Cie

— Bon, écoutez-moi bien, c'est important.

Cie

Si vous ne faites pas très attention lorsque vous faites la cuisine, vous risquez de vous blesser, même sans faire exprès.

Cie

Alors restez sérieux, c'est peut-être de la cuisine, mais vous êtes à l'école et vous êtes censés apprendre !

La classe entière répondit comme un seul homme, d'une voix sage et enjouée.

Au programme d'aujourd'hui, il y avait une demi-journée consacrée à un cours de cuisine.

Nous étions censés préparer du riz au curry et le partager avec les fonctionnaires des Eaux et Forêts, pour les remercier de nous prêter leurs bâtiments et nous en servir comme école.

Mais pour éviter que le cours ne dérive et ne se transforme en fête, la classe ne préparait pas qu'une seule grande marmite.

Le cours de cuisine devait rester un cours, et donc chaque plat serait goûté et noté.

Cie

— Il y a une chose que vous devez bien comprendre.

Cie

Je sais que le riz au curry, c'est un plat très commun chez nous, que vous en mangez probablement très souvent à la maison, mais au début, c'était un plat religieux, que l'on servait en offrande aux dieux dans l'Inde antique.

Cie

Nous avons une recette un peu différente au Japon, mais il n'empêche que c'est un plat qui représente la culture de la civilisation indienne.

Cie

Alors traitez-le avec respect, et donnez-vous du mal pour que le curry ait un bon goût.

Cie

Si vous ne faites pas la cuisine sérieusement, je vous préviens, je me fâcherai, alors ne venez pas pleurer après.

Dites-donc... Elle est à fond dedans, ma parole.

Satoko

— Le bruit court que Madame Cie ne jure que par le curry.

Je suis certaine que les notes seront sévères.

Keiichi

— Bah, c'est pas une matière importante, tant que tu prends pas un zéro, à la rigueur, emballé c'est pesé, quoi.

Rena

— Non, Keiichi, ne plaisante pas avec ça.

La maîtresse est un monstre quand il s'agit de curry.

Keiichi

— Un monstre ? C'est quoi cette histoire de monstre au curry ?

C'est bien la première fois que j'entends ça, tiens.

Mion

— Eh bien, d'habitude, elle est très gentille et très indulgente.

On ne sait pas trop pourquoi, mais dès qu'on parle de curry, alors là, elle n'arrête plus !

Faut croire qu'elle en rafolle.

Rena

— Oh, oui.

Elle m'a raconté l'autre fois qu'elle allait tous les ans en Inde pour essayer d'apprendre à cuisiner le curry séculaire...

Satoko

— On raconte qu'en fait... elle mange du riz au curry trois fois par jour, et que si d'aventure on lui proposait autre chose, elle mettait du curry en assaisonnement...

Keiichi

— C'est pas qu'elle en raffole en fait, elle EST complètement folle.

Vous êtes sûres qu'elle est pas dans une secte religieuse ?

Keiichi

Le riz au curry, c'est l'exemple typique de mal bouffe, non ?

Trois fois par jour en plus, c'est le truc hyper pas équilibré, quoi,

J'entendis plusieurs sifflements, et trois chocs sourds me firent tourner la tête.

Au sol, juste devant mes doigts, étaient plantés un couteau de cuisine, une louche et une spatule.

La maîtresse continuait de mélanger sa sauce avec une spatule en bois, et me regardait en souriant...

Mion

— Chuuut, p'tit gars !

Si tu en dis plus, ça va vraiment aller mal pour toi !

Pas commode, la maîtresse, quand même. J'ai pas envie de savoir jusqu'où elle pourrait aller...

Keiichi

— Ouais, ouais, c'est bon.

J'essaierai de rester sérieux cinq minutes, ça vous va ?

Rika

— Aujourd'hui, heureusement, cela ne suffira pas.

Rena

— Eh bien en fait, figure-toi que Mii...

Aaaah, je vois. Tout le monde doit s'essayer à la même épreuve et il y a une note à la fin pour décider du meilleur.

Je sais pas pourquoi, mais ça me rappelle un certain club dans cette école... Évidemment qu'il va y avoir un match !

Mion

— Vous avez tous compris j'espère !

Que le meilleur gagne !

Hah, j'en étais sûr.

Je savais bien qu'elle pourrait pas s'en empêcher !

Satoko

— Mais comment décider du vainqueur ?

Pensez-vous vous en remettre à l'avis de madame la maîtresse ?

“Non, pas seulement.” Je tournai la tête en direction de la voix qui avait parlé. La maîtresse se tenait aux côtés... du Directeur ?

Cie

— Aujourd'hui, nous cuisinons pour tous les employés des Eaux et Forêts, alors je ne serai pas la seule à vous donner une note.

Directeur

— En effet. Ils ne sont pas nombreux, évidemment, mais entre votre maîtresse, moi-même et eux, ce ne seront pas moins de 5 personnes qui vont juger de vos talents culinaires.

Directeur

Je vous souhaite bonne chance à tous !

Directeur

Hahahahahaha !

Quoi, le dirlo aussi ?

Me retournant, je remarquai pour la première fois les regards intéressés de mes camarades de classe.

Mion

— Bon, vous êtes prévenus.

Ce ne sera pas de tout repos, je vous le promets !

Rena

— Le curry, c'est une de mes spécialités !

Aujourd'hui, je suis sûre de ne pas perdre !

Satoko

— La maîtresse ayant décrété plus tôt ce matin que les plus jeunes travailleraient tous ensemble, Rika et moi-même devrons vous présenter notre plat en commun !

Keiichi

— Eh, c'est de la triche !

Rika est plutôt douée pour faire la cuisine, non ?

Rika

— D'habitude, mon curry éveille les sens au plaisir...

Et Mion ?

Elle n'a pas l'air super douée en cuisine.

Il n'y a qu'à la regarder, si les stéréotypes disent vrai, elle devrait être une catastrophe ambulante dans une cuisine !

Et pourtant... Mion souriait avec assurance.

Mion

— Hmf.

Laisse-moi deviner à quoi tu penses, mon p'tit gars.

« Mion est sûrement une quiche en cuisine ! »

... J'me trompe ?

Uhoh, j'aime pas ça...

Ne me dites pas que... Naaaaan.... Quand même pas ?

Soudain, le sifflet de la maîtresse retentit.

Cie

— Alors, vous êtes prêts ?

Et faites bien attention quand vous maniez les couteaux !

C'est parti !

La bataille pouvait commencer !

Nous devions faire cuire le riz directement dans les gamelles, mais j'ai souvent été camper, alors cela ne me posait absolument aucun problème.

Après avoir lavé le riz, je le plaçai dans la gamelle, puis collai la paume de ma main au fond. Et maintenant de l'eau jusqu'à ce que mon poignet soit dedans...

Satoko

— Vous pensez sérieusement que cela suffira ?

J'ai ouï-dire tout autre chose, vous savez.

Tsss, fous-toi de ma gueule, va.

Si j'en mets plus que ça, cela deviendra du gruau avec des grains de riz encore durs au milieu !

Keiichi

— Satoko, si tu pensais pouvoir me tendre un piège avec ça, j'aime autant te prévenir, c'est inutile.

J'ai l'habitude, moi !

Faire trembler au début, trépigner par la suite,

et même s'il hurle, maintenir le couvercle !

Rena

— Oho, très bien Keiichi !

Je ne m'y attendais pas de ta part.

Tu as appris ça en colonie de vacances ?

Keiichi

— Non, en fait mon père adore le camping.

On part souvent en famille, pendant l'été.

Mion

— Ce qui signifie tout le monde ici sait faire cuire du riz à la dure.

En d'autres termes... il n'y a plus que le curry pour nous départager !

Satoko

— Allons bon !

Le curry de Rika est inégalable !

Vous allez tous perdre, mes amis !

Keiichi

— Celui de Rika, hein...

