Lorsque je vis les hommes en uniforme se mettre à tailler les haies de l'école, je fus vraiment impressionnée par leur ingéniosité.
C'était un moyen très naturel de pouvoir surveiller l'intérieur de l'école et de m'empêcher de partir, pour le cas où je me douterais de quelque chose.
Sauf qu'ils avaient oublié une possibilité :
je les avais démasqués dès leur arrivée et je m'en irais dès que possible.
Si je sortais par les grilles principales de l'école, tout le monde me verrait.
Je passai en vitesse derrière le bâtiment, puis vérifiai bien que personne n'était là avant de foncer de l'autre côté du jardin à curry pour enjamber l'enclos et m'enfoncer dans la forêt.
Marchant dans la végétation, j'écrasai quelques brindilles mortes qui craquèrent sous mes pas. Passant quelques troncs tombés à terre, je dus aussi supporter les griffures désagréables de certaines branches.
Enfin, j'arrivai sur un sentier.
Heureusement pour moi, le club m'en avait fait voir de toutes les couleurs pendant l'année. J'avais dû apprendre par cœur tous les petits chemins et raccourcis pour l'une ou l'autre activité.
Bon, et maintenant, qu'est-ce que je fais ?
La petite fille a dû prévenir la maîtresse, déjà.
Ils savent que je me suis enfuie. Ils doivent commencer à paniquer...
— Personne d'autre ne sait pourquoi Ryûgû est rentrée plus tôt chez elle ?
Nous nous regardâmes tous, surpris, puis fîmes non de la tête.
La maîtresse n'avait pas l'air d'apprécier la façon dont Rena était partie, sans attendre la moindre autorisation officielle. Elle avait l'air énervée.
— Mais vous savez, cete chère Rena ne se sent jamais vraiment bien ces derniers temps.
— ... Miaou...
— En plus, elle a laissé son sac ici.
... Qu'est-ce qu'il a bien pu lui prendre ?
— ... ... Je sais pas pour vous, mais j'ai un mauvais pressentiment.
— Gné ?
Je pensais avoir ma petite idée.
... Oh, rien de définitif, mais j'avais un très mauvais pressentiment.
Je me demandais si elle n'avait pas encore entendu une autre histoire encore pire et si elle n'était pas en train de préparer un truc encore plus dingue...
Je rentrai à la maison, à toute vitesse.
Je ne savais pas si mon père était parti à son travail ou simplement faire des courses,
mais en tout cas, il n'était plus à la maison.
Puisqu'ils sont déjà plus ou moins passés à la phase suivante, je ne suis plus en sécurité en restant chez moi.
Ce ne sont pas des débutants à qui j'ai affaire -- ils ont planifié et mis à exécution l'enlèvement d'un membre de la famille du gouvernement !
Les chaînes et autres serrures ne me serviront à rien.
En plus, elles me gêneront si je veux sortir... Elles me poussent presque dans un cul-de-sac !
... En un éclair, je compris que je ne pourrais plus jamais rester dormir ici.
Ça me rendait triste, mais ça m'écœurait aussi.
En tuant Rina et Teppei, j'avais enfin obtenu à nouveau le droit de vivre en paix, chez moi, avec mon père.
Et au lieu de ça, maintenant... Rah, c'est pas juste, merde !
Keiichi avait trouvé la formulation parfaite pour résumer la situation, en fait.
— Quel cadeau empoisonné !
Elle pouvait pas les garder pour elle, ces cahiers ?
Pourquoi est-ce qu'elle m'a donné des cahiers aussi dangereux ? Pourquoi est-ce qu'elle m'a révélé ce complot de dingue ?
Je lui avais rien demandé, moi !
C'est pas ma faute, c'est Madame Takano qui a tout fait !
Mais après tout, c'est moi qui ai trouvé ses histoires intéressantes, c'est moi qui ai été curieuse.
