Keiichi

— Ooh, la voilà ! Héé ! Salut, Rena !

T'es pas en avance !

Rena

— Ahahahaha ! Pour une fois, c'est toi qui es arrivé le premier !

Keiichi

— C'est pas pour me vanter d'être toujours en retard, mais c'est quand même rare que je te batte le matin.

Rena

— Hau.

Ce matin, j'ai honte de le dire, mais j'ai eu une panne d'oreiller.

Rena

Je n'ai vraiment pas réussi à m'endormir, hier.

Keiichi

— Toi aussi ?

Ahahaha ! Pour tout te dire, moi pareil.

Hier soir, j'étais encore tout fou quand je suis allé me coucher.

J'ai cru que la nuit n'en finirait jamais.

Hier, j'avais tapé un délire monstre avec les filles, et quand j'étais rentré, j'étais encore à fond dedans.

Nous avions beaucoup mangé, alors je n'ai presque rien avalé à table.

Par contre, je suis resté à expliquer à mes parents en long, en large et à travers à quel point je m'étais amusé.

N'empêche, ne pas réussir à s'endormir à cause de l'excitation, c'est un truc de gamin. Je suis plus à la maternelle, pourtant !

Mais si Rena était dans le même cas, alors c'est rassurant, ça veut dire que je suis normal, en fait.

... Quoique, c'est pas tellement rassurant, en fait, c'est surtout que je suis content de pouvoir partager cette émotion avec elle.

Je parie qu'elle a trouvé des tas de choses mimii hier, qu'elle est rentrée de charmante humeur

et qu'elle a bassiné ses parents avec ses découvertes jusque tard le soir...

Rena

— Ah, regarde, Mii est là !

Saaaaalut !

Keiichi

— Ouah, Mion est là avant nous ? C'est pas possible, il va neiger aujourd'hui !

Mion

— Ah ben merci pour moi, pour une fois que je suis en avance, ça fait plaisir !

Rena

— Ahaha, t'inquiète, t'es pas la seule, Keiichi est arrivé avant moi ce matin !

Rena

Il va peut-être vraiment neiger☆?

Mion

— Aha ah ah !

Ben alors, t'es mal placé pour parler !

Je le savais, la journée redémarrait sur les chapeaux de roue.

C'était super avant-hier.

C'était super hier.

Alors forcément, ce sera super aujourd'hui.

Je suis heureux, Mion est heureuse aussi.

Je suis sûr que Rena et les autres aussi sont heureuses.

Si seulement ça pouvait durer

pour toujours...

Keiichi

— Dis voir, Mion.

Tu sais à quoi on va jouer, aujourd'hui ?

Mion

— Pour le club ?

Mion

Hmmmmmmmm, je sais pas trop, encore.

T'as une proposition, Rena ?

Rena

— Eh bien...

Rena

Hier et avant-hier on a beaucoup bougé, donc ce serait bien si on restait plus tranquilles aujourd'hui.

Keiichi

— Moui,

pas faux.

Le club ne fait pas que des épreuves physiques, quand même ?

Mion

— Bien sûr que non !

Il faut être parfait en tout pour être digne du club, pas seulement fort ou endurant, mais aussi intelligent et vif d'esprit !

Mion

C'est d'accord, aujourd'hui, on jouera à un jeu de plateau.

Comme nous étions tous arrivés en avance,

nous pûmes nous la couler douce sur le chemin de l'école.

À un moment, quelqu'un fit remarquer que c'était bientôt la fête du village.

Elle s'appelait la fête de la purification du coton et c'était l'événement le plus important de l'année par ici.

Mion

— Ah, ouais, au fait, hier, tous mes oncles et tantes d'Okinomiya étaient là, on a discuté de plein de choses.

Et on a même parlé de toi, p'tit gars.

Keiichi

— Quoi, de moi ?

Qu'est-ce que vous racontez sur mon dos, tous ensemble ?

Mion

— Oh, rien de spécial.

Hier, mon oncle Yoshirô t'a observé pendant qu'on jouait dans l'Angel Mort,

et il a un peu parlé de toi, en disant que ton attitude lui plaisait bien.

