Keiichi

— ... Je ne veux pas voir l'ombre d'un morceau de gâteau pendant au moins trois jours...

Oh la vache...

Rena

— Ahahahaha, mais c'est normal, Keiichi, il fallait pas en faire trop !

Quand je pense à ce qu'elle a ingurgité, je me demande comment elle fait, franchement...

Keiichi

— C'est pas possible, les gonzesses ont quatre estomacs, ou quoi ?

Vous en avez un réservé pour les desserts ? Si c'est pas plusieurs...

Satoko

— Espèce de goujat ! Nous ne sommes point des bovinés ! Vos insultes envers la gent féminine vont vous coûter très cher, très cher !

Que dites-vous de ceci ?

Bam.

...Oww !

Satoko appuya du doigt sur mon ventre rebondi.

Keiichi

— Ouh la,

arrête,

eh, vas-y, appuie pas,

tu vas tout me faire vomir !

Je vis un sourire subtilement sournois se dessiner sur les lèvres de Rika, puis de Satoko.

Ma colonne vertébrale fut assaillie de frissons.

Pourquoi est-ce qu'elles écartent les bras ? Pourquoi elles échauffent leurs doigts ? Pourquoi elles s'approchent de moi tout doucement ?

Keiichi

— Eh, nan mais vous êtes folles ou quoi ? Mais vous n'avez aucune pitié, ma parole !

Satoko

— Ooohhohhohho !

Vous n'imaginiez tout de même pas que nous pussions laisser passer cette occasion en or ?

Rika

— ... Miaou☆

Mais c'est à qui, cette grosse panse repue et tendue ?

Rena

— Ahahahahahaha, Keiichi, ton nombril est tout gonflé, c'est trop mimii !

Keiichi

— Eh, arrêtez, déconnez pas !

Ouh la, ça remonte, ouuuh !

Sans aucun moment de répit, Satoko, Rena, Rika et moi étions repartis pour un tour de délires, juste devant le café-restaurant.

Alors que je couvrais comme je le pouvais mon ventre, pour empêcher les attaques, quelqu'un m'attaqua par derrière.

Keiichi

— Ouah !

Eh, mais c'est qui ?

Shion

— Hallo, Leute !

Bien le bonjour, mon cœur, et vous aussi, les filles.

Rena

— Aaah, c'est Shii !

Salut !

Rena

Euh ? Ben, t'étais pas au restaurant aujourd'hui, pourtant ?

Shion

— Non, je suis de l'équipe du soir, aujourd'hui.

Je suis arrivée il y a quelques minutes et je me suis changée, c'est tout.

Keiichi

— Ah, je vois. Et... ça te dérange pas de te montrer dehors dans cette tenue ?

Shion

— Bah, ça va, c'est correct encore, ça pourrait être pire.

C'est pas comme si je devais marcher en micro-string dans tout le village.

Argh !

Quand je pense que je venais enfin d'oublier cet affront...

Rah, mais j'ai pris la honte de ma vie ! J'oserai plus jamais me montrer à qui que ce soit !

Shion

— Et sinon, il paraît que vous avez mis de l'animation aujourd'hui ?

Rena

— Ahahaha, bah, oui, un peu.

On a fait un concours, comme dans les jeux du club, et donc, ben... Enfin, tu vois, quoi !

Shion

— Oui, j'ai vu, c'est un champ de bataille dans le café.

Ma sœur doit se sentir coupable, c'est la première fois que je la vois nettoyer.

Satoko

— ... Eh bien, pour tout vous avouer, je suis d'avis que nous devrions aider nous aussi...

Shion

— Aah, non, non, t'en fais pas.

Les clients ne sont pas là pour nettoyer, voyons.

Rika

— ... Et puis de toute façon, c'est Mii qui a fait le plus de désordre...

Satoko, Rena et moi

ne pûmes qu'acquiescer suite à ces sages paroles de vérité...

Shion

— En tout cas, ma sœur m'a demandé de vous faire passer le message : c'est gentil, mais pas la peine de l'attendre,

vous pouvez rentrer tout de suite.

Rena

— Mais non, on va l'attendre.

Hein ?

Pour elle, ça semblait naturel.

Ça l'était pour moi aussi.

Apparemment, ça tombait sous le sens pour Satoko et pour Rika aussi.

