Le lendemain, Rena fit ce qu'elle avait promis de faire : elle vint à l'école, comme si de rien n'était.
À la voir discuter aussi naturellement avec Mion, je commençai à croire que j'avais rêvé la conversation téléphonique d'hier soir.
En plus... Cette histoire était vraiment abracadabrante.
Alors soi-disant, il y aurait une maladie bien spéciale dans la région, et un groupe de fanatiques religieux voudrait découvrir son agent pathogène pour la rendre plus nocive et la propager, dans le but de répandre leur culte...
Hier soir, Rena m'avait amené la théorie petit à petit et j'avais avalé ça sans broncher,
mais après une nuit de sommeil, franchement, je voyais bien que c'était du grand n'importe quoi.
Après tout, Rena non plus n'est sûre de rien, elle n'a fait que lire les recherches de Madame Takano, et tout le monde sait qu'elle était bizarre, cette femme. En plus, elle n'a aucune preuve de ce qu'elle avance -- ce sont des déductions très fines et des hypothèses, rien de plus.
... Mais bon, d'un autre côté, elle s'est fait assassiner justement à cause des ces théories en apparence si fumeuses... Ça leur donnait une certaine légitimité...
J'observai Mion.
Elle faisait tout pour tirer un sourire à Rena, même de si bon matin.
Je la vois mal faire partie de ce complot surdimensionné.
— T'as rien écouté de ce que je te parle, p'tit gars, hein ?
— Quoi ?
Hein ? Ben, euh...
Non, en fait, désolé, j'écoutais pas.
— Ahahahahahaha !
T'as encore la tête dans le cul ?
Eh, il faut se réveiller, fais tourner le moteur un peu !
J'étais juste en train de réfléchir ! Mais bien sûr, il faut toujours qu'elle se moque de moi...
... ... À la voir si pleine de vie, j'ai du mal à imaginer qu'elle ne soit pas digne de confiance.
Mion est mon amie.
Et moi, je fais confiance à mes amis. Alors à Mion aussi.
Elle ne peut pas faire partie de ce complot.
Je veux espérer que si elle était au courant, elle ne serait pas aussi joyeuse.
Rena pensait que parler à Mion pouvait être très dangereux.
Je me demande si ça pourrait valoir le coup de lui en parler sans le dire à Rena...
... Évidemment, il y avait une infime possibilité qu'effectivement, Mion était l'une des personnes impliquées et que j'étais en train de creuser ma tombe.
Mais quitte à choisir entre la théorie du complot et la confiance en mes amis, ben pour moi, le choix était vite fait.
Mion ne faisait pas partie de ce complot ; c'était strictement impossible -- c'était une amie !
Même si par le plus grand des hasards le complot devait vraiment exister, je parie que Mion serait de notre côté.
Donc dans un cas comme dans l'autre, ça vaut largement le coup de lui parler...
— Alors, Kei, qu'est-ce qu'il y a ?
Pourquoi tu m'as appelée ici ?
En plus, c'est une réunion secrète...
Ne me dis pas que tu veux me racketer ?
— Mion, quand un mec demande à une nana de venir seule et en secret dans un endroit reclus et sombre, tu penses à un chantage ? T'es pas bien dans ta tête...
— Alors quoi ?
Les lettres d'amour, ça se met dans les casiers à chaussures !
— Pas en ville.
Il y a pas mal de courageux qui préfèrent la donner en mains propres.
— Hein ?
Nan, sé-sérieux ? Tu...
— ... ... Mais non, voyons, sois pas stupide.
J'ai un truc important à te demander.
Je te préviens, je rigole pas, alors s'il-te-plaît, écoute-moi jusqu'au bout.
— ... Ben alors, c'est quoi le problème ?
— Tu sais qu'il y a un groupe de fous furieux qui veulent réinstaurer le culte de la déesse Yashiro ?
— ... Gné ?
P'tit gars, de quoi que tu me causes ?
Évidemment, ce n'était que le début.
Je voulais voir sa réaction en y allant franco.
Mion avait vraiment l'air surprise et déroutée.
Ce n'était pas la réaction de quelqu'un dont le pire secret a été découvert.
À moins d'être une actrice de génie, elle ne savait tout simplement pas de quoi je parlais.
... Rassuré, je décidai de tout lui dire.
— Mion.
Ta famille a une influence énorme sur le village et même sur les villes avoisinantes.
... Est-ce que vous... militez pour redonner vie aux anciennes coutumes liées au culte de la déesse ?
— ... Redonner vie ?
Mais pourquoi faire ça ?
— Je veux dire,
comparé à avant, le culte de la déesse Yashiro est plus trop ce qu'il était, non ?
Est-ce que tu sais pas s'il y aurait des... des fondamentalistes, ça se dit ? qui voudraient faire revenir le culte à son niveau d'antan, à l'époque de l'ancien village ?
— Quoi ?
Attends, attends,
mais c'est quoi ton truc, là ?
— ... Tu vois vraiment pas de quoi je parle ?
— Mais non, du tout !
C'est quoi comme histoire de fou ? Tu comptes vendre ça à Hollywood ?
Elle avait une réaction tout à fait naturelle, presque ingénue.
C'était trop spontané pour être joué. Elle ne pouvait pas faire semblant de ne rien savoir...
mais je préférais en être sûr.
— Non mais, tu comprends pas :
il y a des gens dans le village qui veulent faire ça, apparemment.
T'as rien entendu à ce sujet ?
— Remettre les cérémonies de la déesse à leur prestige d'antan ?
Mais, je veux dire, pourquoi ? Qu'est-ce que ça va nous apporter ?