Mion

Et à force d'en discuter, on s'est rendu compte que plein de gens t'avaient remarqué aussi !

Ils t'ont même appelé “la petite célébrité” de Hinamizawa.

Keiichi

— La petite célébrité, hein ? C'est pas l'extase comme titre.

Je suis quasiment sûr et certain que c'est à cause de tes gages, encore !

Mion

— Oh, pas seulement.

Mion

Tu es toujours plein d'entrain et tu n'as vraiment peur de rien, c'est assez rare de nos jours. Ils ont l'air de beaucoup t'apprécier à cause de ça.

C'est un peu gênant de savoir que des tas de gens inconnus n'arrêtent pas de parler en bien de vous...

Mion

— Et bref, ils se sont dit qu'ils devraient te demander de faire quelque chose pendant la fête.

De toute façon, p'tit gars, tu aimes te faire remarquer, hein ?

Keiichi

— Ouh làààà, eh, du calme, ma grande.

Tu peux pas simplement décider d'organiser tout ça pendant que je suis pas là !

Moi, j'aime le silence et la solitude, je suis un lonesome cowboy !

Mion

— Aahahahahahahaha !

Mon cul, oui !

Mion

T'es un cherry boy, ça, oui !

Éhhéhhéhhéhhé !

Rena

— Hau… Ça veut dire quoi, cherry ?

Keiichi est encore un cherry boy ? Hauuu !

Keiichi

— NANMÉOH !

C'est fini, oui ? Z'avez pas honte ? Deux jeunes filles comme vous, dévergondées comme ça dès le petit matin ?

Je crois qu'effectivement, nous n'avions pas encore pu oublier l'excitation d'hier.

Mion et moi étions déjà en train de nous chamailler, avant même d'arriver à l'école.

Rena nous regardait, un grand sourire aux lèvres.

En arrivant à l'école, il apparut clairement que Rika et Satoko étaient dans le même état que nous.

Tomita et Okamura aussi.

Nous étions encore tous dans le bonheur et l'insouciance.

Nous étions tous heureux.

Keiichi

— ... Je sais que ça fait même pas un mois que je suis ici, mais...

Mion

— Hm ? Ben qu'est-ce que t'as, d'un seul coup ?

Keiichi

— Ben... Je sais pas trop, mais je crois que depuis que j'ai emménagé à Hinamizawa, je suis heureux.

Mion

— Ahahahahahahahaha !

Ben alors, p'tit gars, qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Rena

— Mais tu sais, Mii, je le comprends.

Moi aussi, depuis que je suis venue ici, tout est différent.

Rena

... Je parie que ce village est magique. Il y a un enchantement pour rendre les habitants heureux.

Keiichi

— T'es heureuse, toi, Rena ?

Rena

— Oui.

Depuis que j'ai emménagé ici, c'est le bonheur tous les jours.

Keiichi

— Ouais, moi aussi.

Mion

— Eh, les enfants, on se calme, là !

Je me retrouve toute seule, moi, du coup ?

Bouh ! C'est nul !

Le ciel était limpide, et les nuages longs et fins s'étiraient, d'un blanc pur, pour s'effriter en mille morceaux.

Le chant des grillons nous rappelait que cette année, l'été était arrivé beaucoup plus tôt que prévu.

Alors comme ça, c'est bientôt la fête ?

Je parie que ce sera super marrant.

Et après la fête, l'été sera encore mieux.

Et il est vraiment, mais vraiment tout proche.

Enfin, les cours prirent fin et l'heure de notre club arriva.

Je suis sûre que ce sera super marrant.

Je vais faire un beau boxon avec les autres, et tout ira bien.

Sauf que Mii reçut un coup de fil et dut partir travailler. Alors le club a été annulé.

Tsss.

Je me suis réjouie trop vite.

Bah, tant pis.

Je vais discuter avec Keiichi en rentrant, ce sera toujours ça de pris.

Il dit des choses méchantes de temps en temps, mais au fond, il est gentil.

Quand je lui parle, j'oublie un peu la mélancolie triste de ma vie ordinaire.

... Hein ?

... J'ai le cafard, moi ?

Mais enfin, je m'amuse tous les jours ! Je suis super heureuse, pourtant ?

