Je fus tiré du sommeil non pas par mon réveil, mais par le gazouillis des oiseaux.
... Bizarre.
... C'est dimanche aujourd'hui, non ?
Si je m'en réfère à mes habitudes normales... oui, c'est bien ça, d'habitude je me couche très tard le samedi soir et je fais la grasse matinée le dimanche.
... Mais alors, qu'est-ce que je fais debout à une heure aussi saine, aussi matinale ?
Y a pas moyen, je vais devoir me recoucher...
— Keiichi, tu es debout ?
Téléphone pour toi !
C'est alors qu'enfin, je remarquai les appels incessants de ma mère depuis le rez-de-chaussée.
Téléphone ?
Je me levai d'un seul bond et descendis les escaliers en toute hâte.
Me voyant arriver, ma mère en informa mon mystérieux interlocuteur.
— Aaaaaaallô ?
C'est moi-même en personne.
À qui ai-je l'honneur ?
— Ahahaha !
Bonjour, Keiichi.
Dis-voir, tu as eu une panne de réveil ou quoi ?
— Quoi, c'est toi Rena ? Mais enfin, on n'a pas idée de téléphoner aux gens aux premières lueurs du jour !
— Sans vouloir te vexer, il va être midi, tu sais ?
11h et demie...
Oui, bon, en voyant large et en étant généreux, c'est pas si loin du coup de midi, effectivement.
— Ouais, bon bref, qu'est-ce que tu veux?
— Ah, attends une seconde,
je te passe Mii.
— Good morning, Kay !
C'est bien ça pour dire bonjour le matin en anglais, hein ?
— Tant que tu y es, dis-le moi en chinois, en allemand et en russe.
— Alors, nii hao, Kee…
Guten Morgen, Keh.
Et en russe, euh…
Dasvidania... euh…
Notre petit ange destructeur ?......
Mais de toute façon, comment tu veux que je le sache !?
— Ahaahahahaha !
Bah, ça ira pour cette fois.
Toutes ces bêtises m'ont réveillé.
— Ahahaha!
Ben au moins, ça aura servi à quelque chose !
... Dis-voir, Kei, tu es libre aujourd'hui ?
Parce si c'est le cas, nous serons au grand complet.
Au grand complet ?
Ah, les membres du club ?
— Oui, exact.
C'est vrai que vu les batailles âpres que l'on se livre après les cours, tu pourrais croire que les jours fériés sont dédiés au repos des guerriers, mais...
ben en fait non, mon garçon !
— Ouais, je sais.
Nous nous efforçons de rechercher la meilleure manière de se sortir de n'importe quelle situation donnée, possible ou imaginable.
Donc en gros, jour férié ou pas, pas de quartiers.
— Oh,
mais je vois que tu as enfin compris le principe !
Et donc, tu pourras venir ou pas ?
Je n'avais rien de prévu aujourd'hui.
Et entre nous, maintenant que la responsable du club m'avait invité, je n'arrivais même plus à m'imaginer autre chose à faire de cette journée.
— Ben, en fait, j'ai rien de spécial au programme.
Et puis si je viens pas, je vais me prendre un gage, je suppose, et tel que je vous connais ça ne sera pas de tout repos...
— Si tu le sais, pourquoi tu n'acceptes pas tout de suite au lieu de tourner autour du pot ?
Bon, tu nous rejoins là où tu sais, comme d'habitude, à 13h tapantes.
Nous irons en ville, alors n'oublie pas ton vélo !
En ville ?
Mouais, c'est pas vraiment un problème, en fait.
Et puis, même si ça nous changera, le principe reste le même, après tout.
— Je te préviens, je suis plutôt remontée à cause de la défaite d'avant-hier !
Aujourd'hui, je gagnerai !
Avant-hier ? À quoi avons-nous joué vendredi...
Ah oui, la partie de poker !
La partie avait été sans pitié.
Personne ne s'était couché après la défausse.
Et il avait vraiment fallu refaire les comptes précisément à la fin pour nous départager.
J'avais fini premier, avec un seul jeton d'avance !
Mion avait fini deuxième.
Elle avait fait tout un cirque à propos de ça, d'ailleurs.
Elle avait “refait la soirée”, parlant sans cesse d'un des plis où elle m'avait laissé la victoire, sûre de mener.
Ce qu'il faut savoir, c'est que Mion Sonozaki ne perd jamais.
La seule fois où vous l'entendrez se plaindre, c'est lorsqu'elle n'a pas terminé à la première place.
C'est pour ça qu'elle était particulièrement vexée d'avoir perdu.
... Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, elle va vouloir prendre sa revanche !
— Pas de prob', amène-toi !
Tu vas prendre une pile en moins de deux, comme avant-hier, et tu vas te prendre le gage en pleine tête !
Alors choisis-en un que tu te sens capable d'encaisser, hein !
— Hé hé hé !
J'aime quand tu dis ça !
C'est encore meilleur quand je te mets ta raclée !
Après plusieurs insultes et autres joyeusetés du même acabit, je raccrochai le combiné.
Remontant à toute vitesse chercher la clef du cadenas de mon vélo, je tombai nez à nez avec ma mère, qui sortait justement mon futon.
— Tiens donc, Keiichi, tu es de bonne humeur. Tu sors ?
— Ouaip !
Je vais en ville avec les autres.
— Ben alors, amuse-toi bien.
Fais attention aux voitures en route !
Et sois là pour le repas du soir, compris ?
— Mais oui, j'oublierai pas de rentrer, t'inquiète pas !
Je sortis mon vélo du garage, me mis en selle et fis quelques tours de pédalier.
Parfait, en avant toute !
Et mon vélo traça sa route, glissant gracieusement dans l'air léger de cette radieuse fin de matinée.
— Keiichiii !
T'es en retard !
— Eh oui, ça arrive !
Ben ? Où sont Rika et Satoko ?
— Ça va plus vite de les rejoindre directement en ville, alors elles ne viendront pas ici.
Aah, effectivement.
Elles habitent dans le coin derrière l'école, sur le chemin de la ville, donc.
— Oui, et d'ailleurs, c'est quoi cette histoire ? Pourquoi en ville ?
Tu veux qu'on joue à celui qui attaquera le plus de banques, avec les masques et tout le toutim ?
— Et pourquoi pas ?
Ce serait un petit jeu auquel je ne risquerais pas de perdre.
— Tu sais Keiichi, Mii connaît les trajets et les horaires de tous les transports de fonds de la région !
Elle n'arrête pas de me les communiquer, mais... je n'ai jamais vraiment compris pourquoi, je dois dire !
Hein ???
Je me retournai, dévisageant Mion avec un visage seulement à moitié incrédule.
C'est qu'elle en est capable, à bien y réfléchir...
— ... Sans déconner ?
— ReeEEEEnAAAAaaaa !
Arrête de raconter des trucs sur moi !
— Ahahahaha !
Nan, Mii, arrête, pardon ! Ahahahahaha !
Ça faisait plaisir de les voir se chamailler.
Les échos de leurs éclats de rire étaient comme une musique agréable par cette journée ensoleillée.
— Bon, dites, vous deux !
Rika et Satoko nous attendent, non ?
Nous ferions mieux d'y aller, vous ne croyez pas ?
Elles tournaient l'une autour de l'autre, comme des papillons, et j'aurais voulu les regarder jouer encore un peu, mais...
Nous nous amuserions encore plus si nous étions tous les cinq !
— Oui, allons-y !
— Ça va être le casse du siècle, les enfants !
On pique un petit milliard, et ensuite à nous le monde !
— Ouaiiiiis !
Nos trois vélos se mirent à dévaler la légère pente qui nous mènerait vers la ville.
Grâce à l'élan de la pente, nous pûmes gravir sans difficulté la côte d'après.