— Ben... J'en sais rien, moi, mais j'imagine que pour des fanatiques religieux, ça doit revêtir une grande importance ?
— Ça OK, mais tu sais,
si les anciennes règles étaient remises en place, je crois que tout le monde tirerait la gueule.
Aujourd'hui, il serait impossible de vivre sans quitter le village, ne serait-ce que pour aller acheter à manger.
— Ouais, mais je veux dire, regarde, je sais pas moi, Rika, tiens !
Les gens la chouchoutent et se prosternent devant elle, ils disent qu'elle est la réincarnation de la déesse Yashiro.
Je te dis, parmi eux, il y a une frange de fous furieux qui-
— Aah, les gens comme le vieux Kimiyoshi ?
Mouais... J'imagine qu'ils sont assez pieux, mais ce ne sont pas des fondamentalistes intégristes non plus...
— Rah, mais c'est pas la question, putain,
il existe un groupe de fous furieux dans le village, point barre ! Et ils veulent redonner à la déesse Yashiro son importance d'origine !
— Ahahahahahahahaha !
… Bon, bien,
admettons, parce que sinon on n'aura jamais fini.
Et alors ?
— Ben et alors, ils ont découvert qu'en fait, la déesse, c'était juste une maladie bien particulière à la région, et ils étudient l'agent pathogène.
— Où ça ?
Et puis même, une maladie ?
C'est quoi un agent pathogène ?
Si c'est sale, t'approche pas !
À vrai dire, même moi, je ne savais plus trop comment continuer...
Hier soir au téléphone, les explications avaient été convaincantes,
mais là, en le répétant, je me rendais compte que c'était franchement n'importe quoi...
— Alors quoi ?
Oooh, toi, c'est Miyo qui t'a raconté toutes ces salades ?
— ...
Comment tu sais ça ?
— Parce qu'elle est connue pour ça !
C'est une fan de trucs occultes, alors elle s'amuse tout le temps à écrire des théories à la con.
Et puis parfois elle tombe sur un pigeon qui la prend au sérieux, et là, c'est généralement pas triste...
Moi aussi, elle m'a raconté une de ses histoires il y a longtemps, c'était vachement marrant !
Ah ha ha.
— ... Euh...
Sérieux ?
— Je suppose que t'as dû l'entendre depuis que tu es arrivé ici, mais en fait, dans notre village, autrefois, on avait des coutumes assez spéciales.
Elles étaient pas piquées des hannetons, si tu vois le genre, des règles très strictes, des châtiments assez violents, des habitudes plutôt gores et cruelles, bref, le genre de trucs qui ont beaucoup de succès chez les personnes qui aiment un peu les choses occultes.
Et dans le genre, ben, Miyo est un sacré morceau.
— Mais alors... Il n'y a pas de parasite ?
— Hein ?
Un parasite ?
C'est sa nouvelle version ?
— Comment ça, nouvelle version ?
— Je te l'ai dit, Miyo est une fana de choses bizarres, les légendes urbaines, tout ça.
Elle étudie les anciennes légendes de Hinamizawa -- avant, le village s'appelait les abysses des démons -- et elle s'amuse à établir des théories et inventer des explications à un peu tout et n'importe quoi.
Dans ton cas, apparemment, ce sont des parasites qui dirigent le village, mais elle a écrit des tas d'histoires.
Il y a longtemps maintenant, elle m'en a raconté une avec un OVNI !
Mais le pire, c'est que son histoire était vraiment bien foutue !
Il y a plusieurs siècles de cela, un OVNI se serait crashé dans le marais du village, et des extra-terrestres en seraient descendus pour attaquer les villageois. Et puis ça continuait comme un bon film d'horreur un peu science-fiction, tu vois ?
Satoko a entendu quelle version ? Je crois que ça parlait du peuple souterrain.
Les mouvements de croûte terrestre auraient créé un tunnel vertical entre le royaume d'Agartha et le marais de Hinamizawa et... je sais plus trop.
Ah si, la princesse de ce peuple serait venue ici et serait tombée amoureuse d'un villageois ! Ça partait vers du Roméo et Juliette, mais en version occultiste.
Et donc, dans sa toute nouvelle mouture, c'est un parasite ?
Rah, il faut qu'elle les fasse publier un jour ! Elle est trop drôle, cette femme !
Mion se tenait le ventre à force de rire.
Peu à peu, en la regardant, je compris que j'avais avalé des couleuvres de taille gigantesque.
Oui, je ne pouvais pas me le cacher.
J'avais tout simplement naïvement cru à des sornettes.
— OK, Mion,
j'ai besoin de réponses claires et précises, tu veux bien faire ça pour moi ?
Alors d'abord, est-ce qu'il y a des gens qui voudraient remettre l'accent sur le culte de la déesse ?
— Non.
J'vais t'dire, c'est plutôt même le contraire.
Les trois clans se sont déjà mis d'accord pour ouvrir le village sur le reste du pays et pouvoir continuer à se développer.
C'est une info confidentielle, mais d'ici le XXIème siècle, il y aura une nouvelle autoroute dans le coin, le plan est déjà plus ou moins approuvé.
Le clan des Sonozaki graisse pas mal de pattes pour que le projet soit accepté.
Si ça marche, la région aura un coup de fouet économique, les affaires vont marcher.
Et le prix du terrain va augmenter à fond, ce qui va nous permettre de gagner des sommes folles -- enfin, c'est ce que dit mon aïeule.
Mais bon, ce sera dans une vingtaine d'années, hein -- je serai à la tête du clan, ce sera à moi de gérer le patrimoine...