... Pourquoi est-ce que j'ai le cafard ?

... Oh, je sais bien ce qui me défrise.

Mais grâce à Rina, Papa est redevenu quelqu'un.

Avant de la rencontrer, il était tout au mieux aussi visible et utile qu'une ampoule allumée en plein jour.

Si j'étais méchante, je dirais qu'il était une loque humaine, un cadavre debout.

Mais depuis qu'il passe du temps avec Rina, il a recommencé à sourire, comme avant, lorsque nous vivions encore avec Maman et que tout allait bien.

Ils vont ensemble un peu partout.

Ce sont sûrement des rencards.

En tout cas, Papa fait presque 20 ans plus jeune.

Rina s'entend très bien avec lui, et elle essaye d'être gentille avec moi.

Pour être honnête, au fond...

je n'ai aucune raison particulière de la haïr.

Et pourtant

...

tous les souvenirs douloureux du divorce de mes parents,

ainsi que tous mes regrets,

continuent de me bouffer de l'intérieur.

Je ne suis pas sûre de pouvoir accepter cette nouvelle femme dans sa vie.

Si ça se trouve,

Rina est un peu

ce qu'Akihito était pour ma mère.

Même si elle-même n'en a pas l'intention, elle est peut-être un “ennemi” qui nous volera notre bonheur,

rien que par sa simple présence.

Est-ce que je dois rester là, apathique, jusqu'à ce que tout se casse encore une fois la figure ?

Ou bien est-ce qu'au contraire...

je ne devrais pas…

me battre contre cet ennemi ?

Rina rentre ici comme dans un moulin, ce ne sont pas des manières...

Depuis que Papa a commencé à la voir, il y a de plus en plus d'objets à elle chez nous.

Ni Papa ni moi ne fumons, et pourtant, il y a toujours un cendrier sur la table du salon.

La couette de secours, réservée aux invités, est maintenant toujours mise pour elle.

Il y a une brosse à dent hideuse près du lavabo,

et un shampooing d'une marque que je n'achète jamais près de la baignoire.

Depuis que j'ai remarqué toutes ces petites choses,

quand je rentre à la maison, je sais tout de suite si elle est venue ou pas.

À cause de son parfum.

J'ai demandé un jour à Papa directement s'il avait l'intention de se remarier avec elle.

Il s'est mis à rougir, il a beaucoup cherché à noyer le poisson, mais il a fini par répondre que ça n'était pas à l'ordre du jour.

Il savait bien que je n'étais pas encore vraiment remise du choc de leur divorce.

C'est pour ça qu'il n'osait pas mettre le sujet du remariage sur la table.

... Et c'est pour ça qu'il a spécifiquement dit que ce n'était pas encore à l'ordre du jour.

Un jour, il sera prêt à se remarier, mais tant que je vivrai à la maison, il ne le fera pas.

Je pense que c'est ça qu'il a voulu dire, au fond.

Je n'ai qu'une seule raison de refuser d'accepter un nouveau mariage avec Rina.

Pour moi, la famille, c'est sacré, et ça me rend malade d'avoir quelqu'un d'extérieur venir s'y immiscer.

Mais après tout, ce n'était qu'un caprice de ma part.

Si je continue à vouloir mon père pour moi toute seule,

je le force à vivre comme avant, lorsqu'il était tout le temps avachi, terne, taciturne.

Mais Papa aussi a une vie à vivre.

Il a aussi le droit de vouloir vivre un nouvel amour pour oublier le chagrin et tourner la page.

De toute façon, à la base, si j'avais empêché le divorce, il n'aurait pas eu à souffrir autant dans la vie.

C'est pour ça qu'il a le droit de chercher à oublier tout ça, à retrouver une nouvelle âme sœur pour vivre un nouveau bonheur.

... D'ailleurs, il est un peu de mon devoir de l'aider à redevenir heureux, c'est ma faute s'il en est arrivé ici.

Mon pêché est d'avoir laissé faire et de ne pas avoir empêché le divorce, et je dois maintenant expier cette faute et racheter ma conduite.

Alors que faire ? Que faire pour que lui et moi soyons heureux tous les deux ?

... Ce n'est pas si difficile que ça, en fait.

