L'instinct de retour au nid et le mal du pays
Si l'on accepte un sens très large à l'expression de l'instinct de retour au nid, alors la plupart des espèces animales en sont pourvues.
Les êtres humains ne font pas exception à cette règle. Nous nous reposons, nous mangeons et nous dormons de préférence dans un endroit qui nous est familier : notre maison.
La maison n'est qu'un équivalent humain du nid des oiseaux ou du terrier de certains autres animaux.
Les humains ont donc eux aussi l'instinct de retour au nid.
Penchons-nous sur la nécessité du nid dans le règne animal.
Elle est la même que pour l'être humain.
Le sommeil, le repos et les repas sont des activités indispensables à la survie, mais ils impliquent de relâcher son attention.
L'animal a donc besoin d'un “périmètre sécurisé” dans lequel il peut s'adonner à ces activités sans risquer d'être attrapé par ses prédateurs.
Tout le monde sait que sans cette zone de sûreté, l'animal ou l'être humain est soumis à un stress et à une pression énormes et constants.
Lorsque vous emmenez un animal dans un environnement nouveau, vous le soumettez à un stress conséquent.
Il en va de même pour l'être humain, qui accumulera le stress tant qu'il ne sera pas familiarisé avec son nouvel habitat.
Ce type de stress est appelé “le mal du pays”, mais j'imagine bien que je ne vous apprends rien.
Malheureusement, les chercheurs japonais ne se sont guère penchés sur ce phénomène.
Pendant très longtemps, l'on a considéré qu'il s'agissait d'une faiblesse de caractère, et aucune solution thérapeutique n'a été recherchée.
Or, l'histoire du phénomène du “mal du pays” remonte à très longtemps. Dans l'Europe du Moyen-Âge, il était considéré comme une maladie physiologique et non pas comme un trouble psychique.
Les Suisses étaient réputés être particulièrement sensibles à cette maladie.
Cette réputation vient de ce que les hommes suisses étaient connus pour partir dans d'autres contrées pour travailler.
Ils étaient constamment loin de chez eux, et bien sûr, au Moyen-Âge, ils n'avaient pas le téléphone.
Il n'est pas bien difficile d'imaginer que la plupart des jeunes Suisses partis travailler loin de leur pays eurent le mal du pays.
Les Suisses avaient progressivement l'envie de plus en plus forte de rentrer chez eux,
mais cela créait des conflits avec leur rôle et leur travail, pour lesquels ils étaient partis. Ce conflit les menait à une plus grande fragilité physique et mentale, due au stress intense qu'ils enduraient. Et parfois, cette fragilité poussait certains à faire des actes irréfléchis voire irresponsables, en faisait des déserteurs, ou les poussait au suicide.
Très supersticieux, les gens, à l'époque, définirent plusieurs formules magiques et autres remèdes miracles pour se prémunir contre cette maladie.
Mais comme évidemment, la seule manière de soigner ce trouble est de retourner au pays, les gens ont sûrement décrété que c'était une maladie incurable, sinon mortelle.
Sauf qu'il est erroné d'appeler le mal du pays une maladie.
Ce n'est qu'un signal, un influx nerveux provoqué par le cerveau, dans le but de provoquer le retour au nid, c'est-à-dire la zone où l'individu se sent en sécurité.
Au départ, le cerveau se contente de faire remonter à la surface les souvenirs liés au village d'origine, pour provoquer un retour naturel.
Mais si l'intellect empêche l'individu de rentrer chez lui, quelle que soit la raison, alors le cerveau panique, et commence à envoyer de plus en plus de signaux, de plus en plus fort.
Il en résulte un affaiblissement de la personne, qui lui rend la vie plus difficile dans son nouvel environnement. À force, cela peut amener l'individu à corrompre inconsciemment sa perception du monde pour justifier le retour chez lui.
Cela signifie que c'est parce nous avons l'instinct du retour au nid que nous pouvons avoir le mal du pays.
De même, plus cet instinct est fort dans l'individu, plus le mal du pays qu'il ressentira prendra des proportions importantes.
La force de cet instinct varie bien évidemment selon les individus et selon les régions.
Si effectivement, la région où l'individu naquit est plus paisible et que la nouvelle région où il vit est beaucoup plus dangereuse, alors l'instinct de retour au nid sera particulièrement puissant.
