La lumière de chez nous était aveuglante.
Et à la contempler, je me souvins que je crevais la dalle.
Je regardai ma montre : il était presque 19h.
Quoi, seulement 19h ? J'étais sûr qu'il était au moins 2 ou 3h du matin !
Mon horloge interne doit être sacrément déréglée...
À travers les rideaux du salon, quelques rais de lumière chaude et agréable.
Le monde devait être bien différent de l'autre côté des vitres...
Si cet homme n'était jamais apparu pour nous pourrir la vie, je serais sûrement de l'autre côté, dans ce monde, là-bas.
Sûrement excité comme une puce, à raconter à mes parents tout ce que moi et mes amis avions fait à la fête.
Puis, rassasié par les repas pris dans les stands, je délaisserais mon assiette.
Puis je m'endormirais à poings fermés sous la couette, surpris par le sommeil et la fatigue.
Mais ce soir, je ne pouvais pas.
La lumière de l'éclairage public était blafarde.
Je ne risquais pas de passer la soirée avec mes parents, et je n'aurais pas de repas, et de toute façon, je ne pouvais pas dormir maintenant.
Pressé par la nécessité, je restai sous la pluie gelée, et me forçai à accomplir le reste de ma tâche.
Je me rendis soudain compte de quelque chose.
Je ne savais plus trop pourquoi j'avais fait tout ça.
J'avais oublié la raison pour laquelle je m'étais poussé au meurtre.
J'avais simplement exécuté le plan qui était le plus simple, le plus rapide et le plus sûr pour que Satoko fût enfin en sécurité.
Il était mort.
Il a disparu.
Il ne lui fera plus jamais mal.
Nous avions réfléchi, poussés par le désespoir, pendant des jours entiers, et, ne trouvant rien, nous avions abandonné. Or, je venais de résoudre le problème en une seule petite après-midi.
Tout seul, sans l'aide de personne.
Je parie que Satoko est en train de cuisiner le repas du soir pour elle et pour lui, sans vraiment savoir quand est-ce qu'il se déciderait à rentrer. Je parie même qu'elle a déjà peur de l'assaisonnement, peur des cris et des coups si ce n'est pas assez bien.
Sauf que son oncle ne reviendra jamais.
Elle n'aura plus à avoir peur de ses cris. Il ne la fera plus pleurer.
... ... Je…
mais alors…
j'ai réussi ?
Je l'ai fait... j'ai sauvé Satoko !
En fait, j'étais tellement obnubilé par le meurtre en lui-même que j'en avais oublié à quoi il me servait...
— ... Je vois...
... Ahahaha... Ahahahahaha !
Mais alors, c'est une bonne action, ce que je viens de faire ?
Ouais... ouais,
c'est une bonne action...
Lorsque je sentis enfin les larmes couler sur mes joues, brûlantes,
je me rendis compte que la fatigue que j'avais ressentie tout du long était en fait du remord.
Je me sentais coupable, et cette culpabilité venait maintenant retourner le couteau dans la plaie.
Et ça faisait mal... bien plus que je ne l'avais imaginé.
Cela faisait si mal que j'en pleurais.
Je pleurais de joie d'avoir sauvé Satoko, aussi.
Enfin... je ne sais pas trop pourquoi, mais je restai un bon moment sur place,
à pleurer à chaudes larmes.
Après quelques instants, je me sentis vraiment mieux.
Bon, allez, Keiichi,
tu as assez pleuré.
Tu n'as pas à avoir honte de ce que tu viens de faire.
C'est vrai, tu es fatigué, et ton corps et ton âme sont à bout de forces.
C'est normal que tu ne ressentes plus rien.
Je pense que tu ne ressentiras rien, ni demain, ni après-demain peut-être.
Mais il y a une chose de sûre.
Satoko est sauve.
Un jour, elle te remerciera pour cela.
Un jour, tu seras fier de ce que tu as fait pour qu'elle puisse retrouver le sourire.
Et si tu veux que ce jour arrive, alors il te faut finir ce que tu as commencé.
Si tu ne termines pas, si tu te laisses aller maintenant, tout aura été en vain.
Je relevai la tête et regardai la pluie.
Puis je fermai les yeux, très fort, et puisai dans mes dernières réserves.
Je ne peux pas rester planté là jusqu'à l'année prochaine.
J'ai autre chose à faire...
Quelqu'un pourrait découvrir le corps de l'autre idiot...
Ce pessimisme était la preuve que la peur était bel et bien revenue me tourmenter.
La laissant me mouvoir, j'entrai dans notre cabane à outils et me mis à rechercher l'autre pelle et notre lampe-torche à toute vitesse...
J'avais de la chance : j'eus le souvenir précis de quelques détails particuliers concernant l'éclairage près de l'endroit où j'avais laissé le corps.
Avec les ténèbres grandissantes, il y avait de fortes chances de ne pas le trouver...
Et comme je ne m'étais pas attendu à ce problème somme toute trivial, je n'avais pas pensé à graver l'endroit dans ma mémoire.
C'est d'ailleurs en cela que je me considérais chanceux de retrouver le corps sans embûches.
