Satoko

— Fort bien, il est temps de faire ripaille !

Rika

— Miaou !

Rena

— Ahahahaha !

Ça fait un bail que nous n'étions plus cinq à table, d'ailleurs.

C'est vraiment mieux lorsqu'on est tous ensemble !

Mion

— Ouais, je suis d'accord.

Allez, là, p'tit gars !

Raboule ton pupitre !

Satoko amena sa table, le sourire jusqu'aux oreilles.

Je savais que ses problèmes n'étaient pas résolus pour autant, mais cela me fit sourire de la voir se comporter comme avant.

Satoko

— Je m'excuse de vous laisser toujours le soin de la préparation du panier-repas, ma chère...

Rika

— Bah, ce n'est rien.

Ça me fait plaisir, tu sais.

Elle est vraiment formidable.

Satoko doit vraiment tirer un réconfort immense de leur amitié.

Rika

— Je me fais un gros hamburger pour mon repas,

et ensuite un plus petit tout calciné pour toi.

Pauvre petite ! Éhhéé !

Je retire ce que j'ai dit....

Enfin, quoique.

Après tout, c'est Rika tout craché.

Rena

— Héhéhé, regarde un peu ça !

Aujourd'hui, j'ai fait une omelette au riz !

Et il y a des champignons super bons avec ! Hau !

Satoko

— Vous devez avoir l'habitude de vous l'entendre dire, mais vous savez vraiment y faire en cuisine.

Vous êtes presque déjà bonne à marier !

Rena

— Ma-- ma-- marier ?

Ah, ah, ah la marié~~é~~e !

Hauuuu !

Mion

— Eh ben, apparemment c'est un mot trop vulgaire pour sa chasteté.

Fais attention à ne pas l'utiliser trop souvent en sa présence.

Satoko

— Oui, je m'en veux presque de l'avoir mentionné.

Keiichi

— Et aujourd'hui, Mion, tu as ramené quoi ?

J'ai comme l'impression que ce sera pas piqué des hannetons !

Mion

— Bah, j'ai pris les restes de la petite fête d'hier soir.

Les légumes bouillis sont formidables.

Regardez-moi ces tranches de radis, c'est-y pas de la bombe de balle, ça, les enfants ?

Rika

— Wouah, mais ça m'a l'air super bon !

Keiichi

— Oui, et ils sont meilleurs une fois réchauffés !

Keiichi

Ce qui veut donc dire qu'ils sont trop bons

Keiichi

et que par conséquent, il n'y en aura pas assez pour Satoko.

Keiichi

Mais t'inquiète pas, je les mangerai tous et je te dirai comment ils étaient.

Satoko

— Que-- Comment osez-vous, mon cher ?

Donnez-moi cette part im-MÉ-diatement !

Coup de coude !

Coup de poing !

Coup de boule !

Coup de genoux !

Satoko

— Ooohhohhohho !

Je suis encore et toujours la meilleure au corps à corps, à ce que je vois ?

Aaah, mon cher, votre part de radis est dé-li-cieuse !

Keiichi

— C'est pas vrai... elle m'a placé un combo de corps à corps dès le début du round,

c'est pas possible...

Ça fait vraiment longtemps que nous n'avions plus vécu cela...

En fin de compte, les services sociaux sont restés dans l'expectative, mais l'oncle va peut-être se mettre à faire attention et à y aller mollo avec elle.

Si la situation s'en retrouve améliorée... Pourquoi pas ?

Les radis devaient être vraiment bons, parce qu'elle les mâchait avec un plaisir évident.

Elle est vraiment trop mignonne...

Je tendis la main et lui ébouriffai les chev--

Paaafff !

Des baguettes tombèrent, puis un bol, qui roula encore et encore pour finir sa course complètement renversé.

Keiichi

— ... Hein ?

Rena

— Satoko ?

Tout était allé si vite que pendant un moment, je restai sans comprendre.

Ma main me faisait mal.

