Rena n'était pas en forme depuis l'autre jour, et ratait souvent nos activités du club.
— ... Oui, malheureusement.
Je crois que j'ai encore un reste de fièvre.
— ... Tout ceci est fort ennuyeux, ma chère...
C'est vraiment dommage.
— Dis, Rena,
tu voudrais pas essayer quand même ? Quitte à te forcer un peu.
Je suis sûr que si tu joues à fond avec nous, tu finiras par oublier que tu es malade, et ça pourrait te guérir !
— Oui, je dois dire que je suis d'accord.
— Vous croyez vraiment ?
— ... Parfois, l'inactivité rend la situation encore pire.
— Oui,
certains disent aussi que pour guérir, il faut d'abord commencer par le vouloir.
Tout le monde se doutait bien que Rena n'avait pas vraiment de fièvre.
Il s'était passé trop de choses d'un seul coup. Elle n'avait pas réussi à suivre. Le choc mental avait été trop important.
C'est pourquoi la meilleure solution était sûrement de jouer comme avant, en se donnant à fond, sans se soucier de la fatigue. C'était le meilleur moyen de revenir à la normale.
Rena aussi en semblait consciente.
Et elle aussi avait envie de redevenir comme avant, de s'amuser, d'avoir la forme. Elle ne voulait pas rester dans cet état indéfiniment.
— ... Bon ! Eh bien alors, soyons fous !
Je joue avec !
— OK !
Ça, c'est la bonne attitude !
Bon, alors aujourd'hui, on va prendre un truc pas trop sportif, un jeu de plateau, ce sera parfait !
... Hmmm, lequel on va bien pouvoir prendre...
De bonne humeur, Mion se mit à chercher dans son casier interdimensionnel en chantonnant.
Non, pas ça, hmmm, non plus, elle n'en finissait pas de prendre un jeu et de le placer à côté, en quête d'un jeu meilleur.
À force de voir toutes ces boîtes s'empiler, je finis par réaliser qu'objectivement, les lois naturelles de la physique ne permettaient pas de placer autant de matériel dans l'espace de son casier.
À vue de nez, leur volume cumulé dépassait le volume intérieur total du meuble.
— Aaaa, oui, c'est vrai, on a celui-là !
Ça fait si longtemps, on pourrait faire quelques parties !
Aujourd'hui, on va se creuser les méninges, c'est un jeu d'enquête !
— Hein ?
Qu'est-ce que c'est encore que ça ?
Raconte voir, ça m'a l'air prometteur !
— Eh bien, c'est un jeu où tu dois trouver le meurtrier, l'arme du crime et où le meurtre a été commis.
Il faut beaucoup réfléchir.
— ... Il suffit d'y jouer une fois pour prendre ses marques.
Et puis, si vous prenez des notes, vous ne devriez pas avoir de problèmes.
— Oooohhohho !
Il n'est pas donné à tout le monde de savoir comment compiler les indices !
Mais n'ayez crainte, c'est ma spécialité !
Finalement, les règles n'étaient pas si compliquées que ça.
En gros, il suffisait de découvrir les cartes des autres et de déduire le plus vite possible les cartes du meurtrier.
Il existe des tas de jeux de logique et de déduction, mais celui-là faisait s'affronter les joueurs entre eux.
C'était la seule grosse nouveauté.
L'élément décisif dans ce jeu, c'était la façon de procéder les informations et d'en tirer des conclusions.
Ce club nous faisait vraiment travailler et les muscles et le cerveau, mine de rien.
— Paaaarfait, parfait, parfait !
Allez, Rena, je t'attends !
Et aujourd'hui, on va enfin pouvoir se départager ! Ça fait un moment que cette bataille de pistolets à eau me travaille, tu sais !
— Eh bien, d'accord !
Moi aussi, je vais vous montrer !
— ... Je crois que j'ai intérêt à me méfier...
— Oui, prudence est mère de sûreté !
Depuis ce fameux duel, j'ai revu mon appréciation de vos forces à la hausse, très chers.
Je m'abstiendrai donc de toute indulgence envers vos erreurs !
— Ahahahahaha !
Eh bien alors, les enfants,
vous êtes tous prêts à en découdre ?
C'est exactement ce que j'avais espéré !
