— OK, Keiichi Maebara, reste cool, reste zen !
Il faut réfléchir,
alors réfléchis !
Keiichi se mit à se tenir la tête et à parler à voix haute, comme d'habitude.
C'était toujours amusant de le voir en train de psychoter, il disait vraiment tout ce qu'il lui passait par la tête, sans s'en rendre compte !
Eh, il faut que je mange, moi !
Je mangerai tout ce qu'il y a ici, et je ramène tout le monde à la maison !
Ahahahahahaha☆...
C'était vraiment super.
J'avais la poitrine prête à exploser d'excitation.
C'est vrai que je ne suis pas en train de me comporter comme une vraie jeune fille le devrait, mais...
je m'amusais comme une folle, alors peu importait.
Mii était vraiment formidable à nous sortir des jeux tous plus fous les uns que les autres.
Satoko était toujours à faire des bêtises.
Rika était rusée comme un renard, mais pas méchante.
Et Keiichi était un phénomène à lui tout seul.
Les jours sont si beaux en ce moment...
Tellement que ce serait trop simple de dire seulement que je suis heureuse.
Il m'arrive d'ailleurs de me dire que je suis peut-être trop heureuse tous les jours, et ça me rend inquiète parfois.
Il y a autant de petits et de grands bonheurs qu'il y a de petits soucis et de grands malheurs en ce bas-monde.
Et je sais pertinemment que les uns comme les autres peuvent nous tomber sur le coin de la figure à n'importe quel moment, que l'on fît de son mieux ou non.
Pas la peine de se casser la tête pour couler des jours heureux.
Et à l'inverse, pas la peine de faire des choses qui sortent de l'ordinaire pour être frappé par le malheur.
Mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire du tout.
Moi en tout cas, je fais tout ce que je peux pour que mes jours heureux restent des jours heureux. Pour qu'ils durent le plus longtemps.
Et à l'inverse...
Si jamais les jours malheureux reviennent, je peux toujours faire des efforts pour les écourter le plus possible,
ou les rendre plus faciles à supporter.
C'est pourquoi je profite à fond de tout ce que je peux recevoir.
Je ne suis pas de ceux qui s'imaginent que le bonheur durera éternellement.
Il peut s'arrêter brusquement.
Vraiment, d'un seul coup, un jour tout à fait comme les autres.
Je l'ai déjà vécu, je sais ce que c'est.
C'est pourquoi
je vis toujours ma vie au maximum.
Pour ne rien regretter si jamais demain, une météorite vient détruire la planète.
Alors que j'étais perdue dans mes pensées, mes mains s'arrêtèrent de bouger.
Les jours que je passais avec mes amis, à faire ces jeux pour le club, me rendaient tous plus heureuse que je ne pouvais l'être.
J'adorais tout, même les gages.
Oui, même les gages étaient amusants.
Mes amis étaient autour de moi.
C'était un endroit rien qu'à moi, où j'avais le droit de rester.
C'était un moment pendant lequel j'avais le droit d'être moi-même.
J'aimais bien la personnalité qui se complaisait ici.
Je les aimais tous.
Et Mii, et Satoko, et Rika, et Keiichi.
Et même les autres de la classe, et même les gens. Je les aime tous.
— Aha ?
Rena a cessé de bouger !
Je suppose que le rythme était un peu trop rapide !
— C'est le moment ou jamais, Okamura !
Il faut dépasser Ryûgû !
— Petits impudents !
C'est inutile !
Inutile, vous m'entendez ?
Rien que de penser pouvoir me battre ici, dans mon café préféré,
ça frise l'hérésie et la mise au bûcher !
— Très chère, tenez bon, je vous en prie !
Si vous laissez le Chef gagner, je ne réponds plus de mes actes !
— Oh oh oh,
mais je n'ai pas la moindre intention de perdre !
Si je dois boire plus que tout le monde pour gagner, alors je boirais toute l'eau du Pacifique !
— Eh ben alors, Rena, c'est bien mou, tout ça !
Mate un peu,
je vais inverser la vapeur !
Vous êtes prêts, les gars ?
« OUAIIIIS ! »
— ... Rena ? Un problème ?
Je me levai.
— Ahahahaha, désolée,
je crois que je dois aller aux toilettes.
C'était trop pour moi.
Je me moquais éperdument de la victoire.
