Rena

— ... ... OK.

C'est bon, ça ira.

Désolée.

Je relâchai la tension dans mes épaules.

Keiichi

— Bon...

Eh ben alors, que s'est-il passé ?

Rena

— Je crois que...

Je crois que ces derniers jours, quelqu'un me suit à la trace.

Keiichi

— Comment ?!

Mais pourquoi ? Par qui ?

À peine m'étais-je posé la question que je me rendai compte de ma stupidité.

Keiichi

— ... Tu veux dire... La police ?

Rina Mamiya et Teppei Hôjô avaient disparu dans la nature.

Même si peu de gens allaient les regretter, même s'ils étaient des escrocs, leur disparition entraînerait forcément une enquête de police.

Et les flics ne mettront pas longtemps à découvrir que Rina avait une liaison avec le père de Rena.

Mais normalement, ça devrait pas poser de problème.

Tant que les sacs ne seront pas découverts, elle n'a rien à craindre.

Rena

— Franchement dit, je ne sais pas si c'est la Police qui me suit.

Mais depuis la nuit de la purification du coton... j'ai l'impression que quelqu'un m'observe constamment.

Keiichi

— ... Mais qu'est-ce que ça signifie ?

Rena me toisa d'un regard froid et calculateur.

... Comme si elle était en train de me mettre une note.

Oui, elle veut me dire quelque chose d'important, mais elle doit d'abord calculer si ça vaut la peine de m'en parler...

Rena serra d'une main son autre poignet, puis me parla à voix basse.

Rena

— ... Oui, je peux t'en parler, je suppose. Mais est-ce que tu peux me jurer de n'en parler à personne ?

Keiichi

— Ouais, bien sûr.

Si tu veux que je garde ça pour moi, je me tairai.

Rena

— ... Ouais.

Oui, toi, je peux te faire confiance, je pense.

Elle eut un petit sourire, très faible. Elle se remit à scruter les alentours, puis reprit à voix basse.

Rena

— Ils ont... Je crois qu'ils sont à la recherche des cahiers de Miyo.

Keiichi

— Miyo ? C'est qui ?

Aaah, l'infirmière à la clinique ? Comment qu'elle s'appelle, Madame Takano, c'est ça ?

Et ces fameux cahiers dont tu parles, c'est quoi ?

Rena

— ... Aaah, si l'enquête est secrète, j'imagine que tu n'es pas au courant.

Miyo Takano...

a été assassinée.

Keiichi

— Hein ? Quoi ? Sérieux ?

Quand !?

Moins fort !

Rena prit une voix plus faible pour continuer.

Rena

— Le soir de la fête, à la fin, nous avons dit au revoir à Miyo et à M. Tomitake, tu te souviens ?

Eh ben il semblerait qu'ils aient été attaqués juste après, sur le chemin du retour.

Rena

M. Tomitake... est mort de la malédiction de la déesse Yashiro. Il s'est arraché la carotide avec les mains.

Rena

Quant à Miyo, elle a été retrouvée dans les montagnes, dans la préfecture de Gifu, entièrement brûlée.

Keiichi

— ... Oh putain, mais sans déconner ?

Personne n'est au courant, par ici, tu sais !

Rena

— Oui, je m'en doute, en fait.

La police mène son enquête, mais en secret.

C'est parce que c'est le cinquième meurtre en série au village, tu sais.

Ils ne veulent pas semer un vent de panique parmi les habitants.

Keiichi

— Ah ouais quand même.

Donc c'est une enquête secrète ? Mais alors, pourquoi t'es au courant ?

Rena

— ... Tu le dis à personne, hein ?

L'inspecteur Ôishi du commissariat d'Okinomiya m'a contactée.

C'est lui qui m'a mise au courant.

Keiichi

— Mais pourquoi ce mec t'en parle ?

Rena

— ... Alors ça, aucune idée.

Il m'a dit qu'il avait l'impression qu'il pouvait me faire plus confiance qu'aux autres habitants du village, mais c'est peut-être juste un beau parleur.

Cette histoire était très tarabiscotée. Je ne savais pas trop quoi dire.

... Mais Rena n'était pas du genre à mentir.

Si ç'avait été Mion, je l'aurais crue capable de me tirer la langue avec espièglerie pour m'annoncer qu'elle me menait en bateau, mais Rena ?

Rena

— Miyo a été tuée... probablement à cause de ses recherches, enfin, c'est ce que je crois.

Tu savais qu'elle étudiait en détail l'histoire de la région et les anciens us et coutumes ?

