rena

— De quoi je parle ?

Comment ça ?

Je sais pas, j'ai dit quelque chose, à l'instant ?

Keiichi

— C'est bon, vas-y, commence pas.

Tu viens de me parler de...

Rena

— Je sais pas je sais pas je sais pas !

Je ne suis au courant de rien.

Hauuuuu !

Riant aux éclats, elle se remit à tournoyer, de plus en plus vite. Apparemment un peu trop, d'ailleurs, car elle finit par tenter de s'accrocher au premier mur qui lui tomberait sous la main pour se maintenir debout.

Rena

— Hauuuu, mes yeux…

J'ai la tête qui tourne !

Keiichi

— Pauvre idiote !

Il fallait pas tourner comme une folle non plus !

Rena

— Oui, tu as raison.

Hau… Je crois que je vais me sentir mal...

Je la saisis et plaça son bras sur mes épaules.

On avait l'air de deux collègues de travail bourrés ; c'était un peu osé pour notre âge, à la réflexion.

Après cela, Rena fit la conversation à toute allure, de très bonne humeur.

Parfois, je mêlai mes rires aux siens ou répondis à ses provocations.

Mais je n'eus plus l'occasion de pouvoir lui demander plus d'explications sur ce qu'elle avait voulu dire.

Sitôt arrivé à la maison, je balançai mon cartable dans un coin de ma chambre et me changeai à toute blinde.

Ma diète forcée de midi commençait à porter ses fruits :

Mon estomac se plaignait bruyamment.

Allez hop, on y va, en route vers l'Angel Mort !

On n'y résiste pas... à l'appel des desserts !

Paré au combat !

Keiichi, go !

Lorsque j'arrivai au restaurant, je remarquai tout de suite une atmosphère différente des autres jours.

Il y avait un signe sur l'entrée : 『Aujourd'hui, journée spéciale des desserts - Entrée réservée à nos invités d'honneur』

Pourtant, plus d'une dizaine d'hommes approchant la trentaine se pressaient aux portes du restaurant.

Ils regardaient à l'intérieur avec des regards envieux -- ils n'avaient donc probablement pas d'invitation.

Mais alors, s'ils savent qu'ils ne pourront pas rentrer, pourquoi restent-ils agglutinés devant la porte ?

J'eus la réponse à cette question à la seconde où je posai le pied sur la première marche de l'entrée.

Homme

— Vous... tu as eu un ticket gagnant ?

C'est ça ?

Keiichi

— Euh... ouais.

Ben,

j'ai eu de la chance, quoi.

Ils furent instantanément devant moi !

Ils me prirent tous par le bras, me tirant chacun à soi.

Mais qu'est-ce que c'était que ça ?

En fait, ils m'expliquèrent la situation.

Il paraissait que chaque ticket permettait en fait au gagnant et à trois personnes de son choix d'entrer dans le restaurant.

Keiichi

— Ah, je comprends...

J'aurais vraiment dû inviter les filles, alors.

Ben écoutez, merci de me l'avoir dit,

mais je vais faire comme si je n'avais rien entendu.

Un sourire aux lèvres, je m'apprêtai à avancer en les ignorant, lorsque soudain, tels des morts-vivants, ils me suivirent, les bras tendus vers moi !

Otaku

— Aaaaaatteeeeends, preeeeends-nous aveeeeeec !

En tout cas, ils ne manquent pas d'air...

C'est pour ça qu'ils restaient là, alors !

Des dizaines de mains fébriles et pleines de sueur tentèrent de m'attraper…

et se refèrmèrent sur du vide !

Je me trouvais déjà en haut des escaliers.

Homme

— Ouah, mais il est super rapide !

Attrapez-le !

Alors là, sans moi les gars !

Je plongeai à l'intérieur du restaurant... et entrai en zone libre.

De l'autre côté de la porte vitrée, je les vis me maudire.

La porte à double vitrage et la climatisation à l'intérieur m'empêchaient de les entendre,

et lorsqu'une serveuse s'approcha de moi, souriante,

je sus que je serais très prompt à oublier jusqu'à leur existence.

Ce n'était pas bien de se moquer, mais je lâchai un petit rire sournois et moqueur, savourant ma victoire.

Serveuse

— Je vous en prie, donnez-vous donc la peine d'entrer.

Bienvenue à vous à l'Angel Mort.

Serveuse

Vous n'êtes pas sans savoir qu'aujourd'hui a lieu notre journée des desserts et que l'entrée n'est autorisée qu'à certaines personnes uniquement.

Serveuse

Auriez-vous l'amabilité de me montrer votre ticket et de m'indiquer le nom de vos invités ?

Keiichi

— Eh bien, en fait, je n'ai pas de ticket, mais je pense que mon nom devrait se trouver dans vos registres.

Je m'appelle Maebara.

Serveuse

— Maebara…

Maebara ?

Ah, ici.

Puis-je vous demander votre prénom ?

Keiichi

— Keiichi.

Keiichi Maebara.

Serveuse

— Fort bien. Veuillez m'excuser pour avoir tenu à vérifier. Merci de votre compréhension.

Je vois que vous êtes sur la liste des invités spéciaux.

Je vais vous accompagner à votre place.

Si vous voulez bien me suivre ?

L'ambiance dans le restaurant-même était électrique.

Tous les compartiments séparés étaient pleins à craquer.

Cela faisait un peu peur de voir tous ces adultes manger des gâteaux très sophistiqués avec des sourires et des mimiques d'enfants.

À peine assis à ma table, j'eus la visite de Shion.

Shion

— Bonjour.

Bienvenue à l'Angel Mort.

Keiichi

— Yo, Shion ! Franchement, merci pour l'invitation aujourd'hui.

Voyons voir ce que tu as en réserve !

Shion

— Tu es un peu en retard, je me faisais du souci.

Mais je suis bien contente que tu sois venu.

Je ne sais pas si elle restait un peu rigide à cause des regards des autres clients, mais au moins elle me fit l'un des sourires radieux dont elle avait le secret.

Shion

— Comme tu peux le voir, nous sommes bondés aujourd'hui, donc je ne sais pas si je pourrai gruger pour venir faire la conversation.

Shion

Prends ton temps jusqu'à la fin de mon service, d'accord ?

Shion

 Nous irons nous promener ensuite !

Elle s'approcha de moi et me murmura la fin à l'oreille puis elle me fit un clin d'œil et retourna en cuisine.

Elle était plutôt provocante aujourd'hui.

Les petits riens qui détonaient dans son comportement me rendirent nerveux.

Shion

— Excusez-moi de vous avoir fait attendre !

L'un après l'autre, les desserts furent servis, tandis que l'atmosphère oppressante achevait de m'intimider.

Ils avaient tous une sacrée allure, et un volume impressionnant !

Je comprenais mieux pourquoi les tickets se vendaient à des prix aussi exorbitants au marché noir.

Le pire, c'est qu'ils étaient tous très bons.

Il y en avait pour la populace et d'autres pour les gourmets les plus maniaques... Quel répertoire phénoménal !

Keiichi

— Je vois vraiment pas comment quelqu'un pourrait finir un dessert comme ça tout seul...

Mais bon, c'est qu'un détail après tout.

Je ne savais pas pourquoi, mais je n'arrivais pas à me calmer.

Il faut dire... les autres clients étaient un peu ... particuliers.

Toutes les autres tables étaient occupées à quatre.

La plupart étaient des trentenaires, sinon plus âgés, dévorants des desserts préparés avec délicatesse comme si cela avait été de la simple graille, léchant avec une ferveur écœurante qui les cuillers, qui la coupe de glace, qui l'assiette.

Je fus piqué par la curiosité et prêtai une oreille à leurs conversations... et bien mal m'en prit !

Otaku

— Haa, oui, c'est booon…

Angel Mort, je t'AIIIIIIIIME ! ♪

Otaku

— Ah, qui, moi ?

J'ai acheté le ticket pour 70 000 sur Epay !

Otaku

— J'ai dit à mon patron que c'était pour l'enterrement d'un cousin !

Je pouvais pas rater ces uniformes, quand même ?

Otaku

— Hm, la hm, serveuse, hm, si elle pouvait, hm, faire tomber de l'eau sur hm mon patalon hm et ensuite s'agenouiller hm pour bien frotter hm bien comme il faut hm alors là je hm, je… Miaou!

Miaou Miaou !!

Otaku

— Il paraît qu'un éditeur va sortir les figurines des serveuses en 16e,

il va falloir faire attention au prochain évènement...

Otaku

— En parlant de cela, ce fabricant a décidé de faire la différence!

Nous devons confirmer la date de sortie !

Otaku

— Le problème, c'est qu'il y a trop de variantes pour les acheter en masse…

Otaku

Si c'était juste une collection d'uniformes de restaurants familiaux, il y en aurait juste une dizaine… Mais, en ajoutant la collection secrète contenant différentes poses qui a été annoncée, on est à plus de 100 !!!

Otaku

— Que quelqu'un échange avec moi quand j'aurais un doublon~☆

C'est mon devoir en tant que fan de completer la collection aussi vite que possible !

Non, c'est le destin qui nous réunit !!

... Je ne comprenais strictement rien à ce qu'ils se racontaient.

Mais quelque part, je savais que c'était malsain !

Serveuse

— Je m'excuse de vous avoir fait attendre.

Voici le prochain dessert, “Aventure des îles du Sud parfum canelle”.

... Un problème ?

Keiichi

— Hein ?

Non, non.

C'est juste...

l'ambiance. C'est spécial, aujourd'hui.

Serveuse

— Oui, notre établissement est très réputé parmi ce type de personnes.

Serveuse

Enfin, c'est un peu notre faute, ils sont notre cible commerciale ☆

Serveuse

Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, ils sont fébriles, même par rapport à d'habitude...

Cette dernière phrase, elle me l'avait murmurée à l'oreille, prétextant de passer un coup de chiffon pour s'approcher de moi.

Serveuse

— Je ne sais pas, mais leurs yeux sont injectés de sang, on dirait des hyènes.

Serveuse

— Il faut dire que la plupart d'entre eux viennent de très, très loin pour participer à cette journée spéciale, ils sont plus ou moins prêts à tout.

Serveuse

Et comme ils ne connaissent pas vraiment les règles de bienséance en société, cela peut vite déraper.

Serveuse

Il faut vraiment assurer ses arrières.

Assurer ses arrières ? Que voulait-elle donc dire par là ?

Soudain, il y eut un grand bruit de vaisselle.

Surpris, je me retournai... Une serveuse était tombée par terre, et le dessert qu'elle tenait s'était renversé sur un client.

Eh, mais c'est Shion !

Shion

— Oh, je…

Je suis extrêmement confuse, je...

Je vous demande pardon, ce... je...

