Pour être honnête, à la base, je n'avais jamais eu beaucoup de contacts avec Miyo.

Je la connaissais de vue, sans plus. Nous nous croisions parfois sur le chemin et faisions la conversation,

mais bon, des banalités.

En réalité, je n'ai eu qu'une seule fois l'occasion de lui parler plus en détail.

... Et par un curieux hasard, il se trouve que c'était très récemment.

Je l'ai rencontrée par hasard quelques jours avant la purification du coton.

Quelques jours déjà s'étaient écoulés depuis que Keiichi et les filles avaient découvert les corps.

Je rentrais de l'école lorsque le téléphone sonna. C'était la bibliothèque municipale d'Okinomiya qui appelait pour se rappeler au bon souvenir de mon père.

Comme celui-ci était justement parti faire des courses, je décidai d'aller rendre les livres moi-même.

En route, il me prit l'envie d'en emprunter quelques-uns aussi, alors après avoir passé mon tour au guichet, je me mis à flâner dans les rayons.

Et c'est là que je tombai sur elle.

Takano

— Tiens donc, quelle surprise. Rena ?

Bonjour.

Rena

— Miyo ?

Bonjour, ça va ?

Je ne vous ai jamais vue à la bibliothèque, qu'est-ce que vous faites ici ?

Takano

— Ah oui ?

Mais je suis là très souvent, c'est toi qui ne viens jamais ici !

Ahahaha !

Elle avait eu l'air sûre d'elle, une adulte qui sait ce qu'elle fait et qui est maître de sa vie.

... Elle ne savait pas qu'elle mourrait dans à peine quelques jours.

Elle me dit attendre souvent M. Tomitake ici, dans la bibliothèque.

Peut-être plus pour passer le temps qu'autre chose, elle m'annonça qu'elle me payait un verre et se rendit aux distributeurs de boissons.

Quant à moi, je n'avais rien d'urgent à faire.

Après avoir demandé un thé glacé au lait, je m'installai avec elle dans un coin plus éloigné de la bibliothèque pour discuter de tout et de rien.

... Maintenant que j'y pense, quelle ironie du sort.

Elle m'avait parlé de la série de meurtres de Hinamizawa.

Si elle avait su qu'elle serait la prochaine victime dans la liste, qu'aurait-elle pensé...

Rena

— ... Les morts sordides en série ?

Takano

— Allons, tu dois bien en avoir au moins entendu parler, non ?

Il y a quatre ans, le chef de chantier.

Il y a trois ans, les époux Hôjô.

Il y a deux ans, les époux Furude.

Takano

L'année dernière, la tante de ton amie Satoko est morte. C'est de ces meurtres-là dont je te parle.

Dans quelques jours, nous saurons qui est la prochaine victime !

Rena

— Oh... Eh bien, oui, je savais que ça existait, mais... Comment dire.

Rien ne dit qu'il y aura un autre meurtre cette année, non ?

Takano

— Oh, si,

Takano

il y aura un autre meurtre. ... J'y mettrais ma main au feu.

Takano

Tu connais le proverbe, “jamais deux sans trois”. Eh bien là, nous en sommes déjà à quatre. Ce serait presque illogique de ne pas avoir de cinquième. Tu ne trouves pas ?

Elle avait été persuadée qu'il y aurait un cinquième meurtre, et les faits lui avaient donné raison : c'était elle qui était morte la cinquième année.

Le hasard était troublant, malsain, presque.

En même temps, elle était un peu spéciale dans sa tête. Elle faisait un peu peur.

Je parie que même si elle avait su qu'elle mourrait, elle n'aurait pas eu peur. Elle aurait continué à sourire comme si de rien n'était.

Les fameux meurtres en série de Hinamizawa...

Au bout d'un an passé au village, évidemment que j'en avais entendu parler.

Chaque année, le soir de la purification du coton, les ennemis du village meurent les uns après les autres. L'affaire était un mystère complet.

Chaque meurtre en soi n'était pas bien compliqué, les affaires étaient toutes résolues, mais... c'était la suite qui posait problème.

On pouvait ressentir un lien entre tous ces meurtres, mais à part la date, rien de concret n'émergeait vraiment.

... Plus on y réfléchissait, et plus des sueurs froides vous prenaient. Je comprenais parfaitement les gens qui appelaient cette histoire par son autre nom -- “la malédiction de la déesse Yashiro”.

... ... Pour être honnête, j'ai toujours pensé que la réalité derrière “la malédiction”, c'était... le hasard.

Je suis arrivée à cette conclusion à cause du meurtre de l'année dernière -- je suis persuadée que c'est Satoshi qui a tué sa tante.

Je n'ai pas de preuves que je pourrais fournir, mais... j'en ai l'intime conviction.

Je sais parfaitement dans quel état il était l'année dernière, sa situation, ses envies, ses problèmes. Il ne pouvait plus fuir. Il n'avait pas le choix.

Personne n'a voulu l'aider, mais il devait faire quelque chose, et vite, pour sauver sa sœur.

... ... Alors, il a réfléchi, comme moi, il a souffert, comme moi, mais comme moi, il s'est rendu compte qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire, que c'était la moins pire des solutions.

Mais bon, ne pouvant pas dire à voix haute que Satoshi était le responsable du dernier meurtre, je décidai d'écouter ce que Miyo avait à raconter à leur sujet.

D'après elle, cette série de meurtres n'était pas due au hasard -- elle était le fruit d'une longue et mûre réflexion.

Je n'étais absolument pas parvenue aux mêmes conclusions, mais je préférai me taire pour l'instant et attendre la suite.

Takano

— Tu connais un peu les rites autour du culte de la déesse Yashiro, je suppose ?