L'endroit avait formé une grande flaque d'eau.
D'ailleurs, elle recouvrait déjà le corps à moitié.
Je remarquai alors, à quelques pas de là, un vieux tuyau d'écoulement, inusité, rempli de terre et de feuilles mortes. Ç'aurait été bon à savoir tout à l'heure, ça.
Mes chaussures étant pleines d'eau depuis bien longtemps, je n'hésitai pas une seule seconde à marcher dans la flaque d'eau.
Elle avait nettoyé tout le sang qu'il y avait eu autour de lui.
Il n'y avait probablement plus de traces de pas ou de projections…
Cette pluie était vraiment providentielle.
Après avoir scruté les environs, je décidai de jouer la carte de la sécurité, et éteignis la lampe.
Il fit instantanément tout noir, mais après une légère période d'adaptation, je pus voir à nouveau un peu devant moi.
Je plaçai la pelle juste à côté du corps, au fond de la flaque d'eau.
Le sol était encore plus meuble que ce que j'avais espéré. La pelle s'enfonça dans le sol comme dans du beurre.
Allez, je dois creuser en vitesse...
Si je perds trop de temps avec ça, je risque de ne plus avoir le mental nécessaire pour tout terminer.
C'était un peu comme si je creusais dans du sable.
C'était facile, mais l'eau et la terre retombaient directement là où j'avais enlevé une pelletée.
Je n'arrivais pas à faire ce que je voulais.
J'avais beau creuser et creuser encore, l'eau qui ruisselait dans le trou qui en résultait m'empêchait de vraiment me rendre compte de la profondeur atteinte.
Je devais y aller à la louche, d'après l'enfoncement de mes propres jambes.
Oui, tu creuses bien, en fait.
Allez, ça va, abandonne pas. Creuse, petit, creuse. Allez, creuse...
De temps en temps, j'entendais une voiture qui s'approchait sur la route, alors je me cachais en toute hâte plus profond dans la forêt.
Ils ne faisaient que passer, en fait.
Personne ne regardait le paysage.
J'aurais pu le deviner -- c'était un comportement logique après tout -- mais je ne pouvais pas m'empêcher de me cacher...
Je n'avais pas tant peur de me faire découvrir par une voiture que de ce que je sentais m'arriver :
je prêtai de moins en moins attention aux choses autour de moi.
Au début, je remarquais les voitures de très loin, rien qu'au bruit sous la pluie.
Mais au fur et à mesure, je ne les remarquais plus qu'au dernier moment, il fallait presque me faire éblouir par leurs phares pour que je daignisse reconnaître leur présence.
Je sentais bien que mes sens me lâchaient.
J'espère juste que personne n'est en train de m'observer en silence, parce que sinon, il doit me regarder depuis un moment et je ne l'ai pas calé.
À cette pensée, j'arrêtai de creuser et observai longuement les alentours.
Je remis un peu d'ordre dans mes pensées, puis tentai de ressentir toutes les présences alentour.
Et si jamais je découvrais quelqu'un dans les parages ?
Hmm... ... ... ... ...
Mon instinct de prédateur refit surface.
Après tout ... ... je n'étais plus à un trou près.
Après tout ce que j'ai fait...
Franchement, je ne vais pas m'embarrasser de détails...
Je ne sais pas si j'ai un regard de tueur en ce moment, mais je parie que oui.
— ... ... ...
Non, je ne ressentais rien.
Mes cinq sens restaient muets.
Mais je ne poussai aucun soupir de soulagement.
Combien de temps j'ai creusé ce trou à la con ?
Je suis debout dedans, jusqu'aux genoux.
Ça devrait suffire, je pense.
Je vais placer le corps dedans, pour voir.
— Hfou, allez, du calme...
Je repris mon souffle.
J'avais un peu peur de le toucher, pour tout dire, surtout les mains.
Je décidai donc de le tirer par les pieds.
... C'était pas facile de le tirer.
Évidemment…
regardez-le, il doit faire au moins 80kg, c'est pas un gringalet...
Je rassemblai toutes mes forces, puis tirai à nouveau.
Je n'avais même plus la peur irrationnelle de le voir bouger.
Le corps passa entièrement dans le trou.
La profondeur était suffisante.
Ok, allez, on rebouche,
vite, vite, vite !
Dès que j'aurai bien rebouché le trou, ce sera fini !
Je l'aurai enterré, et je ferai comme si de rien n'était !
Lorsqu'enfin je compris que j'étais si près du but, je fus pris d'une envie irrésistible de bâcler le tout, de finir le plus vite possible.
Si je ne me dépêche pas de reboucher le trou, il va ressusciter...
À grande vitesse, le trou se remplissait.
Si je ne me dépêche pas, quelqu'un va finir par me trouver.
Je m'étais dit que je tuerais quiconque me surprendrait, mais franchement, je n'en avais plus la moindre envie.
J'étais possédé par la peur : si quelqu'un me trouvait maintenant, tout serait foutu...
À la fin, je faisais presque n'importe quoi.
...Splish-splash, squish-squash.
