Au début, je croyais que j'étais en train de rêver.

Je regardais une sorte de planche un peu bizarre... très longue et très large.

Il ne se passait rien d'autre.

Elle ne me poursuivait pas, elle ne changeait pas de visage, elle ne se moquait pas de moi, elle ne faisait pas trembler toute la maison...

Et puis le temps a passé... et au bout d'un moment, je me suis enfin rendu compte qu'en fait, c'était la frise au plafond.

Donc en fait, je croyais que j'étais en train de rêver,

mais en réalité, j'avais regardé mon plafond pendant une bonne partie de la nuit.

Le chant des grillons était une invitation au sommeil.

Même après avoir ouvert les yeux le matin, je n'avais aucune envie de me lever.

Tout ce que je voyais était flouté, tout ce que j'entendais avait des sifflements, on aurait cru une chaîne de télé qui serait restée sans programme.

Il fait chaud.

Je crois bien que je vais étouffer, à ce rythme-là.

Je suis trempé de sueur dans le dos, c'est écœurant.

Je peux pas me recoucher là-dessus... je vais me lever.

Alors enfin, le sang se remit à circuler dans ma tête, et tout ce que j'avais fait hier, pendant ce jour si long, me revint en mémoire.

Cela faisait bizarre d'avoir des souvenirs pareils en tête le matin, tranquillement allongé à écouter les grillons au dehors.

J'avais fait les préparations pour assassiner l'oncle de Satoko... je m'étais fait un emploi du temps et j'avais d'abord creusé le trou.

Il avait fait chaud, il me semble. Et puis ç'avait été crevant...

Ensuite, plus en fin d'après-midi, je suis allé à l'école pour lui passer un coup de fil et l'attirer dehors.

Il m'avait foutu les boules quand il avait demandé où était le commissariat, mais bon, finalement ça c'est bien terminé.

Je l'ai attendu... Je l'ai attaqué.

Franchement dit, je ne me souvenais pas dans quel état d'esprit j'étais quand j'ai fait ça.

Ça n'a pas été facile, mais j'ai quand même réussi à faire ce que je voulais.

Ça n'avait pas été de tout repos d'enterrer le corps.

Je crois que je n'oublierai jamais la sensation de la pluie qui me collait partout.

La pluie, la boue, le sang.

C'était exactement comme patauger dans des sables mouvants.

... Puis la rencontre avec Mme Takano. Je pouvais tourner ça dans tous les sens, c'était pas une bonne chose.

C'était la pire chose qu'il m'était arrivée hier soir. Absolument pas prévue, et franchement, pas de bol, quoi.

Si je ne l'avais pas rencontrée hier soir, tout aurait été parfait.

... ... Pfffffffffff...

La seule faute que j'avais faite, c'était d'être rentré sous la pluie, à vélo, en roulant à une main -- l'autre devait tenir la pelle.

Je peux pas croire qu'elle ait fait le rapprochement avec un meurtre rien qu'en voyant ça.

Maintenant que j'avais passé une nuit de sommeil et que j'y réfléchissais plus calmement, ça me paraissait impossible.

Mais plus je reprenais mes souvenirs, et plus je réfléchissais aux regards qu'elle m'avait décochés…

et plus je me rendais compte que si, elle avait dû forcément comprendre.

Elle savait.

Elle avait tout deviné : que j'avais tué quelqu'un,

que je l'avais enterré,

et que je revenais du lieu du crime,

complètement exténué par l'effort.

Cela ne lui rapporterait rien de me dénoncer à la police.

Mais ça ne voulait pas dire qu'elle ne le ferait pas...

Keiichi

— ... Hmmm... J'aurais dû la tuer quand j'en avais l'occasion...

Quand je pense à tout ce que j'avais fait pour retrouver une vie paisible et normale...

Et quand je pense que normalement, c'était aujourd'hui que tout recommençait pour moi !

En fait, je vais maintenant devoir attendre toute ma vie dans la peur de la police...

Je sais que je m'étais fait une entorse, et je sais que j'avais été très fatigué, mais si je m'étais décidé à temps, tout cela ne serait pas arrivé, merde !

Plus le temps passe, et plus je le regrette...

C'est pas de ta faute, Keiichi.

Tu pouvais rien y faire sur le moment.

T'étais fatigué.

T'étais plus en état de tenir debout.

Même si tu t'étais décidé à le faire, je pense pas que tu aies pu réussir.

Qui sait ? C'est peut-être elle qui t'aurait fait la peau.

D'ailleurs, sois content qu'elle soit partie sans faire trop d'histoires.

Et puis même si elle est intelligente, sans preuve elle ne peut rien faire.

Elle peut me soupçonner tant qu'elle veut, sans preuve, cela ne lui sert à rien...

Keiichi

— ... ... Ouais, je sais, je sais tout ça.

Mais ça ne veut pas dire que je n'ai aucun souci à me faire...

Bon écoute, le passé, c'est le passé.

Te bile plus dessus maintenant.

Tu devrais pas avoir le sourire, plutôt ?

Tu as fait tout ça pour pouvoir redémarrer dans la vie à partir d'aujourd'hui, non ?

Alors sois content de voir une nouvelle journée se lever.

Si les souvenirs sont trop douloureux, tu n'auras qu'à oublier.

Tu l'as dit hier, pourtant ?

“J'enterre le corps et je fais comme si rien ne s'était jamais passé”. Non ?

Ton vœu s'est exaucé, gamin.

Tout ce qu'il s'est passé jusqu'à hier ne s'est jamais passé.

Alors ? Réjouis-toi, Keiichi !

Keiichi

— ... ... ... Suuuuupeeer....

Je levai mollement les deux bras en l'air, en une pause... triomphante, j'imagine.

J'avais plus l'air ridicule qu'autre chose, à vrai dire.

Je poussai un long soupir, qui venait vraiment du fond de mes tripes.

Et grâce à ça, mes poumons reprirent enfin leur fonction normale.

Comme si j'avais cessé de respirer tout ce temps.

Je n'avais pas à essayer de me remonter le moral.

Les dés du destins étaient jetés.

Et le résultat n'était pas mauvais.

Si ce n'était pas suffisant, alors tant pis, j'abandonnerai.

J'éventai mon pull de pyjama.

La petite brise qui me passa sur le corps me fit beaucoup de bien.

Bon.

Le passé, on oublie.

Y a rien eu.

Nix, nada, que de chie.

On oublie tout.

C'était un rêve !

Il est quelle heure, là ? ... Presque midi, non ?

C'est un peu bête de se lever maintenant pour aller à l'école...

Mais en même temps, il faut que j'y aille.

Aller à l'école, c'est le début d'une bonne journée bien ordinaire.

Je dois aller à l'école, maintenant !

Il me faut reprendre un rythme normal, une vie normale, même.

Mon corps se fit beaucoup plus léger et souple.

Je me roulai sur le dos, puis lançai mes pieds et mes genoux en avant. Et un relevé acrobatique réussi, un !

Keiichi

— Haha, les juges sont emmerdés, ils peuvent pas mettre plus que 10.0 !

Le torse bombé comme un athlète de gym, je respirai profondément.

L'air était sec et tiède, il grattait un peu les narines -- c'était l'air chaud de l'été, pas celui du matin.

Une fois descendu à l'étage, le juge des enfers, ma mère, m'attendait pour le jugement dernier. Elle me demanda où j'avais traîné la veille, quand est-ce que j'étais rentré, pourquoi je n'avais pas appelé pour dire que je ne mangeais pas, et ce que j'avais à dire avant de mourir.

Sauf qu'aujourd'hui, son sermon m'était tout à fait égal.

D'ailleurs, j'étais bien content d'en prendre un, cela me rappelait mon lot quotidien habituel.

Le sourire aux lèvres, j'évitai ses questions et sortis. Le soleil était déjà haut dans le ciel.

La pause midi serait bientôt finie.

Je suppose qu'elles se font toutes du souci pour moi.

Après tout, je ne suis pas allé à la fête, et ce matin, pas à l'école non plus.

... Hmm, en fait, elles ne se font probablement pas de bile pour moi, non.

Normalement, Satoko doit leur avoir annoncé une nouvelle très encourageante.

Je parie qu'elle leur a dit que son oncle n'était pas revenu hier soir.

Je parie qu'elle va passer les prochains jours à vraiment flipper, angoissée à l'idée qu'il puisse revenir à n'importe quel moment.

Mais ces jours prendront bien fin un jour ou l'autre.

Un jour, elle finira par se rendre compte qu'il ne reviendrait plus jamais.

Alors je suis sûr que Rika l'invitera à venir chez elle.

Elle lui proposerai forcément…

Et alors, tout redeviendra comme avant.

Tout sera comme s'il n'était jamais revenu.

Lorsqu'elle nous montrera à nouveau son sourire magnifique, celui qui découvre un peu ses dents, ses pièges deviendront de plus en plus raffinés et sophistiqués.

Je parie que je serai sa cible privilégiée et que je ne les verrai jamais venir, mais je ne m'énerverai probablement pas.

Je pense même que cela me fera plaisir de la voir revenue à la normale elle aussi.

Je suppose que quand elle grandira, elle deviendra l'une de ces filles qui se mêlent de tout mais qui vous mâchent le travail.

En plus, elle a déjà découvert que j'étais un parfait empoté.

Je ne pourrai plus jamais faire le fanfaron devant elle...

Mais ce genre de scènes ne seraient pas désagréables.

Le cœur léger, je n'avais aucune appréhension à l'idée d'arriver tellement en retard à l'école.

C'était même le contraire, j'avais hâte d'y être.

Mais justement à cause de ça, je voulais en profiter, je voulais savourer ce moment. C'est pourquoi je n'étais pas en train de courir.

Ce monde était le mien, c'était moi qui l'avait “débloqué”, si l'on peut dire, à la force de mes mains.

C'était un sentiment de satisfaction immense que de simplement marcher librement sous le ciel bleu.

Oui, c'est moi qui avait forcé ce monde à exister, en quelque sorte.

Si je n'avais pas agi hier, si je n'avais pas gagné grâce à cette mission effectuée avec succès, je ne serais pas là à marcher avec insouciance.

Enfin, je vis les grilles de l'école.

Juste à cet instant, j'entendis le Directeur agiter sa cloche pour nous indiquer la fin de la pause de midi.

Elle faisait un bruit sec et épuré.

Fermant les yeux, je m'arrêtai tout net pour le savourer.

crr.

Je restai parfaitement silencieux et immobile.

... Il y a eu un bruit de pas en trop, là.

........................

Tout le bonheur que j'avais ressenti ce matin s'enfuit, sortant par chaque pore de ma peau.

Et à la place, des milliers d'insectes noirs s'approchèrent de moi et me recouvrirent, montant par mes pieds.

Bien sûr, j'eus beau me retourner, il n'y avait personne derrière moi.

Évidemment, je ne mis pas longtemps à me rendre compte que j'avais sûrement imaginé ce bruit de pas.

Mais bizarrement... je trouvai que c'était un signe de mauvais augure.

Hier soir, quand Mme Takano était partie, j'avais aussi entendu des bruits de pas “en trop”.

Comme la soirée avait été complètement folle, je ne m'étais pas trop penché sur la question hier.

Après toute cette fatigue et cette guerre des nerfs, il n'était pas étonnant d'avoir les oreilles qui vous jouent des tours.

Mais si vous les entendez même à jeûn ?

Même frais et dispo ?

Ça ne peut vouloir dire…

qu'une seule chose...

Ce n'est pas encore terminé.

La nuit d'hier n'a pas pris fin.

Cette nuit de folie et d'enfer va se poursuivre,

encore et encore, indéfiniment.

Ça n'avait été qu'un bruit de pas, mais il avait une résonnance particulière.

Pour moi qui croyais qu'aujourd'hui et hier ne faisaient pas partie du même monde,

ce bruit de pas était moqueur...

Les autres élèves se retirèrent de la cour, comme la mer se retire à la marée basse.

C'était comme si le mirage d'une vie tranquille s'était évanoui juste au moment où j'arrivais à l'école, et franchement, je n'aimais pas ça.

À l'entrée du bâtiment, je regardai les boîtes à chaussures des élèves.

Satoko Hôjô…

présente !

Mion est là aussi.

Rena aussi.

Rika aussi.

Tomita aussi, Okamura aussi.

Il ne manque personne. Enfin, personne... à part moi.

Enlevant mes chaussures, je pris la dernière paire de pantoufles de leur casier.

Il n'en restait plus, normalement.

Enfin, le meuble à chaussure avait repris son apparence habituelle.

Alors que je m'apprêtai à partir, je me rendis compte qu'en fait, il restait encore une paire.

... Mais à qui peut-elle être ?

Keiichi

— ... Satoshi

Hôjô...

Bien sûr... il n'est plus venu à l'école depuis sa disparition l'année dernière.

On a fait les mêmes choses pour les mêmes raisons, mais seulement jusqu'à hier.

Tu n'as pas pu reprendre l'école, alors que moi, si.

Je n'ai pas fait la même erreur que toi.

Oh, je ne veux pas me montrer supérieur ou suffisant à ton égard, hein.

Je me sens d'ailleurs très proche de toi, curieusement.

Je ne t'ai jamais rencontré, et pourtant nous avions plus ou moins partagé le même destin…

forcément, ça crée des liens.

Poursuivant ma route dans le couloir, je me dirigeai vers la salle de classe.

Franchement, j'avais l'impression de ne pas être revenu ici depuis des lustres, un an peut-être...

... Eh !

Keiichi, tu as oublié ?

... Satoshi Hôjô n'a pas disparu le soir de la purification du coton, je te rappelle.

Keiichi

— ... ... ... ... ... ...

Satoshi a disparu quelques jours après la fête.

Il a disparu le jour de l'anniversaire de Satoko.

Je ne sais pas trop quand c'est, son anniversaire,

mais tant que je ne l'aurai pas fêté, je ne pourrai pas dire que j'ai évité le même sort que Satoshi.

... Je suis toujours en train de vivre cette nuit folle.

La maîtresse n'était pas encore dans la salle de classe.

Comme ce n'était pas la bonne porte qui s'ouvrit lorsque je voulus entrer, tous les élèves se retournèrent d'un seul coup.

Regardez-les moi, tous à me regarder les yeux ronds, comme des idiots.

Allez,

on va leur dire bonjour, quand même...

Keiichi

— Bonjour, soldats !

Vous êtes à votre poste avant moi, je vous félicite !

Éhhéhhéhhéhhé !

Il y eut un grand moment de silence et de solitude.

Bon, ben je crois que j'ai pris un vent de compétition, là. Mais soudain, la classe entière explosa de rire.