Une fois la côte gravie, le champ de vision s'élargit à nouveau, et nous arrivâmes à la gare d'Okinomiya.
Il m'arrivait parfois de m'y rendre.
Mais franchement, c'est tellement fastidieux de venir jusqu'ici que rien que d'y penser, ça me coupait généralement l'envie d'y aller.
Tout ça pour dire qu'en fait, je ne connaissais pas trop le coin de la gare, et la ville en elle-même non plus, d'ailleurs.
La route que nous étions en train de prendre m'était elle aussi complètement étrangère.
Nous traversâmes le passage à niveaux, allant par la sortie sud de la gare.
— Je crois que c'est la première fois que je viens ici...
— Il y a plein de salles d'arcade et de magasins de jouets par ici.
Demande à Mii, elle pourra te renseigner !
— Tiens donc, vous avez des salles d'arcade par ici ?
J'y allais assez souvent avant.
Le hardcore gamer en moi se réveille, j'ai les doigts qui me démangent !
— Tu allais en salle d'arcade ? Mais pourtant tu es mineur, Kei ! Petit vaurien, va !
Je te montrerai quelques salles la prochaine fois.
Il y en a une en particulier qui est très bien, ils ont une floppée de jeux.
Mion semblait connaître Okinomiya comme sa poche.
Elle pourrait peut-être me donner deux ou trois bonnes adresses, qui sait ? Il faudra que je lui demande...
Nous vîmes alors un peu plus loin un magasin devant lequel se trouvait un grand nombre de vélos.
C'est un peu petit pour être une salle d'arcade.
La devanture ne présentait que de simples jeux et jouets.
Mais quelque chose clochait...
Une quinzaine de vélos devant la porte d'un simple magasin, ce n'est pas normal !
— Est-ce que par hasard, il y aurait un truc spécial ici aujourd'hui ?
— Exact !
Le vainqueur empochera 50 000 yens !
— Cinquante mille yens ????
C'est impossible, voyons !
Cela correspond à cinq fois le produit intérieur brut annuel du royaume de Maebara !
Deux silhouettes se tournèrent alors vers nous et nous firent signe.
— Eh bien donc ?
Vous êtes fort en retard, mes amis !
— Bien le bonjour à vous tous.
— Yo !
Bonjour Rika !
Satoko, il nous faut régler nos comptes avant que la Police n'arrive sur les lieux !
Le premier qui pique un milliard a gagné !
— Plaît-il ? Mon cher, je crains ne pas saisir la portée de vos propos...
— Est-ce que nous sommes en retard ? Vous êtes là depuis longtemps ?
— Nous avons fini les discussions assez rapidement ce matin, et donc nous sommes ici depuis un bon moment.
— Aaaah, je suis vraiment désolée...
On a attendu sur Kei, mais il a mis un temps monstre à arriver, en fait !
— ... Si c'est la faute à Keiichi, alors tant pis...
Rika se mit sur la pointe des pieds pour caresser la tête de Mi-Hé !
C'est tout ce que ça provoque comme réaction ? Pourquoi ça n'étonne personne quand c'est de ma faute ? C'est tout le temps pour ma pomme, hein ?
— Évidemment !
Vous êtes le seul dans notre groupe à ne pas être digne de tenir un autre rôle, voyons !
OoooOhhohhohho !
— Ouais, eh ben moi, j'en veux pas, de ce rôle !
Vous allez voir ce que vous allez voir !
M'approchant de Satoko, je lui tapai sur la tête à toute vitesse avec les phalanges de mes poings.
Poc poc poc poc poc poc poc !
— Keiichiii eest méééchaaant aaavec moiaaaa !
WaaaaaaAAaaaAAAaaa !!!
— Pauvre petite, tu es vraiment son souffre-douleur...
— Regarde, regarde, elle pleure ! Ooohhh comme elle est mimiiiii !
Oooh, il faut que je la ramène chez moi !
Bouge pas, je vais aller punir le méchant !
Pif, paf, VLAN !!!
Rena serra le visage en pleurs de Satoko contre sa joue -- même si je doutais de la véracité desdits pleurs. Étalé par terre de tout mon long, je vis Rika se baisser pour me caresser la tête.
... Eh ben voilà !
— Je préfère ce genre de réactions.
Ça au moins c'est dans l'ordre des choses, tu ne trouves pas ?
— ... Je trouve surtout que tu devrais essayer de penser à une autre chute pour tes blagues, avant qu'il ne te manque une paire de dents.
Je me remis lentement sur mes pieds.
Nous nous sommes suffisamment dit bonjour, passons à la suite !
Il y avait à l'intérieur du magasin une dizaine de garçons qui avaient plus ou moins mon âge.
Ils avaient l'air de connaître Mion, car ils lui parlaient tous très familièrement.
— Mii est une régulière ici,
alors elle a beaucoup d'amis !
— Une régulière ? Dans un bar d'accord, mais dans un magasin de jouets ?
— Regardez plutôt au fond du magasin !
Satoko m'amena plus avant dans le magasin, et je remarquai alors des tables et des chaises décorées, comme pour une grande occasion.
... Bon sang, mais c'est bien sûr !
— Ne me dis pas que... c'est là qu'on va jouer aujourd'hui ?
— Alors quoi, surpris, mon p'tit gars ?
Je suis pote avec le gérant,
alors parfois j'organise des petits tournois ici, histoire de lui faire de la pub', tu vois.
Je vois, je vois...
Mais alors, tous ceux qui sont là veulent participer ?
— Eh oui !
Aujourd'hui, nous allons jouer à beaucoup plus que d'habitude !
Rena avait l'air de s'en réjouir, mais à cette réalisation, une ombre passa sur mon visage, qui se fit alors de plus en plus dur.
— Mon cher, je peux lire dans vos pensées comme à livre ouvert.
— Ah ouais ?
Alors essaye de deviner ce que je vais dire.
Attention ! à la une, à la deux, ...
— Pas de quartiers !
Pile-poil synchro... Elle sait vraiment lire dans mes pensées, ma parole !
Je me mis à observer les participants.
Ils avaient le feu sacré au fond de leur regard...
mais après tout, il y avait 50 000 yens à la clef !
— Alors, Keiichi, qu'en dis-tu ?
On devrait pouvoir s'amuser, aujourd'hui, non ?
— Ouais...
Enfin bon, pour moi, quel que soit le nombre d'adversaires, ça ne change rien !
— D'adversaires ?
Haaa là là là là, Kei, Kei, Kei, Kei...
Quand une baleine se remplit d'eau, tu crois qu'elle se fait chier à compter tous les alevins pris dans ses fanons ?
Mion prit une voix moqueuse et se mit à rire d'un ton sec, presque vil. Son regard se fit dur et vexant à un point jamais atteint lors de nos jeux habituels.
Espèce de...
Elle n'a pas l'intention de faire dans le détail, aujourd'hui !
— Je ne suis pas la seule à être prête à tout, il ne faut pas croire...
Regarde un peu Rika.
Elle pointa du doigt derrière moi.
Je me retournai et mon regard poursuivit cette direction...
— ... Mais qu'est-ce que... ?
Rika se promenait parmi les participants, cherchant ceux avec “ce genre de penchants”, et leur faisait de grands sourires, tuant leur animosité dans l'œuf, décimant ainsi des groupes entiers de potentiels adversaires.
— Moi aussi je veux gagner !
Encouragez-moi bien fort !
— Ouais, vas-y !
Profitant et abusant de leur volonté de marshmallow, Rika avait pu en faire de fidèles supporters scandant son nom, voués à sa cause.
Leurs encouragements déformaient la trame-même de la Réalité, et l'intérieur du magasin se métamorphosait peu à peu en monde merveilleux de Rika !
... C'est pas bon, ça. Elle est vraiment remontée !
