Dans un grand restaurant de cuisine traditionnelle quelque part dans Shishibone, une table somptueuse était dressée.

Une voiture noire d'un lustre parfait s'arrêta juste devant les portes, et quatre policiers en descendirent, l'inspecteur Ôishi en tête.

Pour les accueillir, il y avait là de nombreux hommes en noir de la pègre, appartenant à la famille Sonozaki.

La scène était un peu surréelle.

Ôishi

— Je suis très honoré par cette invitation.

Je sais que nous sommes en retard, et je tiens à m'en excuser.

Kasai

— Messieurs, laissez-moi vous conduire à vos places.

Si vous voulez bien me suivre...

À l'entrée, un écriteau signalait que le restaurant était entièrement réservé.

Les policiers furent invités à l'intérieur.

Après avoir traversé un jardin japonais un peu m'as-tu-vu, ils arrivèrent dans un vestibule traditionnel à la finition parfaite.

À l'entrée, une femme en kimono traditionnel et Kasai attendaient.

En voyant arriver les policiers, ils se turent, puis s'inclinèrent très bas pour les saluer.

La femme en kimono était la mère de Mion : Akane Sonozaki.

Ôishi

— Bonjour, bonjour, Madame la directrice.

Merci pour l'invitation, ça fait plaisir.

Akane

— ... Laissez-moi vous souhaiter la bienvenue dans mon modeste établissement.

Je vous remercie d'avoir fait tout ce chemin alors que vous étiez sûrement très occupé ailleurs.

Ôishi

— Allons, allons ! Je suis venu me régaler, c'est tout !

Votre “Auberge de l'eau pure” est connue et réputée pour ses peaux de tofu.

Héhhéhhéhhé !

Je suis curieux d'y goûter !

Kasai

— ... ...

Ôishi

— Aah, bonjour Kasai, ça faisait un bail, dis voir ?

Ouh là, oui, ça fait vraiment très longtemps que je ne t'avais plus vu.

Kasai

— Oui, c'est vrai. Je m'excuse de ne pas avoir gardé le contact...

Ôishi

— Bah, c'est rien. On dirait que cette fois-ci, c'est un peu la guerre entre nous, mais nous sommes adultes, n'est-ce pas ? Nous trouverons bien un terrain d'entente, personne ne voudrait avoir trop de pertes inutiles de son côté...

Ôishi

Même si je t'avouerai que nous sommes prêts à en découdre s'il le faut !

Kasai

— Non, ceci n'est pas dans nos intentions.

Ôishi

— Héhhéhhéhhé !

Je vais te dire, moi non plus j'aimerais pas le faire.

Ôishi

Mais bon, tu connais ta réputation. “Quand Kasai se montre, il pleut du sang”.

Je suis pas loin de la retraite, moi, j'ai passé l'âge. Je veux pas être mêlé à ces conneries.

Selon toute vraisemblance, c'était une réunion entre deux factions ennemies qui avait lieu ici.

Et vu la façon de parler des intéressés, les tractations promettaient d'être houleuses.

Akane

— Bien ! Laissez-moi vous conduire dans la salle principale.

Si vous voulez bien me suivre...

Ôishi

— Vous nous faites trop d'honneur, Madame. Ce rôle ne sied pas à votre rang d'hôte.

Akane

— ... Justement, à ce propos.

J'ai envoyé les invitations à mon nom, mais en fait, l'hôte de cette présente soirée est le clan principal.

Je m'excuse de ne pas vous en avoir fait part auparavant, mais j'avais mes raisons.

Ôishi

— Le clan principal, dites-vous ?

Euh, ça vous dérange si nous repartons pour mettre nos gilets pare-balles ?

Ôishi

Héhhéhhéhhé !

Lorsque les portes coulissantes s'ouvrirent, la salle révéla une rangée de coussins luxueux. À la place de l'hôte, Mion Sonozaki attendait.

Étant mineure, son uniforme de cérémonie était celui de son école.

Pourtant, ainsi placée entre les hommes en noir de la pègre et les membres de la Police, sa présence détonnait fortement.

Ôishi

— Tiens donc, mais c'est l'héritière ?

Merci à vous de nous avoir invités, Mademoiselle.

Mion

— Et merci à vous d'avoir accepté mon invitation.