Elle commença alors à me parler du passé, et m'apprit qu'autrefois, Hinamizawa portait le nom d'Onigafuchi, qui voulait dire “le village des abysses des démons”.

Elle sortit alors quelques cahiers de son sac à main, qu'elle exhiba fièrement. Ils contenaient ses recherches sur la question. Elle en lut quelques passages et m'expliqua qu'avant, les habitants du village étaient considérés comme des ogres cannibales, mais parfois aussi révérés comme des sages des montagnes.

Rena

— ... Donc, d'après votre théorie,

les meurtres en série seraient perpétrés par des fanatiques de la déesse Yashiro, qui souhaiteraient ainsi prouver au monde sa puissance ? J'ai bien suivi ?

Takano

— Est-ce qu'ils sont fanatiques ou seulement un peu plus radicaux, c'est difficile à dire.

Takano

Depuis la révolution de l'ère Meiji, le village a changé de nom, et plusieurs pratiques ancestrales ont cessé.

Takano

J'imagine qu'il doit y avoir des gens qui voudraient revoir les anciennes traditions revenir au goût du jour.

Ce qu'elle me disait était proprement fantasque, mais c'était excitant et très intéressant.

Au début, j'ai vraiment eu de la peine pour elle, mais quand j'ai vu tous les éléments qu'elle avait amassés, je me suis rendu compte que ce n'était pas un gag, pour elle.

Il leur aurait fallu avoir des liens profonds avec la Police pour pouvoir falsifier les enquêtes sur la mort des Hôjô, ou le suicide de Madame Furude, ou même créer de toutes pièces ce drogué qui s'est accusé du meurtre de la tante.

Mais cela impliquait forcément que les gens derrière tout ça avaient le bras long.

Il leur aurait fallu avoir des liens profonds avec la Police pour pouvoir falsifier les enquêtes sur la mort des Hôjô, ou le suicide de Madame Furude, ou même créer de toutes pièces ce drogué qui s'est accusé du meurtre de la tante. Mais cela impliquait forcément que les gens derrière tout ça avaient le bras long.

Je me permis ces remarques à Miyo, et elle acquiesça avec un grand sourire. Elle commença à me parler d'“eux” et de leur influence à tous les étages.

C'est peu ou prou à ce moment-là que je me suis rendu compte de ce qu'elle voulait dire. Miyo pensait que les trois clans fondateurs du village étaient dans le coup.

Et effectivement, le clan des Sonozaki avait beaucoup d'influence. Je le savais déjà, et je connaissais bien Mii.

Je savais qu'elle et sa grand'mère avaient une influence sur tout ce qu'il se passait au village, mais aussi sur beaucoup de choses à Okinomiya -- si ce n'est dans tout le district de Shishibone.

Il n'était pas irréaliste de penser qu'elles pouvaient influer sur toute la préfecture.

Et si leur clan se mêlait des affaires en secret... toute cette théorie devenait un poil plus crédible.

Mais cette théorie m'amenait à porter un regard suspect sur Mii,

et ça, ce n'était pas bien.

... Même si c'était vrai qu'elle avait été assez insensible au sort de Satoshi.

Même si je savais que les Sonozaki et les Hôjô s'étaient affrontés lors du projet de barrage, elle s'était vraiment montrée distante.

Mais Mii a reconnu sa faute, non ?

Et je lui ai accordé mon pardon.

Je ne veux plus la soupçonner...

Je ne voulais plus entendre dire du mal des Sonozaki, aussi fis-je dévier la conversation.

Rena

— Mais moi, ce que je me demande, c'est ce que c'est au juste, le culte de la déesse Yashiro.

Rena

Je veux dire, c'est un cas de figure très rare et très intéressant de voir les ogres des enfers cohabiter avec les humains.

Rena

Normalement, dans les vieux contes, les humains se trouvent un champion pour aller les chasser.

Takano

— Oui, c'est vrai,

c'est un aspect très particulier au culte de la déesse Yashiro.

Mais le coup de la divinité qui se perd sur la Terre et qui reste parmi les humains,

Takano

c'est une ficelle qui est utilisée très souvent.

Takano

Il existe plusieurs légendes de ce genre dans le monde. Un être divin apparaît depuis l'autre côté de la mer, ou depuis la source d'une rivière, et les humains lui vouent un culte.

Rena

— ... Un peu comme l'arrivée soudaine d'un étranger ?

Takano

— Hmmm, c'est une façon très répandue de comprendre le phénomène, en effet.

L'ancien Japon était loin derrière le reste du monde.

Takano

On peut imaginer qu'une personne venant d'un autre pays, plus avancé, serait perçue comme extrêmement savante, si ce n'est surhumaine, par des gens d'une autre région bien moins avancée en terme de civilisation.

Rena

— D'ailleurs, j'ai entendu dire qu'on soupçonne les fameux ogres rouges et bleus des enfers d'être en fait une description pour des hommes étrangers qui auraient été ramenés par les vagues sur le rivage, après un naufrage.

Rena

Ce professeur disait que cela expliquait aussi le nez très haut et très long de certaines créatures fantastiques dans notre folklore -- les japonais d'alors devaient voir les européens comme des créatures non-humaines.

Takano

— Eh bien dis-moi, tu m'as l'air au courant de beaucoup de choses, c'est bien !

Il se trouve que je partage cette théorie.

Et que je la relie avec le culte de ces divinités “venues d'ailleurs”, si l'on peut dire.

Takano

Mais il y a quand même un problème entre cette théorie et la situation de la déesse Yashiro.

Takano

... Tu vois lequel ?

Rena

— ... ... ... Non, pas vraiment.