Tu pourrais pas l'aider, non ?

Rena

— Hmmm...

En fait, si ça se trouve, Satoko rend un très grand service à Rika en ne touchant à rien...

Satoko

— Oh ! Mais quel toupet, quel affront !

La loi du plus fort est toujours la meilleure, et ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire, tenez-vous-le pour dit !

Eh ben, on peut dire qu'elle y va brut de coffre, ma parole. Rena montre parfois un côté bien méchant...

Indignée, Satoko s'éloigna, mais Rena la suivit en riant pour s'excuser. Ainsi les deux firent le tour de la cour, Rena s'excusant encore et encore, sa bonne humeur contaminant peu à peu Satoko, qui finit par lui pardonner.

Mion

— Bon, ben commençons par la garniture.

C'est là-dessus que tout va se jouer !

Elle prit des légumes tout à fait ordinaires, quelques pommes de terre et quelques carottes, les lava, et prit alors le couteau en main... J'allais bientôt voir ce qu'elle savait vraiment faire.

Rena

— ♪Ooooh héééé oooh, oh oui nom nom oh oui, oh oui, oh oui nom nom !♪

Rena était en train de chanter, maniant le couteau de cuisine avec une dextérité impressionnante.

Le son régulier de la lame sur la planche en bois rappelait des temps immémoriaux, des époques où le Japon était meilleur.

Tout était parfait.

Elle respire la confiance en soi... je ne vois pas comment je pourrais gagner !

Je regardai à nouveau Rika et Satoko.

Satoko lavait les légumes et Rika s'occupait de les éplucher et de les couper.

On m'avait dit que Rika était douée avec une lame, mais à ce point ?!

Elle fit tourner la pomme de terre d'une main pendant que l'autre maintenait le tranchant de la lame à fleur.

L'épluchure qui en résulta était très longue.

Comment ça s'appelle encore, cette méthode ? Le scalp ? Je sais plus.

Mais je me souviens que ma mère m'a dit que c'était l'une des méthodes les plus difficiles à mettre en pratique.

Elle prit la longue épluchure de l'évier, fit quelques incisions...

Rika

— Eh voilà, un joli serpent ! Gaooooo !

Elle plaça l'épluchure sur la tête de l'un des garçons de son groupe en riant.

Elle aussi est décontractée.

Pour elle, je parie que la cuisine ne compte pas comme une épreuve.

Eh, attendez voir... Gaoooo ?

C'est pas le bruit d'un serpent, ça, si ?

Et Mion alors ?

Je suis sûre qu'elle a deux mains gauches !

Elle ne peut pas être douée !

Je refuse de le croire !

Keiichi

— Tu te fous de moi ou quoi ?

C'est des conneries tout ça !

C'est une illusion, un effet spécial !

Tu utilises des fils, je parie !

Mion

— Héhhéhhé...

Regarde un peu celle-là.

Mion exhiba fièrement une longue, très longue épluchure.

Rika

— Eh bien alors, vous ne saviez pas ?

Mii habite seule chez sa grand-mère et c'est elle qui lui a tout appris.

Rena

— Pas que la cuisine d'ailleurs !

Rena

Mii sait aussi coudre, elle sait arranger un bouquet de fleur comme il faut, elle sait jouer de la cithare, manier plusieurs types d'armes à feu, réparer une CB, et même piloter un hélicoptère !

Plus la liste s'allongeait, et plus elle paraissait vraisemblable.

En fait, c'était surtout le début de cette liste qui me semblait louche.

Rena

— Vraiment, elle est super douée pour la cuisine.

Mais elle n'aime pas se casser la tête dessus, alors d'habitude, elle ne cuisine pas.

Eh merde !

Moi aussi pourtant, je sais faire à manger !

Je sais faire...

Rika

— Keiichi, faire bouillir de l'eau et verser sur les plats instantanés, ce n'est pas cuisiner.

Je restai coi, stoppé dans mon élan. Elle avait deviné de quoi j'allais parler...

Satoko

— Ooohhohhohho !

Quelle déconfiture !

Mon cher, vous me paraissez tout indiqué pour être la lanterne rouge du classement aujourd'hui !

*clank!!!*

Keiichi

— Tu sais pas cuisiner non plus, alors camembert, d'abord !

Satoko

— Ouiiiiiiiin !

Riiikaaaaa !

Rika

— Oui, voilà, je suis là, pauvre petite, va.

Ne t'inquiète pas, je vais lui donner une bonne leçon.

Hmmm... C'est pas bon pour moi, ça.

Elles ont toutes le sourire !

Tu vas quand même pas déjà abandonner, Keiichi Maebara ?

Ne baisse pas les bras !

Reste zen, reste calme, réfléchis !

On s'en fout de savoir bien éplucher les légumes ou pas.

Il faut gagner, le reste n'a aucune importance !

Keiichi

— Il y a trop de monde pour m'espionner, ici.

Je vais aller à l'autre lavabo.

Je pris un peu de chaque sorte de légumes et m'en allai.

Rena

— Keiichi, tu es sûr que ça ira ?

J'ai peur que tu te coupes avec ce couteau de cuisine...

Mion

— Eh bien alors, voyons-voir ce qu'il sait faire !

Bah, même en m'appliquant pour éplucher les pommes de terre, j'ai de grandes chances de carrément me couper un doigt !

Je n'ai qu'un seul moyen pour m'en sortir !

Keiichi

— Eh, Tomita, Okamura !

Ah, vous êtes un groupe de quatre ?

Je me mis à la recherche des deux jeunots avec lesquels j'avais fait un pacte le dimanche.

Apparemment, ils avaient deux filles pour les aider dans leur groupe.

Tomita

— Oui ?

Ah, oh, ben, ces deux-là ont dit qu'elles étaient douées, alors...

Okamura

— On n'a eu que le droit de nous taire, de rester sage et de ne toucher à rien.

Ils me montrèrent les deux filles en question du doigt.

... Je vois, effectivement, elles sont douées, pas autant que Rena mais franchement, pas mal du tout.

Keiichi

— Bon, parlons peu mais parlons bien.

À ce rythme-là, je vais perdre !

Filez-moi vos légumes déjà prêts à cuire.

Tomita

— Mais enfin, Maebara, tu…

c'est du racket, quoi... On peut pas...

Quoique, mouais, faut voir...

Okamura

— Qu'est-ce qu'on a à y gagner dans l'échange ?

Keiichi

— Heh, je vois que vous avez mûri ce week-end !

En même temps, c'est un peu ma faute.

Bon, on va faire comme ça.

Si je gagne, je vous laisse manger un peu du curry que Satoko et Rika ont préparé.

Ça vous va ?

Tomita

— Sérieux ?

Hmmm... Ah ouais,

c'est tentant, en effet...

Ma proposition avait l'air de leur avoir coupé le souffle, mais de ne pas être suffisante.

Très bien, ils l'auront voulu.

Je posai mes mains sur leurs épaules et les rapprochai vers moi pour pouvoir leur parler à voix basse.

Keiichi

— Bien sûr, vous mangerez le curry de leur assiette.

Avec la même cuiller, d'ailleurs.

D'un seul coup,

deux grands jets de liquide rouge fusèrent de leurs narines.

Satoko

— Tiens donc ?

Mon cher, vous êtes trop modeste à votre endroit !

Vos ignames sont très bien épluchées.

Fort de mes légumes prêts à l'emploi, je retournai vers mes adversaires avec un sourire goguenard.

Rena

— Wouah, très bien !

Keiichi, tu sais bien faire les patates !

Mion

— ...Hmph.

Tu parles.

Il sait surtout bien faire les affaires... je me trompe ?

Keiichi

— Heh.

J'ai décidé d'y aller sérieux, c'est tout.

Je vais vous mettre une pile, à toutes autant que vous êtes !

Je pris une casserole, la mis sur le feu, et plaçai les légumes petit à petit, les plus durs à cuire en premier.