Je vous en prie, asseyez-vous.

Mion ne semblait nullement impressionnée par l'inspecteur. Malgré son jeune âge, elle le traita sans hésitation aucune. Elle connaissait parfaitement le protocole.

Mion jeta un regard à Kasai, qui toqua alors sur l'une des portes coulissantes du côté.

Celles-ci s'ouvrirent et les employés du restaurant apportèrent de quoi boire.

Kumadani

— ... Chef... Qu'est-ce que vous croyez qu'ils veulent faire ?

Ôishi

— Alors ça, va savoir, Nounours.

Ce n'est pas grave, laissons-nous amadouer.

Et puis, leurs peaux de tofu sont vraiment célèbres, je te jure !

Pendant quelques instants, l'atmosphère fut tendue, électrique, explosive, presque.

Puis, enfin, les préparatifs furent terminés, et les employés se retirèrent discrètement. D'un geste de la main, Akane renvoya tous les hommes en noir. Ne restèrent dans la pièce que Mion, sa mère, Kasai, et les quatre policiers.

Ôishi

— Bien.

Alors, de quoi voulez-vous nous parler ?

Akane acquiesça pour prendre la parole.

Akane

— J'espère par la présente invitation créer un lieu de discussion où nous pourrions tirer au clair les méprises entre nous.

Ôishi

— ... Ah oui, les méprises, vous dites ? À quoi pensez-vous donc ?

Akane

— Je pense que tout est arrivé de manière très banale. Kasai, ici présent, a cherché à entrer en contact privé avec Rena Ryûgû.

Akane

Ceci est donc un problème personnel, que seuls Tatsuyoshi Kasai et Rena Ryûgû peuvent régler.

Akane

La famille des Sonozaki n'est en aucun cas concernée par cette histoire.

Ôishi

— Héhhéhhéhhé !

Et pourquoi donc un contact privé ?

Quels peuvent donc être les points d'accroche entre une jeune fille non-mafieuse et un baron de la pègre ?

Akane

— Kasai.

Kasai

— À vos ordres.

Permettez-moi donc de vous expliquer la situation.

Kasai raconta alors comment il avait rencontré Rena, complètement par hasard, dans un café d'Okinomiya.

Et comment celle-ci avait demandé à le voir pour lui restituer quelque chose à lui, qu'elle aurait trouvé et ramassé par terre.

Ôishi

— Cela me paraît bien difficile à croire.

Ôishi

Mais bon, admettons, elle a ramassé un objet vous appartenant.

Ôishi

C'est après que tout devient légèrement difficile à accepter.

Ôishi

J'ai entendu que vos jeunes avaient tous été envoyés à sa recherche.

Kasai

— Oui, effectivement, et ceci est entièrement de ma faute.

Kasai

Rena Ryûgû ne rentrant pas, malgré l'heure tardive, j'ai demandé expressément à nos hommes de vérifier si elle ne se trouvait pas quelque part en ville. Mes ordres ont été exécutés avec un peu trop de zèle, j'en ai bien peur, ce qui a conduit à ce malheureux quiproquo.

Ôishi

— Allons, allons, attendez un peu.

Vous ne m'avez pas invité ici pour me demander de croire à cette histoire, tout de même ?

Vous vous moquez de moi ?

Hmmm ?!

Le sourire hargneux de l'inspecteur rendit tout le monde nerveux. Il avait l'air beaucoup plus violent que les professionnels de la violence ici présents.

Kumadani intervint, riant nerveusement.

Kumadani

— Allons, allons, Chef, calmez-vous...

Les mafieux et les policiers fonctionnaient tous deux sur le même schéma : il y avait le méchant et le gentil pour le calmer.

L'inspecteur Ôishi eut un sourire un peu plus large, puis il se remit assis normalement.

Kumadani poursuivit alors pour lui.

Kumadani

— Mais donc, que voulez-vous dire par là ?

Kumadani

Que cette affaire ne concerne que Tatsuyoshi Kasai et qu'en conséquence, nous n'avons pas à intervenir ?

Kumadani

Cela me semble bien déraisonnable.

Kumadani

Rena Ryûgû doit être placée sous la protection de la Police.

Alors, Mion prit la parole.

