... Le sang cognait dans mon crâne.
Le ciel était éblouissant.
J'avais froid.
J'avais mal.
À force de faire le tour de ce qu'il n'allait pas, mon corps finit par raviver tous mes sens, et je me réveillai.
J'étais face contre terre, dans le lit de la rivière.
J'eus des élancements de douleur dans tout le corps.
J'étais écorché aux coudes et aux genoux, et j'avais des bleus à plusieurs endroits.
Et vu la douleur au moindre de mes mouvements, j'avais dû me casser une paire d'os.
Regardant vers le ciel, je pus constater la hauteur de laquelle j'étais tombé.
... Ah oui, quand même. C'est déjà un miracle que j'aie pu réouvrir les yeux, en fait...
Juste à côté de moi, je vis des sièges de voitures. Peut-être des enfants les avaient laissés là après avoir joué avec dans la décharge.
Toujours est-il que c'est probablement grâce à eux que je suis encore en vie.
Le hasard fait parfois des miracles...
En même temps, je me demande si ce miracle est arrivé par chance ou par malchance.
Je suis encore en vie, c'est de la chance, mais dans ce monde de dingue ? C'est pas vraiment de la chance, non...
... ... Combien de temps suis-je resté inconscient ?
Le soleil est encore haut... Je dirais une heure ou deux, pas plus.
Par contre, mes muscles sont tellement ankylosés... je dois être là depuis plus longtemps.
Si je devais y aller au feeling, je dirais que j'ai dormi au moins dix ans, mais je sais que ce n'est pas possible...
— ... Aaaaaïeeeeuh....
Plus je reprenais conscience, et plus j'avais mal. Mon corps faisait l'inventaire des membres qui avaient un problème et me les envoyait directement au rapport.
Ça faisait vraiment mal -- j'aurais mieux fait de mourir sans jamais me réveiller...
... Il me faut un médecin...
Il faut que j'aille à la clinique du chef...
Le chef ? ... ... ...
De nombreuses choses très désagréables me revinrent alors en mémoire.
Satoko n'était plus sur le pont.
À l'heure qu'il est, elle est sûrement rentrée à Hinamizawa.
Elle s'est habillée, elle est allée à la clinique... Elle leur a sûrement dit que j'étais bizarre.
Je parie que la police m'attend au tournant.
Cette fois-ci, c'est sûr, soit ils me bouclent en taule pour meurtre, soit en hôpital psychiatrique.
... Franchement, peu importe.
Tout ce que je veux, c'est arrêter d'avoir mal.
Par la suite, faites-moi ce que vous voulez...
Traînant une jambe, je me mis en route, tressaillant de douleur tous les quelques pas.
Je descendis le long de la rivière, passai à travers la forêt en empruntant un vague sentier, puis marchai au hasard, tentant de me repérer comme je le pouvais.
Après une longue marche, enfin, je revins en territoire connu. Je me mis aussitôt en route vers la clinique.
... Oui, je n'ai pas dit “vers chez moi”, mais “vers la clinique”. Même si les gens là-bas me prenaient pour un fou.
... Quelle chaleur...
Il n'y a pas de vent, l'air est vicié.
Ça sent l'œuf pourri depuis tout à l'heure, ça pique le nez, ce truc...
C'est alors qu'enfin, je réalisai quelque chose.
Je n'entendais plus les grillons.
C'était la première fois que le village était aussi silencieux.
Le matin, on entend les oiseaux, pendant la journée, ce sont les grillons qui assurent le bruit de fond, et le soir, les cigales.
Mais là, il n'y avait aucun bruit. Pas le moindre insecte.
Je n'entendais que le bruissement du vent dans les branches.
... C'est bien la première fois que je vivais un silence aussi impressionnant.
Les arbres avaient l'air mal en point.
Leur feuillage prenait des tons ocres, et de nombreuses feuilles jonchaient le sol.
Même les mauvaises herbes, qui d'habitude croissaient à foison, se faisaient rabougries et ratatinées, comme des feuilles de thé séché.
... Dans le ciel, c'était bien le soleil ardant du mois de juin.
Par contre, la nature était déjà début novembre...
— ... ... ...
Alors que j'observais les feuilles mortes, je vis plusieurs petits insectes, les fers en l'air,
parfaitement immobiles.
C'étaient des cadavres.
... En regardant mieux, je me rendis compte qu'il y en avait un peu partout, comme si on les avait éparpillés.
