Lors de la pause midi, le lendemain,

les élèves se racontaient chacun leurs propres rumeurs au sujet de la disparition de Rena.

Mes amies aussi s'inquiétaient pour elle, mais moi, je restais à l'écart.

Mion

— Je me demande où elle a bien pu passer.

Certains gamins disent qu'elle s'est fait enlever par les démons.

Rah, je te jure !

Satoko

— Mon cher, vous ne m'avez pas l'air dans votre forme olympienne habituelle ? Que vous arrive-t-il donc aujourd'hui ?

Rika

— ... Miaou...

Satoko et Rika remarquèrent mon attitude.

Keiichi

— ... Je... Hmmm...

Satoko

— ... ?

Suite à ma conversation avec Rena, je n'avais pas pu dormir de la nuit.

“Si tu me caches des choses, alors tu n'es plus mon ami.”

Cette phrase avait fait mal. Elle m'avait fait souffrir toute la nuit.

Keiichi

— Mion ?

Satoko, Rika, je...

J'ai quelque chose à vous dire.

Mion

— ... Ça a un rapport avec Rena ?

Keiichi

— Hmmm, non, pas vraiment en fait.

J'ai envie de vous parler de moi.

Elles sont mes amies, je dois leur en parler.

Mais si je le fais, les choses pourraient changer entre nous.

Elles me mépriseront, sans doute. Qu'est-ce que ça m'apporte de leur en parler ?

... Rien.

J'avais juste envie de crever l'abcès.

Satoko

— Nous parler de vous ?

Keiichi

— Ouais. C'est très sérieux.

Alors écoutez-moi, s'il-vous-plaît.

Rika

— ...

Keiichi

— C'est à propos de ce que j'étais et de ce que je faisais avant d'emménager ici.

À l'époque... la seule chose que je savais faire, c'était réviser mes leçons.

J'avais appris un nouveau jeu appelé “potasser” dans une école spécialisée, ce qui m'avait remonté ma moyenne à une vitesse fulgurante.

J'impressionnais tout le monde, alors j'ai continué à potasser, pour me sentir supérieur et prendre les autres élèves de haut.

Mes parents étaient contents de mes notes, mes professeurs me chouchoutaient.

C'était plutôt cool.

Et puis, du coup, ceux qui n'avaient pour eux que leur talent au sprint sur 50m, en natation ou à la balle au camp me paraissaient bien nuls. Rien que pour ça, je me donnais du mal pour potasser.

Et puis au bout d'un moment, je suis devenu l'un des meilleurs élèves de toute l'école.

Alors j'ai commencé à me dire que j'étais le meilleur ici.

Pendant la pause midi, je regardais les autres élèves jouer dehors, depuis une fenêtre, en me complaisant dans mon mépris pour eux.

Mais avec mes notes aussi hautes, les gens autour de moi se mirent à avoir des attentes.

Ils commencèrent à me mettre la pression, en considérant comme normal de tenter de me faire intégrer un lycée où la note la plus basse était les félicitations du jury.

Et bien sûr, je me prenais tellement pour un demi-dieu que j'étais d'accord. Je pensais n'avoir aucun mal à y entrer, cela tombait sous le sens.

Sauf que d'un seul coup, je me suis retrouvé à bûcher comme un malade -- comme d'habitude -- pour finalement avoir des notes normales par rapport aux autres.

Mes camarades de classe ne s'étonnaient plus de mes notes. Mes professeurs les trouvaient normales. Ils m'exhortaient même à faire mieux.

D'un seul coup, “potasser” devint rébarbatif.

À la base, moi, j'étais pas un bûcheur.

J'étais un gamin comme les autres, pas spécialement doué en sport, pas spécialement doué pour défoncer les tronches non plus. J'avais trouvé un moyen de me démarquer des autres et de leur en mettre plein la vue, alors je m'étais lancé à corps perdu là-dedans.

Si j'avais pu me sentir supérieur aux autres en apprenant à faire du monocycle ou à jongler, je l'aurais fait. Il se trouve que là, c'était les études.

Quand je m'en suis rendu compte, d'un seul coup, “potasser” devint particulièrement pénible.

C'est dur à croire, mais j'étais juste un connard prétentieux et m'as-tu-vu.

Si j'étais sûr de recevoir un compliment à la clef, alors je faisais tout -- mes devoirs d'été, bien sûr, mais même le ménage dans l'école.

Alors quand les gens ont cessé de me faire des compliments, je me suis rendu compte que ma vie était bien merdique.

Au début, pour me motiver, mes parents avaient décidé qu'ils me donneraient de l'argent de poche en fonction de ma moyenne. Du coup, j'ai assez vite eu beaucoup plus d'argent de poche que ce dont j'avais vraiment besoin.

Du coup, je ne sais pas si c'était un truc qui me bottait depuis longtemps ou si j'étais simplement à la recherche d'un truc violent pour me défouler, mais...

... un beau jour, je me suis acheté des pistolets à air comprimé.

C'était mignon comme tout, je m'entraînais à viser des cibles sur des morceaux de carton.

Ça m'aidait à déstresser.

Rien de bien répréhensible.

Et puis, rapidement, je me suis mis à vouloir faire un truc interdit.

Quand j'ai vu écrit en petit sur la boîte : “Ne jamais tirer sur une autre personne”,

la première chose que je me suis dite, c'est que je devais absolument essayer pour voir ce que ça faisait.

Pourquoi faire exprès un truc aussi dangereux ? Je sais pas trop.

J'étais jeune mais déjà un gros con, je suppose.

Mes parents m'avaient inscrit de force dans plusieurs écoles spéciales, pour me faire bûcher encore plus. Je leur en voulais beaucoup.

J'aurais pu simplement leur dire que ça ne m'amusait plus de potasser.

Mais je n'en avais pas le courage.

Alors au lieu de diriger ma rage contre eux, j'ai pris une voie plus facile mais moins glorieuse. Je me suis défoulé sur les plus petits que moi.

C'était vachement excitant de tirer sur des gamins.

Et puis, j'exultais de me dire que je faisais un truc aussi méchant sans me faire toper. C'était comme un vin enivrant.

Bien sûr, je ne visais pas spécialement des gens contre qui j'avais une dent.

Je ne tirais que si j'étais sûr de ne pas me faire voir.

Aussi, je n'avais pas expressément l'intention de faire mal aux gens.

Je tirais d'assez loin, une ou deux fois, satisfait si je touchais ma cible, c'est tout.

Mais parfois, mes tirs touchaient des endroits plus rembourrés, et mes cibles ne réagissaient pas du tout.