Mion

— AAhahahahaHAHAhahaha !

Salut, p'tit gars.

Eh ben alors, t'as la forme à ce que je vois !

Rena

— On dirait bien, oui !

Tu ne t'es toujours pas remis de la fête, hier soir, Keiichi ? Hau !

Leur voix joyeuses me firent vite comprendre que j'étais ridicule à broyer du noir en pensant à Satoshi.

Keiichi

— Oh là, les enfants... La fête d'hier soir ? J'y suis--

... J'y suis même pas allé. C'est ça que je voulais dire.

Mais Rika fut plus rapide que moi.

Rika

— Alors, tu as vu la cérémonie ? Comment tu m'as trouvée ?

Rena

— Oh que oui,

il t'a vue !

Il a applaudi comme un demeuré, tu ne l'as pas remarqué, Rika ?

Mion

— Ma conne de sœur est venue lui faire du charme, si tu avais vu le rateau qu'il lui a mis !

Ahahahaha, aaaah,

tu aurais dû voir sa tête !

Ah, j'en rigole encore,

Mion me tapa de grands coups dans le dos, du plat de la main, rigolant comme une folle.

Tomita

— Et alors, ce concours à la carabine, finalement ?

Tomita se retourna vers moi et m'interpela.

Il n'y avait personne derrière moi, donc forcément, c'était à moi qu'il parlait…

Mais pourquoi ?

Rika

— Ah, finalement c'est Tomitake qui a perdu.

On lui a donné un gage, c'était très rigolo.

Mion

— Ahahahaha !

Aaaah oui, et pourtant, c'est toi qui était dernière, Rika !

Mion

Ton petit numéro pour obtenir le chewing-gum… On sent que tu ne fais pas partie de ce club pour rien !

C'était franchement quelque chose !

— Oh ça oui, il n'y a que Furude pour se mettre à miauler de désespoir, c'est la seule à savoir le faire comme ça !

Okamura me décocha un regard un peu fier.

Attendant ma réponse.

Tout le monde rigola, si quelqu'un d'autre que Rika en avait fait de même c'était la disqualification assurée.

Rika me regardait en souriant, toute fière.

Rena aussi me regardait.

Elle souriait, elle rougissait, même ?

Elle s'approcha de moi et me dit à voix basse, en secret :

Rena

— Franchement, merci,

Keiichi.

Keiichi

— ... ... Merci pour quoi ?

Rena

— Cet ours en peluche, il est énorme !

J'étais vraiment super contente, ça m'a fait super plaisir comme cadeau.

Je l'ai mis juste à côté de mon oreiller.

Je lui ai même roulé un patin avant de dormir !

Hauuuu☆!

En entendant ça, les autres se mirent à rire de plus belle, sifflant même parfois.

Depuis tout à l'heure…

j'ai l'impression qu'il y a un problème…

Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Keiichi

— ... De quoi ?

Quelle peluche ?

Rena

— Comment ça, quelle peluche ?

Mais hier, à la fête ? On l'a eue au tir à la carabine !

Le gros ours en peluche !

Rena

… Le gros ...

ours en peluche ?

Rena n'avait pas l'air de comprendre, mais elle souriait toujours.

Rena

— Il ne tombait pas, alors nous avons visé un peu partout, sur la tête, en rafale...

Rena

Et là, tu es venu et tu as préparé trois carabines pour tirer encore plus vite !

Tu as été magnifique, j'ai trouvé ! Hauuu !

Mais putain,

mais ?

Mion

— Après la fête, quand tout le monde a eu bu un coup, les organisateurs ne tarissaient plus d'éloges sur toi, mon p'tit gars.

Mion

Il y en a même un qui a dit qu'il était tombé amoureux de toi en t'écoutant parler ! C'était pas le chef du club d'activités pour les enfants, d'ailleurs ? Il me semble que c'était Tokuzô Kimiyoshi.

Mion

Il a insisté pour qu'on t'engage sur les stands l'année prochaine !

Rika

— Tokuzô est le chef responsable des stands, c'est l'une des personnes les plus importantes du comité !

— Ah, ce Maebara, il sait vous donner envie !

— Oh que oui, quand on l'écoute, ce qu'il décrit a l'air bien mieux que ce que c'est en réalité !

— Ahahahaha, mais voyons, faut pas dire ça, c'est un secret !

Aahahahahahaha !

Rena

— Tu as vraiment le sens de la vente !

Je parie que tu pourrais vendre des bananes et provoquer des ruptures de stocks !

Keiichi

— ... De quoi vous parlez depuis tout à l'heure ?

Je veux dire, je...

Je suis même pas allé à la fête.

C'était pas si compliqué à dire, mais les mots ne voulaient pas sortir.

Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait, mais…

apparemment, à Hinamizawa,

il s'était passé quelque chose.

Hier soir, lors de la fête de la purification, tout le monde avait vu arriver un certain “Keiichi Maebara”.

Il s'est amusé avec ses amies, comme d'habitude, en faisant la tournée des stands.

Il a mangé des beignets de poulpe, il a mangé des galettes farcies, il a fait un boxon pas croyable à certains stands en faisant des dégustations et des critiques en direct.

Puis il a découvert un stand de tir avec une énorme peluche à gagner, alors tout le monde avait essayé de la faire tomber.

Alors il avait demandé plusieurs carabines pour pouvoir les préparer toutes en même temps,

et il les avait tirées presque en même temps !

Et c'est comme ça qu'il avait eu la peluche.

Et après l'avoir gagnée, il l'a portée comme un trophée et l'a donnée à Rena.

Et alors Rika avait dû partir pour faire la danse rituelle et la cérémonie.

Nous nous étions séparés dans la foule, il y avait eu trop de monde, mais nous avions tous pu encourager Rika.

Shion était venue me voir pour m'entraîner dans les sous-bois,

mais j'avais refusé son invitation

et j'avais regardé la cérémonie jusqu'au bout.

Enfin, je dis “je”, mais c'était pas moi.

Mais alors, c'était qui ?

Mais inlassablement,

les autres me disaient que c'était bel et bien “Keiichi Maebara” qui avait fait tout ça à la fête hier.

J'avais envie de leur gueuler dessus.

Envie de leur hurler que ça n'allait pas la tête, et qu'ils racontaient des conneries depuis tout à l'heure.

Mais à vrai dire, ma colère n'était rien en comparaison de la peur qui me remontait dans le dos.

Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait, le présent ne collait pas avec mes souvenirs.

Il y avait eu un deuxième “Keiichi Maebara” à Hinamizawa hier.

Et pendant que moi, le vrai Keiichi,

je m'étais transformé en démon

pour pouvoir chasser ma proie et tuer l'oncle de Satoko,

l'autre avait pris ma place et s'était amusé avec mes amis, au sanctuaire.

Mais…

Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, oh ?

Je me suis fait tellement de mal,

j'ai dû endurer des moments si terribles,

j'ai dû me tuer à la tâche sous la pluie,

creuser ce maudit trou, courir après l'oncle, le tabasser !

Le tirer jusqu'au trou, l'enterrer...

Et elles veulent me faire croire que pendant ce temps, elles se marraient comme des folles à la fête avec “Keiichi Maebara” ? Avec QUEL “Keiichi Maebara”, bordel de merde ?

Qui a osé me remplacer ? Qui a osé me laisser me démerder tout seul pour obtenir cette journée de triomphe, belle comme un joyau, et prendre ma place !?

Si c'est pas moi Keiichi, s'il y en a un deuxième pour prendre ma place, alors je suis qui ?

... Je suis peut-être simplement... le démon qui exécute la volonté de la déesse Yashito... celui qui met en place la malédiction. Celui qui tue un pelé et en fait disparaître un autre.

Abasourdi, j'eus soudain une vision terrifiante. Je regardai dans la salle.

Il n'y a personne que je connais pas ?

Est-ce que je ne suis pas deux fois dans la classe, par hasard ?

Est-ce que le vrai “Keiichi Maebara” se serait pas levé à l'heure et venu depuis un moment ?

Mais alors, si moi je ne suis plus “Keiichi Maebara”... qu'est-ce que je fous à l'école aussi tard ?

Non, j'avais beau regarder et revérifier, il n'y avait que des têtes connues.

Il n'y avait personne qui possédait les traits du jeune garçon que je voyais dans le miroir tous les matins.

Il n'y a qu'un seul Keiichi Maebara dans cette pièce.

Cie

— Allez !

Les cours reprennent !

Asseyez-vous tous.

Déléguée, c'est à vous !

Tous les élèves se précipitèrent à leur place.

La maîtresse me vit et me passa un savon, mais à dire vrai, je n'entendis pas un mot de ce qu'elle me racontait.

J'étais pas censé retrouver une vie normale aujourd'hui ?

Il y a un truc qui cloche. C'est bizarre.

C'est pas normal !

J'étais censé laisser le monde d'hier pour entrer dans un nouveau monde aujourd'hui…

mais là, du coup, ni mon train-train habituel, ni les événements de la veille n'étaient ceux auxquels je m'attendais.

En fait,

j'avais donc littéralement débarqué dans un nouveau monde.

... C'est pas possible, ça n'existe pas dans la réalité, ça ne se peut pas !

Et pourtant... c'était la seule explication qui donnait du sens.

J'étais entouré de visages connus, et pourtant je me sentais bien seul en classe.

Les cris des grillons étaient sûrement les mêmes que d'habitude, mais aujourd'hui, je trouvais qu'ils sonnaient creux.

L'air aussi était différent, il m'irritait les yeux, le nez et la bouche...

Keiichi

— ... Eh, Rena.

Rena

— Quoi ?

On est en cours, je te signale.

Keiichi

— Je… À propos de la fête.

Quand est-ce que je vous ai rejointes, moi, hier ?

Rena

— Pardon ?

Ben en fait, après, je me suis un peu laissé emporter, j'ai bu de la bière, alors je ne me souviens pas de tout.

Purée, j'ai de l'imagination quand il le faut, c'est pratique...

Il me fallait une excuse... allez, un peu d'imagination !

Rena

— Keiichi, tu avais dit que tu ne pouvais pas venir au début, non ?

Tu as téléphoné à Mion pour lui dire.

Oui, jusque-là tout va bien.

J'ai effectivement appelé Mion pour lui dire d'aller appeler Satoko car je ne pourrais pas venir.

Rena

— Mais tu sais, nous avions décidé d'emmener Satoko avec nous déjà la veille, quand nous avions préparé les stands.

Il fallait l'éloigner de son oncle, même si c'était seulement pour quelques heures.

Oui, ça aussi ça colle.

Mion m'avait dit la même chose pendant mon coup de fil.

Elle en avait parlé avec tout le monde pendant les préparatifs.

Rena

— Alors nous sommes allées ensemble chercher Satoko.

D'ailleurs, son oncle avait pas l'air commode.

Je m'en tape de ça...

Moi, ce que je veux savoir...

Keiichi

— QUAND est-ce que je vous ai rejointes ?

Rena

— Ma parole, mais tu as tout oublié ou quoi ?

Keiichi, c'est pour ça que je t'avais dit de bien dormir la veille du festival…

Keiichi

— ON S'EN TAPE !

QUAND EST-CE QUE JE VOUS AI REJOINTES, PUTAIN ?

Rena

— Euh... Oh... hmmm...

Pas étonnant de la voir hésiter, je lui avais crié dessus en faisant attention de rester trois octaves dans les graves...

Je suis en train de m'énerver, ça ne me mènera à rien.

Je m'excusais.

Mion

— On s'est vus sur la place du sanctuaire.

Tu es venu sans prévenir,

tu discutais avec Rika.

Rena

— Oui.

Elle était déjà en habit de prêtresse, et tu lui parlais.

Je suis venue vous dire bonjour, et j'ai essayé de prendre Rika sous le bras et de me tailler à la maison !

Keiichi

— Ah bon... je discutais avec Rika, alors...

Mion

— Je croyais que t'avais un truc à faire, mais quand je t'ai demandé,

tu as bombé le torse en disant

que tu préférais venir t'amuser avec nous !

Non, je ne l'avais pas dit.

Non, c'était sûr et certain, je n'avais jamais dit ça.

Et puis d'abord, je me suis pas approché du sanctuaire hier soir.

J'avais pas le temps de faire un détour, j'avais eu franchement autre chose à faire.

Je me suis levé et direct, j'ai été creuser le trou.

Ça m'a pris pas mal de temps.

Je me suis introduit dans l'école en secret, et j'ai appelé l'autre idiot au téléphone.

Puis je suis allé me cacher pour l'attendre.

Et puis il s'est mis à pleuvoir très fort.

Avec un temps pareil, la fête a sûrement été annulée.

Donc la fête s'est finie quand il a commencé à pleuvoir.

Donc du matin au soir, pendant toute la durée de la fête...

J'ai pas eu une seule seconde de temps libre pour me rendre au temple.

Lorsque Mion a ramené Satoko à la fête, j'y étais déjà et je discutais avec Rika.

Mais alors... où est-ce que j'ai rencontré Rika ?

La maîtresse s'excusa pour aller aux toilettes. Saisissant ma chance, j'allai près de Rika et lui posai la question.

Rika

— Où nous sommes-nous vus ?

Keiichi

— Ouais.

Il paraît que je te parlais avant l'arrivée de Mion et des autres.

Alors, où est-ce qu'on s'est croisé ?

Où et quand ?

Rika

— Je ne comprends pas bien ce que vous voulez savoir.

Keiichi

— J'ai pas vraiment assez dormi cette nuit, j'ai la tête dans le brouillard…

Je ne sais plus du tout quand est-ce que je suis allé à la fête hier...

… Ahahah…

Rika n'eut pas l'air de douter de ma sincérité.

Rika

— Je vous ai vu lorsque le maire est sorti de la salle municipale.

Vous étiez devant la porte du temple des reliques sacrées.

Keiichi

— Quoi ?

Le quoi ?

Il y a un temple pour les reliques sacrées ?

Le nom du bâtiment ne me disait rien.

Quoique... j'en ai entendu parler, mais alors où c'était dans les terres appartenant au sanctuaire, aucune idée...

Rika

— Le maire vous a pourtant grondé hier, il a dit que c'était un endroit pur et sacré et que vous n'aviez rien à y faire !

Vous avez même oublié tout ça ?

Pour être honnête, je commençais à avoir peur de poser plus de questions.

Plus je cherchais à en savoir,

et plus j'avais de preuves que oui, sans aucun doute possible,

“Keiichi Maebara” s'était bel et bien rendu au sanctuaire hier soir pour profiter des festivités du village.

Et plus j'accumulais les preuves...

Plus j'avais peur de découvrir qui m'avait remplacé la veille.