Keiichi

— Puisqu'on n'a pas le droit de l'aider, c'est le moins qu'on puisse faire.

Si jamais on partait maintenant, elle serait toute seule et déprimée sur le chemin du retour...

Shion

— Hoho ?

Mais dis-moi, mon cœur, tu fais des progrès ?

Rena

— Ahahahahahaha, oui et non !

Nous faisons ce que nous pouvons pour l'éduquer, mais c'est pas facile !

N'est-ce pas, les filles ?

Satoko

— Or çà, c'est tout à fait exact !

Rika

— Nipah☆!

Keiichi

— Eh, non mais oh, c'est fini, ces conspirations entre nanas, là ?

Purée, ces gonzesses, toujours à s'associer contre les mecs !

En fin de compte, Shion se joignit à nous pour un nouveau moment de franche rigolade.

Mion

— Bon, eh, Shion, tu tires au flanc ou quoi ?

Elle est où, la serpillière ?

Shion

— Oops,

j'avais complètement oublié. Bon, ben j'y retourne, alors.

Rena

— Mii !

Vous en avez encore pour longtemps avec le nettoyage ?

Mion

— Hein ?

Mais quoi, vous êtes encore là, vous tous ?

Mion

Oh, vous m'attendez ?

C'est très gentil, mais ce sera pas nécessaire.

Rah, je vous jure...

Disait-elle, un sourire resplendissant aux lèvres.

Si elle apprenait à dire merci de temps en temps, celle-là...

Keiichi

— Tsss, pauv' cloche, va, fais pas ta blasée, on est tes amis, non ?

On peut t'attendre, c'est pas la fin du monde.

Rena

— Je t'aurais bien aidée à nettoyer, mais les gens ne veulent pas me laisser faire…

Désolée, hein.

Mion

— Mais t'inqué-quette donc pas.

Mion

Aujourd'hui, j'ai prévu d'attendre la fin du service de Shion et de rentrer manger chez mes parents, pour une fois !

Mion

Alors vraiment, c'est pas un souci.

Mion

C'est très gentil à vous, mais vraiment, vous devriez rentrer sans moi.

Satoko

— Oh ? Eh bien ma foi, ma chère, je comprends votre point de vue,

mais je ne sais pas, cela ne me paraît pas très convenable envers vous...

Rena

— Non, effectivement,

je m'en voudrais un peu de rentrer.

Mion

— Vous en faites pas, je suis pas toute seule à nettoyer.

Allez, filez maintenant, avant de prendre froid. La brise est fraîche, le soir !

Rika

— ... Eh bien, comme tu voudras.

Rika

Mii, courage ! Te laisse pas abattre !

Mion

— Ouais, t'inquiète.

Merci !

Mion

Allez, p'tit gars,

je compte sur toi pour veiller sur ces demoiselles.

Si jamais un assassin vous attaque en chemin, tu t'en occupes, c'est compris ?

Il n'y a aucune “demoiselle” ici, et d'abord, elles peuvent se débrouiller sans moi.

C'est moi qui aurai besoin de protection, si ça se trouve !

Mais bon, tant pis. Nous étions tous les cinq présents, alors autant en profiter pour se dire au revoir et en finir avec aujourd'hui.

Rena

— Allez, salut, Mii !

À demain !

Mion

— Ouais !

À ciao les gens, on se voit demain !

Keiichi

— OK, alors allons-y !

Après avoir fait de grands signes de la main à Mion jusqu'à ce qu'elle disparût dans le café, nous enfourchâmes nos bicyclettes et quittâmes Okinomiya.

Sur le chemin, nous parlâmes encore longtemps de la journée passée -- l'excitation avait clairement beaucoup de mal à retomber.

Après le concours de bouffe, il y avait eu les gages et leurs lots de mauvais perdants et de réticences, puis les choses avaient escaladé. Tous les clients du café s'étaient retrouvés mêlés à nos délires, du jamais vu ! C'était devenu franchement n'importe quoi à la fin.

D'ailleurs, même si au début, les serveuses n'étaient pas trop chaudes pour nous suivre, à la fin, elles s'étaient clairement prises au jeu.

Satoko

— Aah, cessez, je vous prie !

Il me souvient des visages déconfits de ces chers Okamura et Tomita, j'en ris encore !

Rika

— ... Pauvre Kameda, et pauvre Irie, surtout...

