... Le regard encore flou, je vis le plafond.
J'avais chaud.
Le corps trempé d'une sueur collante.
La tête me bourdonnait... à cause des grillons au dehors.
— ... Hein ?
... Mais aujourd'hui, on n'est pas dimanche ?
Tout devint clair dans ma tête -- on est en pleine semaine !
Je me levai d'un seul bond.
Mon horloge murale indiquait... presque 10h du matin.
Je suis en retard pour l'école...
Ma mère va me tuer quand je descendrai…
mais bon, c'est normal.
Je regardai mon emploi du temps et préparai mes affaires à la va-vite.
Puis je me changeai à toute blinde et descendis.
— ... ...
Apparemment, mes parents n'étaient pas là.
Ils ont dû partir, tous les deux.
Aaah, je vois ce qu'il s'est passé.
Ce matin, ma mère m'a réveillé, mais pour une raison ou pour une autre, je me suis rendormi sans en garder le souvenir.
Et mes parents sont partis un peu plus tard,
croyant que j'étais déjà parti à l'école.
J'allai dans le vestibule et remarquai que notre porte d'entrée était fermée à clef.
Ah ben tiens, qu'est-ce que je vous disais.
Comme quoi, mes théories sont toujours les bonnes.
Maintenant que je savais que mes parents n'étaient pas là, je ressentais moins le besoin d'aller en urgence à l'école.
Il restait une part de nourriture dans la salle à manger.
... La mienne, en toute logique.
Le lait chaud qu'il restait dans mon verre était à peine tiède maintenant.
Et même ça, je n'étais pas capable de le donner à Satoko.
Hier soir, j'en avais pleuré.
D'ailleurs, à bien y réfléchir, il n'y avait pas que la nourriture qui poserait problème.
En fait, tout seul, je n'étais absolument pas en mesure de la prendre en charge.
... C'est plus dur que je ne le pensais de venir en aide à quelqu'un, même une seule personne.
Il y avait un concept qui m'avait toujours plu dans les films et les manga, c'était les amis qui s'entr'aidaient les uns les autres.
Est-ce que c'était pour ça que j'étais si prompt à essayer de voler à son secours ?
Simplement pour obtenir la sensation grisante d'avoir fait un truc comme dans un film ?
Non, je ne crois pas.
La réalité des faits est que je ne peux rien faire pour la sauver.
Mais je ne veux pas penser que la chose la plus adulte et la plus sensée à faire est d'abandonner, de regarder et de laisser faire.
... Je me demande si elle est venue à l'école aujourd'hui.
Bah, ça ne sert à rien de se poser la question.
Qu'elle soit là ou pas, ça ne change rien à la situation dans laquelle elle se trouve.
Si ni moi ni les autres ne pouvons la sauver...
alors il ne nous reste plus qu'à espérer un miracle.
— ... Il n'y a rien
qu'on puisse faire
?...
Lentement, je mis mes chaussures. Il fallait bien aller à l'école, même si franchement ce n'était pas mon but le plus important de la journée...
Je n'avais dormi que deux ou trois petites heures de plus que d'habitude, et pourtant ce matin, le soleil et le ciel étaient complètement différents de ceux que je voyais d'habitude.
En même temps,
après 10h du matin, c'est plus vraiment le matin.
... Franchement, je n'avais pas envie d'aller à l'école.
Je savais qu'il faudrait bien y aller, mais pourquoi prendre la route la plus courte ?
Et puis, voyons les choses de manière positive : plus le chemin sera long, plus j'aurai de temps où je serai seul pour réfléchir à mes problèmes.
De toute façon, j'irai à l'école,
il faut bien que je sache si Satoko va bien ou pas.
Mais pour l'instant, je n'ai pas la moindre idée sur la manière de la sauver.
J'ai réfléchi toute la soirée hier, et je n'ai toujours rien.
Sortant de chez nous, je regardai en direction de l'école, et dirigeai mes pas... dans la direction opposée.
Si je vais par là, je vais voir la maison de Rena, et ensuite le vieux chantier du barrage.
Ça va me faire faire un sacré détour.
Après avoir calculé à la louche combien de temps le chemin me prendrait -- et satisfait du résultat -- je me mis à marcher.
Je connaissais un peu l'ancien chantier du barrage, car Rena m'y avait déjà emmené l'une ou l'autre fois.
Une partie était maintenant devenue une décharge sauvage pour tous les objets encombrants, et elle s'amusait à récupérer toutes sortes de choses là-dedans.
... Sans ça, ce serait une fille tout à fait normale...
(Enfin, elle avait d'autres traits de caractère qui faisaient tache, mais bon, personne n'est parfait...)
Lorsque mon champs de vision s'élargit, je sentis un vent fort face à moi.
Il n'y avait aucun obstacle ici : le chantier était large.
Finalement, ce n'était pas si mal que ça d'être venu ici.
C'était mieux que de réfléchir dans ma chambre, à l'étroit.
Ici, je pouvais respirer un air frais et vigorifiant à pleins poumons, c'était mieux pour oxygéner le cerveau.
J'entendis soudain une sonnette dans mon dos.
