Mion

— Tu peux me dire pourquoi j'ai tout le temps envie de dormir pendant les cours de l'après-midi ?

Avachie sur sa table, Mion m'adressait la parole d'une voix pâteuse et monotone, manquant de peu de m'attirer moi aussi dans les bras de Morphée.

Keiichi

— Il paraît qu'il y a une explication rationnelle et médicale, si tu en veux absolument une.

Keiichi

J'ai lu un article là-dessus, mais c'était tellement rébarbatif que je me suis endormi en le lisant... Tu veux que je t'explique ?

Mion

— Oh non vas-y, pitié, quoi...

Il était bientôt 15h.

Bientôt la sixième heure de cours allait finir.

Les élèves plus jeunes, comme Satoko et Rika par exemple, avaient déjà été libérés de ce calvaire une heure auparavant. Ils étaient sûrement en train de s'amuser comme des fous dans la cour.

Je pouvais entendre des cris d'enfants au dehors, et franchement j'en étais très jaloux.

Rena

— Allez, Mii, fais un effort, tu es la déléguée de classe, quoi.

Tu vas quand même pas t'endormir en cours ?

Mion

— Je préfèrerais être non pas déléguée de classe, mais plutôt directrice d'une banque.

Au moins, je serais tranquille.

Keiichi

— Euh... C'est à dire ?

Mion

— Ben oui, je pourrais piquer des sommes en toute impunité !

BAM!

La maîtresse éclata de rire, puis donna un léger coup sur la tête de Mion avec le coin du livre de cours.

Cie

— Mais tu nous fais de l'humour de compétition, on dirait !

Bon, arrêtons les cours pour aujourd'hui.

Déléguée ?

Mion

— Levez-vous !

Gaaarde à vous !

À l'annonce de la fin des cours, comme par hasard, la mourante reprit du poil de la bête.

Ça faisait presque honte de la voir se comporter comme ça.

Toutes les annonces relatives à la vie de l'école étant faites lorsque les élèves des petites classes avaient fini leur journée, la fin du dernier cours nous libérait définitivement de nos obligations scolaires quotidiennes.

C'était une entorse au règlement, mais il fallait bien s'accommoder de la situation un peu particulière des élèves ici.

Remarquant la fin des cours, Satoko et Rika revinrent en classe.

Rika

— Vous avez bien travaillé.

Satoko

— Fort bien ! Passons aux activités du club !

Mion

— Ouais !

Bon, alors, voyons voir...

Qu'est-ce qu'on pourrait bien faire aujourd'hui...

Rena

— Dis-voir, Mii,

on pourrait continuer le tournoi d'hier ?

Satoko

— Oyez, oyez !

C'était si intense,

vous ne pouvez pas nous laisser languir de la sorte, enfin ?

Mion

— Oui, je comprends votre impatience, les enfants, mais bon !

On ne va pas faire la grande finale, comme ça, un jour normal, dans la salle de classe, enfin ?

Il nous faut faire les choses en grand !

Keiichi

— Moi, je suis pas contre.

J'ai promis à mes deux adversaires de les inviter pour qu'ils voient la finale,

je préfèrerais avoir une date fixe pour pouvoir les prévenir à l'avance.

Rena

— Woho,

eh ben dis-donc, Keiichi !

Tu as même un fanclub pour te soutenir, maintenant ?

... J'aimerais bien que quelqu'un m'encourage aussi...

Son expression rêveuse ne m'échappa pas. Je pris une voix mielleuse, dégoulinante de sucre et de bons sentiments, puis me plaçai derrière elle et lui caressai la tête tout en murmurant à son oreille :

Keiichi

— Oh, je n'ai pas l'intention de te faire de cadeau pendant le match, mais je veux bien rêver de toi et de ta victoire en attendant...

Puis j'ébouriffai ses cheveux tout en m'éloignant.

Rena

— Ha…

HAUUUUUuuuuuu !

Kei, Ke-k-

Keiichi,

tu... hauuuuuuuu !

Rena devint instantanément rouge tomate et l'on entendit le fusible dans sa tête sauter -- suivi aussitôt par beaucoup de vapeur qui lui sortait des oreilles.

Je jetai un coup d'œil prudent dans la pupille de ses yeux délirants, et pus y voir Rena m'entraînant par la main au milieu d'un champ de fleurs bigarrées, plutôt louche.

Je sais que c'est son imagination, mais je n'aime pas la direction qu'elle prend...

Rika

— Ça y est, tu l'as tuée, elle ne répond plus.

Cela nous fit tous rire aux éclats.

Mion

— Ahahaha !

Mais en même temps, Rena peut en faire autant avec vous deux !

Satoko

— Certes, nous ne pourrions pas vaincre Rena, mais je refuse de croire que nous puissions perdre face à ce brave Keiichi !

Keiichi

— Ah ouais ?

C'est marrant tiens, on dirait un peu pierre-feuille-ciseaux.

Mais du coup, où t'es là-dedans, Mion ? Nulle part ?

Mion

— Ben je veux, mon neveu.

Je ne perds jamais de toutes manières, alors c'est vite vu.

Mion prit un sourire respirant l'impudence et la confiance en soi. Quel charisme ! On dirait un seigneur qui se montre à ses vassaux !

Bien, bien. Maintenant que nous sommes tous remontés de notre journée de classe…

on va pouvoir commencer !

Mion

— Bon, allez les enfants !

Il se fait l'heure, tout doucement.

Rena

— Oui, commençons !

Tu as prévu quoi alors, Mii ?

Mion se dirigea, pensive, vers le casier du club, et se mit à fouiller à l'intérieur.

Chaque fois que je la vois faire ça, je ne peux pas m'empêcher de me demander comment autant de jeux peuvent entrer dans un espace aussi restreint.

Tous des jeux avec leurs boîtes, leurs emballages, sans oublier les objets des gages, les costumes, les serre-têtes à oreilles de chat, les colliers, les cordes de bondage... les CORDES D- ? En fait, je veux même pas savoir...

En fait, si ça se trouve, le mur derrière le casier est un faux mur, et Mion le traverse pour accéder à une autre dimension, dans laquelle elle stocke tout ce qu'elle veut.

En tout cas, c'est ma théorie sur la question.

De toute façon, je vois pas d'autre explication ! Comment elle fait sinon pour sortir autant de trucs de là ?

Toujours pensive, la main sur le menton, Mion se tapota les lèvres puis se retourna, sans rien sortir du casier.

Mion

— Vous savez quoi, aujourd'hui j'ai envie de faire un truc simple.

C'est lassant de toujours faire des jeux avec des tonnes de préparatifs.

Rika

— Quel que soit le jeu, il sera super, puisque nous y jouerons tous ensemble !

Rena

— Bien dit !

Exactement !

J'opinai du chef. J'étais tout à fait d'accord.

Avec elles, je suis sûr que même le désherbage à la main de la cour de l'école deviendrait marrant et passionnant à la fois.

Satoko

— Mon cher, sans vouloir mettre un froid entre nous, je vous prierai de désherber la cour à votre loisir, mais seul.

Il ne faudrait pas exagérer, non plus...

Keiichi

— Aah, je me disais aussi que c'était pousser le bouchon un peu loin...

Mais dis-voir Satoko,

il va falloir que tu arrêtes de lire dans les pensées des gens en scrutant leur visage, tu sais.

Rena

— Quand tu réfléchis, Keiichi, on peut tout de suite savoir ce qui te passe par la tête.

Donc c'est pas difficile~.

On me l'a souvent dit par le passé, en fait, mais depuis que j'ai emménagé ici, c'est de pire en pire...

Il va falloir que j'apprenne à faire un visage absolument impassible.

Mion

— Bon, écoutez-moi tous !

Je vais vous expliquer les règles.

Retrouvant d'un seul coup notre sérieux, nous arrêtâmes là les discussions débiles et lui prêtâmes attention.

Je remarquai un éclat prédateur dans les regards, et les oreilles tendues.

C'était normal pour nous...