Mion

— ... Dites-nous donc pourquoi la Police veut autant protéger Rena Ryûgû.

Ôishi

— Enfin, c'est évident !

C'est parce que vous la faites rechercher !

Ôishi n'avait pas attendu pour répondre.

Mion, loin de se laisser démonter, le regarda calmement.

Cela eut le don d'énerver l'inspecteur un peu plus.

Mion

— Pourquoi pensez-vous que nous lui voulons quelque chose ?

Ôishi

— Regardez un peu dans votre cœur et votre conscience !

Même si avec votre tour de poitrine, vous aurez de quoi faire !

Mion

— ... Inspecteur.

Mion

Nous sommes ici pour dissiper nos malentendus.

Mion

Bien sûr, vous pouvez faire le choix de ne pas prêter l'oreille à ce que nous avons à vous dire, c'est votre bon droit, mais je pense qu'il est dans votre intérêt de nous écouter.

Ôishi

— Ah oui ? Mais à quel malentendu au juste faites-vous référence ?

Mion

— Vous vous méprenez grandement sur la valeur des cahiers de recherche de madame Takano que possède Rena Ryûgû.

Le regard des policiers se fit aussitôt très sérieux.

Mion avait mis exactement le doigt dessus.

Mion

— Vous voulez placer Rena sous protection policière car elle possède des cahiers de recherche appartenant à Miyo Takano, n'est-ce pas ?

Ôishi

— ... ... ...

Ôishi lui rendit un regard terrible, mais son silence en disait long.

Akane

— Kasai.

Akane ne dit qu'un seul mot. Celui-ci se leva et partit dans le couloir.

Il revint presqu'aussitôt.

À la main, il tenait un attaché-case entièrement noir.

Les policiers se regardèrent. Il devait y avoir une jolie somme en pots-de-vin là-dedans.

Kasai ouvrit l'attaché-case et présenta son contenu aux hommes de l'État.

Ôishi

— ... Qu'est-ce que c'est que tout ça ?

Akane

— Voici la collection des cahiers de recherches de Miyo Takano.

Akane

Il en manque malheureusement quelques-un, très vraisemblablement ceux qu'elle a donnés à Rena Ryûgû de son vivant.

Akane

Je me suis dit qu'ils pourraient constituer un excellent amuse-gueules.

Ôishi

— ... Ça vous dérange si nous les feuilletons ?

Akane

— Non, je vous en prie, ils sont là pour ça.

Nous pourrons reprendre les discussions après que vous les avez lus.

Si vous voulez, nous pouvons même vous laisser seuls.

Ôishi

— Non, non, je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine.

Chacun des policiers sortit une paire de gants en plastique fin. Après les avoir mis, ils prirent chacun l'un de la douzaine de cahiers qu'il y avait là.

Akane

— Ces cahiers ont été découverts dans sa demeure, à Okinomiya, après sa mort.

Les policiers semblaient devenir fébriles en tournant les pages de ces cahiers très usés.

Ôishi

— ... ... Vous pouvez me certifier que ce sont les cahiers de Miyo Takano ?

Akane

— Oui, il n'y a aucun doute possible.

Kumadani

— Chef ! Si Rena Ryûgû a des cahiers de ce genre avec elle...

Akane

— Oui, il y a fort à parier que les cahiers en sa possession soient du même acabit.

Ôishi

— ... ...

L'inspecteur Ôishi avait les yeux ronds comme des soucoupes.

Il se mit à feuilleter le cahier de plus en plus vite, puis le referma d'un craquement sec.

Ôishi

— ... Est-ce que tous les cahiers contiennent le même genre de choses ?

Mion

— Oui, c'est le cas, en effet.

Mais je vous en prie, vérifiez donc tout votre saoul.

Les autres policiers aussi se mirent à tourner les pages très vite. Ils ne se donnaient plus la peine de lire précisément chaque passage.

Rapidement, tous les cahiers furent retournés dans tous les sens.

Kumadani

— ... Chef.

C'est n'importe quoi.

Ce ne sont que des romans avec des histoires surnaturelles. Et pas des très bons, en plus.

Lisez-voir ça, “le monde des morts s'est mélangé au monde des vivants”.

Kumadani

On ne peut pas présenter ça comme pièce à conviction, voyons !