Il a pu passer toute la journée avec mes amis en donnant le change et sans éveiller le moindre doute sur son identité.

Mais d'ailleurs…

Quand est-ce qu'il est parti ?

Ma mère m'a engueulé ce matin en me demandant à quelle heure j'étais rentré la veille.

Donc ce “Keiichi Maebara” n'est pas rentré chez moi, en tout cas pas tant que ma mère était réveillée.

Je suis sûr que la fête a été annulée quand il s'est mis à pleuvoir.

Il me semble bien qu'il était plus de 19h quand je suis rentré pour prendre notre deuxième pelle.

Il pleuvait déjà fort à cette heure-là... donc la fête a dû finir avant 19h.

Si l'autre “Keiichi Maebara” est rentré à cette heure-là, il a dû forcément voir mes parents.

En tout cas, il n'aurait aucune raison de se faire engueuler par ma mère. Elle n'aurait pas demandé à quelle heure je suis rentré.

Mais alors…

Il n'est pas rentré ?

Il a plu. La fête a été annulée. Ils se sont séparés.

Mais il n'est pas rentré à la maison.

... Mais alors... Ça veut dire quoi ?

Lorsque mes pensées firent le reste des déductions logiques qu'il me restait à faire,

une peur glaciale se mit à remonter la colonne vertébrale, attaquant mon cerveau.

“Keiichi Maebara”

a subi le même sort

que Satoshi.

Un jour, il n'est pas rentré chez lui.

Depuis le soir de la purification du coton, il n'est pas rentré chez lui.

Lorsque la fête a été annulée à cause de la pluie... il s'est mis à rentrer chez lui... et il a disparu en chemin.

Et alors, moi, après avoir caché le corps, je suis rentré.

J'étais tellement fatigué que je n'avais pas eu faim. Je suis monté dans ma chambre sans faire de bruit, je me suis couché, et je me suis endormi...

Mais alors, je suis qui ?

Attends, restons logique.

Je suis Keiichi Maebara,

c'est moi, quoi.

C'est pas parce qu'il y a un autre “Keiichi Maebara” dans ce monde qu'automatiquement, je perds mon identité.

Mais du coup... l'autre “Keiichi Maebara”... Il est où ?

Les cris des grillons commençaient sérieusement à me taper sur les nerfs.

Tournant la tête, je vis Satoko.

Elle avait bien grise mine, la pauvre. Je voyais bien qu'elle était exténuée et qu'elle ne supportait plus la vie avec son oncle.

... Je me demande quelle soirée elle a passée.

La fête avait été de courte durée, mais au moins elle avait pu s'amuser avec ses amies, non ?

Puis elle est rentrée chez elle.

Fini de rêver.

Elle avait dû se coucher en tremblant de peur, attendant le retour de son oncle.

Puis le soleil s'était levé.

L'oncle n'était pas rentré.

Puis elle était partie pour l'école.

Je parie qu'elle est terrorisée en se disant que quand elle rentrera de l'école, il sera sûrement là lui aussi.

T'inquiète pas, Satoko.

Ton oncle ne rentrera plus jamais à la maison.

Je ne peux pas t'avouer pourquoi, mais je te le promets, je l'ai tué de mes propres mains, il ne rentrera plus jamais.

Lorsqu'elle comprendra cela, elle pourra enfin en finir avec ce cauchemar.

Oui.

J'ai rien fait de mal, en fait.

En tant que son Totoche, j'ai même fait la meilleure chose possible et imaginable.

Je ne le regrette absolument pas.

Et puis...

Réfléchi deux secondes, Keiichi.

Ça peut être pratique d'avoir un deuxième “Keiichi Maebara” sous la main.

J'ai enterré le corps comme il le fallait.

L'histoire n'éclatera jamais au grand jour.

Mais au pire des cas, si le hasard devais mal faire les choses, si les policiers devaient me soupçonner...

Eh bien, il m'aura déjà fourni un alibi en béton, puisque lui s'était fait voir et remarquer à la fête !

C'était une présence qui me faisait peur, mais si elle me donne un alibi, alors autant l'accepter...

Mais même si j'arrivais à prouver que je n'étais pas allé à la fête hier soir, cela ne me serait d'aucune utilité, bien au contraire !

... Ça me fait super flipper d'en arriver là, mais il valait mieux ne pas faire trop d'histoires et accepter les faits.

De toute façon, tu l'as dit toi-même, Keiichi.

Tu dois oublier tout ce qu'il s'est passé jusqu'à hier.

Alors oublie le “Keiichi Maebara” qui a existé jusque-là.

Et fais bien attention à Satoko. Observe-la et attends le jour où enfin, son sourire renaîtra.

Le jour où enfin,

la folie interminable de cette nuit d'horreur pourra enfin prendre fin...

Cie

— Bon, eh bien, ce sera tout pour aujourd'hui.

Allez les enfants, rentrez tous bien à la maison, ne faites pas de détours en route !

Déléguée, c'est à vous.

Mion

— Ga~~rde à vous !

Saluez !

— Au revoir maîtreeeeeeesse !

Finalement, j'avais été tellement absorbé par mes pensées que je n'avais pas vu le temps passer.

Les autres élèves ramassèrent leurs affaires et se mirent à courir pour partir.

Mion, Rena et Rika aussi préparaient leurs affaires.

Et Satoko ?

Elle était toujours aussi mal à l'aise.

Hmm, c'est vrai qu'elle ne sait pas encore que son oncle ne reviendra jamais.

Je voudrais lui dire, mais je ne peux pas..

Satoko jeta ses affaires dans son cartable, sans y prêter grande attention. Puis, regardant la pendule avec des yeux vides, elle poussa un long soupir.

Puis elle fit mine de partir.

Sans y réfléchir, je l'arrêtai d'une main sur l'épaule.

Satoko

— ... Qu'est-ce qu'il y a ?

J'ai arrosé les plantes et j'ai donné les photocopies.

Ça me faisait mal de la voir comme ça, elle se sentait persécutée...

Je parlai alors d'une voix forte, pour que les autres l'entendent aussi.

Keiichi

— Eh les filles !

Ça vous tente pas de jouer, aujourd'hui ?

Ça fait un bail !

Depuis que Satoko devait s'occuper de son oncle, nous n'avions pas joué une seule fois.

Alors que nos jeux, c'était l'essence-même de notre bonheur quotidien.

J'avais envie de faire comprendre à Satoko que tout était fini, qu'elle pouvait oublier les jours noirs qu'elle venait de vivre.

Rena

— Euh…

Oui, je veux bien.

Rika

— ... Mii ?

Mion

— Ben... euh... ouais,

ça me dérange pas,

mais, seulement si Satoko peut.

Si Satoko peut.

C'était parfait !

Satoko, se voyant cette responsabilité imposée sur les épaules, eut l'air vraiment mal à l'aise.

Keiichi

— Allez quoi, Satoko, ça fait si longtemps !

C'est parti !

Satoko

— Écoutez, c'est gentil de penser à moi, mais...

Je savais ce qu'elle voulait dire, même si elle ne termina pas sa phrase.

Elle a peur qu'il soit rentré.

Keiichi

— Toi aussi, tu vis pas des moments faciles en ce moment, non ?

Alors détends-toi un peu, joue avec nous !

Il faut savoir se changer les idées !

Satoko

— ... Cessez de m'importuner, à l'avenir.

Moi aussi, j'aimerais jouer de temps en temps, je vous signale. Mais...

Mais.

Elle baissa la tête, silencieuse.

Keiichi

— Tu dois pourtant bien te rendre compte que ce serait mieux de jouer tous ensemble, non ?

On est tous amis, quoi !

On est obligés de passer notre temps ensemble !

Keiichi

Tu t'es pourtant bien marrée hier à la fête, non ?

Rena poussa un petit cri, mais trop tard.

Satoko

— ... Keiichi, mais de quoi parlez-vous ?

Satoko prit mon bras, lentement, et le rejeta loin de son épaule.

Satoko

— Moi, m'amuser à la fête du village ? Où, quand ?

Vous êtes le seul à vous être amusé hier soir !

Keiichi

— ... Hein ?

Je me retournai vers Mion, sans comprendre.

Les filles baissaient toutes la tête.

J'eus une révélation.

Satoko... n'était pas allée à la fête, hier soir.

Mais pourtant, Rena m'a dit tout à l'heure que...

Qu'elle avait été chercher Satoko avec Mion !

Rena

— ... Oui, mais elle est rentrée.

Elle n'est pas allée au sanctuaire.

Keiichi

— Quoi ? Mais comment ? Pourquoi !?

À bien y réfléchir, c'était fou de parler de ça juste devant elle.

Mion

— Elle a dit qu'elle ne pouvait pas y aller, juste alors que nous étions au pied des escaliers.

Elle a dit que son oncle l'attendait à la maison.

Rena

— Nous avons essayé de l'empêcher de rentrer.

Nous lui avons dit qu'il avait donné sa permission, mais...

Satoko était en train de pleurer.

Elle avait tellement peur de lui

qu'elle n'avait pas voulu montrer sa souffrance, même pour un seul soir.

Elle avait préféré rentrer...

Non, en fait, elle avait peur de s'amuser avec ses amis,

c'était encore pire.

Satoko

— Je vous envie, mon cher.

Vous vous êtes amusé toute la soirée.

Il paraît que vous avez été très en vue ?

C'est bien pour vous, ça.

Satoko se mit à rire nerveusement, tout en pleurant.

Satoko

— Il faut que je m'occupe de mon oncle.

Je ne suis pas dans votre cas, je n'ai pas des parents qui s'occupent de tout. Je ne peux pas me la couler douce !

Keiichi

— ... Satoko...

Satoko

— C'est bien, vous vous êtes bien amusé !

Vous avez rigolé suffisamment pour moi aussi, je suppose ?

Satoko

Moi aussi, j'avais envie de m'amuser, je vous signale !

Moi aussi, j'avais envie de courir partout, j'y ai pensé toute l'année !

Mais aujourd'hui, je ne peux plus ! Je ne peux plus !

Elle pleurait maintenant à chaudes larmes, incapable de maîtriser ses émotions.

Malgré toutes les difficultés qu'elles avaient subies, elle refusait encore de reconnaître que c'était dur pour elle.

Ah, ça, elle était têtue et obstinée...

Mais ces jours difficiles étaient terminés, c'était du passé tout ça !

Elle n'avait plus à tout supporter, à prendre tout sur elle !

Elle pouvait tout oublier ! Elle avait le droit de rire !

Cela me rendait malade de ne pas pouvoir le lui dire par télépathie.

Alors ma bouche trouva les mots.

Avant même que ma tête pût décider si c'était la bonne chose à faire ou pas, ma bouche prononça ces mots.

Keiichi

— Mais pourtant,

il n'est pas encore rentré d'hier soir ?

Pour moi, cette phrase était lourde de sens, mais je ne pouvais pas dire si Satoko le comprenait ou pas.

Satoko

— Comment ça, il n'est pas rentré ? Qui n'est pas rentré ?

Keiichi

— Il n'est pas encore rentré, à ce que je sache ?

Ton oncle.

Satoko

— Mais qu'est-ce que vous racontez !?

Satoko se mit à hurler de toutes ses forces.

Satoko

— Quand est-ce qu'il est parti, hein ?

Dites-le moi ! QUAND ?

HEIN ?

Keiichi

— Nan mais, calme-toi, eh, c'est bon !

Il n'est pas encore rentré aujourd'hui, si ?

Satoko

— Mais qu'est-ce que vous racontez comme sornettes, vous êtes fou à lier ?

Keiichi

— Mais c'est toi ! Qu'est-ce que tu racontes,

je l'ai--

Je l'ai tué.

Je l'ai tué hier.

Je l'ai tué, sûr et certain.

J'ai enterré le corps.

Je l'ai enterré tout entier !

Il ne peut pas être rentré à la maison !

Satoko

— Il m'a frappé hier, encore et encore !

Il m'a crié dessus,

il a hurlé,

m'a secouée !

Il a jeté le repas sur le mur !

Satoko

M'a jeté la soupe de miso à la figure !

C'était chaud!

C'était écœurant !

Et j'ai dû tout nettoyer, par dessus le marché !

Tout nettoyer !

MOI !

Moiaaaahhaaaaaa, haaaaaaaa !

... Mais ?

Ce qu'elle raconte ne se recoupe pas avec ce que je sais.

Keiichi

— ... Mais enfin…

Il…

Il est chez toi ?

Satoko

— Évidemment ! Ce matin, il m'avait dit de le réveiller quand le petit-déjeuner serait prêt,

alors c'est ce que j'ai fait, mais il m'a encore crié dessus !

Waaaaaaaaaaaaaaaaaaahh !!

Keiichi

— Satoko...

Rika s'approcha d'elle et lui dit quelques mots de réconfort à l'oreille.

Mais celle-ci repoussa violemment son amie par terre, très en colère.

Satoko

— Totoche !

Totoche !

Où t'es, rentre, vite ! Reeeeennntrreeeeehheuheu, haaaaaaa !

Satoko sortit en pleurant, marchant lentement, comme un tout petit enfant.

Après quelques instants, Rika se releva et courut à sa poursuite.

Je n'arrivais pas à oublier certains détails qu'elle avait dits.

J'ai buté son oncle hier, normalement.

Mais Satoko venait de dire qu'il l'avait frappée aussi ce matin.

C'est impossible.

Je l'ai tué hier soir ! Il ne peut pas l'avoir engueulée ce matin, c'est absolument impossible !

Mais qu'est-ce qu'il lui est arrivé, qu'est-ce qu'elle raconte ?

C'est alors que j'entendis Mion derrière moi, parlant d'une voix glaciale.

Mion

— Dis-moi, p'tit gars.

Ça veut dire quoi

“Mais pourtant, il est pas encore rentré” ?

Oups...

Je crois que j'ai dit un truc que j'aurais pas dû dire...

Rena

— Moi aussi c'est ce que j'ai entendu.

C'est ce que tu as dit, non ? Qu'il n'était pas encore revenu.

Mion

— Pourquoi ?

Pourqui il ne serait pas encore rentré ? Hein ?

Rena

— C'est bizarre, ça.

Il était là ce matin, pourtant.

Alors, qu'est-ce qui te faisait croire ça ? Ça ?

Mion

— ... P'tit gars, tu dis des choses étranges depuis ce matin.

Pourquoi leur voix est-elle toute déformée ?

Qu'est-ce qu'il leur arrive ?

Mais qu'est-ce qu'elles disent ?

Mion

— Alors quoi, p'tit gars, ça t'arrange pas qu'il soit là, son oncle ?

Keiichi

— Mais tu t'es écoutée ?