Mais qu'est-ce que c'est que cette odeur ?
On dirait du souffre, c'est pire qu'une boule puante...
Je regardai à nouveau les arbres jaunis et les insectes morts.
... Ce serait un mélange de désherbant et d'insecticide, alors ?
Je sais que parfois, on le faisait à l'école, genre une ou deux fois dans l'année...
Mais au fait, j'ai encore vu personne. Il fait grand jour, pourtant.
Pour un peu, je pourrais croire que je me ballade ici en pleine nuit. Il n'y a guère que la nuit que les chemins sont aussi vides.
Vous me direz, avec la puanteur du dehors, il paraît évident que personne n'a envie de sortir.
... Je me demande ce que ça peut être.
... ... ... Il n'y a aucun bruit, dans tout le village.
Pas d'activité…
Pas d'animaux... Rien du tout.
Après ce virage, je devrais voir l'école.
Pourtant, je n'entends aucune voix, aucun cri.
Les enfants sont pas du genre à se tenir tous tranquilles comme des meubles...
... Mais tout n'était que silence.
Lorsqu'enfin, je me rendis compte que ce silence n'était pas normal, et que je commençai à ne plus pouvoir faire semblant de l'ignorer, l'école se dressa au loin.
Et là, enfin, je pus entendre du bruit.
Le bruit de plusieurs camions.
Plusieurs camions surélevés étaient stationnés dans la cour de l'école, tournant au point mort.
Une dizaine d'hommes en équipement spécial déchargeaient des paquets.
Malgré la chaleur, ils portaient tous un uniforme imperméable. Ça devait être insupportable.
Ah, mais bien sûr !
Notre école squatte un bâtiment des Eaux et Forêts.
Donc il est tout à fait normal de voir un camion avec de vrais gens qui travaillent, de temps en temps.
Et puis d'abord, à vrai dire, je ne savais même pas exactement ce que les gens des Eaux et Forêts faisaient exactement comme travail.
J'avais un peu de peine pour eux -- ça ne devait pas être marrant de travailler dans des conditions pareilles, aujourd'hui.
Il étalaient leurs paquets de différentes couleurs un peu partout.
C'étaient des paquets emballés dans de grands sacs.
Ils devaient être lourds, car les hommes les portaient à deux.
On aurait dit l'organisation du marché de poissons. Tout était bien aligné, comme des centaines de thons ou de truites.
Il y a en avait partout dans la cour.
Oubliant un instant ma douleur, je les regardai un moment travailler, transfixé.
À force de rester comme ça sans bouger près des grilles de l'école, je ne tardai pas à me faire remarquer par les hommes qui travaillaient dans la cour.
L'un d'entre eux me montra du doigt, et ils commencèrent à discuter entre eux.
Hmm, il vaut mieux que je m'en aille, il faudrait pas les déranger, sinon ils vont venir m'engueuler.
Alors que j'allais partir, deux camions arrivèrent derrière moi.
Je les laissai passer, et ils entrèrent dans la cour de l'école.
L'ouverture derrière était fermée par des couvertures, mais je devinai aisément qu'ils étaient pleins à craquer.
Lorsqu'ils passèrent, j'eus le nez assailli par une odeur révulsante.
C'était encore différent... on aurait dit de la mousse de crabe, mais passée depuis plusieurs mois. C'était une horreur.
Mais qu'est-ce qu'il se passe, ici ?
Ils ont choisi leur journée pour empester, ma parole...
Alors qu'ils passaient, je remarquai soudain les inscriptions sur le côté du camion.
Troupes de défense du territoire
... ... ... ...Quoi ?
Mais alors... c'est l'Armée ?
Mais qu'est-ce qu'ils foutent ici ?
— Eh toi !
D'où tu sors ?!
D'un seul coup, je sentis quelqu'un me taper sur les épaules.
Je me retournai et vis une jeep avec des soldats portant des casques.
Ils portaient des uniformes verts, avec des lampiottes sur le casque, comme dans les films, et des masques à gaz, et d'énormes bombonnes à oxygène.
Leur peau n'avait aucun contact avec l'air ambiant, ce qui était flippant, quelque part.
— Comment ça, d'où je so-- aaah, ouh, ouh la vache, ça fait mal...
En essayant de parler, la peau de mon visage s'était à nouveau étirée, ravivant mes blessures au front.
