— Bonjour, Keiichi.
— Salut.
— Je suis soulagée de te voir,
je me suis dit que tu avais encore oublié le réveil.
Hier, ta mère m'a dit que tu étais déjà parti, mais quand j'ai vu que tu n'étais pas à l'école,
j'ai vraiment eu peur que tu aies été victime d'un coup de soleil, tu sais !
— Ouais, c'est bon, je m'excuse...
— Hey, good mornin' !
— Salut, Mii !
Eeeh, ça va ? T'as l'air crevée !
— Et ouais au fait, hier, tu devais pas régler les détails des préparatifs ?
— Roh l'autre, eh, on fait ça tous les ans, garçon,
cette réunion, c'est juste une excuse pour picoler !
Chacun sait depuis longtemps ce qu'il a à faire.
— Et cet après-midi, tu dois aller aider ?
— Oui…
Je dois remplacer ma grand-mère pour accueillir et remercier tout le monde.
Et puis de toute façon, une fête, ça commence toujours pendant les préparatifs !
La conversation était insouciante, comme d'habitude.
Apparemment, Mion avait tenu parole : elle avait littéralement oublié les propos malsains que j'avais tenus hier soir.
Plus je me remémorais ce que je lui avais dit, et plus je me rendais compte des choses terribles dont je l'avais accusée.
Elle aurait pu me gueuler dessus, elle aurait largement eu le droit...
Il est fort possible que je me sois montré trop crédule face aux élucubrations de Mme Takano.
Mion était ma meilleure amie.
Il était quand même difficile de s'imaginer qu'elle était l'héritière du clan des Sonozaki et donc par conséquent aux commandes du village, et qu'elle aurait commandité cette série de meurtres...
... Mais si c'était vrai ? La possibilité, était infime, mais si c'était vrai ?
Peut-être que ce que je lui ai demandé hier deviendra réalité.
Il n'y avait qu'une chance sur un million, vraiment.
Mais c'était toujours une chance de plus de peut-être sauver Satoko.
Et c'était le plus important, je tenais à faire cet effort.
Hier, j'avais normalement fait tout ce qu'il était en mon pouvoir de faire.
La seule chose qu'il me restait, c'était les prières et les demandes incessantes à la déesse... L'oncle devait absolument y passer.
— Pourvu que Satoko puisse venir aujourd'hui.
— Ouais…
La maîtresse a fait pas mal de choses hier, non ?
Mm.
Normalement, ça devrait aller.
— L'assistante sociale qui s'occupe de la région de Hinamizawa, c'est une de mes tantes,
alors je l'ai appelée hier soir.
— Ah bon ? Je ne savais pas !
Et ?
Qu'est-ce qu'elle a dit ?
— Eh bien,
la maîtresse a appelé directement le centre des services sociaux délégués à la famille.
Apparemment, le chef de la section est allé directement chez les Hôjô hier soir.
Elle a aussi reçu l'ordre d'aller vérifier la situation de temps en temps.
— ... C'est pas très clair.
Finalement, il se passe quoi pour Satoko ?
Elle a été prise sous leur protection ou pas ?
— Hmmmm,
ma tante ne le savait pas, en tout cas, elle ne m'en a pas parlé.
Mais bon, tu sais, ce genre de choses doit être tenu secret.
Ma tante faisait déjà une faute professionnelle en m'en parlant.
— ... Putain vas-y, j'ai vraiment les boules, du coup.
— Alors, allons à l'école !
Oui…
Après tout, rien se servait d'en discuter entre nous, cela ne faisait que renforcer mon angoisse latente.
Il valait mieux aller directement à l'école et juger sur place.
Nous nous regardâmes, puis, d'un commun accord, partîmes en courant.
Je me demande si elle va bien.
Je me demande ce que les services sociaux ont trouvé comme solution.
Je me fous de savoir ce qu'ils ont fait au juste, tant que Satoko retrouve la tranquilité dont elle jouissait avant.
À l'entrée du bâtiment, Rena regarda dans la boîte à chaussures de Satoko.