Je n'ai qu'à accepter tacitement sa relation avec Rina.

Papa affirme ne pas vouloir se remarier tant que je vivrai ici.

Je dois commencer à devenir indépendante, pour pouvoir me séparer du cocon familial le plus vite possible.

Mais ce n'est pas pour ça que je peux lui interdire de poursuivre sa relation avec elle.

Rina vient le voir dès que son travail le lui permet, et si ses horaires de travail le permettent, elle dort chez nous.

... C'est une relation entre adultes.

Je n'ai pas à venir ramener ma fraise.

J'ai dû prendre une décision.

Et j'ai choisi d'accepter leur relation sans rien dire,

tout en faisant en sorte de ne pas trop parler à Rina.

En façade, tout va bien entre nous.

De toute manière, si je me montrais désagréable avec elle, ce serait mon père qui prendrait sur lui pour nous concilier.

Alors je fais semblant, et ce n'est franchement pas facile, c'est même carrément épuisant.

C'est pour ça que lorsque je sais ou que je sens qu'elle est à la maison, je repars dehors m'occuper -- tous les prétextes sont bons -- et je rentre tard.

C'est pour ça que les activités du club de Mii sont si pratiques.

Malheureusement, il n'y en a pas obligatoirement tous les jours.

C'est pourquoi les jours où il n'y a pas club, j'ai pris l'habitude d'aller jouer dans la décharge à l'écart du village.

Et c'est là-bas que je me suis fait ma cabane secrète.

Eux n'ont qu'à faire ce qu'ils veulent à la maison.

Et moi, je n'ai qu'à aller me cacher dans ma cabane secrète et rester là-bas pour me remonter le moral. Pas la peine de les avoir tout le temps devant moi.

... Alors oui, cette façon de passer mes journées me déprime parfois.

Et même parfois, j'ai envie d'en parler à quelqu'un pour vider mon sac.

Seulement... Je sais aussi que ça ne servirait à rien.

Parce que c'est déjà le meilleur compromis.

Pour moi, le plus important désormais, c'est de surmonter la tristesse d'avoir perdu le monopole de la maison et de trouver le moyen de redevenir heureuse.

Je m'amuse comme une folle presque tous les jours.

Même maintenant, sur le chemin du retour, Keiichi me raconte des tas de choses drôles et bizarres, je ne m'ennuie pas avec lui.

Je devrais d'ailleurs avoir honte de penser à ce qui me fait déprimer pendant qu'il essaie de faire la conversation.

Mon père n'a pas besoin de moi pour devenir heureux, il saura se débrouiller tout seul.

Alors moi aussi, je n'ai qu'à me débrouiller de mon côté pour devenir heureuse.

Si cette situation me gêne, c'est parce que je ne suis pas encore prête à quitter le giron familial, mais je vais devoir m'y faire.

Et puis, comparé au choc brutal de l'annonce de ma mère, l'infiltration progressive de Rina n'était pas grand'chose, j'avais de quoi essayer de m'accoutumer à elle.

Et puis, je suis sûre que Rina sait très bien ce que je ressens.

Elle est gentille avec moi, mais elle ne cherche pas à en faire trop.

Elle doit avoir compris que je n'étais pas à l'aise avec elle.

Franchement, j'admire Rika pour avoir trouvé le goût de vivre malgré la mort de ses parents.

Comparée à elle, mes soucis sont franchement peu de choses. Je devrais avoir honte de me plaindre.

D'ailleurs, Satoko n'est pas en reste, j'ai aussi beaucoup de respect pour elle. Elle a perdu ses parents et en plus a subi des mauvais traitements de la part des gens qui l'ont recueillie.

Par rapport à elle, j'ai vraiment de la chance avec Rina.

C'est parce que je suis encore trop jeune.

Je suis trop angoissée à l'idée de devenir indépendante.

Je dois devenir forte comme Rika, comme Satoko.

À moi désormais de faire des efforts pour m'en sortir.

Je dois m'en sortir, il le faut...

Je veux retrouver la quiétude et la stabilité perdues depuis tout ce temps.

Je suis juste en train de me faire des idées, je ne suis pas malheureuse, c'est juste dans ma tête, tout ça.