Instantanément, je fus retourné.
Vu l'endroit où je me trouvais en ce moment, ça ne pouvait pas être un vélo qui voulait passer.
Ce coup de sonnette était voulu, il servait à attirer mon attention.
— Ahaha, désolé du dérangement.
Tu habites à Hinamizawa, c'est bien ça ?
— ... Oui, c'est bien cela, et ?
Ce mec, je l'ai déjà vu dans le coin...
... Ah oui, je sais qui c'est.
Il s'appelle Tomitake, c'est un photographe indépendant qui vit à Tôkyô.
Au changement de saison, il vient toujours à Hinamizawa pour prendre les oiseaux en photo... enfin, c'est ce que dit Mion.
— Le temple Furude, c'est par où ?
J'ai oublié ma carte à l'hôtel,
je ne sais pas trop quoi faire.
— Le temple ? À partir d'ici ?
... Hmmm...
Je visualisais à peu près où il était, mais c'était difficile à expliquer.
C'est pas de bol pour moi... quoique ! Ça me donne une excuse pour faire encore un détour avant d'aller à l'école.
— Je peux vous le dire, mais honnêtement, c'est pas très évident.
Si vous voulez, je peux vous y conduire directement, par contre.
— Quoi ?
Ah, mais ce serait super !
Ah oui, merci !
... Mais, t'es sûr que ça pose pas de problème ?
Tu devais avoir quelque chose à faire, non ?
Il n'était pas idiot. Il avait remarqué qu'à cette heure-ci, je devrais être à l'école.
Bah, vous en faites pas pour moi, je me débrouillerai. Tournant les talons, je me mis en route, cette fois-ci en direction du temple Furude.
Il enfourcha son vélo en toute hâte et me rejoignit.
— Ahahaha, désolé.
T'en fais pas, va, je sais bien que parfois, les hommes ont besoin d'être seuls.
Il n'est pas photographe indépendant pour rien, celui-là.
Heureusement qu'il est compréhensif.
— Moi, c'est Tomitake.
Je suis photographe, à mon compte.
Ma spécialité, ce sont les oiseaux sauvages,
mais je ne suis pas encore très connu.
C'était amusant de le voir se présenter formellement alors que je ne faisais que l'accompagner un bout de chemin, mais du coup, maintenant, j'étais obligé de lui rendre la pareille.
— Moi, c'est Maebara.
Euh, ravi de vous rencontrer.
— Maebara, hein ? OK, c'est compris !
Enchanté !
Il avait l'air un peu insouciant, mais ça me changeait les idées de lui parler, et c'était agréable de ne plus penser à mes problèmes.
En chemin, il se mit à me parler comme une vraie pipelette et à m'expliquer pourquoi Hinamizawa était si intéressant pour ses photos, que ça devrait être une réserve naturelle tellement il y avait d'espèces, etcaetera...
Personnellement, ça ne m'intéressait pas des masses, mais bon, autant le laisser parler.
— Et voilà. Montez les escaliers et vous y serez.
— Merci !
Je te dois une fière chandelle !
... Hmm, je suis un peu en retard, je pense...
Se parlant tout seul, il déposa son vélo sur le bord du chemin et se mit à gravir rapidement les escaliers.
Je n'avais pas de montre sur moi, mais d'après mon estomac, il devait être encore un peu avant midi.
L'école n'est pas très éloignée d'ici.
Bah, je suis plus à quelques minutes près.
Je me mis à sa poursuite, m'élançant dans la longue suite de marches.
Une fois arrivé au sommet, je découvris à nouveau un temple bien trop joli pour appartenir à ce village.
Et Tomitake était... Ah ! Là-bas.
On dirait qu'il avait un rendez-vous ici.
Et évidemment, comme il s'était perdu, il était en retard.
Ce qui expliquait les maintes courbettes d'excuses qu'il présentait à la jeune femme devant lui.
Et soudain... je croisai son regard.
— ... Ah, tiens ? Maebara, c'est ça ?
Bonjour !
Je ne savais pas que l'école était fermée aujourd'hui ?
— Hein ?
Ben, Maebara, tu m'as suivi ou quoi ?
— Non, pas exactement.
Je me suis dit que je pourrais encore un peu tuer le temps, c'est tout.
— Tiens, tiens, tiens...
Tu as des horaires aménagés ? Pas étonnant pour quelqu'un d'aussi célèbre, je vois que tu remplis bien ton rôle.
Qui, moi, célèbre ? Ah bon ?
Eh mais, elle m'a appelé par mon nom !
... J'ai un doute, là, pour quoi au juste est-ce que je suis célèbre dans le village, moi ?
— Eh bien, tu ne te souviens toujours pas de mon nom ?
...Hee hee.
— Elle s'appelle Miyo Takano.
C'est une infirmière qui travaille à la clinique.
Ah, tu me diras, tu as l'air en pleine santé, alors je suppose que tu n'y vas pas souvent ?
— Ahaha…
Allons, puisque nous nous connaissons désormais, je te ferai un traitement de faveur la prochaine fois que tu viendras te faire soigner.