— Mais alors... C'est qui qui déteste voir arriver des gens d'ailleurs ?
— Mais personne, je te dis ! T'es dur, quand même !
Tu vois un peu comme le village va mal ? Si on le coupe du reste du monde, ce sera pire ! À quoi ça nous mènerait ?
Et d'ailleurs, on a déjà commencé à vendre des terrains du village pour que des gens viennent y faire une seconde résidence.
Devine qui est notre premier nouvel habitant ? C'est toi !
Les habitants vous ont accueillis, non ? Tout le monde vous parle, on essaie de savoir qui vous êtes, et tout...
Tu sais, les trois clans se sont creusés la tête pour savoir comment arrêter l'hémorragie, et nous avons plein d'idées !
Mion parlait d'une voix claire et assurée.
Ce qu'elle me disait était bien plus réaliste et plausible que l'histoire de Miyo à laquelle Rena croyait dur comme fer.
Plus j'écoutais Mion et plus le bon sens résonnait dans mes oreilles. Peu à peu, j'émergeai de mon mauvais rêve...
— Mais... Mais alors... Je sais pas, elle avait des preuves d'une infection de parasite, quand même ? Je veux dire, le sang ! Les taux de je-ne-sais-quoi qui sont beaucoup plus haut à Hinamizawa !
— Ah bon ?
C'est peut-être vrai, hein, mais comment est-ce que Miyo a trouvé ça ?
— Attends, c'est une infirmière, si elle veut mener son enquête là-dessus, elle doit bien pouvoir le faire ?
— Mais qui va donner une prise de sang pour une analyse à la con comme celle-là ?
Pas moi en tout cas.
Et même, imaginons qu'elle paye suffisamment, elle les fait où, ses analyses ?
Elle est toute seule, tu crois qu'elle peut faire des milliers de tests comparatifs ?
Mion avait raison.
Peut-être que la profession de Miyo m'avait impressionné au point de la croire capable de tout.
Encore, si un hôpital général avait fait ces analyses, pourquoi pas, mais là, Miyo se basait sur des observations privées.
... Maintenant que j'y réfléchissais un peu logiquement, je me rendais compte que c'était une histoire absolument pas crédible.
— Mais attends, elle a aussi prouvé le parasite par l'absence de rhume des foins chez la population !
— Mais le rhume des foins, c'est une maladie de la ville, eh, péquenaud !
C'est à cause des gaz d'échappements !
On est à Hinamizawa ici, coco,
je parie que même à Okinomiya tu auras du mal à trouver quelqu'un qui fait une allergie au pollen...
— ... OK, mais l'enlèvement ? Ha !
Eh ouais, l'enlèvement du petit-fils du ministre il y a quelques années, c'est bien votre troupe d'assassins d'élite qui l'ont enlevé, tu vas pas le nier ?
— AHHHHAHAHAHAHAHAHAHAHA !
Ah purée, ce serait super cool, si seulement !
AAHahahaha, ahahahahahaha !
... Ce ne fut qu'en la voyant rire que je me rendis compte de l'énormité que j'avais sortie.
Et pourtant, hier, j'y avais cru.
Rena avait eu l'air tellement sérieuse en disant ça que je n'avais eu aucun doute.
— Le fait est que le gamin a été retrouvé dans un coin paumé vers Takatsudo, c'est vrai.
Mais ça veut pas dire que c'est nous qui avons fait le coup -- et je te jure que c'est pas nous.
Mais ça nous a pas empêché de faire comme si c'était nous qui avions commandité l'enlèvement.
— ... C'est compliqué, ton histoire.
— Oui, je sais.
À l'époque de la guerre du barrage, l'association des comités de défense des abysses des démons a fait des tas de choses pas très gentilles, c'est vrai.
Nous avons intimidé les gens.
Mais à l'époque, certains en profitaient pour nous refiler leurs sales coups sur le dos.
Ils utilisaient notre nom pour extorquer de l'argent, par exemple.
À l'époque, l'association avait la gniaque, elle était prête à en découdre.
Alors forcément, il devait bien y avoir des idiots pour se dire qu'en sortant leur nom à quelqu'un, il serait facile de forcer la main sur n'importe quel chantage.
— Et au milieu de tous les événements, nous avons appris l'enlèvement du gamin du ministre.
J'imagine que les ravisseurs ont fait croire que c'était nous pour brouiller les pistes de la Police et réclamer des sous.
Pour être honnête avec toi, nous étions les premiers surpris !
Et puis, cet enlèvement, c'était un peu providentiel pour nous.
Je me souviens que nous avons bu un coup en l'honneur des ravisseurs, et que l'on s'est demandé s'il n'y avait pas moyen de leur décerner une médaille.
— Attends une minute,
mais alors, cet enlèvement,
il n'a rien à voir avec vous ?
— Non.
Aucun rapport du tout.
Le ton de sa voix avait quelque chose de définitif.
Elle disait ça avec la force tranquille de la vérité irréfutable.
Et en réfléchissant un peu, c'était normal.
Il faut être complètement dingue pour enlever un proche du gouvernement et négocier une rançon ! C'est pas un petit délit !
Une petite association de quartier, même si elle est teigneuse, ne peut pas organiser un truc pareil. On parle de Hinamizawa, un bled paumé dans l'arrière-pays...
Soyons réalistes, cet enlèvement, ça sent le travail de professionnels aguerris !
— ... Mais bon, comme je l'ai dit tout à l'heure,
le clan des Sonozaki a fait comme si c'était lui le commanditaire.
— Mais ça veut dire quoi, vous avez fait comme si ?