Otaku

— Mais enfin, qu'est-ce qu'il vous prend, mademoiselle !

Vous ne vous rendez pas compte, j'ai dû gaspiller presque 1800 Yens pour ces jeans, et vous m'avez mis plein de crème dessus !

Héhé, héhéhéhé, rah oui...

Mais qu'est-ce qu'il a, ce mec ?

Il devrait être énervé, mais on dirait qu'il en est tout heureux…

Otaku

— Ah, mais c'est une tragédie.

La seule manière d'expier cette faute professionnelle serait de bien frotter et de bien nettoyer, très consciencieusement ♪ !

Cette histoire prenait un tour ridicule.

Comment a-t-il dit ?

Qu'elle devrait “frotter consciencieusement” ?

Il ne se rend pas compte que la crème est tombée exactement sur son entrejambe ou quoi ? ... À voir le piquet de tente dressé, visible à cinq mètres malgré la crème, je crois qu'en fait il était parfaitement conscient de cela…

Shion

— Hein ?

Mais…

enfin, c'est-à-dire que...

Je-j

Otaku

— Faut frotter !

Faut frotter !

Faut frotter !

En un instant, nombre de clients avaient repris cela en cœur et le scandaient à tue-tête.

Shion devint livide, et se tourna, tremblante, vers l'autre serveuse... mais celle-ci, le regard compatissant, fit simplement non de la tête.

Serveuse

— Mademoiselle Sonozaki, ils vous ont fait un croche-pied, n'est-ce pas ?

C'est un genre d'accidents qui arrivent très fréquemment en ce moment, lorsque nous avons ce genre de clients.

Keiichi

— Quoi ? Un croche-pied ?

Vous voulez dire que c'était…

fait exprès ?

Serveuse

— Les serveuses habituelles ont prit le pli, à force, et font très attention, mais une toute jeune comme elle... Forcément, c'est une proie facile.

Serveuse

Les clients n'arrêtent pas de tenter le coup depuis ce matin.

Keiichi

— Mais enfin, il fait quoi votre patron ?

Virez-les, ces connards !

— On ne peut pas se permettre de faire ça dans notre branche de métier...

Elle souriait, mais je sentais une certaine lassitude dans sa voix.

Shion, rouge de honte, prit un torchon mouillé, tremblante comme une feuille.

Le client “souillé” de crème s'avachit sur son siège, exhibant de manière abusive la proéminente toile de tente qui ornait son pantalon.

Avec un dégoût évident, Shion s'avança lentement vers l'épreuve qui l'attendait...

Otaku

— Allons, allons, allons…

Frottez avec soin !

En tant qu'homme, je trouvais la scène gênante mais somme toute assez comique…

mais Shion devait se sentir humiliée.

Mais lorsque, tout homme que j'étais, les trois voyous m'ont pris par le colback,

Shion, toute femme qu'elle était, n'avait pas hésité à me venir en aide.

Mais en même temps, c'est un peu de sa faute si elle est dans cette situation... et puis elle ne va pas en mourir non plus... n'est-ce pas ?

De toute façon, les clients doivent bien se rendre compte qu'ils sont un peu pervers sur le coup-là et ils en profitent un peu pour la charrier, c'est tout...

Je n'aurai qu'à m'excuser par la suite de n'avoir pas su quoi faire...

Shion

— Oh, mais j'avais très peur, tu sais.

Mais bon, c'était toi, je pouvais pas te laisser tout seul...

Alors je me suis forcée à faire preuve de courage.

Lorsque les trois voyous m'avaient pris par le colback, Shion n'avait pas hésité à me venir en aide.

Et maintenant, c'est quoi la situation ?

Des vieux pervers lui cherchent des noises...

C'est exactement la situation inverse !

Bon, eh, Keiichi Maebara. Bouge-toi un peu les doigts du cul.

Si tu ne la sauves pas maintenant, alors quand ?

Tu as peur ou quoi ?

Shion, enfin, il faudrait dire “Mion”, n'a rien montré de la peur qui l'étreignait à ce moment-là.

Et alors moi, maintenant ?

Je ne pense pas vraiment avoir peur.

Alors pourquoi tu bouges pas, ducon ?!

T'es vraiment trop nul !

...

Otaku

— Allons, mademoiselle, c'est le métier qui rentre !

Hoohhohhohho !

Keiichi

— Ta gueule, gros con.

Barre-toi avant que je m'énerve.

Après ce petit effet dramatique, je pris Shion par les épaules et la plaçai derrière moi.

Shion

— Kei, je...

Otaku

Cette serveuse a sali le pantalon d'un client, son maître et roi !

Keiichi

— C'est toi qui va recevoir une leçon !

T'es un homme ou une tapette ?

Lève-toi, je te prends et je te casse, moi !

Pif PAF vlan !

Propulsé en l'air et en arrière par la force des coups, je fus projeté jusque sur mon siège, qui me frappa en plein dans le dos.

Mais... comment peut-il être aussi fort ?

C'est un gras du bide, il n'a sûrement pas fait de sport ces 15 dernières années !

Otaku

— Héhhéhhééé...

Otaku

Nous autres “Wotaku” (Avec un “w” que l'on ne prononce pas, car mettre un “wo” archaïque c'est plus classe que de mettre un bête “o” comme tout le monde) sommes très enclins à apprendre des arts martiaux absolument inconnus du grand public ! Tu vas y perdre des plumes, gamin !

Découvrant une rangée de dents ravagées par les caries et les malformations, il eut un sourire jouissif.

Shion

— Kei, ça va ?

Ben bravo, j'ai à peine pas l'air d'un con !

Keiichi

— Ils t'ont fait un croche-pattes, non ?

Keiichi

C'est eux qui sont en tort, tu n'as pas à lui nettoyer les habits !

Shion

— Oui mais…

C'est quand même ma faute si le dessert lui est tombé dessus, non ?

Keiichi

— WhooOooAaaaa !!

J'en ai pas terminé avec toi !

Tu vas voir !

Blam crac paf !

Keiichi

— Si... si tu crois que tu me fais peur, tu te fourres le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate, mon grand !

Prends encore ça !

Pif tac CRAC !

Otaku

— Hohhohho !

Tu as encore des progrès à faire, petit scarabée !

Keiichi

— J'ai pas dit mon dernier mot !

Brûle, mon cosmos !

Étends-toi à l'infini, et puise dans mon septième sens !

Il ne servait à rien de courir vers lui, il fallait plutôt s'approcher à distance raisonnable pour le frapper.

À chaque pas qui me rapprochait du gros tas de graisse, je sentais une aura de puissance se dégager de mes pieds et remonter le long de mes jambes !

J'avais l'impression de me déplacer plus lentement qu'il était naturellement possible.

Et pendant ces pas en slow-motion, j'analysai la distance idéale pour l'attaquer.

Je suis plus grand que lui, donc j'ai plus d'allonge.

Je dois me placer pile à l'endroit où je peux le frapper mais lui pas moi !

Je décochai une droite en faisant tourner mon poing légèrement sur son axe, et le vis progresser lentement mais sûrement vers le visage de mon adversaire.

Il eut un sourire et fit un pas ... en avant, à l'intérieur de mon bras.

Voyant toujours la scène au ralenti du fait de mon accès de surpuissance, j'eus le loisir d'observer sa façon de procéder pour me battre.

Faisant tournoyer son bras comme un moulin,

il entraîna mon bras avec le sien, vers le bas...

puis, comme une aiguille,

il continua à faire tourner nos deux bras, les faisant remonter tous les deux vers moi.

L'un se planta dans mon ventre et l'autre dans mon menton...

Après m'avoir fait faire tout un tour sur moi-même,

il en remit une couche…

en accélérant la rotation !

C'était une défense qui lui servait aussi de contre-attaque, et qui s'avérait rudement efficace.

Au troisième tour sur moi-même, il se prépara à lâcher prise pour m'envoyer valser dans le décor.

Le plus énervant, c'est que même en voyant et en prévoyant ce qu'il allait faire, je devais attendre que mon accès de surpuissance prît fin avant de pouvoir tenter quoi que ce soit, car il rendait ma conscience tellement rapide qu'en comparaison, j'avais l'impression de bouger au ralenti.

Enfin, lorsque mon corps décolla et fut propulsé en arrière, le Temps reprit son cours normal.

CRAAAAAAAAAAAAAAAAAASH

Otaku

— Tu manques sérieusement d'entraînement,

petit scarabée !

J'enrageai de devoir le reconnaître, mais contre quelqu'un qui a vraiment appris à se battre, un coup de colère se suffisait pas.

Tout devint sombre un bref instant, comme lors d'une baisse de tension artérielle. Lorsque ma vue redevint nette, je me rendis compte que j'étais allongé sur deux chaises, à ma table.

Serveuse

— Heureusement que vous n'êtes pas blessé.

Une serveuse m'épongeait le front avec une serviette propre.

Je vis alors Shion venir vers nous, les yeux enlarmés.

Shion

— Est-ce que ça va ?

Quand je pense... il fallait pas, voyons ! Merci, mais il fallait pas !

Keiichi

— Arrête, je n'ai rien pu faire. Je m'excuse, je n'ai servi à rien.

J'ai jamais été doué pour me battre, même dans mon autre école...

Shion

— Tu ne comprends pas, ça me fait quelque chose de savoir que tu as fait ça pour moi...

Ah non mais vraiment, hein ?

Je suis super contente que tu sois venu aujourd'hui.

Elle fit un sourire et s'essuya les larmes aux coins des yeux, tirant la langue avec un fantôme d'espièglerie.

Je remarquai alors la serviette-éponge pleine de crème qu'elle tenait dans les mains.

Serveuse

— Mademoiselle Sonozaki, vous pouvez arrêter pour aujourd'hui.

Il ne vous reste plus qu'une heure ou deux, de toute façon ?

Shion

— Oh, ne vous en faites pas.

Ce n'est qu'un temps partiel, mais je suis payée,

j'aimerais faire ça correctement. Je terminerai ce soir.

Je vous assure que ce n'est pas la peine de me faire un traitement de faveur...

À qui voulait-elle donc faire croire que tout allait bien ?

Je n'aurais jamais pensé voir un jour Mion dans un état pareil. Quoique, aujourd'hui, c'était un peu plus compliqué...

Tenons-nous en aux faits :

“Shion” avait eu maille à partir avec des moins que rien.

Shion

— Ne te tracasse pas dessus, Kei, mange.

Il y aura un petit sondage quand tu auras mangé tous les desserts.

... Bon, écoute, j'ai du travail, j'y retourne.

Sa collègue lui montra un dernier regard plein de compassion et s'apprêtait à repartir...

mais je l'arrêtai de la voix.