...Hee hee !
À vrai dire, cette Takano ne me disait rien du tout.
Je l'ai peut-être croisée en me promenant, mais je ne lui ai jamais parlé auparavant, ça j'en suis sûr.
En même temps, à Hinamizawa, j'étais le nouveau, alors tout le monde me reconnaissait très vite. Ce n'était pas rare de tomber sur quelqu'un que je ne connaissais pas du tout, mais qui, lui, savait très bien qui j'étais.
En laissant traîner un peu mon regard, je remarquai son sac à dos et son appareil photo.
— Ah, laissez-moi deviner, vous êtes collègues de travail ?
C'est pour ça que vous aviez rendez-vous ?
— Non, moi, une collègue de travail ? Pas du tout.
Je suis une débutante en photo, mais Jirô m'a promis de m'apprendre deux ou trois choses, quitte à mettre les mains dans le cambouis.
N'est-ce pas ?
— MMmoui,
c'est, euh, oui,
mais bon, tu es douée, alors même sans mes indications, tu sais déjà réussir des photos plutôt correctes !
Ah non, mais vraiment, hein !
Ahahahaha !
Laissez-moi deviner qui porte le pantalon...
Bah, au moins, on ne se lasse pas de les regarder.
— Et après-demain, le jour tant attendu : la purification du coton.
Espérons que nous pourrons prendre de bonnes photos.
— Oh, je sortirai l'appareil déjà demain, pendant les préparatifs.
Ils font aussi partie de la fête, tu sais.
Ah, oui, c'est vrai !
C'est ça l'autre nom de la fête du village. Ce sera ce dimanche, après-demain donc...
— C'est quoi la tradition ? Vous faites un enterrement pour les vieilles couvertures et les vieux habits, pour remercier la déesse Yashiro, c'est ça ? C'est elle qui protège le village ?
— Bien bien, bonne réponse !
Quand je pense que tu viens à peine d'emménager, je suis surprise et flattée.
Oui, c'est une fête pour remercier la déesse Yashiro.
.........Hehe.
Elle ne put s'empêcher de pouffer de rire après m'avoir dit ça, mais honnêtement, je ne voyais ce qu'il pouvait y avoir de drôle dans cette histoire.
— Roh, Miyo...
... Mais oui, je te comprends aussi, quelque part...
— Attends, Jirô, c'est arrivé non pas deux fois, non pas trois fois,
mais quatre fois de suite !
Il est normal que les gens s'attendent à une cinquième fois, quand même, non ?
Ah, je vois de quoi ils parlent.
Chaque année, le soir de la purification du coton,
il y avait une mort horrible dans le village -- ce que les gens appelaient “la malédiction de la déesse Yashiro” -- et une disparition, qu'ils appelaient “l'enlèvement des démons”.
Cela faisait maintenant quatre années de suite que ces deux événements se produisaient. Et donc après-demain, cela ferait peut-être une cinquième fois de suite...
— La déesse Yashiro, celle qui punit les ennemis du village. Mouais.
En imaginant que ça arrive encore cette année, je me demande bien sur qui ça va tomber.
Ah, moi, à chaque fois que je viens, je respecte la tradition, hein !
Alors ça ne risque pas d'être moi.
— Ah bon, tu crois ?
Il me semblait pourtant que la déesse était de plus en plus méchante avec les étrangers du village.
Par exemple, Maebara n'est pas là depuis longtemps, mais au moins lui, officiellement, il habite au village.
Alors que toi, Jirô, tu n'es qu'un petit curieux qui vient chaque année nous observer.
Je ne sais pas si elle t'épargnera encore une fois.
— Roh, mais quelle mauvaise langue, dis voir ! Ahahahahahahahaha !
Il était parti tout seul d'un fou rire, mais bientôt nous fûmes tous les trois à rire ensemble.
La déesse avait tué l'un après l'autre tous les gens en rapport avec la construction du barrage.
D'abord, le chef de chantier, qu'elle avait découpé en morceaux,
puis les parents de Satoko, les plus favorables au projet,
et deux ans plus tard, la tante de Satoko.
Si l'on compte l'enlèvement, Satoshi aussi était l'une de ses victimes.
Maintenant que j'y pensais…
Ça faisait quand même beaucoup de Hôjô parmi les victimes, non ?
Quatre sur huit -- c'était la moitié, mine de rien.
Pourtant, ils habitent à Hinamizawa.
Hmm, je suppose que la déesse les a d'autant plus punis (maudits ?) qu'ils étaient censés être entièrement dévoués à sa cause...
— ... Vous saviez que l'oncle de Satoko était revenu ?
Les deux tourtereaux ne s'attendaient apparemment pas à ce que je fisse la conversation, car ils se retournèrent soudain, très surpris tous les deux.
— Euh, pardon,
qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Eh ben... Ses parents sont morts par la malédiction, et ensuite sa tante...
Alors je me suis dit, si elle se les fait dans l'ordre, ce serait à son tour, non ?
L'année dernière, il a eu peur quand sa femme est morte, il s'est enfui.
Elle ne pardonne pas à ceux qui fuient le village, on m'a dit ?