Puis je tapotai un peu par-dessus pour rendre la surface de la terre plus plane.
J'avais le corps et les habits maculés de boue.
La pluie pouvait nettoyer ma peau, mais pas mes habits.
Plein de boue, de sueur, de pluie, et de peur, j'étais de plus en plus énervé...
— ...Hah... hah... hah...!!
Jetant la pelle non loin devant moi, je m'assis à-même le sol.
J'étais épuisé -- j'aurais pu dormir ici.
... ... ... Tout est fini.
Cette fois,
c'est sûr…
tout est fini...
Il est six pieds sous terre désormais.
On voit encore où je l'ai enterré, mais avec cette pluie, cela ne se verra plus très longtemps.
Tout est fini !
— J'ai réussi…
j'ai réussi…..
j'ai réussi !
Rahhhahahahaha va chier, merde
Je me laissai tomber en arrière, à la renverse, puis sur le côté.
La pluie me cinglait le visage, mais franchement, c'était le cadet de mes soucis.
Après être resté un moment à savourer cette sensation, je me relevai.
J'en ai terminé avec ça.
Plus qu'à rentrer à la maison.
J'ai enterré le corps.
D'ailleurs, quel corps ? Il n'a jamais existé !
Mais alors, qu'est-ce que je fous là, sous la pluie ? Il faut que je rentre à la maison !
Lentement, je me mis debout.
Je n'avais plus besoin de la pelle.
Je voulus la démonter, mais j'en avais plus la force.
Bah, plus la peine.
Traînant la pelle derrière moi, je me dirigeai vers la lumière.
Je remis mon vélo droit.
La pelle ne rentrait pas dans le panier devant mon guidon.
Comme je l'avais fait pour la batte, je rentrai la pelle sous mon pull.
Sauf que les bord me firent très mal.
Et puis, dès que je bougeais le dos, elle tombait.
Finalement, je n'eus pas le choix. Je me mis à rouler à vélo avec la pelle dans la main gauche.
J'étais à bout de forces, et en plus il pleuvait fort.
Alors en roulant à une main,
cela ressemblait à un mec ivre mort à vélo.
Mais je m'en foutais.
À chaque coup de pédale, je me rapprochais de la maison.
Je vis deux lumières parallèles devant moi.
Une voiture.
Uh oh... je dois l'éviter...
À l'autre bout des ténèbres, la voiture apparut.
La lumière aveuglante de ses phares m'éblouit.
Un bref coup de klaxon : j'étais en plein milieu de la route.
Je dois l'éviter.
Je savais que je devais l'éviter, mais mon corps ne répondait plus comme il le fallait.
Il bougeait trop lentement…
il n'allait pas à droite, ni à gauche... il me faisait serpenter.
La voiture semblait partir du principe que j'allais l'éviter au dernier moment et ne ralentissait pas.
Lorsqu'enfin mon cerveau compris que oui, vraiment, je devais l'éviter, alors ma main donna un violent coup de guidon sur le côté, et je perdis l'équilibre, m'étalant sur le côté.
Une de mes jambes resta coincée sur le vélo.
C'est pas bon du tout, ça !
D'un seul coup, ma vue redevint normale, et je me mis à chier des briques.
La voiture donna un gros coup de volant, elle aussi, puis dérapa en biais, s'arrêtant à peine à quelques centimètres de moi.
La porte du conducteur s'ouvrit, et le conducteur descendit de son véhicule.
Je croyais qu'il allait me gueuler dessus comme un putois...
— Eh bien alors,
qui avons-nous donc là ?
Eh ? Une voix de femme ? Et je la connais, en plus…
Je relevai la tête et la dévisageai.
— ... Ah... Madame Takano ?
— Bonsoir.
Le clair de lune est très romantique, ce soir, tu ne trouves pas,
Maebara ?
Ce soir, il pleuvait fort. On ne voyait pas la lune, d'ailleurs.
Et elle tenait un large parapluie sur elle, de toute façon.
Mais son sourire... son sourire en disait long. Elle voyait clair dans mon jeu.
De toutes les personnes que je connaissais, je crois que c'est pile-poil celle que je ne voulais surtout pas rencontrer dans un moment pareil.
— Eh bien alors, que t'arrive-t-il, à une heure pareille, en plus !
Tu es trempé, tu n'as même pas de parapluie alors ?
Et ça c'est quoi ?
Une... Une pelle ?
Elle est en voiture.
Elle ne peut pas savoir ce que je viens de faire.
Et pourtant... Elle sourit comme si elle savait parfaitement ce que je venais de faire...
Calme-toi, Keiichi, reste zen.
Elle est de toute façon pas normale dans sa tête, cette femme, elle sourit toujours comme ça.
Ne dis pas de conneries, tu risquerais encore de te trahir...
— Il paraît que tu es venu jouer au base-ball avec un club de golf, l'autre jour ?
Ce qui explique la pelle.
Alors, dis moi, ça fait un bon parapluie ? Ahahahaha !
Il vaut mieux entrer dans son jeu et faire de l'humour.