Et ça, ça ne me plaisait vraiment pas. Alors je leur tirais dessus encore et encore. Jusqu'à voir une réaction.

Et puis à force, j'ai pris l'habitude de canarder mes cibles.

J'étais un bon élève et je révisais beaucoup, c'était bien.

Alors j'estimais avoir le droit de faire quelque chose de mal pour contrebalancer tout ça.

C'était stupide et égoïste, mais cette raison me suffisait amplement à me justifier.

Je supportais le stress de mes études, alors j'avais le droit.

C'était normal de tirer sur ceux qui ne faisaient pas spécialement d'efforts.

Oui, je sais, c'est naïf, arrogant et sans-gêne.

Ça me dégoûte rien qu'à le raconter maintenant.

Si je m'avais devant les yeux, je me frapperais jusqu'à me péter toutes mes dents.

Enfin bref, ça a commencé à faire les manchettes de la presse locale.

Notre directeur nous a tous convoqués dans la cour pour nous faire un discours dessus. Caché dans la foule, je ricanais comme un idiot.

Dans le journal des parents d'élèves, il y eut des mises en garde. Puis finalement des gens furent placés pour accompagner ou protéger les enfants sur le chemin de l'école. Il y eut même un moment l'ordre de se déplacer toujours en groupe.

L'excitation de voir les proportions que ça prenait me rappela un peu ce que j'avais ressenti lors de l'ascension fulgurante de mes notes.

Alors, je suis devenu fou pour ce petit jeu.

Je n'imaginais pas me faire découvrir un jour, et je n'avais pas spécialement prévu de m'arrêter à un certain point.

Et puis, un beau jour.

Je suis tombé sur une fille dans une rue sombre.

Elle était vraiment jeune.

Je ne sais pas où elle allait, est-ce qu'elle partait jouer dehors ou faire des courses pour sa mère, peu importe.

Je m'en foutais.

Tout le monde lui avait dit de ne pas sortir toute seule.

Elle n'avait qu'à s'en prendre à elle-même.

Alors j'ai sorti mon arme...

et j'ai tiré.

Après quelques tirs dans le dos, elle s'est rendu compte du problème.

Alors, naturellement, elle s'est retournée.

Sauf que moi, à l'époque, je tirais toujours une vraie pluie de balle.

Alors en se retournant, elle a commencé à prendre des balles un peu partout.

La plupart des cibles couraient en pleurant et s'enfuyaient.

Mais elle, non. Elle fit quelque chose que je n'avais jamais vu avant.

Elle se roula par terre, en se tenant un œil et en hurlant comme une folle.

Quand je l'ai vue faire, j'ai compris instantanément.

La balle avait touché un œil.

Jusqu'à cet instant, je ne m'étais jamais posé la question de savoir ce qu'il se passerait si une balle qui pouvait traverser du carton comme du beurre atteignait un œil.

En tout cas,

en voyant sa réaction,

j'ai enfin réalisé que

ce que je faisais était horrible et dangereux.

Et puis, elle m'avait vue.

Je ne pouvais pas l'emmener à l'hôpital moi-même.

Ne sachant pas quoi faire, je l'ai laissée se rouler par terre, et je suis parti en courant.

Je me suis vraiment inquiété pour elle, pour son œil.

Ça m'a torturé toute la journée. Je n'ai pas mangé ce soir-là. Je n'ai pas dormi non plus.

J'ai pris en cachette un livre de médecine vulgarisée, comme les gens en ont souvent pour apprendre à soigner leurs blessures. Et j'ai regardé comment c'était fait, un œil.

J'ai recherché dans le texte quel type de blessures pouvaient conduire à la perte de la vue.

Même en imaginant que ma blessure ne la rendrait pas aveugle, mon crime n'allait pas disparaître comme par magie, mais bon...

Enfin bref, comme je disais, cette nuit-là, je n'ai pas dormi, j'avais de la fièvre. Beaucoup de fièvre.

Les premiers à m'avoir puni pour avoir commis un acte aussi odieux ne furent ni mes parents, ni mes professeurs, ni la Police. Ce fut moi-même.

Alors, à la frontière entre la nuit et le petit matin...

Je suis allé réveiller mes parents et je leur ai tout avoué.

Au départ, mes parents eurent l'air de tomber des nues, mais assez vite, ils firent le lien entre mes pistolets à air comprimé, mon comportement grincheux et les événements. Ils s'étaient doutés de quelque chose, apparemment.

Ma mère s'est mise à pleurer comme un veau, et mon père m'a flanqué une telle rouste que j'en avais le visage bouffi.

Mes parents m'ont habillé et nous sommes allés sans attendre au poste de police. Alors, je me suis dénoncé.

Satoko me regardait, bouche bée, parfaitement silencieuse, incrédule.

Elle avait tout à fait le droit de le faire.

J'avais fauté. Je ne devais pas imaginer ne pas avoir à en subir les conséquences.

Satoko

— ... Mon cher... Est-ce bien la vérité ?

Keiichi

— Oui.

Oui, je n'invente rien.

Je... Je m'excuse de vous l'avoir caché jusqu'à présent.

Mion

— ... ... Mais pourquoi nous raconter un truc pareil ?

Rika acquiesça. Elle ne comprenait pas non plus.

Mion

— Tu sais, je vais être franche avec toi...

Qu'est-ce qu'il t'arrive, p'tit gars ? J'te comprends pas.

Keiichi

— ... Ouais, ça, j'imagine...

Mion

— Non, tu comprends pas.

Je veux dire, t'avais pas besoin de nous le raconter. Alors pourquoi ?

Keiichi

— Ben...

Je veux dire... On est amis, alors je veux rien vous cacher, quoi.

Je vous considère comme mes amies.

Alors... Je peux plus garder ça pour moi, quoi.

Rika

— Keiichi, qu'attendez-vous de nous ? Qu'espériez-vous en nous racontant votre histoire ?

Keiichi

— ... Rien de spécial,

je...

Rika

— Si vous voulez le pardon, je suis désolée, mais je ne peux pas vous le donner.

La seule personne qui peut vous absoudre, c'est la fille que vous avez blessée.

Je ne peux rien pour vous.

Satoko

— Je surenchérirai par la même.

... Je veux bien vous reconnaître un certain courage et une certaine noblesse de cœur dans votre démarche, mais je dois vous avouer n'y voir pas la moindre utilité.

Keiichi

— ... Mais... C'est pas une question d'utilité ou pas.

Je peux pas cacher des trucs à mes amis, quand même ?

Les filles n'avaient pas l'air à l'aise.

Après tout, c'était une réaction normale. Et puis, je l'avais méritée.

