— Oui, bonsoir, bonsoir, venez donc !
Que diriez-vous d'une bonne grosse saucisse, bien grillée ?
— Tiens, gamin ! Tu veux quoi dessus ?
Du sirop de fraise ? De la menthe ? On a aussi du Blue Hawaii !
— Qui veut des boulettes de poulpe surprises ?
Il y en a une qui est pleine de moutarde, attention !
Cette année encore, la fête de la purification du coton proposait de nombreux stands.
Ôishi pondérait une question. Pourquoi suffisait-il de quelques stands et d'un peu de musique pour se sentir d'humeur si festive ?
En plus, bien que le calendrier n'indiquât que juin, la chaleur estivale était déjà écrasante.
Avec de surcroît la musique de la fête des morts en arrière-fond, on se croyait presque en août. Quitte à mélanger toutes les fêtes de l'été en une seule, le comité aurait pu organiser un grand feu d'artifice...
— *Tchss*
Ici Kumadani.
À vous, Ôishi, Ôishi, à vous !
Dans l'oreillette de l'inspecteur, une voix grésilla.
Lorsqu'il se promenait avec son oreillette, les gens le regardait en rigolant -- ils pensaient qu'il écoutait en cachette les résultats du tiercé.
— Oui, ici Ôishi.
Je vous reçois cinq sur cinq.
— Euh, les gens de l'association de quartier sont venus nous apporter des munitions, et ils ont été généreux avec nous.
On a de la soupe à la viande et aux légumes, des nouilles sautées, du ragoût de rognons,
et dans le sachet là... Euh...
du thé d'orge.
— Héhhéhhé !
Du thé d'orge, hein ? Genre, celui qu'on peut boire pendant le service,
ou bien l'autre ?
— Euh, ahahaha, hmmm...
Ahahahahaha !
— Ouais, je vois.
S'il vient en doses, vous pouvez, mais s'il est servi dans des chopes, n'y touchez pas.
— Oui, chef !
... Ah, et aussi, les hauts dignitaires du village sont venus dire bonjour.
Il y a Monsieur le Maire et aussi Madame Sonozaki.
— Quoi, la vieille Oryô est là ? Oh non...
Tu peux lui dire que je suis en patrouille et que tu sais pas quand je rentre ?
— ... Eh bien en fait, c'est ce que j'ai fait, mais elle m'a regardé de travers et m'a dit que si j'avais une CB, c'était pas pour la regarder dans le blanc des yeux... et elle était vraiment pas commode quand elle a dit ça...
— Héhhéhhéhhé !
Aaah, sacrée Oryô. Elle finira par faire une attaque cérébrale, celle-là.
Bon, c'est compris, dis-lui que je rentre au bercail, mais ne la brusque pas, hein ?
Tu restes bien poli.
Tsss, y a pas moyen de bosser tranquillement ici.
Bon, allons encore une fois discuter, ça passera le temps..
Au moment où il se mit en route, il fut soudain bousculé dans le dos par un groupe d'enfants braillards qui couraient partout.
En regardant mieux, il vit que parmi les effrontés, il y avait justement la petite-fille Sonozaki.
Sa clique se plaça devant le stand de tir à la carabine et commença à s'exciter.
Mion Sonozaki, hein ?
Elle est pas moche quand elle se tient tranquille, la petite.
Mais dès qu'elle se comporte comme une Sonozaki, alors là, quelle plaie...
D'ici dix ou vingt ans, elle mènera la pègre locale à la baguette, c'est certain.
... ... J'ai peut-être parlé trop vite.
Le groupe ne la suit pas elle, c'est ce garçon qui est à leur tête.
Comment qu'il s'appelle, lui, déjà ? Sa famille vient d'emménager, non ?
Oui, si, c'est le fils de la villa Maebara.
Voilà, Keiichi Maebara, il s'appelle.
Ils étaient venus depuis la capitale, et apparemment, blindés de fric.