Keiichi

— Hmmm, je crois bien qu'on me l'a déjà dit, oui.

Madame Takano aimait les trucs un peu bizarres, les histoires occultes et surnaturelles.

Il y avait des légendes sur des démons cannibales dans le village. Ça l'amusait beaucoup de rechercher des choses dessus.

Je crois que c'est Mion qui m'en avait parlé un jour.

Rena

— Je pense que lors de ses recherches, elle a découvert un secret du village qu'elle n'aurait pas dû découvrir.

Rena

Mais peut-être qu'elle était loin de la vérité. En tout cas, ceux qui l'ont supprimée étaient d'un tout autre avis.

Keiichi

— Attends un peu, là,

de quel secret du village tu parles ?

Rena

— ... ... ... Je vais être franche, je n'ai lu qu'une toute petite partie de ses recherches.

Rena

Mais elle ne m'a prêté que les cahiers qu'elle considérait comme les plus importants, donc je pars du principe que j'ai lu la partie qui revêt la plus grande importance dans ses recherches.

Rena

Je dirais que je connais 80% de ce que Miyo avait découvert.

Rena

Mais honnêtement, c'est une histoire de dingue. Je n'y crois pas encore tout à fait.

Rena

C'est pour ça que je compte faire quelques vérifications, pour savoir si la théorie de Miyo est justifiée, ou si c'est du flan.

Keiichi

— ... Mouais.

Et c'est quoi alors, cette histoire de meurtre ? Elle s'est fait tuer car elle en savait trop ? Elle a découvert quoi ?

Je m'arrêtai brusquement, paralysé par la peur.

Si Rena m'en parle, je risque moi aussi de me faire tuer...

Rena

— Keiichi, ne le prends pas mal, mais je préfère ne pas encore t'en parler.

Rena

J'aimerais trouver des preuves avant de t'en dire plus.

Rena

Je te jure que c'est une histoire complètement folle, je ne veux pas la raconter si ce sont des bobards.

Keiichi

— Et tu cherches quoi comme preuves, alors ?

Rena

— Bah, je peux prouver la poussée d'asticots par moi-même, puisque j'en ai déjà vécue une, mais il y a encore plein d'autres éléments qui ne sont que des conjectures.

Rena

Tant que je n'aurai pas d'éléments tangibles, je refuse d'y croire.

Des asticots ?

Je ne comprenais pas trop où elle voulait en venir, mais je préférai me taire et ne pas l'interrompre avec mes questions.

Puis, soudain, malgré la chaleur écrasante,

Rena se mit à se recroqueviller, les bras sur ses genoux, comme si elle avait froid.

Keiichi

— Rena,

je suis de ton côté, quelles que soient les circonstances.

Si tu veux tout me dire uniquement à moi, c'est pas grave, tu peux me faire confiance.

Rena

— ... Merci, Keiichi.

Tu sais pas tout ce que ça représente pour moi.

Elle avait vraiment l'air contente en disant ça.

Je pouvais bien voir qu'elle était dépassée par les événements dans lesquels elle s'était retrouvée mêlée. Et le fait de pouvoir n'en parler à personne avait apparemment beaucoup fait pour la rendre nerveuse.

Bon sang, mais je suis bête ! J'en ai parlé avec les filles aujourd'hui, c'est justement dans ce genre de situations que je peux lui être utile ! Non, que je dois lui être utile, en étant de son côté !

Rena

— Écoute, Keiichi, dans ton propre intérêt, je crois qu'il vaut mieux ne dire à personne que tu m'as vue aujourd'hui.

S'ils apprennent que tu as pu entrer en contact avec moi, ils t'auront dans leur radar aussi.

Keiichi

— ... OK, comme tu veux.

... C'est tout ? Je peux pas faire autre chose pour toi en attendant ? T'es sûre ?

Rena

— Non, pas pour l'instant.

Mais je dois t'avouer que c'est rassurant de savoir que je pourrai te demander un service quand le moment sera venu.

Rena

... Me laisse pas tomber, hein ?

Keiichi

— T'inquiète,

laisse faire le pro.

Rena

— Chhh !

Une voiture !

Rena plaça sa main sur ma tête et me l'enfonça dans les herbes, à ras du sol.

Je restai en position, retenant mon souffle.

... ... ...

Après plusieurs instants, j'entendis un bruit de moteur. Encore après, une camionnette blanche nous passa devant.

Rena avait l'ouïe sacrément fine...

