Comme il n'y avait pas le moindre lampadaire dans le coin, ni même l'éclairage distant des habitations, je dois dire que j'avais très peur, rien qu'en me baladant à la lueur de ma lampe de poche.

La lune éclairait le ciel, mais pas le sol où je mettais les pieds.

La seule lumière qui m'aidait à marcher était celle du mince rai émanant de ma lampe de poche.

Je savais que je marchais sur des gravillons, sur un chemin plat,

mais le reste du monde était noir de jais.

Il me vint d'autres expressions en tête, noir d'ébène, noir d'encre, rideau de goudron, chape de suie... mais aucune n'était assez sombre pour décrire la situation.

Je risquais à tout moment de taper dans un caillou, une canette de soda ou un cadavre.

J'avais peur de tout ce qui pouvait traîner par ici, mais incapable d'y voir à un mètre, je vérifiais nerveusement la petite portion de chemin sur laquelle je me déplaçais. Ma vitesse s'en ressentait.

C'est bizarre que tu puisses pas courir. Tu as peur de tomber dans le noir ?

D'habitude, pendant la journée, quand tu cours, tu ne regardes même pas où tu mets les pieds, pourtant ?

Tu cours derrière Mion et Rena sans réfléchir.

Ton regard ne se baisse jamais jusqu'à tes pieds.

Et pourtant, tu cours sur le chemin, sans te soucier si tu tomberas ou pas. Et tu ne tombes jamais.

En fait, Rena est peut-être dans la même situation.

Rena est comme plongée dans l'obscurité, à cause de la paranoïa qui aveugle son jugement. Et elle n'a pas de lumière avec elle.

Surtout que les histoires qu'elle a dans la tête rendent le chemin encore plus complexe.

Elle doit avoir tellement peur qu'elle ne marche pas, elle rampe, à quatre pattes.

J'imagine que beaucoup de gens se fendraient bien la poire en voyant qu'elle croyait à des sornettes pareilles.

Mais les cahiers de Madame Takano n'étaient pas ordinaires.

Ils savaient attaquer les faiblesses du lecteur et lui tendre des pièges.

Leur charme maléfique m'avait moi aussi séduit, ne fût-ce qu'un soir.

C'est pourquoi moi, je savais à quel point ils étaient dangereux.

Il existe dans le monde de nombreuses histoires étranges, des légendes urbaines, un peu comme les prévisions de Nostradamus ou le miroir mauve.

Ces histoires-là aussi n'étaient qu'un tas de mensonges plus ou moins crédibles,

mais si vous vous faisiez avoir, elles étaient difficiles à oublier.

Et puis, dans moins de 20 ans, on sera en 1999.

Les gens commencent à s'exciter avec des prévisions en tout genre pour le mois de juillet. Il y a même certaines chaînes qui font des émissions stupides là-dessus, et du coup certains télespectateurs y croient dur comme fer.

Certains se construisent des abris anti-nucléaire dans leur jardin. J'ai même entendu parler de gens qui comptaient se placer en sommeil cryogénique tout le temps nécessaire pour laisser disparaître les radiations nucléaires.

Ceux qui font ça sont tout à fait sérieux dans leur démarche.

Mais en réfléchissant deux secondes, il n'y a aucune raison de voir la troisième guerre mondiale éclater en 1999.

Oui, la guerre froide a conduit à un armement nucléaire massif, mais les deux blocs se valent. Ils n'ont aucun intérêt à lancer une attaque.

Vous trouverez toujours un idiot pour vous dire que les russkovs en sont capables.

Et je pense que si l'on remplace les russkovs par les Sonozaki, on a un peu près une idée du niveau des histoires dans les cahiers de Madame Takano.

Dans toutes les histoires de complot, on retrouve les mêmes suspects habituels. Les russes, les nazis, les extra-terrestres...

Il y a toujours un ennemi invisible, inconnu, qui lui, est capable de tout. Et avec ça, on peut leur mettre tout sur le dos et faire peur au lecteur.

Qu'est-ce que Madame Takano savait sur les Sonozaki ?

Rien du tout, rien de rien !

Elle se sert simplement des histoires étranges du temps passé et dit simplement que les Sonozaki font ci et ça, sans en apporter la preuve, rien de plus ! C'est du pipeau !

C'est un peu comme l'autre histoire, là.

Vous savez, comme quoi les nazis auraient un plan pour conquérir le monde, et Adolf Hitler serait encore vivant, qu'il se cacherait dans une base militaire secrète en Amérique du Sud pour mettre ce plan à exécution... C'est du même acabit !

En temps normal, Rena rigolerait comme une folle en entendant des énormités pareilles.

Mais... En ce moment, Rena n'était pas d'humeur à réfléchir.

Elle avait tué deux personnes et n'avait pas pu cacher les corps. Nous les avions trouvés. Nous avions su. Elle avait dû devenir folle de peur.

Nous avions attendu, dans l'espoir de la voir s'en remettre.

Mais avant que son esprit pût à nouveau développer des anticorps contre les bobards, un poison insidieux s'était emparé d'elle et avait corrompu son jugement.

Un peu comme une maladie d'habitude bénigne peut avoir des conséquences graves si elle vous chope pendant que vous vous remettez d'autre chose.

... Oui, elle souffrait tout simplement d'une maladie un peu spéciale.

Parfois, quand ils ont de la fièvre, les enfants s'imaginent qu'ils sont en train de mourir.

Évidemment, pour le médecin, ils ne font qu'exagérer les symptômes.

Il suffit de prendre un médicament et de dormir sans faire de cirque pour s'en remettre !