Mais bizarrement, leur fils ne prenait pas la grosse tête. Tant mieux.
Il n'était pas là depuis longtemps, mais il s'était bien intégré à l'école et au village. Il avait du succès avec les autres enfants.
Même les adultes l'appréciaient. En tout cas, pour un nouveau, il avait fait forte impression.
Regardez-le moi, toujours à réagir au quart de tour, et jamais à moitié ! Il est marrant.
Bah, il est jeune. Il est tout fou, il court partout, c'est l'apanage de la jeunesse.
À son âge, j'étais comme lui... J'en ai fait des crasses...
— Eh, allez, Rena, à toi maintenant !
Tu as de la chance, je t'ai mâché le travail !
— Eh, Rena, ça va ?
T'es sûre que tout va bien, toi ? Je crois pas, hein.
— Ahaha, non, désolée, je passe mon tour.
Je préfèrerais regarder seulement, si possible.
— ... Ce n'est pas grave. Si tu te sens fatiguée, repose-toi un peu.
— Fort bien !
Puisque notre chère Rena déclare forfait,
il m'incombe donc désormais de vous ébahir avec mes prouesses !
À bien y regarder, Ôishi se rendit compte que seuls 4 des 5 membres du groupe s'amusaient réellement. Rena restait à l'écart, simplement entraînée un peu partout par les autres.
Oui, Rena Ryûgû.
C'était quoi son vrai nom, déjà ?
Faudra que je le retrouve, je l'ai noté quelque part au bureau...
Mais elle se fait appeler Rena.
Elle est ici depuis un an, non ?
Je crois que sa mère a divorcé ou un truc comme ça.
Il paraît qu'elle fait tout le ménage et qu'elle tient la maison comme une femme au foyer.
Et puis, elle est très sage, à ce que les gens disent. Elle plaît beaucoup aux gens de l'ancienne génération.
Mais c'est bizarre, on dirait qu'elle est moins intégrée au groupe que Keiichi, alors qu'elle est là depuis un an, un peu plus, même...
Oui, plus il observait la scène, et plus l'inspecteur remarquait à quel point Rena ne faisait que suivre le mouvement, restant toujours en dehors du groupe.
Comme si les autres l'avaient ostracisée.
C'était vraiment étrange.
— Tchss!
Chef, le chef de section et le patron sont là !
Revenez vite, aussi vite que possible !
— Ici Ôishi, c'est compris, j'arrive !
Le patron vient même dans les petites kermesses de village, maintenant ?
Il y a des gens qui n'ont vraiment rien à faire… Surtout qu'il ne vient jamais aux fêtes à Okinomiya !
— Aah, test ! Test !
Ici Takasugi.
Ôishi,
vous m'entendez ?
Répondez ! À vous, Ôishi !
— Oui, ici Ôishi.
Je suis en train de rentrer,
j'arrive dans quelques secondes, peut-être une minute en voyant large.
Bon, on va plier les gaules, sinon le patron va s'y mettre aussi...
Maugréant, l'inspecteur se mit en route vers la tente de la sécurité, au pas de course...
— Chef, le docteur est là.
— Ah, OK. Bonsoir !
Alors, qu'en dites-vous, Docteur Irie ?
Ôishi entra dans coin délimité par des bâches.
À l'intérieur, les gens de la ballistique photographiaient le corps dans tous les sens.
Le docteur Irie était accroupi près du cadavre de Jirô Tomitake.
Il se releva, blanc comme neige.
— ... ... Je n'arrive pas à y croire.
— Eh ben rassurez-vous, vous n'êtes pas le seul.
À première vue, le macchabée a eu la gorge tranchée.
Par ses propres ongles.
C'est pas commun comme façon de mourir.
Probablement une drogue louche là-dessous.
— ... Est-ce que ça pourrait vouloir dire qu'il était constamment sous traitement ? Qu'il se droguait, peut-être ?
— Alors ça, allez savoir, hein ?
