La petite côte juste avant la clinique ne m'avait jamais posé la moindre difficulté, mais aujourd'hui, même le faux-plat était dur dans les jambes.

Je transpirais à grosses gouttes et j'étais à bout de souffle.

La machette que j'avais calée dans ma ceinture était lourde et m'empêchait de bien marcher.

Je me suis dit plusieurs fois qu'il valait mieux la jeter, mais vu que je n'avais pas encore fait la peau à son oncle, je ne pouvais pas me le permettre.

Enfin, je vis la plaque à l'entrée de la clinique.

Il y avait quelque chose qui clochait ici... Je décidai de m'arrêter.

Une lumière rouge tournoyait comme un phare sur les murs du bâtiment.

Il y avait trois voitures de police sur le parking.

Ça, c'était pas normal.

Je n'avais pas envie de voir le chef, donc mon plan avait été d'aller déposer Satoko dans la salle d'attente, d'alerter la personne à l'accueil et de me faire la malle.

Mais si la police et si l'inspecteur Ôishi étaient là, je ne pouvais pas entrer là-dedans comme je le voulais.

Satoko

— ... Eh bien, qu'y a-t-il ?

Que signifient ces voitures de police ?

Je posai Satoko à l'ombre, sur le côté de la route.

Keiichi

— Je sais pas.

Je vais aller voir ce qu'il passe, attends-moi ici.

Satoko

— Comment osez-vous laisser une lady dans la nature, simplement vêtue d'une serviette ? Vous devriez avoir honte...

Keiichi

— Si tu as la force de te plaindre, c'est que tu tiendras le coup.

“Je reviens tout de suite.” ajoutai-je avant de me lever.

Je me relevai, puis, inspectant les environs avec prudence, je me cachai derrière les voitures, me rapprochant des policiers agglutinés à l'entrée...

Il y avait un homme en cravatte, apparemment le chef des policiers, et un mec en blouse blanche en train de discuter de vive voix devant l'entrée.

Le mec en blouse blanche, c'était pas le chef.

C'était l'un des deux hommes à qui le chef avait demandé de faire le thé drogué hier.

Komiyama

— Et donc, c'est vous qui l'avez découvert le premier, puisque vous aviez votre permanence tôt le matin ?

Et puis ?

Il était comment ?

Docteur

— Il était assis sur le sofa, dans son bureau. J'ai cru qu'il était assoupi.

Komiyama

— Et quand vous avez vu le tube de somnifères vide sur le bureau, vous avez tout de suite pensé à un suicide aux barbituriques ?

Et ?

Docteur

— Il avait de la fièvre, ses pupilles étaient dilatées, et il souffrait d'une sévère perte d'attention.

Comme c'était typique dans les cas d'abus de somnifères, je lui ai fait un lavage d'estomac.

Komiyama

— Sans appeler ni les secours, ni la police ?

Docteur

— Je suis médecin dans le seul hôpital du coin,

les secours, c'est MOI, je vous signale !

Komiyama

— Hmmm, mouais, admettons, et donc ?

Docteur

— Sa respiration était erratique, alors je lui ai fait du bouche-à-bouche.

Je lui ai fait une injection pour stabiliser ses voies respiratoires,

mais cela n'a pas eu grand effet, alors j'ai pris l'appareil et...

Komiyama

— Oui, oui, je vois le topo.

Et donc, vous avez fait pas mal d'essais mais il est mort.

On est d'accord ?

Et vous avez signalé sa mort directement ?

Docteur

— Oui.

Je... Je ne suis pas fier de ne pas avoir pu le sauver.

À cet instant, la CB de la voiture de police grésilla, et une voix déformée se fit entendre.

Commissariat

— Ici le central, ici le central !

Komiyayama, vous m'entendez ? Répondez !

Komiyama

— Oui,

ici Komiyayama.

On a quelque chose.

Il semble que ce soit un suicide par surdose de somnifères.

Pas de lettre d'adieu.

Un suicide ?

Mais de quoi il parle ?

Il y a eu un suicide à la clinique ?

Mais qui ?

... ...

J'ai souhaité la mort de Takano, et elle est morte le lendemain.

... Et hier, j'ai souhaité la mort du chef...

Oh merde…

Ne me dites pas que...

Komiyama

— Il avait l'habitude d'en prendre ?

Docteur

— ... Je ne suis pas très au courant de ses habitudes.

Komiyama

— Il se plaignait souvent d'être fatigué ou d'avoir envie de mourir ?

Docteur

— Le docteur Irie était quelqu'un qui faisait souvent de l'humour, il était rarement sérieux.

Honnêtement, il n'avait pas du tout l'air dépressif.

Alors si...

Le docteur Irie…

le chef s'est suicidé !

Mais comment,

pourquoi ?

Je n'arrive pas à croire qu'il avait une raison de vouloir mourir.

... La seule explication à sa mort, c'est ma malédiction d'hier...

Ce monde est devenu fou.

Si je souhaite la mort de quelqu'un, cette personne meurt...

Ce monde fonctionne comme ça.

Mais alors... Et Ôishi ?

Il est devenu quoi, lui ?

Si le chef est mort à cause de moi… alors Ôishi aussi doit avoir un problème en ce moment…

Commissariat

— On vous a envoyé une équipe.

Le chef vous fait passer l'ordre de retourner aider aux recherches du véhicule d'Ôishi.

Komiyama

— Bien reçu !

Eh bien écoutez,

une équipe va venir dans quelques minutes, ne touchez pas à la pièce d'ici là, pour les empreintes.

Eh les gars, amenez-vous, on se casse !

Les autres policiers opinèrent du chef et montèrent dans leurs véhicules.

Il a dit... “Les recherches du véhicule d'Ôishi” ?

Donc si la police recherche sa voiture...

... Mais alors…

il a disparu ?

D'abord Takano,

ensuite le chef,

et maintenant l'inspecteur Ôishi.

Je n'ai qu'à faire un souhait…

et le lendemain…

la personne disparait.

Même s'il arrivait souvent de dire ou de penser des choses terribles -- souhaiter la mort de quelqu'un, ce n'est pas rien -- il faut bien admettre qu'en temps normal, rien de tout cela ne se réalisait par la suite.

Les gens savent que ce qu'ils pensent ne deviendra pas réalité, alors ils disent parfois des choses terribles sans trop y réfléchir.

Mais moi... ce que je dis devient réalité.

Soudain, alors que j'étais encore accroupi...

...tap.

Un bruit de pas derrière moi.