Keiichi

— Ah, excusez-moi, s'il vous plaît ?

Il y aurait moyen de passer un coup de téléphone ?

Serveuse

— Le téléphone ?

Il y a un poste public à côté de la caisse, à l'entrée.

Je vais vous y conduire.

Je pris une pièce de 10 yens de ma poche.

Il me fallait mettre ma fierté de côté.

J'aurais pu pleurer de rage, mais je pourrais faire cela ce soir.

Mais maintenant n'était pas le temps de pleurer.

Il était temps de se battre !

Keiichi

— Chaque ticket est valable pour quatre personnes, c'est bien cela ?

Je peux appeler trois amies ?

Serveuse

— Oui, bien sûr.

Il me faut leur nom, par contre. Qui souhaitez-vous inviter ?

Je me retournai une dernière fois vers la salle du restaurant.

Le gras du bide et ses acolytes repoussants étaient toujours là, à préparer leur prochain méfait.

Le destin va vous rattraper, les gars.

J'ai une dette envers Shion.

Je sais faire abstraction de ma fierté lorsqu'il le faut.

Mais surtout...

... J'ai les amies les plus puissantes de toute la planète pour m'aider en cas de pépin !

Keiichi

— Si vous voulez bien noter ?

Rena Ryûgû.

Satoko Hôjô.

Et Rika Furude.

Serveuse

— Très bien, c'est noté.

Les meilleurs soldats du monde vont rejoindre mon unité.

Chacun d'entre eux compte pour mille comme toi !

Tu vas prendre la déculottée de ta vie, tas de graisse !

Toi et tes potes, vous allez tous mourir !

Rena

— Ouah, mais il est super, ce restaurant !

Hauuuuu ! Mais ils sont super mimiiis ces uniformes !

Je veux le même à la maison !

Hau !

Rika

— Et en plus, nous allons pouvoir manger des desserts sans rien payer !

Keiichi

— Oui, mangez autant que vous voulez.

Ne vous en faites pas pour moi.

Satoko

— Écoutez, mon cher, nous ne sommes pas venues pour faire la conversation.

Pourrions-nous passer à l'affaire qui vous préoccupe ?

Reprenant leur sérieux, Rika et Rena posèrent leur fourchette.

Après les avoir regardées tour à tour dans les yeux, en silence, je posai la tête sur la table, joignant les mains par dessus.

Keiichi

— Je vous en supplie.

Vous pourrez vous moquer de moi autant que vous voudrez,

mais aidez-moi !

Surprises par mon attitude, elles se regardèrent en silence, mais restèrent sérieuses.

Rena

— Qu'est-ce qu'il y a, Keiichi ?

Il s'est passé quelque chose ?

Keiichi

— Eh bien, pour tout vous dire... Aujourd'hui, la sœur jumelle de Mion travaille au restaurant. Elle s'appelle Shion.

Rena

— Oh, celle dont tu parlais l'autre jour ?

Mais alors, ce serait elle, là-bas ?

Ah oui, elle lui ressemble ! Elle lui ressemble !

Satoko

— Mais enfin, ne soyez pas ridicule, ma chère ! Il apparaît évident qu'il s'agit simplement de Mion avec une autre coupe de cheveux !

Argh. Elles ont tout de suite vu à travers le déguisement. Je ne savais plus trop quoi dire.

Rika

— Si Keiichi dit qu'elle s'appelle Shion, alors appelons-la Shion.

Satoko

— Mais enfin, même des jumeaux ne se ressemblent pas autant que cela !

Rena

— On les appelle des jumeaux monozygotes, ils sont issus de... rien, ce n'est pas encore dans vos livres de classe, je pense...

Enfin bref, certains jumeaux se ressemblent vraiment comme deux gouttes d'eau.

Satoko et Rika hochèrent de la tête, semblant accepter cette explication comme étant suffisamment rationnelle.

Keiichi

— Bon, vous êtes convaincues ?

Alors passons aux choses sérieuses.

Alors je leur racontai tout.

Comment Shion avait été piégée par ces imbéciles, comment ils l'avaient humiliée.

Et aussi comment j'avais tenté d'y remédier, et comment je m'étais ridiculisé.

Rena

— Oh, mais c'est horrible.

La pauvre...

Satoko

— Je dois tout de même avouer avoir du mal à croire que vous fussiez si incompétent en tant que prince charmant.

Vous devriez avoir honte, mon cher !

Keiichi

— Je n'ai aucune excuse, et je ne ferai pas de commentaire là-dessus.

Rena

— Satoko.

Il est parfois très difficile de reconnaître sa défaite et d'accepter ou carrément de demander de l'aide.

Keiichi a préféré sacrifier sa fierté personnelle pour pouvoir aider Shii, tu comprends ?

Satoko

— Pff, balivernes que tout cela.

Rena abondait en mon sens et je lui en étais très reconnaissant.

Et même si Satoko semblait très déçue par mon manque de résultat, elle n'en était pour autant ni méprisante ni réticente à m'apporter son aide.

Rika

— Et donc en fin de compte, que sommes-nous censées faire ici ?

Cela eut pour effet de les plonger toutes les trois dans un silence lourd de sens.

Je répondis à ce silence en les regardant tour à tour, leur signifiant mon accord tacite.

Satoko

— J'en étais sûre...

Enfin, tant pis. Il est vrai que la tâche est légèrement au-dessus de vos moyens.

Keiichi

— Alors... vous êtes d'accord pour m'aider, vraiment ?

Rena

— Évidemment, Keiichi !

On ne va pas rester là pendant qu'elle se fait bizuter !

Le jour où je me suis fait aggresser, Shion m'avait parlé de cette unité qui soudait les habitants de Hinamizawa. J'en avais maintenant une preuve éclatante.

Mais ne t'égare pas, Keiichi Maebara !

Ce n'est pas le moment de s'extasier devant la compassion des autres... il te faut te battre maintenant !

Keiichi

— Merci les filles ! Je vous revaudrai ça !

Rika

— Pauvre petit, tu n'as pas fait le poids en y allant tout seul.

Rika me caressa la tête.

Je ne ressentis aucune méprise dans son geste, à dire vrai.

J'eus l'impression qu'elle me disait qu'elle prenait les commandes et que tout allait bien se passer.

Keiichi

— Bon, pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer en détail, Mion n'est pas là aujourd'hui donc je servirai de chef des opérations, exceptionnellement.

Keiichi

Il vous faudra protéger Shion et débarrasser cet endroit de la vermine qu'il contient.

Rena

— La vermine, c'est-à-dire ?

Il y en a beaucoup ?

Keiichi

— À partir de maintenant, toute personne, seule ou en groupe, qui tenterait de faire quoi que ce soit de méchant à Shion sera considérée comme vermine indésirable.

Keiichi

Vous avez carte blanche.

Keiichi

Votre récompense vous a déjà été présentée, il s'agit des desserts que vous avez eus, vous pourrez en avoir d'autres si vous le désirez.

Keiichi

Des questions ?

Les trois membres du club, déjà prêtes à l'action, scrutaient de leurs yeux de prédateurs les éventuelles proies qui pourraient se trouver dans le restaurant.

Rika leva soudain la main.

Keiichi

— Oui, Rika ?

Rika

— Pouvons-nous y aller franchement ou bien sommes-nous supposées faire preuve de retenue ?

Satoko

— Mais voyons, bien sûr que non !

Ces malotrus s'en sont pris à la sœur cadette de notre chère Mion ! Ils ne méritent aucune pitié, alors pas de quartiers !

Rika

— Vous en êtes bien certain, Keiichi ?

Rika est prête à tout aujourd'hui.

Je sens comme une envie de meurtre en elle.

Vas-y, ma grande, lâche-toi !

Keiichi

— Je suis prêt à assumer l'entière responsabilité de ce qu'il pourrait se passer ici. Je serai seul à porter le blâme.

Alors ne vous gênez pas, virez-moi ces enflures !

Rena

— Ahahahahaha !

Bon, eh bien alors,

allons-y gaiement !

Keiichi

— Merci ! Merci du fond du cœur !

Je compte sur vous !

Satoko

— Allons, allons, mon cher, ressaisissez-vous, voyons, ne soyez pas si coincé.

Ouvrez grand les yeux et admirez le spectacle.

Nous allons nous débarrasser d'eux avant que n'ayez le temps de finir ce parfait.

Rika

— Bon, eh bien alors, toutes après moi :

Faisons de notre mieux !

Courage ! Ne nous laissons pas abattre !

レナ

— Yeahhh !!

Et ainsi, les troupes spéciales formées par la colonel Mion se mirent en route pour accomplir leur mission...

Vu de l'extérieur, j'étais le chef des opérations, mais en fait, j'étais un novice comparé à elles.

Chacune d'entre elles avait un potentiel de combat assez effrayant.

Qui sait ce dont elles sont capables en unissant leurs forces ?

Je n'en avais aucune idée.

J'allais sûrement être le témoin de scènes d'horreur...

Serveuse

— Mademoiselle Sonozaki, cinq parfaits taille deluxe pour la table 7.

Shion

— Oui, tout de suite !

Shion apparut, cinq desserts posés sur sa tablette.

Elle faisait tellement attention à l'équilibre des desserts sur son plateau qu'elle ne regardait pas devant ses jambes...

Otaku

— Éhhéhhé, Camarades ! La voilà de retour !

Otaku

— À mon tour ! Je ferais en sorte d'avoir de la crème même dans le pantalon !

Les malappris qui l'avaient humiliée moins d'une heure auparavant réagirent aussitôt !

Keiichi

— Unité Rena, ici Keiichi.

On nous signale une embuscade entre les tables 5 et 6, répondez.

Unité Rena, répondez ! Unité Rena !

Rena

— Mais ils sont trop beaux ces uniformes... Hau… Je vais la ramener chez moi ce soir...

Suivant exactement les mêmes pas et les mêmes déplacements incertains de Shion, Rena la suivait comme un petit chien, fixant avec des yeux enamourés la jupe du costume.

Elle avait apparemment complètement oublié sa mission, bavant et piaffant d'impatience à moins d'un mètre de l'objectif qu'elle était censée protéger.

C'était en quelque sorte comme si un loup avait été commissionné derrière un mouton pour le “protéger”…

mais c'était mal connaître Rena !

Keiichi

— Son taux de synchronisation dépasse les 400%

Plus rien ne pourra l'arrêter.

Satoko

— Elle s'est libérée des entraves des lois de la Physique. Nous ne pourrons plus la contrôler…

Les gros tas étaient prêts à passer à l'action !

Otaku

— Maintenant, Camarades !

Otaku

— Longue vie au Grand Timonier, dont la sagesse illumine le monde telle l'étoile du matin à la surface de la mer !