J'imagine que ce sera notre travail de le découvrir.
— ... Monsieur l'inspecteur,
c'est quoi ce morceau de bois ?
— Oh, j'imagine qu'il s'en servait pour frapper autour de lui.
Et puis il a fini par le jeter et à se gratter la gorge, parce que ça lui chantait.
— ... Mais pourquoi avoir utilisé ce bâton ?
— Ça paraît évident, il voulait se défendre.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais le macchabée a des traces un peu partout.
— ... Si, je les ai vues. Il a été frappé.
— Ce qui veut dire que vraisemblablement... Après la fête, sur le chemin du retour, il s'est fait agresser.
On l'a maintenu au sol, puis injecté un produit qui l'a rendu tout fou dans sa tête, et il s'est donné la mort.
— ... Je n'ai jamais entendu parler d'une drogue suicidogène, je ne suis même pas sûr que le mot existe... Enfin, je ne connais aucun produit qui pousserait au suicide.
— Je ne suis pas un expert non plus, je dois dire. Je sais que certains camés ont des tendances suicidaires lorsqu'ils sont vraiment atteints, ça y ressemble, non ?
Bah, de toute façon, le vieux va nous trouver ça pendant l'autopsie.
— Monsieur Ôishi, excusez-moi !
Nous avons trouvé ce qui est probablement le vélo de la victime, à quelques centaines de mètres d'ici.
— Ah oui ? Bien, bien, merci !
Il y avait des indices ?
— Eh bien, pas au premier abord.
La ballistique est en train de s'en charger.
— Donc, reprenons.
Il s'est fait sûrement attaquer là où il a laissé le vélo, donc...
De là, il a fui, ou bien il s'est battu, en ramassant le morceau de bois, et il est arrivé ici...
Hmmmmmmmm...
Croisant les bras et fronçant les sourcils, Ôishi se mit à réfléchir en soupirant.
Le docteur Irie observait encore le cadavre de Tomitake, répétant parfois les mêmes mots que tout à l'heure.
— ... C'est inimaginable.
C'est incroyable, impossible. Je n'arrive pas y croire.
— Écoutez Docteur, c'est bien parce que c'est arrivé que nous sommes ici maintenant, vous et moi.
Alors il va falloir faire preuve de plus d'imagination, je vous prie.
... Enfin, je me doute que vous ne devez pas en voir souvent, des cadavres dans cet état.
... Ah, vous pouvez partir, si vous voulez.
Reposez-vous bien, surtout.
Je vous avais fait appeler en pensant que vous pourriez le réanimer, mais malheureusement, ça n'a pas l'air d'être possible. Je suis désolé de vous avoir fait venir pour rien.
L'inspecteur souleva un pan du mur de bâches, il demanda à ce que l'on ramène le docteur Irie chez lui.
Soudain, le docteur Irie eut une réaction abrupte, comme si quelque chose lui était revenu à l'esprit. Il se dirigea rapidement vers l'inspecteur.
— Maintenant que j'y pense, où est Madame Takano ?
Que lui est-il arrivé ?
— Pardon ?
Aah, oui, votre infirmière ?
— Je pense qu'elle était avec lui.
Est-ce qu'elle va bien ?
— ... Docteur, vous connaissez son numéro de téléphone ?
— Bien évidemment.
— Nounours,
prends le numéro de téléphone et demande au poste de vérifier si elle est chez elle.
— Oui, Chef !
Docteur, donnez-moi le numéro.
— Bien sûr. Vous avez de quoi écrire ?
Après avoir noté le numéro, l'officier Kumadani le répéta à voix haute pour confirmer, puis il sortit précipitamment.
— Docteur, cette...
Takano, elle était plutôt souvent avec le macchabée, hein ?
— Oui, ils étaient proches.
— Vous ne sauriez pas si ça marchait entre eux ? Ou si justement il y avait des problèmes ?
— Allons bon, ne soyez pas ridicule !