Et encore… pas qu'un seul…

un autre…

encore un autre…

Il se rapproche dans mon dos !

Il est juste derrière moi maintenant...

Et là, je sentis un contact sur mon épaule.

Satoko

— Que se passe-t-il ?

Keiichi

— AAAAaaH !

.........Sa...

Satoko ?

Aaaah, c'est toi... Tu m'as fait peur !

Satoko

— C'est vous qui m'effrayez à crier ainsi !

Veuillez vous retenir, je vous prie.

C'était juste Satoko.

Son regard était encore un peu vague, mais elle pouvait à nouveau marcher seule.

C'était déjà bien mieux que ce matin...

Keiichi

— Comment tu te sens ?

Ça ira comme ça ?

Satoko

— ... Oh, j'ai encore mal à la tête,

mais j'aimerais bien ne pas avoir à rester en tenue d'Ève dehors trop longtemps.

Elle faisait la forte, mais je voyais bien qu'elle tremblait encore et qu'elle tenait à peine debout.

Satoko

— Mais dites-moi donc, que se passe-t-il ici ?

D'après ce que j'ai entendu, la police disait que…

Keiichi

— Le chef… s'est suicidé.

Satoko

— ... Comment ?

Satoko en perdit la voix.

Elle devint de plus en plus pâle... je voyais bien qu'elle n'en croyait pas ses oreilles.

Satoko

— Keiichi,

mais vous êtes sûr ?

Ce ne peut être qu'une erreur, enfin ?

Keiichi

— Écoute, c'est ce que j'ai entendu !

Le docteur Irie s'est donné la mort en ingurgitant des somnifères.

Satoko tomba à genoux... puis se mit à pleurer.

Satoko

— ... Mais enfin... C'est pas vrai...

Lui ?

Un suicide ?

Non, je refuse de le croire...

En la voyant frapper le sol rageusement avec les mains, les larmes aux yeux, je fus pris d'un immense remords.

C'était ma faute. Je m'étais énervé car il me traitait comme un malade mental,

alors je m'étais senti trahi.

Et alors j'avais souhaité sa mort.

Dans ma tête.

Mais même si moi, je trouvais qu'il méritait de mourir, il y avait d'autres personnes qui l'aimaient beaucoup.

Par exemple, Satoko.

Je me suis emporté et j'ai fait un souhait égoïste... et ce vœu s'est exaucé.

Et maintenant, Satoko pleure.

J'étais franchement mal à l'aise. Je m'en voulais terriblement.

J'avais organisé un meurtre en pensant à son bien.

Je m'y étais décidé pour qu'elle soit heureuse.

Mais est-ce que tout était aussi facile ?

Commettre un meurtre, c'était ôter une vie humaine.

C'était rendre triste toutes les personnes qui avaient connu cet être humain.

Pour son oncle, j'étais à peu près sûr que personne ne le pleurerait.

C'est pour ça que je ne regrettais absolument pas mon geste.

Mais le chef... c'était différent.

En voulant la rendre heureuse…

je lui avais fait mal, très mal.

En même temps, c'est lui qui s'est suicidé.

C'est pas de ta faute.

Satoko

— ............*snif*...... *snif*…

Satoko pleurait toujours, mais elle avait l'air de s'être un peu calmée.

Séchant ses larmes, elle se releva.

Keiichi

— ... Je... pardon.

Ça me faisait tellement mal de la voir dans cet état, que je lui présentai des excuses.

Satoko

— Allons, pourquoi vous excusez-vous ?

Keiichi

— Parce que…

hier,

je me suis engueulé avec le chef,

et... je l'ai maudit.

Je lui ai dit d'aller crever.

Et maintenant... il est vraiment mort.

Satoko me regarda avec un regard sévère mais curieux.

Puis, ayant sans doute interprété mes mots à sa façon, je vis son expression se faire plus douce.

Satoko

— ... Allons, ce n'est pas de votre faute.

Satoko

Le chef est un adulte.

Satoko

Il a choisi la mort après en avoir longuement débattu avec soi-même, je suppose. Il a considéré que sa vie n'en valait plus la peine.

Satoko

Ce n'est pas de la faute d'une tierce personne.

Je la vis sourire légèrement. Peut-être essayait-elle de me remonter le moral ?

Satoko

— ... Écoutez, je n'ai pas envie de rester nue toute la journée.

Il me faut des vêtements.

Keiichi

— T'es sûre ?

Tu veux pas d'abord te faire examiner à la clinique ?

Satoko

— Je viendrai me faire examiner après m'être vêtue, les quelques minutes ne vont pas me tuer...

Satoko remit sa serviette correctement et repartit de là où nous venions.

Elle ne marchait pas droit. Elle avait beau faire la forte, elle n'était pas encore tout à fait en état...

Satoko pensait tout d'abord rentrer chez elle, mais à cette heure-ci, les gens commençaient à sortir de chez eux pour aller au travail.

Elle avait honte d'être simplement en serviette dehors.

Satoko

— ... Allons chez Rika.

Elle doit avoir encore des tas de vêtements à moi.

... Eh bien, qu'y a-t-il ?

Mon cher ?

J'avais toujours la tête baissée.

Satoko

— Voyons, le chef n'était pas toujours sérieux, mais il était adulte.

Il n'est pas du genre à se suicider simplement à cause d'une dispute, qui plus est avec vous.

Cessez de vous en vouloir.

Keiichi

... ... ...

Une seule fois, cela pouvait être le hasard, mais trois fois de suite ?

Enfin bon, dans ce monde-ci, rien n'était “impossible”...

Keiichi

— ... Ces derniers jours, il se passe des choses bizarres.

Satoko

— À quoi faites-vous donc allusion ?

Satoko poussa des soupirs exaspérés, mais elle était désireuse de m'écouter.

Keiichi

— Avant-hier, tu es rentrée avant d'aller à la fête, n'est-ce pas ?

Et moi j'y suis allé, et je me suis amusé avec les autres.

Satoko

— ... Il semblerait, oui.

Je m'excuse de vous en avoir fait le reproche.

Satoko baissa la tête. Elle se souvenait donc de la scène à l'école hier.

Keiichi

— Si je te disais qu'en réalité... je suis pas allé à la fête. Tu me croirais ?

Satoko releva la tête, l'air suspicieuse.

Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir.

Satoko

— Non, je vous croirais pas.

C'est un peu tard pour me raconter ce genre d'histoires.

Keiichi

— Ouais, tu ne me croirais pas, hein ?

Et ben moi non plus, j'y crois pas.