À l'inverse, si l'individu quitte une situation difficile chez lui pour vivre dans une nouvelle région plus clémente, son instinct de retour au nid sera quasiment inexistant.
De plus, la sécurité physique de la personne n'est pas le seul critère sur lequel le subconscient se base pour déclencher cet instinct ; il y a aussi une composante culturelle dans le processus.
Chaque région possède ses propres rites et traditions, qui peuvent nécessiter le retour de l'individu dans sa communauté première lors des grandes occasions de sa vie, ou pour certaines fêtes dans l'année. Elle peut donc engrainer en lui un instinct de retour au nid plus ou moins fort à travers ce biais.
Ce qui me permet d'inférer que les sages des montagnes du village des abysses des démons devaient avoir un instinct particulièrement exacerbé.
Ils n'avaient pas le droit de quitter le village, car c'était la règle.
Comme je l'ai présenté tout à l'heure, je pense que cette règle est liée au mythe du peuple élu d'entre les autres, à une idéologie de race supérieure, ce qui explique leur extrême prudence face à la souillure du monde extérieur.
Mais de plus, la sanction prévue à l'encontre de ceux qui abandonneraient le village, à savoir le fait que la déesse Yashiro les traque absolument partout où ils pourraient aller pour les maudire et provoquer leur mort -- sanction dont les villageois ont encore peur aujourd'hui -- fait penser à une description rocambolesque du phénomène du mal du pays.
Si l'on admet la force outrancière de cet instinct, et si l'on considère comme acquis un rapport proportionnel entre celui-ci et le mal du pays,
alors la “malédiction” ne serait en fait qu'une hyperbole pour désigner la puissance de ce mal du pays chez les habitants du village.
Je pense que c'est la combinaison de cet instinct anormalement fort et des réactions outrancières chez les habitants qui a instauré chez eux cette haine de l'extérieur et qui les a forcés à se retrancher entre eux pour vivre en autarcie.
Malheureusement, il ne reste aucun document pour quantifier la puissance de l'instinct de retour au nid des habitants du village des abysses des démons.
Ceci est dû en grande partie au fait que les lois du village interdisaient tout départ -- les gens ne pouvaient donc pas obtenir le mal du pays et encore moins livrer des observations dessus.
Mais cette situation changea du tout au tout après la révolution de Meiji, en 1871.
La modernité s'abattit d'un seul coup sur le pays, mettant à mal toutes les anciennes croyances et autres traditions. Le village des abysses des démons perdit alors son caractère sacré dans le regard des gens.
Les jeunes habitants du village, attirés par la vie moderne en ville, furent bientôt obligés de se décider à quitter les lieux et partir ailleurs en quête d'un travail.
Ce fut le début de l'exode des populations -- et cet événement marqua un tournant.
En effet, pour la première fois, les descendants des habitants du village se rendirent compte de leur attachement hors du commun à leurs terres.
Ils durent constater que les gens de Hinamizawa souffraient énormément du mal du pays.
À force de relever ces cas, il a fini par se murmurer dans le village que c'était là l'œuvre de la malédiction de la déesse Yashiro.
Il est facile de s'imaginer que la rumeur des morts étranges qui attendaient les rares fous qui s'aventureraient hors du village eut suffisamment d'impact pour rappeler la plupart des habitants à Hinamizawa-même, si ce n'est au moins dans les villes les plus proches.
En l'espèce, il convient de supputer que cet attachement anormal au nid vient d'un élément culturel du village.
Le coupable semble tout désigné : je veux parler bien sûr du culte lié à la déesse Yashiro.
Depuis leur naissance, les habitants de Hinamizawa vénèrent la déesse et leurs parents et grands-parents leur inculquent les anciennes lois et les coutumes autour d'elle. Ils développent donc inconsciemment un sentiment de culpabilité à l'idée de quitter le village.
Et donc, lorsqu'il leur arriva de ressentir le mal du pays, leur esprit fit immédiatement le lien avec la malédiction de la déesse.
Est-ce l'existence et la mise en place des lois de la déesse qui ont poussé l'instinct de retour au nid à son paroxysme, ou bien ont-elles été mises en place justement pour empêcher que les habitants ne deviennent fous à lier en quittant le village ?
... Nous avons ici le problème classique de l'œuf et de la poule.