Takano

— C'est tout simple, en fait.

Le village des abysses des démons ne se trouve pas près de la mer.

Rena

— Oh... Oui, en effet, c'est un problème.

Takano

— Si l'on considère que la déesse Yashiro était une femme venue d'ailleurs, il nous faut d'abord trouver le lien avec l'extérieur, qu'elle a utilisé pour venir.

Takano

En Europe, les pays se touchent par la terre. Il suffit de franchir une montagne ou une rivière pour croiser d'autres peuplades.

Takano

Or au Japon, il faut traverser la mer de Chine, ou l'océan.

Takano

C'est pourquoi toutes les légendes japonaises qui pourraient entrer dans le cas de figure de la déesse Yashiro prennent toutes naissance sur le bord des côtes des océans.

Rena

— Ne pourrait-on pas dire qu'un ou une naufragée aurait fait un long voyage pour fuir et serait arrivée ici ?

Takano

— Oui mais non, parce que dans la légende, les démons sont arrivés depuis un endroit bien précis :

Takano

le marais. C'est un point très important, souligné, surligné et mis en exergue dans toutes les légendes.

Takano

Mais on ne peut pas atterrir dans le marais en descendant le cours d'eau.

Takano

Alors pourquoi et comment les démons ont-ils pu réussir à s'échouer dans les hauteurs perdues des montagnes ?

C'est l'un des points les plus intéressants à étudier, dans toute cette histoire.

Rena

— ... ... ...

Takano

— Que sais-tu au juste sur la légende de la déesse Yashiro ?

Rena

— Seulement ce qu'il y a d'écrit dans les contes illustrés pour les enfants, à l'école.

À bien y réfléchir, je ne savais pas grand'chose de concret sur cette légende.

Je connaissais la règle qui disait de ne jamais partir de Hinamizawa -- j'en avais toujours eu très peur étant petite. Et même maintenant, d'ailleurs.

... En même temps, je suis persuadée que c'est à cause de ça que ma vie s'est retrouvée toute chamboulée...

Ne pense pas plus loin, tu sais que si tu y réfléchis, ta tête va se vider.

Quand je vivais à Ibaraki, tout à la fin, à l'époque où je faisais des tas de choses extrêmes... j'ai rencontré la déesse Yashiro, et elle m'a dit de rentrer à Hinamizawa... ... ?

Non, arrête,

ta tête est en train de partir.

Ne t'en souviens pas ! Arrête ça !

Tu ne t'en souviens pas !

Je ne m'en souviens pas...

Je ne m'en souviens pas ?

Tout ce que je sais, c'est qu'à l'époque, tout simplement, je me suis sentie responsable du divorce de mes parents et j'ai commencé à me retourner contre moi-même.

J'ai rejeté la faute de mon instabilité mentale sur la déesse Yashiro, et je me suis mise à pleurer, et j'ai voulu rentrer à Hinamizawa, c'est tout.

Mais pourtant, c'est bizarre...

Je suis sûre d'avoir vu la déesse Yashiro...

Non, je ne vois plus rien, il n'y a que du blanc dans ma tête.

Je revois les médicaments, je me souviens de cette sensation de vide dans ma tête, mais c'est tout...

Takano

— Tu n'as pas besoin d'en savoir plus sur la légende, ça ira très bien.

Depuis les abysses des démons surgirent les ogres des enfers et ils attaquèrent les villageois.

Takano

Incapable de supporter ce spectacle, la déesse Yashiro descendit sur Terre et parvint à soumettre les démons.

Takano

Ils lui avouèrent en pleurant qu'ils avaient été chassés des enfers et qu'ils n'avaient nulle part où aller.

Takano

Alors les habitants du village les prirent en pitié et décidèrent de les laisser vivre avec eux.

Takano

La déesse Yashiro, fortement impressionnée par cette bonté de cœur, accorda aux démons une apparence humaine pour les aider à se mêler à la population.

Takano

Au fil du temps, les liens de la famille et du sang finirent par unir les humains et les démons.

Rena

— ... ... Oui, c'était quelque chose comme ça.

Étant vraiment toute proche de me souvenir de choses que je devrais vraiment oublier, je me sentis défaillir.

Takano

— Dans la plupart des récits mythologiques, les humains racontent des histoires qui se basent en partie sur des réalités historiques.

... À ton avis, Rena, quelle réalité historique pourrait-on tirer de cette légende ?

Incapabable de vraiment réfléchir à la question, je penchai simplement la tête sur le côté.

Miyo devait soit s'attendre à me voir hésiter, soit vraiment aimer me voir perdue dans cette histoire, car elle eut un large sourire.

Elle sortit un petit sac, dans lequel elle se mit à chercher encore un autre cahier.

Takano

— Tien Rena, celui-là, je te le prête.

Rena

— Euh... merci,

mais enfin, je ne sais pas si...

Takano

— Ne t'en fais pas, je ne te force pas à les lire, mais si un jour tu as du mal à t'endormir le soir, eh bien, tu sauras quoi faire.

Takano

Je sens que tu es quelqu'un de très intelligente, alors j'aimerais en rediscuter avec toi quand tu l'auras lu.

Takano

Tu sais, je n'ai personne à qui parler de ça, Jirô ne s'intéresse absolument pas à cette histoire, alors ça me plairait beaucoup si tu pouvais te forger une opinion pour qu'on en discute --

Takano

et puis, tu n'es pas obligée d'être d'accord avec moi, hein ?

Que voulez-vous faire après une phrase pareille ? Je fus bien obligée de prendre ce cahier et de lui promettre de le lire.