Je n'ai qu'à goûter aux jours magnifiques que je passe avec mes amis.

Je n'ai qu'à changer de point de vue ; si je pars du principe que je suis heureuse, le regard que je porte sur le monde changera, et l'image qu'il me renverra changera elle aussi, du tout au tout.

Rena

— Et là, et là, et là !

Eh ben j'ai trouvé un truc, mais c'était tellement mimii, alors aussi sec, je l'ai ramené à la maison ! Hauuu☆!

Keiichi

— Ahahahaha ! Rah là là, sacrée toi quand même.

Tu sais vraiment comment passer une super journée, y a pas à dire.

Rena

— Mais c'est juste que tous les jours sont super, tu sais ?

Il fait beau, mes amis sont là, pourquoi est-ce que je ne passerais pas une super journée ?

Keiichi

— Oui, t'as raison.

Ici, le malheur, les gens ne connaissent pas.

On s'amuse tout le temps ici !

Keiichi

C'est ça, la vie à Hinamizawa.

S'il avait fermé son bec juste là, ç'aurait été parfait.

Mais évidemment, Keiichi n'a pas su tenir sa langue.

Keiichi

— Tu sais, je t'envie vraiment beaucoup, Rena.

Tu n'as jamais eu de souci dans la vie, hein ?

Rena

— … Hau...

Arrête, tu te moques de moi...

Mais c'est vrai que je m'amuse tous les jours. J'ai peut-être le droit d'être insouciante...

Non ?

Je n'ai pas de problèmes dans la vie.

C'est juste une impression, parce que je suis gâtée-pourrie et que je veux rester avec mon père.

Allez.

Dis les mots magiques.

Tu verras, ça ira mieux.

Rena

— Hauuu...

Keiichi

— Hmm ?

Je savais que ça ferait tache dans la conversation, mais je devais les dire, parce que je savais que ça irait mieux après.

Rena

— Hauuu☆!

Je le ramène à la maison !

Keiichi

— Ahahahahahaha ! Mais t'es pas bien dans ta tête, toi !

Enfin, en même temps, c'est comme ça qu'on sait que c'est toi !

Oui, exact.

C'est comme ça que les gens me voient, c'est comme ça que je suis Rena.

Je ne suis plus Reina, la gamine capricieuse toujours à vouloir ses parents.

Je suis Rena, une fille stupide et insouciante qui ne connaît que le bonheur et qui en est très reconnaissante.

Oublie tout ce qui est “injuste”, “ignoble” ou “insupportable”.

C'est pas difficile, dès que ça commence par un “i”, c'est que c'est pas bon pour toi. Oublie-les et refais ta vie sans eux.

C'était pas ça,

la raison pour laquelle tu as viré le “i” de ton prénom ?

Je suis Rena.

J'ai perdu mon bonheur lorsque j'ai quitté Hinamizawa, et je suis revenue ici pour le retrouver.

Je surmonterai toutes les épreuves pour y arriver.

Je redeviendrai joyeuse et heureuse.

J'ai enlevé tous les “i”.

Ma vie va devenir idéale maintenant.

...

... “Idéale”, ça commence aussi par un “i”.

... ... ...

Alors que j'arrivai presque chez moi, je remarquai quelque chose d'anormal.

Il y avait un camion devant notre maison.

Il n'y avait plus rien sur le transporteur, mais je pouvais voir des restes de cordes, de cartons et autres emballages. Quelque chose avait été livré et déballé ici.

J'entendis résonner les voix parfaitement synchros de deux jeunes hommes depuis notre vestibule. Ils souhaitaient à mon père une bonne journée.

— Sur ce, nous allons vous laisser.

Allant moi-même vers la porte d'entrée, je croisai ces hommes sur le chemin.

Ils portaient des bleus de travail, enfin, des gris-bruns de travail, je suppose. Ils étaient clairement des livreurs professionnels.

Mon père leur dit au revoir sur le perron et croisa mon regard au moment où il s'apprêtait à fermer la porte.

Rena

— Je suis de retour.

... Que s'est-il passé ?

Papa de Rena

— Re-bonjour, Reina.