Comment avait-elle fait pour l'entendre arriver d'aussi loin ?

Rena

— Tu as pu voir le numéro de la plaque ?

Keiichi

— Quoi ?

Non, désolé,

j'ai pas pensé à regarder, je dois dire.

Rena

— Moi, je n'ai pas vu le numéro complet, mais je parie que c'est la même que tout à l'heure.

Keiichi

— ... C'est la bagnole de ceux qui te suivent partout ?

Rena

— Je pense, oui.

Rena

... D'habitude, il n'y a jamais une voiture ici, mais comme par hasard, elle est passée bien cinq ou six fois rien qu'aujourd'hui.

Rena

Je me cache à chaque fois qu'elle arrive, mais... c'est louche.

Keiichi

— Tu crois que c'est eux, alors ?

Ce sont eux qui ont tué Madame Takano et qui en ont après ses cahiers ?

Rena

— ... Probablement, oui.

C'était vraiment une histoire de dingue. Je comprenais pourquoi Rena me disait qu'elle avait du mal à y croire elle-même.

Madame Takano devait avoir découvert un truc inimaginable sur ce village pendant ses recherches.

Et les gens qui voulaient garder ça secret l'ont appris. Et du coup, le soir de la purification du coton, ils ont imité la malédiction de la déesse Yashiro pour la supprimer.

Et maintenant, ils en ont après les documents où elle avait consigné ses recherches. Ceux dont Rena est en possession, si j'ai bien compris son histoire.

Mais alors... Rena est en danger, elle aussi ?

Keiichi

— Mais Rena, du coup, ce serait dangereux de rester chez toi, non ? Et ta famille ?

Rena

— T'inquiète pas,

j'ai caché les cahiers dans ma cabane secrète, dans la décharge.

Rena

... J'ai un peu peur pour Papa, je dois dire... Mais il ne sait rien de toute cette histoire. C'est peut-être une chance pour lui, d'ailleurs, ils le laisseront sûrement tranquille...

Keiichi

— ... ... ...

Rena

— Ahahahaha !

Keiichi, tu ne dis rien, mais c'est tout comme.

Tu n'arrives pas vraiment à croire en cette histoire, n'est-ce pas ?

Keiichi

— ... ...

J'ai bien pensé lui dire que c'était pas ça, mais je me suis dit que lui mentir ne ferait qu'empirer les choses. Surtout que j'étais pas doué pour mentir. Alors j'ai préféré me taire.

Rena

— Mais tu sais, c'est une réaction logique et naturelle.

Rena

Moi, au début, je me suis dit qu'elle avait complètement débloqué. J'ai bien failli les jeter à la poubelle tellement je trouvais ces cahiers stupides.

Rena

... Et puis je me suis forcée à les lire... et au bout d'un moment, j'ai commencé à comprendre pourquoi elle avait peur.

Keiichi

— ... Écoute, Rena,

je suis de tout cœur avec toi, vraiment.

Mais j'y comprends rien, à cette histoire. Je sais pas trop comment faire pour t'aider et ça m'énerve.

Rena

— Si je t'en parle en détail, Keiichi, ta vie sera en danger.

Keiichi

— Mais la tienne, de vie, elle est déjà mise à prix, non ?

T'as des tueurs à tes trousses ! On sera dans la même galère, c'est tout !

Rena

— ... OK, d'accord.

Rena

Je veux bien te le dire, alors.

Rena

... Ceux qui ont tué Miyo, ce sont probablement des gens engagés par les trois clans fondateurs.

Rena

Pour être franche, la famille de Mii est la plus à-même de faire une chose pareille.

Keiichi

— Mais pourquoi ?

Rena

— Keiichi, tu connais les meurtres des années passées, n'est-ce pas ?

Keiichi

— Ouais, plus ou moins.

Chaque année, des gens meurent, comme par hasard toujours des gens qui étaient pour la construction du barrage.

Rena

— Oui, exact. Ces meurtres en série, c'est un peu une facture.

Le village paye un tribut en vies humaines, pour pouvoir faire place nette et oublier toute cette histoire. Pour y mettre un terme, définitivement.

Keiichi

— ... Mouais. Ouais, pourquoi pas, ça se tient.

J'ai déjà entendu dire que les Sonozaki étaient dans le coup, surtout parce que personne ne pouvait affirmer qu'ils étaient innocents, en fait...

Rena

— Sauf que s'ils veulent juste faire payer les traîtres du village, normalement, ils n'ont pas besoin de se faire chier à attendre la purification du coton, chaque année.