Ce n'était pas pour les mettre mal à l'aise que je leur disais tout ça.
C'était juste que les mots étaient sortis tous seuls.
... Une malédiction,
hein ?
Oh, je ne croyais pas aux phénomènes surnaturels, mais il n'empêchait que chaque année, des gens considérés comme nuisibles au village étaient retrouvés morts dans des circonstances tragiques sinon étranges.
Et comme Mme Takano l'avait dit, cela faisait maintenant quatre fois de suite.
Personne ne pouvait affirmer qu'il n'y aurait pas de cinquième fois.
— ... Hum.
… Très intéressant...
Oui, c'est un fait, nombreuses sont les victimes à porter le nom de Hôjô.
Si l'on se place dans le prolongement, cette année, l'oncle paraît en bien mauvaise posture...
Ahahaha...
— Dis donc, Miyo, ça suffit,
il ne faut pas rire avec des choses pareilles.
— Ooh, excuse-moi Jirô,
mais tu sais bien que cette malédiction, c'est un peu mon passe-temps favori.
Hee hee hee…
Elle avait l'air intelligente et mystérieuse, cette femme, mais ses passe-temps avaient l'air bien coton aussi.
Je parie qu'elle croit au surnaturel et qu'elle aime l'inexplicable.
— Vous avez l'air au courant, dites-moi !
Qu'est-ce que vous en pensez, entre nous ?
Il y a une chance pour qu'il soit la victime cette année, cet oncle ?
— Mais dis-moi, tu ne l'aimes vraiment pas !
Tu tiens tellement que ça à le tuer ?
Ahahahaha !
— Non... Non, c'est pas ça, mais...
— Aahahahahahahaha !
Hmmm, je me demande.
Ça va dépendre de la déesse, qui sait comment elle sera lunée après-demain !
— Dis-moi, Maebara,
est-ce que tu sais qui se cache derrière le Père Noël ?
— Pardon ?
Je dois dire que là, elle m'avait pris par surprise. Je ne sus pas quoi lui répondre, sur le coup.
— Allons bon, tu n'es pas au courant ?
... Ce sont tes parents.
Enfin, c'est souvent le père de famille.
— Aaah, ok,
dans le sens-là ?
Oui, ça, je le savais, bien sûr.
Je veux dire, c'est évident que derrière tout cela, il y a un être humain,
à la base, puisque nous vivons dans un monde peuplé uniquement d'êtres humains.
C'est le point de départ de tout.
Hmm, je n'avais pas été très clair dans ma réponse, mais madame Takano n'eut pas l'air déçue.
— Tu te débrouilles pas mal pour un garçon de ton âge, c'est une agréable surprise.
Tu as raison, tout ce qu'il se passe dans notre monde peut s'expliquer par les actes d'autres êtres humains.
Alors maintenant, j'ai une autre question.
Qui se cache derière, non pas le Père Noël, mais...
la déesse Yashiro ?
À ton avis, que se cache-t-il derrière cette histoire de malédiction ?
Elle s'approcha de moi et me planta son regard droit dans les yeux, me mettant au défi d'y répondre.
Si derrière le Père Noël se cachent les parents,
et que cette légende est maintenue en place pour que les entreprises fassent des bénéfices à Noël,
alors derrière la malédiction, il y aurait...
— ... Euh... Eh bien... Hmmm...
— Eh bien alors, tu l'as dit tout à l'heure, non ?
Il n'y a que des êtres humains dans le monde,
donc tout ce qu'il s'y passe peut s'expliquer par les actions de ces mêmes êtres humains. N'est-ce pas ?
...Hee hee.
— ... Maebara,
ça reste entre nous, hein ?
Miyo a enquêté sur la série de meurtres qui constituent cette soi-disant malédiction,
et elle pense que ce sont des meurtres perpétrés par des habitants du village dans l'optique d'une tradition culturelle ancestrale.
— Mais ne te méprends pas sur mes intentions,
ce que j'aime dans cette enquête, c'est l'aspect socio-culturel, ainsi que tout ce que mes découvertes impliquent d'un point de vue anthropologique.
Je me moque éperdument de savoir qui est le meurtrier.
Juste pour que ce soit clair entre nous.
C'était énorme, ce qu'elle me racontait là.
Je ne comprenais pas toutes les implications, mais c'était comme si elle m'avait gavé de nourriture -- je restai la bouche ouverte, comme un idiot, coi.
— Pour comprendre tout cela, il faut remonter très loin dans l'histoire du village, ne serait-ce que jusqu'à l'époque où, encore, il s'appelait “le village des abysses des démons”.
En effet, les gens croyaient que des sages des montagnes, nés des unions entre des humains et des démons, auraient inv--
Madame Takano poursuivit, comme si je lui avais demandé de plus amples informations, ravie d'obtenir l'occasion d'étaler son savoir.
Tomitake me voyant me noyer sous les informations l’interrompît. C'était vrai que je ne savais pas trop comment réagir, et je lui étais reconnaissant d'être intervenu.
— Miyo, Miyo, Miyo,
calme-toi, tu lui fais peur, tu vas trop vite pour lui.