Héhé, regarde un peu ça, tu m'en diras des nouvelles !

Papa avait l'air vraiment tout content.

Je ne savais pas ce qui l'avait mis dans cette excellente humeur, mais il avait un sourire lumineux sur les lèvres. Je ne voulais surtout pas le décevoir.

Quand je pense qu'avant, je pouvais sourire autant que je voulais, il restait là, l'œil morne, le regard vide, las.

Et aujourd'hui, il est tout content de lui, il veut me faire des surprises.

Depuis que nous sommes dans ce village... Non, depuis qu'il a cette relation avec Rina, il est comme ressuscité.

Quand je le vois comme ça, je suis partagée entre la joie de le voir revivre et le malaise de devoir éprouver de la gratitude pour Rina.

Papa de Rena

— Admire un peu ! Viens admirer la bête !

Il me montra les cloisons ouvrantes du salon, m'invitant à les ouvrir.

Je sus immédiatement qu'il s'attendait à me voir pousser des cris de surprise en entrant dans la pièce.

Donc quoi qu'il s'y fût passé, je devais me préparer à être surprise et à faire semblant d'apprécier.

Rena

— Ouah !

... Mais... Oh…

Mais c'est quoi, tout ça ?

Qu'est-ce qu'il t'a pris, Papa ?

Je poussai un cri d'admiration mêlé de surprise.

Mon père était derrière moi, je ne pouvais pas voir son visage, mais je savais qu'il arborait un sourire triomphant.

Ma voix devait lui faire plaisir, mais en mon for intérieur, j'étais en train de paniquer, cherchant désespérément une explication au spectacle qui s'offrait à mon regard.

Pendant un court instant, je me suis même demandée si j'étais bien dans la bonne maison.

L'intérieur du salon avait été entièrement refait à neuf.

Nos meubles étaient ceux que nous avions récupérés d'Ibaraki, plus ou moins.

Ils étaient tous rescapés des achats et des cadeaux de mariage de mes parents, donc plutôt vieux et usés.

Certains parmi eux avaient même encore des traces de crayons que j'avais faites dessus étant encore toute petite.

Tous nos vieux meubles avaient disparu, absolument tous.

La pièce entière avait été refaite avec des meubles d'une teinte pastel, un peu comme dans les feuilletons à la télé, vous savez, le genre villa luxueuse en pleine ville.

Il y avait des tapis qui donnaient un côté exotique à la pièce.

Les rideaux avaient été choisis en conséquence.

Le sofa aussi était très luxueux.

... C'était un peu comme dans un hôtel de vacances.

Notre vieille télévision -- tellement usée qu'il fallait changer la chaîne en introduisant une pince à bec dans le panneau latéral parce que tous les boutons étaient cassés -- avait été remplacée par un modèle énorme et dernier cri.

Nos lampes aussi étaient toutes changées.

Des néons blancs verticaux diffusaient une lumière blanche surréelle et plongeait la pièce dans un autre monde.

Rena

— Ouah, c'est fou, Papa !

Mais quelle mouche t'a piqué ?

Papa de Rena

— J'avais envie de changer de style.

Cela va faire un an que nous avons emménagé ici, il faut commencer quelque chose de nouveau, passer à autre chose.

J'avais, il y a plusieurs mois, fait moi-même une proposition en ce genre, voyant bien que mon père, malgré le déménagement, périclitait.

Mais il n'avait pas daigné y songer ; ça ne l'intéressait pas.

J'imagine que malgré l'issue désastreuse de son mariage, il n'arrivait pas à se séparer de ma mère. C'était pour ça qu'il ne se décidait pas à jeter les anciens meubles -- il les avait sûrement choisis avec elle à l'époque.

C'est pourquoi j'étais sur le qui-vive, cherchant une autre occasion de lui proposer de refaire l'intérieur...

mais je n'aurais pas cru qu'il le fît de sa propre initiative.

Rena

— Oui, bien sûr.

Ahahahaha, cette pièce est magnifique, en tout cas !

J'aime beaucoup !

Papa de Rena

— Elle est pas mal, hein ?

Et regarde, Reina, tu avais toujours voulu un rocking-chair, non ?