Non, non, tout allait très bien entre eux,
ils s'entendaient bien.
— Si elle n'a rien, tant mieux.
Mais sinon, elle est peut-être morte aussi. Ou bien c'est elle qui a fait le coup.
... Eh oui, c'est une infirmière, n'est-ce pas ? Elle a accès aux produits de votre clinique, je suppose ?
— ... Nous n'avons pas ce genre de drogues chez nous, et même en imaginant leur existence, si jamais nous en avions, elles seraient dans les armoires sécurisées,
Madame Takano n'y aurait pas accès.
— Je suis d'accord, mais elle a plus de chance de trouver des produits qu'une simple personne lambda, non ?
— Puisque je vous dis que ce type de drogues n'existe pas ! Nous n'en avons certainement pas chez nous !
— Chef, elle ne répond pas au téléphone.
Une équipe se prépare à aller chez elle, ils demandent son adresse.
Docteur, vous la connaissez ? Vous pouvez nous la donner ?
— Nounours ?
Tant que tu y es, demande au commissariat central de nous donner la liste de toutes les femmes retrouvées aujourd'hui dans la préfecture, vivantes ou mortes.
Et ça vaut aussi pour les autres préfectures dans le coin, demande quelles victimes n'ont pas encore été identifiées.
Demande au chef de nous faire une demande de renseignements officielle, je vais en avoir besoin tôt demain matin.
— Oui, Chef ! Tout de suite, Chef !
— ... ... Vous pensez que...
qu'elle s'est fait tuer aussi ?
— Aaah, ça, allez savoir, hein ?
Rien n'est sûr, elle est peut-être coupable. Ou bien elle est déjà morte.
Ou bien elle n'a rien à voir là-dedans
et nous la retrouverons complètement ivre dans un café demain matin.
— ... ... Je n'arrive pas à y croire.
Mais comment est-ce possible, un truc pareil ?
— Moi non plus, je dois dire que je n'arrive pas y croire.
Cette série de meurtres sordides à Hinamizawa,
ça fait cinq fois de suite, maintenant.
Cinq fois de suite que la malédiction de la déesse Yashiro frappe le village.
... Saleté de bordel de merde, j'aurais voulu la choper cette année...
Je veux absolument résoudre cette affaire avant ma retraite.
L'inspecteur Ôishi avait vraiment l'air d'avoir une dent contre cette histoire de malédiction.
Il était vrai aussi que la première victime dans cette affaire avait été le chef de chantier du barrage, et accessoirement un ami de longue date de l'inspecteur.
Il s'était juré de le venger, mais chaque année, le mystère s'épaississait, comme pour se moquer de lui, et les victimes s'accumulaient.
Le pire, dans tout cela, était que la retraite d'Ôishi approchait à grands pas -- il arrêtait le service en mars de la prochaine année.
Bien sûr, il aurait sûrement le droit de fouiner un peu dans les couloirs de la Police après cela, mais il n'aurait plus jamais de mandat de perquisition ni d'équipe à sa disposition...
Ce qui signifiait que pour lui, c'était sa dernière chance de pouvoir venger la mort horrible de son vieil ami.
... ... Il allait falloir se jeter dans la gueule du loup...
Dans le secret de ses poches, Ôishi se mit à serrer très fort les poings.
Je n'ai pas peur.
Je suis sûre que ce labyrinthe a une sortie.
Mais le mot labyrinthe a bon dos.
Un labyrinthe, par définition, a toujours une sortie.
S'il n'y avait pas de sortie, ce serait précisé.
Pour l'instant, j'ai pris des embranchements d'habitude invisibles.
Cette fois-ci, les choses ne se déroulent clairement pas comme les autres fois.
Cette fois-ci sera la bonne !
Et pourtant…
…
Encore une fois,
Jirô Tomitake est mort.
Comme si tous les chemins du labyrinthe menaient absolument tous, sans exception, à ce résultat.