Me voyant grimacer, ils se regardèrent.
Je ne pouvais pas voir leurs visages, mais ils avaient l'air surpris.
— Tu es du village ?
Tu peux nous donner ton nom et ton adresse ?
— ... Oui, j'habite ici.
Je m'appelle Keiichi Maebara.
J'habite au numéro ***...
Le passager de la jeep, me voyant déclarer mon nom et mon adresse sans hésitation, prit la CB et l'alluma.
— Central, répondez !
Central, répondez !
Le n°402 est vivant.
Je répète, le n°402 est vivant !
Il se trouve devant l'école.
— Ici Central, bien reçu.
Ammenez-le-nous le plus vite possible.
Décrivez son état.
— Il est en bonne santé.
Je peux voir des blessures partout sur son corps, mais aucune n'est mortelle.
Il peut marcher tout seul.
Je l'accompagne jusque chez vous.
... Je m'étais mentalement préparé à être emmené par la police, mais par l'Armée ?
C'était un peu... exagéré, non ?
Ils me placèrent à l'arrière de la jeep.
Puis on m'ordonna de mettre un masque à gaz, comme eux.
Je m'exécutai sans faire d'histoire, et l'un d'entre eux vint derrière moi pour le fixer bien correctement.
Il était lourd, gênait mon champ de vision, et rendait la respiration naturelle difficile.
Le monde perdait beaucoup de son réalisme une fois vu à travers une focale.
Ma respiration faisait un bruit d'enfer, un peu comme les mecs en scaphandres.
Je ne comprenais rien du tout à ce qu'il se passait.
Je me tournai vers ceux qui m'avaient aidé avec le masque et leur posai timidement la question.
— ... Euh, dites...
Il s'est passé quelque chose ?
— Où étais-tu ?
Qu'est-ce que tu faisais ?
C'était pas très pratique,
je voulais des réponses, moi, pas des questions.
— ... Je suis tombé du pont suspendu qu'il y a plus haut dans la montagne.
Je me suis évanoui et je me suis réveillé dans la rivière en contrebas.
Je ne sais même pas quel jour on est.
— Nous sommes le 22 juin 1983.
C'est Mercredi aujourd'hui.
Je restai stupéfait.
Satoko m'a poussé dans le vide hier.
Donc je suis resté inconscient là-bas pendant toute une journée ?
— Euh, je me permets de reposer la question. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Pourquoi l'Armée est ici ?
Vous faites des manœuvres ?
— ... ... ...
Mes questions étaient trop stupides ou trop bizarres, ou quoi ?
En tout cas, aucun d'entre eux ne daigna répondre.
Le soldat sur le siège passager alluma la radio.
Modifiant la fréquence, il rechercha une chaîne, qu'il finit par trouver.
La voix familière des nouvelles du jour résonna alors dans l'habitacle.
— --ans la résidence du Premier Ministre.
L'un des journalistes a demandé si le retard dans le déploiement des forces de défense du territoire n'était pas le responsable
du lourd bilan de cette catastrophe naturelle sans précédent, et voici ce que le Secrétaire Général du Cabinet du Japon, M. Okuno, a répondu :
— --ifie qu'en fait, si l'on considère le temps entre le moment où les instances de la préfecture ont demandé l'envoi des troupes et leur déploiement sur le terrain, il ne s'est passé que deux heures, ce qui est, je pense, très raisonnable dans une opération de cette envergure.
— Selon lui, les forces de défenses ont réagi dès réception de leurs ordres.
M. Okuno a aussi fait savoir qu'en fait, le retard final était largement dû à la difficulté des autorités civiles de la préfecture à se rendre compte de la situation.
On ne sait d'ailleurs pas vraiment quand est-ce qu'elles ont été conscientes de la gravité de la catastrophe.
Il y a fort à parier que ce sont les lenteurs entre les observations des civils et les rapports aux différents organismes concernés qui ont amené à une négligence qui, en retour, a laissé le gaz se propager et faire des victimes de plus en plus nombreuses, avant qu'enfin les gens se rendent compte que oui, la situation était alarmante, voire gravissime.
C'est probablement là qu'il faudra, dans le futur, chercher à apporter des réponses et des améliorations au système.
— Et voilà pour le rapport en direct de la résidence du Premier Ministre.
Si vous le voulez bien, nous allons tout de suite refaire le point sur ces événements tragiques et la réaction du gouvernement.