Rena se trouve exactement dans cette situation, en ce moment.

Elle souffre d'un tout petit truc de rien du tout.

Mais il y a plus important : si elle n'y prend pas garde, elle pourrait se faire arrêter par les flics !

Je croisais en effet de nombreuses voitures de police en route.

À chaque fois, je me cachais, bien sûr ; je n'aurais pas l'air fin s'ils m'emmenaient au poste !

J'ai dû en croiser deux ou trois.

Je suis passé pas loin de chez Rena sur la route, mais il y avait une voiture que je ne connaissais pas sur le côté du chemin. Les gens à l'intérieur attendaient clairement son retour.

Mion m'avait dit qu'elle avait donné l'ordre au clan des Sonozaki de cacher Rena, mais à vrai dire, j'étais un peu sceptique.

Après tout, Rena s'imaginait que le clan voulait la tuer.

Mais s'il ne la cachait pas, elle finirait par se faire arrêter par la Police.

Et alors tous ceux qui l'ont aidée à enterrer les corps auront à répondre de leurs actes devant la justice !

Je ne savais pas comment la Police avait réussi à placer Rena parmi la liste des suspects.

Ils devaient avoir des éléments concordants, mais pas de preuves.

Mais ils avaient sûrement de sacrées certitudes pour la rechercher avec autant de moyens !

Rah, mais quelle conne !

Bon sang, Rena, ce n'est pas le moment de jouer avec les cahiers de Madame Takano !

La police est à tes trousses !

Il faisait tellement sombre que je n'étais pas sûr d'être au bon endroit.

Prenant mon courage à deux mains, je me mis à descendre précautionneusement la pente.

J'avais bien envie de hurler son nom pour l'appeler, mais il y avait peut-être des policiers à portée de voix.

Je fis le tour d'un énorme tas et vis de la lumière.

Rena était là !

Je me mis à courir vers elle, tapant sans vergogne dans tout ce qui traînait par terre.

Rena se trouvait devant la portière de la voiture qui lui servait de cabane secrète. Elle se tenait sur ses gardes, une machette à la main.

Je la comprenais.

Elle avait dû m'entendre arriver depuis un moment...

Keiichi

— Pouh... Hfiou !

Re-

Rena !

C'est...

C'est moi !

Rena

— ... Tiens donc, Keiichi, maintenant ?

Eh bien, on peut dire que j'aurais eu de la visite ce soir.

Keiichi

— Pourquoi, quelqu'un d'autre est là, à part moi ?

Je parcourus rapidement les environs avec la lumière de ma lampe de poche, mais je ne vis personne à part elle.

Rena

— Je ne suis plus en sécurité ici, alors je déménage.

Je ne veux pas que tu saches où je vais, alors ne me suis pas.

Keiichi

— Rena ?

Eh, Rena, c'est quoi tout ce sang ?!

T'es blessée ? Eh !

Rena

— ... T'en fais pas, je me suis calmée, je vais bien.

Même si à vrai dire, je peux faire une nouvelle crise à n'importe quel moment, en fait.

Rena était toute rouge au niveau du cou, comme les gens qui se grattent trop leur eczéma.

Keiichi

— Ça suffit pas de simplement éponger le sang avec une serviette...

Viens chez moi !

Il faut désinfecter la plaie !

Rena

— ... Non, ce n'est rien.

Et puis, ce n'est pas une blessure.

Il est trop tard pour moi, de toute façon.

Keiichi

— Trop tard ?

Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Rena

— Apparemment, j'ai attrapé la même saloperie que ce qui a tué M. Tomitake.

On ne m'a pas fait de piqûre, pourtant.

Rena

Je pense que ça devait être dans la nourriture.

Tu te souviens ?

Il y a quelques jours, Mii a fait des morceaux d'omelette,

un pour chacun d'entre nous.

Rena

Y a pas à dire, elle est douée. Elle a même pensé au temps d'incubation.

Salope !

Rena ponctua la fin de sa phrase par un coup de pied rageur dans le sol.

Elle reniait leur amitié...

Keiichi

— Rena,

tu crois vraiment que Mion est du genre à faire ça ?

Rena

— ... ?

Rena n'avait pas l'air de comprendre, mais après quelques secondes,

je vis une lueur hargneuse dans son regard.

Je sentais bien qu'elle me faisait des reproches.

Elle m'avait déjà dit et expliqué que les Sonozaki étaient le Mal en personne.

Keiichi

— Déjà, pour commencer,

Mion n'a pas fait cinq petites omelettes ce jour-là.

Elle a prit son omelette et l'a coupée en cinq morceaux, en nous disant de nous servir.

Tu es venue, la première, en disant que c'était trop mimii. Tu as pris le morceau qui était tout au bord.

Rena

— Non, Keiichi.

Mii a fait en sorte de me faire manger de l'omelette empoisonnée.

Keiichi

— ... Rena.

Ne modifie pas tes souvenirs comme ça t'arrange.

Il y avait cinq petits bouts alignés sur le couvercle du tupperware, tu te souviens ?

Rena

— Ils n'étaient pas alignés !

Elle en a donné un à chacun !

Keiichi

— ... Est-ce que c'est déjà arrivé, ça ?

Jamais. On met toujours nos paniers-repas en commun, chacun pioche chez l'autre.

Keiichi

On ne s'est jamais pris la tête à séparer les aliments en portions individuelles pour les donner une à une. Jamais. Pourquoi l'aurait-on fait ce jour-là ?

Rena

— ... ...

Je sentis son regard se remplir de haine.

... À ses yeux, c'est moi qui débloque.