......Hum...

Lorsque j'ai tendu la main…

et que je lui ai touché les cheveux…

Satoko m'a frappé ?

Mion

— Eh, qu'est-ce qu'il se passe, Satoko ?

Satoko se mit à se gratter la tête comme une possédée, comme si elle avait des poux sur tout le cuir chevelu.

Elle nous prenait tous tellement de court que personne ne comprenait vraiment ce qu'il se passait.

Keiichi

— ... Qu'est-ce qu'il y a, Satoko ?

D'un seul coup, je remarquai qu'elle transpirait de partout, et que la sueur lui collait au corps. Elle avait aussi beaucoup de mal à respirer.

Mais alors…

Elle n'aime pas

quand je lui caresse la tête ?

Keiichi

— Mais pourtant... tu ne m'as jamais dit que... tu ne voulais pas que je te caresse la tête ?

Encore une fois, lentement, je tendis la main vers elle, la paume bien en évidence.

Lorsque la paume de ma main fit contact avec sa tête...

Elle eut un sursaut, puis...

Satoko

« Naaaaaaaaaaaaaaaaaan ! »

Thud, slaaaaam!!!

Elle prit mon bras à deux mains, comme un serpent qui essaie de s'enrouler à sa proie, et le rejetta violemment du côté, comme on jette un objet sale et écœurant.

Emporté par l'élan et totalement pris de court,

je tombai à la renverse, encore assis sur ma chaise, ce qui ne manqua pas de faire un sacré boucan.

Il régna alors un silence surréel dans la classe.

Satoko s'éloigna lentement, encore secouée par des convulsions, poussant des grognements indistincts.

Satoko

— Ugh... ughooooehehhhhhh...egh...!!!

Puis elle se mit à vomir ce qu'elle venait de manger, très bruyamment.

De grandes flaques de bile et de vomi se répandirent sur le sol,

dans un bruit bien peu ragoûtant,

qui fut audible dans toute la salle.

Keiichi

— Eh... Satoko, ça va pas ? T'es malade ?

Satoko

— Eeeeeeuuuuaaaaaaa !

Elle me repoussa des deux mains avec une force saisissante.

Encore une fois surpris par sa force physique, je tombai encore une fois en arrière.

Satoko se couvrit la tête avec les deux mains, puis se mit à marcher lentement à reculons.

Puis elle frappa dans tous les sens avec ses mains, faisant tournoyer ses bras un peu n'importe où.

Les élèves des places à côté partirent sans demander leur reste.

Alors elle prit

tous les paniers-repas qui lui tombèrent sous la main...

et les jeta par terre.

Mion

— Eh, mais arrête, Satoko !

Mais qu'est-ce qu'y te prend ?

Satoko

— Naaaaaaaaaan !

Satoko se mit à crier de douleur, comme si les mots de Mion avaient eu un effet physique sur elle.

Personne ne savait comment lui parler.

Les autres élèves vinrent tous de notre côté, laissant Satoko seule dans un coin de la classe.

Autour d'elle, il ne restait que des tables et des chaises renversées... et des restes de nourritures un peu partout. C'était affreux à voir.

Je n'entendais plus que la respiration haletante de Satoko et les cris des grillons au dehors.

Satoko

— ... Ah

........ah.............ah...

Excusez-moi...

Satoko s'assit par terre, prostrée comme une poupée dont les fils avaient été sectionnés.

S'était-elle horrifiée elle-même en se rendant compte de ses actes ? Toujours est-il qu'elle se mit à s'excuser avec profusion, tremblante comme une feuille.

Sauf qu'à vrai dire, j'avais du mal à comprendre à qui elle présentait des excuses.

Alors je lui adressai la parole, au nom de nous tous.

Keiichi

— ... Nan, c'est rien... Mais, et toi ? T'es sûre qu--

Satoko

— Je…

J-je…

P

a

r

d

o

n

P

a

r

d

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P

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d

o

n

P

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d

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n...

