Je voyais Tomita et Okamura marcher en direction de la salle des agrès.
Ils devaient aller prendre les bâtons de craie pour tracer un terrain pendant le cours de sport.
C'est vrai qu'ils étaient de corvée, aujourd'hui.
Mais près des agrès, des pièges infernaux les attendaient !
— En fait, celui qui pose les pièges rigole bien en voyant les effets sur les gens qui se les prennent...
— Hohhohho !
Vous avez compris le principe, mon cher, vous devez être fait pour cette passion honteuse !
J'entendis Tomita passer la clef dans la serrure.
Okamura pointa du doigt un morceau de la porte.
Tiens ?
C'est quoi ça ?
Soudain, il fit un bond en arrière.
— Ah ! Satoko, je crois qu'il a découvert ton piège !
Raté ?
— Allons bon, je savais bien qu'ils remarqueraient le piège sur la porte.
Et je sais aussi comment ils vont réagir face à ce piège…
Hohhohho !
Satoko affirma savoir qu'une fois le piège de la porte évité, ils tenteraient de s'introduire dans la pièce des agrès en détachant la fenêtre de derrière.
Et effectivement... je les vis se diriger vers l'arrière du bâtiment,
puis tenter d'enlever la fenêtre...
— La vache...
Comment t'as su ?!
... Ouah,
ils l'ont pris en pleine poire !
Paf,
booooiiing !
De grosses volutes de poussière blanche se mirent à sortir par la fenêtre.
Puis, quelques instants plus tard, Tomita se traîna dehors, tout blanc.
— Hohhohhohho !
Oooohhohhohho !
J'adore ce moment, je le savoure, je le déguste à chaque fois,
quel parfum enivrant !
— Tout de même…
Comment t'as fait pour savoir ?
Tu as forcément dû calculer
l'endroit où il mettrait sa main, savoir où est-ce qu'il s'accrocherait avec le pied, savoir où il atterrirait...
— Voyons, mon cher,
pour savoir comment piéger quelqu'un, il faut d'abord savoir observer son ennemi.
Une fois que vous savez comment il réagit dans une situation donnée,
il vous faut apprendre à prévoir ses gestes au millimètre près pour obtenir les meilleurs résultats avec le moindre d'efforts.
Ce qui me rappelle une fois où Mion l'avait bien complimentée... elle avait dit que Satoko avait un don sans pareil pour savoir quelle carte garder pour la fin.
— OK, donc il faut savoir lire les autres si l'on veut poser un piège ?
Et donc les pièges que je me suis pris par le passé, ce n'était jamais par hasard, tu savais que je réagirais comme ça ?
— Eh bien, en effet.
Vous êtes tombé dans mes pièges car j'ai réussi plus ou moins bien à deviner vos réactions.
C'est pourquoi si d'aventure il vous prenait de changer de comportement du tout au tout, vous éviteriez sûrement tous mes pièges.
Je dois avouer que…
ce n'était pas très rigolo de se l'entendre dire.
— Très bien.
Alors on va un peu tester ça.
Nous verrons bien si tes prédictions sont les bonnes ou pas !
— Comme il vous plaira, mon cher.
Vous êtes très prévisible, ce sera un jeu d'enfant !
Oooohhohhohho !
Une fois rentrée en classe, Satoko prit son cahier de brouillon, en déchira une feuille, puis elle écrivit quelque chose au dos et la découpa en trois cartes.
Bien sûr, je ne savais pas ce qu'il y avait d'écrit sur celles-ci.
— Veuillez donc en choisir une.
Tant que vous ne tirerez pas spécifiquement la mauvaise carte, vous aurez gagné.
— Parfait, alors tiens-toi prête !
Je vais te montrer ce que je sais faire !
Satoko se mit à sourire, puis me tendit les cartes.
Reste calme, analyse la situation, fais chauffer ta cervelle, Keiichi Maebara !
Reste zen et trouve le truc...
Tant que je ne tire pas la mauvaise carte, j'ai gagné...
Donc si je tire la mauvaise, elle gagne.
Donc... elle veut absolument me faire tirer la mauvaise carte.
Mais comment faire pour être sûre de me faire tirer la mauvaise carte ?
Est-ce qu'elle saurait vraiment lire en moi comme dans un livre ouvert ?
Ou bien y a-t-il un truc psychologique, genre les droitiers choisissent plus souvent les objets à leur droite ? Ou bien est-ce qu'elle sait que j'ai tendance à prendre le truc le plus proche ?
Et là, d'un seul coup, j'eus une révélation. Si c'était Mion, je savais ce qu'elle ferait !
— Eh bien alors, avez-vous donc choisi ?
— Oui, j'ai choisi.
Regarde un peu…
ÇAAAAAAAAAA !
— Mais ?
Ahhhh !
Mais que faites-vous donc ?
J'avais pris les trois cartes en même temps !
Et la raison était toute simple.
Si elle avait réellement envie de me faire tirer la mauvaise carte à coup sûr...
... il lui suffisait d'écrire “raté” ou “perdu” sur les trois cartes !
— Alors, tu fais moins la maligne, hein ?
Voyons voir ce que tu avais écrit derrière...
Je retournai les cartes. Il n'y avait qu'un seul mot derrière chacune.
« carte »
« la »
« mauvaise »
— Ben... comment ça ?
carte, la, mauvaise ? Ah, la mauvaise carte, OK…
COMMENT ??
— Voyez donc !
Si vous n'aviez pris qu'une seule carte, c'était dans la poche.
— Hein ? Mais alors…
tu savais que j'allais tirer les trois cartes en même temps ?
Gyaaaaaahhhh !!!
Je me roulai par terre, la tête entre les mains, pendant que Satoko bombait fièrement le torse en riant aux éclats.
C'est alors que j'entendis un petit pof. Quelqu'un avait jeté de la sciure de craie sur Satoko.
Tournant la tête, je vis Tomita et Okamura, tous deux recouverts de craie, tenir un grand sac devant eux, probablement plein de poudre blanche.
— Comment ?!
Que cherchez vous à faire, vous autres ?
— … Il semble que dialoguer avec l'instigatrice du piège n'est pas une option.
— Allons bon, quelle impolitesse !
Vous n'avez pas honte d'accuser les gens sans preuve ?
Et vous me ferez aussi le plaisir de ne pas dire “vacheries”.
Un peu d'élégance dans votre langage, voyons ! Dîtes :
Un
piège
♪
S'il vous plaît !
Cela étant dit, ces deux là, tentant de faire les durs, tout en restant droits comme des piquets, completement blanc en silence…
Enfin bref, si on oublie ce qui vient de se passer, se faire courser par des types avec la bouche tellement remplie de craie qu'ils en sont incapables de parler… Ouais, même pour Satoko c'est flippant.
— Aaaah !
Keiichi, mon cher, venez m'aider ! AU SECOURS !
Le chaos s'ensuivit dans la salle de classe. Il y avait de la poudre de craie partout.
Euh… Satoko ?
Ne me dites pas qu'elle ne l'avait pas vu venir ?
Par contre, ce que moi je n'avais pas vu venir, c'était que la maîtresse me tiendrait responsable du désordre...