Avec une chaleur pareille, il était évident que les corps allaient pourrir très vite.

N'importe quelle femme au foyer qui connaît sa cuisine saura parfaitement que l'on ne peut pas garder une telle quantité de viande fraîche par une telle chaleur.

C'est pourquoi la première chose que je fis fut découper les corps.

Il n'y avait qu'une et une seule raison à cela.

Il me fallait les réduire à des dimensions plus pratiques pour les transporter sans éveiller les soupçons et les faire disparaître à tout jamais.

Je pense que les seules personnes qui ont des sueurs froides en entendant l'expression “découper les corps” sont les hommes qui ne font jamais la cuisine.

Une femme au foyer qui se bat tous les jours contre sa planche à découper doit parfois ouvrir un poisson en deux et lui retirer les entrailles à mains nues. Et s'il est frais, il aura parfois des asticots.

Et parfois même, elle fera cuire les asticots avec.

Une fois cuits ou bouillis, ils ne sont plus un danger pour la santé.

Allez dire ça à un homme, il va devenir tout pâle ; c'est pour ça qu'on ne veut pas d'eux dans la cuisine. Pour qu'ils ne voient pas.

Tout ça pour dire que la découpe des corps fut très facile.

Et puis, en les tuant, j'avais trouvé la solution à tous mes problèmes.

Le jeu en valait largement la chandelle, je pouvais bien nettoyer après, quand même.

Armée d'une scie et d'une hache, je commençai le démembrement.

Je savais que j'allais avoir du sang partout sur moi, c'est pourquoi j'avais déjà acheté un survêtement noir.

Les taches de sang seraient moins visibles, et puis de toute manière, je n'aurai qu'à le jeter quand j'en aurai fini.

Pour éviter qu'il y ait du sang un peu partout dans la décharge, je cherchai une vieille bâche et la déployai entièrement avant d'y placer les corps.

C'était assez pratique. Je n'aurais qu'à la rouler en boule pour la mettre à brûler quand tout serait terminé.

... En fin de compte, un être humain ou un poisson, c'est un peu la même chose quand on les découpe.

À vrai dire, les corps étaient tellement grands que je n'eus pas trop à me poser de questions. Par contre, ce fut très fatiguant.

Je commençai par couper la tête, puis les bras et les jambes, me retrouvant avec six morceaux.

J'avais lu quelque part que la graisse abîmait le rasoir des lames, aussi avais-je préparé plusieurs de chaque outil.

Et bien m'en prit, car je dus effectivement en changer entre-temps. J'aurais eu l'air bête si j'avais dû rentrer chez moi rechercher une autre scie...

Mais au fait, c'est pas ici que le chef de chantier s'est fait découper en morceaux il y a quelques années ?

Il s'est aussi fait découper en six morceaux, je crois bien...

Enfin bon, là, j'en ai douze en fait, puisque j'ai deux corps...

D'ailleurs, le mec qui a planifié ça n'a pas été retrouvé, et le bras qu'il y a caché non plus.

Je me demande où il a pu le mettre, ce bras.

S'il pouvait me filer des tuyaux, je ne dirais pas non... Ahahahaha...

Les bras et les jambes, c'étaient pas trop le problème, mais les troncs étaient trop grands.

Je me suis demandée si je ne devais pas les couper encore en plus petit, mais les organes internes auraient vraiment été trop durs à arracher, alors j'ai préféré laisser tomber.

Je plaçai chaque morceau dans un sac poubelle noir, que je remplis de désodorisant spécial, vous savez, celui que l'on met dans les réfrigérateurs. Puis j'emballai le tout dans encore d'autres sacs poubelle, juste au cas où.

Les insectes et les mouches s'approchèrent des morceaux pendant que je découpai les corps, mais une fois que tout fut bien rangé dans les sacs, ils ne vinrent plus que pour respirer l'odeur du sang.

Quand j'en eus terminé avec la bâche, ils étaient tous déjà repartis.

Je n'avais plus qu'à me débarrasser de douze sacs poubelle noirs.

J'aurais bien voulu les brûler, mais sans four spécial pour la crémation, ce serait impossible.

Il me faudrait un endroit pour les enterrer.

Les membres sont tous transportables dans un simple sac à dos --

les troncs, je pense pas, mais les membres ne devraient pas poser de problème à transporter à l'insu de tous.

Ce serait facile de les balancer dans la rivière,

mais du coup, ils seraient forcément découverts en aval.