Ôishi

— ... Non, il a raison.

“Le monde des morts”, hein ?

Chez moi, elle dit que c'est le royaume d'Asgharta...

Celui la, c'est une arme secrète du IIIème Reich.

Ici, ça parle des trésors perdus du continent de Mu...

Et là, une histoire avec Ossie, le monstre du Loch Onigafuchi.

Mion

— Je pense pouvoir affirmer que les cahiers que Rena Ryûgû a en sa possession contiennent “la théorie du parasite”. Je suppose que vous la connaissez aussi ?

Ôishi

— ... …

Les policiers restèrent un moment hébétés, découragés par la tournure des événements.

Ils regardèrent l'inspecteur Ôishi.

Ils avaient tous pensé que cette histoire de terrorisme, c'était du n'importe quoi, qu'il avait exagéré et forcé le trait.

Mais Ôishi avait juré qu'il pouvait obtenir des preuves, il avait foncé dans le tas.

Effectivement, parmi les cahiers ici présents, il manquait la théorie du parasite, mais ce n'était en gros qu'une redite de ce qu'il y avait déjà dans ces autres cahiers.

Ce qui voulait dire...

que c'était du niveau d'un très mauvais scénario de science-fiction...

Ôishi

— ... ... Hmmm...

L'inspecteur Ôishi semblait avoir du mal à regarder la réalité en face.

Pourtant, un simple regard sur la situation dégageait des évidences claires.

Miyo Takano n'avait été qu'une femme passionnée par les histoires occultes et les phénomènes surnaturels. Elle avait simplement utilisé son imagination pour écrire des théories fumeuses sur les légendes du passé.

Et Rena Ryûgû l'avait prise au sérieux. Et en retour, l'inspecteur avait pris Rena au sérieux.

Le policier le plus éloigné dans la hiérarchie se mit à rire en lisant un passage, tellement celui-ci lui semblait abscons.

Mais il cessa bien vite de rire lorsqu'il vit le regard que lui décochait l'inspecteur.

La raison qui avait poussé Ôishi à croire en la véracité du contenu des cahiers était le fait que Rena Ryûgû était poursuivie par la pègre, justement parce qu'elle était entrée en leur possession.

De plus, la personne ayant écrit ces cahiers avait été assassinée !

Ces deux éléments avaient donné un cachet de crédibilité à ces histoires de série B.

L'inspecteur commençait à paniquer.

Il devait bien le reconnaître.

Il était fébrile et attendait fiévreusement toute nouvelle information qui lui permettrait de résoudre les mystères des meurtres en série de Hinamizawa avant sa retraite.

Et là, de malheureux concours de circonstances lui avaient fait croire à une histoire démentielle.

Ôishi

— J'ai quelques questions à vous poser.

Pourquoi Miyo Takano ?

Mion

— Ni Miyo Takano, ni Jirô Tomitake ne sont morts par notre faute, inspecteur.

Ôishi

— Oh, je me doute bien.

Un menteur ne va pas avouer qu'il est un menteur.

Mion

— ... Allons, inspecteur, vous m'insultez.

Si nous nous étions occupés d'eux, vous pensez sincèrement que vous auriez retrouvé les corps ?

Mion eut un sourire arrogant.

Elle était allée un peu trop loin.

Peut-être pour la rappeler à l'ordre, ou peut-être réellement pour s'éclaircir la gorge, Akane Sonozaki eut une discrète quinte de toux. Mion cessa aussitôt de sourire.

Ôishi décocha un regard noir à la jeune héritière des Sonozaki.

Mais force était de reconnaître qu'elle n'avait pas tout à fait tort.

Ôishi

— ... Mais alors pourquoi en avez-vous après Rena Ryûgû ?

Mion

— Je vous assure depuis le début que nous n'avons rien à voir avec cette histoire.

Mion

Mais il est vrai, je l'admets, que les apparences ont pu jouer contre nous.

Mion

C'est pourquoi je vous prie d'accepter mes plus plates excuses.

Ôishi

— ... ... ...

Les deux raisons qui avaient poussé l'inspecteur à croire en Rena n'étaient plus.

Akane échangea un regard avec sa fille.

Celle-ci sembla lui donner le droit à la parole, au nom du clan.