Mion

— P'tit gars,

je peux te poser une question ?

Mion

Est-ce que c'est un crime de cacher des choses à ses amis ?

Keiichi

— Hein ?

Mion

— D'après toi, être ami avec quelqu'un, c'est ne rien lui cacher.

Mais moi, je trouve que ça le ferait pas.

Rika

— ... Moi non plus.

Satoko se contenta d'acquiescer son approbation.

Elles étaient toutes les trois contre moi.

Mion

— Si t'as pas envie de tout nous dire, ne le dis pas, c'est tout, où est le mal ?

Mion

Tout le monde a fait des choses dans sa vie qu'il ne veut pas forcément raconter à tout le monde. Parfois, il y a des choses tristes ou dures que l'on préfèrerait oublier.

Mion

Si je devais tout raconter aux gens avant de pouvoir les considérer comme mes amis, j'aurais jamais d'ami, moi !

Keiichi

— ... Ouais mais attends... Je veux dire...

Rika

— Keiichi.

Il y a une différence entre les choses que l'on n'a pas besoin de révéler et les choses qu'il faut absolument confesser.

Si vous voulez obtenir le pardon et le rachat de vos fautes, vous devez vous confesser.

Rika

Mais les fautes confessées que l'on vous a déjà pardonnées, vous n'avez plus besoin de les confesser à nouveau !

Satoko

— Exactement.

Vous êtes bien allé voir la Police avouer vos crimes et recevoir votre juste châtiment ?

Satoko

Eh bien, soit. Affaire classée.

Mion

— Tu t'es dénoncé à la Police et tu as été puni. C'est bon, c'est fini maintenant.

Mion

Bien sûr, c'est important de continuer à porter ta croix.

Souviens-toi toujours de ton crime, pour ne pas le commettre une deuxième fois.

Mion

Mais c'est à toi d'y veiller, pas à nous. Tu n'as pas besoin de nous embarquer là-dedans.

Satoko

— Elle a raison, vous savez ?

Tout le monde a vécu des choses embarrassantes dans son passé, et d'ailleurs, même moi, il est des choses que je préfère de loin tenir secrètes.

Rika

— ... Miaou.

Oui, Satoko a un sacré paquet de choses à son actif qu'elle devrait garder pour elle.

Satoko

— Mais enfin, ma chère, je ne suis pas la seule !

Vous non plus n'êtes pas innocente ! Et vous le savez très bien !

Rika

— Miaou, ahaha, miaaaaou☆!

Satoko et Rika se mirent à se chamailler.

Mion les regarda, puis se retourna à nouveau vers moi.

Mion

— Satoko vient de dire un truc vachement important.

Tu as compris quoi ?

Keiichi

— Elle aimerait garder des choses secrètes ?

Mion

— Non, mauvaise réponse, espèce de nullos !

C'est ce qu'elle a dit avant qui est important.

Mion

Tout le monde a vécu des choses embarrassantes dans son passé.

À moins d'être élevé dans une chambre stérilisée, l'homme doit apprendre à vivre en essayant des choses et en faisant des erreurs.

Mion

Et lorsque l'on fait la somme de tout ce que tu as fait de bien et de mal, si au final tu es quelqu'un de formidable, eh bien, c'est tout ce qui compte, non ?

Mion

Toutes les expériences sont bonnes à prendre, les bonnes comme les mauvaises.

Mion

On est tous logés à la même enseigne sur ce coup-là, pas que toi. Moi aussi. Satoko aussi, Rika aussi.

Je parie que c'est valable pour tout le monde.

Rika

— Par exemple, avant, Mii était le plus méchant chat de gouttière du village !

Miaou, miaaaaou☆!

Mion

— Héhéhéhé !

Ouais, bon, c'est pas ce dont je suis le plus fière dans la vie.

Tu sais, pour moi, tirer sur les gens avec un flingue, c'est du pipi de chat.

Mion

Moi, je jetais des tuiles à la tête des gens. Nan, sans déconner.

Mion

Je me suis retrouvée plus d'une fois au poste.

Pendant la guerre du barrage, j'étais une régulière en garde à vue.

Non mais sérieux, je déconne pas !

Rika

— Mais c'est du passé maintenant.

Alors elle n'a pas forcément besoin de tout vous raconter à vous, Keiichi.

Même si vous êtes son meilleur ami.

Keiichi

— ... Vraiment ?

Satoko

— Écoutez, mon cher, moi aussi, j'ai été poussée à faire des choix difficiles, et j'ai même fait des choses graves.

Mais je ne vous en parlerai jamais, car je sais que cela n'arrangerait pas les choses.

Mion

— Je veux dire, eh, si ça te fait du bien de parler, pas de souci, je t'écoute.

Mais je ne vois pas pourquoi tu serais obligé de le faire, au nom de notre amitié !

Mion

D'ailleurs, franchement, quand on est vraiment ami avec quelqu'un, on a la décence de savoir quels thèmes il vaut mieux ne pas aborder dans la conversation, non ?

Keiichi

— ... Hmmm, possible, mais...

Mion

— Si ça t'a fait du bien de te confesser,

alors ça marche et on oublie tout.

Nous n'avons aucune raison de te traiter différemment à la lumière de ce que nous avons appris aujourd'hui.

Rika

— Les choses que vous avez faites là où vous viviez avant ne regardent que vous. Elles n'ont aucun rapport avec celui que nous connaissons à Hinamizawa.

Rika

Vous êtes irremplaçable pour nous. Pour être honnête, je préfère ne jamais savoir qui vous étiez avant.

Satoko

— Je suis tout à fait d'accord avec notre chère Rika.

Satoko

Et à l'inverse, eussiez-vous été un parangon de vertu dans le passé, si vous étiez un goujat abject, vos bonnes actions d'antan n'auraient pour autant pas joué en votre faveur à mes yeux.

Mion

— Pour faire court, p'tit gars :

la croix que tu portes à cause de tes actions dans le passé, tu dois la garder pour toi.

Mion

Nous n'avons rien à dire dessus.

Mion

D'ailleurs, je me dis que si je voyais quelqu'un changer d'opinion sur toi simplement à cause d'une ou deux choses dans ton passé, je couperais les ponts avec lui. Ce genre d'attitude me débecquete !

Satoko

— Qu'importe le passé d'une personne, si elle est respectable à présent ? Je ne vois pas pourquoi elle devrait en avoir honte.

Satoko

Et si nous ne pouvions pas tenter de réparer nos erreurs du passé, à quoi bon nous servirait-il de vivre ?

Rika

— Satoko était une enfant gâtée-pourrie, avant.