Miyo avait l'air d'être souvent à la bibliothèque. Je n'aurais qu'à lui rendre ce cahier le jour où je rendrai les livres.

À l'époque, je n'imaginais pas que ce jour-là, elle ne serait plus vivante pour le reprendre...

Takano

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Tu n'as pas l'air vraiment dans ton assiette depuis tout à l'heure.

Ça ne va pas ?

Rena

— Ah, eh bien... Je ne sais pas trop, je crois que j'ai attrapé froid, le changement de saison, peut-être.

Je suis encore en convalescence.

J'avais la tête dans le coton, mais ce n'était pas dû à une quelconque maladie.

Ça m'arrivait systématiquement, quand j'essayais de me souvenir de ma rencontre avec la déesse Yashiro, à Ibaraki.

Prenant mon courage à deux mains, je décidai de me lancer et de poser la question.

Mes souvenirs d'Ibaraki étaient très flous.

J'étais sûre de l'avoir rencontrée, la déesse, mais c'était peut-être une illusion.

Chaque fois que j'en ai parlé à quelqu'un, les gens m'ont prise pour une folle.

Mais Miyo sera peut-être différente...

Rena

— Miyo, je...

Est-ce que... Est-ce que je peux vous demander de m'écouter moi, cette fois-ci ?

Takano

— Oui, bien sûr !

Tu m'as laissée parler, il n'y a pas de raison pour que je ne te rende pas la pareille. Que veux-tu me raconter ?

Rena

— Non, en fait, c'est justement à propos de la déesse Yashiro.

Je... Enfin... Vous me promettez de ne pas rire ?

Takano

— Oh, ne te fais pas de soucis à ce sujet, je ne me moquerai pas.

Tu ne t'es pas moquée de moi, alors je peux bien en faire autant.

Elle me dit ça sur un ton vraiment doux et gentil, comme une mère.

J'hésitai à lui en parler, malgré tout, mais à bien y réfléchir, elle était bien la seule personne au monde à qui je pusse me confier.

Après plusieurs faux départs et autres silences, je finis par trouver le courage de commencer.

Rena

— Je

...

En fait... La déesse Yashiro,

je... je l'ai rencontrée.

Takano

— ... ... Vraiment ?

Rena

— Oui.

Rena

Je ne vous l'ai pas dit, mais je suis née ici. Je vivais à Hinamizawa jusqu'avant mon entrée à l'école primaire.

Rena

Et puis, à cause du travail de ma mère, nous avons déménagé dans la préfecture d'Ibaraki.

Rena

J'imagine que vous comprenez ce que ça veut dire ?

Takano

— Oui, je vois tout à fait.

Tu as enfreint la loi de la déesse, tu as quitté le village. C'est là que tu veux en venir ?

Rena

— Oui, c'est exactement ça.

Rena

Et après, eh bein... Nous avons eu beaucoup de problèmes, et ma mère a divorcé. Ma famille est devenue très compliquée.

Rena

Et puis, j'ai eu des tendances un peu dangereuses, je me faisais du mal, ou bien je faisais des bêtises, ce genre de choses.

Takano

— ... ... Ça n'a pas dû être facile.

Et ensuite ?

Rena

— Et puis un jour j'en ai eu marre de tout, des gens qui n'avaient pas de problèmes dans la vie, qui se moquaient de moi derrière leurs sourires.

... ... Et puis j'ai rencontré une présence vraiment étrange.

Takano

— Et cette présence... c'était la déesse Yashiro ?

Rena

— La première fois que je l'ai vue, c'était... Gardez ça pour vous, hein ? C'est un secret.

Un jour, j'en ai eu tellement marre que j'ai voulu me détruire. Alors j'ai pris des trucs coupants et je me suis mutilée.

Rena

Je me suis planté une lame de rasoir dans le cou, et... dans le sang qui coulait, il y avait quelque chose de dégueulasse qui sortait en faisant du bruit,

c'était... ...

Takano

— ... Je ne me moquerai pas.

Continue. C'était quoi ?

L'horreur et le dégoût qui m'avaient assaillis à l'époque me remontèrent le long de la colonne vertébrale.

Ces souvenirs-là, je les avais scellés dans un coin de mon cerveau, pour ne plus en souffrir.

Mais une fois que l'un d'entre eux fut à nouveau dans ma tête, le reste s'enchaîna, inexorablement.

Oui, mon sang avait bougé, il y avait eu quelque chose de vivant à l'intérieur.

Rena

— Il y avait des insectes dans mon sang, des milliers et des milliers de petits parasites, comme des asticots !

Rena

Il y en avait tellement, ils me sortaient depuis la blessure, avec le sang.

Rena

Et ils revenaient, ils essayaient de rentrer sous ma peau, de repartir dans mon corps !

Rena

Quand j'ai su que j'avais ces parasites dans le corps, j'ai commencé à me gratter, à toucher à la blessure, pour les enlever à la main.

Mais ça me faisait mal, et j'avais du sang partout...

Rena

Alors j'ai eu peur, très peur.

Et si vraiment mes veines et mes artères étaient pleines de ces parasites, hein ?

Rena

Alors, j'ai essayé ailleurs, je me suis entaillé l'artère fémorale, pour pouvoir constater de visu.

Rena

Et là... Eh bien, oui, je les ai vus sortir depuis la blessure, ils coulaient en grappe, c'était horrible, répugnant, écœurant !

Oui, d'accord, d'accord, mademoiselle Ryûgû, calmez-vous maintenant, allez, c'est fini...

Rena

— Non, vous ne comprenez PAS !

À chaque fois que je les fais sortir, ils rentrent à nouveau sous ma peau, ils se cachent dans mon corps !

Et ça me gratte, ça me gratte, vous ne savez pas ce que c'est !