Je suis pas allé à cette fête, et pourtant, tout le monde dit que j'y étais.

Tu y croirais, toi ?

Satoko

— ... ... ... Vous êtes sérieux ?

Keiichi

— Ouais…

Depuis ce soir-là, tout va de travers.

J'entends des pas derrière moi, tout le temps...

Je vis Satoko blêmir.

Satoko

— ... Des bruits de pas... derrière vous ?

Keiichi

— Ouais.

Keiichi

Au début, je croyais que je me faisais des idées, que c'était mes nerfs, mais en fait non.

Keiichi

Ils me suivent depuis deux jours.

Keiichi

Je parie qu'ils me suivent toujours, mais comme tu es là, je n'arrive pas à dire si ce sont tes pieds qui font le bruit ou pas.

Satoko me regarda droit dans les yeux, prudemment.

Elle est en train de se demander si je ne suis pas fou.

Le chef avait fait la même chose.

Je pense que n'importe qui ferait la même chose.

Plus j'y pensais, plus je me rendais compte que je n'aurais pas dû lui en vouloir. Je n'aurais pas dû le maudir, il ne le méritait pas, en fait...

Keiichi

— ... Le soir de la purification du coton,

je ne suis pas allé à la fête. Je faisais complètement autre chose, ailleurs.

Et tout le temps, hein,

je me suis pas endormi ou je ne sais quoi.

Keiichi

Je suis pas allé comme un somnambule à la fête ou une connerie du genre.

Satoko

— ... C'est très curieux, ce que vous me racontez.

Mais alors, comment avez-vous fait pour vous amuser à la fête ?

Keiichi

— Mais justement,

je te dis que j'y suis pas allé, à cette fête !

Non,

ne t'énerve pas, c'est pas le moment, ducon !

Si tu t'énerves, elle va penser que c'est la preuve que tu es taré du ciboulot !

Keiichi

— ... Ah, écoute, je te demande pardon, je voulais pas crier, mais...

Personne ne me croit... Je commence à en avoir assez...

Satoko

— ... Admettons, vous m'avez l'air sincère.

Et ?

Keiichi

— Cette nuit-là... j'ai rencontré Mme Takano.

Et... je croyais qu'elle se moquait de moi, alors...

Alors dans ma tête, je l'ai insultée,

je lui ai dit qu'elle n'avait qu'à mourir...

Satoko

— Mme Takano est du genre à prendre les gens de haut, oui, elle m'a souvent donné cette impression.

Je ne peux pas dire que je ne vous comprends pas.

Keiichi

— Tu savais qu'elle était morte ?

Elle est morte hier.

Il paraît qu'elle a été retrouvée entièrement brûlée.

Satoko

— ... C'est vrai, ça ?

Elle est morte ?

Keiichi

— Quand je souhaite la mort de quelqu'un…

le lendemain... la personne est retrouvée morte.

… Et Ôishi aussi !

Tu connais l'inspecteur Ôishi ?

C'est un gros con de flic, il est pas commode.

Satoko fit signe que oui, elle savait qui c'était.

Keiichi

— Ben, les policiers tout à l'heure le cherchaient, il paraît qu'il a disparu.

... Et moi... en fait hier,

je lui…

ai aussi dit d'aller crever.

Satoko

— ... Vous n'êtes pas en train de me mentir ?

Keiichi

— Non, je te le jure.

Tu sais, moi non plus, je veux pas y croire, mais c'est la vérité !

Ça fait trois personnes de suite, ça peut pas être un hasard !

Satoko resta un moment silencieuse.

Plusieurs dizaines d'anges passèrent.

Satoko

— Ooohhohhohhohho !

... Eh bien, ma foi... Voici une histoire bien inquiétante.

Je vais essayer de rester dans vos bonnes grâces, alors...

Keiichi

— Mais c'est pas tout, Satoko.

... Il y a quelque chose de plus bizarre encore qui me tracasse.

C'est... C'est à propos de ton oncle.

Satoko

— ... Je vous prierais de ne pas parler de lui.

Keiichi

— Il était là, hier, non ?

Chez toi.

Satoko

— Je vous ai dit de ne pas me parler de lui !

Je n'aime pas y penser !

Keiichi

— Il pouvait pas, Satoko.

Il pouvait pas être chez toi.

Satoko

— Je vous ai dit d'arrêter !

Cessez avec ça !

J'en ai assez !

Keiichi

— Il peut pas être chez toi depuis le soir de la fête, Satoko !

Parce que, parce que je l'ai…

Satoko

— TAISEZ-VOUS !

JE NE VEUX PLUS EN ENTENDRE PARLER !

Keiichi

— Je l'ai tué, Satoko !

Je l'ai tué de mes propres mains !

Les grillons cessèrent de chanter sur-le-champ.

Satoko me regardait avec un visage déformé par la colère et par les larmes.

Keiichi

— Le soir de la purification du coton, je suis pas allé à la fête. J'ai tendu un piège à ton oncle et je l'ai tué.

C'est pour ça... que je sais qu'il n'a pas pu rentrer chez toi.

Et pourtant,

il est rentré !

Et hier, il t'a gueulé dessus à cause du riz, il a jeté la soupe, et il t'a forcé à aller te baigner.

Alors que pourtant, rien de tout cela ne devrait pouvoir être possible !

Keiichi

— J'ai voulu apporter une preuve que je l'avais tué... alors je suis retourné dans la forêt, là où je l'avais enterré...

mais le corps n'était plus là.

Tu le crois, ça ?

Keiichi

Je suis sûr de l'avoir tué, je suis sûr qu'il est mort !

Et pourtant il est rentré chez lui comme si de rien n'était, et il t'a battue !

Ce n'est pas normal !

Satoko était extrêmement tendue.

Elle se fit un peu plus petite... comme si elle était devant quelqu'un qui lui voudrait du mal.

Keiichi

— ... ... ... ... ...Alors toi non plus...

Tu ne me crois pas ?

Tu penses que je suis fou ?

Je peux pas t'en vouloir, tu sais.

Même moi, j'ai dû mal à comprendre ce qu'il se passe.

Satoko

— Vous êtes certainement encore sous le choc à cause de cette histoire de malédiction.

C'est le hasard qui a voulu ces morts, leur responsabilité ne vous incombe pas.

Satoko

Je pense que vous devriez rentrer chez vous et vous reposer, vous n'avez clairement plus toute votre tête.

Je vais mieux, pour ma part -- vous devriez vous soucier de votre santé, désormais.