Eh bien... Bon, il n'est pas encore monté,

mais le carton doit être là, quelque part.

Rena

— Hauuu !

Mais c'est super, Papa !

Je peux l'avoir, dis ? Je peux ? Je peux ?

Papa de Rena

— Hep hep hep, jeune fille, c'est pour tout le monde ! Tu ne le garderas pas pour toi !

Ahahahahahahaha !

Rena

— Eh ben j'men fous, parce que je serai tout le temps assise dessus, et toc !

Ahahahahahahaha !

Fier de lui, mon père se mit à m'expliquer tout et n'importe quoi sur chacun des meubles.

Apparemment, il avait tout acheté pour le salon aujourd'hui, mais planifiait de modifier encore d'autres pièces.

Je n'aurais jamais pensé le revoir aussi décidé et actif.

Il avait un peu des goûts ridicules, mais si le changement de la pièce lui faisait autant de bien au moral, alors c'était une bonne chose.

Regardant par la fenêtre sur le jardin,

je remarquai là-bas tous nos vieux meubles.

Rena

— Et ceux-là, tu les jettes ?

Papa de Rena

— Bah, c'est l'occasion, je pense.

Les transporteurs vont revenir avec une benne, autant en profiter.

La disparition des anciens meubles signifiait aussi une séparation définitive d'avec les souvenirs de ma mère indigne.

Moi aussi, il y a longtemps, j'avais voulu les casser, parce qu'ils me rappelaient trop Maman.

Je pouvais comprendre que mon père voulût s'en débarrasser une fois pour toutes.

Et pourtant...

Quelque part, ce nouveau salon...

ne semblait pas être un endroit pour moi.

Cette pièce... ce n'est pas mon père qui l'a remodelée.

Je parie que c'est Rina.

Ils sont allés ensemble choisir les meubles, dans plusieurs grands magasins.

Je suis sûre qu'il ne m'a rien dit pour me faire la surprise. En tout cas, c'est ce que je préfère croire -- il faut positiver.

... Non, il ne faut pas se voiler la face, Papa n'est pas du genre à réfléchir aussi loin.

Il ne m'en a pas parlé parce qu'il n'a pas pensé que mon avis avait une quelconque importance.

Ce changement d'intérieur ne veut absolument pas dire que Papa et Rina essaient de me jeter dehors.

Il ne faut pas avoir des pensées aussi négatives...

Il n'a pas fait exprès, il ne pense pas à me virer de la maison, il ne me considère pas comme un obstacle gênant à son remariage...

Mais il n'empêche que.

En tout cas, je me demande vraiment pourquoi ça me fait mal de voir les anciens meubles dans le jardin.

Et aussi pourquoi je n'arrive pas à me sentir chez moi en regardant la nouvelle pièce.

Et puis, d'un seul coup, je sus.

C'est parce que moi aussi, j'en faisais partie.

Je faisais partie des choses que mon père avaient obtenues lors de son premier mariage.

Les mêmes choses dont il voulait aujourd'hui se débarrasser. Inconsciemment, il me rejetait moi aussi...

Non, il ne réfléchit jamais trop, il ne me considère pas comme un poids mort.

... Mais il sait aussi que tant que je vivrai ici, il ne pourra pas se remarier.

... Mais alors en fin de compte, rien que par ma présence, je lui fais du mal.

C'est moi qui suis la cause de son divorce...

C'est à moi de me bouger le cul pour qu'il puisse redevenir heureux.

Je ne peux pas m'agripper à lui simplement pour l'avoir à moi tout seul.

Il va falloir réfléchir à quitter le nid.

Je devrais plus me concentrer sur un métier que sur des études.

Mais sans diplôme, je n'aurai jamais un métier convenable, je ne suis qu'une femme, c'est un sacré handicap dans ce pays.

Je ne gagnerai même pas de quoi vivre convenablement, si ça se trouve.

Est-ce que je devrai...

faire comme Rina ? Me prostituer ?

Il n'y a pas de sot métier et nécessité fait loi. Le mépris, c'est un truc de riches.

Si une fille comme moi veut se faire employer et gagner de quoi vivre correctement...

elle doit mettre les mains dans le cambouis, si c'est pas ailleurs.