Évidemment que non ! Ce serait un grand soulagement s'il pouvait dégager !

Rena

— Ouais.

Oui, ça, il vaudrait mieux qu'il soit pas là.

Ahahahaha !

Je ne comprenais plus rien.

Je me rendis soudain compte que Rena et Mion me regardaient avec un regard trouble, avec un rire guttural.

À peine avais-je croisé leurs regards que l'air de la salle de classe se mit à changer.

Mion

— Oui, son oncle, c'est une belle ordure.

Moi aussi, je préfererais qu'il ne soit pas là.

Mais bon, il est là,

il faut faire avec, non ?

Comment ça, il faut faire avec ?

Il y a quelque chose de pas net, ici, il y a franchement un truc qui cloche !

Mais qu'est-ce qu'il se passe, bordel...

J'avais le dos gelé, et ce froid remonta encore tout le long, jusqu'à mon cerveau.

Keiichi

— Il faut faire avec, oui et non, hein !

Parce que si on ne fait rien, Satoko...

Rena

— Alors quoi, qu'est-ce que tu veux faire ? On n'a pas le choix, non ?

...

Rena attendait la suite.

On n'avait pas le choix, alors j'ai décidé de tuer son oncle.

Oh que oui, je l'ai tué, dans l'intérêt de sa nièce.

Keiichi

— ... Eh bien...

Mion

— Bah, laisse-la se débrouiller,

ça s'arrangera tout seul.

Rena

— Si Satoko pense qu'il était là hier et aujourd'hui,

alors il était là hier et aujourd'hui.

C'est pas un drame, pourtant ? C'est compris ?

Je ne les comprenais plus.

Comment peuvent-elles penser un truc pareil, comment peuvent-elles surtout oser le dire ?

Mion s'était pourtant cassé la tête sur ce problème, elle savait que Satoko se faisait maltraiter.

Elle ne pouvait pas dire une chose pareille, c'était pas normal !

Et puis de toute façon, je l'ai tué, son oncle, j'en suis sûr et certain.

Je me fous de ce que les autres en disent, il ne peut pas être en vie, je ne l'accepterai jamais !

De toute façon, c'est pas possible.

Non, c'est pas possible.

Mais si c'est Satoko elle-même qui le dit... Il doit être en vie ?

Je ne comprenais plus rien à ce qu'il se passait. D'un seul coup, je me rendis compte que Mion et Rena étaient derrière moi, chacune d'un côté.

Mion

— Allez, p'tit gars, viens, on rentre.

Rena

— On rentre, et je vais aller faire une chasse au trésor.

Aujourd'hui, Mii a promis de m'accompagner.

Mion

— Viens avec, p'tit gars.

De toutes manières, t'as pas le droit de dire non, donc c'est vite réglé.

Si la voix pouvait glacer le sang,

alors le mien serait semblable à la calotte polaire en ce moment.

Je pouvais entendre de petits craquèlements partout à mes articulations.

Elles me prirent chacun un bras, comme pour m'emmener, et je quittai l'école, escorté...

Elles se faisaient la conversation, comme d'habitude, des choses banales. Mais elles ne me lâchèrent pas de tout le chemin... comme pour m'empêcher de m'enfuir.

... C'est pas normal.

Aujourd'hui, tout va de travers.

Pas qu'aujourd'hui d'ailleurs, depuis hier soir, tout va de travers !

À bien y réfléchir, tout est bizarre depuis le moment où j'ai tué son oncle.

La rencontre inattendue avec Mme Takano, ce n'était que le début.

La folle nuit de cauchemar continuait.

Encore et toujours.

Mion

— Eh ben quoi ?

P'tit gars, pourquoi tu t'arrêtes, d'un seul coup ?

Keiichi

— Ah... Nan rien, désolé...

Lorsque je m'étais arrêté, je l'avais entendu.

Il était un peu loin, mais il y avait eu un bruit de pas en trop.

C'était ça, la preuve.

La preuve que la nuit d'hier n'était pas terminée.

Mion nous quitta au même endroit que d'habitude, et enfin, j'arrivai près de chez moi.

Rena

— Bon, allez Keiichi, salut.

Attends-moi chez toi,

je reviens te chercher et on ira ensemble au barrage.

Ah, oui, on est censés aller fouiller la décharge à la recherche de trucs intéressants...

Mais pourquoi maintenant, d'un seul coup ?

D'ailleurs, c'était pas normal. Pourquoi Mion venait-elle avec nous ?

Mion savait que Rena aimait bien l'endroit, mais elle-même n'était pas du tout intéressée par ces recherches, alors pourquoi aujourd'hui ? Elle n'était encore jamais venue !

Et puis, c'était l'ancien chantier du barrage, un endroit pas super rassurant.

C'était éloigné de tout. Il fallait vraiment le vouloir pour y aller, il fallait vouloir être seul.

Il n'y avait personne là-bas, pas d'éclairage non plus, donc on ne pouvait jamais rester là-bas tard le soir.

Pourquoi me forcent-elles à aller là-bas ?

Je n'ai aucune raison d'avoir peur de Rena.

C'est surtout que si je lui dis non, elle va me faire un trou avec pendant des semaines.

Et puis, c'est pas comme si c'était prise de tête d'aller là-bas avec elle.

Mais après la nuit d'hier...

Depuis tout à l'heure, j'ai toutes les sirènes d'alarmes déclenchées dans ma tête.

Rena et Mion ne se comportent pas comme d'habitude, aujourd'hui.

Il va falloir que je me méfie.

Les alarmes dans ma tête étaient trop forte, j'avais un mal de crâne épouvantable, comme si ma tête allait exploser...

Keiichi

— Ah... Rena.

Je... Écoute, je peux pas, j'ai autre chose à faire.

Rena

— Ah oui ?

Quoi donc ?

Keiichi

— Ben, j'ai des trucs à faire, quoi.

Rena

— Et pourquoi tu ne l'as pas dit quand Mion était là ?

J'ai déjà dit à Mii qu'on la reverrait là-bas.

Rena souriait, mais elle avait l'air bien en colère.

Keiichi

— Ah, euh... ben écoute,

j'ai raté le bon moment pour le dire, tout à l'heure...

Rena

— Ah oui ?

Vraiment ?

Elle ne l'a pas dit, mais c'est comme si elle m'avait ouvertement accusé de lui mentir

et de lui raconter la première chose qui me passait par la tête.

Keiichi

— Euh, écoute, je... j'ai mal à la tête, d'accord ?

J'ai peut-être pris un coup de froid,

alors je vais aller à la clinique me prendre des médicaments.

Rena

— Vraiment ?

Purée, je suis pas en train de mentir, en plus...

J'ai vraiment mal à la tête !

Elle peut me regarder autant qu'elle veut, elle saura jamais si j'ai vraiment mal ou pas !

Rena

— ...

... Mouais.

Tant pis, alors.

Elle m'observa droit dans les yeux, me fixant sur place du regard, puis me laissa partir.

Je crus que mes genoux allaient défaillir.

Rena

— Si tu veux aller à la clinique Irie, dépêche-toi,

il leur arrive de fermer tôt parfois.

Keiichi

— OK. Merci,

c'est ce que je vais faire.

Rena

— Tu as intérêt à y aller,

à la clinique.

Keiichi

— Mais... ... Bien sûr.

Rena

— Non, mais vraiment, t'as intérêt à y aller.

Keiichi

— Oui, c'est bon, j'y vais...

Rena avait découvert depuis le début que ce n'était qu'une excuse pour ne pas aller au barrage.

Je parie qu'elle a l'intention de téléphoner là-bas ce soir pour savoir si j'y suis allé ou pas.

Il vaut mieux ne pas parler à la légère...

J'avais dit ça comme ça, mais après tout, même si j'allais vraiment à la clinique,

ça ne mangeait pas de pain.

Keiichi

— Oui, j'y vais.

Je te ramènerai l'ordonnance demain matin, si tu veux...

Rena

— Oh, ok, c'est une bonne idée.

Et ne t'avises pas de l'oublier.

Je vérifierai.

Encore une fois, un frisson d'horreur remonta le long de ma colonne vertébrale.

Elles ont l'intention de surveiller mes moindres faits et gestes.

C'est pas normal,

c'est pas dans l'ordre naturel des choses !

Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond...

J'ai fait tant de choses dans l'espoir de retrouver une vie normale.

Mais là... franchement, je ne comprenais plus rien.

Ce n'est plus une vie paisible, là... Je suis tombé dans un monde où quelque chose cloche, mais vraiment grave.

Il y a apparemment un deuxième “Keiichi Maebara” par ici.

Et puis il y a ces bruits de pas en trop.

Et puis, les filles sont pas normales.

Et puis surtout…

l'autre connard est encore en vie.

Purée, mais où est-ce que je suis ?

À Hinamizawa, dans le district de Shishibone.

Ça, je le savais.

Mais étais-je vraiment dans le vrai Hinamizawa que je connaissais ?

Keiichi

— Eh, “Keiichi”. Où est-ce que je suis, là ?

Il y eut encore une fois un bruit de pas en trop derrière moi lorsque je m'arrêtai sur le perron pour ouvrir la porte. Me retournant, je posai la question.

... Mais évidemment, il n'y avait personne derrière moi.

Keiichi

— ... ... ...

“Keiichi Maebara”, hein ?

C'est comme ça que j'ai appelé la présence invisible qui me suit tout le temps depuis hier.

J'avais l'impression qu'il me suivait comme une ombre, guettant avec attention le moment où il pourrait passer à l'attaque et reprendre sa place.

Ça aussi, c'était impossible. Il ne pouvait pas y avoir des bruits de pas en trop.

Cela ne pouvait pas être un fantôme ou un esprit...

Ça n'existe pas, ces conneries.

Soit ce sont mes oreilles ou ma tête qui déconnent...

soit c'est le village.

Le village devant moi ressemblait vraiment comme deux gouttes d'eau à Hinamizawa. Par éliminitation, la théorie qui restait était d'autant moins plaisante...

En fin de compte, je décidai de réellement me rendre à la clinique.

Pour tout avouer, j'aurais préféré ne pas avoir à sortir, mais je me suis dit que Rena ne manquerait pas d'appeler là-bas en prétextant une raison ou une autre.

Pire, elle observait peut-être ma maison pour vérifier si je sortais ou pas...

Mais avant d'aller à la clinique, je comptais vérifier quelque chose.

Je me rendis à l'école.

J'y entrai, comme si j'avais simplement oublié quelque chose dans mon casier.

Je me dirigeai d'un pas nonchalant vers la salle de classe.

Quand on commence à s'imaginer être suivi ou surveillé, il est impossible de se débarrasser de cette impression.

J'avais un peu honte d'avoir à jouer la comédie en me déplaçant, d'avoir à faire preuve d'autant de prudence...

Après avoir vérifié une dernière fois que non, personne ne me suivait, je me dirigeai près des casiers des élèves.

En particulier vers celui de Satoshi.

En utilisant la batte qu'il y avait eue dans ce casier, j'avais commis le meurtre.

Puis j'avais jeté la batte de base-ball dans le marais.

Donc normalement, elle ne peut pas être dans son casier.

Mais…

mais seulement…

Imaginons.

Imaginons que la batte soit à l'intérieur ?

C'était une perspective terrifiante, qui dépassait de loin tout ce que je pouvais imaginer.

Mais si elle était là, ça expliquait pas mal de choses.

Si jamais elle était encore là... alors tout ce qu'il s'était passé hier n'aura été…

qu'une hallucination.

Je n'aurais tué personne, et j'aurais été à la fête.

Et je me serais bien amusé.

Cela devenait donc la preuve que le “Keiichi Maebara” dont tout le monde m'a parlé aujourd'hui, c'était bien moi.

Ce serait la preuve que je me suis monté la tête, que je n'ai pas tué l'oncle de Satoko.

Ce serait la preuve que c'étaient des histoires que j'avais rêvées.

Ce qui expliquerait tout.

Il ne s'est rien passé hier.

Je suis simplement devenu fou en rêvant d'une chose trop choquante pour mon subconscient, qui du coup ne me m'a plus permis de faire la différence entre le rêve et la réalité.

Oui, c'est ce qui expliquerait tout.

Si la batte est là-dedans... il me faudra bien accepter la réalité.

Si elle est là, rien n'a changé.

Si elle est là, c'est juste que je suis fou dans ma tête...

Ma décision prise, j'ouvris son casier.

Ayant peur du grincement interminable, je l'ouvris d'un seul coup.

Keiichi

— ... ... ... ...

Comme hier, une odeur de sueur et de moisi m'assaillit les narines.

Il y avait un uniforme de base-ball... et quelques cahiers.

Un sac avec des baskets de rechange...

Et surtout...

il n'y avait pas de batte de base-ball.

Tout était comme lorsque je l'avais prise, mais elle n'était plus là.

OK, donc aucun doute possible, hier est bel et bien arrivé.

C'est pas moi qui suis dingue, c'est toujours rassurant à savoir.

Mais en même temps... Si c'est pas moi qui suis devenu fou... alors il y a un gros problème avec la Réalité.

Je sais pas, j'ai l'impression que j'ai des parasites qui me brouillent la vue.

Qu'il y a moins de couleurs qu'avant.

Qu'est-ce qui a bien pu changer depuis hier soir ?

Bon, j'ai pu vérifier pour la batte, pas la peine de traîner.

J'y vais ou pas,

à cette clinique, finalement ?

C'était la première fois que je m'y rendais, mais on m'avait dit que ce n'était pas dur à trouver depuis l'école.

Même ma mère ne m'avait indiqué que des rues larges pour y arriver, donc ce n'était pas dans un coin paumé.

Je pris la rue commerçante habituelle... puis je tournai à droite...

Il ne me fallut pas bien longtemps pour trouver une belle plaque indiquant fièrement “Clinique Irie”.

Dans la salle d'attente climatisée, il n'y avait, à part moi, qu'une seule vieille personne.

Après avoir montré ma carte d'assuré social à l'accueil, j'indiquai que c'était ma première consultation.

L'employé de la réception regarda sa montre, puis me dit de patienter un peu.

Il était bientôt 17h.

Ce serait bientôt la fin des consultations, je suppose.

Dans la salle d'attente, coupé du monde, je pus enfin me détendre.

Lorsque le docteur m'examinera, qu'est-ce que je dois lui dire ?

Si je lui dis que c'est un coup de froid, il verra bien que je me moque de lui.

Je préfèrerais me faire examiner la tête, pour être honnête.

Je voulais franchement savoir si j'étais normal ou pas...

Irie

— M. Keiichi Maebara ?

Veuillez vous rendre en salle de consultation, je vous prie.