Keiichi

— Ouais mais eh,

le discours que je leur ai fait, quoi !

À la fin, tout le monde était derrière moi !

Rika

— ... Vous savez, Keiichi, si vous étiez né dans un autre pays, ou à une autre époque, vous auriez pu devenir une figure historique...

Satoko

— Allons, cet homme, que dis-je, ce damoiseau n'est que paroles !

Quel que fût son pays, il n'y deviendrait jamais personne !

Rika

— ... Oh, je suis sûre que s'il était né il y a 100 ans, il serait sur nos billets de banque.

Satoko

— Lui ? Sur un billet de banque ? Je me gausse !

Il dégage un air si rustre, il serait sûrement sur le billet du pauvre ! Il faudrait l'inventer, tiens, un billet de 200 Yens, ou 300 Yens, pourquoi pas !

Satoko et Rika étaient encore en train de partir dans de nouveaux délires.

J'étais un peu fatigué, aussi me contentais-je de les écouter.

Sans grands effets d'annonce, le fond de l'air était devenu très frais.

Nos ombres aussi commençaient à s'allonger sur le sol.

Les deux gamines sont encore à fond dedans, mais que fait Rena ?

Elle est bien calme depuis tout à l'heure.

Elle a peut-être mal au ventre ?

Pris d'un doute, je tournai la tête pour la regarder.

Mes craintes étaient infondées.

Rena... à vrai dire, je ne saurais trop décrire la tête qu'elle tirait.

Mais elle avait l'air très satisfaite.

Elle n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche et de formuler ce qu'elle ressentait, on pouvait tout voir sur son visage.

Elle s'était vraiment beaucoup amusée aujourd'hui, tellement qu'elle n'arrivait plus à s'arrêter.

On sentait bien qu'elle était très heureuse, qu'elle ne pouvait pas s'en empêcher.

Et en la regardant, je me suis rendu compte que moi aussi, je trouvais que ça ne rendait pas justice à cette journée que de simplement dire que “je m'étais bien amusé”.

Keiichi

— ... C'était vraiment formidable, aujourd'hui, hein ?

Rena

— Oui...

Ça t'a plu, aujourd'hui ?

Keiichi

— Et comment, c'était vraiment génial !

Si seulement ça pouvait continuer comme ça demain et après-demain !

Rena

— Oui, moi aussi, j'y ai pensé.

Si seulement ce moment dans le café pouvait durer pour toute l'éternité...

Keiichi

— Eh ben dis-moi, te voilà bien poète ?

Rena

— Ça ne t'est pas venu à l'esprit, à toi ?

Rena n'avait pas remarqué que je la taquinais.

J'ai pas été très malin sur ce coup-là.

Je fus assailli par le remords.

Keiichi

— Si, moi aussi, je suis du même avis, faut pas croire.

Rena

— Mais tu sais Keiichi,

il ne faut pas croire qu'aujourd'hui est la seule journée formidable qu'on passe.

Je l'observai ; la brise fraîche jouait dans ses cheveux.

Elle me souriait, un regard très adulte au fond des yeux.

Je ne sais pas pourquoi, mais elle était vraiment belle comme ça.

Rena

— Toutes les journées que nous passons à Hinamizawa sont irremplaçables, pour moi en tout cas.

Rena

Même les jours où il n'y a pas de club et où l'on s'ennuie.

Keiichi

— ... Tu es plutôt philosophe, je trouve.

Rena

— Ahahahahaha, mais non, voyons.

Pour être honnête, je crois que je ne me suis pas encore remise d'aujourd'hui,

j'ai envie de continuer à faire la folle.

Elle eut un petit rire, que je trouvai contagieux.

Satoko, nous entendant rire, crut que nous nous moquions d'elle et se mit à nous faire remarques sur remarques.

En un instant, nous étions repartis dans un nouveau délire.

Rika

— ... Bon, eh bien Satoko et moi devons vous quitter.

Satoko

— Voyons, très chère, nous pouvons tout aussi bien nous séparer chez le marchand de tabac ?

Rika

— ... Nous devons racheter des ampoules, tu as oublié ?

Sans ampoule, nous allons avoir des problèmes la nuit.

Satoko

— Ah... Oui, effectivement, ce serait pour le moins fâcheux.

Rena

— Oh, vous allez chez M. Makino ?