Rena

Surtout qu'ils ne peuvent tuer que deux personnes chaque année ! Et ils doivent absolument les tuer de manières bien précises ! Une maudite et une enlevée par les démons !

C'est pas logique, tu ne trouves pas ?

C'était la première fois que j'entendais cette expression, mais elle me mettait mal à l'aise ; par contre, je n'avais pas le temps d'en demander le sens à Rena, il y avait plus important. Je me tus et acquiesçai, l'invitant à poursuivre.

Rena

— Ce qui veut dire que ces meurtres doivent revêtir une signification religieuse, ou bien qu'ils doivent redonner un sens important à la fête de la purification du coton.

Rena

... Je vais être honnête, je sais ce qu'ils essaient de faire. Ces meurtres, ce sont des étapes pour redonner un côté divin et mystique à la cérémonie. Depuis l'ère Meiji, les traditions se perdent.

Rena

Ces gens-là veulent réintroduire le culte de la déesse Yashiro dans toute sa splendeur d'antan. Ils veulent un culte primitif, comme à l'époque, quand le village s'appelait encore “les abysses des démons”.

Keiichi

— Mais si c'est le culte de la déesse Yashiro,

ça a un rapport avec le temple Furude, non ?

Rena

— Si.

Le temple Furude, tu crois que les gens le respectent ?

Ah, les anciens, oui, mais ils sont bien les seuls.

Rena

Les enfants s'en servent comme terrain de jeu. Les autres adultes n'y viennent que pour les réunions du village.

Rena

Il n'est pas sacré, ce temple, les gens y entrent comme dans un moulin.

Rena

Mais depuis la guerre du barrage, c'est différent.

Rena

Les gens derrière ces meurtres se sont dit que c'était une bonne occasion de remettre le culte religieux voué à la déesse au goût du jour.

Keiichi

— ... Mais alors... Ce sont des fanatiques de la déesse qui tirent les ficelles dans l'ombre ?

Rena

— T'as tout compris.

Et à la base, le culte de la déesse était surveillé, ou disons, perpétué, sous l'œil vigilant des trois clans fondateurs.

Rena

C'est pourquoi les chefs de ces trois clans ont pour mission de veiller à ce que le culte ne tombe pas en désuétude.

Rena

C'est pour ça que les clans fondateurs ont mis la résistance sur pied en unissant tout le village derrière eux. Et c'est pour ça qu'ils ont installé le quartier général dans le sanctuaire des Furude.

Keiichi

— Alors cette série de meurtres aurait été perpétrée par les gens des trois clans fondateurs ?

Ou bien non, par des fanatiques religieux ?

Mais alors, pourquoi ils ont tué Madame Takano ?

Rena

— C'est à cause d'un secret sur le village d'avant, un secret que les trois clans fondateurs ont caché pendant tous ces siècles.

Si jamais les gens le savaient, le culte de la déesse Yashiro serait immédiatement abandonné.

Rena

Alors, quand ils ont compris que Madame Takano avait découvert ce secret au cours de ses recherches...

Eh bien, ils l'ont supprimée.

Keiichi

— Et ce secret si terrible, c'est quoi ?

Je sais que ça pourrait signer mon arrêt de mort, mais je m'en fous, je veux savoir ce que c'est de si spécial !

Rena

— ... ... Je préfère ne pas encore te le dire, Keiichi.

Rena

Je ne veux pas en parler avant d'être sûre à 100% que ce ne sont pas des conneries.

Rena

C'est pas pour te vexer, mais si je te le dis maintenant, tu vas exploser de rire et tu ne me prendras plus jamais au sérieux.

Keiichi

— Oh vas-y, tu crois vraiment que je ferais ça ?

Rena

— ... ... ... Écoute, donne-moi encore un peu de temps, s'il-te-plaît, tu veux bien ?

C'est vraiment... gros, comme truc. Je n'arrive pas à réaliser.

Alors laisse-moi encore un peu de temps.

J't'en supplie.

Keiichi

— ... ... ... ... OK, d'accord.

Rena

— Ne raconte surtout à personne ce que je viens de te dire, d'accord ?

Ni à Mii, ni à Rika, ni à Satoko non plus.

Keiichi

— OK, si t'insistes...

Rena

— Bon, eh bien Keiichi, il est l'heure de partir.

Je reste encore quelques minutes et je m'en irai aussi.

Crois-moi, nous ne pouvons pas être trop prudents.