Hmmm ?

Mais... je connais cette voix ?

Irie

— Bonjour !

C'est la première fois que je te vois ici !

Keiichi

— Chef ?!

Mais alors... vous êtes médecin ?

Mais bien sûr ! C'est pour ça qu'il savait comment soigner ma blessure dans l'infirmerie !

S'il est médecin, forcément...

Et c'est pour ça que la maîtresse et le Directeur étaient si respectueux envers lui, alors...

Irie

— Eh oui, je suis médecin.

Irie

C'est super cool comme métier, je t'assure !

Irie

J'ai le droit de demander à n'importe quelle belle femme de se déshabiller entièrement, je peux la regarder autant que je veux, je peux même toucher☆!

Irie

Et ensuite, je la drogue avec une piqûre, et j'en fais mon esclave...

Keiichi

— Merci beaucoup,

je me sens en pleine forme grâce à vous !

Bon, ben faut que je me sauve,

au revoir !

Irie

— Attends, attends, attends !

Allez, Maebaraaaa !

C'est une blague, voyons, je plaisantais !

Allez, assieds-toi, déshabille-toi, je sors mon stéthoscope et je suis à toi.

Montre-moi tes pectoraux lisses et fermes !

Je ne savais pas trop pourquoi, mais c'était super rassurant.

Je croyais que tout clochait par ici, mais en fait, il était le même que d'habitude.

Irie

— Hmmm, ce n'est pas un coup de froid.

Je dois dire que je m'inquiète plus de voir toutes ces piqûres et ces égratignures sur ton corps.

Irie

Qu'est-ce que tu as fait, tu t'es baladé à poil dans un nuage de moustiques ?

Tu as peut-être choppé une bactérie...

C'étaient sûrement les branches et les ronces dans lesquelles j'avais couru hier en poursuivant l'autre idiot...

Je ne pensais pas en avoir autant.

Irie

— Ouh, toi, tu as trop fait la fête hier soir !

Enfin, tu es jeune, c'est une bonne maladie !

Là encore, il partait du principe que j'étais parti à la fête.

Keiichi

— Alors vous aussi...

vous y êtes allé, je suppose ?

À cette fête ?

Irie

— Oh oui,

bien sûr !

Je suis l'un des membres du comité d'organisation !

Keiichi

— ... Est-ce que... vous m'avez vu, hier ?

Je pense que je pouvais lui faire plus confiance qu'aux autres. Lui était resté le même. Je devais savoir.

Irie

— Eh bien, pour tout t'avouer,

j'ai passé la soirée à boire avec le président du comité. Je ne me suis pas promené dans les stands !

Donc normalement, non, nous ne nous sommes pas rencontrés hier.

Keiichi

— ... Je vois.

Irie

— Mais dis-moi, c'est une question bien étrange.

À moins que tu n'aies pas assez dormi cette nuit ?

Tu ne peux pas faire ça, voyons. Il est important d'avoir un bon sommeil ainsi qu'une bonne alimentation pour grandir.

Il me charriait.

En soit, son rire n'avait rien d'anormal.

OK, le chef, je peux lui faire confiance.

C'est le même que celui du monde que je connais.

C'est pas un habitant du monde parrallèle.

Keiichi

— Euh…

Est-ce que...

Enfin, vous allez sûrement trouver cela bizarre, mais...

J'aimerais vous poser une question, et essayez de ne pas rire s'il-vous-plaît, c'est très sérieux.

Irie

— Oh, vas-y, demande-moi ce que tu veux.

Six fois par jour à ton âge, c'est normal ! Non, les chaussettes c'est pas dangereux, mais fais attention à te nettoyer après quand même.

Keiichi

— Est-ce que vous pensez…

qu'il existe un être humain…

qui me ressemble comme deux gouttes d'eau ?

Le chef me regarda comme un idiot pendant un petit instant, incapable de parler.

Puis, souriant, il me répondit tout à fait calmement.

Irie

— Eh bien, les gens croient à tort qu'il existe dans le monde au moins deux autres personnes avec le même visage qu'eux.

Personnellement, j'aimerais bien les rencontrer !

Irie

Sinon, il existe aussi des légendes dans lesquelles les gens tombent sur leur sosie.

La légende des fantômes Doppel dans les vieux contes allemands sont un exemple célèbre.

Keiichi

— Les fantômes Doppel ?

Irie

— Oui.

Ils ont la même apparence que soi.

Il paraît qu'ils sont annonciateurs de grands malheurs, et que si on les voit, cela veut dire que l'on va bientôt mourir.

Si on les rencontre...

on est sûr de mourir…

bientôt ?

J'étais paralysé par la peur. La mort me guettait, alors, rapidement ?

Et le fait que le chef me dise ça sérieusement, et pas pour me faire peur, rendait le tout très sérieux.

Keiichi

— Et ces fantômes... On en voit à Hinamizawa ?

Irie

— Quoi ?!?

AHAHAHAHAhahahahahaha !

Alors ça, je me demande !

HahahahAHHAhaha !

Il devait croire que je me moquais de lui. En tout cas, en voilà un que cette histoire faisait bien rire...

Au bout d'un moment, il finit par se rendre compte que je ne rigolais pas avec lui, et commença à se calmer.

Keiichi

— ... J'étais en train de vous parler très sérieusement, vous savez.

Irie

— Oui, je... Je m'excuse d'avoir ri aussi fort.

Qu'est-ce qui te tracasse ?

... Je lui dis ou je lui dis pas ?

Keiichi

— Hier, je... Je ne suis pas allé à la fête.

Irie

— Ah bon ?

Dommage, mais c'est pas grave, il y aura l'année prochaine !

Et alors, tu pou--

Keiichi

— Ce n'est pas ce que je veux dire !

... Je suis pas allé à la fête, mais aujourd'hui, tout le monde me parle comme si j'y avais été.

C'est possible, ça ?

Le chef me regarda avec de grands yeux, puis il se mit à réfléchir sur ce que je venais de dire.

Puis il me parla en prenant de grandes précautions, et en choisissant bien ses mots.

Irie

— D'accord, alors je vais résumer la situation.

Donc, tu es allé à la fête, mais tu n'en as aucun souvenir... C'est exact ?

Ce n'était pas du tout ça, mais au moins, il avait pris la peine d'y réfléchir et de trouver une explication logique.

Ce soir-là, si vraiment “Keiichi Maebara” est allé à la fête mais que je persiste à dire que je n'y suis pas allé,

le plus plausible serait de penser que j'avais des problèmes de mémoire.

Sauf que ce n'était pas possible.

Ce qu'il s'est passé pendant cette averse, je ne peux pas l'avoir inventé.

Et puis, il y a toutes ces marques sur mon corps. Et puis, il manque la batte dans le casier de Satoshi.

Keiichi

— Non, non ce n'est pas ça, chef.

Je ne suis vraiment pas allé à la fête.

Irie

— Je ne veux pas que tu le prennes mal, Maebara,

mais dis-moi, il ne t'est jamais arrivé de te retrouver quelque part et de ne pas savoir comment tu avais atterri là ?

Keiichi

— Non, jamais.

Et puis, ce n'est pas une perte de mémoire.

Pendant que la fête avait lieu, j'étais ailleurs, je faisais autre chose.

C'est pas comme si je pensais avoir dormi ou quoi que ce soit.

Irie

— Et tu faisais réellement autre chose ?

Je ne dis pas ça pour te vexer, mais... Ce n'était pas un rêve ?

Keiichi

— Non, j'en suis certain.

J'en ai des souvenirs parfaits et complets, du début à la fin. J'ai réellement fait autre chose.

Irie

— Et donc pendant la fête, tu n'étais pas au sanctuaire, tu faisais autre chose ailleurs.

Est-ce que tu as un élément concret pour le prouver ?

Keiichi

— ... ... ...

Évidemment.

Je savais qu'il allait en venir à ça.

Je n'avais qu'une seule manière de prouver que ce que je disais était vrai.

Il fallait prouver que j'avais commis ce meurtre.

Me voyant hésitant à répondre, son regard se fit plus froid et distant.

Je pouvais pas lui en vouloir.

Il devait me prendre pour un demeuré ou un dément.

Irie

— ... Tu devrais t'allonger.

Calme-toi et détends-toi.

Keiichi

— Non, désolé.

J'ai pas besoin de me coucher, non merci.

Irie

— Tu m'as l'air bien nerveux, tu sais.

Je vais te donner un sédatif, ça devrait améliorer la situation.

Ensuite, tu fermes les yeu--

Keiichi

— JE SUIS PAS FOU !

Sa manière de me parler me mettait hors de moi.

Irie

— ... Écoute, je m'excuse,

mais calme-toi...

Keiichi

— Je suis pas allé à cette putain de fête !

Je suis sérieux, c'est vrai ce que je vous dis, pas d'erreur possible !

Irie

— Oui, je sais,

je sais, mais calme-toi, respire profondém--

Keiichi

— MAIS NON, putain, vous COMPRENEZ PAS, MERDE !

Le chef me regarda, complètement abasourdi.

Irie

— Mais si, je te comprends, Maebara.

Tu n'as pas été à la fête hier.

C'est bien ça, non ?

Je te crois, hein ?

Je te crois...

Je le vis prendre un papier et commencer à écrire dessus.

C'est de l'allemand, je parie.

Tous les docteurs font ça, c'est pour que les malades ne comprennent pas le diagnostic.

Sauf que moi, je me doutais bien de ce qu'il était en train d'écrire.

Keiichi

— Il faut que je vous raconte tout pour que vous veuillez bien me croire, je suppose ?

Irie

— ... Non, non, je te crois.

Allez, s'il-te-plaît, assieds-toi.

Avant de m'asseoir, je penchai un moment la tête en arrière.

Le sang se retira un peu de mon cerveau, et je redevins un peu plus calme.

Respirant un grand coup, je pus me rendre compte qu'effectivement, j'étais plus serein que tout à l'heure.

Keiichi

— Je ne peux pas être allé à la fête, c'est impossible.

Et je vais vous dire pourquoi. Pendant l'heure de la fête, je... Je...

Je lui dis ou pas ?

Je peux pas rester comme ça, j'en ai trop dit ou pas assez.

Alors je terminai ma phrase.

Keiichi

— ... J'ai…

assassiné l'oncle de Satoko.

Je sentis l'odeur de ciment sur les murs de la pièce. Il régnait une atmosphère très tendue.

Personne de nous deux n'osait bouger.

La seule preuve que le temps s'écoulait m'était fournie par le bruit de l'aiguille de la pendule, au mur.

Le chef me regardait, bouche bée, comme s'il ne savait plus quoi dire. Un ange passa.

Irie

— Tu as... Tu as tué son oncle ?

Allez,

Keiichi,

n'hésite pas,

il faut avouer !

Keiichi

— ... Oui.

Hier soir.

Je l'ai tué hier soir.

Irie

— ... ... ...

J'avais parlé d'une voix ferme, sans hésiter.

Le chef était blanc comme un linge.

Irie

— Mais... Pourquoi ?

Oh, non…

… Pardon, c'est une question idiote...

Keiichi

— J'ai réfléchi, et je me suis dit que c'était le moyen le plus direct, le plus rapide et le plus sûr de sauver Satoko de la situation dans laquelle elle se trouvait.

Je ne regrette rien.

Irie

— ... Je vois...

Heh...

Le chef se mit à hocher de la tête, souriant, rigolant nerveusement.

Keiichi

— C'est pour ça que je sais que je ne suis pas allé à cette fête.

Je suis sorti quand il faisait encore très clair dehors.

Puis j'ai creusé le trou. Je lui ai téléphoné, j'ai fait des tas de trucs.

Puis je l'ai attaqué,

je l'ai tué,

et je l'ai enterré.

C'est là qu'il s'est mis à pleuvoir fort.

La fête à commencé l'après-midi, et a été annulée à cause de la pluie.

Je n'ai pas de trou de mémoire, je me souviens de toute ma journée.

Depuis l'après-midi jusqu'au moment où il a plu,

je n'ai pas eu une seconde à moi pour aller au sanctuaire.

Irie

— ... C'est là que tu t'es fait ces blessures ?

Keiichi

— Oui, je pense.

Keiichi

Il y a un petit passage dans les bois près de chez Satoko, vous voyez où ?

Keiichi

Je me suis caché dans les buissons pour l'attaquer là. Je l'ai poursuivi, et finalement je l'ai tué près du chemin qui mène à Okinomiya.

Irie

— ... Et... tu es bien sûr de ça ?

Je comprenais bien qu'il mît ma parole en doute.

Je l'avais peut-être rêvé, ce meurtre.

C'est pourquoi je lui parlai lentement, en tentant de réprimer la colère en moi.

Keiichi

— Oui, j'en suis sûr.

Keiichi

Je l'ai tué avec la batte de Satoshi.

Keiichi

J'ai pris la batte et la mobylette de l'oncle, et je les ai jetées dans le marais.

Keiichi

J'ai ensuite creusé un trou juste à l'endroit où je l'ai tué pour pouvoir enterrer le corps.

Keiichi

J'ai fait tout ça tout seul.

Irie

— L'oncle de Satoko est passé en mobylette ?

Et donc tu l'as attendu tout ce temps ?

Keiichi

— Oh, je me doutais bien qu'il ne sortirait pas.

Je l'ai appelé au téléphone, je me suis fait passer pour la police et je lui ai demandé de venir.

Irie

— Tu l'as appelé au téléphone ?

Mais tu habites très loin de chez Satoko,

comment as-tu fait pour arriver à l'heure ?

Keiichi

— En fait, j'ai utilisé le téléphone le plus proche, c'était celui de l'école.

Irie

— Mais, hier,

c'était dimanche.

L'école était fermée. Comment es-tu entré ?

Keiichi

— C'est par hasard en fait, un homme des Eaux et Forêts a ouvert le bâtiment -- je pense qu'il avait oublié quelque chose --

alors je me suis faufilé à l'intérieur.

Le chef me posa encore quelques questions.

Il vérifiait qu'il n'y avait pas de contradictions dans les détails que je lui donnais.

Irie

— ... ... ... ...

OK, je te crois.

Je ne pense pas que tu aies pu rêver tout cela.

J'avais donné des détails que seule la personne qui avait fait les actes pouvait donner.

Évidemment, d'ailleurs, puisque cette personne,

c'était moi.

Alors enfin, le chef cessa de penser que j'avais eu des hallucinations, et se mit vraiment à croire à mon histoire.

Keiichi

— ... Vous pensez que j'ai pu quand même aller à la fête et en perdre tout souvenir ?

Irie

— ... ...

Le chef secoua non de la tête.