Satoko parlait comme si elle me comprenait, mais en substance, elle me demandait de déguerpir.

Je n'avais qu'à regarder son visage pour savoir qu'elle ne voulait pas rester plus longtemps en ma présence.

Keiichi

— Je rentrerai chez moi quand je te verrai dans la salle d'attente de la clinique.

Tu ne marches pas droit, je ne veux pas courir de risque.

Tu fais quoi si tes jambes te lâchent en chemin ?

Satoko

— Je vous dis que je vais très bien !

J'aimerais surtout ne plus avoir à endurer cette honte, c'est très gênant de rester presque nue devant un garçon !

Je…

Haaa…

Haaa…

je...

Arrivée juste sur les escaliers, elle faillit tomber.

Je courus vers elle pour l'aider à se relever.

Mais Satoko bondit pour s'éloigner de moi le plus vite possible.

C'était très douloureux de voir qu'elle rejetait ma présence à ce point...

Une fois arrivée en haut des escaliers, Satoko était à bout de souffle, et ne se préoccupait plus de ma présence.

C'était comme si elle ne me voyait plus.

Ou plutôt, elle faisait semblant, car elle ne voulait surtout plus avoir affaire à moi.

Ce rejet était plus blessant que n'importe quel lame de couteau.

J'avais choisi de tuer, pour elle.

Mais au bout de ce chemin, elle n'avait pas la moindre reconnaissance pour moi...

C'est bon, fais pas ton Caliméro, Keiichi.

De toute façon, tu n'as pas agi dans l'espoir d'obtenir une récompense.

Tu ne l'as pas fait pour qu'elle t'en sois reconnaissante.

Tu l'as fait pour qu'elle puisse être heureuse.

Et si ça doit finir comme ça…

ben ça doit finir comme ça et c'est tout.

Rika habitait dans la salle d'équipements des pompiers de Hinamizawa.

Il fallait marcher un peu derrière la salle municipale pour l'atteindre.

Satoko se mit à marcher d'un bon pas, traversant la place en graviers du sanctuaire.

Je n'aurais su dire si elle voulait s'habiller le plus vite possible ou bien s'éloigner de moi...

C'est alors que sur le côté, nous entendîmes des ailes d'oiseaux battre très fort.

Me retournant, je pus voir... des corbeaux.

J'en avais vus très rarement depuis mon arrivée à Hinamizawa.

Mais avant, en ville, j'en voyais très souvent là où j'habitais.

Le jour des poubelles de table, ils s'attroupaient autour des sacs et les éventraient pour manger ensemble le contenu.

Comme je me souvenais très bien de cela,

il me parut insensé de voir autant de corbeaux près du coffre des offrandes.

Personne n'irait jeter ses poubelles de table dans un lieu sacré !

... ... Les grillons…

cessèrent leurs cris.

Quant à moi, je cessai de respirer.

Je cessai de penser.

Le Temps lui-même cessa de s'écouler.

Je courus vers les corbeaux.

Il fallait sortir les images cauchemardesque de ma tête.

Je n'ai pas souhaité cela...

Je l'ai pas souhaité, pas une seule seconde !

C'est pas possible, C'EST PAS POSSIBLE !

Me sentant courir vers eux, les corbeaux s'enfuirent dans le ciel.

Lorsqu'ils furent partis, je pus voir sur quel déchêt ils s'étaient acharnés.

Keiichi

— Aaaaaaa... AaaaahH, AAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Je ne savais pas ce que j'avais vu.

Mes yeux avaient relayé l'information à mon cerveau, mais ils avaient dû prévenir ma bouche et ma gorge avant, car elles réagissaient déjà.

Oh non…

oh putain non…

mais putain…

Putain, merde !

Satoko s'approcha aussi, désireuse de savoir ce que signifait ma commotion.

Puis, voyant ce que je regardais par dessus mon épaule, elle se mit à hurler.

C'est pas vrai... c'est pas possible...

Le sac à poubelle était dégoulinant de sang.

Oh, c'est bon, regarde mieux et décris ce qu'il y a devant toi, eh !

C'était...

C'était…

C'est Rika,

notre amie à tous, la meilleure amie de Satoko !

Notre idole à tous, ce petit chaton rusé comme un renard, qui nous jouait des tours mais à qui personne n'aurait jamais osé faire le moindre mal !

Et Rika... était entièrement nue.

Elle était étendue de tout son long, les jambes écartées, sur le dos.

Ses yeux noirs étaient dilatés et regardaient vaguement le ciel.

Mais surtout…

surtout... oh non...

Satoko

— Rika !!

Rikaaa!

RIKAAAAAAaaahhaaaaaaaa !

Waaaaaahhhhhhhhhh !!

Satoko se mit à hurler incontrôlablement le nom de sa meilleure amie.

Puis elle tomba à terre, non loin du corps sans vie, mais sans oser s'en approcher vraiment plus.

Vous voyez, quand les corbeaux ouvrent un sac poubelles, ils sortent les morceaux,

par exemple en tirant sur la peau des restes de pommes... ou les peaux de bananes...

et ils en jettent partout autour...

Non, c'est pas possible,

c'est pas les corbeaux qui ont pu faire une chose par--

N'en pouvant plus, je tournai la tête et me mis à vomir.

Keiichi

— Wooehhhhhhhhhhhh !!!

Une odeur âcre vint aussitôt m'assaillir les narines.

Je vomis encore, et encore, et encore...

Rika

avait…

le…

le v...

Le ven...

...

Quelqu'un avait...

Quelqu'un lui avait ouvert le ventre à la verticale, du haut en bas !

Satoko

— Rikaaaaaaaaaaaaaaa !

AAAAAAAAAAaaaaaaaaaaaaah !

C'est pas les corbeaux qui peuvent lui avoir fait ça, c'est pas possible !

Depuis l'incision...

cette personne avait tiré... et sorti les organes internes... ses reins... ses intestins... elle avait tout sorti, comme un enfant qui étripe son nounours !

Sous le choc, mon cerveau menaçait de s'asphyxier.

Le monde perdit toute couleur, et ma tête se mit à me faire très mal... puis vinrent les vertiges... et l'envie de vomir, encore...

C'était comme si on l'avait sacrifiée... en suivant un rituel de film d'horreur.

Quelqu'un avait tué Rika, puis l'avait ramenée ici...

puis allongée ici, les jambes écartées…

puis…

lui avait ouvert le ventre…

et avait tout sorti.

Elle avait tiré sur les organes,

puis coupé des morceaux d'intestins pour en placer dans toutes les directions, comme une rose des vents.