Hee... eee... aaahh…

Quelque chose clochait entre elle et moi. Nous ne parlions pas de la même chose...

Satoko plaça ses bras autour de ses propres épaules et se serra elle-même très fort, avant de reculer, petit à petit...

Bang !

Elle heurta alors le placard à balais.

Même là, elle poussa un faible cri de panique.

Le seau au-dessus du placard tomba juste derrière elle dans un grand fracas, ce qui eut l'air de l'effrayer encore plus que tout.

Satoko bondit en l'air et courut s'agripper aux rideaux lourds de la salle.

Personne n'osait lui adresser la parole.

Nous ne pouvions que la regarder, incapable de ne serait-ce que cligner des yeux.

Satoko

— Aaaah…

pardonpardon…

pardonpardon… c'estpasmoij'airienfait, j'airienfaitc'estpasmoij'airienfait ! Awahhhhh... ah...

... Satoko…

mais…

mais qu'est-ce que t'as ?

Je me levai et m'approchai d'elle, lentement.

Keiichi

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Satoko

— Mais rien, rien !

Je sais pas, j'ai rien fait,

c'est pas moi, non, je veux pas, je veux plus, arrêtez, laissez-moi, ne me touchez paaaaaaaas !

Keiichi

— Nan mais... caaalme-toi,

Satoko. C'est moi, tu me reconnais ?

Satoko

— Arrêtez, non, arrêtez, j'en ai assez... assez !

À chacun de mes pas, Satoko poussait de petits cris apeurés.

Keiichi

— Satoko, c'est moi ! C'est moi, Keiichi.

Tu sais quand même qui je suis, non ?

Je vais pas te faire de mal...

Satoko

— NoooOOooHhhooooonnn…

AhhaaAAaaAhhaaaa…

AAAAaaaaaahahaahaaaa...

Keiichi

— Mais calme-toi !

Tout ira bien, je suis pas un méchant !

Satoko

— Au secours... à l'aaaaaide !

Je ne veux pas... je ne veux pas... j'veux pas... noooOOOOON !

Soudain, quelqu'un me prit par les épaules et me tira en arrière.

C'était Rena.

Rena

— Écoute, Keiichi, je suis désolée,

mais va-t-en, parce que là, ça va pas aller. Vite !

Rena me poussa en arrière et courut à ma place vers Satoko.

Rena

— Ça va aller, Satoko, ça va aller, c'est fini, ça n'arrivera plus…

Chhhhuuut, allez, calme-toi, caaaalme-toi...

Satoko

— Non, non, j'veux pas…

J'veux pas, j'veux pas !

ahhhaaaaa....

...oche, Totoche, TOTOCHE !

Au SECOURS, à l'aide,

Totoche, Totoche, TOTOCHE ! Noooaaaaaaaaan!

Agrippée aux lourds rideaux, Satoko resta là, à crier, appelant à l'aide, appelant son frère...

... Mais bordel... mais qu'est-ce que c'est ? ...

Mion

— ... ... Hhh... Hhh !

Mion serrait les poings, elle serrait aussi les dents et les paupières, d'ailleurs, mais les larmes coulaient quand même sur ses joues.

Keiichi

— Mais... qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Pourtant, tout aurait dû finir hier, non ?

Aujourd'hui était censé être un nouveau départ !

Mion ? Mion !?

Mion

— ... ...

BANGbrolngbrovouAMMM !

Rena venait de donner un coup de pied dans le placard, tellement fort que celui-ci était maintenant à terre.

Tout le monde reporta son regard sur elle, les yeux grands et ronds.

... Rena prit Satoko dans ses bras... puis, en silence, elle pleura avec elle.

Keiichi

— Rena, qu'est-ce qu'y y a ?

Rena

— …….Désolée.

... Écoute, Keiichi, tais-toi.

Keiichi

— Mais c'est quoi tout ça ?

Qu'est-ce qu'il y a encore, maintenant ?