Keiichi

— Mais les autres élèves en classe, ils affirment tous que j'étais à la fête hier soir !

Vous croyez que c'est possible, ce genre de choses ?

Irie

— Non.

Tes amis t'ont confondu avec un autre.

Et comme ils sont plusieurs à t'avoir confondu, l'effet de persuasion du groupe fait qu'ils s'imaginent vraiment t'avoir vu toi.

... Ça me paraît pas très crédible.

Mion et les autres filles affirment avoir joué avec “Keiichi Maebara”,

elles sont pas du genre à me confondre avec un autre.

Mais bon, plus je lui en parlerai, plus je risque de lui embrouiller l'esprit...

Le chef me parla sur un ton très bas, presque un murmure.

Irie

— Tu... tu regrettes ton geste ?

Il ne disait pas ça pour me le reprocher.

De toute façon, ma réponse était toute trouvée.

Keiichi

— Pas le moins du monde.

Keiichi

Je l'ai tué pour que Satoko puisse reprendre une vie normale et paisible.

Keiichi

Vous en faites pas pour moi, je ne vais pas en perdre le sommeil, c'est pas le remords qui va me torturer. J'oublierai tout et je vivrai comme si de rien n'était.

Keiichi

Et lorsque Satoko aura retrouvé le sourire, alors tout sera terminé.

Irie

— ... Est-ce que quelqu'un t'a vu ?

Keiichi

— Non, je ne pense pas.

La police serait déjà venue pour m'arrêter, non ?

Irie

— ... Écoute, Maebara, je suis médecin.

Mon boulot, c'est de sauver des vies humaines.

Je ne peux pas vraiment approuver des actes visant justement à tuer un être humain.

Mais laisse-moi juste te dire ceci...

Le chef se leva, posa ses mains sur mes épaules, et me regarda solennellement.

Irie

— Pour avoir sauvé Satoko…

Je te remercie du fond du cœur.

Je vis des larmes aux coins de ses yeux.

Je sentis quelque chose de chaud me remonter le corps puis me piquer les yeux...

Keiichi

— ... ... ...Hhh !

Je ne savais pas pourquoi je pleurais.

Nous nous regardâmes dans les yeux un moment, silencieux, retenant nos larmes.

Keiichi

— ... Mais pourtant, il y a un truc qui cloche, chef.

Irie

— Quoi donc ?

Keiichi

— Je l'ai tué, de mes propres mains, mais il paraît que l'oncle est rentré chez lui hier soir.

Le chef me regarda d'un air sombre.

Irie

— Ce n'est pas impossible, il a pu tomber dans le coma, et comme tu n'es pas médecin, tu as cru qu'il était mort.

C'est peut-être ça ?

Keiichi

— Non, je ne lui ai pas pris le pouls, mais je suis quasiment certain de l'avoir tué pour de bon.

Irie

— Est-ce que je peux te demander de rejouer la scène, que je sache un peu mieux comment ça s'est passé ?

Il prit un poster de publicité d'une armoire et le roula pour en faire une pseudo-batte, puis me la tendit.

Hier, je m'étais laissé emporter par mon instinct sauvage, mais je savais encore très bien comment j'avais frappé.

Me servant du chef comme du cadavre, je refis la scène du meurtre.

Keiichi

— Et là, il est tombé en se prenant quelque chose dans les pieds, alors je lui ai frappé sur le crâne, comme ça.

Keiichi

Et là, ça a fait une sensation bizarre, c'était pas comme les autres coups.

Keiichi

Je crois que son crâne s'est brisé sous la force de ce coup-là.

Le chef restait silencieux, tentant d'analyser l'état de santé de la victime d'après les éléments que je lui donnais.

Keiichi

— Et comme j'étais pas sûr qu'il était mort, j'ai continué à le frapper.

Irie

— Et comment a-t-il réagi ?

Keiichi

— Au début, son corps se tendait et se tordait à chaque coup, mais au bout d'un moment, il ne bougea plus du tout.

Irie

— ... ... Hmmm...

Le chef croisa les bras et ferma les yeux.

Puis, après avoir soupiré une paire de fois, il reprit la parole.

Irie

— ... Il est mort.

Quasiment sûr et certain.

Keiichi

— Donc il était pas dans le coma ?

Irie

— Eh bien, avec les coups que tu lui as donnés, rien n'est sûr, mais je suis quasiment sûr à 100% qu'il est mort.

Irie

Et puis, tu l'as enterré, et ça t'a pris un moment, n'est-ce pas ?

Imaginons que tu aies mis 30 minutes.

Donc il est resté au moins 30 minutes dans la boue et l'eau.

Irie

Il n'y a aucun être humain qui pourrait retenir sa respiration aussi longtemps, il est forcément mort.

Keiichi

— Donc en fait, même si mes coups l'avaient pas achevé, il serait mort asphyxié pendant que je l'enterrais ?

Irie

— Exactement.

L'être humain est physiquement incapable de tenir 30 minutes sans respirer.

Keiichi

— ... Ouais, c'est ce que je me disais aussi.

Mais pourtant,

Satoko a dit qu'il était vivant !

Je n'arrivais pas à m'expliquer ça.

Même le médecin était d'accord pour dire que la victime était morte, alors comment avait-il fait pour rentrer et tabasser Satoko ?

Irie

— Maebara,

je suis désolé de te faire peur avec cette idée, mais il y a une possibilité. C'est horrible, c'est terrifiant, mais c'est possible :

et si tu avais tué la mauvaise personne ?

Keiichi

— ... Oh non ?

Oui... En théorie, ça se tient…

si je n'ai pas tué la bonne personne, ça explique qu'il soit vivant...

Keiichi

— Mais quand même pas ?

Attendez, le jour où vous et moi avons porté les courses, c'est bien lui qui est venu dire bonjour à la fenêtre, non ?

C'était bien cette personne ?

C'était bien l'oncle de Satoko, hein ?!

Irie

— ... Oui.

Tu ne te trompes pas.

C'est bien lui.

Keiichi

— Elle a pas un deuxième oncle caché ou je ne sais quoi ?

Irie

— Non, je n'en ai jamais entendu parler.

Il n'y a que lui.

Keiichi

— Est-ce que vous auriez un détail physique, pour être sûr que c'est lui ?

Irie

— Hmmm, eh bien, sa taille…

Il fait quoi, 1m75 ? Un peu plus même.

Il me fallait un élément pour prouver que j'avais bien tué la bonne personne. Je demandai le maximum d'informations possible au chef.

Mais à chaque fois, les détails étaient les bons.

J'ai donc bien tué la bonne personne, pas de doute possible.

À moins que... La taille, c'est pas un élément décisif dans l'identification des corps... Il me fallait un truc énorme. Un truc qui sauterait aux yeux tout de suite.

Keiichi

— Vous n'auriez pas un détail plus, je sais pas, plus significatif ?

Irie

— ... Hmmm, si. Je ne l'ai jamais vu, mais

Satoko m'a raconté un jour qu'il avait un énorme tigre tatoué dans le dos.

Keiichi

— Un tatouage ?

Oui, ça, c'est un truc tangible.

Un tatouage, y a pas tout le monde qui en a.

Si je pouvais vérifier la présence de ce tatouage dans son dos, cela me ferait une preuve.

C'est alors que je me rendis compte d'une deuxième manière de vérifier.

Je n'avais qu'à aller chez Satoko et essayer de rencontrer la personne qui vivait là-bas.

... Mais je dois dire que cette méthode me faisait beaucoup plus peur que l'autre.

Je n'avais pas besoin de vérifier le tatouage, je savais pertinemment que j'avais tué cet oncle.

Je lui ai brisé la tête.

Et pourtant, apparemment, il est rentré chez lui.

Je n'ai absolument aucun doute là-dessus.

Et pourtant...

Il était vivant, alors que c'était impossible.

C'était un peu comme ce “Keiichi Maebara” qui, bien que ne pouvant pas physiquement être allé à la fête, a été vu là-bas par des tonnes de témoins.

Ce point commun me faisait penser à une sorte de brouillard magique qui envelopperait le village tout entier et permettrait des choses inimaginables...

Irie

— ... Je me demande bien…

ce que cela signifie.

Tu n'as pas été à cette fête, et tu as commis ce meurtre, et pourtant…

aux yeux de tous, tu y es allé, et l'oncle est encore en vie...

Keiichi

— Honnêtement, je n'y comprends plus rien, chef.

Si je remets de l'ordre dans tous les éléments, je me dis que forcément, c'est moi qui dois faire un cauchemar et que je n'ai jamais tué l'autre idiot...

Keiichi

mais je vous jure que c'est vrai.

Cette sensation, le contact avec la batte, la pluie, la fatigue, le sang, la boue, je ne peux pas l'avoir inventé !

Le chef poussa un long soupir, puis regarda sa montre et se leva.

Irie

— Tu veux bien qu'on en parle un peu plus sérieusement, histoire d'aller au fond des choses ?

Je vais préparer du thé.

Et puis, il est tard,

je vais renvoyer les derniers employés chez eux, nous serons plus tranquilles.

Il se leva et sortit dans le couloir.

Je restai seul.

La montre indiquait presque 18h.

Tout le monde dit que j'étais à la fête, hier... et l'oncle est encore en vie.

Est-ce que je l'ai vraiment tué, finalement ?

Le seul début de preuve qu'il me reste, c'est que la batte de Satoshi n'est plus dans son casier, c'est bien peu...

En tout cas, je suis content que le chef m'ait écouté jusqu'au bout.

Je lui ai avoué un meurtre.

Une personne normale aurait été surprise puis fait quelques pas en arrière.

Mais lui n'avait pas pris la fuite. Il avait même pleuré avec moi,

je dois dire que ça m'avait fait chaud au cœur.

Lentement, la tension que j'avais dans le corps commençait à s'évacuer.

Du coup, j'eus une envie pressante qui ne m'avait jusque là pas dérangé plus que ça.

De toute façon, il est occupé, je peux sûrement aller aux toilettes. Il me semble qu'elles sont juste en face de la salle d'attente…

Alors que je sortai de la salle d'examination, je vis deux hommes en blouse blanche qui discutaient entre eux à l'autre bout du couloir.

Je n'avais aucune intention d'espionner leur conversation, mais lorsque j'entendis de quoi ils parlaient, je restai comme tétanisé par la peur.

Me collant au mur, je les observai avec la plus grande précaution...

Le chef était en train de leur donner des ordres.

Docteur

— Du thé, alors ?

Ok, je vous prépare ça.

Irie

— Ajoutez de l'isomytal ou du ravonal, ça fera l'affaire aussi.

Mettez du lait ou du sucre, mais débrouillez-vous pour qu'il ne remarque pas le goût.

Docteur

— Il va sûrement se douter de quelque chose quand même, quand il aura le coup de barre.

S'il se met à paniquer, il risque de faire une crise.

Irie

— Alors il faudra l'immobiliser, tant pis.

Combien reste-t-il d'hommes en service dans la clinique ?

Docteur

— Il y a un membre des chiens de montagne,

et nous sommes les deux de garde ce soir, cela nous fait trois personnes.

Mais de quoi ils parlent ?

J'ai pas besoin que le chef me le dise, je suis super nerveux en ce moment.

Donc c'est peut-être les nerfs qui me jouent des tours ? Peut-être que je m'imagine des trucs ?

Le chef est parti pour faire du thé.

Mais là, bien à l'abri des regards indiscrets, il donne des ordres pour mélanger des narcotiques ou je ne sais quoi dedans !

Et en plus, il demande des renforts pour me maîtriser si jamais je remarque quelque chose ?

Oh putain, Keiichi !

Calme-toi, calme-toi bordel !

C'est pas possible !

Il m'a écouté, il ne m'a pas pris pour un fou, il a même pleuré avec moi !

C'était le seul qui me comprenait, le seul qui était normal dans le village !

C'est pas vrai... putain, c'est pas vrai !

Irie

— Il y a des symptômes de mensonges et d'affabulations, en particulier ses souvenirs de la veille ont l'air complètement chamboulés.

Irie

Il a perdu la capacité à différencier le rêve de la réalité.

Irie

C'est sûrement un trouble dissociatif de l'identité.

Irie

Mais ce qui me gêne, c'est qu'il est à un stade trop avancé, c'est trop soudain.

Il faudrait voir s'il avait déjà des symptômes avant d'arriver à Hinamizawa.

Irie

Si seulement je pouvais savoir s'il a déjà été examiné dans un service de psychiatrie, ça me ferait une bonne piste pour savoir comment le traiter.

Irie

Mais en attendant, il faut absolument qu'il se repose, même s'il n'en a pas envie.

Les deux médecins opinèrent du chef.

Irie

— Il va falloir prévenir ses parents.

Je ne sais honnêtement pas quoi leur dire, mais bon…

déjà, on va commencer par chercher son numéro de téléphone.

J'avais des larmes fraîches sur les joues.

Quel salaud...

Il m'a écouté... Il était sérieux... J'étais persuadé qu'il était de mon côté !

Mais dans mon dos, il parlait de moi comme si j'étais un malade mental !

J'avais confiance en lui... Comment a-t-il pu me faire ça ?!

Il était le seul en qui je pouvais placer ma confiance, le seul à être réglo avec moi depuis cette soirée folle !

Alors il a menti ?

Et ses remerciements ? Et les larmes versées pour Satoko, c'était du pipeau aussi alors ?

C'était juste pour mieux me tromper ? Salaud.... SALAUD !

Les larmes amères n'en finissaient pas de couler.

J'ai été stupide...

J'ai été stupide !!

J'aurais jamais dû lui faire confiance, j'ai été trop con !

J'entendis soudain des pas précipités.

Un homme en chemise blanche, mais sans cravatte, courait vers les autres.

Personnel de la clinique

— Docteur Irie !

C'est une catastrophe !

Mme Takano... Ils ont retrouvé Mme Takano !

Irie

— Ah oui, ils l'ont trouvée ?

Où était-elle passée ?

Personnel de la clinique

— Eh bien...

Ils l'ont retrouvée dans la province de Gifu, dans les montagnes, complètement brûlée !

Irie

— Elle est morte ?

Takano est morte ?

Ils se regardèrent tous, l'air paniqué.

Elle est morte ?

Takano est morte ?

Allez, mec, eh, déconne pas... Tu veux dire que quand j'ai fait le vœu qu'elle crève, il a été entendu par la déesse Yashiro et qu'elle l'a exaucé ?

Irie

— Comment ça, complètement brûlée ?

C'était un accident ?

Personnel de la clinique

— Le rapport de police des gens de Gifu dit que c'est certainement un meurtre...

Pff, hahaha, ahahahaha !