Tout le coin était noyé dans une mer de sang.

Il y avait quelques plumes de corbeaux dessus, d'ailleurs.

Ils avaient marché dans ce sang, puis avaient laissé des traces partout sur elle.

Ce n'était rien par rapport avec ce qu'avait fait le meurtrier, mais cela achevait le tableau par une touche vraiment horrifiante.

J'ai souhaité la mort de Mme Takano, du chef et de l'inspecteur Ôishi.

Mais je n'ai jamais souhaité la mort de Rika, jamais !

Keiichi

— C'est pas moi... C'est pas ma faute !

C'est pas moi, j'y suis pour rien !

Après avoir fait quelques pas à reculons, je marchai sur un vieux journal.

Du journal ? Ici ?

C'était le journal avec lequel j'avais caché ma machette.

Je l'avais tenue bien en place avec ma ceinture pour pouvoir porter Satoko.

Et maintenant, les feuilles de journal étaient parties.

Ouf, purée, j'ai eu peur, c'est que ça ?

Je ramaissai les feuilles, et en me relevant, je remarquai Satoko. Elle me regardait avec un visage déformé par l'horreur, pétrifiée.

Son regard était porté sur moi.

Sur ma ceinture, en fait.

Sur ma machette.

Satoko

— ... ... ... ...

Keiichi

— Ca... Calme-toi, Satoko...

Ce... C'est pas ce que tu crois, hein ?

Satoko se mit à reculer, tremblante comme une feuille.

Keiichi

— ... C'est pas moi.

C'est pas moi, hein.

J'te jure.

Satoko

— Espèce de... monstre...

Sa serviette de bain était tombée, mais cela n'avait pas l'air de la déranger plus que ça.

Les genoux tremblants, elle tentait simplement de s'éloigner du tueur devant elle, un pas après l'autre...

Keiichi

— Satoko... Je t'en supplie, calme-toi.

Je t'en supplie, calme-toi.

Satoko--

Satoko

— Non ! Nooooooooooooooooon !

Après un cri plutôt faible, Satoko se retourna et se mit à courir.

Enfin, à fuir.

Keiichi

— Non, attends, Satoko !

C'est pas ce que tu crois !

J'te jure que c'est pas ce que tu crois !

Satoko fuyait, mais elle tenait à peine sur ses jambes.

Si j'avais voulu la rattraper, j'aurais pu le faire en quelques secondes.

Mais je savais que si jamais je la touchais maintenant, elle ferait une crise de nerfs et deviendrait hystérique.

Il me faut rester derrière elle et essayer de résoudre le malentendu par le dialogue...

Satoko

— Vous avez tué Mme Takano…

puis le chef…

puis le policier, non ?

Vous avez aussi tenté d'assassiner mon oncle !

Et vous avez même osé tuer Rika !

ESPÈCE DE MONSTRE !

Keiichi

— Non,

c'est pas moi !

C'est pas moi qui l'ai tuée !

Satoko

— Mais qu'est-ce que vous racontez ?!

Vous me l'avez dit tout à l'heure,

dès que vous souhaitez la mort de quelqu'un,

cette personne meurt !

Keiichi

— Oui, mais…

je l'ai juste pensé, j'ai rien fait de concret !

Satoko

— Eh bien c'est que vous ne vous en souvenez pas, c'est tout !

Satoko

Vous ne savez même pas ce que vous avez fait dimanche soir, et je devrais vous faire confiance ?

Satoko

Vous avez simplement oublié les moments où vous les avez tués, c'est tout !

Satoko

D'ailleurs, je parie que vous mentez... en fait, vous savez très bien ce qu'il s'est passé !

Et d'abord, que signifie cette machette, hein ?

Allez, expliquez-vous donc !

Keiichi

— Eh ben... Euh...

Satoko

— Alors, alors ? Vous faites moins le fier ?

Satoko

Vous les avez tués !

Satoko

Pourquoi, pourquoi ?

Satoko

Vous n'étiez pas toujours sympa, mais... je croyais que vous aviez un bon fond ! Il y a même un soir... il m'est arrivé de penser que vous étiez vraiment comme Totoche...

Satoko

Pourquoi êtes-vous devenu un assassin ?!

... Je pense que j'aurais pu lui expliquer tout si j'avais repris chaque question dans l'ordre et que j'y avais mis le temps nécessaire.

Mais là, dans l'urgence, c'était impossible de prouver mon innocence en quelques secondes.

De toute façon, je suis même pas sûr d'être innocent...

J'ai au moins “tué” son oncle, de toutes manières.

Je n'ai pas son corps sous la main pour le prouver, mais je l'ai tué,

pas de doute là-dessus !

Déjà là, il n'était plus possible de prouver mon innocence.

Quant à Mme Takano, au chef et à Ôishi, j'avais souhaité leur mort,

et ces vœux m'avaient été exaucés.

C'est un peu…

ma malédiction.

... Lorsque j'avais jeté le mauvais sort sur Mme Takano, je n'y avais pas prêté plus attention que cela, ça arrivait à tout le monde de penser ce genre de choses.

Mais lorsque j'ai appris sa mort, je me suis rendu compte de ce pouvoir.

Et j'avais sciemment utilisé ce pouvoir par la suite pour tuer le chef et l'inspecteur Ôishi.

Donc même en écartant la mort de Mme Takano, j'étais responsable des deux autres, c'était prouvable !

Est-ce qu'elle aurait raison ? Suis-je vraiment un meurtrier ?

Est-ce que j'ai fait tous ces meurtres au nom de la déesse, en transe, incapable de discerner le rêve de la réalité ?

Non, je ne pense pas.

— “Ce n'est pas possible”

... RaaaAAH, MEEEERdeeeee !

À Hinamizawa, rien n'est impossible !

Combien de fois j'ai répété ça en trois jours, je devrais le savoir pourtant, merde !

Satoko s'était mise à pleurer, et elle titubait encore, fuyant toujours.

Au début, je pensais qu'elle fuyait réellement, mais maintenant, on aurait dit qu'elle rentrait à la maison en pleurant...

Satoko

— Pourquoi…

Pourquoi tout cela est-il arrivé ?

Pourquoi, pourquoi !

S'il y avait eu une réponse à cette question, j'aurais aimé la connaître, moi aussi.

Comment ?

Comment tout ceci a-t-il pu arriver ?

Satoko

— ... Lorsque Totoche a disparu, je me suis sentie si seule...

mais alors, vous êtes arrivé. Alors, tout le monde a retrouvé le sourire.