Ma mère m'avait donné ce truc lors de nos nombreux campings.

Mais même en considérant que tout aille bien pendant la cuisson, je ne pense pas obtenir de points en plus par rapport aux autres.

Dans le plat de Rena... il y a des tas de légumes différents, en proportions parfaites.

Elle n'est ni en train de jouer, ni en train de tenter le diable.

Elle est comme une mère qui essaie de préparer un bon repas.

J'ai peut-être une infime chance contre Mion, mais pas contre Rena.

Elle joue à un tout autre niveau...

Rena

— Quand ma mère faisait du curry, elle mettait toujours de la farce.

C'est pour ça que j'ai mis autant de choses dedans.

Normalement, il faudrait faire mijoter toute une nuit, mais bon...

Keiichi

— Je t'en supplie.

Prête-moi un peu de tes super-pouvoirs pour améliorer mon curry ! S'te plaît !

Rena

— Ahahahahaha !

Non, non, non !

C'est pour le club, ça.

Je n'ai pas envie de perdre !

Ouais, si c'est pour le club, Rena arrête d'être une gentille fille et se transforme en ennemi sans cœur.

Rika a ajouté... des pommes, on dirait.

Hmm, on dirait presque un vrai...

Et Mion ?

Keiichi

— Oh, Mion,

c'est quoi tout ça ?

Où t'as trouvé de la viande hachée ?

Mion

— J'ai regardé sur le calendrier de l'école et j'ai vu qu'aujourd'hui, il y aurait ce cours de cuisine.

Alors j'ai tout préparé à l'avance.

Mon curry va être somptueux !

À bien y regarder... Mion avait ramené des tas d'épices, de légumes et de viandes !

Elle a ramené tout ça de chez elle ?

Keiichi

— Objection !

Maîtresse ! Dites-lui qu'elle a pas le droit de faire ça !

Cie

— Objection rejetée.

Si c'est pour améliorer le goût du curry, tout est permis☆

J'y crois pas, elle qui est toujours si sérieuse, me fait un grand sourire niais et rajoute une ☆ à la fin de la phrase ?

La rumeur disait donc vrai, dès qu'il s'agit de curry, elle débloque complètement...

Mion

— Rena et Rika ont un talent inné !

Pour ma part, j'ai préféré assurer un max pour la préparation !

Et toi, p'tit gars ?

Hein, qu'est-ce que tu as comme avantage, dis-voir ?

Hehehehe…

J'ai aucune chance.

La cuisine, c'est pas un simple obstacle. C'est un grand tout composé de petites parties, éplucher, découper, cuire, assaisonner...

Chacune de ces petites parties est une haie de plus à franchir... et il y en a un paquet !

Tomita

— Hep, Maebara, viens-voir par ici !

Je me retournai. C'étaient Tomita et Okamura qui m'avaient appelé.

Keiichi

— Eh ben alors quoi, vous deux ?

C'est quoi ça ?

C'est la casserole de votre groupe ?

Okamura

— Vite, échange-la avec la tienne avant que les autres s'en rendent compte.

Je pense que le curry des filles de notre groupe sera meilleur que le tien, t'es pas d'accord ?

Ils font ça... pour moi ?

Tomita

— Nan, te fais pas d'idées, hein !

On a tout intérêt à te voir gagner, alors...

Ah, oui, c'est vrai.

Si je perds, ils ne pourront pas manger de la même assiette que Satoko et Rika !

Ils ont appris à agir comme des hommes, je suis fier d'eux !

Keiichi

— Super !

Merci beaucoup !

Mais au fait, les filles sont d'accord ?

Okamura

— Maebara...

Je vais pas te faire un dessin, mais bon...

 En échange, ils feront les corvées à leur place les trois prochaines fois.

Ils sont allés jusqu'à payer pour pouvoir m'aider !

Je peux voir des flammes rageuses au fond de leurs regards !

Je vois... Je ne me bats pas tout seul.

Nous sommes unis dans cette bataille !

Keiichi

— Comptez-sur moi !

Pas besoin de manger,

je vous ramènerai leurs assiettes !

岡村

— Nous t'attendrons le temps qu'il faudra !

Avec la cuisinière au gaz, je réglai sans difficulté la température de cuisson.

Plus qu'à attendre.

L'odeur de la sauce commençait déjà à se répandre...

La casserole des jeunots était plutôt bien faite.

Lorsque Rena vint regarder où j'en étais, elle fut très surprise. Bien plus que « pas mal », leur curry avait l'air très bien.

Mion

— Eh ben p'tit gars, tu te débrouilles on dirait.

Finalement, le résultat n'est peut-être pas couru d'avance...

Rena

— Tu sais Keiichi, j'ai de plus en plus envie de goûter à celui que tu as fait !

Keiichi

— Toi et Mion savez faire un curry formidable.

J'ai fait tout ce que j'ai pu mais... je sais pas si les résultats vont suivre.

Satoko

— Mon cher, Rika vous appelle.

Je vous en prie, allez la voir.

Tiens ?

Rika ?

Qu'est-ce qu'elle peut bien me vouloir ?

... Bah, peu importe.

J'en profiterai pour espionner l'ennemi...

Rika dessinait quelque chose sur le sol, tout près de sa casserole.

En même temps, il ne restait plus qu'à attendre la fin de la cuisson, donc bon...

C'était déjà très responsable de sa part de rester près du feu.

Keiichi

— Alors, Rika, comment ça se présente pour toi ?

Rika

— ... Et voilà. Voici Monsieur Curry.

Pardon ?

Me montrant son dessin, Rika me le présenta.

Rika

— Il est très fort, Monsieur Curry.

Il a des lasers qui lui sortent des yeux.

Pitiou, pitiou !

C'est comme ça qu'elle s'imagine le “laser par les yeux” de ce “Monsieur Curry”.

Elle prit un bâton et se mit à dessiner des traits jusque devant mes pieds.

Ah, il est censé m'attaquer avec son rayon laser ?

Keiichi

— Oh, eh, pas si vite !

Barrière !

Je repousse ton laser !

Je pris un bâton et me mis moi aussi à faire des traits sur le sol. Je renvoyai le laser directement sur Monsieur Curry !

Rika

— Monsieur Curry contre-attaque avec des missiles qui lui sortent du ventre.

Tpshhshshshh !

Keiichi

— Tu l'auras voulu !

Barrière super-magnétique !

Et je contre par un autre laser !

Rika

— Monsieur Curry absorbe l'énergie du laser et tire une vague d'énergie !

Nous continuâmes pendant un petit moment à nous envoyer attaque sur attaque, dessinant de plus en plus de choses au sol.

... Eh, mais... Attendez une seconde...

Keiichi

— Au fait Rika,

tu avais quelque chose de spécial à me dire ? Pourquoi m'as-tu appelé ?

Rika

— Oui et non.

Vous n'avez plus besoin de rester, on en a fini depuis un moment.

D'un seul coup, un frisson me parcourut tout le dos.

Elle en a terminé ?

Keiichi

— Elles m'ont eu !

Je courus vers ma casserole... et comme je me l'avais craint, Satoko était là !

Je lui collai d'office deux grosses chouquettes sur le crâne !

Satoko

— Mais enfin, que vous arrive-t-il ?

Je vous prierai de ne pas prendre ma tête pour un sac de sable !

Keiichi

— Je veux rien savoir !

J'espère pour toi que tu n'as rien mélangé dans la sauce !

Satoko

— Quelle impudence...

Vous pensez vraiment que je m'abaisserais à telles pratiques ?

Je joue le jeu, moi.

Keiichi

— Alors explique-moi pourquoi tu as placé toutes ces assiettes et ses ustensiles comme ça, tout tient à peine en équilibre !

Il suffit qu'il y en ait un qui tombe et il entraîne tout le reste dans sa chute !

Au moment où je prononçais ces mots, une louche tomba.