Oui, du coup, il vous vaut mieux partir maintenant.

Sinon, ça va vous faire un sacré détour.

C'est les Makino qui ont le magasin ?

Il est où déjà... Ah oui, là-bas...

Oui, si elles doivent ensuite repartir au temple, il vaut mieux tourner ici, sinon, elles vont faire un gros morceau de chemin pour rien...

Keiichi

— OK, je vois.

Ben écoutez, vous deux,

on se voit demain ?

Rika

— ... Oui, à demain.

Satoko

— À demain donc !

Bien le bonsoir à vous, très chers.

Rena

— Allez, salut vous deux.

Bye bye !

Rika et Satoko prirent le chemin qui passait entre les rizières, et disparurent très vite de notre champ de vision.

Après leur départ, tout devint très calme.

Pour une raison étrange, ce ne fut qu'après leur départ que je remarquai le soleil bas sur l'horizon, comme si la nuit avait attendu leur départ pour tomber.

Nous arrivâmes en vue de “la villa Maebara”, comme les gens du village l'appelaient.

Merci les gens pour trouver des noms débiles aux maisons des autres...

Je ne l'avais pas remarqué à cause de l'excitation, mais en fait, j'avais tellement mangé que je n'étais pas loin d'éclater.

... En tout cas, mon ventre faisait de sacrés bruits de temps à autres. Ça, c'est mon corps qui morfle, il fallait bien payer toute cette agitation par un moyen ou par un autre...

Je crois que ce soir, je ne vais pas manger grand'chose.

Il vaudrait mieux commencer par dire à ma mère que j'ai trop mangé, pas qu'elle prépare trop...

Ouh la vache, je crois que je vais monopoliser les chiottes dès que je rentre, moi.

Ouh !

Mon ventre,

est pas tranquille

là...

Enfin, nous arrivâmes à l'endroit habituel où, tous les matins, je disais bonjour à Rena, et où tous les soirs, nous nous quittions.

Keiichi

— C'était vraiment super, aujourd'hui.

Rena

— Oui.

C'était vraiment très bien.

Rena

Keiichi, ça va pas ?

Keiichi

— Ahahahaha, ben, euh, à vrai dire, non, pas trop.

Je crois que mon estomac est en train de morfler.

Je vais me reposer, ce soir...

Rena

— Ahahahahahaha ! Ben alors, Keiichi, il faut l'entraîner, ton estomac !

Keiichi

— Je comprends pas, t'as mangé autant que moi, pourtant ?

Où est-ce que tu caches tout ce que tu manges ? T'es fine comme un clou !

Rena

— Héhéhé...

Ah, ça...

C'est un secret de filles !

Elle se mit à rire, coupant court à mes questions.

Je crois que si je continue à poser des questions, elle me frappera pour éviter de répondre.

Et si elle me frappe maintenant, je vais tout dégobiller. Je peux pas me le permettre.

Alors je vais me taire, c'est le plus sûr...

Keiichi

— OK. Ben écoute, salut, alors.

On se voit demain.

Rena

— Oui.

On se voit demain.

Keiichi

— Tu sais, avant, j'habitais à la capitale.

Rena

— Oui ?

Keiichi

— Il m'est jamais arrivé de passer une journée aussi marrante avant.

Tu sais, depuis que je suis venu à Hinamizawa...

Je suis heureux. Je crois.

Rena

— Moi, pareil.

Tu sais, ça ne fait qu'un an que je vis ici.

Pourtant, j'ai du mal à croire que ça m'arrive réellement, tout ça.

Keiichi

— Ah ouais ?

Alors demain, on va sûrement s'amuser comme des fous.

Rena

— Oui, sûrement.

Hier et aujourd'hui, on s'est bien amusés.

Rena

Demain aussi, sûrement.

Keiichi

— Quand c'est comme ça, je sais pas pourquoi, j'ai tout le temps peur qu'il m'arrive quelque chose et que tout foire. Ahahaha !

Rena

— Si ça doit foirer, ça foirera, Keiichi, tu n'y pourras rien.

Rena

Alors le mieux, c'est encore d'en profiter au maximum, pour ne pas le regretter quand les mauvais jours viendront.

Keiichi

— Ouais.

Ouais, c'est sûrement le mieux à faire.

Rena

— Allez, salut, Keiichi.