C'est moi qui ai été assez stupide pour me souvenir de choses que je voulais oublier à tout jamais et qui lui en ai parlé.
C'est moi qui ai naïvement espéré qu'en lui parlant, j'irais peut-être mieux.
Si j'avais oublié mes souvenirs, comme j'avais été censée le faire, tout cela ne serait pas arrivé !
Je n'aurais pas été mêlée à tout ça, et aujourd'hui, au lieu de psychoter, je serais en train de jouer avec les autres !
... Mais en même temps, même si je n'avais rien su, les préparatifs des fanatiques auraient eu lieu.
Et le jour de la résurrection de la déesse Yashiro, j'aurais peut-être fait partie de la masse d'innoncents qui mourra en essayant de fuir.
Si de toute façon le monde est voué à disparaître, quelle est la manière la plus heureuse de vivre ses derniers jours ?
Faut-il ne rien savoir et se diriger dans l'ignorance vers une mort certaine ? Ou bien faut-il tout savoir et se rebeller pour rien, pour finir englouti, impuissant, par le néant ?
... Franchement, si le résultat final est exactement le même...
Quitte à choisir,
je choisirais de me battre.
J'ai prouvé il y a quelques jours qu'il était possible de réclamer soi-même le bonheur, en se l'appropriant de force, avec ses propres mains !
Lorsque Rina avait commencé à nous parasiter,
j'avais cru que c'était la fin du monde.
J'avais déprimé et j'avais été persuadée qu'il ne pouvait exister de pire condition dans la vie.
Or, une semaine après, je me rends compte que ce n'avait même pas été un problème digne de ce nom.
Je n'avais eu que deux ennemis bien précis. Je les avais connus.
Je n'avais eu qu'à les prendre chacun séparément et à m'en débarrasser. Ce n'avait pas été bien difficile.
Mais maintenant, les choses étaient différentes.
Je ne savais pas qui étaient réellement mes ennemis. Je ne savais pas non plus combien ils étaient au juste.
Je ne savais pas qui était de mon côté.
Peut-être même y avait-il des gens que je croyais mes amis, mais qui étaient contre moi !
Ce n'est plus du tout la même chanson.
Là, j'ai bien raison de sombrer dans le désespoir.
Là, je suis réellement dans la pire des situations possibles...
... ... Mais peut-être pas, en fait ?
Pour Rina, le Temps m'avait montré que la situation avait été loin d'être dramatique.
Qui sait ? Peut-être que dans quelques années, je repenserai à ces quelques jours en rigolant.
Oui... Un jour viendra où je rirai de ce complot.
Je veux y croire !
Il ne faut pas penser à la fin du monde.
Il faut se battre.
Je peux me battre.
Je peux encore me défendre et tenter quelque chose !
Quitte à me traîner dans la boue et dans la fange pour survivre.
Même si c'est presque impossible, s'il me reste une chance de gagner, je préfère parier dessus.
Si Miyo ne m'avait pas donné ces cahiers, je n'aurais jamais su dans quel danger je me trouvais.
Donc finalement, c'était peut-être une chance que de les avoir obtenus. Cela me débloquait l'accès à un futur plus prometteur.
Si je ne me bats pas, alors le parasite sera propagé dans le village, et les conséquences seront terribles.
D'après les légendes, lorsque “les démons” sont sortis pour la première fois du marais, les gens infectés se sont transformés immédiatement en démon.
Et ce, alors même qu'ils vivaient encore au village.
Ce n'est que bien après que le parasite est devenu plus faible et que le fait de partir le rendait actif.
Le vrai parasite, celui qui est apparu au tout début, est capable de déclencher “la malédiction de la déesse Yashiro” même sur les terres du village !
S'ils font ça, alors la légende de la déesse Yashiro va se répéter.
Les humains et les démons vont s'affronter violemment... et au milieu de tout cela, “la déesse Yashiro” descendra sur la terre des hommes pour amener la paix.
Bien sûr, c'est ça, ce qu'ils cherchent à faire !
