À l'éminent dirigeant de la Clinique Mentale Kuroda

Suite à ma dernière lettre, je reprends contact avec vous.

Laissez-moi vous dire tout de suite ce que j'en pense : nous avons ici un cas de troubles physiologiques aigus dus au stress occasionné par une blessure psychique profonde.

Le divorce précipité des parents a forcé la patiente à faire un choix entre ses deux parents et a très certainement occasionné un stress trop important pour son organisme.

À cela s'ajoute le fait que la patiente pense avoir une grande part de responsabilité dans le divorce de ses parents, ce qui la pousse à retourner son agressivité contre elle-même, pour se punir.

Le plus grand choc psychologique subi par la patiente vient de la perte de la cellule familiale, qui était pour elle un endroit qu'elle pensait sûr, gage de stabilité et de confiance. Le divorce a détruit tous les repères dans son esprit.

Elle aura sûrement un attachement extrême à son futur cadre de vie, qu'elle protègera par tous les moyens.

(Par exemple, elle ne supportera pas l'idée que son père puisse fréquenter une personne du sexe opposé.

Elle pourra aussi éviter voire refuser d'inviter les gens chez elle, par exemple en se comportant bizarrement.

On peut citer le cas de patients accumulant les déchets ou les vieilleries chez eux

pour décourager les visiteurs.)

Le plus important désormais, ce sont les relations et la communication entre la patiente et le parent avec lequel elle a choisi de vivre -- son père.

Le père doit faire attention à être toujours proche de la patiente, pour tisser des liens familiaux plus forts et ainsi apaiser la peur et la crainte liées à la perte de l'ancienne cellule familiale.

Dans le cas présent, il s'agit d'une crise aiguë, ce qui offre la possibilité d'un retour plutôt rapide à la normale. Si le père joue le jeu, la crise pourrait s'estomper dans les trois mois et disparaître même, sous réserve de l'administration d'un traitement médicamenteux approprié.

Pour autant, même si les signes devaient s'estomper, il ne faut pas oublier les cas -- pas fréquents, mais tout sauf rares -- de rechutes, qui peuvent survenir plus de 10 ans après le choc traumatique initial.

Le père de la patiente est encore jeune, il y a de fortes chances pour qu'il veuille fonder une autre famille.

Mais la patiente pourrait faire une rechute à la vue de la nouvelle partenaire, en apprenant ou en devinant la possibilité bien réelle d'un remariage, ce qui pourrait l'amener à des actes irréfléchis.

Veuillez surtout bien expliquer ce point de détail au père, de façon à lui faire comprendre comment pense la patiente. Cela ne peut être qu'utile à sa bonne guérison.

Si le père devait effectivement décider de se remarier, nous l'enjoignons à n'officialiser ses nouvelles épousailles que lorsque la patiente aura commencé à vivre seule et quitté la cellule familiale.

Ce cas présente encore une particularité ; la patiente voit des parasites et se blesse à cause d'un comportement acarophobe, mais celui-ci est vraisemblablement dû à syndrome lié à sa culture.

La patiente est persuadée d'être maudite pour s'être éloignée de son lieu de naissance -- elle pense aussi que c'est cette malédiction qui a provoqué le divorce de ses parents.

Il s'agit là très certainement d'un mécanisme involontaire de défense psychique pour imputer une part de ses propres responsabilités sur cette malédiction et ainsi amoindrir sa souffrance psychologique.

Le problème vient du fait que les us et coutumes du village d'origine de la patiente sont très stricts et renferment le village sur lui-même.

D'après les dires de la patiente, elle ne pourra échapper à cette malédiction que si elle rentre au village ; de plus, tant qu'elle ne rentrera pas au village, cette malédiction continuera d'affecter son quotidien.

Cela peut indiquer un trouble de la personnalité et préfigure d'une propension à déformer la réalité des faits à son avantage.

(Le trouble de la personnalité étant ici défini comme une répression de la personnalité propre pour permettre au cerveau de modifier, d'embellir ou d'inventer une réalité plus flatteuse.)

L'exemple le plus probant qui me pousse à ce diagnostic vient justement du fait que la patiente imagine que son sang est peuplé d'acariens, ce qui la pousse à s'infliger blessure sur blessure.

Le fait que l'imaginaire de la patiente soit intimement lié aux actes violents qu'elle s'inflige prouve qu'elle se trouve dans un état mental extrêmement dangereux.

Si le père de la patiente en a les moyens financiers, veuillez lui recommander instamment de réemménager dans ce village.

Sinon, qu'il tente de faire vivre son enfant chez des proches qui habiteraient dans ce village.

Je désire en outre porter à votre attention le fait que si les croyances de ce village sont capables d'occasionner de pareils troubles chez les habitants, alors cette patiente ne serait pas la seule concernée par ces symptômes.

Il est fort probable que les centres médicaux les plus proches de ce village aient accumulés de nombreux documents sur les syndromes liés à la culture.

Le moyen le plus probant de parvenir à soigner la patiente serait d'obtenir ces documents et d'en prendre connaissance.

*Cette feuille de papier B5 était incluse dans une pile de blocs-notes universitaires.

Sur la partie blanche au-dessus des lignes, il y avait ces inscriptions :

chop-suey x1, nouilles sautées mixture Shanghaï x3, riz sauté (XL) x1