Parfois, dans les informations, ils parlaient de ces corps que l'on retrouvait au fond d'une rivère dans des sacs de sport. Je me suis toujours demandée comment les tueurs pouvaient être aussi cons pour faire un truc pareil.

Je pourrais les jeter dans le marais, mais quand la chair pourrira, ils remonteront à la surface.

Il faudrait les lester... mais je ne serais quand même pas sûre de ne plus jamais être inquiétée par cette histoire.

Non, il n'y a pas à dire, le mieux, c'est de les enterrer dans le sol, quelque part.

Il y a des villages déserts vers Yago'uchi, ou même Takatsudo. Si je vais encore plus loin dans la montagne, il y a même des coins encore jamais touchés par l'homme.

Je n'ai qu'à les enterrer par là-bas.

Cette décharge est plutôt sans risque, mais ce n'est pas la cachette idéale.

Je dois donc déplacer les sacs jusque dans la montagne. Tant que je n'aurais pas tout fait, cette histoire ne sera pas terminée.

... ... Je ne sais pas si c'est le manque d'habitude, mais mon corps me faisait mal. Je faisais trop d'efforts pour lui.

Après avoir placé les sacs bien comme il faut, je rentrai dans ma cabane secrète, toujours en survêtement, et m'allongeai sur le matelas.

J'avais lavé mes mains avec grand soin, mais il me restait encore du sang sous les ongles.

Je nettoierai ça en rentrant, quand je prendrai mon bain.

J'ai tué et je vais dissimuler les corps. Je passerais presque pour une grande criminelle psychopathe.

Mais ça, c'est uniquement si je me fais caler.

Tant que personne n'en saura rien, le crime n'existera pas. Pas de crime, pas de coupable. Et puis de toute façon, c'est pas comme si le destin m'avait laissé le choix.

Je n'ai rien fait de mal.

J'ai fait ce que je pouvais pour nous protéger, moi et mon père.

Tous ceux qui me condamneront sont ceux qui ne se sentiront pas concernés.

En fait, un crime, ce n'est pas quelque chose qu'une tierce personne peut juger.

C'est un acte qui doit être avoué par celui qui l'a commis, pour qu'il puisse par la suite essayer de se repentir.

C'est donc le coupable qui doit se pencher sur la question, et personne d'autre.

Est-ce que je regrette mes actes ?

Pas du tout.

Je ne suis absolument pas d'accord pour dire que j'ai fait quelque chose de mal.

Je suis prête à affirmer haut et fort que tuer ces deux-là était la meilleure solution.

Et puis, depuis qu'ils sont morts, ma vie quotidienne s'est mise à changer.

Lorsque je suis rentrée à la maison, la nuit où j'ai tué Teppei...

... j'ai trouvé mon père en train de ranger les choses qui étaient tombées, le visage bouffi par les pleurs.

Papa de Rena

— ... Reina... Où étais-tu passée ?

Rena

— Je suis allée lui parler, à cet homme.

“Rina ne reviendra plus ici.

Laissez-nous tranquilles.”

Alors je lui ai fait promettre de ne plus jamais revenir nous embêter.

Papa de Rena

— Oh, il n'est pas du genre à s'en tenir à sa parole, cet homme.

Je crois que tu devrais rester sur tes gardes, fais bien attention à toi si tu vas en ville...

J'eus beaucoup de mal à lui dire qu'il ne reviendrait pas.

Je ne pouvais pas non plus lui avouer que je l'avais tué...

Je sortis de la glace du réfrigérateur, que je plaçai dans un sac plastique, que j'enroulai dans une serviette, puis je la tendis à mon père.

Rena

— Allez, Papa, tiens.

... Ta joue a l'air bien gonflée.

Mon père me regarda sans comprendre. Il se passa alors une main sur le visage et sembla se rendre compte, pour la première fois, que sa joue avait augmenté de volume.

Papa de Rena

— ... Je vois... Merci.

Rena

— Bon, je vais ranger le reste, assieds-toi.

Je ramène l'aspirateur.

Papa de Rena

— ... ... Reina.

Lorsque mon père m'appela, je m'arrêtai net.

Papa de Rena

— ... C'est ma faute, tout ça. Je... Je suis désolé,

je te demande pardon.

Rena

— Non, tu n'y peux rien.

Ces deux-là étaient des arnaqueurs professionnels.

Tu t'es fait avoir, comme tous les autres avant toi.

Papa de Rena

— ... ... ... Est-ce que tu savais ? Tu étais au courant de leurs plans ?