Chez nous, la bataille commençait déjà lors de l'explication du jeu !

Mion

— Le jeu d'aujourd'hui est... plutôt connu en fait, car c'est un jeu de groupe assez populaire.

Il s'appelle “Sympathy”, vous y avez déjà joué ?

Sympathy, c'est de l'anglais, ça...

Ça veut dire “solidarité”, non ?

Hmm, je crois bien que j'y ai déjà joué...

Rena

— Dis-voir Mii, est-ce que par hasard...

Rena

C'est pas ce jeu où quelqu'un donne un mot ou un thème et tout le monde doit écrire le premier mot qui lui passe par la tête ?

Rena

Et du coup plus il y a de gens qui ont écrit la même chose que soi, plus on obtient de points ?

Rena

Parce que si c'est ça, je le connais !

Aaaah, ouiiiii, bien sûr !

J'y jouais quand nous faisions des voyages en bus avec l'école !

Satoko

— Ce jeu ne m'est malheureusement pas familier.

Pourriez-vous avoir l'amabilité de m'en expliquer les rouages ?

Mion

— D'abord, un joueur donne un thème.

Prenons par exemple... “dessert”.

Mion

Hehehe !

Alors, Satoko, quelle est la première chose à laquelle tu penses en entendant ce mot ?

Satoko

— Eh bien…

disons, je ne sais pas,

“pudding” par exemple.

Mion

— OK, donc tu prends ta feuille de papier et tu écris “pudding”.

Et quand tout le monde a écrit quelque chose, on montre les résultats.

Et si quelqu'un d'autre a écrit “pudding”, tu marques des points !

Mion

Plus il y a de personnes qui ont écrit la même chose que toi, plus tu gagnes des points, donc si tout le monde met la même chose, par exemple, eh bien tu gagneras 5 points, puisque nous sommes 5. Facile, non ?

Rika

— Il faut donc réfléchir à ce que les autres vont mettre et essayer de se mettre dans leurs têtes pour pouvoir gagner.

C'est exactement cela.

C'est cela le plus important dans ce jeu, c'est le fait de deviner ce à quoi les autres vont penser.

Pour vous donner un exemple, si à moi on me dit “dessert” je pense aussitôt à une coupe de fraises à la crème, saupoudrées de sucre.

C'est pas une honte, mais si aucun des autres joueurs n'écrit la même chose, je reste sans point.

C'est pourquoi je dois me retenir d'écrire ce que je pense et changer pour mettre une réponse que les autres seraient à même de donner.

C'est un jeu qui demande beaucoup de jugeotte, car deviner la façon de penser des autres n'est pas chose aisée !

Rika

— Mii, il vaudrait mieux faire un premier coup d'essai pour que Satoko prenne ses marques.

Mion

— OK, je donnerai les thèmes.

Alors, alors...

Mion prit le livre de cours de japonais et l'ouvrit au hasard.

Mion

— Bon, un seul coup d'essai, c'est compris ?

On va commencer par...

“une glace pilée” !

Mion

— Ahahaha !

Ah ben avec ça... On va tous écrire la même chose !

Oui, c'est clair, tout le monde mange de la glace en été, les parfums les plus vendus sont surtout la fraise, le melon et le Blue Hawaï !

Et celui qui a le plus de succès, c'est évidemment le melon !

Mion

— Alors, vous vous êtes décidé ?

Alors, on montre sa feuille tous en même temps, ok ?

À la une, à la deux, et trois !

Membres du Club

“fraise” “melon” “thé vert et haricots rouges” “fraise” “fraise”

Que... KEWwOUA ? Je suis le seul à avoir dit melon ?

Keiichi

— Non mais oh ?

Vous n'allez pas me dire que c'est les fraises que vous préférez quand même ?

Keiichi

Rena, tu vas pas me dire que tu irais commander une glace à la fraise ?

Tu sais très bien que c'est toujours le melon qui part le plus vite !

Rena

— J'adore la glace au melon, je ne dis pas le contraire !

Mais pour moi, une glace, c'est d'abord une glace à la fraise, vous n'êtes pas d'accord ?

Mion

— Mon p'tit Kei, moi aussi, quitte à choisir, je prendrais plutôt une glace au melon.

Mion

Mais là n'est pas la question, il faut deviner à quoi pensent les gens !

Mion

Et les gens, quand tu leur parles de glaces, ils pensent d'abord aux fraises !

Je sais que c'est le jeu... mais je suis pas d'accord ! Non monsieur ! NON !

Satoko

— Rika, qu'est-ce donc que ce parfum ?

Du thé vert et des haricots rouges ? Nous parlons bien de glace, n'est-ce pas ?

Rika

— C'est une spécialité millénaire.

Un goût unique et irrésistible, je t'assure. En tout cas, je ne m'en lasse pas.

Hmmm, moui, c'est très bon, mais c'est une glace grand luxe, pas très répandue.

C'est un choix de gourmet hardcore...

Mion

— Bref, Satoko, tu as compris le principe ?

Ceux qui ont marqué fraise reçoivent 3 points !

Il faut en accumuler le plus possible !

Satoko

— Fort bien !

J'ai parfaitement saisi le principe !

Il manque cependant une information cruciale, Mion.

Quid du gage d'aujourd'hui ?

Rena

— Oh !

Alors... il y a vraiment un gage, hein ?

Et... c'est quoi ?

Mion

— Hmmmm,

qu'est-ce qu'on pourrait bien faire...

Kei, t'as une idée ?

Keiichi

— Qui, moi, une idée de gage ?

Keiichi

Quand j'allais encore en primaire, il revenait souvent ce gage… Ouais.

Ça ne peut être que ÇA.

Porter les sacs des autres !

Mion

— Oh, le coup du perdant qui doit porter les cartables de tous les autres ?

Mion

Ouais, les garçons l'adorent, celui-là, va savoir pourquoi.

Mion

J'ai souvent vu des montagnes de cartables qui bougeaient toutes seules, il devait y avoir un pauvre gamin en-dessous...

Rena

— Oui, mais...

Satoko et Rika n'habitent pas dans la même direction, c'est pas pratique.

Mion

— Ouais, alors le dernier porte juste le cartable du vainqueur jusqu'à la maison, ça vous va ?

S'il doit porter les sacs de tout le monde, ça va lui faire une sacrée trotte, mine de rien.

Rena

— Oui, c'est clair.

Un seul suffira !

Satoko

— Le gage me paraît fort indulgent aujourd'hui.

Notre cher Keiichi ne saurait nous divertir, même s'il devait perdre, c'est d'un banal !

Mion

— Oh, mais on peut toujours corser le tout !

Il ne suffira pas de porter le cartable, il faudra aussi porter...

...

ÇA !

Qu'est-ce que vous en dites ?

Keiichi

— Hein, QUOI ? Mais, mais !

Pourquoi un uniforme de soubrette ?!?

Rena

— Hauuuuuu !

C'est super mimi, mais j'oserais jamais porter ça en public !

Satoko

— Soit, mais...

Que ferait ce cher Keiichi ?

L'uniforme n'est pas à sa taille.

Mion

— Ah, mais j'ai pensé à tout, il n'y coupera pas !

J'ai pensé à en ramener un en taille XL, rien que pour lui !

Mion

Alors, p'tit gars, tu es prêt ?

Je veillerai personnellement à ce que tu perdes pour te faire faire marcher dehors dans cet accoutrement !

Mion

J'ai tout ce qu'il faut, la coiffe avec serre-tête, le porte-jarretelles, les dessous en soie fine... absolument tout !

Keiichi

— Mais t'es pas normale ! C'est même carrément louche, pourquoi est-ce que tu as un costume de soubrette de chaque taille dans ce casier, hein ?

C'est pas bon du tout, ça, Keiichi !

Le gage est particulièrement sévère avec moi, ce jeu devient de pire en pire !

Et si je perds, je fais quoi ?

J'oserais plus jamais me montrer dehors, de ma vie !

J'imagine déjà les commérages dans mon dos...