Aaaah !

Vite, vous, appelez le médecin !

Non, non, ne touchez pas à vos blessures, ne grattez pas !

Vite, ramenez un sédatif !

Dépêchez-vous !

Bien, maintenez-la fermement, surtout !

Rena

— Tuez-les, tuez-les, enlevez-les tous !

Rena

Videz-moi de mon sang et nettoyez-moi !

Rena

Je vous dis que j'ai des insectes parasites partout dans le corps !

Rena

Pourquoi vous ne me croyez pas ?

Rena

Regardez, REGARDEZ, je vais vous montrer...

Rena

Si je vous le montre, vous me croirez, hein ?

pas la piqûre, j'en ai marre des piqûres, je veux PAS DE PIQÛRE ! Non... Non, nooOON !

Takano

— Chuuut... Calme-toi, Rena...

Je suis là, tout va bien... Tu vois ?

Miyo s'était approchée de moi et me tenait la main.

C'est cette sensation qui me tira de ma rêverie.

Takano

— ... ... Et là ? Que s'est-il passé ?

Rena

— Il y a eu une époque où plus personne ne me croyait... Et là, elle est apparue devant moi.

La déesse Yashiro, en personne.

... Pour être honnête, mes souvenirs étaient très vagues. Flous, lumineux. Apparaissant dans des flashes, par intermittence.

En fait, je me souvenais “avoir rencontré la déesse Yashiro”.

Mais je n'avais pas vraiment de souvenirs précis de cette rencontre en elle-même.

Après ma sortie de l'hôpital, j'avais été soignée à résidence, mais parfois, il me prenait le besoin de vérifier si vraiment, j'étais propre à l'intérieur.

D'habitude, je buvais du thé tellement fort que je passais mes journée dans une sorte de demi-sommeil.

Mais ce jour-là, j'avais été un peu malade et je n'avais pas bu mon thé. Et du coup, j'avais la tête très claire.

C'est pourquoi je m'étais souvenue des parasites et des insectes dans mon sang, et j'avais été prise de l'envie fébrile de vérifier si mes veines étaient bien vides.

Je cherchai la veine qui ressortait le plus sur mes poignets, et je la tranchai avec une lame de rasoir.

Alors, de la blessure s'écoula du sang, bien sûr, mais aussi un flot de vermine d'une couleur écarlate répugnante !

Voulant m'en débarrasser avant qu'elle ne retourne dans la blessure, j'allai en toute hâte à la salle de bains pour assainir la plaie.

L'eau, le sang et la vermine gouttaient bruyamment sur le siphon du lavabo.

Tout comme certains pressent des boutons d'acné, j'appuyai comme une forcenée sur mes veines pour en extraire le sang vicié.

Et j'ai continué, encore et encore !

Mon bras commençait à s'endormir, il devenait froid, mais j'ai tenu bon, et j'ai continué !

J'ai bien cru que j'allai mourir en me vidant de mon sang...

Mais c'était un risque à prendre, parce que j'avais ces choses dans mon sang, et que je ne pouvais pas les laisser à l'intérieur !

Et soudain... la salle de bains fut baignée de lumière.

C'était la toute première fois de ma vie que je faisais ce genre d'expérience divine.

La pièce avait été toute sombre, et pourtant, maintenant, elle baignait dans une lumière crue.

Ce n'était pas comme la lumière artificielle des néons ou de ces nouvelles lampes.

C'était une lumière douce, une lumière tiède, une lumière rassurante.

Et au milieu de cette lumière... La déesse Yashiro descendit parmi nous.

Elle me dévisagea avec une immense bonté, mais aussi une immense tristesse dans le regard.

Alors elle se pencha vers moi et toucha ma blessure... et je pus voir comment, petit à petit, la vermine qui salissait mon corps disparaissait.

Mon corps me donna des sensations étranges, et soudain, je sus que les affrosités qui me souillaient de l'intérieur avaient été purifiées et anéanties aussi.

Alors, elle me parla et m'apprit quelque chose d'important.

... Elle me dit que cette vermine dans mon sang était le signe de sa malédiction.

Les gens nés à Hinamizawa n'ont pas le droit de s'en éloigner.

C'est une règle formelle et immuable.

C'était pourquoi la malédiction s'était abattue sur moi.

C'était quelque chose d'affligeant et de désespérant, mais c'était comme ça, je l'avais cherchée.

Il n'y avait guère qu'une seule manière de me sauver.

Je lui ai demandé quelle était cette méthode, fiévreusement.

Alors elle me répondit, et je me rendis compte que la solution était très simple, finalement.

Il suffisait de retourner vivre à Hinamizawa.

Bien avant que la déesse ne me l'apprît, j'avais déjà vaguement deviné qu'il y avait un rapport avec le village.

Nous étions nés à Hinamizawa, et nous aurions dû savoir que nous n'avions pas le droit d'en partir.

Or, nous avions défié son autorité. Nous avions déménagé. Tout était parti de travers pour notre famille. J'avais fini par en perdre la tête.

Si nous n'étions pas partis, nous n'aurions pas eu à en souffrir !

C'était pourquoi il nous fallait à tout prix réemménager à Hinamizawa !

La déesse Yashiro me dit aussi ceci.

Elle me prévint qu'elle avait pu purifier mon corps, mais qu'elle était bien trop éloignée de son temple pour pouvoir m'aider très longtemps. Cette purification ne durerait qu'un temps.

Son pouvoir prendrait bientôt fin, et le signe de sa malédiction finirait par poindre à nouveau dans mon corps.

Et lorsque les parasites reprendraient leur place dans mes veines, ils prendraient cette fois-ci le contrôle total de mon corps, et me mèneraient à une mort certaine...