Pour elle, la présence du poison ne fait aucun doute, c'est déjà un fait avéré. Elle a décidé que le poison avait été placé dans l'omelette, simplement parce que ça l'arrangeait.

C'est pourquoi elle n'était pas contente de m'entendre la contredire.

... Mais après tout, je n'étais pas venu ici pour l'énerver.

Comprenant que débattre avec elle ne servait à rien, je décidai de changer de conversation.

Keiichi

— Mais bon, ouais, passons.

Tu disais que cette cachette n'était plus sûre ? Tu comptes aller où ?

Rena

— ... ... Je sais pas,

je verrai bien.

Keiichi

— Mais enfin, c'est pas si facile de trouver un endroit pour dormir !

Allez, viens chez moi.

Rena

— ... C'est gentil, mais je ne peux pas.

Les sbires des Sonozaki sont partout dans le village.

Je... Je refuse de croire que tu serais capable de me livrer à eux, mais je ne pense pas que tu pourrais me cacher.

Keiichi

— Mais Rena, ce ne sont pas les Sonozaki qui patrouillent dans le village,

c'est la Police qui te cherche partout.

Rena

— ... ?

Pourquoi ?

L'inspecteur Ôishi est de mon côté, et je lui ai dit de ne pas s'inquiéter pour moi.

Il n'a aucune raison d'avoir lancé des recherches.

Keiichi

— Je suis pas sûr, mais je crois qu'il a dû faire le rapprochement entre toi et les meurtres de Rina et Teppei.

Rena

— ... ... Aha. Je vois, je vois.

Alors que je me réjouissais de voir que nous avions trouvé un point de vue commun, j'entendis soudain son rire sarcastique. Je sus aussitôt que quelque chose clochait.

Rena

— Tu sais pourquoi ils ont su pour ces meurtres ?

Keiichi

— ... Non. Comment veux-tu que je le sache ?

Personne ne l'avait vue en train de les tuer.

Personne ne nous avait vus aller à Takatsudo pour enterrer les sacs poubelles, et nous avions masqué l'endroit.

Et puis, Mion avait ensuite repris les sacs pour les enterrer dans un endroit encore plus secret.

C'est pourquoi j'étais certain qu'il ne pouvait pas avoir découvert les corps.

Rena

— Tu sais, cet après-midi,

je suis allée là où nous avions enterré les corps.

D'après toi, dans quel état ils sont ?

Keiichi

— ... ... Ah !

Merde, merde, merde !

... Rah, bien sûr.

Elle ne sait pas que Mion s'est débarrassée des corps !

Donc forcément, elle croit qu'ils devraient y être...

Rena

— Eh bien ils avaient disparu.

Les corps.

Quelqu'un était revenu pour les reprendre.

Keiichi

— Non, Rena, enfin, si, oui, c'est exact.

Euh... Comment dire...

Rena

— Personne ne peut être venu creuser au hasard là-bas.

C'est moi qui ai choisi cet endroit.

Seules les personnes qui m'ont aidée à les enterrer savaient où ils se trouvaient.

Keiichi

— Oui, oui, Rena, tu as raison.

C'est exactement ce qu'il s'est passé, mais attention, hein...

Rena

— Oh, je sais qui a fait ça :

c'est Mii.

J'imagine qu'elle voulait avoir une assurance pour m'empêcher d'aller parler à la Police.

J'aurais jamais cru qu'elle me ferait chercher et par le clan et par la Police.

Rena

Mais bon, j'imagine qu'elle n'a plus le temps de se préoccuper des apparences.

Keiichi

— Mais enfin, Mion ne ferait jamais une chose pareille, voyons !

Rena

— Et pourtant, elle l'a fait !

Elle m'a vendue à la Police !

Keiichi

— ... Non, Rena, non.

Mion est ton amie, elle est notre amie.

Elle est avec nous, même si le monde entier ne l'est plus.

Keiichi

Elle ne te trahira jamais, même si le monde devait devenir complètement dingue !

Rena

— ... ... Pourquoi est-ce que tu la soutiens ?

Keiichi

— Mais c'est le contraire, Rena !

Demande-toi plutôt pourquoi tu la soupçonnes autant !

Rena

— C'est pourtant évident !

La chose la plus cruciale que Miyo à découvert, c'est que les membres de la secte voulaient réal-

Keiichi

— Aaah, tais-toi, arrête avec ça !

Écoute, je sais, c'est raide, si tu veux des excuses, je t'en donnerai, mais écoute-moi, s'il-te-plaît.

OK, alors effectivement, c'est Mion qui a été reprendre les corps.

Rena

— EH BEN ALORS, TU VOIS ?!

Keiichi

— Rah, mais putain, écoute-moi jusqu'au bout, merde !

Bon, oui, Mion a déterré les corps,

mais c'est parce qu'elle a appris que les Eaux et Forêts comptaient justement déboiser le coin de Takatsudo cet été !

Keiichi

C'est pour ça !

C'est pour ça que Mion est retournée là-bas et a pris les corps, pour te protéger !

Rena

— Pkr... hahahaha, AHAHAHAHAHAHA !

Rena eut un rire moqueur, méprisant, même.

Je compris immédiatement qu'elle ne voulait rien entendre...

Rena

— Mais voyons, c'est un mensonge qu'elle a fabriqué, c'est évident !

Elle est toujours à essayer de te taper dans l'œil, t'as pas encore remarqué ou quoi ?

Keiichi

— Mais putain, mais...

T'aurais fait quoi à sa place ?