Non mais vous rendez-vous compte, très chère, à moins que vous ne sachiez pas la dernière ?

À propos du fils Maebara !

Apparemment il aime se travestir en femme !

Oh, vraiment ? Mais quelle honte, les jeunes d'aujourd'hui, juste ciel !

Keiichi

— Noooon !

Non, tout mais pas ça, c'est trop dur !

C'est trop violent... trop éprouvant !

Si je veux que le gage redevienne normal, je dois faire quelque chose... maintenant !

Il faut leur dire d'arrêter avec les gages à connotations douteuses !

Au nom de quoi devrais-je être habillé en soubrette et porter les affaires des filles sur le retour de l'école, hein ?

Et je parie qu'elles me feront les appeler “maîtresse”, et qu'elles me feront faire des choses honteuses en me promenant derrière elles dans tout le village…

Oh, oui, ça va être bon…

Comment ça, bon ??

Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?

Mon pouls s'accélère,

mes mains tremblent…

mais qu'est-ce qu'il m'arrive, bon sang ??

Rena

— Allez, vous ne voulez pas oublier cette histoire de costume ?

Pauvre Keiichi, il en reste pétrifié par la peur.

Un claquement sonore retentit.

Je venais de frapper les épaules de Rena du plat des mains.

Keiichi

— La nature du gage, c'est pas un problème, Rena !

Il suffit de gagner !

N'est-ce pas, vous autres ?

Je fis un sourire éclatant qui laissa la lumière du soleil se refléter sur mes dents.

Mion

— Ça c'est bien dit, p'tit gars !

Mion

Pas besoin d'avoir peur du gage !

Il suffit de gagner !

Alors on y croit !

Yeah ! Yeah !

沙都子

— YEAAAH !

Mion, Satoko et Rika avaient toutes trois serré le poing en le brandissant bien haut. Tout cela était très prometteur !

Seule Rena semblait hésiter encore. Elle ne pense pas à ce que je pense.

C'est pourtant pour elle une occasion en or !

Keiichi

— Mais Rena,

tu ne comprends donc pas ?

Si tu joues bien, tu as une forte probabilité de ramener Rika ou Satoko à la maison, et qui plus est en soubrettes... Ne laisse pas passer cette chance !

*sploosh*

Avec un grand splatch, son nez se mit à saigner d'excitation.

La folie avait gagné son regard... et son cerveau changea les vitesses pour passer en mode “mimii”.

Enfin !

C'était exactement ce que j'attendais !

Rena

— Haaa, oui, je les veux dans ma chambre !

Mais tu sais, même toi ou Mion, ça me dérange pas, hein ! Hau !

Mion

— Paaarfait !

Vous êtes tous prêts à en découdre, à ce que je vois !

Alors préparez vos feuilles.

Première question !

Mion ouvrit le livre de cours au hasard et lut le premier mot qui lui tomba sous les yeux.

Mion

— Et le premier thème est...

“les vacances d'été” !

C'est un mot qui peut en appeler mille autres...

On va rester simple, surtout ne pas chercher compliqué.

Mion

— Vous êtes prêts ?

À la une, à la deux,

et à la TROIS !

À son signal, nous montrâmes nos feuilles tous en même temps.

Alors, voyons voir...

Membres du Club

“kermesse” “kermesse” “feu d'artifice” “encens à la citronnelle”

Mion

— Ah, Rena a la même réponse que moi !

Impeccable, 2 points !

Rena

— Le “feu d'artifice”, hein, Satoko ? Hmm, c'est vrai que c'est un classique en été.

Et l'“encens”, c'est très bien aussi, Rika, on s'y croirait déjà !

Rika

— Et toutes nos réponses sauront le rendre frais et agréable.

Mion

— Oui, c'est vrai que c'est bientôt.

Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire...

C'était impressionnant et instructif de voir ce que l'été signifait pour elles.

Elles avaient l'air d'y penser souvent, et d'avoir de nombreux rêves à concrétiser pendant les vacances...

Satoko

— Eh bien, et vous, donc, mon cher ?

Montrez-nous donc votre réponse.

Keiichi

— Hein, oh, euh, nan, c'est pas...

Mion

— Tut-tut-tut, pas de ça par chez nous, hein !

C'est la règle, alors montre ce que tu as écrit. Allez !

Keiichi

— Eh, nan, arrête !

Mais laisse !

“Devoirs”

Il y eut un long moment de silence.

Personne ne savait quoi dire.

J'avais presque l'impression qu'elles me reprochaient d'avoir amené un sujet de conversation plus ou moins tabou et en tout cas complètement étranger à l'été qu'elles comptaient passer...

Rena

— Mais alors…

Tu n'as pas dû t'amuser souvent en été, Keiichi, c'est ça ?

Rika

— Ce n'est pas grave,

cet été nous serons tous ensemble.

Keiichi, nous ne te laisserons pas seul.

Pour accompagner ses paroles, Rika me caressa la tête.

À quoi ressemblaient mes étés ?

Les cours de rattrapage.

L'observation des champs de tournesols.

Les tests préparatoires.

Les cours intensifs.

Je n'ai jamais vécu un été chaud.

Je les ai toujours passés dans des salles de classe où il y avait l'air conditionné...

Les larmes me vinrent aux yeux.

Mion

— Tes étés étaient toujours tristes, à ce que je vois, p'tit gars...

Keiichi

— Wa... WaaaaAAaaaaAaaaaaaaAAAaaaaa!!!

C'est bon, là, pas la peine de me regarder avec autant de pitié !

Ce jeu est nettement plus dur pour les nerfs que je ne le croyais...

Mion

— Bon allez, c'est pas grave !

Alors, 2 points pour Rena et moi !

On continue. Attention...

“poisson” !

Du poisson ?

Ça me fait penser, j'ai pas mangé de sushi depuis un bail.

Ah, j'aime autant vous dire, je préfère de loin le turbot. Le saumon, c'est pour les petits joueurs, je suis un fin connaisseur, moi !

J'espère que cette fois-ci, quelqu'un aura mis la même réponse que moi.

C'est quand même le premier truc auquel n'importe qui dans ce pays pense en entendant le mot poisson, tout de même.

Keiichi

— Alors, vous êtes prêts ?

C'est moi qui commence cette fois !

Ta-da !

“Sushi” !

Alors alors, cette fois c'est la bonne, hein ?

Évidemment, évidemment... quand on voit du beau poisson tout frais, on ne pense pas à le faire frire ou à le boucaner, ni même à le cuire à l'étouffée !

On pense d'abord à se prendre une tranche de bon poisson cru et frais, c'est ce qu'il y a de meilleur !

Heureusement que je suis sympa, j'aurais pu écrire “tranche de poisson cru” si j'avais voulu rester sérieux, mais bon, elles sont jeunes, elles n'ont pas mon expérience du poisson, alors j'ai pas été vache, j'ai écrit “sushi”, tout le monde connaît...

... Mais pourquoi elles tirent cette tête-là ?

Rena

— Oui, c'est... c'est pas faux.

Poisson, sushi... Oui, le rapport est évident.

Et puis, c'est très bon, c'est vrai.

Keiichi

— Maiéééééeuuuuh !

Arrêtez avec votre pitié !

Mion

— Bon alors, les autres, montrons-lui nos réponses !

Go !

Membres du Club

“dauphin”

“baleine”

“aquarium”

“aquarium”

Satoko

— Ah, Rika, les grands esprits se rencontrent !

Cela fait donc 2 points pour nous !

Mion

— Aargh, t'as mis baleine ?

Je l'avais écrit, et puis je me suis dit que t'allais mettre dauphin,

j'ai changé au dernier moment !

Rena

— Ah oui, pas de chance alors,

j'avais mis dauphin et finalement je l'ai barré, je pensais que tu écrirais baleine...

Rika

— Deux types de poissons tout mimii...

Je les vis toutes les quatre fixer un vague point à l'horizon, le regard perdu dans un rêve, écoutant probablement le chant des vagues sur une plage de sable fin...