Alors allons-y gaiement !
— OK, alors je me lance !
Le coupable, c'est “moi” !
avec “le couteau”
dans “la bibliothèque” !
— Non, j'ai une de ces cartes !
Moi,
je propose “Keiichi”,
avec “le thé empoisonné”
dans “le vestibule” !
— Voici mes propositions :
“Mion”
avec “le pistolet”
dans “le petit salon” !
— Éhhéhhé...
Pourtant, Satoko, c'est toi qui l'as, le pistolet !
Ne me prends pas pour une buse, ça ne marche pas avec moi !
— ... Je sais qui est le meurtrier et je connais l'arme du crime.
Reste à choisir le bon endroit parmi les deux derniers...
— Hau !
Ah oui ? Toi aussi ?
Moi, c'est le meurtrier que je trouve pas !
— Le petit plus qui fait la différence, c'est d'analyser les propositions des autres pour en tirer des conclusions quant à leurs propres cartes.
Il arrive parfois de découvrir la solution pendant qu'un adversaire fait une proposition !
— Hmm, je comprends !
Je croyais que ce serait plus simple, en fait.
... J'arrive plus à me relire, mes notes ressemblent à rien !
— Ahahahahaha !
Si tu ne sais pas prendre de notes, tu auras du mal, c'est le plus important pour résoudre l'énigme ! Ça fait facilement 70% du travail !
Mais bon, rassure-toi, même avec 70% du travail de fait, t'arriveras pas à me battre...
Au début, je n'y comprenais rien, mais au fur et à mesure, ça commença à rentrer.
À force de jouer, Rena avait fini par oublier qu'elle était malade.
J'étais bien content d'avoir insisté.
Alors que nous étions en pleine partie, la maîtresse vint nous voir.
— Eh bien dites-moi, vous en faites du bruit ! C'est si bien que ça, votre jeu ?
Oh, je voulais vous demander, est-ce que mademoiselle Ryûgû est encore là ?
— Hau ?
— Il y a quelqu'un qui voudrait vous voir. Vous avez de la visite.
Nous nous regardâmes tous sans comprendre.
Parfois, certains parents viennent à l'école, mais dans ces cas-là, la maîtresse ne dirait pas “vous avez de la visite”.
Le cas de figure devait donc être bien spécial, et il était d'autant plus rare.
— ... Je me demande bien ce que c'est.
Je vais allez voir, j'espère ne pas en avoir pour trop longtemps.
Continuez sans moi !
Rena partit au pas de course.
— On fait quoi ?
On attend ?
— Hmmm, disons que sans savoir combien de temps ça va durer, c'est un peu chaud pour prendre une décision.
Et puis, Rena nous a dit de jouer sans elle en attendant.
Alors faisons exactement ça !
— OK !
Le soleil de plomb inondait la cour de lumière, qui offrait un fort contraste entre les zones au soleil et les zones à l'ombre.
Au milieu de l'entrée, dans la lumière crue, se tenait un homme d'âge mûr, la cravate desserrée, la veste sous le bras. Il avait l'air d'avoir très chaud.
— Ah, mademoiselle Ryûgû ?
Reina Ryûgû, c'est bien vous ?
Je détestais lorsque les gens m'appelaient par mon vrai prénom -- surtout depuis que Rina s'était mise à l'utiliser. Il me faisait déjà déjà une très mauvaise impression, cet homme.
— Oui, c'est bien moi.
Et vous êtes ?
— J'ai la clim' dans la voiture, on pourrait en discuter à l'intérieur ?
Vous n'avez pas chaud ?
Sans attendre ma réponse, il se dirigea vers son véhicule.
... Si l'objet de la conversation était banal, il m'en parlerait dans la salle des professeurs.
Pourquoi veut-il m'enfermer dans sa voiture ? C'est bien la preuve qu'il y a quelque chose de louche là-dessous.
Pourtant, Madame Cie l'a accueilli et a donné suite à sa requête.
Ce qui veut dire qu'elle le connaît et qu'il n'est pas dangereux.
... Mais qui peut-il bien être ?
— Allons, Mademoiselle, je ne vais pas vous manger.
Venez donc !
Il ouvrit la portière arrière.
... Ne me dites pas qu'il est... policier ?