— Ah, ses chaussures sont là ! Elle est là aujourd'hui !
Keiichi, elle est là !
Ouf...
— Ouais ok, elle est là,
mais moi je préfère la voir !
Je courus vers la salle de classe.
À l'intérieur régnait l'agitation habituelle.
— Satoko !
Où elle est ?
— Miaou !
Elle est là, t'en fais pas.
— Mais quelle vacarme vous faites donc de si bon matin, mon cher !
Restez donc un peu tranquille, voyons !
— Satoko !
... Ça va ?
Nous fûmes instantanément autour d'elle.
— La personne des services sociaux est venue, non ?
... Que s'est-il passé ?
— ... Qui d'entre vous l'a appelée ?
Ça n'a pas été de tout repos, et c'est le moins que l'on puisse dire !
— C'est la maîtresse.
... Tu as été si souvent absente, elle se faisait du souci.
J'entendis Satoko murmurer à voix basse : « Quand je pense au nombre de fois où je lui ai dit que tout allait bien… »
Alors c'était vrai, elle essayait de tenir le choc toute seule.
— Eh bien, c'était vraiment très embarrassant, et pour moi, et pour mon oncle !
C'est qu'elle a débarqué sans prévenir...
— Mais enfin, Satoko, on était tous morts d'inquiétude pour toi !
Ne dis pas que ça t'embêtes, quand même ?
— Raaaah,
et alors,
que s'est-il passé ?!
— Mais voyons, rien du tout !
Hohhohho ! C'était un coup de froid, je suis guérie désormais, et me revoici donc parmi vous !
Je vais essayer de ne pas être trop absente à l'avenir, dans l'intérêt de vos pauvres nerfs si sensibles !
Oooohhohhohho !
Mais... Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?
— Et ton oncle ? Il a dit quoi ?
— Eh bien, nous avons admis que la situation avait été un peu équivoque, alors nous nous sommes excusés, et...
Je sentis quelqu'un me tirer en arrière par le col de la chemise.
C'était Rika. Elle me traîna derrière elle.
— ... Qu'est-ce qu'il y a, Rika ?
Rika ne dit rien et m'entraîna dans le couloir.
— ... Rika... Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Satoko... a dit qu'il ne s'était rien passé, et elle a renvoyé les services sociaux chez eux.
Oh putain...
— Mais quelle CONNE !
Mais pourquoi !
À vrai dire, j'avais envisagé cette possibilité.
Satoko essayait de s'en sortir sans demander d'aide à personne, sans se cacher dans le dos des autres.
Elle voulait prouver à la face du monde que même si son grand frère Satoshi revenait, elle n'aurait plus besoin de dépendre de lui.
— Mais... mais le chef m'avait expliqué que les services sociaux pouvaient la prendre malgré elle, s'ils tombaient d'accord pour dire qu'elle était en danger !
Parce que bon, Satoko a beau le nier, mais les mauvais traitements sont quand même bien réels, quoi !
La maîtresse arriva.
Elle avait très mauvaise mine.
— ... Oui, Maebara, c'est vrai.
Si l'urgence de la situation est constatée, alors les services sociaux ont le droit de protéger l'enfant,
même si celui-ci n'est pas d'accord.
— Mais alors pourquoi ?
Pourquoi avoir préféré respecter sa volonté ? Pourquoi ne pas l'avoir prise avec eux ?
— Eh bien... Les services sociaux en ont décidé ainsi après avoir fait des recherches, et...
— Vous vous foutez de ma gueule ?
Maîtresse, hier vous nous avez assurés, vous m'avez promis de la sauver !
Alors quoi ?
Y a un truc qui cloche, là, non ?
Alors ? Hein ?
— ... Keiichi.
Pour tout t'avouer, c'est maintenant la troisième fois que les services sociaux viennent pour elle.
Il y a eu deux précédents par le passé.
— Furude !
La maîtresse voulut empêcher Rika de poursuivre plus avant, mais celle-ci l'ignora.
— Attends, deux fois avant ?