Elle fit trembler puis tomber un autre ustensile, qui lui s'affala sur un autre, et, comme des dominos, de nombreux articles de vaisselle se mirent à faire tomber leur voisin.

Il y avait une série de spatules en bois,

puis deux grosses louches,

puis des assiettes...

Keiichi

— La vache, c'est la classe.

Ça me fait penser, y avait pas une émission à la télé où ils essayaient de battre le record du monde de dominos ? C'était vachement populaire à une époque.

Mion

— Kei,

attention, la poêle !

Je n'eus même pas le temps de dire ouf.

La planche à découper

fit bouger la poêle,

qui sembla diriger sa chute

exactement sur

ma casserole...

*BAM*

Emportée par son élan, la poêle fit levier... et ma casserole se retourna.

Son contenu s'éparpilla un peu partout, et le gravier de la cour commença seul la dégustation...

Je restai bouche bée, attéré, assommé.

Tout avait été tellement lisse, le piège tellement bien exécuté, que j'eus du mal à réaliser que cela s'était réellement passé.

Satoko

— Oh, mon cher, mais quelle catastrophe !

Mais ne vous méprenez pas, je n'ai strictement rien fait, vous savez ?

Ooohhohhohhohhohho !

Au dernier moment... Au tout dernier moment... J'ai baissé ma garde !

J'ai trop longtemps ignoré Satoko sous le simple prétexte qu'elle ne savait pas cuisiner !

J'ai oublié qu'elle n'avait pas besoin de savoir cuisiner pour mettre d'autres moyens en œuvre pour gagner...

J'entendis soudain Rena pousser un cri d'effroi.

Rena

— Mais ?

Mais pourquoi il est tellement salé ? J'avais pas mis autant de sel !

Alors il est déjà trop tard...

Ah, mais Mion alors ?

Mion

— Argh, le riz est super salé !

Elle m'a eue !

Satoko

— Oooohhohhohhohho !

La concurrence ne semble plus en mesure de nous importuner !

Rika

— C'est dommage, ton curry avait l'air bien parti.

Pauvre petit, pauvre petit !

Satoko

— Oui, vous êtes bien à plaindre !

Rika et Satoko restèrent ainsi à me caresser la tête avec insistance...

Nous dûmes mettre les tables en place pour procéder à la dégustation et, accessoirement, à l'attribution des notes.

Une délicieuse odeur de curry flottait maintenant dans toute l'école.

Les fonctionnaires des Eaux et Forêts qui nous servaient de membres du jury aujourd'hui furent menés à leurs tables.

Le directeur fit un petit discours cérémonieux, puis la Maîtresse vint à son tour au micro pour leur demander de noter les plats pour décider des vainqueurs de la Guerre du Curry.

Cela fit bien rire les fonctionnaires, qui redressèrent leurs manches et se montrèrent enthousiastes à jouer le jeu.

Cie

— Bon, eh bien je vois que vous avez tous réussi à cuisiner quelque chose.

Très bien, passons à la dégustation.

Les élèves de la classe se mirent à servir leurs préparations, sûrs d'eux.

Les seules membres du club à avoir fait un plat correct étaient Rika et Satoko...

Rena, résignée, servit une assiette de son curry,

sachant pertinemment qu'elle prendrait une sale note.

Mais Rena pouvait encore servir quelque chose.

Mion et moi-même, par exemple, avions tout perdu dans la bataille, et n'avions plus rien à présenter sur la table...

Les juges se mirent à manger, en commençant par les plats des plus jeunes.

Bientôt leurs commentaires fusèrent, « très bien », « sucré », « intéressant » ou « surprenant », et ils commencèrent à délibérer entre eux des qualités et des défauts de chacun.

Puis enfin... ce fut notre tour.

Directeur

— Le prochain, celui de mlle Ryûgû.

Hmmm.

Ça a l'air vraiment délicieux !

Le directeur ouvrit grand la bouche, se réjouissant par avance.

Évidemment, son visage s'assombrit aussitôt.

Cie

— Eh bien alors, ça par exemple.

Que vous est-il arrivé ? Il avait l'air très bien lorsque nous étions passés tout à l'heure ?

La maîtresse était manifestement très déçue, elle aussi.

Rena

— Hau… Je... je... Je suis vraiment désolée.

J'ai rajouté tout un paquet de sel... par inadvertance...

Les autres membres du jury avalèrent à leur tour une bouchée.

Leurs visages se crispèrent aussi. Quel gâchis…

Directeur

— C'est de ses erreurs que l'on peut tirer les leçons les plus importantes !

J'espère bien y goûter une prochaine fois !

Courage !

Le directeur, les larmes aux yeux, se forçait visiblement à terminer son assiette. Quel courage, quelle noblesse, quel homme !

Rena baissa la tête, dépitée.

Elle avait eu une arme très puissante, mais une défense très mauvaise.

Rika

— ... Bien.

J'aimerais vous faire goûter celui-ci maintenant.

Cie

— Mlle Furude, votre équipe s'est donné du mal pour faire ce plat, cela se voit !

Voyons voir cela.

...Hmm, moui.

C'est un peu simple, mais c'est très bon ☆

Évidemment, juste après le plat infect de Rena, celui-ci fit plus forte impression.

C'est peut-être le meilleur plat jusqu'à présent ?

Les juges se lancèrent dans un débat passionné.

Or, au milieu d'eux, l'un des juges soupirait constamment, coupant méthodiquement un morceau de carotte avec sa cuiller.

Staff Member

— Mouais, c'est pas mauvais du tout, son truc,

mais j'aime pas les carottes, moi.

Perso, je trouve qu'un curry sans carottes, c'est pas du curry,

mais bon, chacun ses goûts, faut croire.

Rika se dirigea vers lui et vérifia le nom marqué sur son insigne.

Rika

— Eh ben alors, Kyôji ?

Il ne faut pas faire le difficile, voyons. Allez, finis tes carottes, tu veux bien ? Il faut manger de tout.

Tout le monde tourna le regard vers Rika en faisant de grands yeux.

Mais comment est-ce qu'elle lui parle ?

Sauf que

Ce commentaire

eut l'air de faire mouche.

Le juge se mit à pleurer à chaudes larmes et à manger ses carottes sans plus rechigner !

Rika

— Allons, allons, Kyôji.

Il y en a encore, si tu veux.

— Rah, ma mère me disait ça tout le temps quand elle faisait du curry... Maman !

Il reprit son assiette avec appétit, perdu dans ses souvenirs.

Le curry de Rika n'a pas un goût simple.

Il a le goût des petits plats d'une mère pour ses enfants !

La note, loin de s'en retrouver amoindrie, continua de grimper.

Satoko

— Ooohhohho.

Personne ne peut rivaliser avec la cuisine de Rika !

Or, au moment où Satoko voulut continuer à fanfaronner, une voix se fit entendre !

Mion

— Ne vous laissez pas embobiner, mesdames et messieurs les juges !

Mion

Elle essaye de faire passer la pauvreté de l'assaisonnement pour le bon goût d'une mère au foyer !

Mion

C'est inadmissible ! Je parie que vous auriez plutôt envie de manger... CECI !

Ouah, la vache !

Pendant que nous n'avions pas fait attention à elle, Mion avait préparé ses assiettes.

Les juges, la maîtresse, les élèves et moi-même eûmes un choc en les voyant !

Il y avait là de la viande hachée, avec une sauce demi-glace, et des feuilles de salade verte !

C'était un vrai menu complet !

C'était comme un vrai plat de restaurant...

La présentation était... parfaite !

Rena

— Ouah, super !

Mii, c'est super !

Mii, c'est super !

Satoko aussi restait bouche bée.

Même Rika ne pouvait cacher sa surprise !

Le match était presque joué même avant la dégustation.

La viande hachée était cuite comme un hamburger, mais malaxée à la main.

La vinaigrette de la salade était bien évidemment faite maison.

Et le curry était parfait !

