En ouvrant les fenêtres, les seules choses que nous laissions rentrer étaient les cris des grillons et la touffeur de l'été.

Keiichi

— ... Y fé chooo...

Mion

— Ouais, j'crève de chaud aussi...

Nous faisions une petite pause entre deux cours, mais à cause de la chaleur, il n'y avait vraiment pas moyen de se reposer.

Mion et Moi fondions, avachis sur nos pupitres.

Les plus jeunes étaient des monstres d'endurance. La chaleur ne les dérangeait absolument pas.

Ils couraient partout dans la salle de classe, désireux de s'amuser pendant le peu de temps qu'ils avaient.

Mion

— ... Eh, p'tit gars, j'parie qu'à la ville, z'avez la clim' dans les salles de classe, hein ?

Keiichi

— Non, ma grande, détrompe-toi...

Oh, si, parfois, en salle des profs, ils l'ont.

Mion

— Ouah, la chance...

Et les élèves vont pas s'incruster là-bas pour en profiter ?

Keiichi

— ... Il n'y a bien que toi pour imaginer une situation pareille, Mion.

Ahaha...

haaaa....

Impossible de rire par des températures pareilles.

Mion et moi prîmes nos sous-mains pour en faire des éventails.

Un pupitre vide nous pourissait la vue.

... Celui de Rena.

Elle n'était pas venue à l'école aujourd'hui.

Elle avait appelé pour dire qu'elle avait attrapé froid.

Keiichi

— ... ... Ces derniers temps…

Rena...

C'est pas la forme, hein ?

Mion

— ... Ouais, je sais.

Sûrement la chaleur.

Keiichi

— Bah, c'est bon, je suis pas un idiot non plus, je me doute que c'est pas la chaleur...

Mion

— ... Et moi j'te dis qu'c'est la chaleur.

Keiichi

— ... ... Je parie que c'est cette histoire qui revient la turlupiner. Pas toi ?

Mion

— Bah, c'est possible aussi, ouais.

... Et puis, la chaleur arrange pas les choses.

Je n'arrivais pas à m'imaginer le choc et le stress qu'elle avait eus quand nous, ses amis, avions découvert qu'elle avait tué des gens et découpé leurs cadavres.

Nous lui avions pris la main et nous lui avions juré notre amitié ce jour-là.

Nous pensions avoir tout réglé et pouvoir oublier tout ça.

Mais apparemment... La personne la plus concernée dans cette histoire avait l'air de ne pas pouvoir tourner la page.

Rena a sûrement encore du mal à réaliser et à s'en remettre...

Mion

— Je pensais que nous finirions par lui faire oublier tout ça à force de jouer comme d'habitude.

Mion

Mais apparemment, ce n'est pas aussi simple que ça. Elle a dû être profondément marquée, je pense.

Keiichi

— Mais dans ces cas-là, comment on fait…

pour lui remonter le moral ?

Mion

— ... ... Y a pas de secret, il faut la laisser seule.

Keiichi

— Non mais, t'es pas sérieuse ?

On est ses amis, merde !

Mion

— Tu sais, quand les gens ont le mal du pays, comme on dit,

ils téléphonent parfois chez leurs parents, ce genre de trucs. Eh ben après cet appel, c'est encore pire.

Mion

Quand on se sent seul, il faut se taire et supporter stoïquement. Faire du sport, se trouver un hobby, n'importe. Il faut juste se changer les idées.

Keiichi

— J'aimerais bien, mais elle ne joue plus avec nous en ce moment...

Mion

— Je sais pas pour Rena,

mais parfois, les gens ont envie de chaleur humaine.

Et quand ils ont trouvé quelqu'un qui leur prête une épaule pour pleurer, ils ne la lâchent plus.

Mion

... Quand tu rencontres quelqu'un qui veut te consoler, t'as tendance à en redemander, non ?

Keiichi

— ... Hmm, je sais pas trop.

Mion

— T'en redemandes parce que tu en veux plus.

Et donc plus tu fais ton possible pour consoler quelqu'un, plus ce quelqu'un déprime pour que tu puisses le ou la consoler, tu vois le topo ?

Mion

Et du coup, ces gens-là prennent de mauvaises habitudes.

Mion

Je pense que Rena sait que ce n'est pas bon pour elle et qu'elle s'éloigne volontairement de nous.

Mion

Si elle voulait qu'on la conforte, elle serait là et elle pleurnicherait, tu crois pas ?

Keiichi

— Mais alors, on fait comment pour lui remonter le moral ?

Mion

— En tant que femme, plutôt que de me remonter le moral, je préfère quelqu'un qui me fasse oublier mes problèmes.

Keiichi

— OK, donc pas de pitié, pas de soutien ?

... On peut rien faire ?

Mion

— Tu sais, c'est la règle d'or de tous les psychiatres. Ah non mais sans déconner ?

Mion

Parce qu'en fait, les problèmes psychiques, disons, il faut les faire guérir de l'intérieur, tu vois ?

Mion

Si les autres sont gentils autour de toi, ça mange pas de pain, mais c'est pas ça qui te fera guérir. Si tu veux guérir, il faut commencer par se regarder en face dans la glace, il faut se secouer.

Mion

Alors du coup, ben, nous devons attendre sur Rena, qu'elle guérisse d'elle-même.

Keiichi

— ... ... Mouais, je crois que je comprends le principe, mais je sais pas, ça me paraît un peu vache.

Je plaçai mes mains derrière la tête et m'allongeai sur ma chaise, regardant le plafond de la salle.

Mion eut un petit rire en me regardant.

Mion

— Bah, Rena s'en sortira, va, tu as l'air de te faire beaucoup de soucis pour elle.

Elle s'en remettra.

Keiichi

— Juste parce que je suis dans les parages ?