Leurs jambes se détendirent et décrivirent des zig-zags,

tels des serpents bondissant sur leur proie !

THAP THAP THAP

Otaku

— Aïe !

— Ouille !

— Quewouah ?

Tout se passa en un éclair !

Les trois malfrats furent soudain à terre, leurs jambes pliées dans un angle qui n'était pas naturel...

Otaku

— AaaaaAAAaah, ma jambe !

Otaku

— Mais... mais que s'est-il passé ?!

Rena se tenait devant eux, toute souriante.

Rena

— Hauuuuu ! Il ne faut pas faire des croche-pieds, c'est pas gentil ☆

Méchants garçons ! Méchants !

Faut pas faire ça, elle est à moi, rien qu'à moi ♪

Otaku

— Mais quelle est la technique de combat qu'elle a utilisée ?

Stupéfaits, les tas de graisse restaient à terre, massant leurs membres douloureux...

Satoko

— Sacré Rena…

C'est toujours un spectacle fascinant que de la voir à l'œuvre.

Keiichi

— Oui, c'est une protection parfaite !

Rena peut contrer et désintégrer tout ce qui passe dans un rayon de 2m !

Au fur et a mesure des commandes et des déplacements de Shion, le nombre de clients se tordant de douleur alla en augmentant.

Rena

— Hauuuuuu ☆

Unité Rena à Keiichi.

Plus aucune cible ennemie en vue !

Je me prépare à emmener Shii dans ma chambre !

Keiichi

— Keiichi à Unité Rena.

Bien joué.

Restez vigilants, continuez la mission.

Autorisation d'emmener la serveuse dans votre chambre refusée !

Je répète, autorisation refusée !

Rena

— Mais je regarde juste, je la touche pas ! Hauuuu ♪

... Bah, tant qu'elle la touche pas...

Si elle continue sa mission, je ne vois pas de problème.

En tout cas grâce à elle, je sais maintenant qui est là pour les desserts et qui est là pour attaquer les serveuses !

Les bleus sur leurs tibias et leurs genoux sont autant de marques au fer rouge !

Keiichi

— Identification des forces ennemies terminée.

Début de la phase deux des opérations.

Unité Satoko, ici Keiichi, répondez !

Qu'est-ce que vous foutez ?

Satoko

— Unité Satoko, je vous reçoit 5 sur 5.

Vous devriez surveiller votre langage, mon cher.

Pour qui me prenez-vous ?

Satoko était dans les cuisines.

Étalant un plan des tables avec leurs commandes et leurs numéros, elle plaça les desserts qu'elle avait préparés à certains endroits stratégiques.

Shion

— Dites-donc, qu'est-ce que vous faites ici, vous ?

Serveuse

— Bah, laissez-la, voyons.

Mademoiselle, vous avez encore beaucoup de desserts à servir,

j'espère que je peux compter sur vous ?

La chef des serveuses donna quelques ordres précis à toutes les autres serveuses, et tous les desserts spéciaux partirent en même temps.

Par conséquent, tous les desserts trafiqués furent servis pour être mangés en même temps.

Rena

— Hau !

Oh, mais qu'ils sont mimis ! Et il y en a tout plein !

Hau !

Keiichi

— Tu es bien consciente, j'espère, que si tu tiens à ta santé,

il vaudrait mieux ne pas y toucher ?

Rena

— Mais oui, bien sûr que je le sais, mais tout de même, regarde-les ! Hauuu !

C'est vrai, ils étaient tous dressés très joliment.

C'était un régal pour les yeux, qui promettait monts et merveilles pour l'estomac.

Mais sachant que Satoko les avait préparés... ils pouvaient tout aussi bien être de nouvelles formes de vie inconnues !

Sans la moindre idée de ce qui les attendait, les cibles ennemies dévorèrent leur plat.

Otaku

— Uh oh... !

— Tiens ?

— Ouh là…

Après quelques instants, je pus constater leur efficacité.

Keiichi

— Unité Satoko ?

Qu'avez-vous fait ?

Vous y avez rajouté du sel ? Du tabasco ?

Satoko

— Allons bon, mon cher, ne soyez pas ridicule.

Pas de pitié, nous étions pourtant d'accord ?

Vous nous avez donné carte blanche. Je ne suis pas là pour faire semblant, vous savez.

Faisant tournoyer une petite pipette louche entre les phalanges de ses doigts, elle la rangea dans un petit étui en cuir.

Satoko

— Unité Satoko à Unité Rika.

Les clients-cibles seront bientôt chez vous.

Veuillez les escorter à destination.

Rika

— Unité Rika, c'est compris. Laissez-moi faire...

Je tournai la tête à droite, puis à gauche, mais ne vis pas où était Rika.

Bizarre...

Il y eut soudain plusieurs bruits de chaises.

Nos cibles s'étaient levées et cherchaient désespérément quelque chose des yeux.

Hmmm, laissez-moi deviner.

Ils cherchent tous quelque chose en l'air... et s'arrêtent tous précisément sur un point fixe.

C'était un panneau. Ils fixaient tous le panneau des (´toilettes`) !

Il ne s'agissait pas d'une ou de deux personnes.

De toutes les tables du restaurant, toutes nos cibles s'étaient levées comme un seul homme.

Otaku

— Hmmm, il semblerait que j'aie été trop prompt à avaler.

Où sont les toilettes ?

Otaku

— Cela tombe bien, la Nature m'appelle moi aussi.

Et pour la grosse !

Croupier, bloquez la roulette et faites en sorte qu'elle ne s'arrête pas !

Otaku

— Vite, vite, le petit coin, où il est ?

Ah, le voilà !

Vite, j'ai la taupe au guichet !

Aha. D'un seul coup, tout devenait plus clair.

Maintenant, la question, c'était de savoir ce qu'elles avaient prévu de faire.

La curiosité prit le dessus et je me joignis à la longue colonne qui s'avançait vers les toilettes des hommes.

Plus d'une dizaine d'homo sapiens sapiens mâles adultes se pressaient aux portes du trône de faïence.

Otaku

— Qu'est ce que-kwa ??!!

Jetant un œil par-dessus leurs épaules, je vis l'ampleur de la catastrophe.

Les cabinets étaient bouchés et faisaient une remontée d'eaux usées, dégageant une odeur pestilentielle !

Impossible de couler un bronze dans ces conditions !

La vache... Satoko ne faisait vraiment pas dans la dentelle !

Ah, mais en fait, non, ce n'était pas Satoko qui était responsable de cela.

C'était une punition divine.

Franchement, c'était la faute à pas de chance.

Malheureusement, le personnel allait devoir nettoyer...

Otaku

— Impossible de lâcher du lest intestinal ici !

Otaku

— Aaaaah, ouh làlàlàlàlàlàlà,

que faire, Camarades ?

C'était une jolie série de coups vicieux, mais à vrai dire, j'aurais aimé un petit truc en plus histoire d'enfoncer le clou.

Connaissant Satoko, elle devait sûrement avoir un petit quelque chose en réserve !

Otaku

— Fort bien, nous n'avons plus le choix...

Poussés par la nécessité, les hommes se mirent à réfléchir à toute vitesse et trouvèrent presqu'aussitôt la solution.

Les toilettes des filles !

Otaku

— Hmmm, vous ne croyez pas que c'est un peu limite ?

Otaku

— Il n'y a aucune femme parmi les clients aujourd'hui !

C'est l'œuf de Colomb !

Otaku

— Rah oui, les toilettes des filles, oh oui, oui, OUIIIIIII !

Ma parole, ils sont complètement tarés !

Commençant sérieusement à transpirer, ils se pressèrent dans le couloir des toilettes des filles !

Rika

— Miaou ?

Otakus

— Quoi ?!?!?

Contrairement à toutes les prévisions, une vraie petite fille en chair et en os, Rika, se trouvait déjà là.

Pétrifiés par la honte et la peur de l'incontinence, les hommes restèrent paralysés dans des poses très tarabiscotées.

Rika aussi avait l'air de ne pas savoir comment réagir.

Elle était vraiment douée pour jouer la comédie, cette fille.

Elle devait forcément avoir su qu'ils viendraient, pourtant...

Sacrée elle, il ne faut vraiment pas la sous-estimer !

Otaku

— Eh bien, euh, en fait,

Mademoiselle, il se trouve que...

Rika

— Miaou ?

Otaku

— Les toilettes des hommes ne sont malheureusement pas utilisables pour le moment, et nous nous étions demandés si par hasard les toilettes des filles étaient libres...

Rika

— Miaou...

Otaku

— Ah non, non, non, ne vous en faites pas, si cela vous gêne, nous nous retiendrons ! Allons, en route, Camarades !

Je n'aurais jamais cru que la simple présence d'une fille les aurait arrêtés en plein élan.

Ils auraient pu tout aussi bien la pousser du côté et s'enfermer dans les toilettes sans se gêner !

Pff.

Je suppose que c'est là le maximum qu'un mâle normal peut se permettre en société.

Mais un vrai membre de notre club aurait fait dégager la petite sans vergogne !

Alors, les gras du bide, comment vous comptez vous en sortir, maintenant ?

Pour l'instant, le prix que vous payez pour votre crime est encore bien léger !

Rika

— Si cela vous pose un problème, je peux peut-être vous aider.

Otaku

— Oh, vous nous sortez une épine du pied !

Comment faire ?

Rika

— Il vous suffit d'utiliser des toilettes ailleurs, des toilettes publiques par exemple.

Je peux vous y conduire si vous ne connaissez pas la ville.

Otaku

— Alors là, ce serait vraiment magnifique, mademoiselle !

Allons, le temps et l'envie pressent !

Si nous ne trouvons pas rapidement des toilettes, nous allons débloquer la scène cachée scato !

Tout sourire, Rika prit la tête du cortège, à petits pas.

C'était la pire des allures, considérant leur condition.

Otaku

— Mademoiselle, est-ce loin ?

Rika

— Non, non, nous serons vite arrivés.

Ils arrivèrent à la porte d'entrée du restaurant.

Rena

— Allez, Keiichi,

donne-leur le coup de grâce !

Keiichi

— Ouais, laisse faire le pro !

Au moment où ils allaient sortir, je les arrêtai.

Otaku

— Mais qu'est-ce qui te prend, toi ?

On est passés en DEFCON 1, on n'a pas le temps !

Keiichi

— Question à un million de yens :

Savez-vous ce qu'il se passe si vous sortez de ce restaurant ?

Otaku

— Non, on sait pas ! De quoi tu parles ?

Rena

— Ahahahaha ! Lisez donc les tickets !

Rena

“Nul si vous sortez”... vous comprenez maintenant ?

Satoko

— Vous pouvez allez où bon vous semble pour soulager votre transit, mais si vous sortez d'ici, vous ne pourrez plus y rentrer !