Si t'avais su que les gens allaient défricher le coin ce mois-ci, tu les aurais laissés faire ?

Keiichi

Évidemment que non !

Rena

— Mais puisque je te dis que les Eaux et Forêts n'ont jamais eu l'intention de défricher Takatsudo ! C'est un de ses mensonges, tu ne comprends rien ou quoi ?

Keiichi

— C'EST TOI QUI NE COMPRENDS RIEN, PAUV' CONNE !

Rena

— ... ... ...

Le regard de Rena se fit froid et distant.

Elle me regarda avec insistance,

comme si elle se demandait ce que j'étais venu faire ici...

Keiichi

— ... Rena, je suis venu pour t'ouvrir les yeux.

Keiichi

Tu es perdue dans un grand rêve, ou plutôt un cauchemar, à cause des cahiers de Madame Takano.

Keiichi

Tu sais, au début, je trouvais son histoire vraiment intéressante, mais là, ça ne me fait franchement plus rire.

Keiichi

... Tu es malade, Rena. Malade !

Rena

— ... Oui, je sais, l'autre Rika est déjà venue me le dire.

Et puis, je fais des poussées d'asticots.

Keiichi

— Mais non, arrête avec ça !

Keiichi

Écoute, maintenant, s'il-te-plaît !

Keiichi

Tu ne veux pas t'allonger et prendre du repos pendant quelques jours ?

Keiichi

Pour être honnête, le mieux, ce serait de te cacher chez Mion.

Keiichi

Elle pourra empêcher la Police de te tomber dessus.

Keiichi

Mais bon, si tu ne lui fais pas confiance, viens au moins chez moi.

Tu ne peux pas rester dehors, tu ne pourras jamais dormir !

Alors viens chez moi.

Keiichi

Je te filerai à manger, à boire, et tu pourras déjà guérir de ta fièvre et garder la tête froide.

Et là, je suis sûr que tu t'en rendras compte par toi-même.

Rena

— Mais Keiichi, qu'est-ce que tu racontes ?

Tu parles comme si j'étais pas bien dans ma tête...

Keiichi

— ... ... ... ...

Rena

— C'est VOUS qui êtes mabouls !

Rena

Vous êtes contrôlés par un parasite, il vous mène en bateau !

Rena

Tu imagines être un observateur impartial, Keiichi, mais tu es une victime !

Rena

Et le truc vraiment malin de leur part, c'est que vous ne pouvez pas vous en rendre compte !

Rena

Mais je ne t'en tiens pas grief.

Je te sauverai, Keiichi, mais je t'en prie, il faut me croire !

Keiichi

— Mais comment tu peux dire que nous sommes mabouls, enfin ?

Tu vas pas me dire que tout le village est touché, sauf toi ?

Rena

— Non, ce n'est peut-être pas limité qu'à Hinamizawa, en fait.

Ils sont peut-être déjà dans toute la région, voire la préfécture !

Mais j'ai raison, je ne suis pas folle !

Rena

J'ai lu les cahiers de Miyo, je me suis rendu compte de la réalité !

Et d'ailleurs, toi aussi, il me semblait ?!

Keiichi

— Attends Rena, non, attends, parce que là, il y a un truc.

Keiichi

Tu dis que le monde entier est devenu fou, sauf toi, c'est bien ça ?

Keiichi

Mais donc, ça veut dire que tu en es consciente, non ? La seule qui est devenue bizarre, ici, c'est toi !

Keiichi

Le monde n'a pas changé.

Keiichi

Personne n'est ton ennemi.

Le monde entier ne peut pas changer du jour au lendemain,

voyons, c'est forcément toi qui as changé !

Rena

— Tu sais, Keiichi, j'ai de la peine pour toi.

Rena

Mais après tout, tu n'y peux rien.

Rena

Je me doute que la Vérité est dure à accepter, et que certains ne voudront rien savoir.

Rena

Miyo elle-même n'était pas sûre de tout, mais elle a essayé d'amasser des débuts de preuves.

Rena

Je comprends parfaitement que tu ne veuilles pas l'accepter.

Rena

C'est pour ça que je veux tenir bon, pour te sauver.

Je me battrai, et je vous délivrerai de leur contrôle.

Mais quelle conne... Quelle CONNE !

“J'ai de la peine pour toi”?

Espèce d'idiote, c'est le contraire !

Comment tu fais pour croire encore à cet amassis de conneries ?!

Pourquoi tu réinterprètes tout à ta sauce pour te persuader que c'est vrai ?!

Rena

— Il y a déjà des corps de rechange pour Miyo, Rika, et aussi pour moi.

Mon double prendra ma place dès qu'ils m'auront supprimée.

Keiichi

— QUOI?

Des corps de rechange ?

Mais putain, t'es sérieuse ?

Rena

— Oh, laisse tomber.

Écoute, je vais te dire la vérité, OK ?

La “vérité vraie”, si tu veux, celle dont je ne t'ai pas encore parlé.

Il faut savoir qu'en fait, le parasite, c'est un extra-terrestre.

Keiichi

— ... Un EXTRA-TERRESTRE ?!

Rena

— Oui.

Rena

Et la déesse Yashiro aussi est une extra-terrestre.

Rena

La description de sa descente sur la terre ressemble beaucoup à toutes les descriptions recueillies à travers le monde sur des sites où l'on aurait vu des extra-terrestres.

Rena

De toute façon, à chaque fois qu'une grande civilisation naît, le point de départ vient toujours de l'espace !

Rena

Ils viennent régulièrement des profondeurs de l'infini pour nous pousser sur le chemin de la civilisation...