Et seuls les gens qui se prosterneront et loueront la gloire de la déesse seront sauvés !
... Mais bien sûr... Je sais ce qu'ils manigancent, maintenant !
Ils veulent faire repartir le culte de la déesse à zéro ! Ils veulent reproduire l'apparition de la déesse Yashiro parmi nous !
Mais oui ! Puisque Rika est déjà considérée comme la réincarnation de la déesse, le terrain est propice !
C'est maintenant ou jamais !
Ils utiliseront le parasite pour recréer la malédiction.
Mais comment feront-ils pour que la déesse Yashiro fasse cesser les combats ?
Aaaah ! Évidemment !
Un médicament !
Ils ont développé un remède !
Ils ont recréé le parasite avec sa virulence d'antan, mais ils en ont profité pour développer un vaccin pour s'en débarrasser !
Et comme ils ne donneront ce médicament qu'aux villageois les plus fervents, ils ne laisseront en vie que les personnes les plus fanatiques !
Et comme ça, ils pourront régner en maîtres absolus sur le village !
Quoique... C'est pas un peu stupide de croire qu'ils iraient se limiter simplement à Hinamizawa ? Ils ont les moyens de mener une guerre bactériologique, après tout ?
Et puis, l'Histoire nous a déjà prouvé que lorsqu'une organisation tente de s'imposer par la foi, elle finit toujours par tenter de s'étendre le plus possible. Il y a toujours des gens avides de conquêtes, possédés par la soif du pouvoir.
Donc logiquement, ils ne se sont pas contentés de recréer le parasite. Ils ont dû forcément étudier pourquoi il ne survivait qu'à Hinamizawa. Ils ont peut-être cherché le moyen de lui enlever cette faiblesse ?
D'après les recherches de Miyo, le parasite n'aime pas s'éloigner de Hinamizawa.
Cela implique l'existence d'une condition de survie impliquant un rapport géographique, une certaine distance d'avec le marais.
Il suffirait de trouver le moyen d'augmenter cette distance.
D'augmenter le rayon d'action du virus.
Je me demande jusqu'où ils ont réussi à le faire.
Jusqu'à Okinomiya ?
Dans tout le district ?
... Hmmm, non, en fait, ils peuvent tout à fait l'avoir rendu actif dans toute la préfecture.
Et avec le nombre de gens qui se déplacent ailleurs, ils vont contaminer probablement une grosse partie de la région.
Ce ne sont pas des proportions raisonnables, c'est plus qu'un simple mauvais coup.
Avec un truc pareil, ils peuvent tout à fait mettre le pays sens dessus-dessous ! C'est un complot aux proportions gigantesques !
Et le jour du jugement dernier n'est probablement plus très loin.
Il suffit de voir la manière de laquelle Miyo a été tuée, ou bien la pression qu'ils essaient de me mettre.
Le jour J est proche, et ils ne peuvent plus se permettre le moindre grain de sable dans l'engrenage. Ils doivent éliminer tout problème, coûte que coûte !
Le pire, c'est que je suis la seule à pouvoir me dresser contre eux.
Je ne peux croire qu'en mon propre jugement.
Et éventuellement en Keiichi.
Mais les autres sont tous mes ennemis !
Mii, n'en parlons pas.
Rika est l'un des éléments-clef du complot,
et Satoko tiendra toujours avec elle.
Quant aux adultes, je n'en connais aucun qui pourrait m'aider !
Je n'ai personne de mon côté.
Les seuls qui m'approchent font partie des méchants.
L'aiguille tourne, le temps presse et me rend nerveuse.
Comment faire pour me battre contre eux ?
Que faire ?
Il me faut du temps pour y réfléchir.
Ce qui signifie qu'il me faut une cachette sûre pour pouvoir consacrer du temps à la réflexion.
Heureusement pour moi, j'ai déjà une cachette sûre.
Ma cabane secrète dans la décharge !