Chaque journée est redevenue... si belle... si joyeuse...

Ouais...

C'est vrai...

Chaque jour était auréolé d'une lumière glorieuse.

Et pourtant... maintenant...

Apparemment, Satoko et moi étions sur la même longueur d'ondes.

沙都子

« Comment avons-nous pu en arriver là ? »

Les grillons avaient l'air de se marrer en nous regardant tous les deux.

Mais quelle plaie, ces insectes, qu'ils se taisent !

J'entendis alors le rire de l'eau de la cascade.

La forêt prit fin... et je vis le pont suspendu.

Satoko le traversait en titubant. J'avais peur de la voir tomber...

Lorsque j'arrivai à mon tour sur le pont, il se mit à remuer violemment, ce qui effectivement, la fit tomber à terre...

Keiichi

— Eh, Satoko, ça va ?

Satoko

— Ne vous approchez PAS,

sale MONSTRE !

Satoko hurlait de toutes ses forces, ne cherchant même pas à cacher son dégoût.

J'étais inconsolable.

Si les mots pouvaient infliger des blessures physiques, elle m'aurait déchiqueté. Je ne serais non pas en train de pleurer, mais de saigner.

Satoko

— Pourquoi... Comment tout cela est-il arrivé ?

Quand je pense que vous étiez si gentil…

je vous…

je vous aimais tellement...

J'aurais voulu pouvoir lui donner ma main pour l'aider à se relever.

Mais…

la courte distance qui nous séparait…

était inviolable.

Si je m'approche, Satoko va hurler.

Et elle me jettera d'autres propos blessants au visage.

Je ne peux donc pas m'approcher d'elle plus que cela.

Keiichi

— ... Satoko...

moi non plus, je sais pas comment tout cela a pu arriver.

Mais il y a une chose que je sais.

C'est pas moi qui ai tué Rika.

Je te le jure...

Satoko

— Ne me prenez pas pour une imbécile !

Vous ne savez même pas différencier vos rêves de la réalité ! Vous croyez que je vais faire confiance à quelqu'un qui ne sait même plus ce qu'il a fait la veille ?

... Je serrai les poings, impuissant.

C'était rageant.

Je ne suis pas fou dans ma tête.

C'est ce village qui est devenu fou il y a deux jours.

J'étais là où je n'étais pas, le cadavre est rentré pépère chez lui...

et la mort vous obéit au doigt et à l'œil si vous pensez suffisamment fort à elle ! C'est quoi, ce monde de dingue ?

Mion et Rena parlent bête, comme si elles étaient possédées par je ne sais quel esprit,

et même le chef ne me fait plus confiance !

Et Satoko... celle que je voulais protéger... elle me traitait comme... comme un insecte...

C'était vraiment si terrible que ça de tuer un homme ? Cela justifiait-il vraiment de devoir payer un tel prix ?

Ça méritait vraiment de se retrouver dans un monde aussi anormal ?

J'ai fait quelque chose de bien !

En tout cas, c'était censé être une bonne chose !

Mais pourquoi…

Pourquoi ?

Et moi et Satoko avions cette même obsession, ce même désir de savoir où le monde avait-il trébuché, pourquoi le quotidien était-il devenu fou...

Keiichi

— ... Satoko... Je t'en prie, il faut que tu me croies.

Je suis pas un tueur.

Satoko

— Alors dites-moi ce que vous faites avec cette machette !

Et j'espère pour vous que vous aurez une très bonne explication !

Keiichi

— Tu... tu en as peur ?

Si tu veux, je la jette.

Tu seras en sécurité, comme ça, non ?

Satoko n'acquiesça pas, mais elle resta silencieuse et immobile, apparemment d'accord avec ma proposition...

Je sortis la machette de sa prison, puis la laissai tomber hors du pont, dans la rivière en contrebas.

Keiichi

— ... Ça y est, je l'ai plus.

Tu veux bien m'écouter, maintenant ?

Satoko

— Parce que vous croyez que je vais vous faire confiance, seulement parce que vous avez jeté votre arme ?

Vous savez pertinemment que vous pourriez me tuer à mains nues si l'envie vous en prenait...

Elle croit que je suis là pour la supprimer...

Mais quelle idiote...

Keiichi

— Alors, je fais quoi ?

Tu veux que je mette les deux mains sur la tête ?

Satoko

— ... Pourquoi pas, oui.

Mettez les mains sur la tête et tournez-vous.

... Ça ressemblait à du Satoko tout craché, ça.

Dans cette position, j'aurais beaucoup de mal à lui faire du mal.

Mais bon, si ça peut la rassurer, je ne vais pas faire la fine bouche.

Keiichi

— ... Ça te va ?

Tu m'écoutes, maintenant ?

Satoko

— ... ... ... ...

J'entendis Satoko se relever avec précaution et s'approcher très lentement, dans mon dos.

Elle s'arrêta pile derrière moi.

C'était triste de ne pas avoir le droit de se retourner, alors qu'elle était enfin si proche de moi...

Satoko

— ... Vous savez, mon cher, je sais bien que ce n'est pas votre faute.

Keiichi

— Pardon ?

Satoko

— ... Je suppose que vous n'êtes qu'une victime. Vous êtes possédé par un esprit...

Keiichi

— ... ... ...

Satoko

— ... Je croyais que vous étiez un monstre, mais en fait, je crois que j'ai compris.

C'est quand j'ai vu vos yeux.

Satoko avait les larmes dans la voix, mais elle parlait gentiment.

Satoko

— Vous n'êtes pas du genre à tuer quelqu'un.

Je suppose qu'un esprit maléfique s'est emparé de vous et vous a forcé à le faire.

... Elle dit ça au pied de la lettre ou bien...

Est-ce que c'est une métaphore ?

Satoko

— ... Vous savez...

Peut-être que les autres aussi étaient dans votre cas.

Ce jour-là, j'avais trop peur pour vraiment y réfléchir, étant persuadée qu'ils allaient me supprimer, mais...

Satoko

Aujourd'hui, c'est différent.

Je pense que c'est un esprit maléfique qui les a possédés.

Keiichi

— ... Satoko ?

Mais de quoi tu parles ?

En fait, elle ne me parlait pas vraiment à moi.

C'était plus une sorte de confession qu'elle déclamait toute seule.

Satoko

— ... Je sais ce qu'il se passe...

Je ne suis pas tout à fait innocente non plus, vous savez.

Satoko commençait à sangloter incontrôlablement.