Si j'arrive à briser la glace, tout ira comme sur des roulettes.
— Non... Je l'avais oubliée sur le site du barrage, la dernière fois que j'avais été là-bas avec Rena.
— ... Ah oui ?
Et tu es allé la rechercher par une pluie battante ?
— ... J'avais pas prévu qu'il pleuvrait lorsque je suis parti, je dois dire...
— Oh ? Je ne veux pas te vexer, mais il pleut depuis un moment, tu sais.
Tu es donc parti de chez toi il y a un bon moment...
— Bah... Oui, mais bon... j'ai marché.
— Ah oui ?
Je te crois, ça a dû durer longtemps de faire tout le tour de la Terre...
Le barrage n'est pas derrière toi, mais derrière moi. Tu ne viens pas de la bonne direction…
ahahhahahahaha !
Elle s'était manifestement rendu compte qu'il y avait quelque chose de louche.
Et elle était entrain de me cuisiner... en y prenant plaisir, à ce que je pouvais voir.
Elle va sûrement avoir des soupçons... elle va se douter de quelque chose...
Mais quelle poisse... Tomber sur elle à un moment pareil ?
J'avais franchement pas de chance... si près du but...
J'étais à deux doigts de pouvoir enfin souffler, et paf !
Pourquoi fallait-il tomber sur elle, MAINTENANT ?
... Bon, tu fais quoi, Keiichi ?
Tu as la pelle en main, ça peut suffir.
... ... Alors ? Tu la butes ou pas ?
— ... ... ... ... ...
Ça ne devrait pas poser de problème de la buter, mais je ne peux pas. Qu'est-ce que je ferais de sa voiture ?
Je ne saurais jamais conduire une voiture.
Une mobylette, une moto, allez, à la rigueur, mais une voiture ?
En même temps... la voiture peut rester, tant que les policiers ne peuvent pas remonter jusqu'à moi...
Mais bien sûr ! La scène ressemble à une attaque non préméditée, en plus par ce temps... Ce meurtre, ce sera la faute à pas de chance...
Tant que la police n'a pas de mouchoir avec mes initiales dans le coin... elle n'en saura jamais rien que c'est moi qui ai fait le coup...
À l'intérieur de mon corps, je sentis une colonne de feu noire s'embraser silencieusement...
— ... Eh garçon, on se calme.
J'ai été un peu trop méchante, peut-être ? Hmff.
Elle arrêta là la conversation.
Mais les nuages noirs tonnaient toujours en moi...
— Bon, c'est pas tout ça,
mais, tu comptes rester encore longtemps par terre, sous la pluie ?
Tu pourrais songer à te pousser, peut-être ?
Est-ce qu'elle partirait ?
Alors que je me relevai, ma cheville se coinça dans le cadre, et je retombai violemment.
— AAah... Aaaaaahla vache...
ouh putain ça fait mal, nnnnngr...
Une douleur fulgurante remonta le long de ma jambe.
Mais quel con…
mais quel con, putain, pourquoi une entorse MAINTENANT ?
— Oh ? Ça va ?
Est-ce que par hasard, tu te serais fait une entorse ?
Elle se pencha sur moi et inspecta ma cheville.
Puis, regardant mon visage crispé, elle évalua la douleur que je devais ressentir.
— Hmmm. Tu peux te relever ?
— ... Ng... phhhthhhh de thhh rhhce...
Impossible de me remettre debout.
J'étais à terre, comme une grosse larve, incapable de faire autre chose que ramper...
Madame Takano regarda sa montre, puis sa voiture. Après y avoir réfléchi quelques secondes, elle alla ouvrir la porte du côté passager.
Puis elle revint vers moi et me laissa s'appuyer sur son épaule.
— Allez, va, je te raccompagne jusque chez toi.
J'ai un peu l'impression que c'est de ma faute si tu t'es blessé, de toute façon.
— Nghh, désolé, merci beaucoup, c'est gentil.
— Bah, je n'allais pas non plus te laisser sous la pluie.
Heureusement pour toi que j'ai un bon fond, quand même ! Ahahaha !
Ceux qui se jettent des fleurs comme ça ne sont généralement pas très recommandables... mais bon, elle est en train de m'aider à me relever, donc je suppose qu'il y a du vrai là-dedans...
Elle m'aida à m'installer sur le siège passager.
Puis, se retournant, elle regarda mon vélo.
— Pour le vélo, tu reviendras demain ?
Je lisais bien dans son regard qu'elle le trouvait lourd et sale et qu'elle ne voulait pas saloper son intérieur cuir.
Mais il y avait marqué mon nom sur le cadre.
Je ne pouvais pas me permettre de le laisser là.
— Euh... je sais pas... Y a pas moyen de le mettre sur les galeries ou dans le coffre ?
Vraiment ?
— Mon coffre est déjà plein.
Et si je le mets sur la banquette arrière, les sièges vont être très sales.
En même temps, tu es aussi plein de boue, je ne suis pas à un siège près...
Je me retournai et vis un vélo pliable sur la banquette arrière.
... Franchement, il y avait encore la place pour mettre le mien.