...

Mais quand même...

...

En fin de compte... je me demande bien où est-ce que je serai enfin chez moi.

C'est dans ce genre de moments que ma cabane secrète me plaît.

Quand je suis emmitouflée dans les couvertures, ça me donne un peu de chaleur dans la fraîcheur du soir, c'est vraiment agréable.

Il y fait trop chaud dans la journée et trop froid la nuit, mais...

... Si ça se trouve, à partir d'aujourd'hui, je m'y sentirai mieux qu'à la maison.

Non, arrête.

Il ne faut pas penser à ça.

N'imagine pas que Rina est en train de parasiter la maison.

Dis-lui merci, c'est grâce à elle que Papa va mieux.

Et elle n'est pas en train d'essayer de me jeter dehors.

C'est même le contraire, elle fait tout pour être agréable.

C'est moi suis en tort ici, je ne fais que m'enfuir.

C'est moi, la méchante.

C'est moi, la méchante.

Et je ne suis pas la plus à plaindre.

Certaines personnes n'ont pas ma chance.

Si je prends... au hasard le cas de Satoshi et de sa tante. Ils ne s'entendaient pas tous les deux, c'était infernal, tous les jours. Je suis loin de subir la même chose.

Pareil pour Satoko et Rika, elles ont perdu tous les membres de leurs familles. J'ai bien de la chance de pouvoir simplement rentrer à la maison tous les soirs et discuter avec mon père.

Si je me plains de mon sort, les dieux me taperont sur les doigts.

Je suis plutôt heureuse que malheureuse.

En tout cas, il y a bien pire que moi.

C'est bien mon problème, ça, je ne suis jamais contente de ce que j'ai...

Papa était encore en train de me parler de tout ce qu'il avait dû faire pour modifier la pièce.

Je lui fis un grand sourire et l'invitai à poursuivre.

Papa de Rena

— Oh, mais j'y pense !

Reina, je suis désolé de te demander ça, mais tu ne pourrais pas aller me chercher quelque chose en ville ?

Rena

— En ville ?

Ben écoute, pas de souci, c'est quoi ?

Papa de Rena

— En fait, j'ai commandé deux vestes à un magasin à Okinomiya.

Papa de Rena

Apparemment, elles sont arrivées aujourd'hui.

Papa de Rena

Je dois aider les déménageurs à récupérer nos vieux meubles, donc je ne peux pas bouger d'ici, tu veux bien y aller à ma place ?

Rena

— Oui, bien sûr.

Dis-moi juste où c'est exactement.

Je me demande à quoi elles ressemblent, ces vestes !

Je suis curieuse de voir ça !

Quel que soit le modèle, il l'a sûrement choisi avec Rina.

Mais je n'hésitai pas une seule seconde à accepter d'y aller à sa place.

C'était l'excuse parfaite pour partir d'ici et ne plus avoir à l'entendre me bassiner avec cette pièce...

Je pris le bon de commande pour me noter l'adresse du magasin, puis me changeai et partis.

Une fois dehors, poussant mon vélo sur le chemin, je regardai une dernière fois nos vieux meubles dans le jardin.

Avant, je les haïssais, et pourtant maintenant... ils me faisaient mal au cœur.

Je me demande si ce n'est pas dû à l'attachement animal envers ma mère. Elle m'a mise au monde, quand même.

... Si je continue à y penser, je vais me faire du mal.

Je sais ça, ma tête le sait, mais mon âme n'y arrive pas.

Il n'y a pas seulement nos vieux meubles dans le jardin.

Il y a aussi toutes les grosses babioles inutiles que j'ai ramenées de la décharge pour rigoler.

Je parie que Papa va en profiter pour les virer aussi.

Il n'aimait jamais quand je ramenais quelque chose.

Je suis certaine qu'il va s'arranger avec les déménageurs.

En fait, je pense que j'avais ramené ces objets ici pour me sentir chez moi,

un peu comme un animal pisse un peu partout sur son territoire pour se sentir chez lui.

Ou peut-être pas, en fait.

J'avais peut-être eu simplement envie de leur donner un nouvel endroit où vivre, à eux qui avaient déjà été abandonnés par leurs créateurs...