— ... Écoute, c'est un secret, d'accord ? C'est le plus grand secret du clan,
alors bon, je t'en parle, mais tu gardes ça pour toi, surtout ! Tu me le promets, hein ?
En fait, quand il se passe quelque chose qui peut arranger les choses du clan, nous sommes tenus de faire comme si nous étions dans le coup. Nous faisons ça depuis longtemps, mais c'est juste du bluff.
— ... Comment ça, du bluff ?
C'est du mytho ?
— Eh oui.
Ça n'a pas besoin d'être une sale affaire ou un truc vraiment grave, hein.
En théorie, si ça nous arrange vraiment, on peut faire croire que le numéro gagnant de la lotterie, ben c'est nous qui l'avons choisi.
Il faut juste faire en sorte que les gens croient que nous avons tiré les ficelles.
Au bout d'un moment, que va-t-il se passer, d'après toi ? Tout le monde va penser que dès qu'il y a un hasard un peu extraordinaire, nous sommes dans le coup.
Que ce soit en bien ou en mal...
Tu vois ce que je veux dire ?
C'est un truc que les chefs de notre clan se refilent de génération en génération. Ça nous sert à mettre la pression sur nos adversaires et à nous faire respecter.
C'est un peu comme les animaux qui se font plus grands que ce qu'ils sont pour que les prédateurs ne les attaquent pas, si tu veux.
— ... Rhhaaaa, mais c'est pas vrai...
Mais pourtant, vous aviez prévu de prendre d'assaut le ministère,
non ?
Et les armes ? Et l'entraînement ?
— Héhhéhhé,
c'est la même chose, p'tit gars, c'est le même principe !
Qui serait assez stupide pour faire quelque chose d'aussi fou ?
Sauf qu'avec notre comportement habituel, les gens s'imaginent que nous, si, nous en sommes tout à fait capables !
Et c'est le but, les gens doivent nous croire capables d'absolument tout.
Ça leur met la pression -- et ça fait toujours son petit effet.
Ils se sont préparés à le faire, mais n'avaient pas la moindre intention de passer à l'action, c'était juste du bluff...
Ouais, j'imagine bien...
Qui ferait quelque chose d'aussi fou ?
Ils n'auraient de toute façon aucune chance contre les forces de défense du pays ! Et puis, se fritter avec la Police ou les militaires ne leur apporterait rien ! N'importe qui pourrait comprendre ça en y réfléchissant deux minutes !
Et même en admettant qu'ils prennent la sécurité par surprise, ils ne feront pas le poids face aux renforts anti-émeutes !
— Mais alors, les armes et l'entraînement aussi, c'est du pipeau ?
— Pour les armes à feu, on va dire no comment☆!
Mais nous nous sommes vraiment entraînés.
Si tu veux faire croire à un gros mensonge, il faut que les petits détails soient crédibles !
Je me souviens que nous avons pris Kasai et quelques jeunes de chez Papa pour les larguer au Texas, en plein désert, avec d'anciens militaires américains. On a un peu joué à la guerre et ensuite, on a passé 2 semaines peinardes à San Francisco !
Ahahahahahahaha !
— Mais alors... Alors...
Je ne trouvais plus rien à redire.
Tout était clair et limpide, désormais.
Rena et moi étions tombés dans le panneau.
Nous avions naïvement cru aux sornettes écrites dans les cahiers de Madame Takano...
Moi, j'avais tout gobé parce que Rena avait été sérieuse comme tout, mais en y réfléchissant un peu, il y avait des tonnes de contradictions dans cette histoire.
D'ailleurs, franchement, je ne comprenais pas pourquoi Rena y croyait.
... En même temps, c'est sûrement de notre faute.
Elle a eu tellement peur le jour où nous avons découvert son crime... Elle ne s'en est toujours pas remise.
J'imagine qu'à cause du choc, elle était facile à manipuler. Il a suffi de lui faire croire à un morceau pour qu'elle gobe le tout sans broncher.
Pourtant, Rena est intelligente.
Je n'arrive pas à réaliser qu'elle ait pu être aussi crédule !
Et sur ces explications de Mion, la dernière part de mystère qui restait fut résolue par l'arrivée impromptue de visiteurs..
Pendant la pause de midi, les quatre hommes en uniforme d'ouvriers que j'avais vus hier vinrent à l'école avec leur camionnette blanche.
Je remerciai Mion et me mis à suivre discrètement les quatre compères.
Leur “chef”, si je puis dire, se rendit en salle des professeurs.
— Bonjour bonjour, c'est l'équipe des jardiniers Okonogi !
— Ah, merci d'être venus.
Il fait chaud aujourd'hui, vous ne trouvez pas ?
— Bah, vous en faites pas, vous êtes tellement jolie que pour moi, ça vaut largement le déplacement ! Ahahahaha !
— Eh bien alors, désolée, mais je compte sur vous aujourd'hui encore. Faites ce que vous avez à faire.
— Oui, ne vous en faites pas, on en fait notre affaire.
Ah, et au fait, mon chef m'a dit de vous donner ceci.
— Oh, le devis et la facture ? Très bien, merci beaucoup.
Je vois que la date est vide ?
C'est parfait, pas de souci.
Très bien, c'est accepté, alors.
— Bon, eh bien si vous m'excusez, nous avons du travail !
L'homme avait l'air très content d'avoir pu parler à la maîtresse.
— Tiens donc ?
Qu'y a-t-il, mon jeune Maebara ?
— Oh, bonjour Monsieur le Directeur.
Euh... C'était qui, cet homme ?
Le Directeur pointa du doigt vers la fenêtre.
Tournant la tête, j'entendis soudain le bruit d'un petit moteur qui démarrait.