... Putain, merde, mais c'est pas possible, mais je rêve !

Mais putain, non...

Rena,

t'es pas sérieuse ?

À la rigueur, la théorie sur les parasites pouvait encore passer, elle était très intéressante !

Mais putain, des extra-terrestres ? Non mais faut arrêter, quoi !

Or, malheureusement, Rena avait l'air parfaitement consciente de ce qu'elle disait, et elle en parlait avec le plus grand sérieux. Elle me regardait avec pitié, presque avec miséricorde, en fait, comme pour me pardonner mon refus de comprendre.

Rena

— Ils ont régné sur les humains en les parasitant.

Mais de temps en temps, il naît toujours un spécimen avec un peu plus d'intuition que les autres, qui essaie de montrer aux autres ce qu'il se passe.

Rena

Alors ils le suppriment, mais pour garder la communauté intacte, ils doivent faire d'autres apports ou d'autres modifications.

Rena

Ils doivent parfois implémenter des métaux spéciaux pour contrôler l'élément perturbateur, ou en créer un clone parfait pour le remplacer !

Rena

Ils ont créé une copie conforme de Miyo, et apparemment, même une de moi.

Rena

Tout à l'heure, c'est le double de Rika qui est venu me voir !

Rena

Je lui ai parlé. !

Rena

Et il a reconnu la vérité, il me l'a dite ! Il a avoué ne pas être la vraie Rika

Rena

Et il a aussi dit que la fin du monde était proche, il s'est moqué de moi, ouvertement, en me disant que si je voulais me battre, je n'avais qu'à le faire !

Rena

Et c'est bien ce que je compte faire, je me laisserai pas traiter comme du bétail !

Rena

Je ne les laisserai jamais, JAMAIS--

Espèce de dégénérée !

Je m'approchai à pas lourds de Rena,

et lui administrai une gifle monumentale.

Dans l'espoir de la voir retrouver ses esprits.

Keiichi

— Bordel de merde, Rena, réveille-toi !

Rena

— ... ...

Keiichi

— Rena,

tu as déjà oublié ou quoi ?

Nous étions justement là.

C'était à peine il y a quelques jours.

On était là, tous ensemble, à se tenir la main !

Tu te souviens ? “Les amis, c'est comme la famille”!

Rena se tint le poignet, mais elle resta muette.

Je continuai.

Keiichi

— Si vraiment t'es sérieuse quand tu me dis que les extra-terrestres vont envahir la Terre,

Keiichi

eh ben tu sais quoi, même si les autres ne te croient pas, moi, je veux bien te croire.

Keiichi

Parce que je suis ton ami, et que je suis toujours de ton côté !

Keiichi

Mais alors toi aussi, tu dois m'écouter.

Keiichi

Parce que tu es mon amie et que donc forcément, tu es de mon côté aussi.

Keiichi

Ce qu'il y a dans les cahiers de Madame Takano, ce sont des conneries ! Ce sont des histoires, des fadaises, des attrape-nigauds !

Keiichi

Madame Takano adorait les trucs occultes.

Keiichi

Elle s'amusait à trouver des explications à toutes les anciennes cérémonies de Hinamizawa, elle écrivait les plus bizarres et les donnait à lire aux gens pour voir leurs réactions !

Keiichi

Elle n'a pas écrit que cette théorie avec les parasites. Elle a aussi des cahiers où elle parlent d'OVNIs. D'autres où elle parle du royaume au centre de la Terre. Et encore des tas d'autres !

Keiichi

Les cahiers qu'elle t'a refilés, c'était sa dernière création, celle dont elle était le plus fière !

Keiichi

Elle t'a pas semblée être toujours en train de juger les gens, de se moquer d'eux ?

Keiichi

Un jour, tu l'as écoutée et tu es restée sérieuse, alors elle a voulu voir jusqu'où elle pouvait aller !

Rena

— ... Si vraiment c'était de la fiction, Keiichi, alors pourquoi a-t-elle été assassinée ?

Rena

Si les résultats de l'autopsie sont justes, elle est morte 24h avant la fête de la purification du coton, alors pourquoi était-elle devant nous à discuter ?

Rena

Et que dire sur la mort de M. Tomitake ?

Sur le clan des Sonozaki ?

Rena

Comment expliques-tu les légendes de Hinamizawa ?

Le comportement de Rika ? Les actes de la déesse Yashiro ?

Tu crois vraiment qu'elle aurait tout inventé ?

Rena

Que tous les détails qui viennent étayer ses thèses font exprès de mentir, pour semer la confusion ?

Keiichi

— C'est parce que tu essaies de faire le lien entre ce que tu crois déjà, que tu ne remets pas en doute, et tout ce qu'il t'arrive par la suite !

Keiichi

C'est un exemple parfait de mégalomanie, Rena !

Keiichi

Pas la peine de chercher bien loin,

Keiichi

tu es juste très fatiguée !

Keiichi

Alors s'il-te-plaît, repose-toi.

Keiichi

Je te donnerai un endroit pour dormir, et à manger.

Keiichi

Si tu ne me fais pas confiance pour la nourriture, c'est pas un problème, tu pourras utiliser la cuisine,

Keiichi

mais je t'en prie !

Keiichi

Je t'en supplie, Rena, il faut me faire confiance !

Rena

— Ce que je raconte est nettement plus crédible, j'ai même des preuves de ce que j'avance !

Mais toi, tu veux que je te croie sur parole, c'est tout ce que tu as.

Je pense qu'on peut clairement voir qui a raison, non ?

Keiichi

— Oui, c'est clair comme de l'eau de roche, en effet.