Regarde-le !
— ... Ah bon ?
Eh bien, si ça t'intéresse d'entendre la suite, n'hésite pas à venir me la demander, tu veux ?
Je pense que les garçons de ton âge aiment beaucoup ce genre d'histoires qui font peur.
— Ah, merci de me le proposer.
Je reviendrai vous en reparler un de ces jours, alors...
Il valait mieux pour l'instant prendre ses distances.
Madame Takano n'avait pas l'air contente d'être coupée en plein élan, mais elle laissa tomber le sujet.
Il n'empêche, c'était vraiment intéressant comme histoire.
Alors comme ça, cette malédiction serait en fait…
des meurtres…
perpétrés par des habitants du village...
— Bah, oui, en réfléchissant avec un peu de bon sens, ce n'est pas impossible.
Je veux dire, les malédictions, ça n'existe pas,
donc forcément il faut un ou plusieurs êtres humains pour organiser le tout et mettre ça un peu en scène...
— Exact.
Mais qui ? Ahahaha, il vaudrait mieux pour toi ne pas chercher à le savoir.
— ... Vous avez l'air de le savoir, vous.
Je parie que vous avez une théorie solide mais que vous manquez de preuves.
— Tiens donc, et qu'est-ce qui te fait dire cela ?
Oh, ça m'était simplement tombé dans la tête.
Vu qu'elle aime les tabous et le mystère, elle ne s'est sûrement pas arrêtée de chercher la solution par simple facilité.
Non, ce qu'elle aime, c'est briser les tabous, violer les interdits, aller le plus profondément possible dans la curiosité malsaine voire indécente.
— Tu devrais en rester là, Keiichi.
Je pensais t'avoir épargné le sujet, mais là, vous allez reparler de la malédiction, tu sais ?
... J'aurais franchement voulu partir tant qu'elle n'aurait pas capté ton attention...
Oui, il ratait un rendez-vous galant avec sa copine à cause de moi, il devait être déçu...
Mais il y avait quand même l'une ou l'autre petite chose que je voulais savoir.
En particulier...
Si l'oncle de Satoko pourrait être désigné comme victime cette année.
Si jamais... Comment dire.
S'il était possible d'espérer cette année encore le même miracle que l'année dernière...
ce serait pas cool d'avoir un meurtre sordide par chez nous... mais au moins Satoko serait hors de danger.
— ... Bah,
disons que j'ai quelques suspicions, oui.
Quand on étudie l'histoire du village, il y a certaines choses qui paraissent plus évidentes.
— Et vous soupçonnez qui au juste ?
À quoi ça pourrait me servir de le savoir ?
Je posai la question à l'autre qui sommeillait en moi, mais il ne daigna pas répondre.
— Tu es très curieux.
Tu comptes faire quoi avec cette information ?
— ... Oh, rien de spécial.
— Si je te mets au parfum, tu risques d'être en danger, tu sais ?
Tu pourrais comme par hasard être la victime de la cinquième année.
Ahahaha !
Elle souriait comme un petit diable qui joue des tours pendables et qui se moque éperdument des conséquences.
Je suppose qu'elle veut me charrier, mais je n'ai pas que ça à faire...
— ... Mouais.
Vous parlez beaucoup, mais j'ai l'impression que vous brassez surtout beaucoup d'air. Vous ne savez pas vraiment de quoi il en retourne, j'imagine ?
Je me surpris tout seul lorsque ces mots s'écoulèrent de ma bouche comme un trop plein d'eau par une grille.
J'avais affiché un mépris très cru, très direct et absolument pas dissimulé.
Et je n'étais pas le seul à être surpris...
— ... Oho, garçon,
fais attention à ce que tu dis.
Tu sais faire de la provocation, avec ta sucette et tes couches-culottes ?
Tu es un animal sauvage, ma parole !
... Tu me plais.
J'avais vu le bout de sa langue pendant qu'elle avait parlé -- j'aurais juré qu'elle était longue, effilée et crochue...
— Bien, tu l'auras voulu.
Demande-moi ce que tu veux.
— ... ... ...
— Mais avant de commencer, tu dois me promettre trois choses.
Ne viens pas te plaindre après.
N'en parle à personne.
Et surtout, ne dis à personne que c'est moi qui t'en ai parlé, c'est compris ?
Je déglutis, puis acquiesçai.
Tomitake eut un soupir de découragement, puis il sortit une cigarette, qu'il alluma dans un geste de dépit.
— Il faut que je sache.
Qui exactement fait tomber cette malédiction ?
Qui décide de la personne qui sera maudite ?
À peine avais-je formulé ma question qu'enfin, je sus pourquoi je l'avais posée...
Dans la cour de l'école, de nombreux élèves jouaient comme ils l'entendaient.
À l'entrée du bâtiment, certains enfilaient leurs chaussures pour aller jouer dehors.
On dirait bien que c'est pile la fin du repas.
Juste à l'heure prévue.
— Ah ! Maebara,
ça va ?
Plusieurs filles me virent au loin et vinrent vers moi en courant.
... Bah, c'est normal.