Satoko

— Cela rajoute donc 2 points à tous les candidats !

Sauf à vous, très cher, bien sûr !

Rena

— Ta réponse est…

enfin elle ne t'a rien rapporté,

mais... moi, je la trouve très personnelle et assez intrigante !

Mion

— Tu as tout de suite pensé à ton estomac, p'tit gars.

Tu n'as pas beaucoup d'imagination, il n'y a pas de quoi être fier, tu sais...

Keiichi

— Méééééeuuuuuh !

Si j'ai de l'imagination !

Et puis d'abord, les réponses de Rena et de Mion, on en parle ?

Les dauphins et les baleines ne sont pas des poissons,

mais des mammifères, alors hein !

Mion

— À l'unanimité, cette objection est rejetée !

Bon, thème suivant !

Je ne peux vraiment pas blairer ce jeu !

Plus on y joue, plus je m'enfonce... et plus je montre aux autres qu'en fait, je suis une loque humaine !

Je suis le seul à ne pas avoir de point...

Il faut absolument que j'en obtienne sur la prochaine question !

Mion

— Alors, alors, le prochain thème sera...

“cerisier” !

Merde !!

Bon, j'ai pas le choix, il faut que je trouve une réponse comme elles !

Reste calme, reste zen, Keiichi !

Arrête de penser par toi-même !

Il n'y a que des filles autour de toi.

Ne pense pas comme un homme penserait !

Si tu mets “beignets aux cerises” tu finiras comme avant, sans point.

Oublie ton estomac, il faut que tu t'imagines être une fille !

À partir de maintenant, pense comme une fille !

Cerise, cerisier ? Le cerisier du Japon, aussi appelé sakura... Sakura ? Eh, mais c'est un prénom de fille, ça ! ... JE SAIS !

Mion

— Alors, vous avez votre mot ?

C'est parti !

Satoko

— Mon cher, j'espère que vous saurez engranger des points cette fois-ci, sinon je ne donne pas cher de vos chances de gagner...

Pff, rigole, va !

Cette fois-ci, je vous aurai.

J'ai réussi à réprimer mes idées.

J'ai deviné vos mécanismes de pensées !

Sûr et certain !

Rena

— Eh bien alors Keiichi, tu as l'air bien sûr de toi.

Tu sais, cette fois-ci, je me suis mise à ta place et j'ai réfléchi comme un garçon !

Alors du coup... j'ai marqué “beignets aux cerises” !

Rika

— Moi aussi j'en raffolle,

c'est ce que j'ai mis.

Rena et Rika se regardèrent en souriant d'un air radieux.

Keiichi

— WhooOOOOOooooaaaaaaahh!!

C'est trop tard maintenant pour penser comme des morfales !

Satoko

— Eh bien alors, peut-être aurez-vous pensé comme moi à “la contemplation des cerisiers en fleurs” ?

Mion

— Évidemment !

C'est un rituel national, tout le monde va voir les cerisiers en fleurs, pour la beauté du spectacle !

En tout cas moi, j'ai marqué pareil !

Mais... Mais…

Mais c'est pas possible ?

Keiichi

— Vous vous foutez de moi ou quoi ? La contemplation des cerisiers en fleurs, c'est surtout l'occasion de sortir du boulot et de se bourrer la gueule, pour avoir une excuse pour mater de la gonzesse comme un porc ou même laisser ses mains pleines de doigts se balader près des décolletés ou près des jupes sans gardes du corps !

Keiichi

Il n'y a pas plus mâle et sexiste comme événement de l'année ! Vous ne pouviez pas réfléchir comme des filles, non ?

Mion

— Oooh, mais alors dis voir ce que tu as marqué, p'tit gars.

Tu t'imaginais qu'une fille répondrait quoi ?

Keiichi

— Euh, bah, rien, oublie, c'est pas grave !

Allez, question suiv-HÉ !

Je tenais ma feuille dans mon dos, mais Rika avait profité de mon inattention pour voir ce que j'avais écrit.

Rika

— “Sakura, la chasseuse de cartes” ?

Une bonne dizaine d'anges passèrent.

La salle de classe devint parfaitement silencieuse.

Je pensais que quelqu'un éclaterait de rire ou bien ferait une blague dessus, mais en fait, personne n'osait parler.

Mon visage devint pâle, puis livide, puis rouge de colère.

Keiichi

— Mais... Mais putain...

Sa-Sa--

Sa-

Quand on pense “sakura” le premier truc qui passe par la tête, c'est “Sakura, la chasseuse de cartes”, voyons !

Ce dessin animé passe toutes les semaines à une heure de grande écoute sur une chaîne publique, il fait un carton !

Keiichi

Tout le monde est fana de ce dessin animé, les petites filles et même les plus grandes !

D'ailleurs, je parie que vous le regardez aussi, c'est pas vrai peut-être ?

Même moi je le regarde toutes les semaines, c'est dire !

Mion

— Ouais, oh, c'est bon, pas la peine de t'exciter...

C'est la gamine qui met un costume différent chaque semaine avant d'aller punir les méchants, hein ?

Oui.

Je veux dire, oui, je connais.

Rena

— Bien sûr qu'on connaît.

Et puis elle est toute mimi !

Moi je lis les chapitres dans la version papier, pour savoir ce qui va se passer dans l'histoire par la suite !

Satoko

— J'ai pour ma part découvert ce programme fort divertissant il y a peu.

La petite Sakura est pleine de vie et de fougue, cela fait plaisir à voir !

Rika

— Personnellement, je préfère sa copine, celle qui filme toujours tout avec sa caméra.

Mion

— Il est connu ce dessin animé, d'après la police c'est le seul qui plaise à la fois aux petites filles et aux hommes qui préfèrent les petites filles.

Eh ben p'tit gars, ça en dit long sur toi mine de rien.

Hmmm, j'ai dit un truc que j'aurais peut-être pas dû dire, finalement... mais là n'est pas le problème !

Keiichi

— Mais alors, vous le connaissez toutes, autant que vous êtes ?

Alors pourquoi vous l'avez pas écrit, hein ?

Keiichi

Il n'y a qu'une seule Sakura, c'est Sakura Kinomoto !

Avec sa mine trognon, et ses lèvres minces, oui, OUI !

En vérité, mes frères, je vous le dis, tout le monde devrait penser illico à Sakura, la chasseuse de cartes !

*poomph*

Mion s'approcha lentement de moi et d'un geste las, plaça une main sur mon épaule.

Mion

— Mon p'tit gars...

Tu viens de nous prouver à toutes une chose :

tu es un vieux pervers…

jusqu'à la moelle.

Irrécupérable...

Keiichi

— GyaaaaaaaaAAAaaaaaAAA!!

Me regardez pas avec toute cette pitié dans le regard, je vous ai déjà dit !!

Rena

— Mais non, voyons, Keiichi, qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Allez !

On y croit !

Tu peux encore revenir au score !

Satoko

— Les détraqués ne reviennent pas au score, et fort heureusement d'ailleurs !

Allons, mon cher, acceptez votre défaite et passez donc au gage !

Euh, c'est quoi déjà le gage aujourd'hui ?

Rika

— Le perdant doit porter les affaires du grand gagnant jusque chez lui, habillé en soubrette, avec la coiffe, le porte-jarretelles et tout le toutim.

Keiichi

— NnnnOOOOooooon !!

Mion

— Alors bats-toi !

Si vraiment tu es un membre digne de faire partie du club, tu sauras inverser la vapeur !

Allez, la suite !

Hohhohhhohhohhohhohho...

Keiichi

— AaaaHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Rena

— Hein ? Mais, t'as l'air tout content, Keiichi, qu'est-ce qu'il se passe ?

Mion

— Ahahaha !

Je parie que c'est la première fois qu'il se travestit, c'est soit l'excitation du moment, soit son premier orgasme. Soit les deux !

Rena

— Ah, attention Keiichi, ta coiffe va tomber !

Attend, je la remets droite.

Ça avait l'air de beaucoup amuser Rena de mettre les dernières touches à mon costume...