Cie

— C'est très, très bon.

Les saveurs sont riches, fines, parfumées, c'est superbe, mlle Sonozaki !

Cie

— Ce plat, c'est un peu l'union parfaite entre la culture culinaire japonaise et les 6000 ans d'histoire du curry en Inde.

Cie

Je dois dire que vous m'avez épatée !

Cie

Vous méritez vraiment la note maximale.

Cie

Je vous mets 100/100 !

Mion

— Ahaha, merci, merci.

Mais vous savez, en tant que déléguée de la classe, je n'ai fait que montrer le bon exemple...

Mion accepta les compliments en baissant la tête bien bas, se montrant très humble.

Mais, la tête penchée en avant, elle nous fit un clin d'œil avec un air triomphant.

Rika

— Je... j'ai perdu...

Satoko

— Mais enfin, comment est-ce possible ?

J'ai pourtant bien mis le sel dans son riz, je ne comprends pas !

Oui, tiens, c'est vrai, c'est bizarre.

Avec tout le sel que Satoko avait versé dedans, il devrait être absolument immangeable !

J'eus soudain une révélation et me retournai brusquement.

Je le SAVAIS !

Ma gamelle était ouverte, et l'on ne voyait plus que quelques miettes de riz à l'intérieur.

Keiichi

— Mion, sale enflure !

Comment as-tu pu oser ?

Sale tricheuse !

File-moi le reste de ton curry !

Mion montra posément l'index et fit signe que non, non, non, un sourire aux lèvres.

Mion

— Tut, tut, tut, p'tit gars, tu es trop naïf, là.

Au dernier obstacle, tu as abandonné.

Pas moi.

C'est la seule différence entre toi et moi.

Un combat n'est perdu que si tu jettes l'éponge !

Merde... J'ai pas envie de l'admettre, mais elle a raison !

Rena

— Mii, tu pourrais faire un geste, non ?

Le pauvre...

Mion

— T'inquiète pas pour lui, va.

Cela lui servira de leçon.

Kei a appris aujourd'hui qu'il ne fallait jamais, au grand jamais, abandonner.

Oui, le pire, c'est qu'elle a vraiment raison.

J'ai été trop naïf d'abandonner le combat si tôt que cela !

Je devrais lui être reconnaissant de m'avoir fait ouvrir les yeux !

Mais alors... cela veut dire que même maintenant, je ne dois pas abandonner ?

Keiichi

— OK, ma casserole de curry est renversée et j'ai plus de riz.

Tu crois vraiment qu'il y a moyen de faire quelque chose dans cette situation ?

Tomita

— Maebara...

Okamura et Tomita se trouvaient derrière moi.

Ah, va chier !

Quand je pense aux sacrifices qu'ils ont faits pour moi !

Et je ne peux même pas leur rendre l'ascenseur !

Okamura

— Bah, c'était un accident.

C'est pas de ta faute.

Je peux voir leurs mines déçues.

Non, je ne peux pas abandonner !

Je suis leur aîné !

Je suis censé ramasser les bris de leurs rêves et les aider à le réaliser, sinon, à quoi servirais-je ?

Mion vient pourtant de me le dire, non ?

Il ne faut jamais abandonner !

Jusqu'au dernier moment !

Keiichi

— Réfléchis, Keiichi !

Allez, creuse-toi les méninges !

Il ne faut pas chercher à faire un super curry, il faut juste trouver un moyen de gagner !

Hummmm…

MAIS BIEN SÛR !

J'eus une idée.

Je ne sais pas si je pourrai inverser la vapeur, mais ça peut valoir le coup d'essayer !

Keiichi

— Tomita, va te laver les mains, j'ai besoin que tu m'aides !

Okamura, il faudrait que tu ailles me chercher quelques trucs.

岡村

— C'est compris, compte sur nous !

Mes deux compagnons passèrent à l'action.

Mion

— Hmmm ?

Tu comptes te rebeller une dernière fois ?

... Je veux voir ça.

Satoko

— Les femmes n'aiment pas les hommes qui ne savent pas reconnaître leur défaite, mon cher.

Keiichi

— Boucle-la.

C'est mon dernier essai, alors tais-toi et regarde !

Mion ? Je prends ton riz.

C'est pas une question, hein, je prends ton riz, que tu le veuilles ou non.

Mion

— ... Comme tu le sens, p'tit gars, mais je te préviens, il est salé.

Rena

— Et moi, je peux t'aider ?

Hein, dis, je peux ?

Keiichi

— C'est super sympa de ta part, merci Rena !

Ben écoute, tu...

......

tu vas préparer un thé aux herbes. S'il te plaît.

Rena

— Hau… Tu ne me fais pas confiance, hein ?

Keiichi

— Et maintenant, Satoko,

Rika !

Je vous lance un défi !

Satoko

— Pardon ? Mais quelle outrecuidance !

Rika

— Écoutons ce que vous avez à dire.

Il me fallait encore régler ceci, pour le bien des petits jeunots qui m'avaient aidé !

Keiichi

— Si j'obtiens la note maximale...

Je prendrai votre curry.

Vous serez privées de repas de midi !

Satoko

— Ne prenez pas vos rêves pour des réalités !

Tenez, pour votre peine, je vous tire la langue ! Beuééééé !

Mion

— Allons, allons, Satoko,

accepte.

Mion s'approcha de Satoko et plaça la main sur son épaule. Calme et digne, elle lui parla avec l'autorité de sa fonction de chef du club.

Mion

— Tu lui as porté tellement d'attaques sévères qu'il lui est normalement impossible de s'en remettre, non ?

Mion

Il n'arrivera jamais à revenir.

Mion

Alors sois bonne joueuse.

Mion

Quoi qu'il fasse, il ne pourra pas inverser la vapeur.

Mion

Tu ne crois pas ?

Satoko

— Hmmm, eh bien, certes, en effet, vous avez raison, mais...

Rika

— Je suis d'accord.

Allez, Keiichi, courage ! Te laisse pas abattre.

À force de manger du curry, les juges avaient obtenu la distance nécessaire pour observer sans prendre parti, et leurs critiques s'en ressentaient.

Pour autant, Mion semblait encore et toujours assurée de la première place.

Cie

— Mais j'y pense, qu'est-il advenu de ton curry, Maebara ?

Nous n'y avons pas encore goûté.

Keiichi

— Oui, je... eh bien en fait…

la casserole s'est retournée et...

Directeur

— Hmmm.

Je vois.

C'est très dommage !

Keiichi

— J'ai perdu mon curry, mais je n'ai pas encore perdu ce match.

Vous m'en direz des nouvelles !

Piqués par la curiosité face à mon comportement si belliqueux, les juges me portèrent toute leur attention.

Keiichi

— Ne dites rien et mangez.

Vous pourrez me faire part de vos griefs et de vos reproches plus tard si nécessaires, je vous le promets.

Admirez ça !

Cie

— Maebara... qu'est-ce que cela veut dire ?

Directeur

— Hmmm.

Ce sont des boulettes de riz, si je ne m'abuse.

Les autres juges échangèrent des rires gênés. C'était beaucoup moins grandiose que ce que mon petit numéro avait annoncé.

Rena revint de la salle des professeurs avec une canne de thé bouillant.

Satoko

— Mais enfin, c'est se moquer du monde !

Et regardez l'intérieur !

Il n'y a rien dans ses boulettes de riz !

Il n'y a aucune comparaison possible !

Rena

— Même si les boulettes de riz sont salées juste ce qu'il faut...

Dans son regard, je pouvais lire la suite. « C'est gonflé comme méthode, mais si ça marche, tout n'est pas perdu. »

Tomita

— Maebara, t'es sûr de pouvoir gagner avec ça ?

Keiichi

— Mes jeunes amis,

je vous remercie de tout ce que vous avez fait.

Ne vous inquiétez pas.

Attendez, vous verrez bien.

Les juges mangèrent en silence, sirotant leur thé bruyamment.