Je suppose que d'habitude, quand on ne voit pas un élève le matin, on imagine qu'il est malade et qu'il sera absent toute la journée...
— Ouais, bah, je suis en retard, quoi.
Pas de quoi en faire toute une histoire non plus.
... Et sinon, Satoko ?
Elle est venue aujourd'hui ?
Elles se regardèrent entre elles.
Je n'eus pas besoin d'attendre sur elles pour avoir la réponse.
Donc finalement, elle est absente aujourd'hui aussi.
Elle a eu trois jours d'absence, un jour de présence, et elle repart pour un tour...
Personne ne saurait dire
si elle sera là demain.
— ... Oui,
mais la maîtresse a dit qu'elle avait appelé.
— C'est un rhume, hein ?
La maîtresse nous a dit de faire attention et de bien gargariser.
Je me frappai le front avec la paume de la main.
Maîtresse, soyez pas naïve, quoi... Vous êtes adulte !
Vous êtes une spécialiste des enfants !
Vous ne pouvez pas remarquer quand un élève vous envoie un SOS ?
En même temps, le remarquer ne suffit largement pas.
Le mieux qu'elle pourrait faire, ce serait de lui rendre visite chez elle.
Elle n'a pas le droit de protéger Satoko de son oncle.
Ce qui revient au même que la position attentiste des services sociaux.
... Tout ce qu'elle risque, c'est de rendre l'oncle furax et de faire empirer la situation.
... Ouais, je comprends pourquoi elle a dit que c'était un rhume. Ça arrange tout le monde.
— Oui,
il faut faire très attention à pas tomber malade !
Allez, filez,
la récré de midi est encore longue.
Les filles poussèrent de grands cris et sortirent dans la cour.
— Ah ! Keiichi !
Depuis l'une des fenêtres, je vis Rena me faire de grands signes de la main.
Quelques secondes après, Mion et Rika furent aux fenêtres à leur tour.
— Si toi aussi tu tombes malade, il va falloir commencer à se faire du souci.
— Tant mieux,
tu n'as pas l'air de te sentir trop mal !
J'étais un peu énervé de me faire catégoriser bien portant si rapidement, mais bon, tant pis.
— ... Alors ?
Panne de réveil ?
— ... En retard, c'est en retard.
Ou bien alors c'est excusable en cas d'accident de train ?
— ... Panne de réveil donc ?
Elle me lâchera pas, hein...
Soit elle prend son rôle de déléguée trop à cœur, soit... il n'y a rien de méchant derrière sa question.
Bah, va pour panne de réveil.
— Il nous reste à manger !
Allez, viens, qu'on puisse manger tous ensemble !
Quand tu n'es pas là, c'est pas la même chose !
— Et Satoko ? Elle n'est pas là, hein ?
Même Rena perdit le vague sourire auquel elle essayait de nous faire croire.
— ............
— Apparemment, elle a appelé ce matin.
Elle aurait fait une rechute avec son rhume.
Elle a dit que ça pourrait durer un moment.
— Alors pour lui remonter le moral, à la pauvre, nous irons lui rendre visite tous ensemble !
— Qu'est-ce que tu racontes comme conneries, Rika ?
Je ne pouvais pas supporter de la voir parler comme si tout allait pour le mieux.
— On sait tous qu'elle n'a pas le rhume.
Ne t'avise pas de me refaire un coup pareil, même pour rigoler.
La prochaine fois, je vais vraiment m'énerver, je te préviens.
... Rika me regarda d'un air triste, puis baissa la tête, et s'excusa tout bas.
— Tu n'es pas le seul,
c'est difficile pour nous toutes aussi, Keiichi.
— Je ne m'imagine pas être le seul à me casser la tête dessus.
Mais il n'empêche que nous ne pouvons strictement rien faire.
— ... Oui, c'est vrai...
Mais oui, mais !
Je savais que ceci ne nous mènerait nulle part, si ce n'est tout droit dans une nouvelle engueulade.
Je m'excusais donc.
— Écoute, je m'excuse, d'accord ?
Oublie ça.
C'est vrai que c'est probablement très dur pour tout le monde,
tu as raison.
Ce que je constatais, par contre, c'est que j'étais le seul à m'être réellement posé des questions pour savoir quoi faire.
Les autres ont probablement dormi comme à leur habitude.
Un bon sommeil, bien réparateur.
Elles n'ont pas passé leur nuit à se creuser la tête dessus...
— Je sais que tu viens d'arriver et que la question pourrait ne pas te plaire,
mais dis-moi p'tit gars, est-ce que ton retard d'aujourd'hui…
aurait un quelconque rapport avec le fait que Satoko soit absente aujourd'hui ?
— Hein ?
Mion, de quoi tu parles au juste ?
— Bah, tu es du genre à foncer dans le tas parfois.
Quand j'ai vu que toi et Satoko n'étiez pas là ce matin, je me suis dit que tu l'avais prise avec et que tu l'avais cachée quelque part.
Enfin, disons que c'est la première chose qu'il m'est venue à l'esprit.
Elle dit ça si facilement...