Rena

— Oui, je le savais, mais je ne l'ai appris que très récemment.

J'étais sûre que tu ne me croirais pas, alors j'ai préféré me taire.

Je suis désolée de ne t'avoir rien dit.

Mon père baissa la tête.

Lorsqu'il avait voulu parler de son remariage, je lui avais dit qu'ils voulaient le plumer.

Mais il n'avait pas voulu m'écouter.

Donc ce que je lui disais était un peu vrai : il ne m'aurait pas cru, même si je lui en avais parlé.

Rena

— Ils t'ont attaqué pendant que tu étais dépressif à cause du divorce.

Papa de Rena

— ... Je ne suis vraiment pas un bon père de famille...

Alors, comme s'il avait voulu vider son sac, il me raconta comment il avait rencontré Rina.

À l'époque où il avait besoin de la force de l'alcool pour lutter contre ses souvenirs, elle l'avait approché alors qu'il était dans un bar qu'il n'avait jamais visité auparavant.

Son job était d'écouter les clients parler.

Elle l'avait écouté raconter son divorce et tous ses problèmes, très gentiment, et elle lui avait remonté le moral.

Quelqu'un de normal aurait bien vu qu'elle ne faisait que son métier,

mais mon père, au bout du rouleau, y vit sûrement le début d'une nouvelle histoire...

Le reste ne fut qu'une histoire ridicule et invraisemblable.

Mon père voulait vraiment croire à cette histoire, alors il a tout embelli pendant son récit.

J'aurais pu me moquer, ç'aurait été si facile.

Mais c'est cette fragilité de l'être humain qui le rend si attachant, alors, je me tus.

Il aurait pu au moins se douter de quelque chose en voyant les dépenses.

Mais même ça, il se dit que c'était une manière pour Rina de lui remonter le moral.

Alors il se mit à lui acheter tout ce qu'elle voulait, se faisant de lui-même son esclave dévoué.

Ce n'est pas vraiment malin de ramener une prostituée à la maison quand on vit seul avec sa fille.

Mais bien sûr, mon père n'a jamais réfléchi à cela.

Papa de Rena

— Je... Je crois que j'ai tout simplement voulu oublier que j'étais avant tout un père de famille…

Je ne sais pas ce qu'il m'a pris...

Il fondit en larmes.

Je lui passai alors les bras sur les épaules.

Rena

— Allez, c'est rien.

... ... ... Tu t'es rendu compte de ton erreur, non ? Tu es mon père, et c'est tout ce qui compte.

Tu es la dernière personne qu'il me reste dans la famille...

Mon père ne pouvait plus parler, à cause des sanglots.

Le serrant fort dans mes bras, je pleurai avec lui, en silence...

Le lendemain matin, mon père se leva beaucoup plus tôt que d'habitude.

Lorsque je me levai, il était dans la cuisine et préparait le petit-déjeuner.

Je restai coi sur le pas de la porte.

Papa de Rena

— À partir d'aujourd'hui, je vais me secouer un peu.

Rena

— Ahaha, ahahahaha !

Moi, je veux bien, mais avant de faire cuire les œufs, il vaut mieux mettre un peu d'huile de salade à chauffer !

Papa de Rena

— Ah !

...Ahahahaha... Ben, oui, ça fait un bail que j'ai plus cuisiné, moi, tu sais... Ahahahaha !

Mon père gratta l'œuf avec une spatule et plaça un peu d'huile dans la poêle.

C'était un peu tard, maintenant.

Tout ce qu'il réussit à faire, c'est salir la poêle un peu plus.

Mais je voulais vraiment manger sa cuisine, alors je préférai ne rien dire du tout et attendre sagement à table.

Sur l'assiette qu'il ramena, il n'y avait qu'un tas un peu brûlé qui ressemblait vaguement à un œuf sur le plat.

On devinait un soupçon de fromage, qu'il avait dû rajouter sur un coup de tête, mais il avait cramé.

C'était franchement raté, mais ça sentait rudement bon.

Des toasts un peu épais sortirent d'un seul coup de la machine.

Mon père aimait les choses sucrées, alors il se fit un café au lait, avec plus de lait que de café, et du sucre, bien sûr.

Je regardai la table. On aurait dit le résultat d'un enfant au primaire qui fait la cuisine pour la première fois et qui rate tout, mais en y mettant du cœur. Mon père était ridicule dans son tablier, mais en même temps, il avait l'air resplendissant.

Rena

— Hmmm,

en tout cas, ça sent très bon.