Dehors, quelqu'un tirait sur le cordon d'une débroussailleuse.
Les quatre ouvriers avaient descendu chacun une machine de la camionnette, préparant qui des serpes, qui des échelles, qui encore une tondeuse.
— Ils sont jardiniers professionnels.
Cela faisait bien longtemps que l'entretien des arbres et des haies n'avait pas été fait, vois-tu, mon garçon.
Alors, nous avons décidé de faire ceci avant que n'arrive l'été.
— Aaah, Monsieur le Directeur, bonjour à vous ! Et merci pour le chantier !
Le chef des hommes dehors sembla remarquer notre présence à la fenêtre. Il nous fit signe, puis enleva sa casquette pour nous saluer.
— Je vous en prie !
Je compte sur vous pour faire du bon travail.
— Ne vous en faites pas, ce sera réglé d'ici la fin de la journée !
Par contre, ça va être un peu bruyant, mais on n'y peut rien !
Chacun armé de son outil de travail, les quatre hommes se dirigèrent vers la végétation envahissante du bâtiment.
Le bruit étant tout de même assez conséquent, les ouvriers ne mirent pas longtemps à captiver l'attention de tous les enfants.
— Eh bien alors, les enfants ?!
Je vous ai dit que c'était dangereux ! Rentrez en classe imMÉdiatement !
La maîtresse n'avait pas l'air de plaisanter.
Elle vint voir le Directeur pour lui donner la facture.
Il y avait un tampon vert dessus qui disait : Les Jardins Okonogi S.A.R.L.
— Monsieur le Directeur ?
Je m'excuse de vous imposer cela, mais pourriez-vous rapporter cette facture au centre de la mairie la prochaine fois que vous vous y rendrez ?
— Oui, bien sûr, Mademoiselle.
Qu'il en soit ainsi.
— Euh... Madame ?
Ils sont déjà venus hier, ces gens ?
— Oui,
ils sont venus après les cours pour voir un peu l'étendue du travail qu'ils auraient à faire.
Ils étaient un peu en retard d'ailleurs, ils se sont perdus dans le village en voulant prendre un raccourci.
— Oh, je ne leur jette pas la première pierre ! Notre village est truffé de chemins étroits et similaires,
pas étonnant qu'ils se fussent trompés !
— Je me souviens encore de mon premier jour ici, c'était très embarrassant… La maîtresse et le Directeur partirent d'un grand rire.
Depuis le début, il n'y avait rien eu de louche, en fait.
Si ces gens m'avaient paru suspects hier, c'était uniquement parce que Rena m'avait raconté ces sornettes et que j'y avais cru.
Et puis d'abord, c'est la première chose que j'ai pensé, non ? “C'est pas si rare que ça, une camionnette blanche” !
J'ai juste été pris par surprise parce que je venais d'entendre une histoire qui m'avait fait froid dans le dos.
Ces ouvriers qui n'étaient pas du coin s'étaient simplement perdus et avaient fait une pause pour se calmer.
C'était tout. Rien de plus...
... ... ...
Mais comment est-ce que j'ai pu me tromper à ce point ?
Je n'ai même pas douté un instant de la véracité des histoires que Rena m'a racontées. J'ai cru que le clan des Sonozaki -- la famille de MION, quand même ! -- faisait des trucs louches dans l'ombre, je me suis même imaginé qu'ils étaient une secte !
J'ai même été jusqu'à soupçonner Mion !
Mais merde,
mais qu'est-ce que t'es con, Keiichi Maebara !
Bordel, enfin, c'est l'une de tes meilleures amies !
Tu as pourtant juré l'autre jour que les amis étaient aussi sacrés que la famille, non ?
C'est même toi qui l'as dit aux autres, à voix haute, à grands renforts de larmes ! Comment tu peux les soupçonner, t'es pas bien dans ta tête ou quoi ?!
Il y a plus important... Rena !
Rena y croit encore, à ces bêtises ! Impossible de savoir si elle se rendra compte de son erreur ou pas !
Il faut absolument lui faire comprendre la vérité, et vite !
Il faut qu'elle se réveille de son cauchemar, parce qu'en ce moment, elle n'est pas comme d'habitude, elle n'arrive pas à se calmer.
Elle voit le mal partout... Elle s'imagine réellement que les Sonozaki sont derrière tout ça ! Elle croit en ce scénario de film de série Z !
Je me souvenais parfaitement du numéro de la plaque, et j'avais scrupuleusement noté leurs visages hier.
... Pas de doute possible, c'était bien l'un des véhicules qui me surveillaient !
J'avais déjà découvert quatre autres véhicules qui essayaient de toujours me garder à l'œil.
Mais cette camionnette, c'était la plus tenace ; je m'en souvenais bien.
J'imagine que les autres ne servent qu'à savoir où je me trouve -- celle-là par contre contient l'équipe chargée du sale boulot.
C'était facile à deviner, quelques voitures vérifiaient si la voie était libre, et la camionnette passait à l'action !
Et puis, Miyo avait bien dit que c'était comme ça qu'ils procédaient ! C'était marqué dans ses cahiers...
Mais s'ils osent se montrer même dans l'école, c'est qu'ils ont fini de jouer. Il va falloir être très prudente...
Je ne les crois pas capables d'oser m'attaquer à l'école.
Ils en sont encore à agir dans le plus grand secret, en attendant leur heure.
... Normalement, ils ne devraient pas pouvoir se permettre d'être trop zélés...
En même temps, ils avaient l'air de bien s'entendre avec la maîtresse et le directeur.
Je n'avais pas tout entendu de leur conversation, mais elle avait été bizarre.