Mion

— Alors, Kei ?

Tu as compris la jouissance qu'un homme peut avoir à être habillé en femme devant d'autres femmes ?

Mion

Allez, avoue !

Ne t'inquiète pas, ce n'est pas sale.

Personne ne se moquera de toi, voyons !

Keiichi

— Gnnnrrr,

Mion, tu vas me le payer !

J'vais te faire la peau !

Empoignant le sac de Mion par un bout, je me mis à la pourchasser avec force de moulinets.

Aujourd'hui, j'avais rapidement assuré ma place de bon dernier.

Et Mion avait alors tout donné pour finir première !

Elle s'était mise à accumuler les points à une telle fréquence qu'il n'y avait pas eu besoin de faire le compte pour savoir qu'elle finissait grand vainqueur...

Puis vint le moment fatidique où je dus me changer.

Ce fut un enfer indescriptible.

Après moult humiliations et sévices corporels, Mion m'apprit comment mettre chaque moindre pièce du costume, depuis les sous-vêtements en soie fine jusqu'au ruban dans les cheveux...

Mais qu'est-ce qu'elle a voulu dire par “ça te servira plus tard dans la vie” ?

Keiichi

— À quoi ça peut servir à un homme de savoir comment on met un porte-jarretelles, hein ?

Mion

— Chuuut !

P'tit gars, tu parles trop fort.

Tais-toi, au pire ça pourrait passer pour une répétition d'une pièce de théâtre.

Rena

— Elle a raison, tu sais ?

Si jamais tu attires trop l'attention,

les gens finiront même par savoir que tu portes…

que tu portes un... un tanga en dentelle !

GrrrrHAAAAaaaargn !

J'avais envie de hurler ma rage, tel un adolescent emo, mais je dus me résoudre à hurler en silence, tremblant de tout mon corps.

Mion

— En tout cas Kei, tu as un grain de peau vachement fin.

On doit te le dire souvent, je me doute, mais le maquillage tient tout seul chez toi.

Mion s'approcha et inspecta du bout des doigts mes joues fardées.

Sauf que moi, je connais aucun mec qui se fait complimenter pour porter du maquillage !

Mion

— Et alors, cette coiffe, elle dit quoi ?

C'est la cerise sur le gâteau, tu sais.

Elle réhausse à elle seule toute ton image de soubrette.

Keiichi

— Je vais t'en faire, moi, des cerises sur le gâteau !

Idiote !

Hé, arrête, n'y touche pas !

Rena

— Ooooh

mais il est tout rouge, comme c'est mimii...

Mion

— Tiens au fait, dis voir un truc.

Les mecs, ils adorent les porte-jarretelles, non ?

Ça te fait quoi d'en porter un ?

Keiichi

— Pas grand'chose, enfin, non, rien du tout, même,

qu'est-ce qu- hé, mais n'y touche pas !

Laisse ma jupe tranquille !

Mion

— Ça tire un peu, non ?

Et chaque fois que tu fais un pas, ça frotte légèrement contre la peau entre tes cuisses... tu le sens ?

Mais faites-la taire, quelqu'un !

Si elle continue de me susurrer des trucs pareils d'une voix sensuelle dans le creux de l'oreille, il va se passer quelque chose...

Aaaah, non !

Ça y est, c'est trop tard !

Mion

— Regarde comme il est tout rouge.

Tu as enfin compris ?

Tout juste.

En ce moment, tu ressembles exactement au rêve inavouable de tous les hommes vivants.

Mais qu'elle arrête, bon sang !

Ce souffle dans le lobe de mon oreille, je vais devenir fou !

Mion

— Tu n'as jamais eu envie de serrer une soubrette fort dans tes bras ?

Mion

Eh bien figure-toi qu'en ce moment même, tu es cette soubrette.

Mion

Tu comprends ce que je veux dire ?

Mion

C'est encore plus proche que d'être peau contre peau.

Mion

Tu sens sa respiration ? Tu entends son cœur qui bat ?

Rena

— Mi-Mi-Mii, arrête... Hauuuu !

Rena gardait la tête en arrière, un mince filet de sang lui coulant des narines.

Mion

— Je vais t'apprendre à te maquiller correctement, et je te donnerai une perruque, si tu préfères les filles aux cheveux longs...

Mion

Tu ressembleras exactement au type de filles qui te plaisent.

Mion

Et alors nous irons nous promener en ville, toi et moi.

Mion

Je parie que les hommes n'auront d'yeux que pour toi.

Je suis sûre que ça te plaira...

Mion

Aah, si seulement tu n'avais pas ce truc énorme entre les jambes, mon ami !

Elle plaça les mains sur la frange du tablier.

Ne soulève pas la jupe !

Pas maintenant !

Noooon, elles vont voir la mesure de ma luxure et de ma débauche, je suis foutu !

Il y eut un grand éclair et un grand fracas.

Soudain, je remarquai que Rena m'avait saisi la tête et frottait fiévreusement sa joue contre la mienne.

Rena

— Mais tu sais que tu es tout mimi quand tu es tout gêné, Keiichi ?

J'te ramène dans ma chambre, toi !

De là où j'étais, je pouvais vaguement distinguer Mion étendue par terre, de tout son long.

Aaaah, je vois.

C'est ça ce que doivent ressentir Satoko et Rika quand Rena leur tombe dessus...

Ce jour-là, il me fallut un sacré moment pour calmer Rena...

Mion

— Allez, salut, Kei.

C'était vraiment marrant aujourd'hui. Héhéhéhéhé...

Keiichi

— Tu me le paieras, Mion !

Ce que tu m'as fait subir aujourd'hui, je te le rendrai en mille !

Je te mettrai une pile et en gage, tu seras promenée en laisse dans tout le village !

Mion

— AAAAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Essaie déjà de gagner tout court avant de parler de gagner contre moi !

J'ai hâte de t'y voir !

Mion me rendit mes habits d'un geste désinvolte, puis, avec le sourire le plus radieux qu'elle m'eût jamais montré, elle tourna les talons et s'en alla d'un pas joyeux.

Bon... Ça, c'est fait.

Keiichi

— Maintenant qu'elle n'est plus là, il faut que je rentre me cacher chez moi, je n'ai plus une seule seconde à perdre.

Rena

— Oui.

Je ne suis pas aussi alerte que Mion,

je ne saurais pas mentir si nous croisions quelqu'un sur le chemin du retour.

Plus qu'à courir le plus vite possible !

Je pense qu'une moyenne de 6s aux 100m fera l'affaire... et dans l'état où je suis, franchement, j'en suis capable.

Rena

— Bon, eh bien, Keiichi,

à demain !

Keiichi

— Ouais ! À demain...

Pour l'instant, personne, et la maison est en vue !

C'est sûrement parce que je suis tous les jours un brave petit garçon que la chance me sourit quand il le faut...

Au moment où je m'apprêtai à saisir la poignée de la porte d'entrée, celle-ci s'ouvrit, comme si quelqu'un avait attendu mon retour.

Papa de Keiichi

— Ah, tiens, Keiichi.

Tu reviens de l'école ?

Dis, je vais aller me... promener...

Je restai silencieux, navré du temps de réaction désastreux de mon paternel.

Une personne normale aurait déjà crié de surprise depuis bien longtemps...

Keiichi

— Euh, papa, c'est... c'est pas ce que tu crois.

Keiichi

Tu sais les jeux qu'on fait à l'école, eh bien, il y a toujours, erm, un gage, pour le perdant, tu vois, et donc ben là en fait,

Keiichi

il se trouve qu'aujourd'hui j'ai perdu, et donc ben, j'ai dû me soumettre au gage et aujourd'hui, ben pas de chance, il fallait...

Mon père m'interrompit en me posant les mains sur les épaules.

Elles étaient fébriles. Je n'aime pas ça...

Papa de Keiichi

— Keiichi.

Viens dans mon atelier une minute, j'ai à te parler.

Et n'en parle surtout pas à ta mère !