C'est pas vrai... La police a découvert les corps ?
Une peur indicible se fit sentir dans tout mon corps.
Est-ce que c'était le début d'un interrogatoire ? Le début des aveux ?
... Je ne veux pas le suivre, mais si je refuse, il aura toutes les raisons de me soupçonner moi.
Je n'avais pas le choix...
aussi montai-je dans le véhicule, bien décidée à ne rien dire.
Il faisait vraiment très frais à l'intérieur.
La climatisation, ce n'était pas donné à tout le monde.
En tout cas, je crois que Papa ne l'a pas dans les options de notre voiture.
— Si vous avez froid, dites-le, hein.
Je préfère quand il fait frais dans la voiture, personnellement, alors j'ai toujours la clim' à fond.
— Et donc, qu'est-ce que vous désirez ?
Je savais que ce n'était pas très poli, mais je préférai lui montrer qu'il n'était pas le seul à pouvoir mettre un vent et décider de ne pas répondre aux questions.
Il prit un agenda de la poche de sa chemise et le feuilleta, puis en sortit une photo.
Sur la photo, on pouvait voir un homme qui avait l'air un peu idiot.
— Si vous savez quelque chose sur cet homme, j'aimerais que vous m'en parliez.
Sur la photo, il n'avait aucune expression particulière. Son visage était mou, comme s'il s'était endormi, exténué.
Il paraît que sans expression spéciale, même le visage de vos proches peut vous sembler inconnu.
Alors le visage d'un parfait inconnu, je ne vous raconte même pas...
... ... Mais bon, au moins, je suis rassurée.
Ça n'a rien à voir avec Rina et Teppei...
— Il y avait votre nom marqué sur sa chemise, Mademoiselle.
Celui de certains de vos camarades de classe aussi, d'ailleurs.
— ... Quoi ? Vous voulez dire, c'est M. Tomitake ?
Je ne reconnaissais aucune des expressions habituelles de son visage sur cette photo.
Qu'est-ce que cela pouvait-il bien vouloir dire ?
— Et cette femme ?
Je savais un peu à quoi m'attendre.
— ... C'est Miyo.
Miyo Takano.
— Quand les avez-vous vus pour la dernière fois ?
— Je crois que je les ai vus juste après la fin de la fête de la purification du coton.
— Vous n'avez rien remarqué de bizarre ?
N'importe quoi,
tout ce qui peut vous revenir en tête.
— Mais... Il leur est arrivé quelque chose, ou quoi ?
— OUAIS !
J'ai tout bon !
En fait, je savais pas si c'était Rena ou Mion, j'ai dit au pif !
— Comment, vous avez énoncé une solution en vous laissant guider par la chance ?
Mais enfin, vous êtes inconscient des risques, ma parole !
— ... Peut-être, mais il a gagné, et chez nous, gagné, c'est gagné.
— Oh, voilà Rena.
Te revoilà, toi ?
C'était plus long que prévu, non ?
Mion sembla remarquer quelqu'un qui revenait.
Rena me parut épuisée.
... Je ne savais absolument pas de quoi elle avait bien pu parler, mais ça n'avait pas dû être très marrant.
— Rena ? Dis, t'es sûre que ça va ?
— Quoi ?
De quoi tu parles ?
De quoi ?
— Ben, t'es toute pâle.
Tu es toute blanche dans le visage, presque bleue.
... Tu te sens pas bien ?
Rena commença sa phrase en voulant nier en bloc tout malaise, mais elle se ravisa.
Après avoir regardé dans le vide avec le regard sombre, elle finit par nous annoncer qu'elle rentrait plus tôt que prévu à la maison.
... Finalement, c'était pas une si bonne idée que ça de l'avoir retenue ici.
Je regrettais un peu l'avoir fait. Elle s'était forcée plus que je le pensais pour nous faire plaisir...
Après avoir remballé ses affaires, elle s'excusa de partir plus tôt, puis s'en alla.
— Eh bien, soit, c'est fort dommage, mais il en est ainsi !
Pensons plutôt à nous départager en des termes univoques !
— Oui, tu as raison !
Alors, à qui le tour ?
— ... Miaou !
— OK, alors, Rika, c'est à toi, maintenant !
Amène-toi !