Mais alors, il y a deux ans, je savais, mais... Elle a eu d'autres problèmes encore avant ça ?
— ... Le père de Satoko qui est mort il y a trois ans n'était pas son vrai père.
— Quoi ?
Rika, que... QUOI ?
Je ne savais plus quoi dire.
Je ne comprenais pas du tout là où elle voulait en venir,
mais j'avais le sentiment diffus que c'était quelque chose de très important. Je la laissai continuer.
— La mère de Satoko s'était remariée.
Elle avait deux enfants avec elle... Satoshi et Satoko n'avaient pas de liens de parenté avec leur père.
Satoshi était un peu plus vieux, il comprenait. C'était un enfant calme.
Il a accepté son nouveau père sans trop de problèmes, et ils étaient assez complices tous les deux.
Mais pas Satoko.
Elle était tout le temps contre lui, elle lui mentait, faisait des bêtises.
Son nouveau père ne l'aimait pas beaucoup non plus.
— ... Mais alors...
... qu'est-ce que ça veut dire ?
— ... Satoko ne s'entendait pas avec sa famille avant non plus, cela ne date pas de la mort de ses parents.
Bien sûr, son nouveau père n'était pas foncièrement méchant avec elle.
Au début, il avait fait beaucoup d'efforts.
Mais Satoko, elle, y avait mis beaucoup de mauvaise volonté.
Elle n'avait fait aucun effort pour s'ouvrir à lui, et restait sans cesse hésitante autour de lui.
Elle lui menait la vie dure avec de nombreux tours et autres mensonges.
Bien sûr, au départ, son nouveau père ne la grondait que parce qu'il l'aimait ou qu'il voulait l'aimer... mais ça a fini par lui passer.
— ... Je n'habitais pas à Hinamizawa à l'époque.
Je l'ai appris au téléphone hier.
— Et on vous a dit quoi ?
— ... Satoko a...
voulu piéger ses parents…
Satoko s'est volontairement infligée des blessures et…
a appelé SOS enfants battus pour se plaindre de son père.
— Elle s'est automutilée ?
— Satoko a menti aux services sociaux dans l'espoir de se débarrasser de son nouveau père.
Évidemment, l'assistante sociale était venue aussitôt et avait demandé des explications.
Son père adoptif avait reconnu que certains châtiments corporels avaient sans doute été un peu excessifs, puis il avait accepté les conseils et les ordres des services de l'éducation.
— ... Ils ont fait plusieurs tests, et...
Ils ont compris que Satoko et son père n'étaient pas sur la même longueur d'ondes, mais...
Ils ont surtout constaté que Satoko avait un problème.
— Un problème ? C'est à dire ?
La mère de Satoko avait eu plusieurs hommes dans sa vie, mais bien sûr, elle ne se mariait pas systématiquement.
Depuis toute petite, Satoko avait dû s'habituer à dire « Papa » envers déjà plusieurs personnes.
Et puis à force, Satoko se mit à faire des bêtises de plus en plus graves.
Elle renversait exprès ses repas, elle retournait les assiettes, elle jetait tout à travers la pièce.
Elle allait casser les carreaux des voisins, ou voler des gâteaux dans les supermarchés.
Elle laissait traîner des punaises partout, elle posait des pièges pour blesser les gens.
Rien à voir avec les pièges qu'elle posait en ce moment.
Elle mentait pour tout et n'importe quoi, même quand c'était trop gros, et à chaque fois, elle se faisait disputer.
Mais cela ne lui servit pas de leçon.
— ... Oh, ne va pas croire que Satoko était une enfant à problèmes.
C'est une réaction assez fréquente chez les très jeunes enfants. Ils ne veulent pas perdre leur mère à cause d'un autre homme. C'est une sorte de réflexe de défense.
Les pédopsychiatres qui l'ont examinée ont conclu qu'elle faisait tout son possible pour attirer l'attention de sa mère sur elle.
Puis ils ont annoncé que Satoko souffrait d'une sorte de blessure psychologique et qu'il valait mieux lui faire suivre une thérapie avec un spécialiste.