Dans la nuit du 21 au 22 juin.
Une catastrophe naturelle s'est produite à Hinamizawa, dans le district de Shishibone.
Les détails ne sont pas encore connus, mais il semblerait que depuis l'un des points du village, un gaz volcanique nocif se soit échappé en très larges quantités.
Les gaz plus lourds ont alors convergé au sol et se sont répandus.
Ils sont descendus à flanc de montagne, dans le village, et ont frappé de plein fouet les habitations. En quelques heures, ils avaient recouvert toute la région.
Cela c'est passé en pleine nuit.
Il était entre 2 et 4h du matin.
Toutes les habitations ont été touchées.
La plupart des habitants étaient en train de dormir et sont sûrement morts dans leur sommeil, sans se rendre compte de quoi que ce soit.
C'est ce qui explique que personne n'ait pu prévenir de la catastrophe.
Et pourtant, il y aurait eu une occasion d'appeler les secours.
3:00 AM.
Un employé à la distribution des journaux d'Okinomiya s'est rendu à la succursale de Hinamizawa.
Normalement, il appelle de là-bas pour confirmer qu'il est bien arrivé, mais cette nuit-là, il n'appela pas.
Ses collègues ont appelé encore et encore, mais aucune réponse.
Et lorsque le fils aîné du gérant s'est rendu sur les lieux, lui non plus n'a plus donné signe de vie.
— C'est extrêmement regrettable,
mais si les gens avaient pris la peine d'appeler la police ou les pompiers à cet instant, les soldats auraient pu peut-être encore sauver des vies humaines.
En tout cas, il aurait certainement pu être possible d'éviter l'extinction totale du village.
6:00 AM.
Les habitants des villes proches de Hinamizawa ont commencé à appeler les urgences en masse, se plaignant de l'odeur, de maux de tête, de vomissements.
Le chef des sapeurs-pompiers, au vu des symptômes et des adresses des personnes qui appelaient,
en a conclu qu'un camion qui transportait des produits chimiques s'était sûrement renversé, provoquant cette nuisance localement, et a appelé les services de police.
6:30 AM.
Les policiers ont fait une ronde dans le secteur de Hinamizawa, et après quelques messages radio pour faire état d'une odeur pestilentielle, ils ont eux aussi cessé de donner signe de vie.
Le chef de la police locale a donc pensé à un échappement local de gaz mortel et a appelé les autorités centrales à 7h15 ce matin.
8:00 AM.
Le chef du service de l'environnement, suivant la procédure, installa une cellule de crise en lieu et place du préfet, qui était en déplacement dans la préfecture voisine depuis la veille.
Malheureusement incapable de joindre le préfet, la prise de décision fut repoussée encore et encore.
— Des rapports anonymes, ces dernières années, indiquaient que le préfet profitait de ses déplacements pour faire la fête.
D'après une source proche de l'enquête, il semblerait que le préfet ait bu toute la nuit de la veille
et ait été passablement éméché lorsque les services compétents ont tenté de le joindre.
C'est pour cela qu'en gros, une heure complète fut perdue à tenter de glâner des informations sur le terrain, pendant que le préfet sortait enfin des vapeurs d'alcool et que l'on lui expliquait la situation...
— Il semble évident que la responsabilité du préfet et celle de ses conseillers est engagée.
Mais au-delà de ces dysfonctionnements humains, on note aussi un problème plus général, qui est qu'en fait, aucune procédure n'existait en cas de catastrophe naturelle -- l'existence d'une telle possibilité ne semblait pas avoir effleuré les personnes en charge de la sécurité.
9:12 AM.
Enfin, sur le conseil des forces en présence, le préfet demanda l'envoi de troupes des forces de défense du territoire.
Lorsqu'enfin les hommes de la section biochimique arrivèrent sur place, plus de huit heures s'étaient écoulées depuis le début de la catastrophe.
— Il semble donc que la malchance ait voulu que la catastrophe se déclare pendant la nuit.
Si les mêmes émanations de gaz s'étaient produites de jour, les pertes auraient été nettement moins importantes.
La zone entière du village a été anéantie.
Les premiers bilans font état de plus de 1000 morts.
Les troupes des forces de défense parcourent la zone à la recherche de survivants, mais à l'heure actuelle et au vu des précédents rapports, elles ne verront probablement personne...