Akane

— Veuillez instamment écouter notre requête, Inspecteur.

Akane

Il n'est pas dans notre intérêt de nous chamailler avec vos services au sujet d'histoires aussi ridicules que rocambolesques.

Akane

J'ai entendu dire que M. Sankai, de la répression anti-gang, était en train de préparer une action avec les renseignements.

Akane

Apparemment, il attend de trouver n'importe quelle excuse pour se lancer dans une vaste opération de contrôle contre nous.

C'était un plan que l'inspecteur Ôishi lui-même avait mis sur pied.

Partant du principe que l'histoire du parasite était bien réelle, il voulait découvrir où celui-ci était produit, et boucler le laboratoire pour apporter la preuve du plan d'attentat terroriste.

Mais comme il n'avait pas la moindre idée du local nécessaire à ce genre de trafic, il avait demandé aux renseignements et à la brigade anti-gangs de préparer une action de grande envergure.

En temps normal, ces deux organes ne bougent pas tant que des preuves concrètes n'ont pas été présentées.

D'ailleurs, les renseignements avaient clairement dit à l'inspecteur qu'ils doutaient de la véracité de ses informations, n'ayant eux-mêmes rien entendu ressemblant de près où de loin à cette histoire.

Mais Ôishi s'était servi de ses connexions pour forcer le passage.

L'inspecteur était maintenant en train de transpirer à très grosses gouttes. Il ne disait rien, mais quiconque le regardait savait qu'il était conscient de la situation catastrophique dans laquelle il s'était fourré.

Akane

— Nous vous avons causé beaucoup d'ennuis lors des affrontements du barrage, c'est tout à fait vrai, mais le temps passe, inexorablement. Nous serons bientôt en l'an 60 de l'ère Shôwa, une page va se tourner et appeler à de profonds changements.

Akane

Nous sommes pour notre part occupés à chercher une voie plus en accord avec la modernité -- même si nous restons fidèles à nos principes, qui sont de protéger les faibles et d'inquiéter les trop puissants.

Akane

Si nous devions souffrir d'une enquête publique trop poussée, nous perdrions la face, irrémédiablement.

Ôishi

— Mais j'en ai rien à secouer, de votre face, moi.

De toute façon, si l'on tapote un peu, on finira bien par trouver quelque chose à vous reprocher ?

J'ai bien l'intention de la mener, cette enquête.

Akane

— Oh, cherchez tout votre saoul, si cela vous chante.

Mais que ferez-vous si vous ne trouvez rien ? Vous n'êtes pas n'importe qui, Inspecteur, mais même vous risquez des sanctions disciplinaires.

Ôishi

— ... Mais c'est qu'elle me cherche, en plus ? Tu veux la guerre ?

Hein ?

Akane

— S'il n'y a que cela pour vous amuser,

je vous en prie, faites votre enquête.

Nous serons prêts à vous accueillir comme il se doit.

Ôishi

— ... Qu-... ...

Akane Sonozaki était vraiment très impressionnante.

Elle avait beau avoir été déchue de son titre d'héritière du clan, elle avait derrière elle l'expérience de nombreuses situations explosives -- sa réputation n'était pas usurpée.

Ôishi ne pouvait désormais plus reculer.

Il savait qu'il ne ferait pas le poids dans la bataille.

Kumadani, sentant le vent tourner, prit la parole pour calmer son supérieur.

Kumadani

— ... Quel avantage pourrions-nous bien tirer de l'abandon des poursuites ?

Ce fut Mion qui lui répondit.

Mion

— En signe d'amitié et de bonne volonté, je vous accorde les cahiers de recherches de Miyo Takano.

Mion

Avec ceux-ci, vous devriez pouvoir aisément prouver qu'elle a berné l'un de vos informateurs et ainsi éviter un blâme total.

Ces cahiers étaient la preuve irréfutable que Miyo Takano avait raconté des sornettes.

De plus, elle était morte.

On pouvait aisément tout lui coller sur le dos, puisque personne ne pouvait plus la poursuivre.

Oh, bien sûr, Ôishi n'en sortirait pas parfaitement blanchi, mais cela valait toujours nettement mieux que l'alternative.

... S'il voulait se rétracter et assurer ses arrières, c'était le meilleur moment.