Évidemment, vous me connaissez, je suis pas du genre à savoir garder mes pensées secrètes : Madame Takano put les lire sur mon visage comme si elle avait lu un livre.
— D'accord, d'acccord, j'ai compris.
Je vais le prendre, ton vélo.
Et ce soir, exceptionnellement, je vais être trèèèèès gentille avec toi... mmmfhfhfhfh !
Elle avait beau y mettre de la mauvaise volonté, madame Takano ramassa quand même mon vélo en y faisant très attention, puis le plaça dans sa voiture.
Personnellement, sa mauvaise volonté ne me dérangeait pas, mais son rire, par contre...
Enfin bref, toujours est-il qu'elle prit mon vélo. Je reportai alors mon regard vers la pelle.
Ça déjà, c'était plus important. Cela pouvait me relier directement avec le meurtre.
— Euh... Je veux pas abuser, hein, mais... vous pouvez aussi prendre la pelle ?
Madame Takano me regarda, intriguée et méfiante.
— ... La pelle, hein ?
... Oui, bien sûr.
Elle est importante ?
— ... ... ...
Si je lui parle, je risque de m'enfoncer encore plus.
Il vaut mieux éviter de continuer la conversation...
Madame Takano secoua la tête puis haussa les épausses, poussant un long soupir de découragement.
— ... Oui, c'est bien, ça va, je vais la prendre, ta pelle.
Je suppose que tu auras des problèmes si tu la laisses ici ?
Pas la peine de me faire les gros yeux...
Elle repartit devant la voiture et ramassa la pelle, puis me la redonna.
Je la serrai fort dans mes bras, bien décidé à ne plus jamais la lâcher.
Madame Takano me contempla, le regard sévère et suspicieux.
— Bon, alors allons-y.
Je suppose que tu habites dans la fameuse “villa Maebara” dont tout le monde parle au village ?
— Mais pourquoi vous l'appelez tous comme ça ?
— Ben écoute, c'est une villa, tout de même ? Tu as vu comme elle est grande !?
Vous ne vous en rendez pas compte, vous les riches, mais vous avez de la chance, vous savez...
Madame Takano enleva le frein à main puis appuya sur le champignon.
Utilisant les bas côtés, elle fit un demi-tour rapide, puis reprit de la vitesse.
J'observai dans le rétroviseur la route. Nous nous éloignions rapidement de l'endroit maudit où j'avais commis mon méfait...
— ...errer ?
— Quoi ?
Pardon, je ne faisais pas attention,
vous avez dit quelque chose ?
Apparemment, elle avait essayé d'engager la conversation.
Le regard bien concentré sur la route, elle réitéra sa question.
— Le cadavre.
— ... Quoi ?
— Tu as réussi à bien l'enterrer ?
— ... ... ...
... Je n'eus pas de réaction violente.
Par contre, je ne me sentis pas respirer, comme si plus rien ne voulait passer.
— Que... mais... Mais qu'est-ce que vous racontez ? Mais ça va pas la tête ?
— Quand on cache un corps en l'enterrant, il faut creuser très profond.
Sinon, les chiens errants ou les autres charognards pourraient être attirés par l'odeur du corps en décomposition et venir le déterrer.
Imagine, un chien errant est retrouvé avec un os humain en bouche, ce serait une belle histoire pour la presse locale. La police bouclerait toute la région et ferait des recherches en montagne. C'est pas si rare que ça, en fait, tu sais ?
Mmmfhfhfhfh !
Dans ma tête, c'était le chaos.
J'entendais des aboiements de chien et des coups de feu de partout.
Est-ce que je l'ai vraiment enterré profond ?
Non, je ne pense pas.
J'étais tellement pressé en me disant que ce serait fini dès qu'il serait enterré que je n'avais pas vraiment creusé comme il fallait...
Non, non, non, attends, c'est pas le plus important pour l'instant.
Ce qu'il faut savoir, c'est pourquoi est-ce qu'elle est au courant !
Elle ne faisait que passer en voiture, je l'ai vue arriver de très loin.
Elle m'est tombée dessus complètement par hasard.
À moins de m'avoir observé depuis le début,
puis d'être repartie à pied sur plusieurs kilomètres pour revenir en voiture,
elle ne peut pas le savoir...
Qui ferait une chose pareille, c'est insensé !
... ... Keiichi, je crois que t'as pas le choix,
il va falloir la buter elle aussi...
Je sentis mes forces revenir, et mes pupilles se dilater.
Je ne pouvais pas la frapper dans l'habitacle.
Il va falloir l'étrangler, alors...
Oui, mais elle conduit…
Si je l'étrangle maintenant, on va avoir un accident...
Juste au moment où je contemplai mes options, elle tourna la tête et me décocha un regard innocent.
— ... Eh bien alors ? Tu n'as jamais vu de sketch comique à la télé ou quoi ? C'est à toi de parler, soit tu fais comme si j'avais raison, soit tu me cries dessus parce que je raconte des bêtises plus grosses que moi.
Je me redégonflai, un peu perdu dans la conversation.