C'était très perturbant, et la rage me faisait tellement bouillir que mon corps me démangeait de partout.

Mais je ne comprenais toujours pas de quoi elle voulait parler.

Satoko

— Il m'est arrivé une fois... de monter sur le toit du temple des reliques sacrées.

C'était il y a plusieurs années maintenant.

Un jour que nous jouions à cache-cache, je me suis cachée sur le toit de ce bâtiment, qui nous était bien sûr strictement interdit.

J'ai trouvé un petit clapet d'aération, dans lequel je me suis faufilée.... et je suis entrée dans ce temple.

Bien sûr, j'avais peur de la malédiction, mais pour être honnête, la curiosité était bien plus forte que la peur...

Défaisant la petite grille au bout du passage, je passai par ce conduit pour sauter dans le temple.

Il y faisait extrêmement sombre, aussi je n'avais pas su quelle hauteur il restait jusqu'au sol avant d'avoir sauté.

Le peu de lumière qui parvenait par l'entrée que j'avais utilisée me permit de voir un peu ce qu'il y avait autour de moi.

À vrai dire, j'avais été très déçue.

J'ai essayé de sortir, mais... la porte était lourde, fermée par un énorme mécanisme. Il était impossible de l'ouvrir de l'intérieur.

Ma seule issue était le conduit par lequel j'étais entrée.

Mais il était trop haut... Je n'arrivais pas à l'atteindre.

Alors, retenant mes larmes, je me suis mise à réfléchir à une méthode pour atteindre le conduit.

Au plafond pendaient de très nombreuses cages, attachées en l'air par des chaînes.

Elles longeaient le mur pour rejoindre un point au plafond, et repartaient de là vers le sol.

En grimpant à ces chaînes, je pensais avoir une chance d'atteindre la sortie.

Je n'avais aucune autre issue, j'étais donc bien obligée de m'y atteler.

Oh, j'étais désespérée, oui.

L'endroit était sombre et terrifiant, je n'avais pas envie d'y passer trop de temps.

Et plus j'y pensais, plus la nervosité me gagnait.

Je me mis à escalader la grappe de chaînes.

À chacun de mes mouvements, un autre objet était pris de bougeotte. Cela faisait beaucoup de bruit.

Puis, enfin, ma main put atteindre le conduit.

C'est exactement à cet instant que le crochet qui retenait les chaînes au mur lâcha prise, ce qui bien sûr eut pour effet de faire tomber de nombreux objets.

Le bruit fut tel que la peur fut suffisante pour me propulser hors du temple.

L'une des chaînes en particulier alla déloger une très grosse cage en cassant plusieurs de ses attaches.

Celle-ci tomba au sol et se fracassa en un vacarme tonitruant.

En fait, elle était tombée sur une statue de la déesse Yashiro et lui avait coupé un bras, puis l'avait fait tomber sur d'autres meubles.

Je ne mis que quelques secondes à me rendre compte de l'énormité de ce que je venais de faire.

Le son avait résonné dans tout le sanctuaire.

Plusieurs enfants étaient venus voir.

Bien sûr, Rika en faisait partie.

Puis son père, le prêtre, était venu en courant, le visage déformé par la colère.

Quant à la suite…

Je dois dire que c'est toujours très éprouvant pour moi de m'en souvenir...

Le prêtre déclara que seule Rika pouvait savoir où était la clef du temple interdit.

Alors il se tourna vers elle et commença à la gronder, disant qu'il savait que c'était elle qui était entrée et avait fait des bêtises.

Il était vraiment... hors de lui.

Rien qu'à le regarder, nous avions tous peur.

Il l'a tournée sur elle et l'a laissée torse nu, puis a pris un bâton de cérémonie, et commença à la frapper dans le dos avec.

À chaque coup, Rika poussait un cri plantif.

“C'est pas moi”…

“J'ai rien fait !”

“Pardon !”

“J'te demande pardon !”

Je l'entends encore s'excuser, parfois, cette scène me hante encore.

Je savais que je devais me dénoncer.

Je savais que j'aurais dû lui dire, pour sauver mon amie si injustement punie, sans avoir peur de son père.

Rika a serré les dents et a encaissé les coups en pleurant, alors qu'elle n'avait rien fait...

C'est à peu près à cette époque que…

le “monde” est devenu complètement fou.

Satoko

— Je sais très bien ce que c'est, vous savez.

C'est la malédiction de la déesse Yashiro.

J'ai souillé le temple des reliques sacrées ce jour-là, et depuis, je dois en subir les conséquences. C'est une punition divine.

Keiichi

— … La malédiction de la déesse Yashiro.

Satoko

— ... Mes parents ont été emportés par la crue.

Ma tante s'est fait assassiner…

et mon frère, mon Totoche, lui que j'aimais par dessus tout en ce bas-monde, lui m'a abandonné lorsqu'il a fait une fugue.

Satoko

Et puis...

Satoko

... Et puis vous êtes arrivé au village, mon cher. Je croyais que les jours heureux étaient revenus pour de bon, mais non…

Cette fois-ci, c'est vous que la déesse a choisi de posséder.

Satoko

Et Rika est morte, sauvagement assassinée...

Satoko

...mmmmmmmgh !!

Vous savez, j'ai entendu le fin mot de l'histoire !

Lorsque la déesse Yashiro a réellement décidé de s'attaquer à quelqu'un, elle ne commence pas par supprimer sa vraie cible.

Satoko

Elle tue d'abord les proches, et ensuite, quand elle vous a fait souffrir, alors seulement, elle vient vous ôter la vie !

C'est pour ça que je sais ce qu'il se passera.

Satoko

Après vous, ce sera sûrement Rena ou Mion...

Et ensuite, enfin, moi…

J'en ai assez de toutes ces morts…

J'en ai assez, vous m'entendez ? ASSEZ !

Keiichi

— Calme-toi, Satoko !

Les malédictions, c'est du flan, ça n'existe pas !

Personne n'est en train de te persécuter, voyons !

Je tentai de me retourner pour la prendre dans mes bras et la rassurer... Mais avec une force inimaginable, elle m'avait poussé dans le dos.

Évidemment, comme j'avais encore les mains sur la tête, je ne pus pas empêcher ma chute, et perdis l'équilibre.

Le pire, c'est qu'elle ne m'avait pas poussé droit devant...

mais du côté... dans la rivière.

C'est pas vrai ? C'est pas VRAI ? NooooOOOOOOoooooooooooooooooon !

... Alors, un dernier miracle se produisit. Le hasard me laissa agripper l'une des cordes du bastingage.