Ça me semble bien louche, ton truc.

Rika

— Vous pouvez encore faire quelque chose pour elle, Keiichi.

Rika se mit à nous parler.

Depuis quand écoutait-elle notre conversation ?

Keiichi

— Et qu'est-ce que je peux faire, alors, d'après toi ?

Rika

— ... Si jamais Rena devait vouloir vous parler ou vous confesser quelque chose, vous pouvez l'écouter sans rien dire et la laisser parler.

Keiichi

— Quoi, c'est tout ?

Je veux dire, je l'écoute et je me tais ? J'ai pas besoin de lui remonter le moral ou rien ?

Mion

— Kei, parfois, ça fait vraiment beaucoup de bien de parler, surtout pour une confession.

Dans ces moments-là, on est bien content d'avoir quelqu'un qui écoute sans porter de jugement.

Rika

— ... Oui, Mii, tu as raison.

Je pense qu'en tant que ses amis, c'est notre rôle de nous trouver là où il le faut, quand il le faut, si jamais elle a besoin de nous ou si elle veut nous parler.

J'étais en secret très content d'avoir entendu leurs conseils.

J'avais pensé prendre Rena par les épaules et la secouer un peu pour lui dire d'arrêter de déprimer...

Mais c'est vrai qu'en fait, je ne pensais aux choses que de mon point de vue.

C'était pas comme si Rena faisait exprès d'être déprimée.

Si elle pouvait s'en remettre, ce serait déjà fait.

Et puis, si je me comportais sans vraiment réfléchir,

je parie que Rena serait encore plus blessée et vexée. Ça ne ferait qu'empirer les choses.

Keiichi

— ... ... ... Mouais.

Keiichi

Encore une fois, j'ai pas vraiment essayé de cerner sa situation ni de penser à ce qu'elle pouvait penser.

Keiichi

J'ai envie de lui remonter le moral, mais elle, elle veut surtout qu'on lui foute la paix.

Keiichi

Ben écoutez, merci, les filles.

Keiichi

Je m'endormirai moins con ce soir.

Aujourd'hui, j'avais vraiment projeté de la secouer un peu.

Mais maintenant, je commençais à me demander si j'avais pas tout faux, si Rena ne l'aurait pas mal pris.

Si ça se trouve, sur l'émotion du moment, je l'aurais prise par le col et attirée vers moi pour lui dire d'arrêter de faire sa tafiole.

C'était pas vraiment comme ça que j'allais l'aider...

Je sentis soudain la main de Rika sur ma tête. Elle se mit à me la caresser.

Rika

— Allons, allons, Keiichi.

Vous êtes le premier à vouloir l'aider. Je peux vous le garantir, vous êtes celui qui en faites le plus.

Keiichi

— Hein, quoi ?

Déconnez pas, j'ai encore une fois dit tout haut ce que je pensais ?

Mion

— Rena a bien compris, t'inquiète, p'tit gars.

Le petit speech que tu lui as fait l'autre jour lui a fait un effet bœuf.

Mion

... D'ailleurs, en y repensant, je me dis que pfiou, y en a qui n'ont pas honte quand ils parlent !

Héhéhéhé !

Des bruits de pas dans le couloir : la maîtresse arrivait. Immédiatement, tout le monde rejoignit sa place.

Cie

— Désolée de vous avoir fait attentre, les enfants.

Déléguée ? C'est à vous.

Mion

— Gaaaaaarde à vous !

Rena étant absente, il n'y avait pas de club aujourd'hui.

À dire vrai, ça m'arrangeait bien ;

aujourd'hui, j'avais des courses à faire pour ma mère.

Oh, rien de bien folichon, en fait.

Elle avait rempli une carte à points dans le magasin du village, alors elle voulait l'échanger contre du liquide vaisselle. Et c'était Bibi qui devait s'y coller.

En même temps, elle était occupée à aider mon père -- il avait un gros chantier en ce moment et il était bien content de pouvoir compter sur elle.

C'est pourquoi je ne rentrai pas à la maison par le chemin habituel.

Et au moment où je pris un virage différent de celui de tous les jours, je remarquai quelque chose. Quelqu'un se cachait dans l'ombre de la rangée d'arbres, de l'autre côté de la route, et me regardait.

Alors que je scrutai des yeux cette personne pour voir qui en avait après moi, elle sortit de sa cachette et se montra.

Keiichi

— Tiens ?

Salut, Rena !

Qu'est-ce que tu fous là ?

J'étais prêt à continuer la conversation, lorsque les mots moururent dans ma gorge.

Rena avait l'air très sérieuse. Elle ne rigolait pas, mais alors pas du tout.

Keiichi

— ... Ben alors, qu'est-ce que t'as ?

Rena

— Chuuuuut !

Rena posa son index sur les lèvres, regarda autour d'elle, dans toutes les directions, puis m'invita à la rejoindre. Elle avait l'air pressée.

Je ne comprenais pas trop sa réaction, mais tant pis. Je courus vers elle en silence.

Rena me fit signe de m'accroupir dans les herbes hautes pour me cacher.

Décidément, je la comprenais de moins en moins, cette fille -- mais bon, je pourrais toujours lui poser la question par la suite.

Pour l'instant, je décidai de me tenir tranquille et d'obéir.

Rena se comportait comme si elle pensait que quelqu'un la suivait. Elle vérifiait aussi sûrement que moi, je n'avais pas été suivi.

... Ça m'aurait amusé de suivre Mion en cachette, mais je ne permettrais jamais ça avec Rena, car elle-même ne ferait jamais ce genre de mauvaises blagues.

Je ne savais toujours pas dans quelle situation j'étais tombé, mais une chose était sûre : la tension était palpable. Je me fis tout petit, pour masquer au mieux ma présence.