— Ce sera super amusant aujourd'hui, je le sens !
Je vais vous montrer ce que je sais faire !
Hauuuu !
Rena avait aussi l'air bien plus nerveuse que d'habitude.
Elle sautait dans tous les sens, bondissant comme une balle dum-dum, comme possédée par un accès de délire “mimiii”.
En même temps, c'est quand sa barre de nervosité est remplie au max que les choses sérieuses commencent, avec elle !
Contrairement à ce que laisse présager son attitude joyeuse, c'est maintenant qu'elle a le plus de hargne au combat.
Mion tapait la discute avec ses autres amis, innocemment, comme si de rien n'était.
Mais bien évidemment, tous ceux qui n'y verraient que du feu n'auraient pas le droit de faire partie de notre club.
Mion dégageait en effet un air glacé, une aura sombre qui se répandait depuis ses pieds et inspirait une peur insensée dans mon cœur... comme si elle était là pour nous abattre tous, jusqu'au dernier !
— Vache... Mion est prête à tout aujourd'hui... À croire que sa vie en dépend.
— Keiichi, mon cher, ne me dites pas que vous n'êtes pas au courant ?
Les 50 000 yens de la récompense proviennent directement de ses fonds personnels.
KEeeeWOUA ?
Elle a sorti 50 000 yens de sa poche ?
Regardant Mion à nouveau, je remarquai cette fois une sorte de miasme d'un noir d'encre qui pulsait tout autour d'elle...
— Hmm ?
Qu'est-ce qu'il y a, p'tit gars ?
Tu sais pas…
qui j'suis ?
Hé hé hé !
Un frisson de peur parcourut mon dos.
Elle est folle... elle s'est mise exprès en danger de mort... pour réveiller le monstre sans pitié qui sommeille en elle !
Ha, qu'elle se pointe !
J'ai pa-p-pa-pas peur d'elle !
Détournant le regard, je me rendis compte que la foule avait grossi.
Mais les nouveaux arrivants n'avaient aucune animosité dans le regard.
C'étaient simplement des badauds, curieux de voir ce qu'il allait se passer.
Ils voulaient simplement voir de belles parties et savoir qui était le meilleur d'entre nous.
— Hé ben voilà... on a tout ce qu'il faut.
Ça commence à devenir vraiment intéressant...
— A-al-allez Ke-K-Keiichi !
Fai-faisons de notre mieux, ok ?
On y croit !
Hauuuu !
Rena était déjà prête à péter un câble.
Quand elle est passée en mode “mimiii”, ni le bon sens commun, ni les lois de la physique n'ont plus d'emprise sur elle.
J'aimerais pouvoir éviter d'avoir à me battre contre elle.
— Allez, Rika, courage !
Nous sommes tous avec toi !
— ... Merci.
Je me battrai jusqu'au bout !
Grace à un nombre impressionnant de petites moues capricieuses, Rika avait déjà conquis et rallié plus de la moitié du public à sa cause.
Elle était d'habitude plutôt du genre à faire les choses proprement, mais en silence. Cette façon de faire ne lui ressemblait pas du tout !
... Il va falloir se méfier. L'éviter elle aussi, si possible.
— Il paraît évident que Mion est aujourd'hui l'adversaire le plus dangereux de tous.
— Elle m'en a fait baver très souvent...
mais aujourd'hui, elle me semble bien plus dangereuse que d'habitude.
— Je crois comprendre qu'elle est folle de rage d'avoir perdu au poker l'autre jour.
— Oui, je vois ça.
À croire qu'elle a organisé ce tournoi aujourd'hui pour se venger en public...
Mion se retourna soudain vers nous, comme si elle nous avait entendus par télépathie.
Ses yeux semblaient vouloir nous dire quelque chose... quelque chose comme : « Eh ben, vous avez mis le temps à comprendre, les enfants ! »
Cela faisait déjà trois d'entre nous à montrer les signes d'une nervosité encore jamais atteinte.
Hmmm... ouaip, je crois qu'aujourd'hui, il va y avoir des morts...
— Eh bien, nous sommes loin de rivaliser avec leur niveau de concentration, mon cher.
Qu'en dites-vous ?
Puis-je compter sur vous pour m'affronter au premier tour ?
— Moui, pourquoi pas.
Il faut que je chauffe le moteur tout doucement, rien de tel qu'un pet-
Je restai soudain pétrifié de peur, comme si à la fois, j'avais été frappé par la foudre et encastré dans un pilier de glace.
Je pouvais voir les ondes maléfiques qui se propageaient dans le dos de Satoko.
Je remarquai aussi d'un seul coup que son sourire était des plus fallacieux…
On aurait dit un masque de plastique.
— Pff !
Tu as tant envie que ça de me battre au premier tour ?
C'est bon, hein, je t'ai calée, je ne me ferai pas avoir.
— Et j'en suis bien marrie, ceci est fort dommage...
Vous me semblez bien prudent aujourd'hui !
Ooohohohoho !
C'était un piège.
Ça ne pouvait être qu'un piège ! Je ne sais pas comment elle s'est débrouillée, mais si jamais je me bats contre elle au premier tour, je suis sûr et certain de perdre, encore plus que contre Mion !
Il flottait dans le magasin un air noir, vicié.
Ils en ont tous après les 50 000 yens de la récompense, c'est clair !
Quoique, quoique !
Il n'y a que les participants ordinaires qui s'intéressent à l'argent.
En fait, je m'étais trompé sur toute la ligne.
Je m'étais imaginé qu'aujourd'hui était un simple dimanche et que nous nous amuserions comme si de rien n'était.
J'avais oublié que le jour, le lieu et l'adversaire n'avaient jamais la moindre importance.
Dans notre club, il n'y a que la première place qui compte !
Je sentis une flamme monter en moi... et sus d'instinct qu'aucune rafale de vent ne pourrait jamais la souffler, qu'elle pourrait faire fondre n'importe quel métal.
La pression immense que je ressentis alors au fond de moi annonça la couleur. Aujourd'hui se déroulerait la bataille la plus épique de toutes !
Le gérant du magasin choisit ce moment précis pour s'approcher de Mion et lui signaler, sur un ton très doux, qu'il était temps de commencer.
— Alors les gars, vous êtes prêts ?
Une seconde d'attention !
Se plaçant alors sur le devant de la scène, Mion commença les explications.
Le but du tournoi était de finir grand vainqueur.
Il n'y aurait pas de lot pour la 2e ou 3e place.
Il y avait 15 participants, qui seraient répartis en 5 tables.
À la fin du premier tour, il resterait un vainqueur par table, en lice pour la finale.
— Bien. Venons-en aux moyens de départager les participants.
Chaque table a le droit de choisir le jeu qu'elle veut.
Si le jeu est disponible dans ce magasin, n'importe quel jeu peut faire l'affaire !
Étant très concentré sur les explications, je remarquai tout de suite un gros problème.
— Euh, Mion, je peux poser une question ?
Chacun va choisir le jeu où il est le plus à même de gagner, on n'arrivera jamais à se décider, tu ne crois pas ?
— ... Hau,
c'est vrai, tiens.
À ce rythme-là, on ne risque pas de commencer.
Le public acquiesça derrière nous.
Qui serait suffisamment stupide pour accepter de jouer à un jeu où les adversaires ont un avantage ?
— J'aimerais vous voir vous comporter raisonnablement, mais si vous ne vous décidez pas, c'est le gérant du magasin qui choisira un jeu pour vous. Ça vous va ?
Hmmm, pourquoi pas, après tout ?
C'est son magasin après tout, il a le droit d'arbitrer les litiges.
La dernière règle était très sympa pour le gérant aussi, car ceux qui perdraient se verraient obligés d'acheter le jeu auquel ils auraient perdu.
Il fallait donc maintenant répartir les joueurs.