Si je pouvais le faire, je l'aurais déjà fait hier soir.
C'était la méthode la plus directe, mais elle était très difficile à appliquer. Et je sais qu'aucune d'entre elles n'y a jamais réfléchi.
Alors que moi, hier, je me suis trituré les méninges dessus, jusqu'au petit matin.
Et c'est pour ça…
que je me suis rendu compte que…
c'était pas faisable.
— T'es vraiment bête quand tu veux.
Tu sais combien c'est dur d'essayer de cacher quelqu'un ?
— ... Oui, tu as raison.
Excuse-moi.
C'était pas méchant.
— Pas grave.
Bon, c'est pas le tout, mais j'ai faim.
Je dirais même plus, je crève la dalle.
Je sortis mon panier-repas de mon cartable.
Elle me firent une place, et je pus m'asseoir.
— Maebara !
Tu es arrivé seulement maintenant ?
Ah ben ça alors, juste avant que je sorte les baguettes, la maîtresse ?
— Ah, euh, oui.
Je suis en retard, je sais, je vous demande pardon.
J'ai pas entendu le réveil.
— ...
Bon, quoi, qu'est-ce qu'elle veut ?
Pourquoi ce regard ?
— Quand tu auras fini de manger, toi et la déléguée, je veux vous voir en salle des professeurs.
J'ai à vous parler.
Probablement à propos de Satoko.
Elle tourna les talons et repartit le long du couloir.
— ... Pas la peine de manger, je suppose.
Allons-y, Mion.
— Hmmm, ouais, d'accord.
Je regardai Mion. Elle acquiesça et se leva.
— ... C'est sûrement à propos de Satoko.
Oui, ça me paraissait évident.
Officiellement, elle était malade, mais tout le monde savait que c'était du pipeau.
Et ça m'étonnerait que la maîtresse ne soit pas au courant.
— ... C'est parce que je ne lui réponds jamais sérieusement. Je suppose qu'elle en a marre de me poser la question.
Peut-être que Rika savait qu'en parler à la maîtresse ne résoudrait probablement rien.
C'est peut-être pour ça qu'elle n'a rien dit.
Ou bien alors…
peut-être qu'elle sait que Satoko prend ces mauvais traitements pour une épreuve... et qu'elle la laisse faire ce qu'elle veut.
— On fait quoi ?
Il vaudrait mieux se mettre d'accord entre nous dès maintenant.
— ... Qu'est-ce que tu veux faire, Rika ?
— ... Miii...
C'était sa meilleure amie, la personne qui lui était la plus proche.
Même si j'avais été promu au rang de Totoche officiel, le temps que ces deux-là avaient passé ensemble était bien plus important.
C'est pourquoi son avis était très important.
— ... Je sais pourquoi Satoko essaie d'encaisser les coups de son oncle sans broncher.
Des regards surpris se tournèrent vers moi.
— Lorsque Satoko était malmenée, avant, je parie qu'elle venait en courant se cacher dans le dos de son frère.
Sauf qu'en fin de compte, c'est ce qui a poussé son frère à partir sans elle.
En tout cas, c'est ce que Satoko pense.
— ...
— ... Qui t'a raconté tout ça ?
— Aaah, le chef, je parie...
Je fis oui de la tête, sans rien dire.
— Satoko s'imagine qu'en supportant les coups sans rien dire, son frère reviendra.
Mais nous savons tous que les deux événements ne dépendent pas l'un de l'autre.
Désolé pour elle, mais c'est la triste vérité.
Les filles baissèrent la tête.
Elles y ont toutes pensé, et elles le savent...
— Satoko ne se réjouira pas d'obtenir de l'aide.
Elle veut absolument y arriver par elle-même, toute seule.
... Mais est-ce que ce serait vraiment une bonne idée de respecter sa volonté ?
Franchement dit, je n'en suis pas convaincu.
Je pense que quitte à ce qu'elle me haïsse pour ça, je préfère agir pour la sauver, même si elle n'est pas d'accord.
Et je pense que c'est probablement maintenant qu'il faut agir si nous voulons la sauver.
Je me mis à leur raconter ce que j'avais vu et entendu quand j'avais été chez elle la veille.
— ... Donc tu penses qu'il faut prévenir la maîtresse ?
— Uniquement si on est sûrs que les instances officielles prendront Satoko en charge.
Tant que ce ne sera pas certain, ce serait trop dangereux pour Satoko.
— ... Eh ben ce sera pas évident.
Comment tu auras la confirmation rien qu'en parlant avec la maîtresse ?
Oh, je n'y crois pas trop,
mais là, on n'a pas le choix.
Rika leva la main lentement, comme pour demander la parole.
— Keiichi... je te laisse prendre la décision.
— Quoi ? Mais, euh, t'es sûre, Rika ?
— Keiichi est celui qui a réfléchi le plus dans l'intérêt de Satoko parmi nous.
Si lui pense qu'il est temps d'en parler, je ne vois pas de raison de l'en empêcher.
— Merci. Mion ? Rena ? Ça vous va ?
Mion avait l'air d'hésiter.
Rena par contre fit fermement oui de la tête.