— Nous ne sommes jamais vraiment sur la même longueur d'ondes toi et moi.
Très déçue, elle regarda à nouveau droit devant elle.
Après y avoir réfléchi encore un petit moment, je me rendis compte qu'en fait, elle avait essayé de me faire une blague...
Je ne sais pas si c'était vraiment une blague innocente, mais une chose était sûre,
je ne réussirais jamais à la mener en bateau, celle-là.
De toute façon, tant qu'elle conduit, je ne peux pas me permettre de la tuer.
Et une fois arrivé à la maison, j'aurais encore moins l'occasion de la supprimer.
Ma meilleure chance, ç'aurait été directement là-bas, dans la forêt, tout à l'heure.
Et je l'ai ratée. Hmmm... c'est pas bon pour moi, ça.
Après cette tentative ratée, Madame Takano n'essaya plus de faire la conversation.
Le silence se fit oppressant dans la voiture. Je crus bien que j'allais étouffer.
C'est pas vrai, quand même... Quelle femme.
Il s'en est passé, des choses, aujourd'hui, et juste tout à la fin, à la dernière étape, je tombe sur elle, c'est quand même pas de bol, quoi...
— ... ... ... ...
J'étais paralysé par l'angoisse... mais finalement, le sommeil gagna du terrain. Après quelques minutes de silence, tout m'était devenu égal...
... ... T'es sûr de ce que tu fais, Keiichi ?
Il vaut mieux la tuer, tu sais, ce serait vraiment mieux pour toi.
... ... Laisse-moi, je suis trop fatigué, maintenant.
La voiture freina, et mon corps se pencha vers l'avant, retenu par la ceinture de sécurité.
C'est cette pression qui me fit ouvrir les yeux.
Il faut croire que j'avais dû m'assoupir...
Regardant par la fenêtre, je vis vaguement un grand bâtiment avec une lumière diffuse tout autour.
Il faisait sombre, mais je compris immédiatement que j'étais devant chez moi.
— Bon, je vais appeler tes parents.
Tu fais attention à ce que personne ne vienne voler la voiture, d'accord ?
Ahahaha...
— Oh, c'est bon, ne me prenez pas pour un idiot non plus, hein.
Eh puis regardez,
c'est bon.
Je peux marcher, maintenant.
— Ah oui ?
Tout à l'heure, tu avais tellement mal, je t'ai même soutenu pour marcher !
Oooh le petit coquin, tu voulais te coller à moi, c'est ça ?
...Hee-hee-hee.
Elle descendit de voiture, puis ouvrit son parapluie.
Il pleuvait à grosses gouttes, encore et toujours.
Je massai précautionneusement ma cheville.
J'avais encore mal, mais plus autant qu'avant.
J'aurais dû me réjouir -- la blessure n'était pas aussi grave que je ne le pensais -- mais je n'eus que des regrets. Si je ne m'étais pas blessé, j'aurais pu la supprimer elle aussi...
... ... Je suis prêt à parier qu'elle sait que j'ai fait quelque chose de louche.
Si jamais l'affaire avec Satoko éclate au grand jour, elle saura faire le rapprochement.
Ka-click.
Elle m'ouvrit la porte.
— Tu es sûr que tu ne veux pas d'aide ?
Allez, un petit câlin pour la route ?
Ahahahaha...
L'ignorant avec insistance, je descendis seul.
Il pleuvait vraiment très fort.
Je repris mon vélo du siège arrière.
Je ne savais toujours pas à qui était l'autre vélo, mais ce n'était pas très important.
Debout à ses côtés, abrité par le parapluie qu'elle maintenait bien en place au-dessus de nous deux, j'avançai vers le vestibule.
— Merci beaucoup pour m'avoir raccompagné.
Je pense que j'arriverai à rentrer tout seul.
Ma cheville avait été très douloureuse quelques instants auparavant, mais maintenant, la douleur était supportable... Ce qui, en soit, était insupportable.
Je n'avais vraiment pas eu de chance.
— Bon, eh bien, je vais rentrer chez moi, alors.
Ne dis à personne que nous avons fait un tour en voiture rien que toi et moi, dans la nuit noire, d'accord ?
Et surtout pas à Jirô, il est tellement sensible...
Jirô ?
Aaah, c'est sûrement M. Tomitake.
Alors elle l'appelle par son prénom ? Je commence à voir la nature de leur relation...
Et donc son nom à lui, c'est Jirô Tomitake...
L'espace d'un instant, le vélo plié sur la banquette arrière me revint en mémoire.
“Ahaha, désolé du dérangement. Tu habites à Hinamizawa, c'est bien ça ?”
L'avant-veille, il m'avait parlé lorsque je m'étais rendu sur l'ancien chantier du barrage.
Il était à vélo, il me semble...
— Le vélo sur la banquette arrière... c'est celui de M. Tomitake, n'est-ce pas ?
Je vis son regard se transformer, l'espace d'un instant.
— ... ... Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— J'ai vu son vélo l'autre jour.
Le cadre est très spécial.
— .. ... Ah oui ?
Mais alors... c'est pas un peu bizarre ?