Baissant la voix au maximum, je me mis à rire à travers les larmes.

Bien fait pour ta gueule, salope !

Si tu ne m'avais pas croisé hier soir, mon crime aurait été parfait.

Et pourtant tu t'es pointée, et tu m'as menacée.

J'ai eu beaucoup de regrets de ne pas t'avoir tuée dans la forêt, mais maintenant, tu es morte quand même.

Je t'ai maudite, j'ai souhaité ta mort, et les cieux m'ont entendu !

Bien fait pour toi !

Ahahaha, c'est tout ce que tu méritais !

Irie

— Risa est morte, et maintenant Takano.

Bon sang, mais que se passe-t-il dans ce village ?

Vous n'allez pas encore me sortir cette histoire de malédiction, quand même ?

Le chef n'avait pas l'air de vouloir accepter l'existence de la malédiction.

Il baissa la tête, fou de rage.

Héhhéhhéhhé...

Ce n'est peut-être pas la déesse Yashiro la responsable, mais c'est une malédiction, ça, c'est moi qui te le dis !

Et je suis bien placé pour le savoir,

vu que c'est moi qui ai souhaité sa mort !

Et si c'était pas un hasard ? Si je pouvais réellement maudire les gens et les tuer de cette manière ?

Oh, alors là, Chef, c'est à vous de crever !

Vous m'avez trahi !

Vous avez fait semblant de me croire, mais en votre for intérieur, vous étiez en train de me traîter de fou furieux, de malade mental !

Vous m'avez regardé avec de la pitié dans les yeux, vous m'avez méprisé !

Irie

— Bon, écoutez, préparez le thé, on verra pour le reste ensuite.

Je le lui apporterai moi-même, je ne pense pas qu'il se confiera à un autre.

Merde... merde, merde, merde,

on fait quoi ?

On fait quoi, Keiichi ?!

Soudain, c'est la voix d'une infimière qui résonna dans le couloir.

Infirmière

— Docteur Irie ?

Ah, vous êtes là, monsieur !

Téléphone pour vous.

Irie

— Désolé, mais je n'ai pas le temps. Demandez à la personne de rappeler.

Au fait, c'est qui, d'ailleurs ?

Infirmière

— C'est l'inspecteur Ôishi du commissariat d'Okinomiya.

Irie

— Aïe... Rah, il appelle au mauvais moment.

Bon, je vais lui répondre.

Le chef partit, probablement dans son bureau, pour répondre au téléphone.

Les autres allèrent en cuisine pour préparer le thé drogué.

Maintenant qu'il était occupé au téléphone, j'avais une chance de pouvoir passer à l'action.

Je dois me décider...

Soit ils me droguent et m'enferment, soit ils me maintiennent en camisole et m'envoient chez les fous !

Je ne pense pas avoir le dessus si je me bats contre eux.

Ils sont plus âgés, plus forts, plus nombreux...

Je n'aurais aucune chance.

Donc si je ne peux pas vaincre en combattant…

il me faut fuir !

Mon cerveau se remplit d'adrénaline, et je me mis à agir aussi vite et aussi bien que la veille, pendant le meurtre.

Ma température corporelle se mit à baisser, permettant de meilleures communications entre mes cellules nerveuses.

Me servant de ma vision à 360°, je cherchai toutes les issues possibles.

J'ouvris la fenêtre à 6h.

Elle donnait sur le parking,

qui était vide.

Je peux voir mon vélo aux bords du parking, un peu plus loin.

Oui, si je passe par ici, la route à travers le territoire ennemi sera la plus courte.

Veillant à ne pas me faire remarquer, je me rapprochai à toute vitesse de la fenêtre.

Comme hier, vif comme l'éclair, discret comme une ombre.

J'enlevai le loquet de sécurité, puis ouvris la fenêtre.

Je sentis la petite brise fraîche du soir sur mon front...

Sortant la tête dehors, je revérifiai bien qu'il n'y avait personne.

OK, personne en vue,

il ne faut plus hésiter, maintenant !

Sortant rapidement, je refermai au maximum la fenêtre, du dehors.

Je coupai ma respiration et tendis l'oreille.

Apparemment, personne ne m'avait remarqué...

Je jetai un coup d'œil alentour.

Puis je courus prendre mon vélo et me mis à pédaler comme un forcené.

Encore et encore, j'appuyai comme un fou sur les pédales.

Mais c'est pas vrai, il fait un boucan de tous les diables !

Il était pas comme ça avant !

Mais il n'y avait pas que ma chaîne de vélo qui poussait des cris plaintifs.

Je sentais mes larmes partir vers l'arrière,

se détacher de mon visage et être transportées par le vent.

Hhhou, hh, hhou !

Salaud ! Salaud !

Je suis pas fou ! C'est pas moi qui suis fou, c'est ce village de merde !

Comment as-tu pu oser me prendre pour un malade mental ?

Crève, saloperie !

CRÈVE !

Espèce de salopard de merde, CRÈVE_!

Quand je pense que je croyais en toi ! Que j'avais confiance en toi !

Comment t'as pu me faire çaaaaaaa... haaaaaaaAAaAAaaaaaah !

Je m'étais rendu à la clinique uniquement pour avoir une excuse de ne pas suivre Rena et Mion au barrage,

mais une fois arrivé là-bas, ma confrontation forcée avec la réalité avait été bien cruelle...

Soit c'est moi qui suis taré, soit c'est le village.

Soit... la vérité est ailleurs.

Je n'avais plus de souffle.

Je ne comprenais plus rien.

Les cigales chantaient en chœurs.

Est-ce qu'elles chantaient de la même manière dans le monde d'où j'étais venu ?

J'avais l'impression qu'elles étaient différentes.

Les cigales, ici, ne chantent pas.

Elles pleurent.

Elles pleurent en pensant au désarroi qui habite celui qui se perd en un monde inconnu et qui ne retrouve plus le soleil.

Pourtant, je m'étais donné tellement de mal pour atterir dans ce monde !

Normalement, nous devrions être en train de nous amuser comme des fous, libérés de la peur, libérés de cet oncle !

Satoko, certaine de ne plus jamais le revoir, aurait retrouvé son sourire éclatant. Nous serions en train de jouer ensemble, pour le club.

C'était ça, mon rêve, c'était ça, le monde que j'avais espéré !

Et au lieu de ça...

Pourquoi est-ce que je me retrouve dans ce monde complètement dingue ?

On a un cadavre qui vaque à son train-train quotidien, et un absent qui s'amuse à la fête, alors qu'il n'y est physiquement pas présent !

Je ne veux pas rester dans ce monde de tarés !

Où est-ce que tout est parti en couille ?

Quand ?

Pourquoi ?

Je réfléchis un long moment à la question, mais impossible d'y voir plus clair.

Pédalant le plus vite possible... je retournai chez moi.

Entre-temps, une averse avait commencé à tomber, et pour la deuxième journée consécutive, j'étais trempé.

Mais bon, c'est pas comme si j'en avais quelque chose à faire.

J'avais encore mal. Je n'avais pas encore digéré le coup en traître du chef...

Je suppose qu'il n'y a plus personne pour m'aider dans ce village...

Espérant qu'au moins mes parents seraient compréhensifs, je me hâtai vers la porte d'entrée.

Attends, Keiichi !

Il va bientôt faire nuit... tu ne veux pas aller vérifier le corps ?

Si…

il faudrait le déterrer tant qu'il fait au moins clair, pour pouvoir vérifier le tatouage dans son dos.

Si j'y vois un tigre, c'est que c'est bel et bien l'oncle de Satoko.

Tant que je n'aurais pas vérifié, ce cauchemar ne prendra pas fin...

Si ce monde n'était qu'une punition pour le crime que j'avais perpétré,

alors il me fallait avoir la preuve que ce que j'avais fait était vraiment si terrible. La punition devait être en conséquence.

J'entrai dans la cabane, et encore une fois, je me saisis de notre pelle.

Je pouvais voir la peinture écaillée un peu partout.

Quand je pense que j'avais cru ne plus jamais avoir à m'en servir...

Au toucher, elle était froide, glaciale. Ce n'était pas du tout la même sensation qu'hier.

Ah, tant que j'y pense !

Il va faire nuit, il me faut aussi la lampe-torche.

Même si la lumière de l'éclairage public était visible depuis le trou, l'endroit était extrêmement sombre.

Keiichi

— ... ... ... Ah !

Lorsque je constatai que la lampe-torche n'était pas là où elle aurait dû être, j'eus une révélation.

C'était évident !

Mais bien sûr !

Je n'ai pas ramené la lampe-torche hier soir !

Je l'ai oubliée près de l'endroit où j'ai enterré le corps...

Si je ne me dépêche pas, il fera nuit.

Et sans lumière, je ne trouverai ni la lampe, ni le corps...

Sans l'un ni l'autre... il me faudra abandonner.

Keiichi

— Bon, ben, magnons-nous le cul alors.

Je voulus démonter la pelle pour la mettre dans mon panier, sur le guidon.

Mais il devait y avoir de la terre dans le tube, car il était comme grippé. Impossible de séparer le manche.

Je dus bientôt m'avouer vaincu, et décidai de rouler à une main, la pelle dans l'autre.

J'étais en train de rouler comme un funambule,

la pelle dans une main, le guidon dans l'autre, sous la pluie battante.

C'était comme si j'étais revenu à la nuit d'hier.

Sauf que je n'étais pas revenu en arrière dans le temps.

En fait, cette nuit cauchemardesque n'avait jamais cessé...

Les gouttes me faisaient mal, comme hier soir.

La seule chose qui avait changé depuis hier, c'était le village de Hinamizawa.

C'était le monde entier.

L'averse assombrissait le peu de lumière qu'il restait, et la nuit tombait.

L'intensité de la lumière ambiante baissait à vue d'œil.

Je me trouvai en plein sur le chemin

qui nous reliait à la ville.

... Si je me souviens bien... j'ai enterré le corps…

par là-bas, non ?

C'était pas loin de ce poteau...

Comme hier, la coupole au-dessus de la lumière faisait ruisseler l'eau en cascade.

C'était presque marrant de voir à quel point le coin était reconnaissable. En un instant, tous les détails me revinrent en mémoire.

Je laissai mon vélo dans les hautes herbes et m'enfonçai dans la forêt boueuse.

Bon... Où c'était au juste ?

Allez, souviens-toi, bon sang...

Il faisait noir

comme maintenant.

Il pleuvait aussi.

C'était boueux aussi.

Tout est comme hier.

Allez, Keiichi, souviens-toi !

Alors, je vis la lampe-torche posée près d'un tronc d'arbre à terre.

Oui, je l'avais posée ici, c'est vrai...

Et donc si la lampe était là…

alors je l'ai enterré... par là !

J'étais sûr de retrouver l'endroit plus facilement en me déplaçant dans la boue et en sentant le sol sous mes pieds que vraiment en cherchant avec les yeux.

Je plantai la pelle dans le sol.

Tiens ? Le sol est dur...

C'est pas là, alors.

La terre peut pas être aussi dure, j'ai creusé et j'ai remis la terre, ça doit être beaucoup plus meuble...

Je plaçai la pelle au sol à beaucoup d'endroits, cherchant la bonne consistance du sol...

Enfin, ma pelle s'enfonça comme dans du beurre.

Regardant depuis cet endroit où était la lampe, je sus instinctivement que j'avais retrouvé le bon endroit.

Il est là, juste sous mes pieds.

Et dans son dos, il a forcément un tatouage de tigre.

... Mais s'il n'en a pas ?

S'il n'en a pas, alors j'aurais tué la mauvaise personne, par inadvertance.

Mais je crois que c'est plus le fait d'avoir laissé l'oncle en vie un jour de trop qui me fera le plus mal au cœur...

Si ce monde insensé est ma punition pour avoir tué un autre être humain…

Alors je refuse d'accepter un monde où ce n'est pas l'oncle qui est mort sous mes coups.

Si jamais ce n'est pas le bon, pas d'hésitation à avoir : je me pointe chez Satoko et je le re-crève.

Et cette fois-ci, je ferai attention à ne pas me tromper de cible.

Mais si je trouve le fameux tatouage... ?

Si le mec est tatoué, alors j'ai effectivement tué le bon.

Mais alors, ce monde serait une vaste blague des dieux à mon égard ?

Si j'ai tué l'oncle, alors c'est qui le mec qui vit chez Satoko et qui se fait passer pour lui ?

... ... C'est un truc de dingue, c'est pas possible !

À force de le dire, il va falloir trouver une autre formulation d'ailleurs.

Ça fait combien de fois que je dis “c'est pas possible”, en dernier ?

Imaginons que je n'ai le droit de le dire qu'une seule fois... Qu'est-ce qu'il me faudrait nier en premier ?

Oh, je savais bien.

Keiichi

— Il me faudrait nier l'existence-même de ce monde de dingue !

Le criant de toutes mes forces, je fis volte-face.

Je me retrouvai nez à nez avec... personne.

J'avais essayé de l'oublier, mais depuis ce matin, tout le temps, j'avais entendu ce bruit de pas en trop.

La dernière fois que j'avais marché, juste à l'instant, et que je m'étais retourné, j'avais entendu un splatch en trop.

Mais il n'y avait personne -- je ne ressentais même pas une présence.

Et pourtant, je savais qu'il y avait quelqu'un ici.

Keiichi

— ... ... Mais qui t'es, putain, merde ?

Tu n'as pas arrêté de me suivre depuis que j'ai atterri dans ce monde.

Le pire, c'est que c'était vrai.

Si mes souvenirs étaient exacts, la première fois que j'avais entendu ce bruit de pas en trop, c'était juste après le départ de Mme Takano.

Mais alors, c'était lui qui m'avait propulsé dans ce monde de dingue ?

Keiichi

— ... ... ... ...

Force était pourtant de constater qu'il n'y avait personne ici.

Donc forcément, aucune réponse.

... Il ne fait que m'observer, je suppose.

Ça ne fait pas spécialement peur, mais c'est énervant.

Après avoir regardé le vide comme un idiot pendant plusieurs minutes, j'en eus marre, mais surtout, ma colère s'apaisa.

La fatigue était la plus forte.

J'avais eu la même sensation hier soir, d'ailleurs.

Cette fatigue soudaine était le résultat du travail des hormones dans le cerveau en cas de gros stress.

La vue devient alors très mauvaise, et le sujet à l'impression d'être comme plongé dans le noir.

Il ne faut pas que je me laisse avoir par ça.

Mettant le feu aux poudres qu'il restait dans mon cerveau, je me remis quelques coups de fouet pour repartir de l'avant.

Il me fallait déterrer l'autre idiot avant d'être trop exténué pour pouvoir tenir la pelle.