Mais elle le regrette, et depuis, elle se donne du mal.

Rika

Je suis très fière de la connaître, et je l'admire.

Et je me moque pas mal de savoir comment elle était avant.

Satoko

— ... Écoutez ma chère, c'est très gênant...

Mion

— Et toi, p'tit gars ?

Mion

Maintenant que tu sais que je suis une habituée du poste de police, est-ce que ça change quelque chose ?

Mion

J'imagine que non. Alors, tu vois ?

Je suis qui je suis.

Mion

Je suis toujours celle qui tape des délires avec toi pendant la journée.

C'est ça, un ami.

Hein ?

Mais... Qu'est-ce qu'il se passe ?

Le visage de Mion se mit à se déformer.

Des larmes grosses comme des billes roulaient sur mes joues

pour dégoutter sur mon pupitre.

Mais...

Pourquoi ?

Pourquoi je pleure ?

Keiichi

— Écoute, je préfère te le dire tout de suite :

je ne sais rien à propos de Satoshi.

Vous m'avez tout le temps caché son existence.

Mion

— Caché, non, enfin on n'a pas vraiment essayé de...

Keiichi

— Vous m'avez caché ce qu'il s'est passé les dernières années, non?

Mion

— Mais on voulait pas que...

comment dire...

Keiichi

— Vous ne vouliez pas me faire peur ?

C'est pour ça que vous ne m'avez pas mis au parfum ? C'est pour ça que je suis le seul idiot à ne pas être au courant ?

Mion

— Mais c'était pas prévu comme ça, je...

Les larmes montèrent aux yeux d'une Mion clairement déroutée.

Elle avait été persuadée d'agir dans mon intérêt, et voilà que maintenant, je lui en faisais le reproche !

Elle ne m'avait rien dit parce que j'étais nouveau et qu'elle ne voulait pas me faire peur avec ces histoires.

C'était largement suffisant, non ?!

Keiichi

— Je t'ai demandé directement, à TOI, ce qu'il s'était passé au barrage.

Et tu m'as répondu quoi ? Qu'il ne s'était RIEN passé !!

Alors qu'il y a eu un meurtre avec démembrement !

Sale menteuse de merde !

Mion

— Oui, désolée, écoute, je...

je voulais pas te mentir, je...

Keiichi

— Les amis, on leur fait pas autant de secrets !

Non ?

Eh ben alors c'est facile, vous n'êtes plus mes amies !

AAAAH, mais qu'est-ce que je suis CON !

Comment est-ce que j'ai pu lui dire ça ?!

Comment ai-je pu lui parler d'amitié ?!

Et d'abord, c'était quoi, ma définition de l'amitié ?!

Elles s'étaient comportées comme de vraies amies.

Elles avaient pensé à moi, s'étaient fait du souci !

Elles avaient tout fait pour me permettre de m'habituer très vite au village !

Alors c'était quoi, mon problème ?

Qu'est-ce qui m'avait défrisé ?!

Mion

— ... Kei... Mais enfin... mais tu peux quand même pas...

Mion avait l'air désemparée.

Elle était au bord des larmes.

Je n'aurais jamais cru ça possible de sa part.

Pourquoi est-ce que je ressens sa douleur ? Pourquoi est-ce que je sais parfaitement qu'elle ne comprends pas ce qu'elle a fait pour mériter ça ?

Ou plutôt, pourquoi est-ce qu'à l'époque, je n'ai pas vu la tristesse, la douleur et l'incompréhension dans son regard ? Il était pourtant très parlant !

Comment est-ce que j'ai pu oser lui parler d'amitié ?!

C'est moi qui ne comprenais pas mes amis, c'est moi qui ne croyais pas en eux !

Comment ai-je pu oser venir la ramener sur le sujet ?!

Keiichi

— ... Ouais... J'étais une sous-merde !

Mion était normale, elle était ma meilleure amie !

Comment ai-je pu douter d'elle ?

Pourquoi ?!

Mion

— Kei n'est pas en super forme en ce moment, je trouve.

Rena

— Il vient de déménager, tu sais.

Rena

Je parie que c'est la fatigue et le stress accumulés qui le rattrapent.

Il a dû prendre froid.

Mion

— Hmmm, je vois.

Ben alors, on va lui refiler des vitamines !

Mémé fait des gâteaux de riz aujourd'hui.

Je vais en piquer quelques-uns, et on pourra lui rendre visite pour les lui donner.

Oryô

— Mion, veux-tu me laver tes sales pattes avant de toucher à tout !

Oh, bonjour Rena. Tu veux en faire ?

Rena

— Alors c'est comme ça que ça se fait, les gâteaux de riz ? Eh ben...

Rena

Euh, ça ne vous dérange pas si j'essaie d'en faire un ?

Voyons ça... Comme ça... et comme ça...

Mion

— Héhéhéhé !

Ah, mais bien sûr, j'ai une idée !

Rena

— Hmm ? Quoi, quoi, raconte, Mii !

Rena

Eh, c'est quoi dans ce flacon ?

Mion

— Il va s'ennuyer si nous ne lui apportons que des gâteaux sucrés !

Mion

Dans ma grande bonté, je vais lui en fourrer un au tabasco !

Mais bien sûr ! C'est évident, pourtant !

Elles sont venues me voir, m'apporter à manger, même ! Rien que pour me remonter le moral !

Pourquoi est-ce que j'ai eu peur d'elles ?

D'accord, Mion savait pour je-ne-sais-quelle raison que j'avais mangé à l'Angel Mort, mais c'était pas une raison pour avoir peur d'elle !

Rena

— Keiichi, tu as l'air tout pâle, qu'est-ce qu'il se passe ?

Tu devrais aller te coucher.

Mion

— Oui, tu as raison.

Rentrons.

Elles avaient simplement fait de l'humour pour me faire sourire.

Mais moi, je les avais prises au sérieux, alors...

Mion

— Allez, salut Kei.

Il était évident qu'elles ont voulu repartir plus tôt

pour me permettre de me reposer !

Qu'elles voulaient me voir en forme le lendemain, pour pouvoir jouer ensemble !

Mion

— ... Si demain tu ne viens pas à l'école, ça risque de ne pas me plaire. Capice ?

... D'ailleurs, est-ce que moi, j'ai déjà rendu visite à des amis malades ?

Jamais ! Pas une seule fois de toute ma vie !

J'étais bien trop beau pour me faire chier à aller exprès voir quelqu'un de malade !

Mais elles, elles n'ont pas rechigné !

En plus, à la rigueur, si c'est pour rendre visite à quelqu'un à l'hosto, pourquoi pas, mais pour un bête rhume ?