Satoko t'a dit quelque chose ?

Allez, mais dis-moi !

Rena

— Mais MERDE !

J't'ai dit de fermer ta GUEULE, putain, alors BOUCLE-LA !

Je restai sonné et interdit, comme si sa haine m'avait physiquement frappé au visage.

Pour elle, ce n'était qu'un épanchement de son émotion, mais pour moi, cela prit beaucoup plus de sens.

Alors, en un éclair, je sus.

Satoko

— ............ooooh…

Rena

— ... Satoko

Satoko

— Non, non, NON, non, j'veux plus, non, assez, non, pas encore une fois...

Rena

— Pardonne-nous... Pardonne-nous de n'avoir rien pu faire...

Satoko

— Ahhhaaaahhhaaaannnn !

Totoche !

TOTOCHE !

TOOOooTOOOOOOCHE !

Rena

— Pardon...

Pardon !

Hhh !

Pardonne-nous de ne rien avoir pu faire pour te sauver...

En l'entendant répéter cela, je sentis quelque chose dans l'arrière de mon crâne.

Tout devint plus gris, plus loin... puis le monde autour de moi perdit toute couleur.

... J'avais toujours cru que nous pourrions la sauver.

Je savais qu'il valait mieux se dépêcher, mais je ne nous pensais pas pressés par le temps.

Je n'aurais jamais pensé que nous pussions arriver trop tard...

J'ai fait une erreur plutôt grossière.

J'ai pensé que Satoko souffrirait, mais pas qu'elle casserait.

Et quelle erreur !

Un être humain, c'est fragile.

Ceux qui croient qu'il peut surmonter n'importe quelle épreuve sont pas normaux dans leur tête !

Nous aurions dû la sauver, coûte que coûte.

Nous aurions dû la sauver avant de la voir dans cet état.

Et c'est parce que nous n'en étions pas conscients que nous en sommes là aujourd'hui.

Mais à qui la faute ?

À moi, évidemment.

Oh, à nous tous, en fait.

Nous savions tous qu'il fallait réagir, mais personne n'avait rien fait.

Donc en fait, après tout, la situation était normale.

Même si cela n'était pas arrivé aujourd'hui, mais seulement demain, ou la semaine d'après... Nous aurions tous attendu les bras ballants, sans rien faire.

Il ne fallait pas s'étonner maintenant du résultat !

Je tombai à genoux.

Comme Mion, comme Rena, et comme Rika l'avaient fait…

Je fermai les yeux, serrant les poings et les paupières, et je me mis à pleurer.

Cie

— Bon, qu'est-ce que c'est que ce vacarme ?

... Mais que s'est-il passé ici ?

La maîtresse arriva, mais ne put que constater l'ampleur du désastre. Elle resta interdite, les yeux écarquillés.

Lorsque Satoko se rendit compte que la maîtresse était là, elle eut à nouveau une transformation.

Après s'être vite essuyé le visage dans les rideaux, elle reprit un large sourire, faisant comme si de rien n'était.

Cie

— Hôjô ?

Qu'est-ce que ça veut dire, tout ce cirque ?

Satoko

— Eh bien... Ohhohhohhohho !

Satoko

J'ai eu un... un léger différent avec cette chère Rena, à propos d'un morceau de viande dans notre repas,

Satoko

et disons que nous avons été un peu trop exhubérantes dans notre affrontement...

Satoko

N'est-il pas, ma chère ?

Rena ne répondit rien.

Mais puisque c'était ce que Satoko voulait, alors elle acquiesça, sans force.

Les autres élèves n'arrivaient pas à suivre.

Personne ne savait comment réagir. Tous étaient empreints d'un silence stupéfait.

Satoko

— ... Oh, voyons, ce n'est pas non plus la fin du monde, vous savez ?

Allons, vous êtes trop impressionnables, ressaisissez-vous donc !

Ooohhohhohhohho !

Je parie qu'elle saura faire taire l'incident et donner le change.