Personne parmi eux ne fit de commentaire, ni en bien ni en mal.

En silence, ils mangeaient, encore et encore.

Mion

— Hmmm... c'est salaud, ça, p'tit gars. Tu fais des progrès.

Ça va faire mal, je le sens.

Rena

— Aaah, je vois !

J'ai compris, ok.

Satoko

— Eh bien quoi, qu'est-ce à dire ?

Pourquoi restent-ils silencieux ? Et pourquoi mangent-ils autant ?

Rena

— Je vais te dire ce qu'il se passe, Satoko.

La vérité, c'est que les juges...

...en avaient marre de manger du curry !

Ils sont obligés de manger une part de chaque plat préparé.

Pour les plats des grands, une cuiller suffit, mais pour les petits, il faut au moins avoir la politesse de manger toute une assiettée.

Keiichi

— Quand un homme a faim, parfois, il a plus tendance à porter son attention sur la quantité que sur la qualité.

Keiichi

Et dans ces moments-là, le goût du plat n'a pas besoin d'être raffiné et de lui inspirer je ne sais quelle réflexion sur les arts culinaires, il a besoin d'être simple et consistant.

Les juges s'arrêtèrent brusquement pour me regarder, gênés, comme pris la main dans le sac.

Ils n'osaient pas le dire, mais leur comportement signifiait bien qu'ils préféraient de loin manger mes boulettes de riz...

Directeur

— Je te félicite pour ton abnégation... mais c'est aujourd'hui un combat de curry.

Je ne sais pas trop si nous avons le droit de noter ton plat.

La maîtresse et le directeur croisèrent les bras, réfléchissant à la question.

Les deux jeunots derrière moi baissèrent le regard, pensant voir leur dernier espoir s'envoler.

Je m'y attendais, mais il faut croire que mon coup d'éclat ne fera pas de miracle...

Mion

— Baisse pas les bras, Kei.

J'entendis soudain Mion me murmurer quelque chose à l'oreille.

... Elle a raison.

Si je veux faire entendre mon point de vue, c'est maintenant ou jamais !

Keiichi

— Maîtresse,

je demande à être noté.

Keiichi

Si vous pensez que le curry et les boulettes de riz ne peuvent pas être notées de la même façon, vous vous trompez.

Cie

— Pardon ?

Maebara, de quoi parles-tu ?

En quoi le curry et les bou-

Le directeur plaça son bras sur l'épaule de la maîtresse, lui intimant le silence.

Je sus qu'une dernière chance venait de m'être accordée.

Les autres juges, apparemment rassasiés, attendaient patiemment la suite.

Keiichi

— On dit que le vrai curry est mangé avec un pain plat et épicé que l'on appelle « nam » en Inde.

On pourrait donc dire que le riz au curry est une version japonaise de cette habitude alimentaire.

Keiichi

Comme vous l'avez dit ce matin, Maîtresse, c'est un plat né de la fusion des cultures de l'Inde et du Japon.

Cie

— Maebara, je comprends tout à fait cela,

mais je ne vois pas le rapport avec les boulettes de riz ?

Keiichi

— C'est pourtant simple, madame.

Le curry et les boulettes…

sont deux manières traditionnelles et culturelles de manger du riz !

La culture du riz nous est parvenue depuis l'Inde et la Chine.

Nos ancêtres ont irrigué les rizières, piqué chaque plant, combattu des tas d'insectes nuisibles à travers les saisons et les âges, pour nous transmettre une habitude alimentaire largement basée sur le riz.

Les japonais ont créé toutes sortes de recettes, mais au départ, la seule motivation derrière leurs recherches culinaires, c'est le moyen de manger du riz en lui donnant le meilleur goût possible !

Ce qui signifie que...

Keiichi

— Le curry et les boulettes de riz sont tous deux...

des plats nés de notre consommation du riz !

Une, puis deux, puis dix personnes se mirent à m'applaudir.

Satoko

— Mais voyons, arrêtons-là l'imposture !

Je n'accepterai pas telle supercherie !

Nous sommes censés être notés sur notre sauce curry !

Vous êtes donc totalement hors-sujet !

Vous méritez un zéro, rien d'autre !

Rena

— Madame, faites un geste.

Il s'est vraiment donné du mal.

Cie

— Oui, mais le sujet était le curry.

Que faire...

Mion eut un petit rire et s'avança.

Mion

— Il y a quelques années, j'ai entendu l'histoire d'un chef primé au guide Michelin qui avait été engagé dans un grand restaurant japonais. L'intendance avait fait importer pas mal d'ingrédients directement de France pour son premier service.

Mion

Mais il n'a même pas regardé le contenu de la cuisine ce jour-là.

Rika

— Pourquoi donc ?

C'étaient pourtant des ingrédients qu'il connaissait bien, non ?

Mion

— Il est allé au marché, à la criée. Il a acheté du poisson tout frais pêché, et d'autres légumes et produits de notre terroir.

Mion

La culture alimentaire ne connaît pas de règles ni de lois.

C'est de la culture, justement. Si on la ramène au Japon, elle s'adapte aux couleurs locales pour créer de nouvelles recettes.

Mion

C'est pourquoi le curry et les boulettes de riz font tous deux partie, à parts égales, de la culture japonaise.

Mion,

franchement, merci.

Les juges eurent l'air de se réjouir d'avoir appris quelque chose en écoutant son histoire. Je ne sais ni pourquoi ni comment, mais c'est bon pour ma pomme.

La maîtresse prit un regard sévère et pondéra la situation un moment, décroisant et recroisant les bras.

Cie

— Dis-moi Maebara, tu as fait tomber la casserole avec le curry et elle s'est retournée, c'est ça ?

Je t'avais pourtant prévenue, plusieurs fois même, qu'il fallait faire attention.

Keiichi

— Je... je suis désolé.

Cie

— Mais j'admets que, comme tu l'as dit et comme Mion l'a répété, les habitudes alimentaires d'un pays ne sont pas limitées par des règles.

Cie

Tant qu'un plat peut provoquer une réaction ou une émotion chez celui qui le mange, il est injuste de le discriminer sous prétexte d'apparence.

Keiichi

— Mais alors... vous... ?

Cie

— Tu recevras 20 points de pénalité pour ne pas avoir fourni de curry.

Cie

Mais pour une fois, et aujourd'hui seulement !

Cie

je suis prête à t'accorder 20 points de bonus pour avoir refusé de baisser les bras.

Cie

Je vais te mettre 100.

岡村

— Ouais ! Maebara ! Supeeeeer !

Tomita et Okamura me sautèrent sur le dos.

Haha ! 100 points !

Bravo, bien joué !

Même sans curry et même après avoir perdu le riz,

j'avais pu faire un retour en force.

Finalement, avec tout ça, cela faisait 100/100 pour tout le monde sauf Rena.

Mais comme ce n'avait pas vraiment été une activité du club, il fut décidé que cela ne compterait pas et qu'il n'y avait pas lieu de donner un gage.

Rena poussa un soupir de soulagement.

Keiichi

— Bon, eh bien alors, chose promise, chose due.

Rika, Satoko, vous serez privées de repas de midi !

Satoko

— Mais enfin, vous ne pouvez pas faire ça ?

Satoko fit un caprice en tapant des pieds sur le sol, mais le perdant est obligé de payer le prix fort...

Keiichi

— Bon, je veux bien faire un geste.

Je vous autorise à manger la moitié de votre part !

Rika

— Merci, Keiichi.

Je regardai les deux jeunots qui m'avaient soutenu. Ils restaient debout, dignes, stoïques, pendant que des larmes viriles coulaient sur leurs joues. Dans nos regards se jouait une conversation d'homme à homme.

Tu as réussi, Maebara, tu as réussi !

Oui, et c'est grâce à vous !

Levant le pouce tous les trois, nous prîmes une pose victorieuse en même temps.