... Fatiguée de lire ces idéogrammes compliqués écrits tout petit à la main, je me tournai sur mon lit, regardant au plafond en soupirant.
Alors cette malédiction, ce ne serait que du flan ?
Franchement dit, je m'étais attendue à mieux, surtout venant de la part de Miyo -- elle était la seule à avoir cru en moi. Et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle m'avait recommandé la lecture de ses théories !
... Pour un peu, je me croirais presque revenue dans le cabinet aseptisé de mon ancien psychiatre, à l'écouter me rabâcher encore et encore que j'avais tout imaginé. C'était particulièrement énervant.
Comment pouvait-on oser s'imaginer expliquer cette expérience surnaturelle que j'avais vécue en la plaçant sur le compte du mal du pays ?
Je suis sûre et certaine d'avoir vu la déesse Yashiro descendre parmi nous dans une lumière aveuglante ce jour-là, tout était si blanc dans la salle de bains...
J'ai vu ces choses noires et affreuses dans mon sang, agglutinées, pullulantes.
Il n'y avait aucune explication là-dessus. Et le mal du pays n'expliquait pas ces phénomènes non plus.
Quelle explication avait-elle trouvée à la vermine contenue dans le sang ?
Ou bien peut-être n'y avait-il aucune explication possible ?
Peut-être que réellement, j'avais imaginé toutes ces choses ?
J'avais désiré obtenir une explication sur les asticots à l'intérieur de mon corps, et je n'avais pas l'intention d'abandonner cette idée.
Je feuilletai rapidement les cahiers, lisant vaguement un mot ici ou là.
... Soudain... mes yeux durent s'y reprendre à plusieurs fois pour être sûrs de ne pas s'être trompés.
J'avais trouvé exactement le chapitre que j'avais espéré trouver...
Le lien entre la vermine et la malédiction
À l'ère Meiji, lorsque les habitants partirent pour la première fois du village, pour finalement revenir en masse juste après, les gens qui étaient revenus se mirent à parler en secret d'une maladie tout à fait extraordinaire.
Selon eux, lorsque l'on quitte Hinamizawa, la gangrène attaque les anciennes cicatrices, et des asticots apparaissent ; ils rentrent par les blessures de la peau à l'intérieur du corps et mangent la personne de l'intérieur.
Le prêtre en place au temple Furude à cette époque expliqua qu'il s'agissait de la manifestation de la malédiction de la déesse Yashiro.
Si l'on en croit la tradition orale, le prêtre sortit de très anciens rouleaux illustrés du temple, qui normalement n'étaient pas censés être consultés par le petit peuple, et il montra que “l'apparition d'asticots” était documentée depuis les temps anciens.
L'explication avancée est que le “pays des démons” mentionné dans les légendes serait en fait “le royaume des morts”,
et qu'au royaume des morts, les ogres soient en permanance rongés par ces parasites dans leur corps.
Ainsi donc, leur descendance humaine, protégée par la bénédiction et la protection de la déesse, semblerait pouvoir vivre à Hinamizawa sans même se rendre compte de l'existence de ces parasites.
Mais cette protection étant perdue graduellement lorsque les gens déménagent pour une autre région du monde, les parasites dans leur sang se réveilleraient et, trop nombreux, ils dévoreraient leur hôte depuis l'intérieur.
Pendant quelque temps, cette maladie fut extrêmement crainte, et ceux qui devaient se résoudre à partir pour accomoder leurs conditions de travail furent alors nombreux à demander au prêtre une purification rituelle visant à demander par avance le pardon de la déesse Yashiro.
(Il est intéressant, si ce n'est cocasse, de noter que malgré les évolutions différentes des civilisations d'Europe et du Japon, les populations suisses du Moyen-Âge et celles de Hinamizawa plusieurs siècles plus tard eurent la même réaction)
Depuis la seconde guerre mondiale, cette croyance sur les asticots s'est perdue, mais les gens continuent de payer le prêtre du temple Furude pour demander l'indulgence de la déesse Yashiro envers les proches devant déménager pour raisons professionnelles ou autres.
On notera ici la présence de l'idéogramme ancien des asticots (蛆 se lisant uji) au dos des talismans porte-bonheur du temple Furude à Hinamizawa -- alors que les talismans des sanctuaires shintoïstes portent normalement l'inscription uji écrite avec l'idéogramme de la descendance (氏).