Le gérant ramena une petite roue, et tous les participants firent la queue pour tirer un numéro.
Enfin mon tour.
Allez, on y croit !
Je sais pas contre qui je tomberai, mais il faudra bien que je gagne de toute façon !
Juste au moment où je tournai la roue, Mion se mit à rire en me fixant du regard.
— Je suppose que tu t'en doutes, mais les membres du club auront un gage en plus.
— Ouais,
je l'ai vue venir, celle-là.
C'est quoi ?
— Le vainqueur pourra donner un ordre à chaque autre membre.
C'était un gage très simple, mais qui ouvrait la porte sur des possibilités infinies,
ce qui le rendait particulièrement effrayant...
Elle est vraiment remontée, là...
Ne me dites pas qu'elle a pas sérieusement l'intention de me faire mettre l'équipement de chat et de me promener nu, en laisse dans tout le village ?
Le regard de Mion sembla vouloir me dire qu'elle avait bien pire en réserve pour moi.
Cela ne présageait rien de bon, surtout vu qu'aujourd'hui...
— ... Un ordre à chacun, tu dis ? Donc il n'y a pas que le dernier qui aura un gage ?
— Précisément.
— Et si aucun d'entre nous ne gagne ce tournoi ?
Si jamais nous perdons tous dans les éliminatoires, qu'est-ce que tu as prévu ?
— Ahahahaha !
Eh garçon, il faut arrêter de se droguer ! T'es sûr que ça va encore, ta tête ?
— Comment ça ?
Mion me toisa d'un regard féroce, telle une lionne rugissante.
— Comment peux-tu penser une seule seconde que l'élite de nos rangs pourrait perdre contre ces pauvres bras-cassés ?
... Je te préviens tout de suite, mon p'tit gars,
ne t'avise pas de me faire perdre la face en te prenant une pile pendant les éliminatoires, capice ?
Si elle croit m'impressionner, elle se trompe !
Plus mes adversaires ont la gnaque, plus je suis fort !
— Hah ! Tu verras bien.
Je ne vais pas te tendre le bâton pour que tu puisses me battre !
— Alors on se reverra.
... En finale !!
La roulette donna des résultats très, très louches.
Comme par hasard, les membres du club se retrouvèrent tous répartis un à chaque table.
Comment un tirage au sort aussi aléatoire avait-il pu donner des résultats aussi parfaits ?
Je ne pouvais m'empêcher de penser que Mion devait forcément avoir quelque chose à voir là-dedans...
Mais bon, après tout, pourquoi pas.
C'est pas ça qui va m'empêcher de la battre !
Bon, voyons déjà contre qui je vais jouer.
Vérifiant le numéro de nos tables, chacun d'entre nous s'y rendit.
Alors ce sont eux, mes deux adversaires ?
Ils sont plus jeunes que moi...
... eh, mais ?!
— Eh, mais vous êtes de notre école, vous deux, non ?
— Si, en effet. Salut.
Moi c'est Tomita,
et lui c'est Okamura.
Il inclina légèrement la tête pour me saluer.
Donc pour les éliminatoires, je me battrai contre des jeunots de l'école...
J'ai plutôt de la chance sur ce coup-là.
Sans vouloir être trop présomptueux,
je pense que je ne devrais pas avoir de problème à les sortir !
— Bon, eh les gens ?
Il serait temps de commencer, alors décidez-vous pour les jeux et c'est parti !
Ces mots déclenchèrent d'âpres discussions, et au fil des conversations animées, l'atmosphère dans le magasin se transforma du tout au tout.
Chacun essayait d'imposer son jeu de prédilection en criant plus fort que l'autre.
Mes deux adversaires avaient l'air sages et tranquilles, mais dès le signal du départ donné, ils eurent comme par hasard tout de suite un jeu à me proposer.
Je refusai aussi sec !
Pourquoi accepter un choix fait par l'ennemi ?
— Désolé les gars, mais je ne connais aucun de vos jeux.
Vous pourriez pas en choisir un plus connu ?
Évidemment, ils n'acceptèrent aucun des jeux que je proposais.
Ben voyons...
Alors forcément, même après cinq minutes de discussions, nous n'avions toujours rien pu décider.
Et donc nous dûmes demander au gérant de choisir un jeu pour nous.
Celui-ci prit un jeu de plateau au fin fond d'une étagère et nous le présenta tout en enlevant l'impressionnante pellicule de poussière qu'il y avait dessus.
Destins -- le jeu de la vie.
Ça faisait très longtemps que je n'en avais plus vu un...
Mais j'y pense... les perdants doivent acheter le jeu, non ?
Je parie qu'il va essayer de nous refourguer tous les invendus depuis Mathusalem qu'il a encore dans son stock...
— Ah ben voilà, je le connais celui-là.
Vous aussi, sûrement ?
Il suffit de faire tourner une roue et d'avancer jusqu'à l'arrivée.
À la fin, celui qui a le plus d'argent a gagné ! C'est tout simple, non ?
Ils acquiescèrent tous deux, et nous pûmes enfin commencer.
Maintenant que j'y repense, je savais déjà, à ce moment-là, que quelque chose ne tournait pas rond.
Mais il m'a fallu plusieurs minutes pour me rendre compte de ce qui me faisait peur...
— Alors, 1, 2, 3, 4.
“Naissance de votre premier enfant.”
Chaque joueur vous offre 5000 FF.”
Ah ben désolé les gars, hein !
Super, j'ai pris un peu d'avance dès le départ !
— 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, et 8.
Case bonus.
“La banque vous prête 100 000 FF.”
Hein ??
Il est déjà passé devant moi celui-là !
— 1, 2, 3. Alors ?
“Placez-vous au premier échelon de la grande carrière.”
Hé, mais c'est le meilleur chemin !
Mais pourquoi je tombe tout le temps sur les mauvaises cases ?
Enfin, je compris pourquoi Mion ne ramenait jamais de jeux de courses et de cases à l'école.
Eeh oui, bien sûr.
Ces jeux ont tous un point commun très problématique.
Ils sont basés entièrement sur la chance !
Mais alors qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire, moi, pour terminer premier à la fin, hein ?
La décision de la victoire n'est influencée par strictement aucune action de la part des joueurs !
... Je me demande comment se débrouillent les autres. Je jetai un regard en coin aux autres tables de jeu.
À la table de Mion... ben alors ?
Ils ne jouent pas, ou quoi ?
Ils n'ont toujours pas décidé du jeu ?
Ou bien alors... ne me dites pas que...
Mion buvait tranquillement un jus de fruit qu'elle avait certainement eu le temps d'aller acheter au distributeur automatique, dans la rue.
Elle me sourit d'un air suffisant lorsque nos regards se croisèrent.
C'est pas vrai... Elle a déjà gagné ?
Si vite que ça ? Mais c'était quel jeu ?
C'était un détail sans importance maintenant.
Elle les a mis au tapis en cinq minutes, et ils ont l'air de ne pas pouvoir s'en remettre.
Je peux les voir, avachis sur leurs chaises, hagards.
Ils ressassent inlassablement les mouvements de la partie, cherchant à comprendre leurs erreurs... Mais je sais qu'ils ne les trouveront jamais.
Ils n'ont fait qu'une seule erreur... Ils ont joué à la même table que Mion, c'est tout !
Mais alors, que devient Rena ?
... Les spectateurs ont l'air tout excités !
On dirait qu'ils jouent à l'abécédaire illustré.
C'est le gérant qui lit les phrases, et eux doivent trouver l'image correspondante.
Rena est plutôt du genre deux de tension... et quand elle se bouge, elle panique, s'affole, et n'arrive pas à grand'chose.
À mon avis, elle doit avoir du mal...
— Vous êtes prêts ? Je lis :
“Un chien qui court cinq-cents courses cesse de courir pour claudiquer cahin-cahan.”