BOOOOUUUUMMMMMMMMM !!!!

Otaku

— Vous nous le paierez !

Rika

— Je ne sais si je vais vous aider, finalement, vous ne m'avez pas l'air très sympathiques...

Rika fit mine de s'en aller, ce qui les calma aussitôt.

Dans la nécessité, ils devinrent très dociles, se plaçant à la queue-leu-leu.

Quelques serveuses firent une haie d'honneur.

Serveuse

— Merci d'être venus aujourd'hui ☆ !

Otaku

— We shall retuuuuuuuuuuurrrn!!!!

clang clang

La clochette de l'entrée sonna à toute volée. La porte claqua violemment derrière eux.

Satoko

— Ahahahaha, bon débarras ! Aaah, je dois avouer que c'est très agréable !

Rena

— Ahahahha ! On a réussi !

Rena et Satoko se topèrent dans les mains.

Keiichi

— Eh ben. Quand je pense que je n'ai rien réussi à faire tout seul... Dès que vous êtes là, tout est plus simple !

Satoko

— Allons, une seule d'entre nous aurait suffit pour se débarrasser de ce genre d'individus.

Vous devriez faire un effort, mon cher !

Je n'aimais pas cela, mais il fallait reconnaître qu'elle avait raison.

Vous verrez !

Un jour, je pourrai rester parmi elles et ne pas faire pâle figure !

Rena

— En tout cas, je suis contente que nous ayons pu protéger la sœur de Mion !

Normalement, plus personne ne devrait lui chercher des ennuis.

Serveuse

— Vous avez des amis formidables, mademoiselle Sonozaki.

L'autre serveuse était tout sourire.

La principale concernée nous regardait tour à tour, complètement abasourdie par ce que nous venions de faire.

Shion

— Mais... Mais vous, alors, vous avez fait ça pour moi ?

Je…

À la fois émue, heureuse et gênée, elle devint toute rouge et partit en courant dans la cuisine, sans dire un mot.

Rena

— Ahahaha, mais qu'elle est trognon !

Elle est vraiment comme sa sœur, elles sont jumelles, ça se voit ! Hau !

Shion était trop timide pour pouvoir nous remercier en public, je suppose.

Nous y avons été un peu fort, mais nous l'avons débarrassée de ces gusses, c'était le principal.

Serveuse

— Je pense que vous vous en doutez, mais elle est certainement très reconnaissante de ce que vous venez de faire.

En tant que représentante du personnel de service, laissez-moi vous exprimer notre gratitude.

clap clap clap clap

Des applaudissements fusèrent.

Mais à ma grande surprise, les autres serveuses et même les autres clients -- plus gentlemen ceux-là -- se joignirent pour nous faire une ovation.

Alors que nous venions de terminer tous les desserts et même le petit sondage à la fin, Rika revint se joindre à notre table.

Keiichi

— Oh, te revoilà ? Bien joué tout à l'heure !

Et alors, tout s'est bien passé au moins ?

Tu en as mis du temps.

Rika

— Désolée,

je me suis perdue en chemin, cela n'a pas été facile.

Rena

— Ahahahahahaha !

Tu passes parfois par des chemins vraiment louches, aussi, ce n'est pas étonnant.

... Mais comment a-t-elle fait pour se perdre entre ici et les prochaines toilettes publiques ?

Satoko

— Mon cher, chacun a ses faiblesses.

Rika a de nombreux points forts pour les compenser !

Keiichi

— Oui, c'est vrai.

Vous auriez dû voir sa tête dans les toilettes tout à l'heure, c'était formidable !

Rika

— D'ailleurs, je vous retiens, Keiichi.

À leur place, vous m'auriez jetée du côté pour utiliser les toilettes sans vergogne !

Keiichi

— Hein, quoi ? Mais comment tu sais ça ?

Me dis pas que c'était écrit sur mon front quand même ?

Rena

— Roh, Keiichi, tu es un vrai cochon...

Keiichi

— Qui, moi ? Mais non, je, euh... ahahahahaha !

Pour la petite histoire, j'ai pu faire dévier la conversation en rigolant et en partant sur autre chose, mais le lendemain dans le journal, il y avait un article sur (´Dix hommes suspects retrouvés dans la région montagneuse de Hida.

Ils racontent tous être arrivés ici à la recherche de toilettes publiques, à pied depuis le district de Shishibone, mais ils ont été retrouvés à xxkm de là-bas, ce qui rend leur histoire très peu crédible...`)

En lisant cela, j'ai eu un choc en pensant à ce que Rika pouvait faire lorsqu'elle le voulait vraiment. Mais revenons à nos moutons.

Rika

— Bon, eh bien, j'ai bien mangé, je dois dire.

Merci de nous avoir invité aujourd'hui.

Satoko

— Or ça, vous comptez rentrer si tôt ?

Vous pourriez vous reposer un moment, voyons.

Rika

— J'étais en train de ranger certaines armoires avec le linge.

Dans l'état actuel, il sera impossible de tirer les couettes pour dormir...

Satoko

— Oh…

c'est tout à fait vrai, ma foi.

Ah, on dirait que je ne les ai pas appelées au bon moment...

Rena

— Oui,

elles rangeaient leur chambre lorsque je les ai appelées au téléphone.

Mais elles sont quand même venues illico presto !

Satoko

— Allons,

c'était une urgence, c'est tout à fait normal.

Rika

— ... Et puis c'était une occasion en or de manger des tonnes de sucreries, alors il nous a poussé des ailes.

Keiichi

— Merci pour tout, hein.

Désolé de vous avoir fait venir si soudainement.

Rika

— Faites la bise à Shion pour nous.

Satoko

— Fort bien, il est temps de nous en retourner dans nos pénates.

Prenez tout votre temps, ma chère.

Rena

— Oui, merci !

À demain !

Elles partirent toutes les deux très contentes, en se chamaillant tout le long du chemin...

Alors que Rena et moi menions un débat passionné sur le goût des desserts, Shion arriva à notre table servir le café.

Shion

— Tiens ?

Les deux petites sont parties ?

Je pouffai de rire en entendant cette expression. “Les deux petites” ?

Keiichi

— Ahahahahaha !

Oh, elles ont dit qu'elles devaient encore ranger des choses, alors elles sont rentrées plus tôt.

Shion avait rapporté le café pour quatre personnes...

Shion

— Les autres serveuses m'ont tout raconté.

Vous avez vraiment... fait beaucoup pour moi aujourd'hui...

Rena

— Mais non voyons,

fais pas ta timide, Shii.

Ah, je peux t'appeler Shii ?

J'appelle ta sœur Mii, alors je me disais, comme ça il n'y aurait pas de jalouse, et puis c'est tout mimii...

Shion

— Euh ... oui, bien sûr, faites comme vous voulez.

Shion avait l'air un peu intimidée par la manière dont Rena lui parlait.

J'avais un peu peur que Rena ne découvrît la vérité sur la double identité de Shion -- elle faisait souvent l'idiote, mais elle était très observatrice.

Shion reprit les deux cafés en trop et repartit rapidement vers la cuisine, m'informant simplement qu'elle aurait bientôt fini.

Rena

—  Elle était très cordiale mais assez distante avec moi.

Je crois qu'elle m'a pris pour quelqu'un d'assez sans-gêne. Hau…

Keiichi

— Je crois surtout qu'elle est timide à cause de tout à l'heure.

Rena

— En tout cas, elle est vraiment comme Mion.

À ce niveau-là, ce n'est plus une sœur jumelle, c'est une deuxième Mion, carrément !

Keiichi

— Oui, leur apparence physique est strictement la même, mais à l'intérieur, c'est pas du tout la même chose.

Je trouve ça marrant, personnellement.

Rena

— Keiichi, tu es sûr de ce que tu dis ?

Je trouve que même “à l'intérieur” comme tu dis, elles sont strictement pareilles.

Je ne savais pas trop quoi dire.

Rena regardait le lait à la surface de son café, en silence.

J'avais du mal à la regarder dans cet état-là, je n'y étais pas habitué, ce n'était pas normal.

Rena se comportait un peu plus relax, un peu désabusée en fait, comme si j'avais dit une bêtise et qu'elle m'en voulait.

Cela me mit vraiment mal à l'aise.

Keiichi

— ... Rena.

Tu te souviens de ce que tu m'as dit aujourd'hui ?

Tu m'as dit que Mion avait souffert d'une blessure récemment.

Rena

— Oh, vraiment, j'ai dit ça, moi ?

Keiichi

— C'est bon, joue pas au plus malin, s'te plaît.

Oui, tu l'as dit. Sur le chemin du retour.

Rena faisait mine de ne pas se souvenir.

Je savais que je n'étais pas le plus intelligent du groupe, mais même moi je comprenais ce qu'elle m'avait reproché.

Elle m'en voulait par ce que c'était moi qui avait blessé Mion.

Mais où ? Quand ?

Comment ?

Keiichi

— Écoute…

...

Admettons que ce soit le cas.

Je peux t'assurer que ce n'était vraiment pas fait exprès.

Je décidai de mener la conversation en partant du principe qu'elle avait raison.

Rena

— Oui,

ça, je m'en serais doutée.

Tu ne l'as très certainement pas fait exprès...

Cela me conforta dans mon impression.

Je ne sais pas comment, mais j'ai donc effectivement fait du mal à Mion.

Et Rena me fait la gueule parce que je n'en suis pas rendu compte.

Rena

— Tu sais, ne le prends pas mal, hein, je ne suis pas spécialement énervée contre toi.

Une fois de plus, Rena avait lu mes pensées sur mon visage.

Rena

— Comment dire, c'est…

c'est pas évident d'en parler.

Keiichi

— Si c'est ma faute, je préfèrerais que tu me le dises en face, tu sais.

Je suis franchement pas très malin à ce niveau-là.

Si je dois m'excuser auprès d'elle, j'aimerais le savoir le plus vite possible pour pouvoir le faire.

Rena

— Non, je ne pense pas que ce soit réellement ta faute.

Rena

Selon le point de vue, ce serait plutôt Mii qui est en tort sur ce coup-là.

Mais c'est un peu facile de dire que c'est la faute à la fille.

Je ne comprenais rien à ce qu'elle me racontait.

La seule chose qui transparaissait était que, d'une manière ou d'une autre, ce que j'avais dit ou fait sans vraiment y prêter attention avait beaucoup affecté Mion.

Keiichi

— S'te plaît, Rena.

Mion, c'est ma meilleure amie.

J'ai pas envie qu'il y ait des choses taboues entre nous.

Alors dis-moi ce qui ne va pas.

Qu'est-ce que j'ai fait ?

Rena

— Non, Keiichi.

Tu dois t'en rendre compte par toi-même.