En contrebas... la cascade.

C'était assez haut, et le lit de la rivière était jonché de rochers.

Je sus instantanément que si je tombais, cela n'allait pas être sans douleur pour moi.

Évidemment, à cause de mon poids, le pont se mit à se balancer très fort des côtés.

Mais comme je n'avais pas beaucoup de force dans les doigts, je savais que je ne tiendrais probablement pas une minute...

Keiichi

— ... Satoko !

Satoko !

Je ne savais pas trop pourquoi je criais son nom.

Est-ce que c'était pour dire “Satoko, viens m'aider !”

ou pour dire “Satoko, mais qu'est-ce qu'il t'a pris ?”

Lorsqu'enfin, ma vue se fixa à nouveau, je pus regarder à nouveau dans sa direction.

Mais l'expression démentielle sur son visage m'arrêta tout net.

C'était la première fois que je la voyais dans cet état.

Son visage ressemblait à celui des anges de la mort...

Satoko

— Crève, sale monstre !

Rends-les moi !

Rends-moi Totoche !

Rends-moi Rika, rends-moi ma mère ! Rends-moi Keiichi !

AaaAAaaaAAAH !

Hhhhaaaaaaaaaaaaaa !

Hurlant comme une folle, elle secouait le pont dans tous les sens.

... T'en fais pas, va, je tomberai déjà tout seul...

Satoko

— Je ne te laisserai pas gagner !

Ta malédiction ne me fait pas peur, salope !

Je ne perdrai pas face à toi, tu m'entends ?

Jamais ! Tu me les as tous pris, tous, un à un... Mais tu ne m'auras pas moi !

Keiichi

— Satoko…

...S'il-te-plaît... j'ai une dernière chose à te dire.

Je ne sais pas quelle expression j'avais lorsque je lui adressai la parole.

Mais cela eut suffisamment d'impact pour calmer sa colère.

Keiichi

— ... Je sais que ce que j'ai fait n'est pas très glorieux.

Keiichi

En fait, c'est même bien pire que cela.

Keiichi

Mais tout ce que j'ai fait... je l'ai fait en m'imaginant que cela t'aiderait à retrouver le bonheur.

Keiichi

Je voulais que tu le saches.

Satoko

— Espèce de... espèce d'enflure...

Comment…

oses-tu…

souiller la mémoire de Keiichi en prenant ses traits ! Comment oses-tu ?!

Satoko n'avait plus la moindre envie de m'écouter.

C'était ma toute dernière chance... et j'avais échoué.

Keiichi

— ... Je ne l'ai pas fait pour recevoir tes remerciements.

Je voulais juste que tu sois heureuse.

Tu sais, sans toi, on est foutus.

Si tu n'es pas là pour sourire, nous autres, on ne sait pas comment faire.

Keiichi

Alors... quand je serai mort... promets-moi que tu souriras.

Keiichi

Si ma mort peut te permettre de retrouver une vie plus heureuse... alors promets-moi de toujours avoir le sourire.

Keiichi

... ... Tu peux me le promettre ? S'il-te-plaît ?

Satoko

— Ne parle pas, ordure !

Ne prends pas sa voix ! Tu ne mérites pas d'avoir sa voix !

Tombe ! Tombe dans ce ravin et crève !

CRÈÈÈÈÈVE !

Ce furent les derniers mots qu'elle m'adressa.

J'étais…

dévasté.

Qu'est-ce que j'ai fait ?

J'avais voulu la voir heureuse, et au bout du compte, voilà ce que j'avais récolté.

Où avais-je commis une erreur ?

Quelle avait été cette erreur ?

Quand avais-je commis cette erreur ?

Était-ce moi qui était devenu fou, ou bien était-ce le village ?

Même maintenant, même après tout ça,

je restais persuadé de ne pas être fou.

Je suis sûr que c'est ce monde qui est dingue, celui où j'ai atterri ce soir-là, bien malgré moi.

Le monde duquel je venais était passionnant, il était plein de vie, de surprises, de joie.

Il ne pouvait pas se finir comme ça, j'avais dû passer dans un monde parallèle moins bien à moment ou à un autre...

Je refusais de croire que le monde duquel je venais pouvait se prolonger ainsi et faire en sorte de nous faire nous affronter Satoko et moi, jusqu'à la mort.

Finalement, je finirai englouti par la folie de ce monde perverti…

et je disparaîtrai.

En fait, si ça se trouve, j'ai déjà disparu.

Probablement depuis…

le soir de la purification du coton.

Je parie que dans le monde duquel je viens, j'ai disparu le soir de la purification du coton, et qu'en ce moment là-bas, tout le monde me cherche.

C'est quand même marrant que je ne m'en sois pas rendu compte plus tôt... je suis quand même le premier concerné !

Lors de la cinquième année, la malédiction de la déesse Yashiro frappa l'oncle de Satoko en le tuant, et elle me fit disparaître.

Dans le monde d'où je viens, Satoko est enfin libre.

Mes amis pleureront ma disparition, mais je suis sûr qu'ils essaient de tenir le choc et de surmonter leur douleur.

Et je parie qu'ils jouent à quatre, pendant le club, pour essayer de trouver la force de tourner la page.

Et peut-être espèrent-ils en secret me voir revenir au village un jour...

Je vous demande pardon, les filles.

... Je…

ne vais pas pouvoir retourner auprès de vous.

... Mais après tout, je l'avais voulu.

C'était mon devoir en tant que Totoche officiel, j'avais voulu voir Satoko retrouver le sourire.

Désormais, il n'y a plus personne en ce monde qui te veut du mal.

C'était un miracle que Satoshi et moi avions accompli, sur deux années.

Tu sais…

ça m'aurait fait plaisir de pouvoir une dernière fois admirer ton sourire…

Satoko.

La douleur n'était ni gentille, ni miséricordieuse.

Elle était violente, impitoyable, effrayante, insoutenable.

Ce n'était pas du tout la mort sans douleur que j'avais espérée...

Mais au moins... je pouvais enfin mourir.

C'était ma seule porte de sortie de ce monde de dingue.

Adieu, Hinamizawa.

Merci de m'avoir donné des pouvoirs surnaturels.

... Tiens, d'ailleurs, j'ai un dernier souhait.

Toi qui es perverti et indécent, tu ne mérites plus de vivre. Alors tu sais quoi ? Crève, sale village de merde...

... Comme ça au moins, je suis sûr que plus personne ne viendra plus jamais s'y perdre...