Personne ne connaît cet endroit, j'y serai en sécurité.
Et si jamais ils devaient deviner que je suis là-bas, je connais tous les chemins pour en repartir sans me faire voir.
Mais cette cachette avait un gros problème.
Tout simplement,
elle ne contenait rien à manger.
Et c'est pour ça que j'étais rentrée chez moi.
J'ouvris le tiroir de mon père et, à l'intérieur, le petit coffre.
Son contenu n'avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois.
Il y avait toujours un tas de billets de 10 000 Yens en vrac.
Je les pris tous, sans me soucier de savoir combien il y en avait.
Mais probablement autour de quatre-vingts.
Avec une somme pareille, je devrais avoir assez.
Si j'arrive à fuir et à leur échapper suffisamment longtemps pour tenir sur cette somme, ce sera déjà un résultat formidable.
Et puis, l'argent, ça peut servir à acheter la complicité des gens.
En avoir un peu plus que nécessaire, ça ne mange pas de pain.
Le livret de la banque peut rester ici.
De toute façon, s'ils ont des contacts là-bas, ils pourraient s'en servir pour me tendre un piège.
Je préfère avoir du liquide.
Il me faut un sac…
et les clefs du cadenas de ma bicyclette.
Je pris tout ce qu'il me passa par la tête et le fourrai dans le sac.
C'est pas grave si c'est un peu lourd.
Je ferai le tri. Tout ce qui est utile reste avec moi. Le reste, je le jeterai à la décharge.
Je regardai ma montre.
Cela faisait déjà presque une demi-heure que j'étais rentrée.
Mais qu'est-ce que je fais, c'est beaucoup trop long !
Je sortis de la maison à toute vitesse.
Je me rendis dans un magasin un peu en retrait et y achetai le plus possible de pain sec, boîtes de conserves et autres petits pains aux fruits.
Heureusement pour moi, la vieille femme à la caisse commençait à être gâteuse. Elle ne sembla pas s'étonner outre mesure de me voir acheter autant de choses.
... Mais bon, lorsque la personne viendra vérifier la caisse, elle verra bien que l'un des clients a payé une somme exorbitante.
... Bah, ce n'est pas grave, après tout. Je ne viendrai plus jamais au village -- en tout cas, plus jamais pendant la journée.
Mon sac était énorme désormais, et les boîtes de conserves me faisaient mal au dos,
mais ce n'était pas si important.
Enfin, j'arrivai à ma cabane secrète.
Puis je triai mes affaires.
... Le sac avait été lourd, mais le jeu en avait valu la chandelle. J'avais maintenant de nombreuses provisions.
Je pouvais me procurer de l'eau depuis l'ancienne canalisation des baraquements.
Je n'avais pas beaucoup de légumes pour accompagner mes repas, mais je ne pouvais pas non plus faire ma difficile...
Une fois le rangement terminé, je sortis les cahiers de Miyo de leur cachette et les laissai ouverts devant moi, le cerveau en train de carburer à fond.
Alors, alors, que faire, maintenant ?
Comment pourrais-je déjouer ce complot ?
Pas de panique, il faut rester calme, mais il faut faire vite !
Je n'ai peut-être plus le temps, alors il faut trouver quelque chose, et fissa, mais quoi ?
Ah, c'est facile de courir à l'école quand on est en retard.
Au moins, on sait où est-ce qu'on doit aller !
Moi, dans ma situation, je ne sais pas où aller. Je ne sais pas quoi faire non plus ! Et je sais encore moins comment y parvenir !
Vu comment la situation s'est développée, je n'ai plus le choix : je dois en parler à l'inspecteur Ôishi.
Il y a de fortes chances pour qu'il soit l'un des leurs.
Eh bien tant pis, s'il s'avère être un ennemi, je lui dirai en face ce que j'en pense !
Mais s'il est de mon côté... J'aurai peut-être encore une chance.