C'est MOI

qui ai raison !

Rena

— ... Eh ben mon cochon, tu manques pas de culot, en tout cas.

Keiichi

— Et j'ai pas de problème à le redire si nécessaire. Et tu sais pourquoi ?

Keiichi

Parce que je suis ton ami, Rena.

Keiichi

Tes amis ne te trahiront jamais.

Keiichi

Tes amis seront toujours là pour t'aider.

Keiichi

Alors même si le monde entier tente de te persuader que je raconte des conneries, eh bien tu dois me croire !

Keiichi

Justement parce que je suis ton ami !

Rena

— ... ... ...

J'entendis un bruit sourd sur le sol.

Rena avait lâché sa machette.

Elle se tenait la tête à deux mains, tremblante.

Je l'entendais vaguement murmurer. Elle était sûrement en train de se parler toute seule.

... Comment peut-il oser exiger que je le croie, alors qu'il n'amène aucune preuve ?!

Mais il est pas normal dans sa tête, ce gamin !

Mais si c'est lui qui a raison ? Si jamais par hasard c'est moi qui me fais des idées ?

Combien de fois j'avais déjà rêvé de ça, combien de fois avais-je espéré que ce fût le cas !

Si seulement c'était aussi simple ! Si seulement les cahiers de Miyo n'étaient que des bobards !

Si seulement les parasites n'existaient pas...

Si seulement ce n'était que mon imagination qui interprétait tout de travers...

Ne baisse pas les bras, Rena Ryûgû, reste calme, reste zen !

Il essaie de t'embobiner, il sait que tu voudrais te débarrasser de ces histoires, il frappe ton point faible !

Tout est pourtant clair : des envahisseurs extra-terrestres se sont installés dans le marais des abysses des démons il y a plusieurs siècles et s'en servent comme base d'opérations pour se préparer à envahir la Terre...

Keiichi n'est qu'une victime, il est contrôlé par leur parasite. Il ne pense pas ce qu'il dit !

Mais Keiichi ne mentait pas l'autre jour, lorsqu'il m'a violemment attirée à lui.

J'ai bien senti que cela lui venait du plus profond de lui-même, qu'il voulait vraiment m'aider ! C'est d'ailleurs bien pour ça que je n'arrive pas à oublier la chaleur de ses mains !

Je suis entrée dans un labyrinthe, et je n'arrive plus à en sortir.

Combien de fois ai-je désespérément appelé à l'aide ?

Et maintenant, Keiichi est là, et il veut m'aider à en sortir ! Il me tend la main !

Rena, tu as déjà oublié ? Il se dit ton ami, mais il ne t'as jamais tout dit sur lui-même !

L'inspecteur Ôishi t'en a pourtant parlé, non ?

La police avait fait des recherches.

L'inspecteur avait fait des recherches sur tous tes amis.

Et alors, il t'a raconté ce qu'il avait découvert sur Keiichi, avant son arrivée à Hinamizawa, non ? Alors maintenant, tu devrais savoir !

Il n'est gentil et propre qu'en apparence, à l'intérieur, il est complètement taré du ciboulot ! Il est dangereux ! Tu ne dois surtout pas le croire !

Et qu'est-ce que ça peut faire ?!

Qu'est-ce que j'en ai à foutre de son passé ? Hein ?

Et moi, alors ? Quand j'habitais à Ibaraki, j'ai jamais fait de conneries, peut-être ?

J'ai fait des saloperies, des choses impardonnables !

J'ai mutilé quelqu'un, j'ai cassé toutes les vitres de l'école, je me suis fait expulser ! J'étais pas une élève modèle non plus, alors j'ai pas à la ramener !

Et eux, ils m'ont fait quoi ? Ils m'ont méprisée ? Craché dessus ?

Non, rien du tout, pas un reproche !

Rena Ryûgû, pour eux, c'est Rena Ryûgû ! Même s'ils devaient apprendre ce qu'il m'est arrivé à Ibaraki, ils me pardonneraient !

Ahahahaha, AHAHAHAHAHAHAHAHA !

Non, ma grande, non ! Ils ne te le pardonneraient jamais.

Tu rigoles ou quoi ?

Keiichi Maebara se comporte gentiment avec toi car il ne connaît pas “Reina”.

Il croit que tu es une fille sage ! S'il savait qui tu es réellement, ça ne se passerait pas comme ça !

Si ! Rien ne changerait ! Ils n'auraient pas peur de moi !

Rena, c'est Rena ! Reina n'existe plus, ce n'est pas elle qui vit à Hinamizawa !

Pour Keiichi, c'est pareil ! Je me moque de savoir comment il était avant de venir vivre ici ! Tout ce qui importe, c'est comment il se comporte maintenant ! On est logés à la même enseigne !

Keiichi

— ... Eh ? Rena ? Ça va ?

Rena

— ... Ne me touche pas, espèce de saloperie.

Rena frappa pour écarter la main que je lui tendais.

Rena

— Je suis ton ami, ton ami, tu n'as que ce mot à la bouche !

Alors je dois te croire, juste parce que tu es un ami ?

Tu crois vraiment que ça te place en détenteur de la vérité absolue ?

Rena

Il faut arrêter de délirer, garçon !

Keiichi

— Tu peux dire ce que tu veux, Rena,

je suis quand même ton ami, ça ne changera pas.

Et je te jure que tout ce que je te dis, je te le dis pour ton bien.

Alors ne doute pas de moi !

Je te jure que j'ai raison !

Rena

— Pff... Ahahahaha...

Rena

Ah oui ?

Je peux te poser une question, alors ?