Et en plus, elles ont eu la gentillesse de me ramener des gâteaux faits à la main !

J'aurais dû leur dire merci, leur promettre d'arriver en grande forme à l'école le lendemain !

J'aurais dû leur donner une réponse claire, légère, enjouée !

Mais au lieu de ça, qu'est-ce que j'ai fait ?

J'ai fermé la porte à clef !

Je me suis dépéché de fermer la porte derrière elle, à clef, pour être sûr de les garder dehors !

Mais bon sang, de quoi j'avais peur ? De quoi ?

Comment est-ce que j'ai pu être ingrat envers elles à ce point ?!

Comment j'ai pu avoir peur des gâteaux ?

Je n'avais aucune raison !

Il ne pouvait pas y avoir d'aiguilles dedans !

D'ailleurs, il n'y avait pas d'aiguille dedans !

Sauf que je connaissais des histoires louches, dans je-ne-sais-quel film ou manga, où justement il y avait des lames de rasoir ou des aiguilles dans la nourriture...

Alors je me suis dit que ce serait salaud s'il y en avait dans les gâteaux...

et alors du coup...

eh ben... comme un con,

j'ai vraiment cru qu'il y avait quelque chose de louche dedans !

Tu es couillon de la lune, Keiichi Maebara !

Pourquoi tes amies devraient vouloir de mettre des aiguilles dans les gâteaux, hein ?

C'est du grand n'importe-quoi !

Allez, admettons !

Admettons que par un hasard extraordinaire, tu y aies trouvé une aiguille. ET ALORS ? Tu aurais dû te dire que c'était pas voulu, que c'était une erreur !

Et au lieu de ça, que s'est-il passé, hein ?

Vlatsch !

Fletsch !

Flousch !

J'ai jeté les gâteaux restants contre le mur, les uns après les autres, de toutes mes forces ! Ceux qu'elles avaient gentiment préparés pour moi !

Mais pourquoi ?

Pourquoi faire un truc aussi stupide ?!

Je les adorais, pourtant !

Depuis mon arrivée à Hinamizawa, pour la première fois de ma vie, je m'étais fait des amis !

Et pas des moindres, les meilleurs amis possibles et imaginables !

Le genre de ceux que tout le monde n'a pas forcément la chance de se faire dans la vie.

Alors comment est-ce que j'ai pu en arriver à en avoir peur ? À les soupçonner ?!

Mais elles... Elles se sont rendu compte que j'étais pas bien dans ma tête.

Elles ont appelé le Chef.

Elles pensaient que si je prenais un sédatif, tout finirait par aller mieux. C'est pour ça qu'elles m'ont gardé dans ma chambre.

Mion a voulu me faire une blague.

Elle ne peut pas s'en empêcher, c'est le seul moyen pour elle de transmettre ses émotions.

J'aurais dû le savoir, pourtant !

C'est pour ça qu'elle a fait ça. Elle savait qu'il allait m'ausculter, alors elle a voulu me faire la même chose qu'à M. Tomitake.

Elle a voulu m'écrire des conneries sur ma chemise !

Et alors...

Elle a sorti...

un feutre noir indélébile.

Un con de feutre noir indélébile.

Elle a prévu le coup, avant de me rendre visite.

Elle s'est dit qu'elle prendrait la honte si elle venait sans me charrier, alors elle a imaginé un gage et a pensé à prendre son feutre.

Juste pour m'écrire des encouragements, comme on le fait sur les plâtres !

Alors Rena m'a tenu sous les aisselles... et Mion s'est approchée... Elle a voulu écrire un truc...

Elle a dit...

Elle a dit ce qu'elle écrivait.

Pendant qu'elle écrivait sur ma chemise,

elle a dit à voix haute ce qu'elle était en train d'écrire !

Et je l'ai entendue.

Bien sûr que je l'ai entendue !

Je sais parfaitement ce qu'elle a dit !

Reviens-nous

très vite en forme☆!

Mion

Je l'ai entendue, pourtant ! Je l'ai entendue !

J'aurais dû tout de suite me rendre compte que c'était rien de dangereux !

Alors pourquoi ?

Pourquoi j'ai cru qu'elle avait une seringue dans les mains ?

Comment j'ai pu penser une seule seconde qu'elle allait me tuer ?!

C'est pas possible, c'était pas possible !

Pourquoi ? Pourquoi ? POURQUOI ?!

Comment j'ai pu mal comprendre la scène à ce point et imaginer qu'elle voulait attenter à ma vie ?!

Les bourdonnements cessèrent de résonner dans ma tête... et le sang se remit à circuler normalement dans mes veines.

Combien de temps suis-je donc resté prostré à terre ?

Quelques minutes ?

Quelques dizaines de minutes ?

Je regardai mon horloge au mur. J'avais l'impression que les aiguilles n'avaient pas bougé.

Il ne s'est écoulé qu'un ou deux instants ? Vraiment ?

L'air de ma chambre n'était plus aussi lourd et oppressant que tout à l'heure... Il y régnait maintenant un calme plutôt sinistre.

Rena n'était plus en train de me maintenir en place, et Mion n'était plus devant moi, prête à m'injecter un truc dangereux avec une seringue.

Ne me dites pas que... que tout ça... je l'ai rêvé ?

Je ne ressentais aucune présence dans la pièce, à part la mienne...

C'était la première fois qu'il m'arrivait un truc pareil.

Mais enfin... je suis sûr que... Mion et Rena...

Je commençai à douter de ma santé mentale, mais en même temps, je retrouvai un peu de mon calme.

Héh... Je savais bien que ça ne pouvait pas être vrai... C'était juste une hallucination.

Elles ne me feraient jamais ça...

Mes yeux se mirent à me brûler.

Je sentis une émotion forte me remonter des entrailles.

Mais pourquoi ?

Cela ne m'étonnait pas de me mettre à pleurer.

Ce que je ne comprenais pas...

C'était pourquoi je ressentais une telle tristesse.

De toutes les émotions possibles, pourquoi la tristesse ?

Je ne comprends pas.

Non, je ne comprends pas...

Ah ouais, tu ne comprends pas ?

TU TE FOUS DE MA GUEULE OU QUOI ?

Tu comprends PARFAITEMENT !

Mais bordel de merde, mais qu'est-ce que j'ai foutu ?

Pourquoi j'ai été aussi con ? Pourquoi est-ce que j'ai été un connard fini ?

Mion avait tenté de me remonter le moral, jusqu'au bout.

Je l'adorais, c'était ma meilleure amie, la meilleure d'entre tous !

Elle était un peu plus âgée que moi, mais elle ne s'en était jamais formalisée !