— Avec nous dans le studio, en tant qu'invité spécial, le grand spécialiste des activités volcaniques, M. le professeur docteur Fujiwara, de l'université de ******.
Professeur, est-ce que ce phénomène d'épanchement de gaz est-il connu ?
— Si l'on parle d'épanchement depuis des cratères volcaniques, alors nous sommes en présence d'un cas tout à fait banal.
Le Japon est un pays dans lequel l'activité volcanique est abondante,
et la plupart des grimpeurs savent qu'il peut y avoir des émanations de gaz dangereux près des cratères, et donc généralement les gens font attention à ne pas s'approcher de trop près.
— Mais alors, le gaz qui aurait attaqué le village de Hinamizawa serait d'origine volcanique ?
— L'odeur d'œufs pourris, comme on l'appelle communément, démontre la présence de souffre dans l'air. Or, si la présence de sulfure d'hydrogène en quantité importante est découverte, alors nous aurons notre coupable.
C'est un poison à large spectre qui provoque la mort dans presque tous les organismes vivants lorsqu'il est absorbé en trop grande quantité.
— Le village de Hinamizawa se trouve pourtant bien loin de tout cratère de volcan.
Est-ce que le sulfure d'hydrogène peut se créer dans un autre environnement naturel ?
— Eh bien, nous n'avons pas encore d'éléments plus détaillés, donc je serais bien incapable de vous dire précisément ce qu'il s'est passé là-bas en particulier.
D'après les exemples constatés à l'étranger, on sait que parfois, rarement, il peut y avoir des émanations de gaz volcaniques depuis des poches de magma situées sous des réserves d'eau.
Et donc, rarement, on observe ces gaz ailleurs que près des cratères, là où leur présence est pourtant plus logique.
— Merci, Professeur.
Il semblerait que le ministère de la Défense ait fait une annonce.
M. Morikawa ?
— Oui, je suis ici près du ministère de la Défense,
où l'on vient à l'instant d'annoncer que le gaz responsable de la tragédie à Hinamizawa était en fait un mélange de deux gaz,
d'un côté le simple gaz carbonique, le dioxyde de carbonne, et de l'autre le fameux gaz des œufs pourris, le sulfure d'hydrogène.
— M. Morikawa, est-ce que ce gaz, qui est donc apparu soudainement, s'est propagé aux régions avoisinnantes ?
— Eh bien, pour l'instant, d'après l'escouade de recherche n°9, le gaz a l'air de décroître en densité au fil des heures et au fil de sa propagation.
Il semblerait que le risque de victimes supplémentaires soit quasiment nul.
Mais par contre, le domaine de Hinamizawa, où s'est donc déclaré cet échappement soudain de gaz, est considéré désormais comme une zone dangereuse, et devra passer sous la surveillance constante des forces armées.
— C'était M. Morikawa, notre envoyé spécial au ministère de la Défense.
Passons maintenant à la situation des populations évacuées de la région d'Okinomiya.
Nous avons un envoyé spécial dans l'un des centres d'accueil d'urgence, à l'école primaire de Shimoshinozaki, M. tchaka tchssssssss
— ... ... Qu'est-ce que…
ça veut dire ?
Personne ne répondit à mon murmure, ma question ayant été noyée dans le vacarme que faisait la jeep en se contortionnant sur le chemin.
Le village de Hinamizawa avait été…
anéanti lors d'une catastrophe sans précédent ?
De quel Hinamizawa ils parlent ?
Les infos ne nous concernaient jamais. C'était toujours des coins paumés dans les montagnes.
À la radio, ils ne parlaient jamais d'endroits que je connaissais.
Ils parlaient toujours d'ailleurs, jamais de nous.
Anéanti ?
Ça veut dire quoi au juste, anéanti ?
D'habitude, ils donnent les noms des morts, et les noms des blessés, non ?
Combien y a-t-il eu de survivants ?
Où est-ce qu'ils ont déplacé les populations ?
Je finis par voir la clinique.
C'était la première fois que je voyais le drapeau japonais flotter au mât, sur le toit de la clinique.
Il était en berne. Le soleil levant était en berne.
Il y avait de nombreuses tentes de l'Armée dans le parking de la clinique, et aussi quelques chars.
Remarquant notre arrivée, des blouses blanches équipées de masques à gaz vinrent à notre rencontre.
— Tout ira bien maintenant.
Comment tu te sens ?
Tu peux marcher ?