Keiichi

— Ben, vas-y, je t'écoute.

Rena

— Les amis, ça ne se fait pas de cachotteries, n'est-ce pas ?

Keiichi

— Non, bien sûr, évidemment.

Pas de cachotteries.

Rena

— Tu mens.

Keiichi

— ... Mais non, voyons, je mens pas !

Rena

— Aaaahahahaha, hahahaha,

HAHAHAHAHAHAHA !

Keiichi

— Mais qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

Rena

— Ahahahaha.... Keiichi, tu crois que je ne suis pas au courant ?

Héhhéhhé...

Rena

Je sais tout, Keiichi.

Avant d'emménager ici... tu as fait des choses.

Des choses pas gentilles.

Et je sais tout.

Je sentis mon corps se hérisser de pics.

J'eus tellement froid que même mes pensées furent gelées, comme emprisonnées dans un carcan de glace.

C'est pas vrai, c'est pas possible !

Mais comment ?

Mais pourquoi elle est au courant ?

Rena

— C'est l'inspecteur Ôishi qui a fait quelques recherches pour moi.

Rena

Il s'est renseigné sur tout le monde.

Rena

C'est là que nous nous sommes rendu compte que tu étais un sacré lascar avant de venir habiter ici !

Rena

Ahahahaha !

Keiichi

— Arr-

Arrête, Rena ! C'est du passé !

Et puis,

c'est pas ce que tu crois…

Rena

— Il paraît que tu ne t'en prenais qu'aux petites filles ?

Il va falloir en parler à Satoko et à Rika, tu sais.

Elles sont en danger en restant près de toi. Je n'aurais jamais cru.

Keiichi

— Non, Rena ! C'est pas ce que tu crois, je te dis ! C'est juste le hasard !

Rena

— Violences sur mineurs de moins de 15 ans, et pas qu'une seule fois, en plus !

Eh ben dis-donc, mais t'es pas un petit joueur ! Oh, bien sûr, tu fais pâle figure comparé aux meurtres en série ici !

Ahahaha, hahahahaha !

Keiichi

— Mais tu comprends pas... C'est pas ce que tu crois...

Rena

— C'est pas quoi ? Il n'y a rien de compliqué, pourtant.

Pendant plusieurs semaines, tu as attaqué des enfants seuls sur le chemin de l'école, avec des pistolets à air comprimé.

Rena

Les gens étaient alertés, les parents d'élèves se postaient à chaque intersection pour surveiller le maximum de rues, les enfants devaient rentrer en groupes !

Rena

Et puis, tu as même failli crever un œil à l'une des gamines, non ?

Rena

Heureusement qu'elle n'en a pas gardé de séquelles.

Rena

Ahahahahaha !

Rena

Quand je pense que tu te promenais avec des armes à air comprimé, et que malgré ça tu ne visais que des petits enfants incapables de se défendre ! Non mais tu te rends compte comme tu es écœurant ?

Rena

Qu'est-ce que tu en retirais, hein ?

Rena

Enfin, ça devait te faire plaisir, puisque tu as continué pendant plus d'un mois.

Et puis tu as fini par soi-disant avoir des remords, et tu t'es confessé à tes parents, et vous êtes allés vous dénoncer à la Police.

Rena

Alors quoi, t'avais pas les couilles de te dénoncer tout seul ?

En tout cas, la loi sur les mineurs est gentille avec les criminels.

Ni le nom des victimes, ni le nom des bourreaux ne doit être révélé dans la presse.

Rena

Et puis, ton père étant blindé de fric, tu as pu donner des dommages et intérêts astronomiques, non ?

Comme quoi, ça sert d'avoir un bon avocat, on t'a juste mis à l'épreuve.

Rena

Alors tu as attendu la fin de la période d'observation, et tu t'es servi de tes sous pour disparaître. Tu as déménagé, et hop, comme par magie, tout est oublié et pardonné !

Rena

Ah, ça, les riches, vous en avez, de la chance !

Rena

Ahahahaha !

Keiichi

— ... Tu comprends pas, Rena... Tu comprends pas...

Rena

— Alors pourquoi n'as tu jamais rien dit ?

Tu étais vraiment un bûcheur dans ton ancienne école ?

Pourquoi inventer un tel mensonge ?

Keiichi

— Non, c'était pas un mensonge.

Disons que...

Rena

— Les amis, ça ne se fait pas de cachotteries,

n'est-ce pas ?

Rena

Alors tu n'es PLUS MON AMI !

Blessé par le rasoir de sa remarque cinglante, mes yeux se mirent à pleurer du sang.

Du sang incolore, transparent, et salé.

Rena

— Je te soupçonne depuis un moment, Keiichi, justement à cause de ces incidents.

Mais ne crois pas que tu pourras me cacher la vérité plus longtemps !

Je ressentis à nouveau le remords terrible et insupportable d'alors.

Regretter ne menait à rien, et oublier était impossible. C'était une faute stupide.

Pourquoi ? Pourquoi est-ce que cette histoire revient sur le tapis ? Pourquoi maintenant ?

Je me suis excusé, j'ai accepté ma punition. Et ensuite, quand j'ai déménagé, j'ai voulu tout oublier pour repartir à zéro.

C'est d'ailleurs bien pour ça que depuis que je vivais ici, je faisais super gaffe à être sociable et gentil.

Mais pourtant...

j'avais fait tous ces efforts en vain.

Cette affaire m'avait rattrapé.

Ici aussi, je n'étais…

qu'une sous-merde.

J'avais le stress des examens, j'en avais rien à foutre, ç'aurait pû être n'importe qui.