Elle souriait encore, mais sa réponse était ferme.

Je ne savais pas qu'elle était aussi sérieuse.

Keiichi

— C'est bien parce que je n'arrive pas à m'en rendre compte de moi-même que je te demande, tu sais ?

Cette histoire commençait à me gonfler.

Rena eut l'air de s'étonner de mon ton brusquet, mais reprit vite une attitude neutre et distante.

Rena

— Bon, alors juste un indice, d'accord ?

Mais juste pour cette fois, hein ?

Keiichi

— D'accord.

Merci, c'est déjà beaucoup.

Je vais essayer de me creuser la tête dessus.

Rena promena son regard dans la salle, cherchant Shion des yeux.

Celle-ci travaillait encore, avec un peu d'hésitation, certes, mais sans rechigner à la tâche.

Rena

— Je parie que si elle se faisait une queue de cheval, on ne pourrait plus la différencier d'avec Mii.

Keiichi

— Hmm, oui, probablement.

Rena

— Alors dans ce cas,

cela veut dire aussi que si jamais Mii laissait ses cheveux tomber sur les épaules, on ne pourrait plus la différencier d'avec Shii, non ?

Keiichi

— Ben, euh, sûrement.

Mais je ne vois pas trop le rapport.

Rena

— Imagine, c'est juste une idée, hein ?

Imagine que cette histoire de sœurs jumelles soit un mensonge et qu'en fait les deux ne soient qu'une seule et même personne. Qu'est-ce que tu ferais ?

Rena cachait vraiment bien son jeu.

Je ne savais pas trop si je devais lui concéder le point et lui dire que c'était la vérité.

Keiichi

— Désolé de répondre par une question, mais imaginons que ce que tu dis soit vrai.

Pourquoi elle ferait ça ?

Rena resta silencieuse un moment, puis regarda sa montre.

Rena

— J'aimerais que tu y réfléchisses, justement.

Hmmm, je crois que c'est un indice un peu trop gros que je viens de te donner, là. Hau.

Après m'avoir remercié pour les desserts, elle se leva de table.

Rena

— Désolée, mais j'ai des courses à faire pour quelqu'un. Il faut que j'y aille, tout doucement.

Rena

Tu peux lui dire que je m'excuse de partir sans lui dire au revoir ?

Keiichi

— Euh, ouais, pas de problème...

Rena

— Désolée, hein.

Keiichi

— Hmm ?

Rena

— Je m'énerve assez facilement.

Désolée d'être si tendue.

Je sais que tu n'as pas fait ça par méchanceté.

Normalement, c'est moi qui devrais m'excuser, pas elle, non ?

Rena

— Je crois que Mii ne t'en veux plus tant que ça, en fait.

Je pense qu'elle voudrait oublier l'incident, faire comme si rien ne s'était passé.

Rena

Mais en tant que fille, je sais pertinemment qu'elle doit rêver toutes les nuits que tu te rendes compte par toi-même de ce que tu as fait et que tu viennes de toi-même lui demander pardon.

... Hauuuuu ♪

Après cette dernière petite pirouette, elle disparut vers la caisse, puis l'entrée.

J'étais assis à ne rien faire, le regard un peu vague, lorsque quelqu'un me tapa sur l'épaule.

Shion

— Désolée de t'avoir fait attendre.

Éhhéhhé... Enfin fini ! C'était pas de tout repos aujourd'hui !

C'était Shion, déjà changée pour partir.

Elle avait l'air très contente d'elle-même.

Keiichi

— Merci pour le ticket, hein.

Ils étaient tous super bons, ces desserts.

Les filles étaient aussi très contentes.

Shion

— Nan, c'est bon, va.

Même si je suis bien contente que ça t'ait plu.

Tiens ?

Elle est où l'autre fille ?

Keiichi

— Elle a dit qu'elle avait des courses à faire et elle est partie.

Elle s'excuse de ne pas te dire au revoir, d'ailleurs.

Shion

— Ah ouais ?

Ben alors allons-y, nous aussi.

Je n'aime pas traîner dans les endroits où je travaille ☆

Nous n'avions nulle part où aller en particulier, aussi il fut décidé de se promener au hasard des chemins.

Et vu que j'avais été assis toute l'après-midi, j'étais plutôt content de pouvoir prendre un petit bol d'air en me dégourdissant les jambes.

En sortant du restaurant, je remarquai qu'il commençait à faire sombre dehors.

Shion

— Haaa là là là là.

Il fait déjà nuit.

J'étais pourtant censée pouvoir finir plus tôt aujourd'hui.

Shion avait l'air de se plaindre de n'avoir que si peu de temps à passer avec moi.

Shion

— Mais bon, tant pis.

Après tout, c'est déjà mieux que rien.

Mion s'élança dans la rue derrière la gare, se promenant lentement sous les arbres.

Il y avait quelques cols blancs qui rentraient du travail.

Shion

— Eh bien alors,

recommençons par le commencement, tu veux bien ?

Tu m'as tout de suite prise pour ma sœur, donc nous n'avons jamais eu le temps de faire les présentations.

J'eus un petit rire gêné et tournai la tête.

Shion

— Je m'appelle Shion Sonozaki.

Shion

Je ressemble beaucoup à ma sœur, mais uniquement physiquement.

Shion

Ma sœur est un pot de colle et elle prend tout par-dessus la jambe. Mais moi, je suis plutôt calme, un peu trop méthodique et pointilleuse, même.

Il me revint ce que Rena m'avait dit tout à l'heure.

Je lui avais dit que de l'extérieur, elles se ressemblaient, mais pas de l'intérieur, et Rena m'avait contredit.

Je ne sais pas comment elle a fait, mais Rena a vu à travers le petit jeu de Mion.

Et en rapport avec cela, elle m'avait dit que je lui avais fait du mal.

Rena m'avait aussi donné un indice.

Elle m'avait demandé pourquoi Mion se sentait obligée de jouer le rôle de Shion.

Keiichi

— Dis-moi Shion, qu'est-ce que Mion raconte sur moi ?

Shion

— Oh, tu as l'air de lui plaire.

Shion

Elle n'arrête pas de parler de toi.

Shion

Comment elle t'a battu au club, comment tu lui as fait perdre une partie. Elle me raconte tous vos 400 coups.

Shion

Vous vous entendez vraiment bien, on dirait.

Nos 400 coups, hein ?

Tiens d'ailleurs, Shion aussi m'avait dit un truc dans le genre.

Elle m'avait dit que je considérais sûrement sa sœur comme un garçon.

Est-ce que ça pourrait être ça qui aurait tellement blessé Mion ?

Pourtant, même elle disait souvent qu'elle regrettait de ne pas être un garçon. Elle y faisait souvent allusion, d'ailleurs.

Shion

— Dis-moi, Kei, tu n'as pas l'air de beaucoup t'amuser.

Keiichi

— Hein ? Ah, non, c'est... tout va bien, pas de problème.

Shion

— Tu es vraiment nul quand il s'agit de faire des choses en cachette, et pourtant tu essaies quand même de mentir.

C'est navrant de naïveté, mais c'est pour ça que tu es si sympathique.

Elle s'approcha de moi et me mit le tranchant de la main au milieu des yeux, comme pour me gronder.

C'est bizarre, elle a l'air tellement contente, qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour qu'elle souffre ?

Je comprenais de moins en moins ce que Rena avait voulu dire.

Shion

— Regarde ça ! Tu ne trouves pas ça joli ? Même les garçons trouvent ça joli, non ?

Keiichi

— Oui, si, c'est très joli, effectivement.

Shion faisait un peu de lèche-vitrine et en profitait pour m'entraîner dans des magasins dans lesquels je n'aurais probablement jamais mis les pieds autrement.

Elle ne me demandait pas de lui acheter de babioles, et se débrouillait pour ne pas m'ennuyer.

Elle me présentait simplement les magasins au hasard de notre promenade.

C'était un sujet de conversation comme les autres, et elle en avait une paire en réserve.

Elle me parlait de tas de choses que je ne connaissais pas, et c'était un plaisir que de l'écouter parler.

Elle savait vraiment faire la conversation.

Shion

— Dis-moi, Kei, c'est la première fois que tu fais ça ?

Keiichi

— Oui.

Je ne suis jamais rentré dans des magasins juste comme ça, sans raison, et honnêtement je ne pensais pas le faire un jour.

Shion

— Mais non, voyons…

Je parle de ça !

Elle passa son bras autour du mien, s'appuyant franchement contre mon épaule.

Mais qu'est-ce qu'il lui prend ? J'eus un sursaut de recul.

Shion

— Ah ben merci... Pas la peine d'en faire autant, hein !

Tu as tellement honte que ça que je te prenne le bras ?

Elle avait l'air un peu en colère, mais aussi un peu de me provoquer.

Keiichi

— M-mais mais bien s-s-sûr que non, d'abord !

Tu veux mon bras ? Lequel ? Celui-là ou l'autre ?

Tiens !

Shion

— Ahaaaaa !

On ne s'ennuie vraiment pas avec toi, tu sais, mon petit Kei ?

Je commence à comprendre ma sœur.

Keiichi

— S-si-si tu n'en veux pas, rends-moi mon bras, hein !

Shion

— Ahahahahaha !

Mais non, mais non,

je te l'emprunte, j'en ai envie !

Avec un rire délicieux, Shion se jeta sur mon bras et se colla dessus. Mon palpitant eut un coup de speed.

Shion

— J'ai vraiment envie de voir ta tête quand tu vas répondre, alors désolée, mais la question suivante ne va pas te plaire. P'tit gars, tu n'as jamais tenu la main d'une fille, j'me trompe ?

Shion

À part pendant les feux de camp en colo, mais ça ne compte pas.

Mais comment osait-elle !

Elle savait pertinemment que je n'avais jamais touché à une fille, et elle posait quand même la question !

Keiichi

— Si ça ne compte pas, alors là…

je suis mal barré.

Shion

— Éhhéhhé...

Je le savais !

Keiichi

— Ce rire, là, c'est celui de Mion, mais alors à 100% !

Keiichi

Non mais dis voir, toi, tu es sûre que tu es bien Shion ?

T'es sûre que t'es pas Mion et que t'es pas en train de te payer ma tête ?

Shion

— Tu penses vraiment que ma sœur ferait semblant d'être moi ?

Keiichi

— Jusque-là je croyais vraiment à cette histoire de jumelles, mais là, tu lui ressembles trop, c'est pas possible !

Shion

— Oh, tu parles beaucoup,

mais tu fais la différence entre nous, n'est-ce pas ?

Keiichi

— Comment ça, la différence ?

Shion

— Si ma grande sœur te prenait par le bras comme je le fais en ce moment, est-ce que ton pouls s'accélèrerait comme maintenant ?