Keiichi

— Bon, je vais aller donner vos restes à d'autres élèves, pour être sûr.

Et maintenant, voyons voir... J'ai faim aussi, mine de rien.

On va voir si ces boulettes de riz étaient si bonnes que cela...

... Tiens ?

Je ne les trouvais plus.

Même pas celles que je m'étais mises du côté.

Pendant que je regardais à droite à gauche, le Directeur plaça une main sur mon épaule.

Directeur

— Ahahahaha !

Je t'écoutais parler tout à l'heure, et tes boulettes de riz étaient vraiment délicieuses, tu sais !

Ahahahahaha !

Keiichi

— Euh... Est-ce que par hasard vous auriez aussi mangé ma part ?

Directeur

— Aaaahahahahahahahaha !

Le directeur semblait vouloir oublier de me répondre...

Il est pas sérieux ?

Alors que les larmes me montaient aux yeux à cause de la faim, la maîtresse me prit à part.

Cie

— Maebara, je t'ai mis la note maximale au vu des circonstances, mais…

je suppose que tu m'as compris ?

Keiichi

— Que je vous ai compris ? Euh, je ne vois pas trop, non.

La couleur des yeux de la maîtresse changea du tout au tout.

Ses yeux n'étaient plus leur bleu azur habituel, ils étaient... brun clair, avec des reflets jaunes.

Un peu la couleur du curry, en fait.

Son regard m'attira, irrésistiblement, et ses grands yeux se transformèrent en casseroles de curry onctueux, remués par une cuiller en bois, et le sillon en spirale qu'il laissait à la surface de la sauce me fit tourner la tête...

La maîtresse me saisit alors fermement par les épaules, et approcha son visage tout près du mien.

Cie

— Le curry est l'aliment le plus sacré, le plus sain et le plus fabuleux qui existe sur cette planète, tu m'as compris ?

Cie

Ne t'avise plus jamais de le comparer à de vulgaires boulettes de riz, ou ça va mal se finir pour toi.

Cie

On est bien d'accord ?

Cie

Le curry

est

une

civilisation

à

part

entière,

née

dans

l'Inde

antique,

et

lorsque

Shakamûnî

est né,

il

y

avait

justement

un concours

international

de cuisine

au palais

de

Kapilavastu,

et le curry

a fait

fureur

ce jour-là,

et même que

le

Shakya

a voulu

en manger

la

tour

et

Michelin

la faisant

revenir

dans

du curry

Eiffel

qu'à partir

d'aujourd'hui,

tu ne penseras

plus

qu'à manger

du curcuma,

encore

et toujours

du curcuma,

et tes paupières

sont lourdes,

si lourdes,

et tes yeux tournent,

tournent, tournent...

du curry,

du curry,

du curry,

Satoko

— Dites-donc, mon cher,

ne restez pas ainsi à dodeliner de la tête !

Aidez-nous à ranger la pièce, cela fait partie de vos devoirs !

Rena

— Keiichi, on dirait que tu as du curry dans les yeux !

Que s'est-il passé ?

Du curry, du curry, du curry,

éhéhéhé, éhéhé, éhéhéhéhéhéhéhéhéhéhéhéhé...

Mion

— Aïe, je vois qu'elle l'a conditionné...

Hmm, il devrait s'en remettre d'ici demain.

J'espère.

Heureusement, la faim qui me tenaillait eut tôt fait de me faire reprendre mes esprits...

En fin de compte, vu que le directeur s'était bâfré avec ma part, j'avais dû me priver de repas de midi.

Je n'aurais jamais cru que l'après-midi serait si long et si douloureux simplement à cause de la faim, mais j'ai bien dû me rendre à l'évidence.

Je manquai de peu de perdre connaissance, non pas à cause du sommeil, mais par manque de tonus...

Rena

— Euh, ça va aller, Keiichi ?

Je t'ai pourtant dit que tu pouvais manger le reste de mon curry, tu aurais dû en profiter !

Je lui avais gueulé dessus qu'elle pouvait se le carrer, son curry super salé.

Mais maintenant…

Je regrettais amèrement cette décision.

J'avais tellement faim que j'en avais mal à l'estomac...

Mion

— Allons, allons !

Tu t'es bien débrouillé aujourd'hui !

C'était une situation désespérée !

Tu es très fort quand on te pousse dans tes derniers retranchements !

Keiichi

— Écoute, c'est gentil, mais j'ai pas envie de compliments, j'ai envie de manger.

Maaaaaangeeeeeeeeeeeeeer !

Mion

— Bah, tu auras bien quelque chose à la maison, non ?

Keiichi

— Non, ma mère n'achète jamais de gâteaux ou de sucreries.

Et puis on n'a même plus de nouilles instantanées...

Mion

— Ahahahahaha !

Bah, serre les dents et attends ce soir, tu verras, tu vas adorer, même sans te forcer !

Je sais pas pourquoi, mais moi, ça ne me faisait pas rire...

Mion

— Bon, ben je vous laisse ici,

je dois travailler aujourd'hui.

Pfffu, c'est chiant quand on ne s'est pas encore habitué au nouveau boulot.

Oh, elle parle sûrement de son job au restaurant Angel Mort.

Ah oui, l'uniforme réglementaire là-bas est pas piqué des hannetons...☆ Hauuu !

Keiichi

— C'est pas facile alors comme job, serveuse ?

Rena

— Quoi ? Mii, tu bosses comme serveuse ?

C'est vrai, sans blague ?

Où, dans quel café ? Dans quel resto ? Hauuuu ! Allez, dis-le, quoi ?

Mion

— Euh, non, pas moi, je... enfin, tu sais, je parle du magasin de jouets de ce dimanche !

La serveuse, c'est Shion, moi je...

Oooops.

J'avais complètement oublié la petite histoire...

Keiichi

— Ah, oui, désolé, c'est vrai.

Vous vous ressemblez tellement, j'ai dû vous confondre !

Rena

— Keiichi,

c'est qui cette Shion ?

Keiichi

— Euh, c'est la sœur jumelle de Mion, la sœur cadette, c'est ça ?

Elle a pas du tout le même caractère, mais elle lui ressemble physiquement comme deux gouttes d'eau !

Mion

— Oui !

Oui, on se ressemble de l'extérieur, mais l'intérieur pas du tout, non, non !

Je veux dire, je suis gentille, je ne m'impose pas aux autres, moi, mais Shion est toujours froide, distante, et colérique avec ça !

Keiichi

— Lorsqu'elles sont nées, je parie que tous les côtés féminins sont allés chez Shion.

Keiichi

La pudeur lui va bien, pas comme Mion, et elle est très mignonne quand elle sourit avec son petit côté timide.

Mion

— Mé-mé-mé-mais qu'est-ce que tu racontes, Kei ?

Rena nous dévisageait avec des yeux ronds comme des billes.

Rena

— Ah oui ?

Sérieux ?

Je l'ai jamais rencontrée, moi.

Tu m'avais jamais dit que tu avais une sœur jumelle, Mii... ou bien ai-je la mémoire qui flanche ?

À ce rythme-là, Rena allait bientôt découvrir la vérité sur l'identité de Shion.

Mais je ne vois pas comment aider Mion à s'en sortir...

Elle va devoir se débrouiller seule sur ce coup-là.

Mion

— Euh, oui, non.

C'est vrai, je te l'ai jamais présentée, si ça se trouve.

Ben c'est ma sœur jumelle, elle est née après moi et elle s'appelle Shion.

Rena

— Mais j'ai jamais su, moi !

Tu me l'as jamais dit !

Je suis déjà allée chez toi, et je l'ai jamais vue !

Mion

— Eh ben... en fait si tu veux...

Mion

Ben, tu sais bien quoi, je vis seule avec ma grand-mère.

Mion

Shion vit à Okinomiya.

Mion

Et puis, on n'est pas en très bons termes, tu vois, alors... oui, c'est ça, on se chamaille tout le temps alors elle vient jamais, quoi !