Tu crois vraiment que ça pourrait être son vélo dans ma voiture ?
— Comment ça, “bizarre” ?
Elle me dévisagea d'un air grâcieux et hautain, puis, après s'être passé une main dans les cheveux, elle me fixa droit dans les yeux.
— Réfléchis.
Il n'y a pas d'hôtel à Hinamizawa.
Donc Jirô dort forcément dans un hôtel en ville, à Okinomiya.
— Ah bon ?
Ben écoutez, oui, si vous le dites, je suppose que oui.
— Tu te vois, marcher à pied d'Okinomiya à Hinamizawa, tous les jours ? C'est pas vraiment pratique.
Et puis, il n'y a pas de bus.
Il faut au moins un vélo pour se déplacer jusqu'ici, tu ne crois pas ?
Elle n'avait pas besoin de me l'expliquer en détail.
Je me doutais bien que c'était pour ça qu'il se déplaçait à vélo.
— Si son vélo est dans ma voiture, mais pas lui…
ce n'est pas normal.
Il serait à Hinamizawa, sans vélo ?
Tu crois que je l'aurais laissé rentrer à pied,
après lui avoir piqué son vélo ?
Vraiment ?
Elle me regardait intensément,
mais pour être honnête,
je ne voyais toujours pas où était le problème.
— ... Je sais quand même pas pourquoi vous trouvez ça bizarre.
Vous êtes proches, non ?
Il vous a peut-être prêté son vélo ?
— Non, je ne pense pas, non.
Ce que je suis en train de te dire, c'est qu'à Hinamizawa, Jirô ne se séparerait jamais de son vélo.
Et donc que comme il ne pouvait pas se permettre de s'en séparer, cela ne pouvait pas, en toute logique, être son vélo sur ma banquette arrière.
Tu comprends ?
Elle tournait un peu autour du pot, en fait. Et surtout, elle commençait à me faire peur avec son regard et avec ses histoires.
Mon instinct de survie me disait qu'il ne valait mieux pas trop y réfléchir.
— C'est mon vélo.
Oui, il ressemble à celui de Jirô, c'est vrai, mais en même temps, c'est lui qui l'a choisi, je suppose qu'il a fait exprès d'en prendre un comme le sien.
— Aaaah... Hmm, ah oui, effectivement,
ceci explique cela.
— Nous ne nous sommes jamais rencontrés ce soir.
Je ne voyais pas ce qu'elle voulait dire par là...
— Mais qu'est-ce que vous racontez ?
— Nous ne nous sommes jamais rencontrés ce soir, tu m'as bien compris ?
Je restai un peu perdu, interdit. Pour la troisième fois, d'une voix terrifiante de calme, elle se répéta.
— Nous ne nous sommes pas vus ce soir.
— ... ...
— Nous ne nous
sommes pas vus ce soir.
Quelque chose de froid et de terrifiant se mit à me remonter le long de la colonne vertébrale.
Moi qui avait tué un être humain aujourd'hui, je savais.
J'avais fini par comprendre qu'il me valait mieux la tuer pour m'assurer de son silence, et elle venait de suivre le même raisonnement... et d'arriver à la même conclusion.
Mon instinct de survie me rappela à son bon souvenir.
Il valait mieux dire que je ne l'avais pas vue.
Elle dégageait une certaine odeur... une odeur de pourriture. Et je parie que je sentais exactement la même chose.
C'était une sorte d'aura particulière que l'on dégageait lorsque l'on était devenu supérieur aux êtres humains normaux,
lorsque l'on avait plus aucune hésitation à supprimer quelqu'un.
Je ne sais pas trop comment l'expliquer, mais je parie qu'elle est comme moi.
C'est quelqu'un qui ne devrait pas être là.
Quelqu'un qui doit disparaître, qui ne doit pas avoir été vu ce soir.
Quelqu'un que j'aurais préféré ne pas rencontrer.
Quelqu'un que je n'aurais aucune hésitation à supprimer pour m'assurer qu'elle ne deviendrait pas un témoin gênant.
Elle est comme moi, en fait.
Je ne veux pas qu'elle vienne fouiner dans mes affaires, et elle aussi ne veux pas que je vienne fouiner dans ses affaires.
Et elle aussi, elle préfèrerait ne jamais m'avoir rencontré ce soir.
Nous étions tous les deux d'accord là-dessus.
Mais alors, si nous avions un intérêt commun... sa proposition pouvait devenir alléchante.
Il ne serait pas très malin de la refuser...
— Si ça peut vous faire plaisir, ça ne me dérange pas, vous savez.
Eh bien, d'accord, je ne vous ai pas vue ce soir.
— Oui.
Je pense que ça vaut nettement mieux pour toi.
— Et qu'est-ce qui vous fait croire ça ?
— Tu m'emmerdes avec tes questions, gamin.
Utilise ta tête, de temps en temps.
Elle m'a traité de gamin ? Hmm... Elle avait envie d'en finir avec cette conversation...
Nous étions devant ma porte, ce n'était pas du tout le meilleur endroit pour tuer quelqu'un.