Passe le bonjour à tes parents.

... Bon, moi, j'en ai pas encore eu assez, hau !

Alors je vais aller faire des fouilles dans ma montagne aux trésors !

Keiichi

— Quoi, t'as pas encore assez joué aujourd'hui ?

La vache... T'es plus résistante que moi, c'est clair.

Rena

— Qu'est-ce que t'en dis,

tu veux venir ?

Rena

Il y a un nouveau tas, je n'ai pas encore eu le temps de l'explorer !

Rena

Je vais sûrement trouver un truc tout mimii !

Keiichi

— Non, désolé, mais là, je passe mon tour.

Par contre, toi, fais attention, les nuages sont bas.

Si tu veux pas te faire saucer, tu ferais mieux d'être raisonnable et de rentrer maintenant.

Rena

— Merci, mais quand je suis de bonne humeur, j'ai toujours de la chance.

Je vais sûrement trouver un truc tout mimi, alors je veux absolument y aller.

Éhhéhéhéhé☆

Ce soir, il se trouvait que j'avais mal au ventre et, du coup, j'avais pas la forme.

Mais si je m'étais senti bien, je serais sûrement allé avec elle.

Je suis sûr qu'elle est comme moi, elle a envie de profiter de sa bonne humeur, elle ne veut pas encore rentrer.

Keiichi

— OK, j'ai compris.

Ben alors, salut !

Et si tu trouves un truc mimii, ramène-le demain pour me le montrer !

Rena

— D'accord !

Allez, salut !

Bye bye !

Keiichi me fit encore longtemps signe de la main, comme s'il regrettait réellement de ne pas pouvoir venir.

Puis je finis par le perdre de vue.

Bon, il est temps de me mettre en route, moi aussi. Partons chercher un trésor.

Après tout, Rena aime tout ce qui est “trop mimii”.

Ce fut un jour magnifique aujourd'hui. Je suis sûre qu'il va m'arriver quelque chose de bien.

Je parie que je vais trouver un truc très joli ou très rare.

Je me remis à pédaler, de plus en plus fort.

J'habitais tout près, mais je bifurquai soudain pour prendre la route qui menait vers l'ancien chantier du barrage.

Peut-être que je peux déjà rentrer à la maison, en fait.

Mais je n'ai pas envie de me faire voir en allant vérifier.

La journée avait si bien commencé, je ne voulais pas tout gâcher maintenant.

Nous étions déjà le soir, mais les ténèbres tombantes n'étaient pas naturelles.

Keiichi me l'avait dit, les nuages étaient bas. Un mur graphite s'avançait désormais à l'horizon.

Il y eut un coup de tonnerre au lointain. Il va pleuvoir très fort, c'est sûr.

Rena

— ... Mais bon, c'est pas une raison pour rentrer.

Je suis vraiment irrécupérable...

La journée a bien commencé.

Alors je vais tout faire pour qu'elle finisse bien aussi.

Je suis heureuse.

Je m'amuse tous les jours.

Allez, Rena, dis la formule magique.

Rena

— ... Ha…

...

Hauuu…

Si tu penses que tu dis des conneries, tu as perdu, il ne faut pas.

D'ailleurs, si tu étais plus stupide, tu aurais moins de mal à être heureuse tous les jours.

Tu dois devenir idiote. Je dois devenir idiote. Le plus que je pourrai.

Rena

— Hauuu☆!

J'espère que je vais trouver un truc tout mimii !

Et je le ramène à la maison !

Bien, je suis une brave fille, j'ai réussi à le dire.

Je trouverai sûrement quelque chose.

Si je me force, je peux trouver n'importe quoi mignon tout plein, c'est juste une question de mental.

Allez, pense à tout ce qu'il s'est passé de bien aujourd'hui.

Sers-t'en pour rêver de jolies choses et tenir demain et après-demain.

Je remarquai soudain que j'étais arrivée à destination, auprès de la décharge sauvage, sur le site de l'ancien chantier du barrage.

J'arrêtai là mon vélo et descendis la pente abrupte des meubles et autres babioles cassées.

Ici, c'est mon château.

Personne ne venait jamais ici.

Je viens ici très souvent, j'y passe beaucoup de temps, mais je n'ai jamais vu personne s'approcher d'ici.

Il faut dire que c'est un peu dans l'angle mort du village.