« Ne tarde pas. Rentre à Hinamizawa, avant que mes pouvoirs ne faiblissent et qu'il ne soit trop tard. »

Ce furent ses derniers mots avant de disparaître.

Je suis sûre de l'avoir entendue me parler, je ne l'ai pas rêvée !

Normalement, j'aurais dû déjà rentrer depuis bien lontgtemps. Mais j'avais traîné.

C'est pour cela qu'elle était venue à ma rencontre, pour me maudire !

Mais elle m'a aussi laissé une chance de salut.

Elle m'a laissé un infime espoir, la possibilité de retourner à Hinamizawa et de tout faire pour réparer ma faute, pour expier mon péché !

Papa, écoute-moi, la déesse Yashiro peut nous sauver !

Nous devons rentrer à Hinamizawa, nous devons y retourner, c'est là que nous étions censés vivre !

Sinon, je ne serai pas la seule à souffrir, toi aussi, elle te maudira, Papa, toi aussi, tu mourras !

Nous devons y retourner Papa, il le faut, absolument ! Je veux revivre à Hinamizawa !

Allez, vite, vite !

Il faut y aller, sinon son pouvoir va disparaître, et les petites bêtes grouillantes vont revenir !

Tu sais, la déesse me suit, elle me suit tout le temps, et elle me parle, elle me susurre à l'oreille !

Elle me dit de me dépêcher, elle ne me laisse pas le choix, Papa !

Et le pire, c'est qu'elle n'arrête pas de s'excuser d'avoir placé cette malédiction, elle est toujours à me demander pardon, pardon, et encore pardon !

Elle n'arrête pas, de toute la journée, et même la nuit !

Mais vraiment, hein ?

Mais SI, j'te jure, j'te mens pas !

Mais pourquoi est-ce que vous ne la voyez pas ? Elle est là, juste derrière moi !

Et les insectes, ils n'existent pas non plus, peut-être ? C'est moi qui les ai imaginés quand je me suis ouvert les veines, hein, j'ai que ça à foutre, à inventer des mensonges pareils, ben bien sûr !

Moi je suis certaine que vous êtes tous montés contre moi ! Vous les voyez aussi, tous autant que vous êtes, mais vous ne voulez pas l'av-- NON, non, pas la piqûre, PAS LA PIQÛRE !

AAaaaaaaAAaaaaaAAhhh !

Takano

— ... ... ... Chuuut, je suis là, je suis là, n'aie plus peur... Tu t'es calmée ?

Je repris soudain conscience de là où j'étais. Miyo me tenait dans ses bras, me serrant fort contre elle, murmurant des mots réconfortants à mon oreille...

... Je sentis encore d'autres souvenirs maudits revenir dans ma mémoire.

Les docteurs avaient décrété que mes souvenirs n'étaient qu'une illusion.

Ils disaient que ces scènes avaient été imaginées par mon subconscient pour donner forme à mon sentiment de culpabilité. Je me sentais responsable du divorce de mes parents -- et c'était vrai -- mais ils disaient que cette culpabilité s'était servie de mes souvenirs d'enfance pour prendre une forme plus concrète et détruire mon équilibre mental.

Ils m'ont prescrit des médicaments, des visites obligatoires chez le psychiatre... et m'ont dit de me laisser le temps de la guérison.

Et à force de suivre ces traitements, il m'est arrivé de me dire qu'ils n'avaient peut-être pas tort, que j'avais peut-être rêvé cette rencontre.

Je crois qu'ils ont demandé à mon père de voir s'il ne serait pas possible de redéménager à Hinamizawa.

Heureusement pour moi, Papa voulait changer d'atmosphère pour oublier le malheur de son divorce, mais il n'osait pas le dire à voix haute.

Et puis, enfin... Nous retournâmes à Hinamizawa.

Le jour où nous arrivâmes au village, je suis sûre d'avoir ressenti quelque chose de très fort.

J'ai ressenti dans chaque fibre de mon corps que j'étais chez moi ici, que j'étais destinée à vivre ici.

Et j'ai aussi ressenti le sourire chaleureux de la déesse,

qui nous offrait sa bénédiction.

Je ne peux pas avoir rêvé cette sensation.

C'était une telle délivrance que de me sentir purifiée de ces créatures dans mon corps !

J'étais libre !...

Après mon déménagement, j'ai continué à voir un psychiatre à Gogura.

Il m'a forcée à avaler ces affreux médicaments, comme à Ibaraki.

Et puis, graduellement, j'ai commencé à oublier tous les mauvais souvenirs. Disons qu'ils se faisaient moins insistants dans ma mémoire, plutôt.

... Et au bout du compte, un jour, il me fut impossible de m'en souvenir, parce qu'à chaque fois que j'essayais, je perdais toute concentration, et que ma tête flottait. Mais finalement, grâce à cela, je pus retrouver la tranquillité au quotidien.

Ce fut alors que je décidai d'abandonner mon prénom.

J'avais l'impression que ce prénom faisait le lien entre moi et mon passé, qu'il ferait ressurgir les mauvais souvenirs au mauvais moment.

Alors, j'ai pensé que puisque ces souvenirs étaient “insupportables” et “ignobles”, le “i” de mon prénom devait partir.

“Reina” moins le “i”, ça donne “Rena”.

C'était différent.

C'était court. C'était propre. C'était mignon.

Alors, quand je me suis présentée à l'école, j'ai demandé à tout le monde de m'appeler Rena.

Et depuis, je suis Rena.

C'est mon nouveau nom, et il me sert dans ma nouvelle vie.