Keiichi

— Ah que oui, tu m'étonnes !

Je ferais dans mon froc en me demandant quand est-ce qu'elle va me tordre les articulations !

Shion

— AHAHAhahahaHAhahahaha !

Shion explosa de rire, se tenant les côtes à une main.

Keiichi

— Hé, quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit de si drôle ?

T'en pleures de rire, tu crois pas que c'est un peu exagéré ?

Shion

— Nan, hahaha, nan, c'est juste...

Shion

Rah, sacrée elle, quand même.

Shion

Elle a l'âge de ramener l'un ou l'autre garçon à la maison, pourtant, et la seule chose qu'elle sait faire, c'est les faire flipper !

Shion

Elle est vraiment pas faite pour être une fille...

Il me semblait avoir entendu un truc un peu pareil avant...

Shion

— Parfois, je me demande si elle n'aurait pas mieux fait de naître garçon.

Je serais peut-être même tombée amoureuse d'elle, qui sait ?

Mais non, je déconne ! Ahahahahahaha !

Keiichi

— Mion aussi disait qu'elle aurait préféré être un garçon.

Shion

— Ma sœur a du mal à se décider entre les deux, j'ai l'impression.

Bah, c'est sa vie, c'est un peu compliqué.

Laisse-la se débrouiller, va.

Keiichi

— Dis-donc, tu la casses bien depuis tout à l'heure.

Shion

— Moi je n'aime pas les gens comme elle qui s'apitoient un peu sur tout.

Je sentais une certaine colère froide dans ses propos.

Keiichi

— Mais alors... vous ne vous entendez pas très bien ?

Shion

— Bah, on fait avec.

Mais il y a des tas de choses que je ne supporte pas chez elle, surtout parce que je suis sa sœur, tu sais ?

Oh, regarde celle-là !

Tu ne trouves pas ça mignon ?

Je regardai en direction du doigt qu'elle pointait.

C'était la vitrine du magasin de jouets dans lequel nous avions joué le dimanche.

À l'autre bout de son index, il y avait plein de poupées toutes mignonnes dans la devanture.

Keiichi

— Pourquoi est-ce que les filles aiment-elles toutes ce genre de trucs ?

Shion

— Oh, mais elles sont toutes mignonnes, voyons !

Tu n'es pas d'accord ?

Keiichi

— Je suis un mec, moi, ça ne me dit rien du tout, ces trucs.

Shion

— Bah, faut pas dire ça, voyons.

Tu préfères laquelle ?

Shion me tira le bras pour me faire bien regarder tous les modèles de la vitrine.

On aurait dit une photo de famille : des tas de poupées très ressemblantes se tenaient les unes à côté des autres.

Curieusement, j'eus l'impression d'en reconnaître quelques unes.

Keiichi

— Je les ai déjà vues, ces quatre-là.

Shion

— Ah, oui, elles sont célèbres, il paraît.

Si même toi tu les connais...

Shion avait l'air impressionnée.

Shion

— Ce sont des modèles importés d'Angleterre, assez récemment d'ailleurs.

Shion

On les vend encore par ici, mais en ville, elles sont partout en rupture de stock. Il paraît que leur prix est très attractif, mais comme elles sont très demandées, eh bien en fait elle se vendent très cher, du coup.

Keiichi

— Vous, les gonzesses, vous ne perdez jamais votre intérêt pour les poupées, on dirait ?

Shion

— Non, je pense que ça dépend des filles, mais c'est vrai que je ne connais aucune fille qui n'aime pas les poupées ou les peluches.

Même ma sœur a dit qu'elles étaient craquantes.

Keiichi

— Ah ouais ?

Mion a dit “craquantes” ? Vache...

Ah, je me souviens maintenant !

Le gérant du magasin nous a offert ces poupées après le tournoi.

On y a tous eu droit sauf Mion, parce qu'elle faisait partie de la famille.

Shion

— Moi je trouve que c'est vraiment celle-là là-bas la plus belle.

La robe qui fait tous les plis, c'est superbe...

Keiichi

— C'est celle-là !

C'est celle que j'ai reçue, le gérant me l'a donnée l'autre jour.

Shion

— Il paraît, oui.

Shion avait une voix ferme, mais un peu terne d'un seul coup.

Shion

— Mon oncle Yoshirô les a données aux personnes qui sont venues l'aider dimanche dernier.

Il a donné ces poupées aux quatre amis que Mion a ramené l'autre jour

Celle avec la robe, là-bas, c'est toi qui l'a eue.

Shion

Et alors ?

Elle était mignonne, non ?

Je ne risquais pas de la garder, pourtant.

Shion

— Mais alors, tu en as fait quoi, de cette poupée ?

Keiichi

— Ben, j'allais pas la garder, quand même !

Je l'ai donnée.

— À qui ?

Shion me regarda fixement, sans rien dire, mais son sourire encourageant semblait me demander de poursuivre et de lui dire à qui je l'avais donnée. Et c'est là que les pièces du puzzle ont commencé à s'assembler...

Master

— Merci pour tout ce que vous avez fait aujourd'hui.

Les gens se sont vraiment bien amusés !

Ce n'est pas grand'chose, mais tenez, une petite compensation !

Mion

— Beuh eh ?! Yoshirô, et pour moi ?

Ma compensation elle est où ?

Satoko

— Tiens tiens, voyez donc cela !

Mais c'est très joli !

Satoko et Rika nous montrèrent ce que leur sachet contenait : de jolies petites peluches.

Rena

— Ouah,

mais c'est tout mimii, ça !

Je peux vraiment le ramener chez moi, dites ?

Pour de vrai ?

Keiichi

— Ouh là, mais alors moi aussi, j'ai-

wooooh !

Regardez-moi celle-là !

Je tenais dans les mains une poupée habillée d'une robe magnifique. Le truc super pour jouer à la poupée ou à la dînette.

Rena regardait ma poupée avec de grands yeux, immobile. D'ailleurs, Satoko aussi. Rika aussi, on dirait bien...

Mais oui...

Il n'y avait pas qu'elles trois ce jour-là.

Il y avait eu une quatrième fille qui avait été très jalouse...

Mion

— Ahahaha !

Ben mon p'tit Kei, tu as eu la plus belle, pas de bol !

Elle avait dit ça en essayant de cacher son regard envieux du mieux possible.

Keiichi

— Comment dire, c'est très mignon, c'est très... joli, je suppose, mais... Disons que jouer à la poupée fait pas partie de mes habitudes…

Mion

— Si tu la ramènes demain à l'école, tu passeras pour un détraqué, c'est clair !

Oui, elle avait dit ça sur le ton avec lequel elle se moquait des gens.

Je les ai toutes regardées pour en trouver une à qui donner cette poupée.

Mion s'était tenue juste devant moi.

Comme elle n'avait rien reçu, j'avais considéré la lui donner.

... Mais je ne l'avais pas fait.

Rena

— Q-QUOI ?

Tu me la donnes ?

Tu es sûr ?

Oooh, merci !

Tournant le dos à Mion, alors que son regard trahissait qu'elle en avait une grosse envie, j'avais donné la poupée à Rena.

Et derrière mon dos, le regard de Mion s'était éteint.

Mais comment aurais-je pu le remarquer ?

Pourquoi est-ce que je ne lui ai pas donné cette poupée ?

Elle avait été la seule à ne pas en recevoir, ç'aurait été très logique de la lui refiler, non ?

D'ailleurs, sur le coup, je l'avais remarqué aussi.

C'est pour cela que j'avais menti.

Keiichi

— Je tiens à la vie.

Si je ne te la donne pas, qui sait ce qui pourrait m'arriver sur le chemin du retour, quand la nuit sera tombée...

Mion

— Aaahahahahaha !

Ouais, je veux, mon neveu !

Keiichi

— Je te l'aurais bien donnée, mais... C'est pas trop ton genre, hein ?

À ce moment, je n'avais pas remarqué l'ombre qui avait terni son regard.

J'avais pensé la lui donner... alors pourquoi ne l'avais-je pas fait ?

Mion

— Oh, mais tu n'es pas si bête que tu en as l'air !

Ouais, parfois je me demande vraiment pourquoi je ne suis pas née garçon.

Je n'ai pas remarqué que je l'avais blessée avec cette remarque, parce qu'elle avait rigolé.

Keiichi

— Oui,

les habits cools et les boulots classes lui vont beaucoup mieux.

Je pense que c'est une bonne décision d'avoir envoyé Shion ici.

Euh, pardon ?

Shion demanda, incertaine d'avoir bien compris.

Keiichi

— Je suis sûr que cet uniforme ferait tache sur “Mion”.

Par contre, il va vraiment bien à “Shion”.

Shion

— Euh...

Eh bien, je…

C'est à dire que...

Shion redevint toute rouge et son regard se perdit dans le vague.

Elle avait eu l'air si contente.

Elle avait eu l'air contente de recevoir des compliments en tant que Shion.

Elle avait été fière que je lui dise que ça lui allait bien.

Keiichi

— Euh, c'est la sœur jumelle de Mion, la sœur cadette, c'est ça ?

Elle a pas du tout le même caractère, mais elle lui ressemble physiquement comme deux gouttes d'eau !

Mion

— Oui !

Oui, on se ressemble de l'extérieur, mais l'intérieur pas du tout, non, non !

Je veux dire, je suis gentille, je ne m'impose pas aux autres, moi, mais Shion est toujours froide, distante, et colérique avec ça !

Keiichi

— Lorsqu'elles sont nées, je parie que tous les côtés féminins sont allés chez Shion.

La pudeur lui va bien, pas comme Mion, et elle est très mignonne quand elle sourit avec son petit côté timide.

Mion avait eu un regard un peu bizarre, un peu énervée, et pourtant toute contente.

Apparemment, ça lui faisait plaisir de recevoir des compliments en tant que Shion.

J'entr'ouvris le couvercle pour voir à quoi cela ressemblait et remarquai immédiatement que c'était trop beau pour être de simples restes. C'était un repas qui promettait monts et merveilles.

Keiichi

— Sérieux maintenant, je peux le manger, vraiment ?

T'as pas mis de tabasco dedans ou une connerie comme ça, tu me le promets, hein ?

Shion

— Roh !

Mais puisque je te dis que je ne suis pas comme ma sœur ! Je ne ferais jamais ça, voyons.

Si tu n'aimes pas ne te force pas.

Je le mangerai plus tard…

Elle avait dit précisément

« Je ne suis pas comme ma sœur ».

Shion insistait toujours pour dire qu'elle n'était pas Mion.

Elle m'avait même dit de ne pas penser à Mion en la regardant.

Elle semblait attacher un sens très important à me faire faire la différence entre Mion et Shion.