Ce complot a de grandes chances de faire des remous dans tout le pays. Toute seule, je n'arriverai à presque rien. Il me sera une aide précieuse.
Si je veux lui téléphoner, il me faut une cabine.
... Hmmm. Il n'y a qu'un seul téléphone dans tout le village qui est un peu plus éloigné :
la cabine téléphonique de la forêt !
Elle était vraiment placée au milieu de nulle part. D'ailleurs, la nuit, elle éclairait si fort les environs que tous les papillons du coin venaient s'y rejoindre.
Ce n'était pas très agréable, mais à part de là-bas, je ne voyais pas d'où appeler l'inspecteur.
Il vaut mieux attendre la nuit, je ne peux pas y aller en plein jour, même si la cabine est éloignée du village -- c'est beaucoup trop risqué.
... Oui, je vais attendre la nuit avant de l'appeler.
J'imagine qu'il se casse la tête sur l'affaire depuis le meurtre de Miyo. Il sera au travail, même tard.
Heureusement que j'ai son numéro au commissariat.
Le ciel est encore très clair.
Ça ne m'arrange pas, je n'ai plus le temps, moi ! Mais je dois absolument attendre qu'il fasse nuit noire. C'est vraiment un paradoxe !
Saleté de soleil couchant, dépêche-toi, bon sang !
Bon, je peux peut-être occuper mon temps d'attente avec quelque chose de plus constructif ?
Je ne dois pas perdre mon temps à ne rien faire. Qu'est-ce que je peux faire ? Allez, une idée, mince ! Il faut faire quelque chose, quelque chose, mais quoi ?
... À force d'y réfléchir, une angoisse nouvelle naquit en moi.
De toute manière, je ne peux rien faire tant qu'il fera jour.
Alors autant bouger un peu, ça m'évitera de devenir folle.
Ma décision prise, je quittai mon repaire.
Devant la maison des Ryûgû, le père de Rena faisait les cent pas.
Au loin, on entendit soudain la sonnette d'une bicyclette.
— Ah, Monsieur le garde-champêtre !
C'est ici, ici !
Le seul agent de la Police stationné à Hinamizawa arriva sur son fidèle destrier.
Il devait avoir pédalé comme un fou, car malgré son âge -- il avait la quarantaine -- il était complètement essoufflé.
— Ouh là, pfou !
Une seconde ! Oooh... Hou... Bon, très bien. Désolé de vous avoir fait attendre. Alors, que se passe-t-il, Monsieur ?
— Je suis sûr d'avoir fermé la porte à clef en partant.
Mais en rentrant, la porte d'entrée était grande ouverte.
Les deux hommes pénétrèrent dans la maison, M. Ryûgû en tête.
— Et regardez ma chambre : vous voyez mon coffre, dans ce secrétaire ? Ils ont tout pris.
— Excusez-moi, mais, vous n'avez touché à rien ?
Tout est comme vous l'avez trouvé ?
— Oui, je me suis dit qu'il y aurait sûrement des empreintes, alors je n'ai pas touché au coffre.
Par contre, j'ai regardé l'intérieur...
— Mouais. Et donc, vous disiez, que vous a-t-on pris ?
— Eh bien, mon livret et mon sceau sont restés, mais tout ce que j'avais en liquide a été volé.
— Et donc ils n'ont pas pris le livret, ni votre sceau familial ?
Vous avez de la chance dans votre malheur, ils pouvaient prendre tout ce qu'il y avait sur votre compte avec ça !
... Ah, ce sont sûrement des pros, ils doivent savoir que nous pouvons remonter les traces sur tous les virements.
Oui, les gens qui ont fait ça savaient très bien ce qu'ils faisaient.
Et puis regardez, ils ont juste ouvert le coffre, ils auraient pu tout prendre et faire le tri après, mais non ! Oui, ce ne sont pas des débutants.
Il y avait combien ?
— ... Eh bien, je ne sais pas, je n'ai jamais compté, mais je gardais une certaine somme, au cas où... Je dirais qu'il y avait pas loin d'un million de yens.