Rena se coucha à plat ventre dans les herbes, disparaissant complètement.

J'étais tout seul, désormais.

D'un seul coup, la force du chant des grillons me vint en plein dans les oreilles. En quelques secondes, j'eus l'impression d'avoir été tout le temps tout seul ici.

... N'ayant pas le choix, je me remis en route, mais j'étais encore bien sonné.

Rena ne m'avait pas dit le fin mot de l'histoire, parce que soi-disant, c'était trop dangereux.

Mais elle avait été claire : il y avait une force maléfique qui voulait faire renaître le culte ancestral de la déesse Yashiro

et qui se servait pour cela des trois clans fondateurs, car ils étaient la clef de voûte du village.

Pour ce faire, ils avaient organisé ces meurtres en série -- et quand Madame Takano avait découvert le secret séculaire protégé par les clans ancestraux, ils l'avaient supprimée.

Sauf que Rena avait, par le plus grand des hasards, obtenu des cahiers de Madame Takano, dans lesquels elle exposait une grande partie du fruit de ses recherches.

Et le contenu était tellement incroyable que même Rena n'osait pas en parler...

Désolé, Rena, mais ton truc, là,

c'est du mytho, hein ?

Vas-y, déconne pas, c'est du mytho ?

Purée, c'est pas une série de science fiction, on n'est pas dans un manga, là...

Attends, un mystérieux groupe religieux avec un culte secret, qui tramerait dans l'ombre je ne sais quel complot...

Nan mais c'est... C'est énorme, quoi -- c'est pas drôle du tout, en fait.

Mais ouais, je comprends, maintenant, Rena avait raison.

Si c'est la vérité... Eh ben c'est pas facile à croire.

Je comprends parfaitement qu'elle ait tellement tenu à ne rien dire.

Si ça se trouve, c'est Madame Takano qui lui a fait une blague, pour lui faire peur...

Sauf qu'elle s'est fait tuer, c'est pas une blague, c'est un fait tangible et vérifié.

Mais alors... Est-ce que réellement, il y a un groupe de gens en voiture blanche qui surveillent Rena pour lui reprendre les fameux cahiers de recherches ?

Tout à l'heure, elle a affirmé que les gens de la camionnette blanche la suivaient.

Des camionnettes blanches, c'est pas ce qui manque...

Elle peut appartenir à un électricien, ou à n'importe quel artisan.

... Je sais pas, elle est simplement sur les nerfs, en fait, elle s'imagine des choses...

Faut dire que Rena ne s'est pas remise du choc de l'autre jour.

Je parie qu'elle est simplement paranoïaque. Elle doit s'imaginer que la Police est sur sa piste...

En tout cas, pour l'instant, je l'ai écoutée parler et j'ai fermé ma gueule.

... Normalement, j'ai tout bien fait comme il le fallait.

Si je m'étais moqué d'elle, elle ne m'aurait plus jamais adressé la parole.

Soudain, j'eus un frisson de peur.

La camionnette blanche était garée sur le bas-côté de la route.

Je n'avais pas lu le numéro de la plaque de la camionnette d'avant, donc je ne pouvais pas affirmer avec certitude que c'était celle de tout à l'heure, mais...

Je sais pas... Les gens à l'intérieur, c'était un peu les mêmes.

Et puis, c'était bizarre comme situation.

Elle n'avait aucune raison de vouloir s'arrêter ici.

C'était une petite route dans le village.

Il n'y avait strictement rien ici.

Il n'y avait pas de feu, pas d'espace pour faire demi-tour, pas de distributeur automatique, pas de téléphone ni de maison.

D'habitude, je n'y aurais pas prêté attention, mais là, c'était évident que c'était louche.

Plus j'observais le coin et plus cette impression devenait forte.

Il y avait quatre personnes en uniformes gris dans la camionnette -- des ouvriers, sûrement.

Le conducteur fumait une cigarette, mais les autres regardaient dans le vide, comme s'ils s'ennuyaient.

Si c'était pour une pause clope, ils auraient dû s'arrêter ailleurs.

C'était peut-être l'appel de la Nature... mais à première vue, aucun d'entre eux n'avait envie d'aller aux toilettes.

Non, en fait, ils ne donnaient pas l'impression d'avoir du travail à faire dans le coin. Ils ne dégagaient pas cette atmosphère de pause pendant le travail.

Je les sentais nerveux, ils attendaient quelque chose qui ne venait pas.