BAAAAAAM!!!!
À peine le gérant avait-il terminé la phrase qu'un craquement de fouet se fit entendre, tandis que la carte du “C” disparaissait mystérieusement de son emplacement sur la table !
Mais... Mais où a-t-elle donc pu passer ?
Je retrouvai la carte sur la joue de Rena.
Elle la frottait fiévreusement contre son visage.
— Hauuuuuu !
Mais regardez-moi comme elle est mimii cette chienne !
Il me la faut chez moi !
Je portai mon attention sur la carte en elle-même. Le dessin était dans le style de certains magazines en couleurs…
On y voyait une petite fille à peine pubère, tenue en laisse, qui portait un serre-tête avec des oreilles de chien, et qui se tenait à quatre pattes, essoufflée, les yeux enlarmés.
... En même temps, pour des cartes pareilles, même moi je serais prêt à remettre en question les lois de la physique.
Alors Rena, n'en parlons pas !
Je parie qu'elle se retient de ne pas dépasser le mur du son avec ses mains, pour ne pas casser toutes les vitres !
— Bon, je crois que c'est clair.
Avec un petit rire sec, Mion tourna les talons et repartit.
— Ooooh, mais elle est mimii !
Je crois que je vais acheter ce jeu de cartes de toute façon !
Oui... un pour baver dessus, un pour montrer et un juste au cas où... Hauuuuuu !
À peine le gérant avait-il commencé à lire une autre fiche qu-
BAAAAAM!
BAAAAAAAAAAAAM!!
Ouais, bon, elle risque pas de perdre...
Bon, ben voyons-voir Satoko...
Eh, ça c'est un classique. Une patience.
Si j'en crois son expression chagrinée, elle est en train de perdre...
Le plus éprouvant dans ce jeu, c'est qu'à partir d'un certain point, la partie s'accélère.
Moins il y a de la carte à retenir, plus il est facile de faire les paires.
Celui qui a la chance d'avoir son tour vers ce point critique est presque sûr de gagner !
Il manque déjà pas mal de cartes.
Si ses adversaires ont pris la peine de retenir les cartes quand c'était possible, ils peuvent tout ramasser.
Je parie qu'elle sait à peu près comment sont placées les cartes.
Mais comme ce n'est pas son tour,
elle ne peut que regarder, impuissante, et laisser faire !
— Désolé Hôjô, mais j'ai vraiment envie de ces 50 000 yens.
Sois pas trop déçue !
Ouh, celui-là on dirait bien qu'il a retenu les emplacements des cartes...
Il a l'air sûr de gagner.
Son sourire ressemble plus à un rictus qu'à autre chose...
— Mouais.
Ça aussi, c'est tout vu.
Je tournai le regard à nouveau vers mon jeu.
Alors, on tourne la roulette...
1, 2, 3, 4, 5, qu'est-ce que ça donne...
— Hein, quoi ?
Mais c'est pas vrai, oh ?
C'était l'as de cœur cette carte, juste avant !
Des cris fusèrent à la table de Satoko.
Surpris, mes deux adversaires se retournèrent pour voir ce qu'il se passait.
Quant à moi, je restai concentré sur mon jeu,
car je n'étais pas surpris le moins du monde.
Les spectateurs murmuraient entre eux.
— C'est pas possible... Me dites pas que j'ai mal regardé... Sûrement la pression, mais quand même...
On sentait une déception amère dans sa voix.
Mouais.
Ça m'étonne pas.
S'il n'avait pas joué contre Satoko, je suis sûr que la carte aurait bel et bien été l'as de cœur.
Pauvre idiot, va.
Contre Satoko, il ne faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué !
— Tiens donc, mon cher, vous n'avez toujours pas fini ?
Vous me décevez, je dois dire...
Celle-ci, toute imbue de sa victoire fraîchement acquise, me lança une petite pique sur un ton très froid.
Pour un observateur normal, le résultat du jeu ne montrait qu'une victoire arrachée d'une courte tête.
Mais moi, j'y lisais que Satoko s'était promenée.
C'est bien simple, c'est comme si elle avait joué à la dînette en jouant à la fois le rôle du gagnant et celui du perdant.
Le plus drôle dans l'histoire, c'est que ses adversaires n'ont même pas remarqué qu'ils ne faisaient que suivre le script...
— Ça va, tu te la joues pas trop ?
En plus, faire en sorte qu'il ne trouve précisément pas l'as de cœur... Il y a une volonté artistique derrière, là, ça se sent.
— Eh bien, disons qu'un seul piège suffisait largement contre lui, et puis j'aime bien la chanson, donc...
Je me suis un peu arrangée avec le hasard, c'est tout.
Sacrée elle, c'est une pro du guet-apens.
Son plus gros point fort, c'est de pourvoir contrôler les effets de ses pièges.
“Un seul piège suffisait contre lui”, non mais vous l'entendez ?
Aaah, franchement, elle a la classe !
Mais mince, elles se débrouillent toutes alors ? Si elles gagnent toutes et que je suis le seul à perdre comme un gros nullos, ça va pas le faire...
Mais au fait, que fait Rika ?
Où est-ce qu'il se cache, notre petit prodige ?
...
... Tiens, qu'est-ce qu'il se passe, là-bas ?
Dans l'un des coins du magasin, la tension palpable des autres tables de jeu avait laissé place à quelque chose de complètement différent.
À la table de Rika, ils jouaient à... à ce jeu avec des cannes à pêche, et les poissons sont sur une plaque pivotante, vous connaissez ?
Vous devez attraper les poissons avec l'aimant qui sert de hameçon, mais les poissons ont la bouche à peine ouverte, alors c'est pas évident.
Enfin bref, à ce jeu, celui qui réussit à en pêcher le plus a gagné, donc la compétition est féroce, les gens se bousculent pour placer les cannes... généralement.
À cette table, il n'y avait rien de tout cela.
— Ouah ! ♪ J'en ai encore attrapé un !
— Bravoooo, c'est bien !
Continue comme ça, Rika, c'est très bien !
— Hop-pe-là, bien, encore un !
Super, Rika, mais tu es très douée !
Je savais que Rika avait fait du travail en amont pour se faire des alliés,
mais là c'est du grand n'importe quoi...
On pourrait croire qu'elle a transformé ses adversaires et tous les spectateurs en membres dévoués de son fan-club !
— Ouah, mais elle est en train de gagner !
Elle a plus de points que tous les autres réunis !
Elle est douée pour attraper les poissons !
— Pour attraper les nigauds, tu veux dire...
Comme par hasard, Rika tourna légèrement la tête vers nous et nous décocha un regard satisfait.
C'est donc à ça qu'elle ressemble quand elle joue sérieusement...
— C'est un tour de force qu'elle est la seule à pouvoir faire !
Je suis d'accord...
C'est vraiment un tour de force !
— Maebara, c'est à toi.
— Oh, ah, ok,
j'avais pas vu.
Donc... 1, 2.
Et alors... “Retards d'impositions.
Payez encore 50 000 FF.”
Dites donc, ça se passe vraiment mal pour moi !
Mes compagnons, remarquant mon visage congestionné, vinrent à leur tour observer ce qu'il se passait à ma table.
— Ben... Keiichi, tu es en difficulté ? Comment ça se fait ?
— Okamura ?
À combien s'élève ta fortune actuellement ?
Okamura se mit à compter les billets de 10 000 FF en sa possession. Il en avait beaucoup grâce à sa carrière…
— Hmmm... un peu plus que 980 000 FF.
— Et toi, Tomita ?
— Euh... 880 000 en gros.
Je peux encore passer devant !
Mais alors, ils vont dépasser le million sans problèmes, ces deux-là !?
— Eh toi, Kei ? T'as combien sur toi ?