Je fermai les yeux et me passai en boucle la cassette audio de ma mémoire. En bruit de fond, j'avais vaguement tout distingué...
— Bonjour bonjour, c'est l'équipe *** ********** ******* !
— Ah, merci d'être venus.
** **** ***** aujourd'hui, vous ** ******* *** ?
— Bah, vous en faites pas, vous êtes tellement ***** que pour moi, ça vaut largement le déplacement ! Ahahahaha !
— Eh bien alors, désolée, mais je compte sur vous aujourd'hui encore. Faites ce que vous avez à faire.
— Oui, ne vous en faites pas, on en fait notre affaire.
Ah, et au fait, mon chef m'a dit de vous donner ceci.
— Oh, ** ***** et ** ******* ? Très bien, merci beaucoup.
Je vois que ** **** est vide ?
C'est parfait, pas de souci.
Très bien, c'est accepté, alors.
— Bon, eh bien si vous m'excusez, nous avons du travail !
J'analysai la situation à la vue de mes informations. Ma tête me repassa en boucle les vidéos dans ma tête. Je les examinai sous tous les angles, au ralenti, en accéléré, encore et encore.
Alors, je compris ce qu'il était en train de se passer, et je pris peur.
Il ne faisait aucun doute que ces hommes connaissaient au moins la maîtresse, peut-être même le directeur.
Mais je ne les avais jamais vus ici. De plus, je ne voyais aucun rapport évident entre eux.
Ils sont donc forcément ceux qui constituent cette fameuse équipe de meurtriers au service des Sonozaki.
Il suffit d'écouter leur accent pour s'en rendre compte, ils sont forcément ceux que les Sonozaki ont entraînés en Amérique.
Et cette équipe d'assassins professionnels tape la discute avec Madame Cie.
Ils se connaissent bien, se sont déjà vus.
Ça me fait penser,
je sais pas grand'chose sur la maîtresse, en fait.
À l'époque de la guerre du barrage, l'école de Hinamizawa avait fermé et les élèves avaient dû rejoindre ceux de l'autre école en ville.
Mais l'association de défense n'avait rien voulu savoir des ordres de l'Éducation Nationale. Ils avaient converti le bâtiment des Eaux et Forêts en une nouvelle école, pour montrer leur résistance.
Mais ce n'est pas parce que les habitants font un caca nerveux que l'État va leur affecter une maîtresse.
Cet acte de résistance n'était que pour la forme.
Et pourtant, une maîtresse sacrément motivée était venue ici quand même, parce qu'elle trouvait que c'était injuste pour les enfants.
Et cette maîtresse, c'était Madame Cie.
... Ce poste était clairement louche. Cette affectation ne pouvait pas être naturelle, la préfecture aurait dû refuser quelqu'un.
Et puis, les fonctionnaires de l'État ne font jamais de zèle. Ils n'ont qu'à se tenir tranquilles et ne pas voter trop à gauche pour éviter le licenciement.
C'est l'un des rares emplois où la retraite est assurée et où il n'y a jamais, JAMAIS de chômage.
Et elle, toute fonctionnaire qu'elle était, elle avait bravé sa hiérarchie pour venir faire la classe ici. C'était pas normal.
Aujourd'hui, les gens lui portent un grand respect.
... À ce que l'on raconte, c'est Oryô Sonozaki en personne qui est allée négocier avec la préfecture pour que Madame Cie ne soit pas déchue de son poste -- c'était la sanction décidée et appliquée par la hiérarchie. Et Oryô Sonozaki avait réussi à convaincre la préfecture.
... En fait, il suffisait de relier les points entre eux pour avoir la réponse.
Madame Cie avait été engagée par Oryô Sonozaki, et comme couverture, on lui avait donné le poste de la maîtresse du village.
Elle était donc à la solde d'Oryô Sonozaki depuis avant son affectation ici !
Le directeur avait toujours été le directeur de l'école, même avant.
Il était en place, il est très connu dans le coin. Il doit forcément avoir d'étroites relations avec les clans fondateurs du village.
Ce qui signifie que...
... Que cette école est sous la surveillance des Sonozaki, depuis le début !
Donc bien évidemment que l'équipe d'assassins connaît la maîtresse !
... Je parie que c'est elle qui les a prévenus
que j'étais à l'école aujourd'hui...
Je n'ai pas trop envie de réfléchir à la raison pour laquelle elle les a ramenés ici.
S'ils étaient juste là pour vérifier ma présence, ils pouvaient le faire depuis un poste plus éloigné, après les cours.
Mais ils ne l'ont pas fait. Ils sont exprès venus à l'école ! Pourquoi ?
Allons, Rena, tu n'es quand même pas stupide, ma grande ?
Tu imagines que si tu ne remarques pas la vérité, elle cessera d'exister, ou quoi ?
Réfléchis un peu, idiote ! Reste calme, reste zen, Rena Ryûgû !
Ça paraît évident, pourtant ! Ça veut dire qu'ils veulent me régler mon compte aujourd'hui, à l'école, d'une manière comme d'une autre !
Mais ici, à l'école ? Impossible !
Tous mes amis sont là ! Et puis, il y a les autres enfants !
Mais non, suis-je bête !
La maîtresse n'aura qu'à me convoquer en salle des professeurs, pour un prétexte fallacieux comme pour un autre !
Mais, et les autres membres du club ?
Hmmm, vu que c'est la maîtresse, ils ne verront sûrement rien venir. Et puis, elle n'aura qu'à donner une excuse bidon pour les renvoyer.