Oh, oui, ça m'intéressait de faire tous ces trucs de dingue pour décider des vainqueurs, mais...
Pour aujourd'hui, j'avais reçu suffisamment de bonnes choses, j'étais largement assez heureuse pour aujourd'hui, ça devait cesser.
Si seulement le bonheur pouvait se condenser en cristal, j'en prendrais bien un petit fragment pour le garder dans mes poches.
Et je le garderais bien au chaud, pour pouvoir le sortir quand les jours plus mauvais viendront -- car je sais qu'ils viendront.
... ... ... De toute façon, je l'avais bien remarqué.
Lorsque l'on “ressent” le bonheur, c'est que ce n'est pas du bonheur que l'on ressent.
Le vrai bonheur, c'est celui qui nous fait vivre dans l'insouciance, et que l'on ne remarque pas.
Si l'on ressent le bonheur, c'est parce que l'on est pris dans les glaces de la morosité.
C'est pour ça qu'il suffit d'un peu de chaleur pour perdre la tête...
Sur le chemin des toilettes, j'entendis des voix agitées ; deux personnes semblaient presque se crier dessus.
Il y avait là une cliente et une serveuse.
La serveuse était en train d'expliquer que l'on ne pouvait pas entrer sans ticket, à cause de la journée spéciale.
Mais la femme ne voulait apparemment rien savoir, faisant valoir que ça n'était marqué nulle part et qu'elle ne pouvait pas le deviner.
Au bout de quelques instants, le patron alla se mêler à leur conversation, et se mit à s'excuser profusément, à grand renfort de courbettes.
— ... Tsss, je vous jure.
Si vous avez des restrictions, il faut les mettre en grand, dehors,
qu'on puisse les voir, merde... Grrr...
Nos regards se croisèrent.
Dès que j'avais entendu sa voix, je m'y étais préparée, juste au cas où.
— ... Oh, salut, Reina ?
C'est un sacré hasard de te voir ici.
— Ah☆!
Bonjour, bonjour !
Oui, c'est vrai, c'est un grand hasard !
Je tendis les mains devant moi dans un petit geste malicieux, tirant la langue. Elle en fit de même, et nos mains se touchèrent dans un claquement sonore.
— Écoute, écoute, Reina,
ils sont méchants avec moi ! Il paraît qu'aujourd'hui, il faut un ticket spécial pour rentrer !
— Ahahahahaha ! Oui, il paraît.
— Bah, j'imagine que j'ai pas le choix, tant pis.
Dites, même si j'ai pas le droit d'entrer, je peux bien vous prendre un peu de gâteau, non ?
— Oui, bien sûr, nous vendons aux clients, pas de souci.
Je vous en prie, choisissez parmi notre sélection !
Un sourire affable aux lèvres, le patron lui montra le présentoir.
— Je crois que je vais prendre celui-là, là, il est mignon.
Lui, il aime les gâteaux bidons, mettez un bête morceau à la fraise.
Et toi, Reina ?
Tu prends quoi ? Tu veux lequel ?
— Qui, moi ?
Vous êtes sûre ? C'est super gentil !
Hauuu !!!
— Ahahahaha, tu aimes vraiment les petites douceurs, toi, hein ?
Choisis n'importe lequel, ne te gêne pas pour moi.
— Eh ben alors, je veux…
Euh... Hmm…
Bah, je prendrai simplement un morceau de gâteau à la fraise, alors.
— Ah bon ?
Mais il y a tellement de sortes, ils sont tous très jolis, regarde !
— Ahahahaha, oui, je sais, mais justement, j'arrive pas à me décider ! Alors dans ces cas-là, comme par hasard, ce sont les plus simples qui paraissent les meilleurs !
Hau.
— Ah oui ?
Bon, ben écoute, c'est toi qui vois, hein. Mettez-moi deux morceaux à la fraise et un “Petit Trianon”, s'il-vous-plaît.
Je vais les ramener à la maison☆! Ahaha !
Elle se tourna et me fit un clin d'œil complice, fière d'avoir imité ma phrase fétiche.
Je lui rendis son sourire.
Je sentis alors quelques fortes effluves de son parfum, et me mis à éternuer.
— Ben alors, toi, t'as le rhume ?
Apparemment, mon nez n'aimait pas trop son eau de toilette...