Mais pourquoi ?

Pourquoi supporter de telles blessures ? Pourquoi en demander encore plus ?

Pourtant, tout à l'heure, elle a appelé Totoche au secours !

Sauf que pas de bol, ma grande, il n'a pas envie de rentrer !

La vraie vie n'est pas un conte de fée, il ne réapparaîtra pas devant toi d'un claquement de doigt chaque fois que tu l'appelleras à l'aide !

Alors arrête de l'attendre !

Tu as le droit de pleurer, tu as le droit d'appeler au secours,

tu as le droit de t'enfuir !

Mion

— On

ne peut rien faire... Rien du tout !

Mion pris la parole.

Elle l'avait déjà dit souvent ces derniers jours.

Mais lorsqu'elle le dit cette fois-ci, un peu à elle-même, j'ai cru que c'était un peu pour maudir le mauvais sort.

Et alors, dans tout mon corps, je sentis une fraîcheur apaisante.

Comme dans un rêve, toutes mes émotions se retirèrent sans un bruit.

Alors d'un seul coup, le monde prit des couleurs bizarres.

Mon champ de vision s'élargit très loin.

Ma tête devint très froide, et je pus visualiser le monde, de là où j'étais, bien au delà des murs de la salle de classe.

À cet instant précis, je sus que mon âme était non plus dans mon corps, mais bien au-dessus.

C'était une sensation très étrange, mais très libératrice.

Hors de la frêle coquille de mon crâne, mon essence se répandit de tous les côtés, libre.

C'était quelque chose de tout nouveau,

une sorte d'extase, un sentiment de supériorité grisant.

Et ce nouvel esprit dans mon corps…

me dépassa tout entier.

Mon âme se fit effilée comme un rasoir. Il n'y avait plus de tristesse, plus de peur. Je savais maintenant que tout cela n'était qu'une perte de temps.

Effacement des émotions inutiles en cours...

Arrêt de toute émotion pouvant entraver mes réactions physiques.

Keiichi

— ... Pfff. Oui, Mion,

tu peux te plaindre, va.

Plains-toi toute ta vie, si tu y tiens tellement.

Mion

— ... De quoi ?

Si pleurnicher pouvait nous faire revenir dans le passé, j'étais prêt à pleurnicher autant que nécessaire.

Mais je savais que cela n'avait fait qu'amener à la situation d'aujourd'hui.

Ce qui était fait était fait.

La priorité maintenant, c'était d'empêcher la situation d'empirer ou de continuer à exister sous cette forme.

En fait, j'avais réfléchi au problème d'une manière extrêmement obtuse depuis le départ.

Pour sauver Satoko, j'avais cru qu'il fallait effectivement sauver Satoko.

Il me serait même pas venu à l'esprit de considérer la source du problème pour arriver immédiatement à une solution bien plus sûre, bien plus efficace, bien plus rapide et bien plus définitive.

... Non, en fait, je l'avais remarquée hier.

Mais hier, je m'en étais remis à ma bonne fortune, en espérant que la malédition de la déesse Yashiro, cette chimère ridicule, se chargerait du sale boulot.

C'était tout simple :

il suffisait de le crever, son oncle

.

Pour ce faire, j'avais à ma disposition un large panel d'armes

et de méthodes.

C'était presque comique, en fait. Pour sauver Satoko, il fallait beaucoup de temps, beaucoup de moyens financiers et beaucoup de personnes.

Mais pour buter cette raclure, je n'avais besoin de presque rien.

Pour trois fois rien, je pouvais l'éliminer.

Cela ne me coûtait quasiment aucun effort.

Cela correspondait bien à la valeur de sa vie : il ne valait pas un rond.

Peu à peu, je sortis toutes les informations qui n'étaient pas nécessaires à ma mission, puis me mis à passer en revue tout ce qui pouvait me servir.

Toutes les cellules grises dans ma tête reçurent l'ordre de travailler à son élimination.