Il me fallait à tout prix voir ce con de tatouage.

Reprenant mon souffle, je me calmai.

Puis je replantai la pelle dans l'endroit plus meuble du sol.

C'était la même sensation qu'hier.

Un peu comme du sable, avec un trou amené à être rempli soit par du sable, soit par de l'eau, soit par les vagues.

... On est quel jour, aujourd'hui ?

Je me demande si je ne suis pas entrain de remonter dans le temps, en fait.

Des idées de plus en plus saugrenues me traversaient l'esprit et commençaient sérieusement à m'énerver.

Même malgré la fatigue, je n'arrivais pas à les mettre de côté.

Lorsque le trou commença à se faire plutôt profond, je me rendis compte que tout autour de moi n'était que ténèbres.

Je parie que le soleil est couché depuis un moment.

La veille, j'avais eu trop peur d'être vu et j'avais tout fait dans la nuit noire.

J'étais tellement en train de flipper que sur le coup, ça ne m'avait pas vraiment gêné.

Mais maintenant... Je n'avais plus la force de réussir la même chose ce soir.

J'étais vidé à cause d'hier, la nuit d'encre autour de moi, c'était trop.

Je vais allumer la lampe-torche.

Je vais la mettre sur la première graduation, cela fera une petite lumière.

Normalement, avec la pluie, on ne devrait pas me voir.

Je me saisis de la lampe-torche et tournai la bague jusqu'à la graduation n°1. Alors seulement, j'allumai le tout.

D'un seul coup, le monde se transforma en ombres chinoises.

Les arbres, les branches et les fougères projetaient des ombres intriquées et formaient des motifs complexes et fantastiques.

C'était comme si le fait d'avoir allumé cette lumière m'avait fait pénétrer dans un nouveau monde.

Je poussai un soupir de fatigue, puis m'essuyai la sueur sur mon front -- ou les gouttes de pluie, je ne sais pas trop.

Je repris alors la pelle et me remis à creuser.

Et juste à ce moment-là,

les ombres chinoises qui m'entouraient se mirent à bouger toutes en même temps...

Keiichi

— ... ... ... ... hein ?

Je ne comprenais plus rien. Le chaud et le froid se mélangeaient dans ma tête.

Les ombres chinoises formèrent un cercle autour de moi et me toisèrent de haut.

Puis la plus grande des ombres... fit un pas pour s'avancer vers moi.

Ôishi

— ... Bonsoir, M. Maebara.

Le clair de lune est très romantique, ce soir, vous ne trouvez pas ?Éhhéhhéhhé !

Ma cervelle se fit la malle, coulant le long de ma colonne vertébrale et de mes jambes.

Je perdis d'un seul coup la force de me tenir debout. Je tombai alors à genoux dans le trou que je venais de creuser.

Keiichi

— ... Ôishi...

Ôishi

— Nous n'avons pas été torcher les cochons ensemble, je vous saurai gré de m'appeler “Monsieur” Ôishi, si ça ne vous fait rien.

Ôishi

D'ailleurs, c'est une bonne habitude à prendre, le monde des adultes n'est pas tendre envers les gens malpolis.

Ôishi

Éhhéhhéhhé !

Ôishi n'était pas seul, il y avait encore facilement cinq ou six hommes en k-way.

Comment j'ai pu ne pas les sentir s'approcher ?

C'est comme s'ils avaient attendu sur la lumière de la lampe-torche pour se montrer...

Ôishi

— Oh, mais ne vous dérangez pas pour nous, hein !

Imaginez que nous ne sommes que des arbres dans le paysage.

... ... Il me prend pour un con ou quoi ?

Ôishi

— Allons, allons,

ne vous gênez pas, continuez à creuser !

Keiichi

— ... ...

Ôishi

— Vous êtes seul, dans la forêt, à une heure si tardive, et vous tirez une tête d'enterrement.

Ôishi

Vous devez avoir quelque chose d'important à faire,

Ôishi

alors nous ne permettrions pas de vous déranger !

Ôishi

Creusez autant que vous voulez.

Ôishi

Éhhéhhéhhé.

Non merci...

Je me relevai et m'apprêtai à partir lorsque deux de ses hommes me barrèrent la route.

Me prenant chacun par un bras, ils me soulevèrent et me replacèrent dans la mer de boue en contrebas.

Assis dans la boue, je levai la tête, regardant ces ombres qui me dévisageaient.

L'inspecteur Ôishi se baissa pour ramasser ma pelle et la jeta devant moi.

Elle se planta dans le sol juste devant moi, projetant de la boue sur mon visage.

Ôishi

— Eh ben alors,

continuez.

Allez, allez.

Me sentant contraint et forcé par les ombres mouvantes autour de moi, je repris la pelle et me remis à creuser.

J'avais l'impression d'être dans un western, en train de creuser ma tombe.

Si je continue... je vais finir par tomber sur le corps.

Tatouage ou pas, pour moi, ce sera la fin.

Je suis perdu...

Mais je n'arrivais pas à comprendre.

Pourquoi était-il ici ?

... ... Mme Takano lui aurait dit ?

C'est la seule à pouvoir faire le rapprochement entre moi et cet endroit.

Putain, merde... j'aurais dû la tuer plus tôt !

Ôishi

— Eh ben alors, vous tirez au flanc ou quoi ?

Keiichi

— Eeeeeh !

Je me retrouvai face contre terre, dans la boue.

Ôishi m'avait mis un coup de pied dans le dos...

Ôishi

— Alors, creusez !

Et magnez-vous le train, nous n'avons pas que ça à faire, il pleut.

Keiichi

— … Allez vous faire mettre…

Si vous êtes en sucre, je vous oblige pas à rester.

peuh !

Ôishi fit glisser sa chaussure et me jeta de la boue sur la figure.

Ôishi

— Vous devriez travailler avec vos mains et pas avec votre bouche.

Il n'y a que les acteurs qui se servent des deux.

N'est-ce pas, les enfants ?

Les autres policiers firent mine de ne pas vouloir réagir, mais lorsque l'inspecteur se retourna pour leur décocher un regard féroce, je les entendis faire quelques rires un peu forcés.

Mais c'est quoi, ce type ?

Je pensais que j'avais basculé dans un autre monde hier soir, mais en fait...

Tous nos problèmes avaient commencé le jour où je l'avais rencontré.

Tout a commencé à partir de travers le jour où il s'est pointé à Hinamizawa.

Plus personne n'a ri depuis ce jour-là...

C'est là que le monde est devenu fou.

Keiichi

— .........Hah...... hah...... ngh...

À force de creuser, j'arrivai à nouveau dans une couche de terre beaucoup plus dure.

Quelque chose clochait.

Je n'ai pas pu creuser aussi profond que ça, hier...

À bout de force, je m'accroupis.

Keiichi

— Jusqu'à quand je dois creuser ?

Ôishi

— Rah là là... les jeunes d'aujourd'hui, aucune endurance.

... Hep !

Ôishi claqua des doigts, et aussitôt les autres hommes furent armés de pelles immenses.

L'un d'entre eux me prit pas le col et me jeta hors du trou.

Les autres se mirent à creuser tous ensemble...

J'étais agenouillé par terre, complètement paumé. L'inspecteur Ôishi s'approcha de moi et se baissa pour pouvoir me regarder droit dans les yeux.

Ôishi

— Keiichi Maebara.

Laissez-moi deviner, votre passe-temps favori, c'est de creuser des trous au hasard dans la forêt, tard le soir ?

Keiichi

— ... ... ...

L'inspecteur prit un seau en plastique dont ses hommes se servaient pour évacuer l'eau, et le remplit d'eau et de boue... pour mieux me le jeter avec force sur la figure.

Keiichi

— Khheu, hheu, ahheu !~b u~

Ôishi

— Il pleut tellement fort, vous n'êtes pas à un seau d'eau près ?

De toute façon, personne n'en saura rien...

Rigolant doucement, il remplit son seau à nouveau.

Ôishi

— Je vous le demande encore une fois.

Est-ce que votre passe-temps favori, c'est de creuser des trous au hasard dans la forêt, tard le soir ?

Keiichi

— Qui serait assez con pour avoir un passe-temps pareil ?

Splash !!

À nouveau, je reçus le contenu du seau dans la figure.

Les cailloux au fond du seau me firent très mal.

Ôishi

— Qu'est-ce qu'il y a au fond de ce trou ?

Ôishi

J'ai toujours aimé la légende du vieillard qui faisait refleurir les arbres morts, vous savez. Alors, vous avez aussi vu un chien en rêve, c'est ça ? Et il vous a dit de creuser ici ?

Ôishi remplit son seau pour la troisième fois.

Il va encore une fois me le balancer à la figure...

Ôishi

— Je me demande quel trésor vous espériez déterrer d'ici.

Vous ne voudriez pas me le dire ?

Éhhéhhéhhé !

Si t'as tellement envie de le savoir, t'as qu'à bouger ton tas de graisse et creuser toi-même,

sale fils de pute !

J'étais sûr de ne pas l'avoir dit à voix haute, mais Ôishi me jeta le seau de boue à la figure.

Merde, merde, MEEEERDE !

Si t'étais pas venu, on n'en serait pas là !

Tout est devenu fou depuis tu as ramené ta tête de con.

Satoko a commencé à se faire tabasser par son oncle le jour où tu es venu. Et donc, j'ai dû le tuer. Et là, le monde est devenu complètement barjot.

C'est à cause de lui, tout ça !

DE LUI !

Encore un seau de flotte.

La rage commençait à bouillir dans mes entrailles.

Crève, salopard !

Si vraiment j'ai ce pouvoir magique de tuer les gens en les maudissant, comme je l'ai fait hier avec Mme Takano, alors autant que ce pouvoir me serve à quelque chose !

Crève, enflure ! Et non, ce n'est pas la malédiction de la déesse Yashiro, c'est la mienne ! C'est MOI qui te maudis !

Ôishi

— Eh ben alors garçon, c'est quoi ce regard, t'as un problème ?

Tiens, un petit cours d'histoire, tu t'endormiras moins con ce soir :

Ôishi

on vit vraiment paisiblement de nos jour.

Quand j'étais gamin, nos aînés et nos professeurs nous frappaient très fort pour nous donner de bonnes leçons de savoir-vivre, et ça marchait ! C'est fou, hein ?

Détective

— Chef !

L'un des hommes qui creusaient appela l'inspecteur, s'essuyant le front.

Celui-ci jeta le seau vide sur le côté et se retourna avec un sourire aux lèvres.

Ôishi

— Ouiiiii ? Qu'y a-t-il ?

Détective

— Regardez...

... Enfin, c'était fini.

Il vous en a fallu du temps, bande de moules !

Ouais, je l'ai tué.

Je sais pas qui c'est, mais vous saurez me le dire, c'est votre boulot, non ?

Alors prenez le corps et trouvez-moi la preuve que c'est bien l'oncle de Satoko...

Ôishi

— Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Détective

— Je pense que c'est une vieille canalisation.

Il doit être relié à la vieille bouche d'écoulement, là-bas.

Ôishi

— On le casse, alors.

Il est pas en service, alors on s'en fout.

Les autres hommes se regardèrent entre eux.

Détective

— Chef...

Le sol est dur par ici.

Il a pas la force d'avoir creusé aussi profond.

Ôishi

— Alors il se serait trompé d'endroit ?

Détective

— Non. Le sol était très meuble, on sent bien que quelque chose a été enterré ici et que la terre a été rebouchée.

Mais il redevient très dur.

On a dû creuser plus loin que le trou que le jeune a fait la première fois.

Ôishi

— Alors quoi ?

Il a fait un trou et il l'a rebouché sans rien mettre dedans ?

C'est ça que vous êtes en train de me dire ?

... ... ... Mais…

Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

Ôishi

— AHHAhahahahahahahaha !

Ah, la vache, vous m'avez bien eu,

n'est-ce pas ?

M. Maebara !

Il me prit par le col et me traîna jusqu'au trou.

Le fond était une grande flaque de boue, je ne voyais même pas le tuyau.

L'un des hommes prit sa pelle et frappa le sol, qui résonna avec un bruit dur et sec.

C'est ici que j'ai creusé, j'en suis sûr et certain.

Mais j'ai pas creusé aussi profond.

Je savais même pas qu'il y avait un tuyau ici...

Mais alors…

mais alors…

Il est où, le mec ?

C'était la preuve ultime de ma réussite, ce cadavre !

Où il est ?

Il est pas là…

Il n'y a rien !

Mais alors... qu'est-ce que j'ai fait hier ?

Alors c'est vraiment juste moi qui m'imagine des choses ? C'est vraiment moi qui suis devenu fou dans ma tête ?

Non, c'est pas possible...

Je l'ai tué, c'était trop réel,

je peux pas avoir imaginé tout ça !

Et pourtant... le seul élément qui aurait mis tout le monde d'accord et qui aurait prouvé que j'étais pas en train de mythoner avait disparu.

Je l'ai tué.

Je l'ai enterré.

J'en suis sûr et certain, je n'en démordrai jamais.

Mais alors... il n'était pas mort ?

Quand je suis parti... il est revenu à la vie et il est sorti du trou... et il est rentré chez lui ?

J'étais juste venu vérifier...

S'il avait un tatouage ou pas.

Mais en creusant ici, j'avais découvert un indice encore plus formidable.

Mais bon sang... qu'est-ce que j'ai fait hier ?

Je l'ai tué !

Je l'ai enterré,

je le jure !

Mais il était encore vivant... et il est reparti.

Mais ça non plus, c'est pas possible...

Oh putain, ce village commence à me les briser, mais grave !

OK, c'est bon, j'ai compris !

Dans ce village, les morts ne sont pas foutus de rester tranquilles !

Ben si c'est que ça... J'ai qu'à retourner chez lui et le tuer encore une fois.

S'il faut en arriver là pour qu'il arrête de persécuter Satoko, alors je le tuerai aussi souvent que nécessaire !

Ôishi et ses hommes étaient en grande discussion.

Ils se mirent d'accord, et il revint vers moi.

Je me demandais bien ce qu'il aurait encore à me dire.

Vous me direz, il veut peut-être juste me mettre son poing dans la figure...

Je me raidis... mais il passa à côté de moi, comme s'il ne m'avait pas vu.

Ses hommes le suivirent, et eux aussi me passèrent sans même me jeter un seul regard.

Au bout d'un moment, je ne ressentis plus aucune présence. J'étais redevenu seul dans un monde constitué d'ombres chinoises.

Au milieu de ce monde mouvant, il n'y avait désormais plus que moi.

Le bruit de la pluie violente était la seule chose à combler le silence assourdissant de la forêt déserte...