Elle avait été la toute première à me parler.

La toute première !

Cette même Mion gisait près de ma fenêtre, dans une position anormale.

Sa tête et le haut de son corps étaient couverts de sang brun.

Les éclaboussures rouges sur les murs alentours venaient sûrement d'elle. Parce que je l'avais frappée, encore et encore, et que je lui avais fracturé le crâne. Les taches rouges venaient de là.

Mais bon sang, comment ? Comment j'ai pu faire ça ?

Comment j'ai pu faire une chose aussi... aussi...

Keiichi

— Je... j'ai toujours cru... que vous étiez mes amies.

Et pourtant... comment avons-nous pu en arriver là ?

Je ne m'étais jamais amusé à l'école, là où j'habitais avant.

J'étais obnubilé par ma moyenne, et je ne parlais que de mes notes, je les comparais à celles qu'il me fallait obtenir pour accéder à l'école de mon choix, je regardais quelles étaient les écoles auxquelles j'aurais accès en cas de plantage aux examens, etc, etc, etc...

Ç'avait été une vie triste et monotone.

Mes amis, c'étaient les autres élèves de la classe qui faisaient de leur mieux pour avoir de meilleures notes que moi, toujours rivaux, toujours dans l'adversité.

C'est grâce à vous que j'ai pu comprendre que ce genre de vie n'était franchement pas enviable.

Le mois que je viens de passer avec vous fut merveilleux.

Nous nous sommes amusés comme des fous pendant les repas, et après les cours aussi, et pendant la fête du village, aussi...

Je sentis quelque chose de chaud sur mon visage.

À ma grande honte, je me rendis compte que je pleurais.

Je ne devrais pas pleurer, elles ont essayé de me tuer !

Mais je ne pouvais pas endiguer les rivières qui coulaient sur mes joues.

Elles ont attenté à ma vie, mais je m'en fous.

Elles ont bien failli me tuer, mais je m'en fous.

Les souvenirs du mois que nous avons passé ensemble... resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Est-ce que ces jours heureux n'étaient qu'une gigantesque farce ?

Est-ce que leur gentillesse était un piège soigneusement préparé, pour mieux me tromper, depuis le premier jour ?

Est-ce j'étais le seul à m'être fait des films et à m'imaginer que nous étions amis ?

Non... Non, ce n'est pas possible !

Rena et Mion... étaient mes amies !

Je ne laisserai rien ni personne ternir l'éclat des souvenirs de nos jours heureux !

Je suis certain qu'elles ont été forcées à faire ça.

Ou bien alors... elles ont été possédées par un être supérieur, par la déesse Yashiro, qui les a poussées à m'attaquer !

Elles étaient mes deux meilleures amies !

Je suis sûr qu'elles ne m'ont pas attaqué par plaisir !

Espèce de COUILLON !

Couillon de la lune, va !

Connard !

Trou du cul !

Comment tu peux oser raconter des conneries pareilles ?!

Comment tu peux oser dire de telles affabulations ?! Tu viens de les tuer !

C'étaient tes meilleures amies, quand même, non ?

Alors pourquoi tu ne leur as pas fait confiance ?

Pourquoi tu ne les as pas écoutées ?

Comment peux-tu oser monter sur tes grands chevaux après ce que tu leur as fait ?

Comme si tu n'avais rien fait de mal !

T'avais l'impression que tout le monde à part toi était devenu fou ?

C'est le contraire, espèce de triple andouille !

C'était toi qui étais devenu complètement taré !

Toi et toi seul !

Mion

— Euh... Kei ?

Keiichi

— Je...

Je...

Comment j'ai pu te faire ça…

Comment j'ai pu faire ça ?... Ahhhhh…

Mion était devant moi, bien vivante.

Les souvenirs dans ma tête où je l'avais tuée à coups de batte de base-ball ne pouvaient pas provenir de ma vie actuelle. Ils devaient venir d'une autre vie, d'un univers parallèle.

Mais dans cet univers parallèle, j'avais tué Mion.

Et en plus, je n'avais eu aucunement conscience de mon crime.

J'avais même eu la certitude qu'elle l'avait bien cherché !

Satoko

— Eh bien... Mais que se passe-t-il, enfin ?

Mion

— Je sais pas !

P'tit gars, calme-toi !

Eh, ça va, je suis vivante !

Mion

Vas-y, quoi, comme si t'avais le niveau requis pour tenter quelque chose contre moi !

Mion

N'est-ce pas, les filles ?

Satoko

— Tout à fait, très chère !

Mon pauvre Keiichi, nous ne sommes point aussi lentes et indolentes que vous ne semblez le penser !

Keiichi

— Non... Vous comprenez pas... Vous comprenez pas !

Mion et Satoko ne savaient vraiment pas quoi faire, clairement déroutées en me voyant pleurer.

Mais je ne pouvais pas m'en empêcher.

Je venais d'apprendre que le pardon s'obtenait en avouant sa faute aux principaux concernés.

Mais Mion ne pouvait pas me pardonner cette faute-là.

Je pouvais pleurer et me repentir autant que faire se pouvait “dans ce monde-ci”,

personne ne pourrait m'absoudre de mes péchés.

La maîtresse entra alors dans la classe et me remarqua.

Ce n'était pas commun de voir un grand garçon pleurer comme ça.

Elle me demanda ce qu'il s'était passé, mais je ne l'écoutais pas.

Mion et Satoko semblaient elles aussi bien en peine d'expliquer la situation.

Rika s'approcha alors de moi, jusqu'à ce que nos têtes soient toutes proches l'une de l'autre.

Rika

— ... Keiichi... Vous vous en souvenez ?

... Vous vous souvenez

avoir tué Mii et Rena ?

Keiichi

— Ouais !

Keiichi

Je les ai tuées !

Keiichi

Je les ai tuées !

Keiichi

Et pourtant, j'ai rien regretté, j'ai même été persuadé d'être la victime dans l'histoire !

Keiichi

Et jusqu'à mon dernier souffle, j'ai maudit mes amies...

Keiichi

Il y avait du sang partout... Partout...

Keiichi

Et en fin de compte, je suis mort tout seul, comme un idiot...

À me gratter la gorge comme un malade, dans la cabine téléphonique.

Et puis j'ai fini par mourir,

sans m'être rendu compte de ce que j'avais fait.

Rika

— ... Keiichi.

... Avez-vous pris conscience...

de vos péchés ?

Keiichi

— Oui.

Keiichi

Je sais, c'est un peu tard, mais je m'en suis rendu compte, je m'en suis souvenu !