Maintenant, il faut voir si le goût va suivre. Ahahaha.

Papa de Rena

— Moui, je crois qu'il vaudrait mieux que je te laisse cuisiner, en fait,

sinon, nous allons tomber malades...

Rena

— C'est rien, va, je te remplacerai quand tu seras de nouveau pris par le travail.

Papa de Rena

— ..................

Jusqu'à maintenant, le travail avait toujours été un sujet tabou.

Depuis son divorce, il n'avait rien retrouvé.

Ce n'était pas que la faute à son divorce.

Il fallait bien avouer que ma mère avait donné une somme extravagante lors du procès.

Et puis, ma réaction face au divorce lui avait donné une excuse pour ne pas me laisser seule.

Mais mon père avait fini par reconnaître son crime et ses torts hier soir.

Quant à moi,

avec les meurtres de la veille,

j'avais expié mon péché d'indolence et d'apathie lors du divorce de ma mère.

Nous avions payé notre dette pour nous absoudre de nos péchés. Nous étions désormais libres.

Papa de Rena

— Je... Je compte aller pointer au chômage, aujourd'hui.

Voir les petites annonces.

Rena

— Oui.

Oui, d'accord, c'est une bonne idée.

Ce n'était pas pour gagner de quoi vivre.

Mon père avait besoin d'un travail pour retrouver un rythme de vie normal.

Papa de Rena

— Je suis plus tout jeune... Je ne sais pas si je vais obtenir quelque chose, je dois dire.

Rena

— Tu voudrais faire quoi ?

Papa de Rena

— Oh, du secrétariat m'irait très bien, mais à mon âge, je ne sais pas si les entreprises seraient intéressées.

Rena

— Je demanderai à mes amis.

Mii est la fille d'une famille très riche, je suis sûre qu'elle pourrait te présenter quelqu'un.

Papa de Rena

— Mais non, mais non, il faut que je trouve du travail tout seul, voyons !

Laisse-moi au moins ça !

Rena

— Ahahahahahaha !

Je me demande depuis quand je n'ai plus eu ce genre de conversation avec mon père, le matin.

D'ailleurs, je me demande depuis quand il n'avait plus fait le petit-déjeuner, tout court.

À bien y réfléchir, c'est vrai que la lumière du soleil qui filtrait pas les carreaux était superbe, mais cela faisait longtemps que je l'avais plus remarquée.

J'aurais voulu rester ici pour toujours.

Mais malheureusement, j'avais de l'école.

Je lui dis vouloir sécher les cours, pour aller faire un tour avec lui. Mais il reprit un air très paternel pour me dire d'un ton qui ne souffrirait aucune discussion que non, non, jeune fille, j'allais aller à l'école sans faire d'histoire.

Rena

— Bon, eh bien alors, j'y vais.

Papa de Rena

— Oui. Passe une bonne journée.

Je me dirigeai vers la porte d'entrée, et mon père m'y suivit.

Comme si j'avais six ans...

Alors que je faisais mes lacets, mon père m'adressa la parole.

Je pense que c'était surtout pour me dire ça qu'il m'avait suivie ici, en fait.

Papa de Rena

— Depuis le divorce, je me suis senti seul.

Mais en fait, j'avais tout simplement oublié que tu étais là et qu'en réalité,

je n'avais aucune raison de me sentir seul.

Rena

— Papa... C'est à ça que ça sert, la famille, non ?

Papa de Rena

— ... Si. Si, tu as raison.

Rah là là, ma fille est en train de me donner des leçons de vie, je suis vraiment une loque !

Rena

— Bon, Keiichi doit sûrement m'attendre. J'y vais, d'accord ?

Papa de Rena

— Oui, vas-y.

Ah, au fait, Reina,

ce soir, c'est moi qui cuisine.

Je passe en ville de toute façon, donc j'irai faire les courses,

et cette fois-ci, ce ne sera pas brûlé !

Rena

— Ahahahahaha, OK !

J'ai hâte de voir ça !

Allez, à ce soir !

Aujourd'hui n'était pas pareil : mon père portait le tablier !

C'était un peu le début d'une nouvelle vie.

Je peux enfin tous les laisser derrière moi.

Enfin, me voilà débarrassée des jours chaotiques qui nous ont fait des misères depuis notre départ de Hinamizawa...

Alors oui, c'est vrai, ma mère ne vit plus avec nous... mais mon père est là, il est ma famille, je n'ai pas à me sentir seule.

Le chant impétueux des grillons semblait résonner pour accompagner mon triomphe.