Rena

— Elle est spéciale, Mii.

C'est une fille, mais on dirait un garçon.

C'était Rena qui m'avait dit ça.

Rena

— Oh mais tu sais…

Elle a un côté un peu coquet, et elle est très féminine.

Keiichi

— ... Rena.

Elle t'a donné combien ?

Rena

— Rah, mééé-euh !

Tu comprends vraiment rien, je suis sérieuse, là !

J'avais apparemment mal choisi le moment pour faire de l'humour.

Rena

— Mii est la chef du club, alors elle se donne du mal pour nous diriger d'une main ferme.

Mais cette austérité cache un cœur très sensible.

Ce serait bien que tu t'en souviennes de temps en temps.

Il n'y avait jamais eu de mystère, depuis le début en fait.

Rena avait été limpide dès le départ.

Mion

— Et alors... je sais pas... je savais plus quoi faire...

Rena

— ... Oui.

Mion

— Je sais qu'il pensait pas à mal.

Je le sais, ma tête le sait.

Rena

— Oui. Keiichi n'est pas du genre à faire mal aux gens en le faisant exprès.

Tu ne devrais pas te casser la tête là-dessus, Mii, tu te fais du mal pour rien.

Mion

— Mais alors, pourquoi ?

Mion

Je sais pas, ça me dégoûte, ou ça me rend triste, je sais pas trop.

J'en ai aucune idée...

Rena

— Tu la voulais ?

La poupée, je veux dire.

Mion

— ...

Rena

— Si je te la donnais, ça ne résoudrait rien au problème, hein ?

Mion

— ... Non, effectivement.

Rena

— OK, Mii, alors, on va faire comme ça.

Tu vas lui faire des caprices et l'amener à te l'offrir.

Je crois que le seul moyen de faire avancer la situation, c'est de regarder le problème bien en face.

Mion

— Mais... mais je peux pas faire ça, enfin !

Rena

— Pourquoi ? Tu as honte ?

Mion

— ... En fait…

j'aimerais repartir de zéro avec lui.

Mion

Si j'arrivais à faire ça, alors oui, je pourrais être un peu plus honnête avec moi-même.

Mion

Ah, te méprends pas, hein ? J'aime bien le petit truc qui passe entre nous !

Mion

Je sais, c'est stupide, mais je voudrais repartir à zéro...

Rena

— Je suis sûr qu'il remarquera.

Mion

— ... Tu penses ?

Rena

— Je suis de tout cœur avec toi.

Je vais essayer de trouver le moyen de te remonter le moral.

Fais-moi confiance.

Il ne te fera pas pleurer une deuxième fois.

Mion

— ... Je te crois.

Oui, je te crois.

Rena

— Je parie qu'il te comprendra,

et qu'il viendra s'excuser pour avoir parlé sans réfléchir.

Et alors il t'emmènera devant le magasin de l'autre fois... et il te l'offrira, cette poupée, tu verras.

Mion

— ... Ouais.

Ouais...

Rena

— Et là... tu devras toi aussi lui dire

merci.

Et ne fais pas semblant, hein ?

Tu devras lui dire du fond du cœur.

Mion

— ... Ouais.

Sniff

Shion

— Si je te dis que je la veux…

Tu ferais quoi ? Tu me l'achèterais ?

Faisant un gros effort pour ne pas mourir de honte, d'une voix toute faible, Mion me posa une question.

J'étais prêt à sortir une blague pour détendre l'atmosphère, par réflexe, mais je me pinçai les joues pour ne pas le faire.

Elle avait fait l'effort, alors moi aussi.

Keiichi

— D'accord, Mion.

Tu as fait tellement de choses pour moi jusque maintenant, ce sera un petit cadeau de ma part.

Je n'avais vraiment pas l'habitude lui parler comme ça... de parler comme ça tout court, d'ailleurs, à qui que ce soit.

C'était vraiment difficile de ne pas fuir, mais Mion ne fuyait pas, elle, alors je ne pouvais la laisser là.

Shion

— Mais puisque je te dis que je m'appelle Shion...

Keiichi

— Ouais, bon, ok, comme tu veux, va pour “Shion” alors, si y a que ça pour te faire plaisir.

Ouais, je te l'achèterais, Shion.

Shion devint toute rouge, puis acquiesça une fois, et plaça son doigt sur la vitre, devant la poupée avec sa robe si jolie, et se mit à gratter la vitre.

Shion

— Mais…

Vraiment ?

Je veux dire...

Elle est un peu chère, cette poupée ?

Keiichi

— Je m'en fous, du prix.

C'est le sentiment qui compte, non ?

Shion

— Je... aujourd'hui, tu m'as sauvée de ces clients, et j'étais super contente, tu sais.

Shion

Les autres serveuses n'ont pas levé le petit doigt, mais toi, tu es venu à mon secours.

Shion

Tu m'as pris par les épaules et tu m'as mise en sécurité derrière toi.

Shion

Tu sais, à ce moment, tu avais vraiment fière allure.

Et moi, comme une quiche, j'avais trop honte pour te remercier...

Je lui plaçai une main sur la tête et lui caressai les cheveux,

comme je le faisais avec les autres filles parfois.

Shion, en réaction, se mit à rougir, comme le faisait Rena de temps en temps...

Keiichi

— Te casse pas la tête avec ça, va.

J'aurais dû te la donner l'autre jour, cette poupée.

Il n'y aurait pas eu toutes ces larmes inutiles.

Shion ne répondit rien.

Rouge cramoisi, elle se retenait d'exploser, un peu comme lorsque l'on retient un fou rire... ou des larmes.

Keiichi

— Bon, je vais te la prendre.

Bouge pas.

Shion

— Ah, je... je viens avec toi.

Elle reprit mon bras.

Je n'eus pas le réflexe de me dégager cette fois-ci.

Shion

— Je crois que je comprends mieux pourquoi ma sœur est amoureuse de toi, tu sais.

... Dis...

Est-ce que je peux...

Est-ce que je peux tomber amoureuse de toi, moi aussi ?

Bordel, mais qu'est-ce qu'il se passe, qu'est-ce qu'il m'arrive ?

J'ai la tête qui tourne, ouh là, mais qu'est-ce que je suis censé faire, maintenant ? Je lui dis quoi, bordel ?

Je n'en pouvais plus.

Rouge de honte, je la tirai par le bras et l'emmenai à l'intérieur du magasin.

Keiichi

— Euh, es-es-escuzez-moi,

je v-voudrais la, la poupée là-bas, en vitrine, avec la jolie robe !

Après quelques petites secondes, le vendeur sortit de l'arrière-bout--

Mion

— Ben, p'tit gars ?

Et... mais qu'est-ce que tu fous là, toi ?

Shion

— Qu'est-ce que ça peut te foutre, tu bosses, là, non ?

On est en plein rendez-vous galant, lui et moi.

Mion

— Hein ? Sans déconner ?

Quoiii

…?!?!

Mais pourquoi ? Kei ?

Me demande pas, voyons, j'y comprends plus rien !

Mion me regardait avec un visage implorant, mais en même temps un visage déçu.

Mais le truc, c'est que moi aussi, en fait !

Mais alors, cette fille à côté de moi, c'est QUI ??

Shion

— Roh, mais je n'arrête pas de te le dire !

Je m'appelle Shion Sonozaki.

Je suis sa sœur cadette jumelle.

Tu m'appelles pourtant toujours Shion, non ?

Shion eut une petite moue boudeuse, gonflant ses joues dans une mimique adorable.

Mion

— Mais, mai-m-mais qu'essessaveut dire, explique-toi, Kei !

Explique-moi ce qu'il se passe, Shion !

Shion

— Mais rien du tout.

Je me demandais quel genre de garçon c'était, ce “Kei” dont tu avais l'air d'être folle amoureuse, alors...

Je l'ai invité à la journée spéciale des desserts.

Shion

Tu ne devineras jamais,

il m'a sauvée de clients pas très honnêtes ! Un vrai prince charmant !

...

... Hmmmm enfin un truc de ce genre...

Mion

— Heiiiiiiiiiiiiiin ?

Mion et moi étions tous les deux sous le choc de cette révélation.

Keiichi

— Mais…

Tu m'as appelé,

hier, pourtant ? Au téléphone ?

Mion

— ... Mais non...

De quoi tu me parles, là ?

Shion

— Je lui ai préparé un bon petit repas, juste pour lui l'autre jour !

Shion

C'est moi qui lui ai rapporté, non ?

Shion

Ou bien alors, c'était toi ?

Shion

La grande et fière, l'invincible Mion Sonozaki, se serait donné du mal aux fourneaux pour plaire à un homme ?

Shion

Eh ben, tu m'as l'air d'avoir bien changé, alors !

On entendit un fusible exploser dans la tête de Mion, qui aussitôt devint rouge de honte, de la vapeur sortant des oreilles.

Mion

— Non-n-non non non non ! Je sais pas de quoi tu parles, c'est pas moi qui ai fait ça !

Shion

— Ah ben alors, tu vois, Kei ?

Shion

Même ma sœur dit que ce n'est pas elle.

Shion

Tu m'as toujours parlé à moi, à Shion Sonozaki, pendant tout ce temps, depuis le début !

Shion

Alors, ça y est, tu me crois maintenant ? Convaincu que je ne suis pas ma sœur en train de me déguiser ?

Je ne comprenais plus rien à rien...

J'étais prêt à parier que mes pupilles étaient toutes petites, car j'étais littéralement paralysé par la surprise et la peur.

Shion

— Bon alors, madame, je peux l'avoir, cette poupée ?

Vous voulez bien me l'emballer ?

C'est le premier cadeau que me fait mon nouveau petit ami, alors prenez-en soin !

Mion était comme assommée, mais Shion ne lâchait pas prise.

Quant à moi, il y avait longtemps que mon cerveau avait arrêté de tourner.

Mion

— Hein ? Mais…

Mais enfin, tu peux pas…

Kei...

Mion

Mais... qu'est-ce que c'est que cette histoire de ouf, j'y comprends plus rien...

Shion

— Allez, allons-y !

Shion

Tu viens, Kei ?

Shion

Il fait nuit dehors, je vais te raccompagner à la maison.

Shion

Mion, désolée de te laisser avec ça sur les bras, mais si tu pouvais passer un coup de fil à notre maison à Okinomiya ? J'aurais besoin d'une voiture et d'un chauffeur.

Shion

Il nous faudrait de la place pour mettre un vélo, alors demande une berline, d'accord ?

Shion avait un sourire éclatant, presque triomphant sur le visage... et Mion était au bord des larmes.

Mion

— Mais putain, non... Kei...

Jusqu'à ce que la voiture arrive, la seule chose que j'entendis encore et encore fut la voix éplorée et dépitée de Mion...