Pendant la guerre du barrage, c'était sûrement très fréquenté, mais maintenant, ce n'était plus qu'un terrain vague oublié de tous.

Les villageois d'ici avaient tous eu une histoire avec cet endroit, mais c'était du passé -- ils ne se sentaient pas l'envie ni la nécessité de revenir ici.

Les gens qui venaient balancer leurs ordures le faisaient la nuit. En tout cas, moi, je n'ai jamais vu personne le faire.

À chaque nouvelle pile d'ordures, j'ai de quoi m'occuper pour oublier l'ennui, mais...

Ces derniers temps, il n'y avait rien de neuf sous le soleil.

Je descendis jusque tout en bas de la pile et contournai la montagne de détritus.

Personne ne venait jamais ici.

Je passe des heures et des heures ici, depuis très longtemps, et jamais personne n'est venu jusqu'ici.

Même les autres enfants de la classe ne s'en approchent jamais.

Ils se racontent entre eux que le bras du chef de chantier assassiné, le fameux bras droit que la Police n'a jamais pu retrouver, serait caché quelque part là-dedans. Ils pensent que l'endroit est maudit.

Ils disent aussi que le fantôme du chef de chantier revient toutes les nuits ici pour rechercher son bras manquant.

J'aurais bien tapé la discute avec ce fantôme, mais malheureusement, il n'existait pas.

Je n'en avais pas peur.

Je l'aurais accueilli à bras ouverts, pour tout dire.

J'aurais pu l'aider à chercher son bras.

Et puis, il pourrait me tenir compagnie. Nous pourrions nous tenir mutuellement compagnie.

Dans la montagne de débris, il y avait un monospace.

Il n'avait plus aucun pneu, mais la carosserie était encore là, dans sa forme d'origine.

Cette carcasse de voiture, c'était ma cabane secrète.

Malheureusement, ni la porte coulissante, ni la porte arrière ne s'ouvraient.

Il fallait entrer par la porte passager pour accéder à l'arrière.

Bien sûr, j'enlève toujours mes chaussures sur le siège passager avant d'entrer.

Au premier regard, c'était une carcasse vide et toute crade, mais en fait, c'était seulement valable pour l'extérieur.

J'ai nettoyé l'intérieur et j'en prends soin.

Et croyez-moi, c'était du boulot.

Les sièges arrières gênaient, alors je les ai pliés.

Sur l'espace ainsi obtenu, j'ai placé un matelas trouvé ailleurs dans la décharge.

Il était très sale, alors je l'ai recouvert avec des couvertures.

J'ai rajouté quelques coussins, et d'un seul coup, c'était magique ! J'avais un lit rien qu'à moi.

Il y avait aussi des poupées.

Et c'est pas tout !

Éhhéhhé, j'ai aussi fait des provisions de petits gâteaux !

En ce moment, j'ai des pâtes de fruits de quatre couleurs différentes, des...

Hmm, ils ont pris l'humidité, ceux-là, je vais les jeter.

Les biscuits gonflés d'humidité, c'est pas bon.

Mon thermos en forme d'ourson est vide.

Les dimanches que j'ai décidé de passer ici, je le ramène plein de thé noir que j'ai légèrement sucré.

J'ai du papier toilette, une lampe-torche, des piles de rechange, et des tas de petites choses nécessaires au quotidien.

Et j'ai aussi quelques romans de poche, histoire de passer le temps.

Mais regarde, ça, tu vas tomber sur le cul quand tu vas le voir.

À ton avis, c'est quoi ?

Attention ? *Clic*

Une lumière tamisée se mit à éclairer l'intérieur de l'habitable. C'était une lampe de bureau.

J'ai trouvé une prise électrique à moitié arrachée dans un coin des vieux baraquements du bureau du chantier.

Je me suis dit que de toute façon, il n'y avait pas de courant, eh bien si ! J'étais très surprise quand je m'en suis rendu compte.

Elle fonctionne encore très bien.

Alors un jour, en tombant sur une rallonge, je me suis dit que je pourrais la raccorder si j'en trouvais suffisamment, et à force de chercher, j'en ai trouvé ; il y en avait des rouleaux pleins à un endroit.

J'ai un bel endroit où rester, des livres, des gâteaux, et même la lumière.