Mais personne ne savait si ça avait vraiment marché.
— Satoko s'est inventé des blessures et des histoires de violences familiales,
et elle a dénoncé elle-même son père aux services sociaux.
— Mais…
Comment dire.
Il la battait vraiment, non ?
— Non.
Toutes les histoires de coups, de mauvais traitements, d'insultes... Tout était inventé.
Oh, il lui avait mis une ou deux fessées, et il l'avait grondée aussi, mais cela n'avait aucune mesure avec les faits que Satoko avait rapportés.
Satoko avait menti pour se débarrasser de son père.
Mais ses mensonges avaient été découverts.
Et donc les services sociaux se sont rendus compte que le problème,
c'était elle.
— Aaaah…
Et alors…
c'est pour ça que…
Qu'ils n'ont pas bougé il y a deux ans ?
— ... Oui.
Les services sociaux ont regardé dans leurs archives
, et ils se sont rendu compte que Satoko était peut-être en train de mentir. Alors ils ont décidé d'être très circonspects dans leurs décisions.
— ... Mais c'est quoi ce bordel ?
Alors quoi ?
… Satoko… mentait peut être, donc pas de décisions hâtives.
Alors… Ils ont laissé faire simplement parce que c'était peut-être des bobards ?
— ... C'est comme dans la comptine, “à force de crier au loup...”
Si un jour vous mentez, les gens ne vous font plus jamais confiance.
— Mais c'est une blague ?
On s'en fout du passé !
La seule chose qui compte, c'est ce qu'il se passe ici et aujourd'hui !
Satoko se fait battre par son oncle, c'est un fait avéré !
Comment est-ce qu'ils peuvent ne pas l'avoir vu ?
Ni la maîtresse, ni Rika ne me répondirent.
— C'est pour cela que les services sociaux se sont rendus sur place, pour vérifier si c'était oui ou non vrai.
Et lorsque Satoko les a vus, elle a menti du mieux qu'elle pouvait pour nier les violences.
Bien sûr, son oncle avait dû la prévenir de ce qu'il pourrait lui arriver en cas de pépin...
Mais Satoko voulait se débrouiller seule.
Elle voulait attendre le retour de son frère, dans cette maison.
Alors elle a menti...
Mais quelle conne...
Pourquoi…
Pourquoi était-elle aussi obstinée ?
Est-ce qu'elle s'imaginait vraiment que Satoshi allait revenir ?
Arrête avec ces conneries.
Satoshi t'a abandonnée, ma grande.
La preuve, il n'est pas revenu pour te sauver jusqu'à maintenant.
Alors arrête de te raccrocher à son souvenir...
Arrête de tout prendre sur toi...
— ... Oublie tout ce que tu as entendu ici,
c'est compris ?
Si les autres élèves l'apprennent, je vais me fâcher, et je ne plaisante pas !
Après cette dernière mise en garde, la maîtresse retourna en salle des professeurs.
— Keiichi ?
Ne va pas t'imaginer que c'est une pauvre gamine qui ne mérite que de la miséricorde.
— ...
— Satoko est belle et bien vivante,
elle ti-.
— JE SAIS !
— ... Satoko a encore la force de se battre.
Alors s'il-te-plaît, attendons encore un peu, laissons-la faire ce qu'elle veut.
Les services sociaux passeront lui rendre visite régulièrement.
Si jamais il peut se passer quelque chose, ils interviendront.
— ... Tu veux dire, “quand il se sera passé quelque chose” ?
Je savais que ça ne servirait à rien de continuer. Je ravalai ma rage et repartit en classe.
Mion et Rena étaient toujours en train de discuter avec Satoko, comme d'habitude.
La conversation était banale au possible.
Comme si elles discutaient de la vie de tous les jours.
Si jamais elle était vraiment en état de supporter encore les mauvais traitements...
Non, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de continuer à l'observer, quoi qu'en dise Rika.
Je me demande si tout ce que je pourrais faire pour elle serait vraiment plus un problème qu'autre chose...