— Oho, ah oui, effectivement...
Est-ce que vous avez dit à quelqu'un que vous aviez tellement d'argent sur vous ?
— Non, je n'en ai parlé à personne... mais j'imagine qu'elle savait. Elle devait se douter que j'avais toujours des sous sur moi...
— Elle ? Qui est donc cette “elle” ?
J'aimerais beaucoup avoir plus de détails, vous savez.
— ... Écoutez, je n'en suis pas fier, mais…
J'ai connu cette femme, Rina Mamiya, et...
Soudain, le téléphone retentit, sa sonnerie résonnant très fort dans le couloir.
— ... Excusez-moi, je réponds juste,
je suis à vous tout de suite.
M. Ryûgû décrocha le combiné avec force, pestant à voix basse contre l'idiot qui l'appelait dans un moment pareil.
— Oui, ici les Ryûgû.
— Ah !
Euh, bonjour,
je m'excuse de vous déranger, c'est Keiichi Maebara à l'appareil. Est-ce que Rena est là, s'il-vous-plaît ?
— Rena n'est pas encore rentrée, non.
— Quoi, elle n'est pas encore à la maison ?!
Hmmm...
— Écoute, désolé garçon, mais j'ai des choses plus importantes à régler.
Rappelle plus tard si tu veux jouer avec elle.
Je raccroche.
Le combiné fit un petit son de cloche, signifiant la fin de l'appel téléphonique.
Je ne pouvais que rester assise comme une idiote, bouche bée.
En apparence, rien n'avait changé.
D'ailleurs, franchement dit, je n'étais même pas sûre d'être au bon endroit.
Je savais juste qu'il y avait une bosse dans la terre près des arbres pas très loin. C'était à ce détail que j'avais retrouvé l'endroit.
C'est dire si les corps de Teppei et de Rina étaient bien cachés...
D'ailleurs, au début, ma réaction avait été de me dire que je m'étais trompée d'endroit.
Mais la terre sous ma pelle ne mentait pas.
Un simple coup de pelle suffisait à savoir si le terrain avait été creusé ou pas.
Après plusieurs essais, j'en étais venue à la conclusion que j'avais bel et bien raison -- les corps étaient enterrés ici.
... ... J'avais juste un tout petit problème : les sacs renfermant les corps n'étaient plus là !
Pourquoi ?
Mais pourquoi ils sont pas là ?
On les a enterrés si profond que ça ?
Non, je ne crois pas.
D'ailleurs, le sol redevient dur comme de la pierre.
Nous n'avons pas creusé plus profond !
... Je ne m'étais absolument pas attendue à ça.
J'étais revenue ici pour vérifier les corps, c'est vrai, mais ce n'était pas dans un but spécial, je voulais juste tuer le temps en attendant la nuit.
Vu que je ne savais pas quoi faire, j'avais pensé que ça m'occuperait un moment.
Je comptais juste venir ici, regarder les sacs, reboucher le trou et repartir.
Je voulais juste me rassurer !
Pour le coup, j'avais tout gagné : j'avais des sueurs froides et poisseuses dans tout le dos.
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Il n'y avait pas trente-six solutions.
Les corps ne sont pas revenus à la vie pour rentrer chez eux...
Donc forcément, quelqu'un d'autre est venu ici et a déterré les corps !
Mais qui ? Et surtout pourquoi ?
Est-ce que quelqu'un aurait pu nous apercevoir par hasard en train d'enterrer quelque chose et aurait tout déterré par curiosité ensuite ?
À ce moment-là, cette personne a dû appeler la Police...
Non, ce n'est pas possible.
Cela fait un moment que nous avons enterré les sacs.
Depuis avant la purification du coton, déjà !
Normalement, l'inspecteur aurait su pour les morts de Rina et de Teppei bien avant d'entrer en contact avec moi.