Mais ce qui, je trouve, est le plus intéressant dans cette histoire, est le fait qu'avant ces histoires à l'ère Meiji, les habitants de Hinamizawa ne savaient rien de cette maladie.
Jusqu'à présent, je pensais que le culte de la déesse Yashiro laissait une empreinte dans le subconscient des gens, ce qui les laissait prendre un simple mal du pays pour une malédiction.
Mais si personne parmi eux ne connaissait l'existence de cette “poussée d'asticots” avant les événements, alors ma théorie tombe à l'eau.
On pourrait certes penser que les habitants soient tous plus ou moins guidés dans leurs pensées par le culte de la déesse, un peu comme dans une secte, et que le prêtre du temple Furude a simplement saisi l'occasion pour transformer cette hallucination collective en foi religieuse, mais...
Soyons réalistes, je ne crois pas à l'heureux hasard d'un rouleau illustré vieux de plusieurs siècles qui décrirait exactement une hallucination collective de la communauté -- qui plus est ayant lieu si loin dans le futur.
Est-ce que les gens maudits par la déesse Yashiro pourraient tous voir des asticots pousser dans leurs blessures, même sans connaître cette légende ?
Il me faudrait trouver quelqu'un qui se porterait volontaire pour subir cette malédiction, ou qui l'aurait déjà subie.
Je voudrais absolument lui poser des tas de questions à ce sujet, peut-être même le garder en observation...
... ... ... J'avais l'impression d'entendre Miyo me parler en lisant ce texte.
Et d'ailleurs, lorsqu'elle m'avait donné ces cahiers, elle avait dit quelque chose.
Elle avait dit que peut-être que je pourrais y découvrir des choses qu'elle-même ne voyait pas ou ne comprenait pas.
Je fus prise d'une joie immense, mais pour un court instant seulement.
Je n'avais pas rêvé, il y avait eu quelque chose dans mon sang.
Mais en même temps, cela signifiait ne plus pouvoir me rassurer en me disant que ç'avait été une illusion.
... Ces asticots, je ne les avais pas imaginés. Ils avaient réellement été là.
À peine cette réalisation me frappait-elle que mon cou, mes genoux, mes coudes et mes poignets se mirent à me démanger.
Une envie furieuse de me mutiler avec une lame de rasoir me prit, mais je la réprimai.
Lorsque j'avais parlé des larves à Miyo, elle m'avait regardée avec un visage très sérieux et concentré.
... ... Elle avait pourtant dû être horrifiée.
Elle n'avait d'ailleurs pas été la seule.
Je me suis toujours plaint de ce que personne ne me croyait, mais quelque part, je n'avais pas voulu croire à la présence de ces bestioles immondes dans mon corps.
Je pense qu'une part de moi souhaitait réellement découvrir que finalement, si, c'était bien moi qui avais rêvé tout cela.
Mais maintenant, j'avais la preuve que je n'avais pas rêvé.
D'autres personnes avant moi, loin dans le passé, avaient fait la même expérience.
... Alors comme ça, les asticots dans le corps des démons se réveillent lorsque leur hôte perd la protection de la déesse Yashiro...
Mais alors, si on prend le problème à l'envers, on peut dire que c'est uniquement parce que l'on a la bénédiction de la déesse que les asticots ne grouillent pas.
Ce qui veut dire que depuis leur naissance, tous les habitants vivent avec cette menace dans le sang...
Mais alors... Le sang des démons, en fait... C'est une métaphore pour parler de cette infection ?
Je devais savoir. Mais surtout, ne pas tirer de conclusion hâtive.
Je repris les cahiers de Miyo et les feuilletai avec attention. Et naturellement, je me mis à chercher en particulier tout ce qui pouvait avoir un rapport avec les asticots...
Le contrôle de l'hôte par son parasite
Il m'est arrivé une théorie en tête alors que je compilais les informations sur la “poussée d'asticots” décrite par les revenants au village : Et si le mal du pays des gens de Hinamizawa était dû à une contamination par un parasite ?
Ce n'est pas à cause des asticots qui apparaissent dans les blessures que l'idée m'est venue.
Non, en fait, j'ai simplement posé l'hypothèse que le culte de la déesse Yashiro -- la culture du village, donc -- proviendrait d'une contamination.