Elle n'aura qu'à dire par exemple qu'il y aura des travaux de faits dans l'école et que les enfants ne pourraient pas rester car c'est trop dangereux !
— Bah, vous en faites pas, vous êtes tellement ***** que pour moi, ça vaut largement le déplacement ! Ahahahaha !
— Eh bien alors, désolée, mais je compte sur vous aujourd'hui encore. Faites ce que vous avez à faire.
Mais bien sûr... Bien sûr !
“Faites ce que vous avez à faire” ! Ce n'est pas une phrase qui peut prêter à confusion, ça ! Elle leur donne l'ordre de passer à l'action !
De quoi ont-ils parlé après...
— Oui, ne vous en faites pas, on en fait notre affaire.
Ah, et au fait, mon chef m'a dit de vous donner ceci.
— Oh, ** ***** et ** ******* ? Très bien, merci beaucoup.
Je vois que ** **** est vide ?
C'est parfait, pas de souci.
Très bien, c'est accepté, alors.
Oui...
L'homme a donné une enveloppe et des documents à la maîtresse.
... Je n'aimais pas le mot “vide”.
Qu'est-ce qui pouvait être vide ? Quelque chose qu'il aurait effacé, ou supprimé peut-être...
Mais bien sûr ! Ils se parlent en code : sur le papier, là où il devrait y avoir mon nom, la place est vide !
Allons, Rena Ryûgû, je t'ai dit d'arrêter d'être stupide !
Arrête de faire semblant de ne pas comprendre !
C'est pourtant pas compliqué :
Ils doivent te supprimer !
“Faites en sorte que la place de Rena Ryûgû soit vide.”
C'est un ordre de leurs supérieurs !
Alors que je m'approchai, bien cachée, de leur position, le directeur se mit à lire le document.
Il avait l'air extrêmement sérieux, le contenu devait être très important et grave.
J'aurais bien voulu lire ce document moi-même, mais ce serait impossible.
Alors que je l'observai du mieux possible pour essayer de découvrir un détail, l'enveloppe attira mon attention.
Au bas de l'enveloppe, il y avait un cachet vert : “Les Jardins Okonogi S.A.R.L.”. Il y avait même un numéro de téléphone écrit en dessous.
Heureusement, ma vue était excellente.
... J'appris très rapidement le numéro par cœur.
Si ce sont bel et bien les assassins à la solde des Sonozaki, alors cette entreprise, c'est du flan.
Je parie que le numéro ne mène nulle part.
Il me fallait vérifier cela au plus vite. Mais où trouver un téléphone ?
... Il y en a un en salle des professeurs.
Apparemment, j'ai de la chance, la maîtresse et le directeur discutent en regardant les hommes dans la cour.
C'est maintenant ou jamais !
Faisant bien attention à ne pas être vue, j'entrai dans la salle des professeurs et me cachai sous le bureau du directeur avec le téléphone.
Je me remémorai le numéro plusieurs fois, puis le composai, nerveuse.
Heureusement que le téléphone était l'un de ces nouveaux modèles à boutons.
S'il avait été à cadran, je me serais tordue les doigts dessus...
Si quelqu'un décroche, j'ai juste à demander si je suis bien chez les jardins Okonogi.
J'attends la réponse, oui ou non, et je raccroche.
Ça y est, quelqu'un décroche !
— ... Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué.
Je sentis une vague de froid me remonter le long du corps, des pieds jusqu'à la tête.
Attends, fais pas l'idiote.
Tu t'es peut-être trompée de numéro ? L'erreur est humaine, après tout.
... Non, j'ai une mémoire parfaite.
C'était un numéro facile à retenir,
je peux pas avoir fait d'erreur.
Mais peut-être que mes doigts ont appuyé sur plusieurs boutons à la fois ?
Je reposai le combiné et pris une profonde inspiration. Puis je recomposai le numéro, calmement, méthodiquement.
Il était très difficile de me retenir d'aller plus vite ; après tout, je ne savais pas quand les adultes allaient revenir.
Mais je n'avais pas le choix, je devais absolument vérifier maintenant !
— ... Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué.
Je le savais. Je ne m'étais donc pas trompée.
J'avais raison sur toute la ligne.
Les Jardins Okonogi étaient une entreprise fictive.
C'était la couverture factice de l'équipe d'assassins du clan des Sonozaki !
— Veuillez vérifier le numéro de votre interlocuteur ou le demander au service des renseignements.
... Le numéro que vous avez demandé...
La voix automatique au bout du fil me rendait presque malade. Elle était si désincarnée...
Je reposai le combiné et quittai la salle des professeurs à toute vitesse.
Je me rendis illico aux toilettes et me passai la tête sous l'eau froide pour essayer de me calmer.
Calme-toi, Rena !
Reste calme, reste zen !
Allez, Rena Ryûgû,
ressaisis-toi, enfin !
Maintenant, c'est clair : cette école n'est plus un lieu où je suis en sécurité.
Si je reste ici, ils me supprimeront sans hésiter et sans difficulté !
Me supprimer ?...
Mais pourquoi vouloir me supprimer ?
Ils ne peuvent pas savoir que c'est moi qui ai les cahiers de Madame Takano !
... ... Suis-je bête...
J'ai parlé des cahiers...
à Keiichi.
Je lui ai dit qu'ils étaient en sécurité dans ma cabane secrète,
dans la décharge.
Oh, c'est pas vrai...
Pas Keiichi...
Ne me dites pas que lui aussi...
Il travaille pour les Sonozaki ?
Ma tête était en ébullition, comme si la méfiance faisait mijoter ma cervelle.
Je plaçai tous mes indices et toutes mes infos dedans, comme autant de légumes.