Keiichi

— Nan vas-y p'pa, déconne pas,

j'ai des trucs à faire, je veux regarder la télé !

Mion, tu vas me le payer !

Mon père, le feu sacré brûlant ardemment dans ses pupilles, m'entraîna de force au fond du garage, dans son atelier...

Maman de Keiichi

— Keiichi, tu es là ?

Oh, tu sors du bain ?

... C'est une lotion de beauté, ça, Keiichi.

Keiichi

— Hein ? Oh, euh, ahahahaha, je suis bête, j'avais pas remarqué !

Et euh, tu voulais quoi ?

Maman de Keiichi

— Eh bien,

j'ai mal à la tête et je ne me sens pas bien, alors ce soir, je ne cuisinerai rien.

Tu vas devoir aller manger dehors ce soir, avec ton père.

Ma mère est du genre à bosser dur, comme une folle, mais du coup régulièrement elle accumule la fatigue et elle tombe malade.

Mais bon, j'ai l'habitude.

Keiichi

— Oui, bah, on se débrouillera, t'inquiète.

Mais toi, tu manges quoi, alors ?

Maman de Keiichi

— Bah, pour une personne, je trouverai bien quelque chose de facile à réchauffer.

T'en fais pas pour moi, va manger.

Papa de Keiichi

— Keiichi !

En voiture, je t'attends ! T'es pas encore prêt ?

Eh ben, pour une fois, le voilà à l'heure.

Je suppose que quand il s'agit de sa panse, il sait faire un effort...

Keiichi

— C'est bon, je suis là.

Et donc, on va où ?

Papa de Keiichi

— Hmmmm...

J'ai découvert un restaurant super la dernière fois, on pourrait aller là-bas, que tu puisses juger par toi-même !

Ça fait drôle de l'entendre dire du bien d'un restaurant, il est si difficile d'habitude !

S'il dit que c'est un restaurant qui mérite ses étoiles, c'est qu'il doit vraiment être fabuleux.

Le gourmet qui sommeille en moi est intéressé, j'ai hâte d'y être !

Notre voiture allait bon train sur la route qui menait à la ville, fendant la nuit tombante grâce à la lumière aveuglante des phares.

Moi qui pensais découvrir un grand restaurant caché dans quelque ruelle... En fait, mon père m'emmena au restaurant familial derrière la gare d'Okinomiya.

Keiichi

— Tu vas pas me dire que... ton super restaurant, c'est ici ?

Sur une pancarte banale, dans le style officiel de tous les restaurants familiaux du Japon, on pouvait lire un nom délicieusement kitsch : « Angel Mort ».

Plus qu'un vrai restaurant, cela ressemblait en fait à l'un de ces magasins pour gonzesses avec des petits gâteaux, des glaces, et un intérieur très soigné.

Papa de Keiichi

— Je parie que tu n'es jamais entré dedans.

C'est vrai qu'à bien y réfléchir.. je n'y ai jamais mis les pieds.

Si vraiment je partais loin de la maison, il pouvait m'arriver de manger sur place.

Mais si déjà j'étais rentré sur la gare d'Okinomiya, je n'avais plus grand'chose à faire pour rejoindre la maison, donc je n'avais aucune raison de manger dehors.

... Je vois.

Il était tellement près de chez moi que du coup, il était un peu dans mon angle mort.

Mon père entra sur le parking du restaurant.

Tiens ? On dirait que les affaires marchent bien.

Il y a beaucoup de voitures stationnées.

Le plus impressionnant, ce sont les numéros des plaques.

La plupart des clients ne sont vraiment pas du coin.

Tomiyama, Nagoya... Ça encore, à la rigueur, pourquoi pas... C'est pas trop loin encore, disons que c'est faisable.

...

Mais Chiba ?

Saitama ???

Attendez voir une seconde, je sais que je suis une quiche en géographie, mais quand même ! Il faut combien d'heures d'autoroute pour venir de tout là-bas ?

Papa de Keiichi

— Héhéhé.

Eh bien Keiichi ? Je vois que tu commences à comprendre ?

Keiichi

— Mais... qu'est-ce que ça veut dire, comment est-ce possible ?

Tu vas pas me dire que les gens traversent la moitié du pays pour venir manger ici, quand même ?

Mon père m'invita silencieusement à le suivre. Nous montâmes les escaliers et entrâmes à l'intérieur.

La petite clochette accrochée à la porte retentit, et nous fûmes immédiatement reçus par une serveuse qui nous demanda le nombre de places, fumeur ou non-fumeur, et nous accompagna jusqu'à l'endroit adéquat.

Mon père commanda deux menus du jour.

Apparemment ils étaient déjà préparés à l'avance, car ils furent servis assez rapidement.

Je goûtai... et franchement, je fus déçu. C'était tout à fait banal... Nous aurions pu manger le même à peu près n'importe où, le goût n'avait vraiment rien de remarquable.

Keiichi

— Hmmm, eh bien, comment dire... c'est un café-restaurant quoi. La cuisine n'a rien de particulier.

Papa de Keiichi

— Mais je m'en fous, de la cuisine !

Regarde autour de toi, Keiichi !

Alors...  ? Il est super, ce resto, non ?

Il a pas tort, d'une certaine manière.

Je crois qu'ici, la cuisine passe au second plan.

Quasiment tous les clients sont de jeunes hommes.

Pour un “restaurant familial”, on ne voit pas beaucoup de familles... Il n'y en a aucune, d'ailleurs.

Et pourtant, les affaires marchent du tonnerre.

Les gens viennent de loin pour manger ici.

Mais si la cuisine n'est pas ce qui les amène ici, alors je ne vois qu'une seule chose qui pourrait expliquer le succès du coin.

Mon père interpella une serveuse qui passait devant notre table.

Papa de Keiichi

— Mademoiselle, nous n'avons toujours pas la carte des desserts.

Serveuse

— Oh !

Je, je vous prie de nous excuser...

Papa de Keiichi

— Nous attendons le dessert du menu du jour A.

Cela fait un petit moment, d'ailleurs.

Serveuse

— Eh bien... Je, excusez-moi, je vous apporte cela dès que possible.

La serveuse, apparemment toute nouvelle ici, partit précipitamment en cuisine.

Keiichi

— Euh... papa ?

Ce restaurant, ce serait pas...

Papa de Keiichi

— On s'en fout de ce que c'est,

mate-moi cet uniforme, et ce petit cul, tu ne tr-

PATSCH !

Papa de Keiichi

— Mais, enfin Keiichi, comment oses-tu ?

Même mon père ne m'a jamais giflé !

Keiichi

— Raison de plus pour avoir honte, je suis ton fils, quand même !

Papa de Keiichi

— Écoute-moi bien Keiichi, je ne suis pas là pour des raisons inavouables.

Papa de Keiichi

Le design de cet uniforme est mignon, excentrique, il m'étonne, m'interpelle, me provoque à la réflexion !

Papa de Keiichi

Il m'inspire !

Papa de Keiichi

Et c'est cette beauté de l'Art que je voulais te faire découvrir en te ramenant ici !

Papa de Keiichi

Je suis sûr que tu aspires à découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles pistes de réflexion !

Papa de Keiichi

Allons, n'ai-je pas raison ?

Papa de Keiichi

Or, je sais pertinemment que tu n'oserais jamais entrer ici tout seul !

Papa de Keiichi

Tu comprends ?

Papa de Keiichi

C'est pourquoi j'ai pris sur moi et j'ai fais l'effort de t'emmener.

Papa de Keiichi

Tu peux en rejeter l'entière responsabilité sur moi, je suis prêt à l'accepter !

Papa de Keiichi

Je suis prêt à me salir les mains si cela peut te permettre d'explorer ta curiosité et de développer ta créativité ! Tu ne comprends donc pas ?? Je-

Papa de Keiichi

euuh... Je...

Je vais aux toilettes, je reviens...

C'est mon père tout craché, ça, quand il panique, il se met à mythoner pour cacher sa gêne.