La plupart des maladies contagieuses sont nocives aux parasites qui les déclenchent.
L'hôte du parasite est ainsi nommé car il est son hôte, il lui prodigue le gîte et le couvert.
Pour un parasite, le mieux serait une cohabitation parfaite, dans laquelle l'hôte ne se rendrait pas compte de sa présence.
Mais parfois, les parasites contrôlent leur hôte pour servir leurs intérêts supérieurs.
Par exemple, on sait que certains parasites prennent le contrôle de leur hôte pour que celui-ci soit mangé par un prédateur ;
ainsi, le parasite se retrouve dans un corps plus haut placé dans la chaîne alimentaire, et donc plus en sécurité.
La communauté scientifique connaît depuis longtemps l'exemple du Dicrocoelium dendriticum, qui parasite les fourmis et les escargots, puis les pousse à se placer sur des herbes afin d'être mangés par des ruminants.
À un niveau différent maintenant, on connaît aussi le Toxoplasma gondii, qui prend le contrôle de la souris qu'il parasite pour qu'elle se fasse manger par un chat, afin de parasiter le chat.
Dans ce cas précis, le parasite bloque les influx nerveux liés à la peur du chat pour que la souris soit moins prudente ou carrément ignorante du danger qu'il représente pour elle. Ainsi, le parasite augmente ses chances d'atterrir sur un hôte plus fort.
Il existe aussi des cas où le parasite veut simplement changer d'hôte, et peu lui importe qui.
L'exemple le plus célèbre est celui du rabies virus.
Il se reproduit en masse dans le cerveau de l'hôte pour provoquer une encéphalite, puis passe dans la salive.
En augmentant exponentiellement l'agressivité de son hôte, il s'assure que celui-ci mordra presque tout être vivant lui passant à portée. Installé dans la bave de l'animal, il pourra donc sans problème se propager à un nouvel hôte en passant par la blessure.
Il s'agit là bien sûr de la rage.
Ainsi donc, nombreux sont les cas où le parasite est amené à prendre le contrôle de son hôte pour satisfaire un intérêt supérieur.
J'ai présenté des cas où le parasite aspire à passer à un hôte plus haut dans la chaîne alimentaire.
Mais imaginons un parasite un peu plus simplet, qui ne veuille simplement que vivre tranquillement dans son hôte.
Je pense que l'on peut lier cette contrainte avec la force extraordinaire de l'instinct de retour au nid et du mal du pays des gens de Hinamizawa.
On peut émettre l'hypothèse de l'existence, à Hinamizawa, d'un parasite qui se serait propagé à tous les individus.
Ce parasite aurait décidé que Hinamizawa était l'environnement le plus propice à sa survie,
et il développerait un instinct de retour au nid d'une force extraordinaire pour empêcher ses hôtes de partir.
Si jamais l'un des hôtes décidait d'ignorer cet ordre, il déclencherait en réaction un mal du pays extrêmement fort.
Un parasite, comme son nom l'indique, doit parasiter le corps de son hôte pour survivre.
Il est dans son intérêt d'avoir un hôte épanoui, qui resterait toujours dans une même communauté.
Et si l'on pose cette hypothèse -- celle d'un parasite qui forcerait son ou ses hôtes à rester dans un même habitat géographique -- alors, aussi étrange que cela puisse paraître, tout s'explique.
Mais cela implique que les sages retirés vivant au village des abysses des démons connaissaient l'existence de ce parasite dans leur corps.
Ils savaient qu'ils ne survivraient pas s'ils s'éloignaient du village. C'est pour ça qu'ils ont créé des lois et toute une culture basée sur la peur et le rejet des autres.
Et cela explique aussi l'attitude des gens lorsque le gouvernement présenta le projet de barrage, il y a quelques années.
Si l'on regarde les légendes sur la déesse, elles parlent des démons qui seraient sortis depuis le marais jusqu'en notre monde. Cela pourrait être une métaphore pour une épidémie massive due à ce parasite.
Lorsque le texte sacré dit que les démons ont attaqué le village, on imagine sans peine des malades en phase terminale qui seraient poussés à attaquer le premier venu pour assurer la transmission du parasite à un autre hôte.