— ... Oui, je peux marcher, ça ir--
aïe, ouuuhhh... ngggg...
À peine avais-je esquissé une grimace de douleur qu'ils me mirent de force sur une civière.
Un médecin utilisa une CB pour décrire à quelqu'un d'autre mon état de santé.
— Il a plusieurs blessures apparentes.
Il y a fort à parier qu'il a des lésions internes, avec possibles fractures.
Il a une blessure ouverte au front.
Ses pupilles sont normales, mais le risque de choc traumatique n'est pas écarté.
Juste à cet instant, une autre personne sortit de l'hôpital sur une civière.
D'après ses vêtements, je suppose que c'est quelqu'un du village.
Une victime.
La civière s'arrêta devant le camion.
Deux soldats la prire par les pieds et par les épaules, puis, la balançant d'abord comme un long paquet, ils la jettèrent dans le chargement.
— Mais... Eeeeeeeeeeh !
À l'arrière du camion militaire, des corps étaient entassés.
D'après la manière dont ils avaient traité le corps, je sus que la personne était déjà morte.
Aussitôt, je me souvins des nombreux paquets déposés en rangées à l'école…
mais alors...
Il y avait là-bas des centaines de…
cadavres ?
Des morts…
des morts…
des morts…
des morts…
des morts…
des morts…
des morts…
des morts…
des morts !
Encore et encore, des morts, des cadavres, des corps sans vie !
— Oh, imbéciles,
faites attention avec la dépouille des gens !
C'est un jeune du village, lui !
Les deux hommes se mirent au garde à vous et me présentèrent leurs excuses en se courbant bien bas, puis reprirent leur travail.
Crève, sale village de merde...
Mon…
mon dernier…
souhait…
s'est…
réalisé... ?
... J'y comprends plus rien...
Je... J'abandonne.
Si vraiment j'ai le pouvoir de maudir les gens et de les tuer en un jour...
Alors je veux mourir, moi, demain.
Je veux en finir avec ce cauchemar...
— ... ?
Eh, il a perdu connaissance !
Appelez le malade par son nom,
dépêchez-vous !
— Maebara !
Tu m'entends ?
Si tu m'entends, réponds-moi !
Maebara !
MAEBARA !
MAEBARA !
Le monde m'était complètement égal, désormais.
Je ne jugeai pas utile de lui répondre.
— Il a cessé de respirer !
Sécurisez ses voies respiratoires,
respiration artificielle, tout de suite !
Il faut absolument le sauver !
Putain de sa race, merde !
Je n'accepterai aucune autre perte humaine, vous m'entendez ?
Aucune vie ne mérite une fin prématurée !
Ne le tuez pas !
Ne le tuez pas !
J'entendis le médecin hurler dans mes oreilles. Il pleurait.
Ces derniers mots, là... “Aucune vie ne mérite une fin prématurée”.
Ça lui est venu du fond du cœur.
C'était une évidence vraiment banale, mais... ça m'a vraiment touché.
C'était peut-être une erreur d'avoir voulu tuer l'oncle de Satoko. Même si son bonheur était en jeu.
Si jamais cette catastrophe était le prix à payer pour cette erreur...
... Ô déesse Yashiro, écoute-moi.
Tu ne crois pas que l'addition est un peu beaucoup salée ?... Pourquoi ne pas m'avoir tué moi seulement ?
Aah, mais Satoko m'avait dit quelque chose à ce propos, non ?
La véritable malédiction consistait à tuer les gens proches et les amis de la personne d'abord.
Alors c'était ça...
Toutes ces morts n'étaient pas dues à mes pouvoirs surnaturels. En fait, la déesse m'avait maudit moi, et le résultat, c'était qu'avant moi, tous les habitants du village avaient dû y passer...
... C'était une excuse qui tombait bien. De toute façon, sur cette civière, j'avais l'air bien inoffensif...
Je remarquai une toute dernière chose.
…
…
Ti
en
s,
bi
za
rre
…
…
Au
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ur
d'
hui
…
…
je
n'
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t
e
n
d
u
d
e
b
r
u
i
t
de
p
a
s
en
trop
...
...
Mais alors... je suis enfin délivré ?
En toute logique, je n'aurais pas pu les entendre, mais d'un seul coup, le sanglot des cigales résonna dans ma tête.
Ce fut la marche funèbre qui accompagna ma dépouille dans son dernier voyage.