... J'espère que je n'ai pas le même défaut.

Mon père se leva, bredouillant des excuses tout bas, et sortit de la pièce, en direction des toilettes.

Une fois mon père parti, je restai seul à notre table.

Et c'est seulement là que je me sentis vraiment gêné d'être ici.

Je devins rouge pivoine, essayant de me calmer.

C'est à ce moment-là que la serveuse de tout à l'heure revint avec nos desserts, cherchant nerveusement nos places.

Serveuse

— Ah, euh, je... euh...

Elle essayait manifestement de dire quelque chose, mais n'y arrivait pas.

Une serveuse plus expérimentée se plaça derrière elle et lui dit quelque chose à l'oreille.

Allez, calme-toi. Il faut dire “Je m'excuse de vous avoir fait attendre”. Vas-y !

Serveuse

— Euh... Je m'excuse de vous avoir fait attendre.

Oui, c'est bien, continue comme ça !

Allez, on y croit !

Sur ces mots d'encouragement, l'autre serveuse la laissa là.

On dirait bien que notre serveuse est ici pour la première fois.

Je ne la sentais pas à l'aise dans ses mouvements, et ses tremblements incessants me laissaient craindre qu'elle fît tomber les plats par inadvertance.

Je la regardai placer nos desserts sur la table, modifiant sans cesse la place de nos couverts, comme si elle ne savait pas exactement comment servir.

En tout cas... Mon père avait raison, c'était vraiment un uniforme extraordinaire.

Imaginez une sorte de mix entre un costume de call girl de cabaret et les frous-frous d'un costume de soubrette.

C'était très... perturbant.

Ben oui, le costume n'avait pas beaucoup de fabrique en fait, et donc il ne laissait pas grand'chose à l'imagination, si vous voyez ce que je veux dire... et donc du coup, je ne savais plus trop où regarder.

Et comme il y a beaucoup de serveuses ici et qu'elles ont toutes cet uniforme... ben c'est pas évident de digérer.

Mais la serveuse aussi avait l'air très gênée.

Je suppose qu'elle l'était moins à cause de sa maladresse que parce que son uniforme était très échancré...

Nous étions tous les deux très gênés, incapables de nous regarder dans les yeux... On aurait cru un jeune couple de tourtereaux, très timides.

Eh mais, je suis bête, je suis un client, moi !

J'ai pas besoin de me sentir gêné, je n'ai qu'à faire comme si c'était normal, après tout !

Sauf que mon nez ne va pas tenir, je crois... Trop tard...

Puis soudain, complètement par hasard, mon regard plongea dans celui de la serveuse.

Nous restâmes un court instant sans souffler, nous fixant dans les yeux l'un l'autre.

... Eh mais...

c'est...

Keiichi

— ...

Mion ? C'est bien toi, hein ?

Serveuse

— ... Hein ?

Avec ses cheveux tombant sur ses épaules et son air de chien battu,

je ne l'avais même pas reconnue !

Mais c'est bien elle, c'est Mion !

Mais qu'est-ce qu'elle fout ici ?

Keiichi

— Tu…

Mais c'est quoi cette histoire, tu travailles ici, toi ??

Serveuse

— Euh...

Ah,

Ummm…

Je... J'aide au service, c'est le restaurant de mon oncle, et...

Aaah c'est vrai, elle avait déjà dit une fois ou l'autre que ses oncles avaient des magasins à Okinomiya et qu'elle aidait là-bas de temps en temps.

Keiichi

— …

Ah oui ?

Eh bien, c'est tout à ton honneur.

D'un seul coup, je me sentais nettement mieux.

Si c'est Mion, je n'ai pas besoin d'être nerveux.

C'est même le contraire, je sais d'instinct que les rapports de forces ont changé ici !

Je suis client,

et le client est roi !

Il me revint instantanément en mémoire toutes les choses affreuses qu'elle m'avait faites aujourd'hui lors du gage...

Ahahaha, finalement, les dieux regardent bel et bien ce que nous faisons !

Et ils m'ont accordé une occasion de prendre ma revanche !

Et Mion aussi le savait, car elle recula d'un pas, comme si elle avait perçu les flammes dans mon regard...

Keiichi

— Mais tu sais, à bien te regarder, ça te va plutôt bien ce genre de costumes, tu trouves pas ?

Serveuse

— Vas-y, j'ai super honte, là…

Arrête de me regarder comme ça...

Ma première attaque a fait mouche, on dirait !

Elle est sans défense !

C'est maintenant ou jamais, je continue d'attaquer !

Keiichi

— Tu sais, tu as une sacrée paire de... euh, de poumons, il y en a clairement trop pour cet uniforme, on dirait que ça va déborder d'une seconde à l'autre.

Keiichi

Je parie que tous les autres clients n'en perdent pas une miette !

Serveuse

— Mais chut, dis pas des choses pareilles, voyons !

Keiichi

— Ooh, fais pas ta mijorée !

Tu aimes attirer les regards des garçons sur toi, c'est pas vrai peut-être ?

Autrement, tu n'oserais jamais porter un uniforme pareil !

Serveuse

— Mais j'ai jamais dit que je voulais porter ce truc...

Euh, Keiichi, tu es sûr que c'est correct, ça ?

Je sais que tu veux te venger de cet après-midi, mais tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ?

Oh, toi, ta gueule ! Je sais que tu es la voix de ma bonne conscience, mais c'est vraiment pas le moment !

Une chance pareille ne se présente pas deux fois !

Keiichi

— Je suis sûr que ta mère a honte de te voir dans une tenue aussi légère !

Serveuse

— !!

Keiichi

— Celui qui regarde croit qu'il va voir le Saint Graal, mais en fait non, et ça c'est vraiment cool !

Approche, mais approche donc !

Serveuse

— Non, laissez-moi !

Keiichi

— Si vous ne savez pas servir les clients, vous ne travaillerez pas longtemps, mademoiselle !

Serveuse

— Non, tout mais pas ça, je vous en supplie !

Keiichi

— Hauuu, je te ramène chez moi !

Serveuse

— Non, pas la cave jaune avec les chaînes !

Imitant le mode “mimii” de Rena, je continuai allègrement de lui dire des choses obsc-de me venger, pendant que le sang coulait de plus en plus fort de mes narines.

Keiichi

— Bon, ça ira pour cette fois.

Elle restait là, toute rouge, ne sachant pas quoi faire. La honte et la gêne avaient fait sauter le fusible dans le cerveau de Mion.

J'y suis peut-être allé un peu fort, mais c'est une expression que je n'ai jamais eu l'occasion de voir sur son visage, donc ça n'est pas si grave.

Non en fait, si, ça l'est... mais j'ai pas envie d'en débattre.

Keiichi

— En tout cas,

je ne savais pas que l'invincible Mion ne savait pas servir les assiettes !

Serveuse

— ... Écoutez, je…

Vous fai-

Keiichi

— Mais ça fait drôle de te voir comme ça.

Tu devrais te comporter comme ça de temps en temps entre les cours !

D'ailleurs, tu devrais te montrer dans cet accoutrement aux autres filles,

Rena va adorer, je t'assure !

Keiichi

Elle serait capable de venir t'aider ici, d'ailleurs.

Serveuse

— Non mais, vous faites erreur !

Keiichi

— À vrai dire, j'aurais jamais cru qu'un truc pareil ait l'air si seyant sur toi !

Serveuse

— Mais puisque je vous dis que vous faites erreur !

Mion, toute rouge, respirait difficilement après avoir enfin pu cracher ces mots.

Keiichi

— Comment ça, je fais erreur ?

Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Serveuse

— Je...

.........

Je ne suis pas Mion !

Hein ??

Je sais qu'elle sait raconter des bobards, mais là, je restai interdit.

Keiichi

— Tu n'es pas Mion, mais alors... qui es-tu au juste ?

Tu es bien Mion Sonozaki, non ?

Serveuse

— Écoutez,

je suis désolée de ne pas vous l'avoir dit plus tôt mais...

Je suis bien une Sonozaki, mais mon prénom, c'est Shion.