Je laissai mijoter tout cela, écumant réguliérement, vérifiant le goût de la sauce...
... Non, ce n'est pas possible, Keiichi est de mon côté.
Keiichi est le seul à être de mon côté.
Lorsqu'il m'a tendu la main ce jour-là, ses yeux ne mentaient pas, son cœur ne mentait pas !
Lorsqu'il m'a attirée à lui, si fort, c'était tout son être qui m'avait attirée tout contre lui. Il était pur, honnête, droit, direct !
Keiichi est différent des autres, je n'ai pas le droit de le soupçonner, je dois lui faire confiance, Keiichi est de mon côté !
— ... Pardon, Keiichi,
encore un peu et j'allais porter des soupçons sur toi…
Pardon...
Je te demande pardon...
Je décidai de faire amende honorable à voix haute, c'était mieux, c'était plus sincère.
Et puis, à bien y réfléchir, il importait peu, finalement, que les cahiers fussent en ma possession ou pas.
Ils n'avaient qu'à supprimer tous ceux qui leur paraissaient louches !
C'était la chose la plus sûre et la plus efficace, non ?
... Mais alors, ça veut dire qu'ils sont nerveux à propos de quelque chose... mais quoi ?
Peut-être que le jour du retour de la déesse Yashiro est tout proche et qu'ils ne peuvent plus se permettre d'attendre pour rogner les derniers coins et aplanir les derniers angles ?
Que dirait Oryô Sonozaki dans un cas semblable ?
“Si vous en avez tellement peur, espèces de hanneusses, vous n'avez qu'à la tuer !
Pas la peine de la laisser courir !”
... Oui, je l'entends bien dire ça.
Non, tu l'as entendu, parce qu'elle l'a réellement dit !
Tu es aveugle ou quoi, tu ne vois pas que ces gens sont là à l'école, aujourd'hui, juste pour toi !?
Mais alors, je fais quoi, moi, hein ?
Je ne peux pas attendre la fin des cours comme si de rien n'était !
Je suis comme les poissons dans l'aquarium du chef cuisinier !
J'ai beau éviter les filets et les mains, je n'en suis pas moins dans un aquarium, dans une cuisine !
Alors, je fais quoi ?
Je dois éviter les filets, mais aussi m'en aller au plus vite de l'aquarium !
Je suis complètement paumée, là ! Contre qui je me bats ? Qui est avec moi, qui est contre moi ?
Il me faut au moins un peu de temps pour y réfléchir. Et aussi pour réfléchir à ma survie.
Je dois partir, partir d'ici, le plus vite possible !
En sortant des toilettes, je vis justement une petite fille qui voulait y entrer.
Je posai une main au mur et pris un air contrit, pour faire croire que j'étais mal en point.
— Eh, désolée, mais...
Je me sens pas bien, je vais rentrer à la maison.
Tu pourras prévenir la maîtresse, s'il-te-plaît ?
Évidemment, si je voulais m'enfuir, il fallait faire ça discrètement, et donc ne pas en parler.
Mais si je ne faisais pas savoir cette excuse, ils verraient que je suis partie sans donner d'explication.
Ce qui revenait à dire avec un porte-voix que je les avais calés et que je prenais la fuite !
Mais si je fais ça, ils n'auront plus aucune raison de se retenir. Ils pourront envoyer leurs troupes à mes trousses ! Et je ne pourrai plus rien faire !
Mais si “le hasard” faisait que j'évitais leur piège cet après-midi, en étant malade, ils relâcheraient peut-être leur pression.
... Après tout, “malade” comme je l'étais, je ne pourrais pas aller bien loin...
Je me dirigeai vers la salle de classe pour récupérer mes affaires, mais changeai de trajectoire en cours de route.
Je n'ai pas besoin de mon cartable.
Voyant bien que plus personne n'était là pour me regarder, je cessai mon cinéma et partis comme une dératée à travers la cour.
— ... Hmmm ?
Mademoiselle Cie, j'ai bien peur qu'il y ait une erreur.
— Pardon ?
Pourquoi, où est le problème ?
— Regardez ici.
La date sur le devis et sur la facture n'a pas été indiquée.
N'aurions-nous pas dû inscrire la date d'aujourd'hui ?
— Non, non, il paraît que c'est mieux ainsi pour l'administration.
Apparemment, ça ne leur plaît pas lorsque le devis et la facture sont à la même date.
La personne en charge de nos budgets m'a demandé de laisser la date vide.
— Je vois.
Et aussi, j'ai remarqué que le numéro de téléphone des documents n'était pas le même que celui inscrit sur l'enveloppe.
Quel est donc le bon numéro ?
— Oh, vous avez raison. Je serais bien incapable de vous répondre.
Ah, MONSIEUR !
— OUIiii ?
Qu'essiya, ma p'tite dame ?
— Le numéro de téléphone du devis et de la facture n'est pas le même que celui de l'enveloppe. Pourriez-vous m'indiquer lequel est le bon ?
— Oh !
Ahahahahahaha !
Ne vous en faites pas, celui de la facture et du devis est juste !
En fait, il nous restait beaucoup d'enveloppes avec l'ancien numéro, nous avons déménagé l'année dernière ! Mais bon, nous ne voulions pas jeter les enveloppes, vous comprenez ?
Ah, j'suis vraiment confus,
je vais demander à la petite qui travaille chez nous de nous commander de nouvelles enveloppes et de jeter les vieilles !
J'suis vraiment désolé !
Vous pouvez effacer le numéro sur l'enveloppe, ou même carrément la liquider, si vous voulez !
Ahahahahahaha !