Le soleil était radieux et le vent soufflait mollement, lentement, presque.

L'aiguille de ma montre, par contre, n'avançait pas lentement du tout.

J'étais très en retard, à force de discuter avec Papa...

Keiichi est peut-être même déjà parti en avant ? Il n'est pas du genre à attendre.

... Ah, tiens, si.

Keiichi

— Hééé !

Salut, toi !

Rena

— Ahahahaha, bonjour !

Désolée, je suis en retard.

Keiichi

— J'ai vu, ouais, mais c'est pas grave.

D'habitude, c'est moi qui te fais poireauter,

alors t'as le droit d'inverser les rôles, de temps en temps !

Wa ha ha ha ha !

Rena

— D'accord, mais on va vraiment être en retard...

Nous ferions mieux de nous dépêcher, maintenant, tu ne crois pas ?

Keiichi

— Ouais, il vaut mieux.

Allez zou, traîne pas !

Sinon, il va falloir encore courir.

Rena

— Je suis sûre que Mii est déjà partie sans nous.

Keiichi

— Non, elle nous attend.

On est amis, non ?

Elle ne nous laissera pas tomber, et elle ne partira jamais sans nous.

Rena

— ..................

Keiichi

— Changement de sujet : que t'est-il arrivé ce matin ?

Rena

— Pardon ?

Pourquoi cette question ?

Keiichi

— Nan, je sais pas, je trouve que tu es plus souriante que d'habitude.

Alors je me doute qu'il s'est passé quelque chose. Non ?

Apparemment, je montrais tellement que j'étais de bonne humeur que même Keiichi l'avait compris du premier regard.

J'ai une famille et des amis.

Cela suffisait pour diffuser une sorte de chaleur indescriptible dans ma poitrine.

Rena

— Éhéhéhé...

Eh bien en fait, écoute ça : ce matin, quand je me suis levée,

mon père préparait déjà le petit-déjeuner ! Et en fait, eh bien...

Keiichi

— Quoi, ben, c'est comme ça que ça se fait, un œuf sur le plat !

L'huile de salade, c'est pour la salade, c'est marqué dessus !

Rena

— QUOI ?

Ahahahahahahaha !

Alors ça, il faut que je le dise aux autres !

Satoko

— Comment osez-vous, sale muffle !

Votre impolitesse n'a d'égale que votre outrecuidance, espèce de cuistre !

Keiichi

— Ben vas-y, viens, je t'attends, ma grande, pas de problème ! Juste toi et moi !

Mion

— Eh ben alors, vous m'avez l'air chauds-bouillants, les enfants ?

Vous voulez un cheval externe ?

Rena

— Euh, Mii, ça veut dire quoi un cheval externe ?

Keiichi

— Ah, c'est un truc au mah-jong.

En gros, ça veut dire que, en plus de notre gage, il y aura un gage supplémentaire pour elle ou pour moi,

selon celui qui gagne pendant le club.

Rika

— ... Donc dans un cas comme dans l'autre, je vais bien rigoler.

Mion

— Héhéhéhé !

Alors, Satoko, tu fais quoi ?

Satoko

— Mais je suis cette enchère, ma chère, voyons, c'est l'évidence-même !

Il me tarde de voir Keiichi perdre lors de nos activités, la promesse d'un double gage me donne déjà des élans d'allégresse !

Mion

— Parfait, Satoko !

Mion

Alors c'est décidé, un cheval externe pour ces deux-là !

Rika

— Aaaah, je me demande quel gage vicieux ça va être. J'aime réfléchir aux gages les plus tordus possibles...

Keiichi

— Oui, c'est vrai que c'est marrant d'y penser !

Je vois déjà la tête de Satoko quand elle va se les manger !

Satoko

— Enfin, très cher, ne prenez pas vos rêves pour des réalités ! C'est vous qu--

Satoko

Mais !

Hngggrr !

Oooooh, fort bien, vous l'aurez cherché !

Mhhhééééé !

Mion

— Eh, les enfants, c'est bon, on se calme, on n'a pas encore commencé, hein ?

La porte de la classe s'ouvrit d'un seul coup, et la maîtresse entra.

Cie

— Je suis désolée de vous avoir fait attendre, les enfants.

Nous allons finir la classe pour aujourd'hui, je pense. Je vais donner les devoirs.

Tout le monde revint à sa place.

Rena

— Mii, hé, psst !

Mion

— Hm ? Quoi ?