L'inspecteur Ôishi jouissait d'une mauvaise réputation auprès de ses supérieurs.

S'il commettait une telle faute professionnelle si près de sa retraite, nombreux seraient les gratte-papiers à vouloir lui retirer une partie de son salaire.

Et comme le montant des derniers salaires déterminent le niveau de la retraite, eh bien...

Ses vieux jours risquaient d'être très chiches...

Kumadani

— ... Chef ?

Ôishi prit sa décision.

Il fit un sourire grimaçant, dépité et surpris de devoir, à son âge, reconnaître ses torts.

Ôishi

— ... Nounours, je te laisse régler les détails.

Je crois que j'ai un peu trop bu.

Je vais aller prendre l'air.

Ôishi

Si vous voulez bien m'excuser...

L'inspecteur se leva rapidement, et quitta le bâtiment d'un pas lourd mais pressé.

Kasai referma les portes laissées grandes ouvertes, et la salle fut replongée dans la quiétude.

Alors, Kumadani reprit la parole.

Kumadani

— J'ai bien entendu ce que vous aviez à dire.

De notre point de vue, il ne présente aucun intérêt non plus de raviver inutilement les tensions avec tous vos concurrents économiques, cela créerait bien trop d'incidents.

Kumadani

Dans l'intérêt général de la sécurité économique du district, je propose que pour une fois, le Clan Sonozaki fasse équipe avec nous.

Kumadani

En ce cas, nous serions prêts à abandonner l'idée d'une enquête systématique sur tous les membres de votre famille.

Mion

— Je vous en suis très reconnaissante.

En ma qualité de représentante légale d'Oryô Sonozaki, je tiens à vous prouver notre immense gratitude.

Kumadani

— Comme vous nous l'avez promis, nos services pourront donc disposer à leur guise de ces cahiers.

À ceci, j'ajoute deux conditions.

Mion

— Je vous écoute.

Kumadani

— Tout d'abord, dans l'éventualité où votre Clan mettrait la main sur les cahiers manquants, nous vous demandons de nous les faire parvenir dans les plus brefs délais.

Kumadani

Le deuxième point concerne Rena Ryûgû : si vous deviez la retrouver avant nous, je vous saurais gré de nous la présenter immédiatement.

Mion

— Le deuxième point ne me semble pas raisonnable, ni acceptable.

Mion

Rena Ryûgû est une enfant qui se berce d'illusions.

Mion

Si nous devions la trouver avant vos effectifs, nous la placerons dans une clinique pour qu'elle y reçoive un traitement médical adapté à sa condition.

Mion

C'est aussi son bon droit.

Kumadani

— Je ne peux malheureusement pas rejoindre votre avis sur ce point.

Rena Ryûgû doit être interrogée par nos services au sujet du meurtre de Miyo Takano,

non pas en tant que suspect,

mais en tant que témoin important.

Akane murmura quelque chose à l'oreille de sa fille.

Mion acquiesça, puis reprit.

Mion

— Fort bien.

J'accepte vos deux conditions.

J'ai toutefois moi-même une condition à y apporter :

Rena Ryûgû devra être assistée par l'un de nos avocats.

Il sera présent lors des interrogatoires.

Kumadani

— C'est entendu.

Kumadani

Je désire juste vérifier quelque chose :

Kumadani

si votre avocat devait délibérément temporiser et arguer de son manque de temps pour nous forcer à repousser les interrogatoires, nous nous passerons de sa présence.

Kumadani

Nous procéderons aux interrogatoires sans traîner.

Mion

— Cela ne nous pose aucun problème.

Par contre, veuillez avoir l'obligeance de nous prévenir immédiatement lorsque vous l'aurez retrouvée.

Kumadani

— Nous ferons tout notre possible pour vous prévenir dans les meilleurs délais.

Akane Sonozaki intervint.

Akane

— N'imaginez pas pouvoir nous prévenir après en avoir terminé avec l'interrogatoire.

Akane

Votre appel devra obligatoirement avoir lieu dès que vos services l'auront retrouvée.

Akane

... Ceci est un accord à l'amiable entre nous, il ne se base que sur la confiance que nous avons l'un en l'autre.

Akane

Je vous conjure de ne rien faire qui pourrait rompre cette confiance.