Pourtant, j'aurais dû savoir que ce genre de conneries ne rimaient à rien !

Elles ne m'apportaient rien, rien du tout.

J'avais juste envie que les gens fissent un peu attention à moi.

Je n'avais pas le courage de dire à mes parents que j'en avais marre des révisions. J'avais envie de me faire engueuler, d'avoir quelqu'un pour me reprendre en mains, alors j'ai fait des conneries pour attirer l'attention, comme un gamin de 4 ans.

Oh, ça, je le regrette, je peux jurer que de ma vie, je ne referai plus jamais une connerie pareille !

La prochaine fois, je veux bien prendre la peine capitale, je l'aurai pas volée !

Si c'est ce qu'il faut pour être pardonné, alors je le ferai, sans hésitation, vous verrez !

Mais…

J'avais beau regretter encore et encore...

J'avais beau faire amende honorable...

ma faute n'était pas pardonnée...

Alors... J'avais espéré qu'au moins, en déménageant…

je pourrais repartir à zéro, faire comme si de rien n'était.

Si tenter d'oublier ses crimes est un péché...

Ben, je sais pas quoi répondre. Vous auriez raison de le dire.

Un crime est un crime, une faute est une faute, un péché, un péché.

Ce n'est pas quelque chose que l'on peut expier.

C'est un fardeau que l'on doit porter toute sa vie sur sa conscience.

Je sais que c'est le sort qui m'attend.

Et que si je n'étais pas content, je n'avais qu'à pas commettre de crime.

Mais alors... Comment font les délinquants et les criminels pour continuer à vivre ?

Rena

— Enfin bref.

Tu n'es pas mon ami, Keiichi.

Et puisque tu n'es pas mon ami, je n'ai pas d'ordre ni de conseil à recevoir de toi.

Alors tu vas me lâcher et me laisser tranquille.

Et pour un fameux moment, c'est compris ?

J'étais à genoux devant elle, tête baissée.

Je la vis du coin de l'œil ramasser sa machette.

J'ai vraiment souhaité très fort la voir lever son arme sur moi.

Ouais, après tout...

Quitte à vivre une déchirure, j'aurais préféré être physiquement déchiqueté.

Plutôt que de subir cette douleur dans mon âme, j'aurais préférer me faire couper la tête et en finir.

Je croyais en notre amitié.

... ou plutôt, je crois en notre amitié.

J'y crois encore, même maintenant.

Je reste persuadé

que je suis leur ami.

Et pourtant... je ne suis pas dupe.

Si je veux y croire, c'est parce que je ne peux pas accepter de reconnaître la vérité.

Je tentai de me convaincre, d'une voix larmoyante, que j'avais raison, mais je me trouvai stupide... tout cela était si stupide...

De nouvelles larmes déformèrent mon visage un peu plus encore.

En fait…

Je n'étais pas leur ami,

finalement.

J'étais un criminel, une ordure.

Et je leur avais caché mon passé.

Je le leur avais caché, parce que j'avais peur.

J'étais monté sur mes grands chevaux,

mais j'étais le premier à ne pas remplir les conditions que j'imposais aux autres.

Mais les affaires du passé...

n'ont strictement rien à voir avec ma vie d'aujourd'hui.

Si j'avais attaqué un enfant ici aussi, là, je ne dirais pas, ils auraient le droit de m'écarteler sur-le-champ !

Mais je n'avais rien fait !

Et je n'avais pas l'intention de faire du mal ! Je veux juste vivre normalement !

Quels qu'aient été les événements d'avant mon déménagement...

ils n'avaient rien à voir

avec ce que je faisais aujourd'hui.

Rena aussi avait déménagé, non ?

Si je devais apprendre qu'elle avait fait des trucs louches avant,

est-ce que mon regard sur elle changerait ?

Non, bien sûr que non !

En tout cas, je crois... ?

Même si elle avait…

je sais pas, moi, frappé des élèves dans son école...

ou cassé des vitres. Ce serait du passé, ça ne concernerait qu'Ibaraki !

Ça n'aurait aucun rapport avec Hinamizawa.

Rena resterait Rena, l'une de mes meilleures amies...

Même si je devais en apprendre de bonnes sur son passé...

Je ne vois pas pourquoi d'un seul coup, j'aurais du mépris ou de la méfiance envers elle !

Non...

C'est pas vrai.

Tu mens !

JE MENS !

Si jamais j'apprenais que la gentille Rena que j'adorais avait un passé peu glorieux, je serais le premier à m'en aller.

J'aurais peur d'elle, je la laisserais parler dans le vide, sans l'écouter !

Mais pourquoi ? Si ce sont des histoires d'avant son déménagement, ce serait du passé, ce serait sans importance !

Et puis, elle serait quand même une amie, pas n'importe quelle amie, d'ailleurs ! Une amie proche ! Une dévouée !

Ou bien tu crois vraiment que... Si la situation était inversée... Je ferais pareil ? Je la rejetterais ?

Mais alors en effet... C'est normal si Rena ne veut plus jamais me voir.

Mais alors dans ce cas... Je fais quoi, moi ?

J'étais le seul à pleurer.

Elle n'avait pas versé une seule larme.

On aurait dit qu'elle regardait une chose répugnante.

Elle me jeta un dernier regard écœuré, puis se fondit dans les ténèbres...

Elle ne m'avait pas pardonné mon péché.

Je restai là encore longtemps, toujours à genoux, le visage contre le sol, pleurant à chaudes larmes, dans le vain espoir de purger la peine de tous mes crimes passés...