Et pourtant, nous nous regardions en chiens de faïence, prêts à s'étriper l'un l'autre.
Si ça se trouve…
c'est moi qui me ferais tuer.
Putain, merde, j'aurais dû la buter dans la forêt...
Je commençai à transpirer à grosses gouttes.
... Après tout, rien à foutre. Si elle s'amène, elle en prendra plein les dents...
Je venais à peine de me préparer au pire…
qu'elle se repassa encore une fois la main dans les cheveux, puis tourna les talons.
— Je t'assure.
Tu as de la chance que j'aie un bon fond.
Eh ben, elle en a de bonnes. Elle, un bon fond ?
Et alors ? Qu'est-ce que ça peut me foutre ? C'est pas comme si elle était dangereuse !
Où voulait-elle en venir ?
Elle remonta dans sa voiture
et redémarra sans dire un mot.
J'avais enfin accompli ma mission, mais je ne ressentais aucune joie.
En cette nuit sainte de la malédiction de la déesse Yashiro, où le meurtre était permis...
En cette nuit sainte où les démons rôdent sous la pluie, mettant à exécution la volonté de la déesse Yashiro...
Deux démons étaient tombés l'un sur l'autre.
Puis ils se séparèrent.
Après tout, ils n'avaient pas de raison de se battre l'un contre l'autre.
Et puis, ils avaient déjà accompli leurs missions respectives.
À travers le pare-brise, je croisai encore une fois son regard.
J'eus l'impression qu'elle avait un petit rictus de triomphe sur les lèvres.
... ... De toute façon, il est trop tard pour la tuer, maintenant.
Il est trop tard, oui.
Ma meilleure chance, c'était tout à l'heure, dans la forêt.
Maintenant qu'elle s'en allait, une certitude se faisait sentir.
Je n'aurais jamais dû la laisser en vie !
Elle mit un bref coup de klaxon, puis repartit à toute vitesse dans la nuit noire, sous la pluie battante.
La seule femme à savoir ce que j'avais fait ce soir s'en allait.
Tant qu'elle sera en vie, cette histoire ne sera jamais terminée pour moi.
Putain, pourvu qu'elle crève dans un accident de la route....
Elle pourrait faire un dérapage dans un virage et se prendre un arbre. Et mourir sur le coup si possible, ce serait pratique.
Oh, ce n'est pas une vague chimère dans mon esprit.
C'était plutôt un souhait…
Oui. J'aurait voulu que le Destin voulût bien exaucer mon souhait.
D'ailleurs, c'était plus qu'un souhait, c'était un ordre que je donnais à la fortune.
Qu'elle crève.
Il faut qu'elle crève !
Et qu'elle ferme sa gueule jusqu'à la fin des temps.
D'ailleurs, je parie qu'elle, en ce moment, est en train de souhaiter ma mort aussi.
Malheureusement, je pus encore voir ses lumières arrières un moment, puis elles disparurent aussi dans les ténèbres.
— ... ... ... ...
Je ne la distinguai plus nulle part.
Le bruit du moteur s'était fondu dans la pluie, lui aussi. Je ne pouvais plus le détecter.
Alors, moi aussi, je tournai les talons.
Pour faire tomber le rideau sur cette soirée de folie.
Pour ouvrir la porte et rentrer chez moi, et oublier.
Je me mis à marcher en direction de la porte.
Mes chaussures gorgées d'eau faisaient du bruit.
Un pas. Floutche.
Un autre. Floutche.
... Ne t'en fais pas, Keiichi.
— ... ... ...
Floutche.
Floutche.
Elle mourra, je te le promets.
— ... ... ...
Floutche.
Floutche
Je lui réserve une mort pas piquée des hannetons.
Je la ferai brûler vivante, et je la laisserai courir et danser jusqu'à ce qu'elle meure.
Je la ferai plonger dans les flammes des enfers et je la ferai danser pour toi aussi.
— Oui, merci.
Sérieusement, merci.
Floutche
... Hein ?
mais pourtant…
j'ai…
pas bougé, moi ?
Mais alors…
pourquoi ça a fait floutche ?
Je me retournai.
Il y avait eu un bruit de pas, donc si ce n'était pas moi, c'est qu'il y avait quelqu'un qui marchait derrière moi...
Il y a quelqu'un derrière moi ? Ici ?
Oh putain, non, eh, arrêtez, là, j'en ai marre.
Je veux plus voir de monde aujourd'hui, plus personne, c'est clair ?
Si je vois quelqu'un, je le zigouille.
Je vous jure, j'hésiterai pas, je poserai pas de question, et je ferai pas dans le détail !
C'est juste un con de trou à creuser, hein !
— ... ... ... ... ... ...
Heureusement, il n'y avait personne.
Ce soir, je pus rentrer à la maison sans avoir encore à tuer quelqu'un d'autre.
Ce soir-là, je n'y prêtai plus attention.
Il m'arriva encore plusieurs fois d'entendre un bruit de pas en trop à chaque fois que je m'arrêtais, mais je plaçai cela sur le compte de la fatigue...