J'ai abandonné Reina quand j'ai décidé d'oublier à jamais mes problèmes du passé.

Mon père a continué à m'appeler “Reina”, mais lui, ce n'était pas grave, c'était mon père, ça me dérangeait moins.

Mais ensuite, il y a eu Rina qui est venue, et qui m'a appellée Reina, et ça, c'était déjà nettement plus problématique.

Chaque fois qu'elle m'appelait comme ça, mon cou me grattait.

Allez, arrête, oublie tout ça.

*gratte gratte gratte* J'ai dit, arrête.

Rena

— ... Désolée, je...

J'ai fait une scène ?

Takano

— Non, tu parlais à voix basse, je n'ai rien compris.

Takano

Tu as l'air de t'être calmée, tant mieux.

D'après sa réaction, je pouvais déduire que j'avais dû faire nettement moins de foin que je ne l'avais craint.

Mais c'était vraiment une chance, j'aurais pu faire des crises comme avant.

... Il m'était arrivé plusieurs fois de me faire emmener à l'hôpital, alors que je hurlais comme une démente... Pas cette fois-ci, heureusement.

Rena

— Je... Je vous jure que je l'ai rencontrée.

Et bien sûr, que j'ai réellement vu les petites bêtes dans mon sang.

... ... Heh. Ahahaha ! J'imagine que vous ne me croyez pas, n'est-ce pas ?

Takano

— ... ... ... ... ...

Miyo avait un sourire crispé sur les lèvres.

Bah, c'était à prévoir. Je savais bien que personne ne croirait jamais à cette histoire.

... Après tout, c'est moi qui suis folle dans ma tête et qui ai imaginé tout ça, si ça se trouve.

... Si moi-même je n'arrive pas à faire confiance à mon cerveau,

alors je ne peux pas demander aux autres de le faire pour moi...

Takano

— Rena...

D'abord, je veux que tu restes calme.

Rena

— ... ... Pffff... Oui.

Takano

— Tu m'as dit que tu avais peur de la malédiction, n'est-ce pas ?

De ces... choses dans tes veines.

Mais la déesse t'a bien dit que tant que tu vivrais à Hinamizawa, tu ne risquais rien ?

Rena

— ... Oui, c'est ce qu'elle a dit.

Takano

— Eh bien alors, tu n'as pas à t'affoler.

Tu n'as pas à avoir peur.

Tu es à Hinamizawa, là, non ?

Takano

Je veux dire, bon, tu es à la bibliothèque d'Okinomiya, mais ce n'est qu'à un saut de puce. La déesse Yashiro ne va pas te maudire pour si peu.

Takano

D'ailleurs, je parie que tu ne sens pas les choses dans ton corps, je me trompe ?

Rena

— ... Eh bien, je... Non, je ne ressens rien, en effet.

Takano

— Tu vois ?

Alors tu peux te calmer et dormir sur tes deux oreilles,

tu respectes bien les règles de la déesse.

Tu ne crois pas ?

Ce n'est pas faux, ce que je dis ?

Rena

— ... Eh bien...

Non, non, effectivement.

C'était la première fois que Miyo me semblait si rassurante.

J'avais déjà parlé de cette rencontre à plusieurs médecins, qui m'avaient tous snobée en me disant que c'étaient des idioties dans ma tête, et qui m'avaient fait cette piqûre.

Mais Miyo était différente. Elle ne niait pas l'existence de la déesse. Pas encore, peut-être.

Mais elle ne réfutait pas mon histoire.

Au village, les gens racontaient qu'elle était un peu spéciale... Mais apparemment, elle était vraiment très gentille et compréhensive.

En tout cas, c'était mon avis sur elle.

Takano

— Rena,

je vais te dire une bonne chose : je te crois.

Rena

— ... Merci. *sniff*

Je crois que vous êtes la première personne au monde à ne pas me traiter de folle...

Takano

— Ahahahaha, je peux en dire autant de toi.

Tu es la première à ne pas t'être moquée de mes conclusions au sujet de la déesse Yashiro.

... Je sens que nous allons devenir de bonnes copines, toutes les deux.

Miyo posa délicatement son front sur le mien et eut un large et tendre sourire.

Takano

— Après tout, pourquoi pas ? Tu sais quoi ? Je vais te donner mes cahiers secrets.

Takano

Mais attention, hein, que ce soit bien clair, ceux-là, il ne faut pas les montrer.

Takano

Je dois t'avouer que je pensais ne jamais rencontrer une personne digne de les lire, mais toi, tu es différente.

Takano

... Oui, toi, Rena, tu pourras peut-être les lire et ne pas rire aux éclats.

Elle chercha dans son sac et en sortit quelques cahiers très différents des autres, qu'elle me plaça de force dans les mains.

Takano

— Il faut absolument que tu les lises pour me donner ton avis.

... Peut-être même que tu sauras y découvrir des choses qui ne me sautent pas aux yeux.

Je ne compris pas trop ce qu'elle voulait dire par là.

Elle me regarda avec un rire malicieux, puis plaça un doigt sur ses lèvres, pour m'inviter à garder le secret.

Takano

— Et surtout, ne dis à personne sur quoi je fais mes recherches, d'accord ?

Rena

— Pourquoi, c'est un secret ?

Eh bien, très bien, je resterai muette comme une tombe.

Takano

— ... Tu sais, s'“ils” apprenaient que je fais des recherches là-dessus, “ils” n'hésiteraient pas à me supprimer...

Ahahahahaha...

Ce rire, c'est la dernière chose qu'elle fit ce jour-là.

S'“ils” apprenaient qu'elle faisait des recherches là-dessus, “ils” n'hésiteraient pas à la supprimer.