Rena

— Je m'excuse pour Satoko et pour Keiichi, mais…

j'ai des choses à faire aujourd'hui, il faut que je rentre tout de suite à la maison...

Mion

— Ah bon ? Sérieux ?

Ben écoute, t'y peux rien, c'est pas grave, hein.

C'est pour la maison ?

Rena

— Oui...

Mion

— Si c'est du ménage, je peux pas vraiment venir ramener ma fraise.

Je laisse tout faire aux gens qui nous aident...

Rena

— Tu devrais participer aussi de temps en temps, tu sais.

Un peu d'entraînement, pour être bonne à marier, comme les gens disent.

Mion

— T'inquiète pas pour ça,

mes mains savent faire tout ce que j'aurai besoin de faire pour mon homme.

Mion

Héhéhéhéhéhéhé !

Mii rechigne toujours à faire les choses, mais elle arrive très bien à les faire, c'est assez impressionnant.

Ce qui est drôle avec elle, c'est qu'elle s'est sûrement entraînée à fond,

mais elle fait comme si c'était un jeu d'enfant pour elle...

Enfin, c'est elle tout craché, en même temps.

Keiichi

— Hein ?

Oh non, Rena, tu rentres ?

Satoko

— Comment donc, très chère, vous ne voulez pas observer Keiichi aller en salle des professeurs en tenue grotesque ?

Rika

— ... Je t'assure que tu rates quelque chose.

Rena

— Oui, je sais, mais je n'ai pas le choix.

Keiichi

— Hier aussi, t'avais quelque chose à faire à la maison, non ?

Keiichi

C'est quoi le problème ?

Rena

— C'est pas vraiment ça, mais il y a pas mal de choses à faire.

Ça va nous prendre encore quelques jours, je pense.

Keiichi

— Hmmm.

Mouais, donc tu pourras pas jouer avec nous pendant un moment ?

Rena

— C'est bien possible, malheureusement, oui.

Je vais essayer de me dépêcher pour en finir au plus vite.

Keiichi

— Y a rien qu'on pourrait faire pour vous aider ?

Je sais pas, sortir vos meubles, ou n'importe. Je suis pas une armoire à glace, mais je peux aider pour ça.

Si t'as besoin de bras, appelle-moi !

Mion

— Vous refaites l'intérieur ?

On peut venir tous, si vous voulez ?

Satoko

— Oooohhohho !

Et baser notre compétition sur celui ou celle parmi nous qui lui serait des plus utiles !

Rika

— ... Et je parie que celui qui gagnera sera celui qui n'aura touché à rien.

Rena

— Ahahaha, merci à vous, mais ce ne sera pas nécessaire.

Mais merci quand même, ça me fait très plaisir.

Mion

— Bon, ben tant pis, alors !

Deuxième classe Rena Ryûgû, je vous accorde une permission extraordinaire !

Mion

À partir d'aujourd'hui, vous quitterez le front pour poursuivre les opérations spéciales dans votre maison ! Profitez-en pour vous reposer et revenez-nous en forme pour vous battre quand vous en aurez fini, c'est un ordre ! Rompez !

Mion

Et p'is d'abord, il y a des jeux auquels on peut jouer à quatre, alors c'est pas grave.

Tiens, Keiichi, tu sais jouer au mah jong, à ce que j'entends ?

Keiichi

— Ouais, pas de soucis !

J'ai déjà été forcé de jouer à cause des collègues de mon père, parfois.

Satoko

— Oooohhohhohho !

Mais ne vous croyez donc pas si supérieur, nous sommes des amatrices éclairées de ce divertissement, nous aussi !

Les membres du club repartirent au quart de tour.

Ils étaient un peu ridicules, mais je me sentais bien au milieu d'eux. Après m'être jurée de rester avec eux pour toujours, je quittai l'école.

Quand je serai rentrée, je prendrai mon vélo pour faire un tour à Yago'uchi.

Il faut que je trouve un endroit pour enterrer les sacs plastiques, et ce, le plus vite possible.

J'aimerais les avoir tous cachés avant la tombée de la nuit.

Et ensuite, ce sera enfin terminé, à tout jamais.

Keiichi

— La vache, des pièces de mah jong avec des plaquettes de bambou au dos ? T'es sûre que c'est pas risqué ?

Je veux dire, vous pourriez les différencier grâce à ça ou pas ?

Satoko

— Eh bien, je vous laisse pondérer la question, mon cher !

Souvenez-vous de nos jeux de cartes, vous aviez souffert...