Je n'avais aucune préférence pour la mise à mort.

Il me fallait quelque chose de rapide et de sûr, quelque chose dont il ne pourrait pas réchapper.

Peu importe si c'était une méthode des trois royaumes ou si elle venait de l'antiquité gréco-romaine.

La seule condition que j'avais à y ajouter était de faire en sorte de ne pas me faire prendre par la police.

Son élimination de notre environnement était la condition sine qua non à un retour, long et difficile, à la normale.

Et si cela devait entraîner ma mise en prison, peu importait. Le jeu en valait largement la chandelle.

Tant qu'il disparaissait, Satoko pourrait renaître.

C'était ça, le but ultime.

Je le crèverai.

Mais il fallait surtout ne laisser aucune preuve.

Je mis les deux conditions dans la balance.

La nécessité de l'absence de preuves réduisait lourdement mes possibilités d'action.

Il fallait absolument éviter tout témoin oculaire.

Heureusement qu'à Hinamizawa, on pouvait être sûr d'être à peu près seul dehors à certaines heures de la journée.

Reconstruction de la maison de Satoko et des environs.

Ajout de l'algorithme de fréquentation des rues.

Je l'attire hors de la maison ou je m'y introduis en cachette ?

Avec quelle arme ?

Quand, où, comment ?

Il me faut un endroit où je ne laisserai pas de traces.

Il faut que ce soit fait à une certaine heure de la journée, et il faut que ce soit fait rapidos parce que Satoko est vraiment en mauvaise posture.

C'est ridicule, vraiment.

Plus j'y réfléchis, et plus le meurtre me paraît facile.

Et puis, si laisser des preuves ne faisait pas peur, n'importe qui aurait pu s'en charger.

Mais évidemment, le bon sens commun nous en avait tous empêchés.

Puisque nous étions sûrs d'être arrêtés par la police.

Finalement, la seule excuse qui poussait à ne pas commettre ce meurtre, c'était que la police pourrait nous tomber illico presto sur le dos.

(ce qui, entre nous, était bien peu de choses !)

Quand vous êtes en haute mer, perdu au milieu de nulle part, avec de l'eau pour tout horizon, vous n'hésitez pas une seule seconde à balancer vos ennemis par dessus bord !

Franchement, si ce n'est que lui, cela ne me posera aucun problème.

Je pourrais sortir de classe, aller dans la cour, ramasser une batte de base-ball et aller le buter chez lui.

Il me faudrait quoi, 25 minutes, à tout casser.

Quitte à y laisser ma peau, je peux même descendre sous la barre des 1500 secondes.

D'un seul coup, je compris qu'en fait, on le laissait vivre.

Il était insignifiant en fait, puisque même moi, il me faudrait moins de 1500 secondes pour m'en débarrasser.

C'était tout ce qu'il lui restait à vivre, pour peu que j'en prisse la décision.

En fait, si je cours jusque chez lui, j'en aurai même pour moins que ça.

Sauf que ce mec est toujours en vie.

Il a détruit Satoko, et son corps, et son âme, et il a l'impudence d'être encore en vie.

Pourquoi ?

Parce que je l'ai laissé en vie.

Il est vivant parce que je lui ai donné le droit de vivre.

Si je lui reprends cette permission, il sera mort peu après.

1500 secondes, en fait, c'est trop de gâchis d'oxygène.

Je lui retire son permis de vivre, à compter de maintenant.

Qu'il soit déjà heureux d'avoir vécu jusqu'à aujourd'hui.

Mais à bien y réfléchir, il va me falloir quand même un peu plus de temps que cela.

Il ne me suffit pas de faire la peau à cette crevure, il faut aussi que je retrouve ma vie normale, et pour moi, et pour Satoko.

Il disparaîtra, il fera place nette, il ne laissera aucune trace en ce monde.

Et personne ne trouvera le meurtrier.