Mais il ne m'en a jamais parlé, il n'y a même jamais fait allusion.
Et je ne vois pas pourquoi il ferait exprès de me le cacher.
Ça ne laisse qu'une seule solution possible : lui et la Police ne sont pas encore au courant !
Mais alors, pourquoi est-ce que les cadavres ont disparu ?
Je ne voyais qu'une seule solution au problème.
C'était l'un de ceux qui m'avaient aidée à les enterrer qui avait fait ça.
L'un du groupe était revenu ici par la suite pour reprendre tous les sacs et les emmener ailleurs !
La première qui m'est venue à l'esprit fut Mion, bien sûr. Sauf que le clan Sonozaki n'avait absolument aucune raison de faire ça.
Ils n'avaient rien à voir dans le meurtre de Rina, ça ne les intéressait pas.
Alors pourquoi se laisser porter le chapeau ?
Ils n'ont aucune raison de vouloir être mêlés à ça.
Pourquoi se donner exprès du mal à récupérer les corps ? C'était comme chercher exprès le joker au pouilleux ! Pourquoi garder la patate chaude dans les mains ?
Que penserait Mii à ma place ?
Qu'est-ce qu'elle ferait, en tant que chef du club ?
Au pouilleux, le joker est la pire des cartes, mais dans les autres jeux, il peut devenir un atout considérable.
... Et si la situation change et que le joker devient important...
Mais bien sûr ! Une décharge électrique me parcourut la colonne vertébrale lorsque je compris ce qu'il se passait. Elle m'a eue !
Le clan des Sonozaki a récupéré les corps pour pouvoir me donner à la Police !
Ils essaient de me faire taire avec leur équipe d'assassins, mais pour le cas où ça ne marcherait pas, ils ont désormais un autre moyen de pression sur moi !
C'est une assurance, en quelque sorte...
Normalement, la chose qu'ils redoutent le plus, c'est de me voir contacter la Police à propos de ce complot.
S'ils arrivent à couper ce lien, il n'y aura plus personne pour m'aider.
S'il y parviennent, les carottes seront cuites !
Ils doivent sûrement vouloir utiliser ces cadavres
pour me vendre à la Police !
Si jamais la Police se met à me rechercher en tant que suspecte, plus personne ne m'écoutera quand je serai au poste.
... Les dernières personnes à pouvoir éventuellement rallier ma cause se retourneront contre moi !
Heureusement, ce joker n'est pas une carte facile à jouer.
Déjà, Mii m'a aidée à les enterrer, ces sacs, donc le clan porte une part de responsabilité.
Et puis, si le jour J est proche, ils ne voudront sûrement pas avoir la Police “dans les pattes”.
... Je raconterai tout à l'inspecteur Ôishi ce soir, et je lui demanderai de l'aide.
Je lui raconterai même des choses que je n'ai pas osé dire à Keiichi.
Déjà comme ça, je ne suis pas sûre que l'inspecteur veuille me croire -- la probabilité est infime -- mais en plus, mes ennemis ont un atout majeur contre moi !
... Sacrée Mii, elle est pas chef du club pour rien.
Pour moi, cette bataille, c'est une question de vie ou de mort, mais pour elle, ce n'est qu'un jeu. Le plateau de jeu, c'est le village, mais pour elle, ce problème n'est qu'une ressource à gérer.
En pensant au mot jeu, je ne pus m'empêcher de sourire.
Tous les jours, je me bats avec l'énergie du désespoir pour ne pas prendre les gages.
Finalement, la situation était un peu la même maintenant.
Je ne voyais qu'une seule raison pour laquelle mon adversaire voulait me mettre en mauvaise posture.
Il devait avoir peur de moi.
Je m'imaginais n'être qu'une fille sans défense et sans pouvoir, ballotée par les événements, mais...
En fait, mon ennemi avait un avis tout autre sur la question.
Si vraiment il me considérait comme inoffensive, il ne se donnerait pas autant de mal pour se débarrasser de moi.
