L'aspect le plus dangereux des syndromes liés à la culture réside dans leur propension à déclencher des délires d'interprétations.

Dans le cas de cette patiente, chaque fois qu'elle perçoit quelque chose de négatif, elle se persuade que cela est lié à “la malédiction”.

L'accumulation de ces fausses interprétations peuvent amener à une paraphrénie, puis à l'apparition de biais cognitifs, et la mener enfin à un délire paranoïaque.

J'ai aussi pu déceler chez cette patiente un très léger trouble psychique de la personnalité.

Il n'est, je pense, pas en mesure d'exercer une influence sur sa vie quotidienne, mais il n'en est pas moins présent.

Il arrive parfois à un individu sain d'avoir des délires primaires de perception dans son quotidien.

Mais cette perception est si étrange qu'il n'arrive pas à l'assimiler, et finit par l'ignorer et l'oublier.

Or, il existe des cas où l'individu, même s'il ne comprend pas ces perceptions, les garde soigneusement en mémoire.

C'est le cas des gens prédisposés aux troubles mentaux, et la patiente fait partie de cette catégorie.

Cher professeur émérite, je ne souhaite pas vous faire l'affront de vous expliquer les catégories qui définissent les délires primaires, mais laissez-moi en citer trois.

L'atmosphère délirante provoque sans raison un sentiment de danger et d'oppression,

le souvenir délirant provoque sans raison une illusion de grandeur, en donnant un but ou un motif grandiloquent,

et la perception délirante attribue sans raison à des perceptions cognitives usuelles un sens, une origine ou une finalité entièrement imaginé.

Dans le cas de cette patiente, les événements incompréhensibles se sont succédés,

jusqu'à ce que le syndrome lié à la culture finisse par provoquer un délire d'interprétation.

D'un seul coup, tous les événements que la patiente pensait inexplicables prirent un sens nouveau : celui de la “malédiction”.

Par ce biais, elle a développé des délires secondaires, que le Temps a renforcés.

(Je pense en particulier à son acarophobie paranoïaque.)

La plupart des patients atteints de “simple” paranoïa ont ceci en commun qu'ils n'ont pas d'altération de leur personnalité, et qu'ils se comportent -- à première vue -- tout à fait normalement.

Ils n'en ont pas conscience, et comme de plus ils sont à même de fournir une explication “logique” à leurs délires cognitifs,

il est très difficile pour une tierce personne d'intervenir et de les persuader qu'ils sont dans l'erreur.

De plus -- mais cela dépend en grande partie des délires cognitifs de chaque patient -- ils tendent à se créer un ennemi imaginaire à cause de leurs délires de persécutions, et leur schizophrénie les rend peu à peu asociaux, se tenant à l'écart des autres.

(Par extension, et même si le cas ne s'est encore jamais présenté au Japon, on peut tout à fait imaginer un groupe de personnes soudées autour d'une personnalité religieuse, dans une secte, qui seraient contaminées par sa schizophrénie, et qui, dans un pur mécanisme de défense, se mettraient à vivre ensemble, dans une communauté, à l'écart du reste des individus.)

Par chance, la patiente ne présente pas encore ce genre de symptômes graves.

Avec un traitement approprié, elle devrait pouvoir être rapidement soignée et se réintégrer dans la société.

Le père doit absolument comprendre que sa fille n'est pas un cas unique,

mais que sa situation particulière est venue d'une accumulation de petits riens qui auraient pu arriver à n'importe qui.

Faites-lui surtout comprendre que seuls les liens avec sa fille pourront la mener sur la voie de la guérison -- il ne doit surtout pas l'abandonner à elle-même.

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, nous lui conseillons de repartir dans leur village d'origine, tout en continuant à consulter régulièrement un psychiatre, qui seul pourra constater l'évolution de la patiente dans le bon sens.

Je m'excuse encore pour la longueur de toutes ces explications, mais elles me semblaient nécessaires.

Merci de m'avoir lu jusqu'au bout.