Keiichi

C'était pas ici, c'était dans un autre monde, mais ça ressemblait beaucoup !

Keiichi

J'avais des soupçons sur mes amies, et je les ai tuées !

Keiichi

Et pourtant, vous avez essayé de dialoguer avec moi, de me rassurer !

Pourquoi est-ce que je ne vous ai pas écoutées ?

Pourquoi ?! POURQUOI ?

Ahhhhhhhhh !!

Je me moquais désormais bien du regard des autres.

Les larmes coulaient, encore et encore.

J'aurais voulu transformer mes crimes en larmes et les pleurer entièrement.

Mais évidemment, ce n'était pas possible.

Mes larmes n'étaient que les regrets amers d'avoir commis l'irréparable.

Alors,

je sentis une main sur ma tête.

Ouvrant les yeux, je vis Rika me caresser lentement la tête.

Je ne lui avais pourtant pas demandé de me consoler ?

Et d'ailleurs, elle ne pouvait pas me consoler, même si elle l'avait voulu.

Et pourtant, Rika prit la parole.

Et curieusement, ce n'était pas pour me consoler.

Rika

— ... Keiichi.

Veuillez recevoir mon absolution.

Keiichi

— ... Hein ?

Rika

— Keiichi, vous vous êtes rendu compte tout seul de vos crimes.

Rika

Pour vous parler honnêtement, c'est quelque chose de formidable. Quelque chose que j'ai toujours cru impossible.

Rika

Mais malheureusement, personne ici ne peut se rendre compte à quel point ce que vous venez de faire est fantastique.

Rika

Personne, à part moi.

Rika

Alors, je suis aussi la seule en mesure de vous permettre à vous repentir et à expier vos fautes. C'est pourquoi je vous pardonne.

Keiichi

— ... Rika ?

Rika

— ... Moi seule sait que ceci est un miracle.

Rika

Ce que vous venez de faire est normalement parfaitement impossible.

Rika

Personne ne peut normalement se rendre compte des crimes commis par ses alter-ego.

Rika

Et pourtant, vous l'avez fait.

Rika

C'est un miracle qui éclipse en magnitude tout ce que j'ai connu jusqu'à présent.

Je ne comprenais strictement rien à ce que Rika racontait.

Mais une chose était cependant claire : Rika semblait comprendre d'où venaient mes impossibles souvenirs.

Rika

— ... Normalement,

vous devriez être le plus à-même parmi nous de comprendre

ce qu'il arrive à Rena en ce moment, n'est-ce pas ?

Keiichi

— Ouais... Je comprends.

Ouais, elle est comme moi à l'époque !

Elle a envie de nous croire,

mais elle ne peut pas !

Keiichi

Elle devient complètement folle, mais elle ne s'en rend pas compte, elle a l'impression que c'est le monde entier qui est devenu fou autour d'elle !

Keiichi

Je ne sais pas comment je pourrais la sauver.

Keiichi

Je ne vois aucune solution !

Keiichi

Moi, personne n'a réussi à me sauver.

Keiichi

Je n'ai rien remarqué, jusqu'à ma mort !

Keiichi

D'ailleurs, même après ma mort, je n'ai rien remarqué !

Keiichi

Alors je ne sais pas comment je ferais pour réveiller Rena de ce cauchemar.

Keiichi

Je ne pourrai pas la sauver !... Je ne pourrai pas la sauver !...

Keiichi

Je suis passé par là, je sais comment ça se passe,

et je sais qu'on ne pourra pas la sauver !

Allons, Keiichi, calme-toi.

Oui, dans ton cas, rien n'a eu d'effet.

Mais ça ne veut pas dire que Rena ne peut plus être sauvée !

Ce n'est pas parce que la possibilité est infime qu'il ne faut pas essayer.

... Comment est-ce que Rena a réagi, elle ?

Tu te souviens ? Elle t'a accueillie ! Elle s'est dressée de tout son corps pour te protéger !

Dans l'autre monde, dans ta chambre, tu l'as frappée, encore et encore.

Mais elle souriait. Rena souriait.

Elle savait que j'avais peur, alors elle souriait, pour me rassurer.

Et malgré les coups, malgré ses bras sûrement cassés et le sang qui lui coulait de ses blessures à la tête...

... Oui...

Même tout à la fin,

elle ne se protégeait pas.

Elle avait...

les bras tendus

vers moi.

Comme si elle essayait de me prendre dans ses bras...

Mais je ne l'ai pas crue.

Alors j'ai levé ma batte bien haut.

Et là, Rena a parlé.

« N'aie pas peur, tout va bien... »

Rena

— Allez, Keiichi.

Fais-moi confiance.

NooooooOOOOOOOON !

Rena était mon amie, merde !

Je devais lui faire confiance !

Pourquoi n'ai-je pas pu la croire ? Pourquoi je me suis mis à l'attaquer ?!

Elle était en danger de mort ! D'ailleurs, j'ai fini par la tuer !

Mais elle ne s'est pas protégée ! Elle m'a tendu les bras !

Jusqu'à l'instant fatidique de sa mort, Rena n'eut de cesse de répéter la même chose, comme une litanie sans fin.

« Fais-moi confiance.

J't'en supplie !

Keiichi...

Fais-moi confiance... »

Elle a mis sa vie en danger pour me sauver, pour me sortir de mon mauvais rêve !

Elle n'a pas baissé les bras, jamais, à un seul instant ! Jusqu'à son dernier souffle...

Et moi, comme le connard que je suis, je n'ai pas écouté ce qu'elle disait, et jusqu'à maintenant, j'étais persuadé d'être le gentil dans l'histoire !

Keiichi

— ... Merci, Rika. Je dois avouer que ça soulage un peu de savoir que tu m'as pardonné.

Mais je dois quand même expier ma faute et racheter ma conduite.

Alors, je lui ferai ouvrir les yeux !

Rena a donné sa vie pour tenter de me sauver.

Elle a essayé jusqu'à sa mort.

Elle avait eu foi en moi.

Elle avait cru dur comme fer que je finirais par l'écouter, que nous étions amis, et que je finirais par la comprendre.

Elle y a cru de toutes ses forces, jusqu'au moment où je lui ai brisé le crâne !

Rena a donné sa vie !

La moindre des choses, c'est de lui rendre la pareille...

Je n'ai pas peur de mourir, s'il le faut !

À l'époque, j'étais une sale merde incapable de comprendre mes amies. Pas étonnant qu'elles n'aient pas pu me sauver.

Mais Rena... Rena était différente. Je pourrais peut-être la sauver !