Je suis sûre que si l'envie m'en prenait, je pourrais passer la nuit ici.

... Enfin, il fait assez froid la nuit, alors, je risque d'attraper un rhume.

Ahahahaha !

Alors, elle est pas belle, ma cabane secrète ?

Au début, j'avais peur. Si quelqu'un la trouvait et qu'il la saccageait, ce serait pas cool.

Mais jusqu'à présent, personne n'a jamais rien fait ici, donc soit personne ne l'a trouvée, soit personne n'est jamais venu...

De toute façon, je ne vois jamais personne dans le coin. Et puis les autres gens essaient d'oublier cet endroit.

Alors du coup, cette cabane secrète, elle n'était rien qu'à moi.

Heureusement que j'ai beaucoup mangé au café restaurant, du coup, je n'ai pas faim.

Je n'aurai qu'à dire que j'ai rendu visite à une amie et que j'ai mangé chez elle.

Je peux me prélasser ici et rester un peu.

Il faut que je prenne un peu soin de moi.

La bataille de pistolets à eau d'hier était formidable.

Le duel contre Keiichi était vraiment exaltant.

Et aujourd'hui, l'agitation à l'Angel Mort aussi, c'était un joli morceau.

Je n'avais encore jamais fait autant de bêtises avec autant de complices.

Je suis sûre que j'en rêverai encore cette nuit, tellement c'était fort.

C'est pourquoi

je veux tout faire pour essayer de garder ce sentiment vivant.

C'est pourquoi il faut que je sois gentille avec moi, maintenant.

J'enlevai mes chaussures et écartai mes orteils.

Il faut que je profite du peu de temps où je peux être moi-même.

Rena

— Mmmmmmmmm...

Une fois qu'on a enlevé les chaussures pour laisser de la place aux pieds, ce n'est pas très agréable de les remettre.

De toute façon, je suis fatiguée aujourd'hui.

Je chercherai un nouveau trésor demain.

Plus le dehors s'assombrissait et plus la lumière à l'intérieur paraissait plus intense.

Il fait trop sombre, c'est trop rapide.

... Là, une goutte.

Encore. Encore deux.

Tout doucement, il commençait à pleuvoir.

Les bruits se firent plus fréquents, puis il y eut un coup de tonnerre au loin, et l'averse éclata, à pleine force.

Heureusement, malgré la pluie torrentielle au dehors, à l'intérieur, c'était un tout autre monde.

J'étais dans mon château.

Il faisait un peu froid, aussi je dépliai l'une de mes couvertures pour m'y emmitouffler.

Lorsque j'étais comme ça, seule, à sentir seulement mon odeur et rien d'autre, je me sentais étrangement calme.

D'ailleurs, curieusement, même la pluie semblait vouloir éloigner les ennemis de mon château-fort. Je l'aimais bien.

Cet endroit est rempli de petits bonheurs.

Il est plein de choses que j'adore.

C'est pourquoi le temps que je passe ici est le temps où je suis heureuse.

Je pris encore une couverture, et la chaleur fut la même que celle de mon lit à la maison.

Graduellement, le battement rythmique de la pluie sur la tôle m'invita dans une délicieuse torpeur.

Je suis ici dans un château fait de détritus.

Les détritus se sont rassemblés ici, entre eux, car personne ne voulait plus d'eux.

C'était devenu leur pays.

C'était une contrée dans laquelle tous ceux dont plus personne ne voulait pouvaient se retrouver.

C'est pourquoi je sentais à la fois que j'avais le droit d'être ici, et aussi...

Enfin, disons que ce n'est qu'une maison de fortune, juste pour passer le temps, mais c'est juste que le soulagement d'avoir un endroit où l'on m'accepte jouait un peu avec mes sentiments.

... ... Non, arrête, ne pense plus à ça.

Si je remarque que ce n'est pas vraiment un endroit pour moi,

le souvenir de la saleté et de l'insalubrité de ce gigantesque tas d'immondices va me donner envie de vomir...

Il faut que je laisse la torpeur m'envahir.

Ce n'est pas bien de réfléchir, c'est du poison, ça ne peut que me faire du mal.

Je ne veux pas empoisonner la gentille moi qui dort à l'intérieur de mon corps, je veux qu'elle reste pure, elle.

Encore un peu.

Juste encore un peu. Laisse la torpeur t'envahir...