... À ce point-là dans l'explication, j'ai eu vraiment envie de jeter le cahier à la poubelle et de rire un bon coup.
Mais après tout, ce ne serait pas juste envers la mémoire de Miyo. Je décidai de ne pas le faire.
Un parasite qui aurait la main-mise sur Hinamizawa ?
Si l'on se base sur les asticots qui apparaissent à volonté, ce n'est pas aussi ridicule que ça.
... Dans ma tête, tout était confus. D'un côté, cette théorie semblait idiote, mais de l'autre, c'était toujours mieux que de croire aux histoires de malédictions...
... En même temps, il y a quelque chose que je ne devais pas oublier : Miyo s'était très certainement fait tuer précisément parce qu'elle avait écrit ces cahiers. Elle l'avait su, elle avait même plaisanté à ce sujet.
Cela ne pouvait signifier qu'une chose :
pour les gens qui l'ont supprimée, ses recherches étaient à prendre très au sérieux.
... Donc ils ont certainement cherché à détruire le fruit de ses recherches après l'avoir tuée.
... ... ... Mais alors, ils risquent de découvrir qu'il manque certains documents ?
... Un froid glacé remonta tout du long ma colonne vertébrale.
Je dois absolument me taire et ne surtout pas dire que j'ai ces cahiers.
... Et aussi, je dois les lire et les apprendre par cœur. Ce n'est pas de la fiction, ce qu'il y a dans ces cahiers. Miyo est morte à cause de ses recherches.
D'ailleurs, elle n'avait pas dit qu'elle croyait que les trois clans fondateurs étaient à l'origine des meurtres ? Que ces meurtres avaient lieu pour que reviennent les rites anciens dédiés à la déesse Yashiro ?
... Si je me base sur ce que je viens de lire, le parasite essaie constamment de garder ses hôtes à Hinamizawa.
Le meilleur habitat pour ce parasite, ce serait un village reclus du reste du monde, comme l'était Hinamizawa dans les temps ancestraux.
Il lui faut faire en sorte que personne ne s'en aille.
Ça ne doit pas lui plaire de voir les gens partir loin pour faire leurs courses, sans vraiment se soucier de lui.
Ce qui voudrait dire que... la tendance naturelle de ce parasite serait de pousser certains hôtes à faire revivre le culte de la déesse Yashiro ?
Mais alors, c'est exactement ce que font les...
Attendez voir, où c'était, déjà ? Il y avait un article sur les gens avec le sang de démon le plus pur...
Ça voudrait dire que ces gens ont le plus de parasites dans le sang ? Qu'ils sont les plus soumis à leur contrôle ?
C'est vrai qu'à bien y regarder, les familles des trois clans ancestraux essaient de faire retourner le village à son apparence d'antan.
Depuis la fin de la guerre du barrage, la fête de la purification du coton a été réinstituée. Ce n'est qu'un détail, mais cela peut être le premier pas vers un culte plus prépondérant dans la vie du village.
Le clan des Sonozaki en particulier possède tellement d'influence sur la région, à tous les niveaux...
C'est fou, quand même...
Cette hypothèse, c'est du grand n'importe quoi, mais elle marche ! Tout concorde...
C'est la première fois que je vois un truc aussi débile et pourtant, tout concorde !
Je sentis les choses s'accélérer dans ma tête. D'un côté, le côté irrationnel, de l'autre, la sensation d'avoir découvert un formidable secret.
Tout commençait à se mélanger. Je n'arrivais pas à obtenir une vue d'ensemble, c'était trop gros, c'était énorme !
... ... Il va falloir relire tout ça avec le plus grand sérieux.
La vérité doit se cacher là, tout près, quelque part.
... Je saurai bientôt pourquoi ma vie est partie en sucette après notre déménagement à Ibaraki.
La raison du divorce, la raison de mes tendances suicidaires, tout se trouve quelque part dans ces cahiers !
Soudain, on frappa rapidement à ma porte -- je bondis littéralement de mes couvertures.
Précipitamment, je cachai les cahiers de Miyo sous quelques coussins.
— Reina, téléphone pour toi, tu es sourde ?
— Téléphone ?
À cette heure-ci ?
Mais c'est qui ?
— C'est une librairie qui t'appelle.
Tu as commandé quelque chose ?
C'est un certain M. Ôishi à l'appareil.