Mion

— Bah, oui, les pièces ont sûrement quelques marques,

et puis, c'est pas un jeu qui a coûté cher.

Mion

Mais en même temps, ça nous arrange bien, non ? Avec ça, le club garde son sens !

Héhéhéhéhéhéhé !

Rika

— ... Mii, on joue avec combien de tuiles rouges ?

J'en mets 6 ?

... Rika a l'air de savoir très bien manier les pièces de mah jong, et je sais pas pourquoi, mais ça me fout les jetons...

Bah, tant pis.

Je devrais me concentrer sur la vérification des pièces.

Jouer en famille, c'est une chose, mais dans ce club, il vaut mieux rester sur ses gardes !

Sinon, je raterais des infos cruciales comme quelles sont les éventuelles pièces qui manquent, ce genre de choses.

Mion

— Mais non, voyons, toutes les pièces sont là !

Mion

... Mais c'est vrai que c'est pas bête de vérifier.

Mion

Oh, mais alors du coup, ça permet de nouvelles manières de tricher...

Hmmm, je vois, je vois...

Keiichi

— Bon, soyez gentils les enfants, sortez toutes les pièces, qu'on puisse les compter.

Allez, allez, allez ! Hop hop hop.

Nous prîmes chacun un tas de pièces, que nous retournâmes toutes pour les ranger dans leur ordre.

Keiichi

— Tiens ?

Eh, quelqu'un a pas caché un dragon rouge, j'espère ?

Satoko

— Il manque aussi un 6 de cercle et un 6 de bambou.

Satoko

... Et aussi un 6 de caractère ? Tout ceci est fort étrange...

Keiichi

— Ben alors quoi,

il vous manque la moitié des pièces ou quoi ?

Mion

— ... Aaaaah !

Bougez pas, les enfants,

je crois que je sais !

Mion fit bouger sa chaise et plongea ses doigts entre deux planches du parquet de la classe, puis se mit à tâtonner.

Je la regardais faire sans trop comprendre. Elle se releva alors, une pièce dans les mains.

Mion

— Le voilà, le dragon rouge !

Mion

Mais où est-ce que j'avais foutu les trois autres...

Keiichi

— Attends un peu, Mion.

Pourquoi est-ce que certaines pièces sont cachées dans la classe ?

Mion

— Nya ha ha ha ha…

Euh, eh ben, bah, c'est, ahaha, hahahahahahaha !

Je parie qu'elle a oublié où et pourquoi elle avait caché ces trois pièces-là.

S'il nous manque autant de pièces, on ne pourra pas jouer, de toute façon.

Je proposai de jouer à autre chose, mais Mion nous a fait tout un pâté sur l'importance du matériel du club, puis nous a demandé de les chercher -- ceux qui ne trouveraient rien auraient un gage.

Satoko

— Écoutez, ma chère, je sais bien que je n'ai pas besoin d'une épreuve spécifique pour vaincre ce brave Keiichi à plates coutures, mais tout de même !

Satoko

Vous avouerez que cette recherche est une bien piètre source d'amusement ?

Keiichi

— Je suis d'accord.

Et puis, on ne sait même pas si elles sont vraiment ici.

Mion

— Ben, si, je pense qu'elles sont ici.

Mion

Ou alors je les ai mises en poche et elles sont quelque part près de la machine à laver...

C'est pas impossible.

Rika

— ... Je propose de recompter les pièces avant et après chaque partie de mah jong avec toi, Mion...

Satoko et moi-même opinâmes du chef, entièrement d'accord avec ces paroles de bon sens.

Mion

— Ben quoi, les gens ?

Ça vous plaît pas, la chasse au trésor ?

Keiichi

— Ouais non mais là, on cherche des trucs que t'as volés pour tricher. Si tu triches, range au moins après, quoi.

Débrouille-toi toute seule sur ce coup-là.

Le club est pas là pour ça.

Mion

— Bouh, bouh !

Bon d'accord, mais alors on fait quoi ?

Mion

On peut pas jouer au mah-jong.

Vous avez une idée ?

Quelqu'un ? N'importe quoi ?

D'habitude, c'était Mion qui décidait.

Les autres et moi-même étions un peu pris de court pour proposer autre chose...

Alors que je me creusais la cervelle, Mion tapa du poing sur la paume de son autre main.

Mion

— J'ai une idée !

Le problème, c'est que la chasse au trésor est pas assez intéressante, ici.

Et si on allait ailleurs ?

On n'a qu'à aller là où va Rena !

Keiichi

— À la décharge de l'ancien chantier de barrage ?