Elle en avait rit, ce jour-là.

Mais maintenant... elle avait disparu.

... La seule chose qu'elle avait pu laisser pour prouver son existence, c'étaient ces quelques cahiers.

Mais le choc de cette réalisation ne s'arrêtait pas là.

Il y avait aussi le problème de la mort de M. Tomitake.

L'inspecteur Ôishi avait dit qu'il avait perdu la tête et qu'il s'était arraché la carotide à cause d'une drogue bizarre, mais moi, je savais parfaitement ce qu'il s'était passé.

... Évidemment, je ne lui avais rien dit.

Et puis, il ne m'aurait pas crue.

M. Tomitake s'était...

Oui, aucun doute possible.

Il avait essayé d'enlever la vermine qui se cachait dans son sang et s'était arraché la carotide en se grattant.

C'était un élément qui ne trompait pas. C'était la signature de la malédiction de la déesse Yashiro.

Il y avait plusieurs règles, édictées par la déesse, qu'il fallait absolument respecter.

L'interdiction de partir du village était la plus connue pour nous, mais ce n'était pas la seule. Il en avait sûrement brisé une sans le savoir.

Oui, d'ailleurs, Ôishi en avait parlé.

Il avait pris des photos avec le flash, sans aucune discrétion ni respect, pendant la cérémonie sacrée de Rika. Certains au village lui en voulaient à cause de ça.

Il aurait donc gêné le bon déroulement de la cérémonie dédiée à la déesse... qui l'aurait maudit ?

Hmmm, il doit y avoir une autre raison... Mais peu importe, en tout cas, c'est l'œuvre de la déesse, sans aucun doute.

Ce qui tendrait à dire... que Miyo... est aussi morte à cause de la déesse ?

Après tout, elle tentait de percer le mystère de l'essence divine de la déesse Yashiro, c'est un crime religieux.

C'est une offense terrible.

Non, Miyo avait peur d'un groupe d'êtres humains.

Elle avait dit “ils”, ce n'était donc pas du courroux de la déesse dont elle avait peur.

Oui... Elle avait même d'ailleurs supposé que les trois clans fondateurs se servaient des légendes pour restaurer les anciens rites...

Mais la mort de M. Tomitake est clairement due à la malédiction !

J'ai failli en mourir moi aussi, je suis bien placée pour le savoir !

Et la malédiction ne peut pas avoir été déclenchée pour faire plaisir aux quelques fanatiques religieux du village, elle a frappé pour une toute autre raison.

Attendez... L'inspecteur n'avait pas dit que certaines drogues poussaient au suicide ?

Ça voudrait dire que... peut-être... Peut-être que les membres des clans fondateurs ont pu créer une drogue qui déclencherait les mêmes symptômes que la malédiction, mais de manière intentionnelle ?

Non, c'est pas possible. Moi, on ne m'a pas fait de piqûre bizarre.

Je vivais tout à fait normalement à Ibaraki.

Je n'avais strictement aucun contact avec les gens des clans, ni ceux des Sonozaki, ni ceux des Kimiyoshi...

L'inspecteur Ôishi m'a investie d'une mission.

Je devais surveiller les gens dans le village.

Et je devais le prévenir si les gens disaient des choses étranges. Même si c'était Mii ou Rika.

Miyo était la seule à croire en la déesse Yashiro, et elle a été supprimée.

M. Tomitake est mort de la même malédiction que moi.

Non, non, j'en ai marre, je ne veux plus...

Je ne veux plus être mêlée à ces histoires de malédiction, pourtant !

Je ne sais pas quoi penser. Est-ce que c'est la déesse qui est derrière tout ça ? Ou bien un groupe de fous furieux, plutôt ?

Ça peut aussi être le hasard... Non, plutôt un mélange des trois, en fait.

Rah, je sais pas, j'en sais rien !

Je sais pas ce que c'est, OK ?

Bon sang, le soleil ne tape pourtant pas fort, mais je me sens presque défaillir...

Depuis quand le soleil tape-t-il aussi fort à Hinamizawa ?

Miyo m'a demandé de garder ses recherches secrètes.

... Elle m'a donné des cahiers qu'elle pensait ne jamais prêter à personne.

... ... Ne me dites pas que... Mais alors, la vérité se trouve peut-être quelque part dans ces cahiers ?

Je sentis soudain mon pouls s'accélérer.

Mais alors... Maintenant que c'est moi qui les ai... Il va peut-être m'arriver la même chose qu'à elle ?

Si c'est un complot de je-ne-sais qui, je vais me faire enlever.

Si c'est la malédiction de la déesse, je serai maudite.

... Le plus simple, encore, ce serait de les brûler... Comme ça je risque rien...

... Non, Miyo m'a fait confiance.

C'est la seule, ici, qui ne s'est pas foutue de ma gueule en me rigolant au nez.

Je ne peux pas lui faire ça, ce serait injuste de brûler ses cahiers sans même les avoir lus...

Si c'est un complot, je dois absolument révéler qui l'a fomenté.

Et si c'est bel et bien une malédiction, je dois la déjouer.

Je ne dois pas m'enfuir. Je ne dois pas m'enfuir.

... Je dois rester ici et me battre.

De toute façon, c'était bien ce que je m'étais juré, non ? Je voulais retrouver le bonheur et la paix, en les saisissant de mes propres mains.

Je ne dois pas ployer sous l'infortune.

Je dois me battre.

Je dois chasser moi-même les nuages noirs qui se forment à l'horizon !

Je sais ce que je vais faire, je vais rentrer à la maison et je vais lire ces cahiers.

Insensiblement, inexorablement, mes pas se firent de plus en plus rapides...