Rena

— Hmmmm...

Rena n'avait pas l'air convaincue.

Elle a l'air tête en l'air, mais c'est le genre à être très observatrice et très intelligente...

Keiichi

— Ouais enfin bon, c'est pas des bobards, tu peux la croire, hein.

Rena me fit un grand sourire.

Rena

— Mais j'aimerais bien la rencontrer un jour !

J'irai avec toi la prochaine fois !

Tu peux me dire où elle travaille ?

Mion

— Euh... ben... je crois que c'était le...

Bon sang, elle s'enfonce, là !

Je la sens devenir de plus en plus nerveuse.

J'aimerais pouvoir l'aider, mais franchement je connais pas du tout sa famille...

Mion

— Ah... Mais eh, t'as vu l'heure ?

Il faut que j'y aille, ouh là, je vais arriver en retard !

Allez, salut !

Salut vous deux, hein !

On se revoit demain !

Coupant court à la conversation, Mion se retourna et fit un sprint en direction de sa maison.

Je pense que n'importe qui comprendrait qu'elle est en train de fuir.

C'est un repli stratégique d'urgence.

Rena

— Mii avait l'air toute gênée, c'était mignon comme tout !

Mais pourquoi elle a réagi comme ça, hein, pourquoi ?

Éhéhéhé !

Tout le long du chemin, Rena continua de glousser dans sa barbe.

Quand est-ce qu'on va manger, ce soir ?

Il vaut mieux m'allonger, c'est ce qui me fera brûler le moins de calories.

Arrivé dans l'entrée, je m'étalai de tout mon long vers l'avant, sans même enlever mes chaussures.

Au moment où je voulus me laisser aller à un petit somme, on sonna à la porte.

De la visite ?

Keiichi

— Oui, entreeeez.

La porte est ouverte.

Ma voix n'était pas très enjouée, mais suffisamment forte pour être perçue du dehors.

Shion

— Bonjour, excusez-moi de vous dér- HEIN ?

Ben, p'tit gars, qu'est-ce que tu fais ?

J'avais de la visite de Mion... Non, de Shion !

Elle avait l'air surprise de me voir étalé dans l'entrée.

Keiichi

— Shion, c'est toi ?

Mais comment... pourquoi ?

Je pensais que Shion était une fausse identité créée par Mion juste pendant son service au restaurant.

C'est pourquoi il ne me serait jamais venu à l'idée qu'elle pourrait apparaître à l'improviste, d'elle-même !

Shion

— Ma sœur m'a dit ce qu'il s'était passé.

Il y a eu des problèmes en cours ce matin et tu n'as rien eu à manger, c'est cela ?

Keiichi

— Ouais, et c'était vraiment horrible, tu peux pas savoir.

Satoko a foutu mon curry en l'air, tu m'as volé mon riz, et...

Shion

— Mais puisque je te dis que je suis Shion...

Elle ne finit pas sa phrase, sa gêne empourprant son visage et lui coupant la parole.

Aah oui, elle est sa sœur cadette maintenant...

Keiichi

— Ouais, désolé.

Et donc ?

Dans ta grande bonté, tu m'as ramené de quoi manger, peut-être ?

Shion

— Oh…

ben tu as tout deviné, je suis un peu déçue, je voulais te faire la surprise... Tiens.

Shion enleva les mains de derrière son dos et me tendit une boîte à repas.

Keiichi

— Hein ?

Non, sérieux, tu m'as vraiment ramené à manger ?

Oh putain, merci !

Shion

— Il y avait des restes de hamburger dans ce qu'a ramené ma sœur de l'école, alors je les ai pris avec.

Shion

Je suppose que tu n'as pas encore mangé ce soir, mais... je me suis dit que, peut-être...

Shion

Ça te dérange, tu n'en veux pas ?

Keiichi

— Ah non, nan mais pas du tout, alors là au contraire même !

Je suis super content !

Je peux, vraiment ?

J'entr'ouvris le couvercle pour voir à quoi cela ressemblait et remarquai immédiatement que c'était trop beau pour être de simples restes. C'était un repas qui promettait monts et merveilles.

Keiichi

— Sérieux maintenant, je peux le manger, vraiment ?

T'as pas mis de tabasco dedans ou une connerie comme ça, tu me le promets, hein ?

Shion

— Roh !

Mais puisque je te dis que je ne suis pas comme ma sœur !

Je ne ferais jamais ça, voyons.

Si tu n'en veux pas, te force pas, hein. Je rentrerai chez moi et je le mangerai moi…

À ces mots, elle fit une moue boudeuse et avança ses mains pour me reprendre le panier-repas.

Il y a des moments où je me dis que c'est réellement Mion, et à cet instant, j'en avais vraiment l'impression.

Keiichi

— Nan, nan, nan, y a pas de problème, je veux.

Je mâcherai chaque bouchée en te remerciant !

Shion

— Bah, c'est bon, là, pas la peine de me remercier en pleurant, c'est pas la fin du monde, c'est juste un repas...

Je m'étais agenouillé en signe de gratitude infinie, et apparemment, Shion en était très gênée.

Keiichi

— Ben écoute, j'ai rien à te proposer, mais tu peux rentrer dans le salon si tu veux ?

Je dois pouvoir trouver du thé quelque part...

Shion

— Aaah, euuuuh... non, une prochaine fois.

Il faut que j'aille bosser, vraiment.

Ah, oui, c'est vrai,

elle l'avait dit sur le chemin du retour...

Shion

— Passe simplement la boîte sous l'eau et redonne-la à ma sœur, à l'école, demain.

Keiichi

— Ouais, bien sûr !

C'est la moindre des choses !

Shion

— Bon, eh bien, j'y vais.

... Ah !

Une dernière chose...

Rouge de honte, Shion baissa la tête.

Shion

— Ma sœur t'a piqué le riz pendant le cours, non ?

Elle pousse toujours le bouchon très loin quand elle joue des tours, mais il faut lui pardonner,

elle est pas méchante, au fond...

Keiichi

— Eh, oh !

Je ne lui en veux pas du tout, hein.

Je suis OK avec tout ce qu'il se passe pendant les concours du club !

Keiichi

C'est toujours palpitant, ce serait même plutôt à moi de la remercier pour ça !

...

Ben, tu pourras le lui dire, s'te plaît ?

Shion

— ... D'accord.

Tu sais…

je crois qu'elle sera très contente d'apprendre cela.

Bon, eh bien...

Shion me regarda avec un sourire radieux.

Elle me salua d'une courbette lente et basse, regarda sa montre et s'en alla à toute hâte.

Keiichi

— Je suis super content d'avoir reçu ça, mais... C'est comestible, j'espère ?

La chaleur du repas se propageait lentement à mes doigts.

Mion est du genre à verser du tabasco ou de la moutarde dedans... ou même carrément des aiguilles à coudre, elle est pas à ça prêt. Quoique, des aiguilles à coudre ? Nan, quand même pas...

Je réouvris la boîte et pris une bouchée, précautionneusement.

Encore une.

Et encore une.

Non, rien.

Il n'y a aucun piège, tout a l'air succulent.

Ah, je vois.

Ce n'est pas Mion qui l'a fait, mais Shion, donc je n'ai pas besoin de flipper.

Je courus m'enfermer dans ma chambre, et me mis à manger en la remerciant entre chaque nouvelle bouchée.

J'avais eu tellement faim, et c'était tellement bon, que les larmes m'en montèrent aux yeux.

Keiichi

— Shion s'est…

Non, en fait c'est Mion.

Quand elle a compris que je crevais vraiment la dalle, elle s'est dépêchée pour me préparer et me ramener tout ça ?

Ce fut excellent de la première à la toute dernière bouchée.

Il n'y avait finalement strictement aucun ingrédient louche dedans.

J'eus un peu honte d'avoir été sur mes gardes pendant toute la durée du repas...