J'aurais naturellement oublié t'avoir fait la peau avant même d'être rentré à la maison pour me laver les mains.

Mais pour cela, exceptionnellement, je dois t'accorder plus que 1500 secondes à vivre.

À titre exceptionnel, je t'accorde le droit de vivre dans l'insouciance jusqu'à ce que j'aie réglé les derniers détails concernant ton exécution.

Keiichi, attention,

ne perds pas trop de temps avec ça.

Oh, t'inquiète, je sais.

Je dois le buter vite,

et bien.

Et je n'ai pas l'intention d'y passer la journée non plus.

Souviens-toi, demain, c'est le jour de la purification du coton !

L'année dernière, le même soir, sa femme est morte.

Un toxico lui a défoncé la figure à grands coups.

Donc lui aussi, il réunit toutes les conditions nécessaires pour subir de plein droit le même sort.

Eh, déesse Yashiro ?

Tu es la déesse protectrice du village, et pourtant tu n'as pas protégé Satoko.

Si tu tenais absolument à buter ses parents, c'est ton problème, je m'en bats les couilles, mais avec tes conneries, Satoko est bien dans la merde, maintenant.

Moi, Keiichi Maebara, te destitue officiellement de ton statut de divinité protectrice de Hinamizawa.

Tu ne nous sers à rien.

Cette année, reste dans ton temple, et viens pas ramener ta fraise.

Si tu avais été moins conne, tu aurais maudit et tué les deux l'année dernière, et on n'en serait pas là aujourd'hui !

Cette année, ce n'est pas toi qui décideras de qui sera maudit.

Cette année, c'est moi qui serai aux commandes.

Je ne peux pas laisser ces incapables de Sonozaki faire le boulot, cette année, je me chargerai personnellement de faire payer la rétribution divine.

Alors fais pas chier,

ferme-la et regarde-moi faire.

Je vais le tuer, moi. Ce sera un crime parfait.

Il disparaîtra de la surface de la terre…

tu verras !

Espèce de sale enflure, disparais !

Va te cacher !

Crève !

Je t'arracherai les tripes comme tu as arraché le cœur de Satoko. Prépare-toi à payer de ton sang !

Saloperie de putain de merde de fils de pute de ta race...

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h!!!

Rena

— Keiichi, ça va ?

Je vis Rena, puis Mion, puis Rika dans mon champs de vision.

J'étais par terre. Est-ce que je m'étais évanoui ?

Rena

— Tu m'as fait peur en tombant comme ça.

Tu disais quoi ?

Tu parlais tout bas, il me s--

Keiichi

— Ta gueule.

Fous-moi la paix.

レナ

— ...... !! — ...Eep...! — .........

Les trois filles eurent un sursaut de panique, puis elles s'éloignèrent très vite de moi.

Keiichi

— ... Qu'est-ce que vous voulez ?

Elles se regardèrent entre elles, peu rassurées. Apparemment, elles ne savaient pas quoi dire.

Rena

— C'est... C'est toi qui viens de parler, à l'instant ?

Keiichi

— ... Évidemment, pauv' conne.

Rena déglutit.

Rena

— Tu sais... à l'instant, tu... enfin, ton regard... C'était super impressionnant.

Keiichi

— Quoi, qu'est-ce qu'ils ont, mes yeux ?

C'était sûrement un reflet de lumière.

Tss, vous et vos conneries...

Mion

— Tu sais,

c'était la première fois que tu avais ce regard au fond des yeux, p'tit gars.

Mais de quoi elles parlent, ces connes ?

Ces derniers temps, elles ont trop peur de moi, c'est pas croyable...

Rena

— ... Tu es bien Keiichi Maebara,

hein ?

Mais qu'est-ce qu'elle me fait comme délire, celle-là ?

Qui veut-elle que je sois d'autre ?

Mes pensées devaient se lire à travers mon regard,

car Rena se répandit aussitôt en excuses.

Rena

— Ah, non, désolée, c'est rien…

t'en fais pas !