Kumadani

— ... Très bien.

Vous avez ma parole.

Je vous promets de tout mettre en œuvre pour maintenir nos engagements.

Akane et le jeune officier Kumadani se fixèrent du regard, l'étincelle belliqueuse dans le regard.

Kumadani était très calme et composé.

Toujours dans l'ombre de l'inspecteur Ôishi, il ne faisait que très rarement montre de son cran et de sa fermeté, mais il n'en manquait pas.

Si l'inspecteur Ôishi était plutôt du genre à intimider ses partenaires, Kumadani, lui, excellait dans l'art des négociations.

Tout étant dit et terminé, les policiers se levèrent. La tension put enfin retomber.

Kasai rangea les cahiers de recherche dans l'attaché-case, puis le tendit à l'officier Kumadani.

Celui-ci regarda Kasai droit dans les yeux, acquiesça et le prit en mains.

Akane

— C'est un produit italien, fait dans l'un des cuirs les plus luxueux.

Nous ne sommes pas à un attaché-case près, j'espère donc qu'il vous plaira.

Kumadani

— Non, Madame, nous étions d'accord pour récupérer les cahiers, et uniquement ceux-ci.

Kumadani

Je viendrai vous le rapporter dans quelques jours.

Kumadani

Sur ce, nous allons prendre congé.

Kumadani

Présentez mes respects à Madame votre mère Oryô.

Enfin, les policiers saluèrent tous Mion, puis partirent.

Après s'être assurée que les pas des policiers ne parvenaient plus à ses oreilles, Mion poussa un énorme soupir.

Elle lança ses jambes en avant et s'éventa les jambes avec sa jupe.

Mion

— Ouh la vache, j'ai mal aux épaules, du coup...

Mion

Tu aurais pu t'en charger toute seule, M'man...

Akane

— Ne dis pas de sottises, voyons.

Akane

Tu es plus haut placée dans le Clan, c'est à toi de nous représenter, l'âge n'a rien à voir là-dedans.

Akane

Kasai, fais-nous servir des bières.

Akane

Appelle les jeunes dehors, donne-leur de quoi se désaltérer.

Kasai

— Uniquement des bières ?

Akane

— Ah, non, bien sûr, pas pour elle.

Demande aussi une carafe de jus d'orange.

Mion

— Méééeuh, j'suis plus une gamine, rah !

Je suis plus haut placée, tu pourrais me traiter comme une adulte, non ?

Akane

— L'âge n'a rien à voir là-dedans, tu seras toujours une grande enfant.

Akane

Mais parlons d'autre chose.

Akane

Ton père se donne beaucoup de mal dans cette affaire,

Akane

alors pense à lui dire merci.

Akane

Et ça vaut pour toi aussi, Kasai.

Akane

Si tu dois rencontrer des non-mafieux, sois plus discret, pense à eux !

Kasai

— Je ne sais vraiment pas où me cacher.

Akane

— En tout cas, c'est un sacré morceau, cette Rena, pour réussir à embobiner Ôishi.

Akane

Tu as de sacrés bestiaux parmi tes amis, toi, dis voir ?

Akane

La prochaine fois, il faudra que tu me la présentes.

Akane

J'aimerais bien aller voir une pièce avec elle !

Akane

Kasai, si tu la vois, n'oublie pas de lui passer l'invitation !

Akane

Et ne t'avise pas de lui raconter des histoires pour lui faire peur !

Kasai

— Bien sûr, voyons.

Bon, normalement, avec ça, les cahiers de Takano devraient avoir moins d'influence sur les événements.

La situation devrait normalement ne pas pouvoir empirer.

Maintenant... Tout va dépendre de Rena, j'imagine.

Bon sang, Rena... Mais où est-ce que tu te caches ?!

Avant d'aller me coucher, je m'approchai de ma fenêtre pour tirer les rideaux.

Mes yeux tombèrent alors par inadvertance sur une silhouette humaine près de notre grille d'entrée.

... De la visite ? À cette heure-ci ?

Je n'eus pas à me demander qui cela pouvait être.

Je ne connaissais qu'un seul être humain qui pouvait vouloir faire ça.

J'ouvris la fenêtre et scrutai au dehors.

... Pas d'erreur possible.