... Ils seraient pas en train d'attendre que Rena passe par ici, depuis tout à l'heure ?

Nan... Naaan, c'est des conneries, je me fais des films.

... N'empêche qu'il n'y a personne dans le coin.

Personne ou presque ne passe jamais par ici. Donc les voitures, je ne vous parle même pas.

Mais quand même... Ce serait trop gros...

... Je sais que c'est pas gentil envers elle, mais je crois que Rena s'imagine des choses.

C'est juste parce qu'elle sait que nous avons découvert ce qu'elle avait fait. Elle doit s'imaginer que tout le monde la soupçonne.

???

— Eh, Grand !

Au moment où je dépassai la camionnette, une voix m'interpela.

C'est pas à moi qu'ils parlent, je pense pas, je les connais pas.

Ils sont sûrement en train de discuter entre eux.

Je fis comme si je n'avais rien entendu et poursuivis ma route. Mais alors, la voix retentit à nouveau,

accompagnée cette fois-ci d'un coup de klaxon.

???

— Oh, Grand ! Escuse, mais dis-voir,

t'es en train de rentrer d'l'école, là ?

Celui-là, il avait l'accent du coin, très fort en plus. Il devait habiter au village, mais je ne le connaissais pas.

En même temps, lui ne m'avait pas appelé par mon nom, donc il ne me connaissait pas non plus.

Keiichi

— ... Euh, ben, oui, pourquoi ?

???

— Dis-voir, Grand, t'es rentré direct ? Tu viens de l'école, là hein ?

T'as tourné au magasin ?

Keiichi

— Oui, oui, je viens de l'école,

pourquoi, qu'est-ce qu'il y a ?

Ah, ils sont peut-être perdus ?

Les routes se croisent et s'entrecroisent dans le coin, même moi je me perds parfois.

Donc en fait, ils attendaient un villageois pour lui demander le chemin, c'est tout !

... Sauf que là, je me berçais d'illusions.

???

— Grand, t'aurais pas vu une gamine sur le chemin ?

Keiichi

— Euh... C'est-à-dire ?

???

— Ben, une fille, elle avait une robe blanche et un chapeau blanc assorti.

Ah oui, et un foulard mauve.

Tu l'as pas vue ?

Je ne rêvais pas : il était en train de me parler de Rena.

Keiichi

— ... Euh, ben, non, non, non,

je l'ai pas vue.

Je n'étais pas prêt, je n'avais pas été sur mes gardes.

J'irais même jusqu'à dire que je me faisais dans le froc.

Ma voix n'était pas très convaincante. Je sonnais comme un gamin surpris en train de faire une bêtise.

J'avais émis des doutes sur ce que m'avait raconté Rena.

Je m'étais moqué d'elle sans le lui dire en face.

Je m'étais marré en douce.

C'est peut-être pour ça que j'étais tellement déstabilisé maintenant.

Mon cœur se mit à battre la chamade et mon corps à suer à grosses gouttes.

Sans réfléchir, j'avais réussi à dire non, mais...

... n'importe qui aurait pu voir à travers ce mensonge, c'était évident.

Le conducteur me regarda tranquillement, droit dans les yeux.

Je me rendis compte qu'il essayait de voir si je lui mentais. Mes genoux furent sur le point de flancher...

Pendant un instant, je crus comprendre ce que devait ressentir le crapaud quand un serpent se dresse devant lui. Je restai là, pétrifié.

L'homme en face en faisait de même. Ils étaient eux aussi dans la même situation que moi, qui sait ?

Après tout, leur présence était suspecte.

Et puis, leur question aussi était suspecte...

Et apparemment, j'avais vu juste dans leur jeu.

Le conducteur se mit à s'excuser avant que je n'eusse le temps de réagir.

???

— Ah, c'est pas important, hein !

C'est juste que t't'à l'heure, on a dépassé une gamine, mais maintenant c'est un garçon qui nous dépasse, alors je me suis dit qu'c'était bizarre, c'est tout !

Keiichi

— Oh... Ah bon ? Je vois...

???

— Ah, t'en fais pas Grand, oublie, va !

Désolé, hein ?

... Bon, les enfants, on rentre.

Il mit le moteur en route, puis démarra en trombe.

Après leur départ, il ne restait rien à en tirer.

Absolument rien de rien.

Je ne savais toujours pas pourquoi ils s'étaient arrêtés, ni qui ils étaient, ni pourquoi ils avaient été là.

... Mais alors... Est-ce que... Ils en avaient vraiment eu après Rena ?