Satoko

— Je dois dire que je n'y suis jamais allée très souvent, mais je sais que c'est plutôt grand, n'est-il pas ?

Rika

— ... Le fantôme du chef de chantier erre encore là-bas, à la recherche de son bras manquant. Il vaut mieux ne pas y aller.

Mion

— Ahahahahahaha !

Un fantôme, hein ? Qu'il s'amène !

Ça nous fera un peu d'excitation, au moins !

Keiichi

— C'est quoi l'histoire, au juste ?

Keiichi

J'ai vaguement entendu un truc, ce mec s'est fait découper en morceau, c'est ça ? Et l'un des mecs qui a fait ça n'a jamais été retrouvé ?

Keiichi

La police a jamais pu reprendre le morceau qu'il avait caché ?

Rika

— ... Et comme je viens de le dire, apparemment, son âme erre encore dans la décharge, à la recherche du bras qu'il lui manque.

Satoko

— Allons, ma chère Rika, ne soyez pas ridicule !

Vous n'allez pas me dire que vous avez peur des fantômes et autres ectoplasmes ?

Enfin, vous avez passé l'âge de croire à ces sornettes !

Rika

— ... Satoko, je suis une prêtresse, je peux voir les âmes errantes, que je le veuille ou non...

Keiichi

— Ouh là, mais de quoi tu causes, toi ? C'est un don surnaturel ?

J'imagine que si tu les vois sans faire d'efforts, tu es bien forcée d'y croire.

Satoko

— Allons, quelles calembredaines !

Je vis avec Rika depuis longtemps désormais, mais nous n'avons jamais eu affaire à un fantôme !

Rika

— ... ... ... Non, Satoko, c'est juste que toi, tu ne la vois pas.

Quand tu te couches la nuit,

eh bien...

Rika

... Éhhéé☆!

Satoko

— Mais enfin ma chère,

vous ne pouvez pas me faire ça ?

Cessez de rire, dites-moi donc la suite ? Que se passe-t-il le soir lorsque nous regagnons nos couettes ?!

Raah, la pauvre.

Là, il fait encore jour, mais ce soir, elle va s'en souvenir, et ça va lui faire tout drôle.

Je pourrais peut-être lui passer un coup de fil ce soir, et je resterai à rien dire ! Ahahahaha !

Mion

— Quoi qu'il en soit, je pense que beaucoup de gens n'aiment pas trop aller là-bas, depuis la fin de la guerre du barrage. Moi non plus, d'ailleurs.

Mion

La seule à prendre son pied là-bas, c'est Rena !

Keiichi

— Si jamais un fantôme se pointait devant elle, elle le choperait sous le bras pour l'emmener chez elle et il ne traverserait jamais le fleuve des trois chemins.

Satoko

— Oui, j'entends déjà sa réaction !

Satoko

Elle dirait :

“Hauuu, je te ramène à la maison !”

Nous partîmes tous les quatre dans de grans éclats de rire.

Mion

— Bon, eh bien alors, nous sommes d'accord ?

On va à la décharge, aujourd'hui !

Mion

Celui qui trouvera le fantôme aura gagné !

Mion

Si personne ne voit le fantôme, alors il faudra trouver le bras manquant pour gagner !

Mion

Si aucun des deux n'est disponible, eh bien, il faudra trouver quelque chose qui plaira à Rena.

Mion

On lui montrera pour connaître les résultats !

Satoko

— Oooohhohho !

Je vaincrai, et Keiichi perdra, et enfin, nous pourrons nous délecter du spectacle d'un double gage !

Keiichi

— Dis voir, Satoko, t'es sûre que tu veux gagner ? Tu devras trouver le fantôme ! Ouuuuuh !

Satoko

— Mais enfin, voyons, cessez, je vous prie !

Ne restez pas collé dans mon dos, voyons !

Rika

— ... Moi non plus, j'aime pas les fantômes, je ne veux pas y aller.

Satoko

— Ma chère Rika, que tentez-vous d'insinuer en disant “moi non plus” ?

Ce “non plus” m'apparaît comme insultant à mon endroit !

Satoko

Je n'ai pas peur, vous dis-je, pas le moindre du monde !

Mais enfin, Keiichi, lâchez-moi à la fin !

Mion

— Bon, eh bien alors allons-y, mes braves !

Sus à l'ennemi !

沙都子

— OUAIS !

... Ça y est, nous y voilà.

Tout prendra fin aujourd'hui.

À l'heure où résonnera le sanglot des cigales.