Keiichi

— ... Ce monde est devenu fou,

Keiichi

mais c'est pas une raison pour l'abandonner, n'est-ce pas ?

Keiichi

Parce que si on abandonne, ça veut dire que l'on n'a pas confiance.

Keiichi

Et moi, je crois en Rena, je crois en notre amitié !

Keiichi

Je suis sûr qu'il n'est pas trop tard.

Keiichi

La tragédie peut être évitée.

Nous pouvons encore nous rebeller contre le destin.

Nous démener comme des diables,

et saisir notre chance, pour nous hisser dans un futur meilleur !

Rika

— ... ...

Rika mis une main dans sa poche, comme pour vérifier quelque chose, puis elle acquiesça, le visage grave.

Rika

— ... Keiichi.

... Moi non plus, je n'abandonnerai pas.

Rika

Je ne peux pas accepter de perdre espoir dans ce monde-ci aussi.

Je suis fatiguée de perdre espoir, je l'ai vécu bien trop souvent.

À chaque fois qu'un monde devenait fou, j'ai pris l'habitude d'abandonner.

Rika

C'est pourquoi hier soir, je me suis dit qu'après tout, je me contrefoutais du sort de Rena.

Rika

Mais j'avais tort.

Rika

La volonté de se battre est noble, pure, magnifique. Et parfois, elle peut faire des miracles et modifier le destin.

Rika

C'est pourquoi je veux me battre avec toi.

Rika

Je veux me battre, encore une fois, comme avant.

Rika

Autant de fois que nécessaire. Jusqu'à ce qu'enfin, j'arrive dans un nouveau futur.

Rika

Et peu importe le nombre d'essais que cela prendra.

Satoko

— ... Vos propos sybillins me sont malheureusement incompréhensibles, mes chers, et vous m'en voyez bien marrie !

Rika

— Ahahaha...

Allons, il n'est pas étonnant que tu n'en aies aucun souvenir.

C'est simplement Keiichi qui est anormalement impressionnant.

Satoko

— ???

Eh bien, malgré tout, mes nobles cellules grises me font défaut !

Rika serra le poing et donna une petite tape sur le front de Satoko.

Rika

— ... Un jour, sois gentille et souviens-toi

que lorsque tu t'es retrouvée perdue dans une impasse, incapable de faire face à l'adversité, c'est Keiichi qui est venu pour te sauver, en y mettant toutes ses tripes.

Satoko

— Plaît-il ? Keiichi ? Faire un acte aussi généreux ?

Allons bon, qui voulez-vous donc berner avec pareille billevesée ?

Rika

— Ahahaha...

N'est-ce pas, Keiichi ?

Rika me regarda avec insistance, semblant attendre mon approbation, souriante.

Je ne savais pas trop si j'irais jusqu'à sauver Satoko au péril de ma vie, mais bon...

... Quoique, si, en fait.

Satoko aussi fait partie de mes meilleures amies.

Si quelqu'un devait jamais venir et la rendre malheureuse, alors je me dresserai pour défoncer la tête à cette personne.

En y mettant toutes mes tripes !

... Et qui sait, il y avait peut-être un univers parallèle dans lequel c'était arrivé...

C'est pourquoi j'ai simplement fait oui de la tête.

En voyant ma réponse, le visage de Rika s'est illuminé, et elle acquiesça elle aussi.

Cie

— ... Maebara ? Tu es sûr que tout va bien ? Que s'est-il passé ?

La maîtresse vint alors me voir, surprise par mon calme retrouvé.

Keiichi

— Euh... Rien, madame. Rien du tout.

Désolé d'avoir fait tout ce bruit.

... Ah, au fait, Mion ?

Mion

— Hein ? Quoi ?

Qu'est-ce qu'il y a ?

Je m'avançai vers elle d'un pas décidé.

Ne comprenant pas pourquoi j'allais vers elle, Mion se mit à reculer, l'appréhension sur le visage, puis soudain, elle fut prise au piège, acculée au tableau.

Mion

— Quoi, p'tit gars ?

Pourquoi t'es tout sérieux, d'un seul coup ?

Mion

... Euh... Oh...

Je la pris dans mes bras et la serrai très fort contre moi.

Ne comprenant pas trop ce qu'il se passait, Mion préféra se taire, rouge tomate.

La tête appuyée sur son épaule, je m'excusai auprès d'elle en pleurant.

Keiichi

— ... J'suis désolé, Mion... Pardon... J'te demande pardon...

Mion

— Mais, euh, p'tit gars ?

Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Je, Tu... Je comprends rien à rien, là, garçon !

Keiichi

— ... C'est pas grave... T'as pas besoin de savoir.

T'as pas besoin de comprendre, écoute-moi, juste.

Keiichi

Je te demande pardon pour tout. Et aussi, les gâteaux de riz,

ils étaient vraiment super bons.

Ils m'ont remonté le moral.

Keiichi

Je suis désolé de ne pas t'avoir dit merci plus tôt...

Keiichi

Je sais que c'est très tard, je te demande pardon !

Je te jure que je ne douterai plus jamais de toi !

D'ailleurs, c'est valable pour vous toutes !

Plus jamais ça, je vous le promets !

Keiichi

Mion... Pardonne-moi pour ce que je t'ai fait ce jour-là...

Je savais que Mion ne saurait pas de quoi je parlais.

D'ailleurs, moi non plus, je n'étais pas sûr de tout comprendre.

Les mots sortaient tout seul de ma bouche, sans passer par la case cerveau.

Mais je savais que je n'avais pas encore obtenu le pardon pour ce crime.

Je devais l'avouer et demander pardon.

Keiichi

— Je sais que tu as risqué ta vie pour moi...

Keiichi

Alors si un jour tu te retrouves en mauvaise posture, je te jure que je ferai tout pour te sauver, même si je dois en mourir !

Keiichi

Je te le promets, Mion. Je ne te laisserai jamais tomber, jamais !

Mion

— ... Euh... Kei ?

C'est, erm, c'est gentil, mais... Tu vas me faire rougir, là...

Elle était déjà toute rouge depuis un moment.

D'ailleurs, Satoko aussi, en plus d'avoir un point d'interrogation gigantesque sur le visage.

Mais Rika et moi savions de quoi nous parlions.

Je n'accepterai jamais une nouvelle tragédie !

Ce n'est pas parce qu'une petite chose ne tourne pas rond qu'il faut abandonner.

Je me battrai contre le destin, jusqu'au bout !

Mion aussi s'était révoltée.

Rena aussi avait tout essayé.

Alors, à mon tour, désormais. Je devais absolument sauver Rena.

Et comme elle l'avait fait pour moi... je devais le faire au péril de ma vie.