Ce qui veut dire que... le contenu des cahiers de Miyo doit être vraiment très proche de la solution. Beaucoup plus proche que je ne le pense !
... Heh.
Finalement, ils ne sont pas les seuls à avoir un joker dans la main.
Moi aussi !
Ce joker est tellement puissant qu'il peut mettre un terme à tous leurs plans.
Et c'est exactement pour ça qu'ils font des pieds et des mains pour me retrouver et me supprimer !
Ahahahahahaha !
Je crois que maintenant, je comprends l'expression “la souris acculée mord le chat”.
Je n'avais plus peur de rien.
Tout comme j'avais eu peur d'eux, ils avaient peur de moi.
Nous étions à forces égales, en fait.
La situation n'était pas aussi désespérée que je l'imaginais !
Finalement, j'ai très bien fait de revenir ici.
J'ai découvert l'une des cartes de mes ennemis. Et cette information allait m'être extrêmement précieuse.
J'eus un large sourire ; je tremblai d'excitation à l'idée d'en découdre.
Je n'avais plus rien à faire ici.
De toute façon, mes ennemis connaissaient cet endroit et le lien qui m'unissait à lui et à eux par la même occasion.
Rester ici signifiait se mettre en danger. Cet endroit n'était pas sûr.
Je décidai de retourner à ma cabane secrète.
En chemin, je passai près de chez moi.
Je me rendis immédiatement compte que quelque chose clochait.
Me cachant dans l'ombre des arbres, j'observai la rue devant chez nous...
Mon père discutait avec le garde-champêtre.
J'affinai mon ouïe pour écouter leur conversation.
— Oui.
D'habitude, il est toujours rangé là.
Mon père montrait du doigt l'endroit où je mettais mon vélo.
— Hmmmm,
d'accord, je comprends.
Prévenez-nous si votre fille rentre.
Nous allons la chercher nous aussi.
Sacrée Mii,
elle a déjà joué son joker ?
Mion est toujours celle qui va déclarer les hostilités pour plier l'affaire rapidement, tant qu'elle est en tête.
Apparemment, la Police est déjà à mes trousses.
... Avec ça, l'inspecteur Ôishi va avoir encore moins de chances de me croire...
Quoique...
C'est peut-être justement le contraire.
Il est tout proche de la retraite, ce qui le pousse à faire du zèle, car c'est sa dernière chance de régler le compte du clan Sonozaki.
Si quelqu'un peut y voir clair à travers leur jeu et me venir en aide, c'est bien lui !
Évidemment, il y a de fortes chances pour que sa présence soit un piège, tout du long.
Il s'est peut-être dit l'ennemi des Sonozaki pour s'attirer ma sympathie et me tendre un piège.
... Or, curieusement, leur joker m'avait redonné espoir.
Si Ôishi était de leur côté, ils avaient joué leur joker beaucoup, mais alors beaucoup trop tôt.
Je suis sûre qu'il n'est pas de mèche avec eux.
C'est pour ça qu'ils ont joué leur joker -- ils devaient le faire avant qu'il ne décidât de m'aider !
... ... Quoique, non, attends, c'est peut-être justement là qu'est le piège. Ils veulent me faire croire qu'il est de mon côté...
Quand Mion vous pose une colle, il ne faut généralement pas chercher la petite bête, c'est souvent là-dessus que se basent ses pièges.
Mion est très forte pour deviner comment réfléchissent les gens.
Si je me pose des questions, j'entre dans son jeu.
Je ferai donc comme je l'avais prévu.
J'attends encore un peu, et lorsqu'il fera bien sombre dehors, j'appellerai l'inspecteur.
S'il est de mon côté, je lui demanderai ce que je dois faire.
S'il ne veut pas m'aider...
... Hmmm. Je crois que j'ai trouvé ce que je vais faire en attendant la nuit : je vais y réfléchir, parce qu'apparemment, ça s'impose...