Je sentis tout de suite une ombre dans sa voix.
En tant que chef du club, elle se sentait sûrement insultée.
— Mais j'y peux rien, moi !
Il n'y a rien à faire de concret dans ce jeu, juste tourner la roulette, j'ai aucune influence sur rien !
Imaginons que je veuille tricher, je saurais même pas comment faire !
Je leur dis quoi, « Tournez-voir la tête par là-bas pendant que je me sers dans la banque ! » ?
Comment veux-tu que je fasse ?
Rika vint me caresser la tête,
mais je sentais que le cœur n'y était pas.
— Eh bien, voilà une amère déception.
Et dire que pendant un instant j'ai cru voir en vous un adversaire digne de respect...
Vous m'en voyez fort déçue.
— Allez Keiichi, n'abandonne pas !
Tu vas sûrement pouvoir te refaire, il suffit de se donner du mal !
Il faut y croire !
Jusqu'au bout !
Mais purée, puisque je vous dis qu'il n'y a strictement aucun moyen d'influer sur le cours du jeu ?!
Dis-leur, Mion !
Mais lorsque je croisai son regard, je remarquai que Mion me toisait comme on observe avec dégoût une crotte de chien sur un trottoir ou un clochard au fond d'une allée.
Elle me tourna le dos et s'en alla sans piper mot.
— Ben…
Hé, Mi—
— Franchement, p'tit gars, tu m'écœures sur le coup-là.
On a toutes donné le maximum pour arriver en finale, et toi tu tires au flanc ? Pourquoi tu ne te donnes pas à fond ?
— Comment ça, à fond ?
Parce que tu crois que je peux contrôler les résultats de la roulette par la pensée, peut-être ?
T'y arrives, toi ? Je crois pas, alors viens pas la ramener !
— Si vraiment tu avais eu envie de gagner, tu aurais fini la partie en moins de 10 secondes.
— Vas-y, Mii, c'est pas la peine de lui faire la gueule comme ça...
Mais, attends !
Mion repartit d'un pas rapide et disparut au fond du magasin, visiblement à bout de nerfs.
L'ambiance se dégrada aussitôt et les spectateurs nous laissèrent seuls, gênés de regarder la partie.
Mais merde ! Comment peut-elle dire que je ne joue pas sérieusement ?
Comment elle veut que je fasse pour finir la partie en 10 secondes ?
Pourquoi elle insiste sur mon « envie de gagner » ?
Elles espéraient toutes me voir gagner, je me doute, mais...
Non, elles étaient sûres que je gagnerais !
J'ai trahi leur confiance, c'est ça qu'elles me reprochent !
Elles pensent que je suis pas sérieux ?
Mais POURQUOI ? ...
— Euh, on peut continuer à jouer ?
Mes deux adversaires me rappelèrent gentiment à mes obligations.
Mais je ne leur répondis pas.
J'observai la table de jeu en silence.
— Maebara, tu veux abandonner ? Nous ça nous va, hein, pas de problème.
Le gérant s'approcha, pensant que la partie était finie.
Mais au moment-même où il allait annoncer la fin des préliminaires...
... la partie hideuse, froide, insensible de mon âme s'éveilla et prit les choses en mains.
OK, Mion, j'ai compris.
Tu veux que je joue sérieusement ?
Alors regarde et prends-en de la graine !
BAMPH!!
J'étendis mes bras des deux côtés et abattis mes mains fermement sur leurs épaules, les tirant tous les deux vers moi par la même occasion. Puis je me mis à leur parler à voix basse.
— Tomita,
Okamura,
j'ai une proposition à vous faire.
Laissez-moi gagner.
Ils se regardèrent, interdits, puis me dévisagèrent, apparemment pas vraiment sûrs d'avoir bien compris ce que je venais de dire.
— Vas-y Maebara, fais pas le con, j'ai pas envie de me faire frapper !
C'est le jeu qui décide !
— Écoute jusqu'au bout quand on te parle.
... Ils vous tentent,
les 50 000 Y ?
— Ah ben, oui, quand même, quoi.
C'est beaucoup d'argent, c'est une chance qui ne reviendra pas deux fois !
— OK, alors imaginons, vous les avez gagnés.
Vous en faites quoi ?
Quels petits plaisirs est-ce que vous comptez vous offrir avec ça ?
Ils se turent, et je les vis réfléchir à la question un bon moment.
— Hmmm, je vais peut-être m'acheter un nouveau jeu...
ou prendre des bonbons...
ou faire un stock de boissons, je sais pas trop.
— Pff ! Ahahahaha ! Ah la la, vous voyez trop petit…
C'est rien du tout, ça !
Vous êtes bêtes ou quoi ?
— Ben vas-y alors, dis-nous ce que toi tu ferais, si t'es si malin !
— Moi ?
Aaah mais là on commence à causer.
Taisez-vous et écoutez-moi bien...
Nous autres membres du club, nous avons un gage en plus si nous perdons.
Il nous faudra obéir à un ordre du vainqueur.
Mais à l'inverse, cela veut dire que le vainqueur pourra obtenir tout ce qu'il veut de la part des autres !
— Eh bien... Tomita,
tu en pinces pour Satoko, non ?
N'essaye pas de le nier !
Et toi, Okamura,
tu es amoureux de Rika, non ?
Arrête de rougir !
Je les serrai encore plus près de moi, pour pouvoir les empêcher de regarder partout si personne ne nous écoutait. Pas la peine d'éveiller les soupçons non plus...
— De jeunes lolitas,
toutes mignonnes,
Pour nous autres hommes, elles représentent le Saint Graal !
L'incarnation de nos rêves !
Si l'on devait les décrire par métaphore, elles seraient comme le jardin d'Éden, inatteignables, inaccessibles !
Mais c'est pas ça qui nous empêchera d'essayer, non ?
Car la PASSION qui brûle en nos cœurs et qui consume nos âmes nous intime l'ordre de les désirer !
Ils sont à cet âge ingrat et difficile où il est impossible de reconnaître ses sentiments pour une fille...
Je suis passé par là, je les comprends !
— Si je gagne, Tomita,
je te prêterai Satoko, son collier et sa laisse pendant toute une journée. Tu pourras en faire ce que tu voudras.
Une fontaine d'hémoglobine surgit aussitôt du principal concerné.
— Quant à toi Okamura,
tu recevras Rika avec tous ses accessoires de chat, et je rajouterai quelques cordelettes et une paire de menottes pour faire bonne mesure.
Son nez se transforma illico en geyser de sang.
— Euh... Euh, ouais mais euh non, on, on-on-on peut pas là, c'est pas, euh...
— Mais vous en faites pas !
Vous n'aurez qu'à dire que je vous ai obligés à le faire !
Que vous n'êtes que de pauvres victimes innocentes dans cette histoire !
Vous n'avez qu'à tout nier en bloc !
Je sais exactement ce qui vous passe par la tête, j'ai eu 11 ans avant vous !
Je marquai ici une courte pause et reprit un octave plus bas :
— J'ai connu ça, moi aussi, ma vie à l'école était terne, monotone, vide.
Je sais par expérience combien c'est ennuyeux et combien de temps on perd à s'imaginer des choses qui au final, ne se réalisent pas.
C'est pour ça que je vous fais cette proposition...
J'ai pas envie de vous voir finir comme moi !
Soyez honnête avec vous-même !!
Alors n'ayez pas peur de poursuivre vos rêves !
Et faites en sorte de les réaliser !
Je peux vous aider à le faire !
Ici et aujourd'hui !
L'espace d'un instant magique, nos âmes transcendèrent nos différences d'âge, et nous pûmes partager les mêmes valeurs.
— Maaaeeeebaaaraaaaaaa !
A-t-on jamais vu un aîné se soucier à ce point du bien-être de ses jeunes compagnons ?