Mion, c'est ma grande sœur.

Complètement stupéfait, je restai coi, les yeux écarquillés.

Mion a bien dû se rendre compte qu'une excuse aussi acrobatique n'était pas facile à avaler, car elle se mit à rougir jusqu'au bout des oreilles.

Keiichi

— Shion ?

Shion Sonozaki ?

Shion

— Oui, c'est bien cela.

Les gens me confondent souvent avec ma sœur...

Keiichi

— Mais pourtant, lorsque tu m'as parlé, tu as réagi comme si tu me connaissais depuis longtemps.

Shion

— Oui, eh bien... ma sœur parle souvent de vous, de toi, alors... Je te connais un peu, quand même.

C'est assez dur à accepter comme mensonge...

Mais à force de la voir m'implorer du regard de croire à son histoire, je finis par mettre ma vengeance personnelle de côté.

Nous considérons Mion comme notre leader, et elle se doit d'être toujours forte et sûre de soi, pour être charismatique et pour nous mener.

Si je lui rappelle ce qu'il s'est passé ici ce soir devant les autres, je pense que je vais briser quelque chose d'important dans notre groupe.

Et franchement, je n'en ai pas envie.

Je crois que je comprends ce qu'elle veut dire.

La mauvaise blague que je lui ai faite à l'instant ne dois pas avoir de rapport avec la Mion que l'on croise d'habitude,

et pour cela, le plus simple, c'est de dire que ces mésaventures sont arrivées à “Shion”.

Keiichi

— ... Je vois.

Ouais, je vois. Ben écoute…

Je te demande pardon.

Shion

— Non, ce n'est pas grave.

Ma sœur a beaucoup d'ennemis, j'ai l'habitude.

Oh, mais alors elle en est parfaitement consciente ?

J'en pouffai de rire, ce qui eut le même effet sur Mion. Euh, sur Shion.

Keiichi

— Et alors donc, Shion, c'est la première fois que tu travailles comme serveuse ?

Tu n'avais pas l'air très à l'aise.

Shion

— Eh bien en fait, j'ai commencé aujourd'hui. En fait, Kei, c'est même pire, tu es mon tout premier client !

Un peu gênée après avoir terminé sa phrase, elle me demanda précipitamment si j'étais d'accord pour qu'elle s'adresse à moi de la même manière que sa sœur.

Je trouvai le mensonge délicieusement ridicule, et repartis de plus belle dans un rire aux éclats.

Keiichi

— Tu m'avais dis que tu aidais tes oncles,

je pensais que tu avais plus l'habitude.

Shion

— Ah, mais j'ai plein d'oncles, il ne faut pas croire.

C'est la première fois que je viens travailler dans cet établissement en particulier...

Je vois, je vois.

La première fois, on est tous un peu nerveux.

Keiichi

— Et Mion ne vient jamais aider à faire le service ici ?

Shion

— Eh bien, ma sœur est, comment dire.

Tu sais bien, quoi. Elle n'aime pas trop tout ce qui est mignon.

Je sais parfaitement ce qu'elle veut dire, en effet.

Keiichi

— Oui,

les habits cools et les boulots classes lui vont beaucoup mieux.

Je pense que c'est une bonne décision d'avoir envoyé Shion ici.

Euh, pardon ?

Shion demanda, incertaine d'avoir bien compris.

Keiichi

— Je suis sûr que cet uniforme ferait tache sur “Mion”.

Par contre, il va vraiment bien à “Shion”.

Shion

— Euh…

Eh bien, je…

C'est à dire que...

Shion redevint toute rouge et son regard se perdit dans le vague.

Shion

— Et que... que veux-tu dire au juste... par là ?

La Mion que je connais ne me ferait jamais un regard pareil.

Je commençai à croire que cette fausse identité était bien plus réelle qu'il n'y paraissait...

Elle remarqua soudain une autre serveuse qui lui faisait signe de la main.

Serveuse

— Mademoiselle Sonozaki, vous pouvez prendre une pause !

Shion

— Ah, oui, j'arrive toute de suite, merci !

À ces mots, elle redescendit enfin de ses nuages roses et redevint normale.

Shion

— Bon, eh bien, je vais te laisser. Je suis bien contente d'avoir pu te rencontrer, depuis le temps que j'entends parler de toi...

Keiichi

— Désolé de t'avoir pris pour ta sœur et de m'être vengé sur toi.

Dis-lui bien que je me vengerai sur elle un autre jour, elle peut compter dessus !

Shion

— Ah oui, elle t'a fait t'habiller en soubrette et t'a promené dans tout le village, c'est bien ça ? Oui, moi aussi à ta place, je me vengerais !

Quand elle rit un peu vicieusement comme ça, elle a exactement le même regard que d'habitude...

Keiichi

— Oui.

Dis-lui bien que la honte que j'ai prise aujourd'hui n'est rien comparée à ce qu'elle va subir !

Shion

— Bleh~.

Et moi je lui dirai ce que tu m'as fait ce soir, et elle se vengera sur toi pendant les jeux du club !

Et ce sera bien fait pour toi ! Ahahahaha !

Keiichi

— Ha ! Qu'elle s'amène, je vais lui montrer, moi !

Riant de bon cœur, Mion disparut par une porte de service.

J'ai l'impression d'avoir vécu un truc formidable aujourd'hui.

Il faut dire, voir l'invincible Mion dans tous ses états, maladroite, toute timide, c'est pas donné à tout le monde.

Mais j'aurais jamais cru qu'elle me sortirait le coup bidon de la sœur jumelle.

Je pourrais demander confirmation à Rena demain, quand nous serons seuls, tu me diras... quoique.

Non, il vaut mieux pas en fait.

Ça ne se fait pas.

Nous avons décidé que ce soir, dans ce restaurant, j'avais parlé à sa sœur jumelle cadette, une certaine “Shion”.

Il faut que je joue le jeu, je n'ai pas le droit de remettre ça en question.

Nous n'avons pas fait de grandes promesses solennelles, c'est vrai, mais il n'empêche que.

Je pense que nous avons passé un accord commun et tacite lors de notre petite conversation.

Je sentis une légère tape sur l'épaule.

C'était mon père.

Dites-donc, il a pris son temps aux toilettes.

Il a eu un éclair d'inspiration quand il était sur le trône ou quoi ?

Papa de Keiichi

— Bon Keiichi, on peut y aller ?

Allez, rentrons à la maison.

Il régla l'addition puis sortit une carte de fidélité.

Et en plus il avait déjà pas mal de tampons dessus.

C'est un client régulier ici, en plus, le coquin...

Papa de Keiichi

— La serveuse de tout à l'heure, tu la connais ?

Keiichi

— Quoi, tu nous espionnais, tapi dans les ténèbres, c'est ça ?

Le salaud, il a fait exprès de ne pas revenir, pour me laisser seul avec elle...

Papa de Keiichi

— C'est une fille de l'école ?

De Hinamizawa ?

Keiichi

— Ouais. C'est la sœur de Mion, une fille de la classe.

Je parie qu'elle va à l'école à Okinomiya.

En tout cas, je ne l'ai jamais vue dans celle du village...

Papa de Keiichi

— Ah oui ? Je croyais que tous les enfants de Hinamizawa allait dans la même école que toi, au village. Je ne savais pas.

Keiichi

— Il paraît qu'en gros la moitié des élèves va dans celle du village.

L'autre moitié prend son vélo et fait l'effort d'aller jusqu'en ville, enfin, c'est ce qu'on m'a dit.

À force d'en parler comme ça, “Shion” allait finir par vraiment exister, avec une vie propre et tout...

Qu'est-ce que je vais pouvoir dire à Mion, demain ?

« Ah au fait, j'ai vu ta sœur hier ! » Mouais. Un truc dans le genre, quoi.

Je ne savais pas pourquoi, mais ça me plaisait de partager un secret avec elle. Et quelque part, j'en étais très fier et très heureux. Et ça, ça me rendait très gêné et confus…