Non !
Bien sûr que non !
On dit qu'il n'y a que trois rencontres vraiment décisives dans la vie d'un homme.
Eh bien aujourd'hui, Tomita et Okamura faisaient l'expérience de l'une de ces précieuses rencontres !
— Alors, vous êtes d'accord ?
Bon, tenez-vous prêts.
À la une, à la deux...
— ON A FINI !
Notre annonce fut tellement soudaine et enjouée que tout le monde dans le magasin se retourna, surpris.
Cela faisait à peine 3 minutes qu'ils s'étaient désintéressés du jeu, pensant ma défaite certaine.
— Et donc, mon cher, que s'est-il passé ?
Avez-vous... ?
— Je les ai battus à plate couture.
— Que dites-vous ?
Mais comment avez-vous pu inverser la vapeur à partir d'une situation aussi désespérée ?
— Pas besoin de faire un rapport, je pense.
On a réglé ça entre hommes.
Pas vrai, les gars ?
— OUAIS !
Mes deux compagnons répondirent, les joues inondées de larmes homoérotiques freudiennes, d'une voix forte et grave.
Les spectateurs se mirent à murmurer entre eux. Que pouvais-je donc bien avoir fait en 3 minutes qui pût me mener à la victoire ?
— Ahaha, bravo Keiichi ! Bravo ! Ouais !
Rena était tout sourire, mais les autres enfants étaient plutôt interloqués.
— C'est pas possible, il a triché avec la roulette ou quoi ?
— C'est un miracle !
— C'est un signe du Malin !
— Eh, t'as vu, c'est le nouveau pote à Mion !
— Moi je te parie qu'il sait faire des trucs surnaturels !
Tournant le dos aux spectateurs médusés, je me mis à sourire froidement, découvrant les crocs, encore sur la défensive.
— Ça te va comme démonstration de mon envie de gagner ?
Mion ?
— Pfff.
Il t'en a fallu, du temps, p'tit joueur.
Découvrant à son tour les crocs, elle me rendit mon sourire hideux.
— Fort bien, fort bien ! Tous les membres de notre club sont donc en finale, c'est parfait !
— Donc maintenant, nous allons devoir régler cela entre nous !
— Je sais déjà sur quoi je vais dépenser l'argent de la récompense.
— Oh, je pense que chacune d'entre nous a déjà ses propres plans,
n'est-il pas ?
Rena et Satoko s'échangèrent des sourires crispés.
Rha la la, c'est pas croyable quand même...
Elles s'imaginent réellement avoir une chance contre moi ?!
— Mion,
tu as fait une grosse erreur.
Tu n'aurais pas dû me venir en aide tout à l'heure.
— Ahaha, bleu-bite, va.
Si tu veux me battre, il faudra te lever au moins un million d'années-lumières plus tôt le matin !
— Mion...
Une année-lumière, c'est une unité de distance.
Oh, elle rougit ! C'est-y pas mimi, ça ?
— Alors, que fait-on maintenant, Mii ?
Comment faire pour se battre à 5 ?
Comment ?
— Va savoir.
...Hehehe.
En tout cas, nous avons de sacrés participants pour la finale, et c'est le principal !
J'en serais presque dégoûtée de devoir partir, tiens.
— Euh... Mii, je ne comprends pas ce que tu veux dire, là.
— ... Ne me dis pas que... !
Mion tourna les talons tout en se passant une main dans les cheveux pour les faire virevolter derrière elle.
— En tant que chef du club, moi, Mion Sonozaki, déclare la finale ajournée.
Le moyen de départager les finalistes ainsi que la date de la finale ne sont pas encore décidés.
Je préfèrerais qu'il y ait beaucoup de spectateurs pour assister à la manche décisive...
Il faudrait faire ça devant tous les habitants de Hinamizawa et d'Okinomiya.
Et je vous promets de préparer un concours qui ne laissera aucun doute planer sur les capacités du vainqueur.
— Vous n'avez tout de même pas l'intention de fuir ?
Ma chère Mion, je vous aime bien, mais là vous exagérez !
— Hahaha, petite imPUDENTE !
Je vous laisse rentrer chez vous avec la vie sauve, alors faites preuve de reconnaissance !
L'aura de combat de Mion se transforma en un mur épais qui figea Satoko sur place.
— On se reverra.
Lavez-vous bien le cou en attendant ! Avec la pile que vous allez prendre, vous aurez envie d'un suicide rituel, croyez-moi !
Terminant sa tirade par un rire aigu et dédaigneux, Mion sortit du magasin, nous laissant comme des ronds de flan.
Après un instant de silence total, les spectateurs se mirent à pousser des cris d'excitation !
— C'est quand, la finale ?
— Mion a l'air sacrément remontée !
— Les autres membres aussi !
— Le nouveau, je te JURE qu'il doit avoir des pouvoirs magiques !
— Je vois pas comment il a fait pour gagner !
— Maebara !
On est tous avec toi, alors assure, débrouille-toi pour gagner !
— Z'inquiétez pas les gars !
Mion va se retrouver au fond de la rivière des morts avant de savoir ce qui lui est arrivé !
Tomita et Okamura m'encouragèrent de plus belle, et d'après les clins d'œil de certains autres derrière eux, je concluai que certains parmi eux avait appris ce que je leur avais promis.
— Ouais mais de toute façon, c'est Mion qui va gagner !
Elle est impériale, elle n'a jamais perdu !
Moi en tout cas je parie sur elle !
— Mais naan, moi je te parie que c'est Rena qui va gagner, elle est trop rapide !
— C'est Satoko, elle est trop maligne !
— Mais non, c'est Rika, comment tu pourrais lui refuser la victoire ?
— Bande de nullos, c'est le Maebara qui va les avoir, il est imprévisible !
Nan mais les enfants, vous êtes gentils et tout, mais moi ce que je voudrais surtout, c'est continuer !
Mion ne peut pas nous mettre la pression et nous faire piaffer d'impatience comme ça, pour partir au moment où les choses sérieuses commencent ! Je ne le permettrai pas !
Devant le magasin, Mion enfourchait son vélo. Le gérant lui disait au revoir.
— Mion, reviens ici tout de suite !
Tu es la chef du club, tu n'as pas le droit de t'enfuir !
Viens te battre !
— Ah, désolée p'tit gars,
mais... je, euh…
je dois aller travailler...
Hein, quoi, comment ??
Je ratai la coordination de mes pieds et fis un grand écart en ciseaux pour arrêter ma course folle.
— En fait, Keiichi,
Mion a reçu un appel téléphonique pendant que tu jouais.
C'est dommage, mais c'est comme ça.
— Ouais, surtout quand je pense que là, on était tous vraiment chauds. C'est franchement pas de bol !
J'ai un oncle qui fait une promo exceptionnelle aujourd'hui, et du coup il y a tellement de clientes qu'il lui faudrait quelqu'un en plus à la caisse...
— Il a quoi ton oncle, il tient un magasin d'alimentation ou quoi ?
— Oui, c'est un petit,
mais bon...
Enfin, moi, ce qui m'étonne surtout, c'est qu'il devrait savoir qu'une promo exceptionnelle, ça attire les clients !
Alors si déjà comme ça il a pas assez d'employés, pourquoi il fait en plus une promo à 10 yens la boîte de 6 œufs, tu peux me le dire ? Même si c'est limité à une boîte par personne, toutes les femmes au foyer des alentours vont se ramener, c'est prévisible, pourtant !
Je dois avouer, j'étais surpris.
L'ambiance qu'elle dégageait était toute autre que celle d'à l'instant, dans le magasin.
C'était à nouveau la Mion de tous les jours.
Enfin, mes épaules se décontractèrent.
Aaah, je vois...
Les activités du club sont finies pour aujourd'hui, alors...
Mais n'empêche, quelle ambiance aujourd'hui !
C'était vraiment super !
Sacrée Mion, elle est quand même vachement douée pour haranguer les gens !
— Et toi alors !
Tu m'as fait une de ces trouilles,
tu aurais dû voir ta tête !
Je savais plus comment je m'appelais !
J'ai franchement cru que tu allais tous nous tuer !
— C'est vraiment dommage, mais bon, si c'est pour du travail, tu dois y aller...
— J'ai hâte de poursuivre ce tournoi !
Quand pourrions-nous organiser cela ?
— Je propose de le faire pendant la fête de la purification du coton.
— Ce serait la bataille explosive sur cinq fronts pendant la fête de la purification du coton, alors ?
Ouais...
Ouais, ça pourrait le faire. Je vais y réfléchir...
Qu'est-ce qu'elles viennent de dire là ?
La purification du coton ?
La bataille sur cinq... ? Comment c'était déjà ?
— Ahahaha, aaah, ouais, c'est rien, c'est, euh...
Ben tu vois, j'aime bien ce genre de noms à rallonge un peu stupides.
En tout cas, j'espère qu'on pourra remettre ça, c'était vraiment bien aujourd'hui !
Son sourire frais et lumineux était contagieux, et nous restâmes tous les cinq le sourire aux lèvres.
Soudain, le gérant revint nous voir avec de petits sachets.
... Qu'est-ce que c'est ?
C'est pour nous ?
— Merci pour tout ce que vous avez fait aujourd'hui.
Les gens se sont vraiment bien amusés !
Ce n'est pas grand'chose, mais tenez, une petite compensation !
— Beuh eh ?! Yoshirô, et pour moi ?
Ma compensation elle est où ?
— Tiens tiens, voyez donc cela !
Mais c'est très joli !
Satoko et Rika nous montrèrent ce que leur sachet contenait : de jolies petites peluches.
— Ouah,
mais c'est tout mimii, ça !
Je peux vraiment le ramener chez moi, dites ?
Pour de vrai ?
— Ouh là, mais alors moi aussi, j'ai-
wooooh !
Regardez-moi celle-là !
Je tenais dans les mains une poupée habillée d'une robe magnifique. Le truc super pour jouer à la poupée ou à la dînette.
Rena regardait ma poupée avec de grands yeux, immobile.
D'ailleurs, Satoko aussi.
Rika aussi, on dirait bien...
— Ahahaha !
Ben mon p'tit Kei, tu as eu la plus belle, pas de bol !
— Comment dire, c'est très mignon, c'est très... joli, je suppose, mais...
Disons que jouer à la poupée fait pas partie de mes habitudes...
— Si tu la ramènes demain à l'école, tu passeras pour un détraqué, c'est clair !
Je n'avais pas besoin de me faire insulter par Mion pour me rendre compte que ce n'était pas un jouet acceptable pour un garçon.
Comme elle n'avait rien reçu, je songeai la lui donner, mais après y avoir réfléchi quelques secondes, je la passai sans rien dire à Rena.
— Q-QUOI ?
Tu me la donnes ?
Tu es sûr ?
Oooh, merci !
— Je tiens à la vie.
Si je ne te la donne pas, qui sait ce qui pourrait m'arriver sur le chemin du retour, quand la nuit sera tombée...
— Aaahahahahaha !
Ouais, je veux, mon neveu !
— Je te l'aurais bien donnée, mais... C'est pas trop ton genre, hein ?
— Oh, mais tu n'es pas si bête que tu en as l'air !
Ouais, parfois je me demande vraiment pourquoi je ne suis pas née garçon.
— Sois contente d'être une fille.
Si tu étais un homme, je t'aurais tuée depuis longtemps !
— Ahahaha, bouffon, va !
Tu devrais en profiter pour me tuer tant que tu en as encore la possibilité !
Ne viens pas le regretter par la suite si je te bute un de ces quatre !
Ahahahaha !
Ça la faisait rire de sortir des énormités comme ça...
Nos rires sonores se mélèrent au sien.
— Demande aux dieux de te réincarner en homme, la prochaine fois !
Je leur en toucherai un mot aussi à l'occasion.
— On pourra s'associer et renverser le gouvernement, ce sera pas pire qu'en ce moment !
Ahahahaha !
Le gérant nous interrompit très gentiment, d'un rire un peu gêné, en rappelant à Mion qu'il se faisait un peu tard pour son travail.
Il devait s'en vouloir de casser l'ambiance...
— Allez, ciao !
Je me suis super bien amusée aujourd'hui.
On se voit demain, à l'école !
Ouais, ouais.
— Allez file, sois pas en retard au boulot.
Nous lui firent de grands signes pendant qu'elle filait à vélo.
Je remarquai soudain un petit vent frais, qui accompagnait le soleil de fin d'après-midi.
— Alors, que voulez-vous faire ? On reste un peu en ville ?
Ou on rentre ?
— Le chemin est très dangereux pour les petites filles quand il fait sombre dehors...
— Fort bien, il est donc temps de se retirer dans nos quartiers !
Quelle agitation aujourd'hui, ce fut merveilleux !
— Ouais, je me suis bien marré...
Allez zou ! Il faut rentrer maintenant.
Le vent frais qui soufflait sur le chemin était parfait pour apaiser les ardeurs que nous avions connues pendant la journée.
Cette sensation délicieuse nous fit oublier la longueur d'habitude si désespérante du chemin du retour.
— Ah, mais j'y pense !
Rena, très chère, bravo pour cette victoire écrasante !
— Si tu rejoues comme ça pendant la finale, on n'aura aucune chance...
— Ahahaha !
Mais les cartes étaient trop mimiiiis !
Regardez,
je les ai achetées ! Hauuuuuuuu !
— Quant à vous Rika, je ne fus guère surprise.
Vous savez vraiment mener les hommes à la baguette !
— Oui, victoire très facile aujourd'hui.
— Ce qui me préoccupe le plus dans l'histoire, c'est que je sais pas si tu avais tout fait exprès ou si c'est un talent naturel...
J'ai un peu peur de voir ce que tu deviendras plus tard...
— Ahahahaha !
Mais tu sais Satoko, tu t'es bien débrouillée aussi !
Tu as tout ramassé sur la fin !
— Voyons, voyons, ce fut une partie bien trop facile pour mériter de tels compliments, je vous en prie !
OOOOhhohhohho !
— Et toi aussi, Keiichi, tu as fini par montrer ton vrai visage.
— Quoi ?
Ouais, bof.
Tu sais, c'est souvent dans les coups durs que je montre ce que j'ai dans le ventre !
— J'ai d'ailleurs trouvé fort curieux que vos adversaires fussent si enthousiastes à vous encourager... Que s'est-il donc passé ?
— Apparemment, il leur a fait des promesses.
Maintenant, quel genre de promesses exactement... Je suppose que cela doit rester secret.
— Il leur a fait des promesses ? Des promesses secrètes ?
Hmmm... Des cachotteries entre garçons... Hauuuu !
— Eh bien, euh, nous les hommes, parfois, il faut qu'on se batte l'un contre l'autre pour pouvoir se comprendre !
Wahahahaha !!
Ahaha... aha... ouais, enfin, bon, bref. Il me fallait une idée pour changer de sujet, vite !
Je n'eus pas à chercher bien longtemps, car les commentaires reprirent de plus belle, et les filles passèrent un long moment à se re-raconter le déroulement de leurs affrontements respectifs.
— Oh, mais regardez !
Quel coucher de soleil magnifique !
Satoko pointait du doigt en direction du soleil rouge, énorme, bas à l'horizon, qui allongeait nos ombres sur la chaussée.
Le chant des cigales, doux et relaxant, acheva de nous rendre l'air du soir très agréable.