— OK.
Allez, Mion, on y va.
— ... Ouais.
Il n'y avait que la maîtresse dans la salle des professeurs.
Le Directeur n'était pas là.
Jetant un coup d'œil au tableau, je vis qu'il avait prévu de rentrer immédiatement pour se consacrer à des recherches.
Le Directeur a un sens de la justice très fort, trop fort, même.
Mais ce n'est pas avec cela que l'on réussira à la sauver.
C'est peut -être une chance qu'il ne soit pas là.
La maîtresse remarqua notre présence et arrêta de manger, reposant le couvercle sur son riz au curry.
— Asseyez-vous là.
Il y avait quelques sièges en face du bureau du directeur.
Cela faisait longtemps que je ne m'étais plus assis dessus... depuis les formulaires pour mon inscription ici, je crois bien.
Mion et moi-même nous assîmes, un peu à l'étroit, et la maîtresse se plaça en face de nous, cahier et un stylo en main.
— Maebara, tu n'étais pas là ce matin, il s'est passé quelque chose ?
— Je m'excuse, j'ai raté le réveil.
— ... Tu es sûr de ça ?
— Ça me servirait à quoi de vous mentir ?
La maîtresse me fixa du regard en plissant des yeux.
J'eus une certitude.
Elle voulait parler de Satoko.
— Bon, je suppose que vous êtes tous les deux au courant, mais Satoko Hôjô est absente souvent ces derniers temps.
Ni Mion, ni moi-même ne dîmes un mot.
La maîtresse ne s'en formalisa pas et continua.
— Vous êtes au courant de quelque chose ?
Il y a pas mal de bruits qui circulent dans la classe.
Mion baissa la tête, comme si elle prenait un savon.
Elle me décocha un regard.
Nous nous étions mis d'accord tout à l'heure,
alors à moi de parler.
— Déléguée ?
Maebara,
je ne suis pas en train de vous faire la morale.
Je veux juste que vous me disiez ce que vous savez, si possible.
— ... Maîtresse,
je peux d'abord vous poser une question ?
Apparemment, elle n'avait pas prévu ça.
Je lus la surprise dans son regard.
— Je ne sais pas trop ce qu'il se raconte entre les autres élèves,
mais admettons que ce qu'ils racontent est vrai. Vous feriez quoi ?
— Eh bien, il n'y a pas trente-six solutions.
Si vraiment son oncle la bat, je ne vais pas laisser faire.
— Et concrètement, que comptez-vous faire pour ne pas laisser faire ?
La maîtresse me regarda presque indignée.
Mon ton était peut-être un peu provocateur...
— Maebara,
je suis en train de te parler de choses très sérieuses !
— Ouais, je sais.
Figurez-vous que moi aussi.
Alors vous allez commencer par me dire
ce que vous comptez effectivement faire si les rumeurs sont vraies.
Elle prit plusieurs profondes inspirations, puis se mit à parler lentement.
— Eh bien... Tout d'abord,
il me faudra voir la situation de visu, donc je me rendrai à son domicile.
— Son oncle vous jettera dehors à coups de pieds dans le cul.
Enfin bon, admettons,
vous lui rendez visite,
et ?
— Eh bien, je leur demanderai ce qu'il en est.
Dès que j'ai confirmation, j'agirai pour les guider.
— Arrêtez de parler dans le vide, s'il vous plaît.
Concrètement, vous ferez quoi ?
Malgré mon ton plus qu'irrespectueux, la maîtresse m'écoutait et parlait calmement avec moi, malgré sa colère.
... C'est une bonne maîtresse.
Madame Cie pense vraiment à ses élèves.
Mais elle ne dispose pas des droits nécessaires pour sauver Satoko.
Elle risque de tout faire empirer
en agissant selon sa conscience.
Elle croisa les bras et ferma les yeux, silencieuse, comme si elle se concentrait.
Lorsqu'elle les rouvrit, elle avait un regard très sérieux, que je ne lui connaissais pas.
— Il y a une série de lois qu'on appelle le droit des enfants.
Il y est écrit que personne n'a le droit d'infliger de mauvais traitements à un mineur.
— Il paraît, oui.
Et ?
— Je le dénoncerai au centre pour les abus sur mineurs.
Tu m'as dit qu'il me chasserait de chez lui tout à l'heure,
mais l'assistante sociale au droit des enfants peut demander une escorte policière si nécessaire.
Elle ne se laissera pas intimider.
— Et ce grand sauveur, il faudra combien de papelards et combien de semaines de délai pour qu'il se bouge ?
— Il agit dans la journée où la dénonciation a eu lieu.
Son travail consiste à assurer la sécurité de l'enfant en cas d'urgence.
— Oui, je sais.
Mais seulement lorsqu'effectivement, l'urgence de la situation est établie.
Lorsque ce n'est pas le cas... on en revient à ce que vous vouliez faire.
Leur donner des conseils d'éducation et attendre de voir la situation évoluer.
Donc simplement regarder.
Vous aurez rendu son oncle fou furieux, et vous le laisserez seul avec Satoko.
— ... P'tit gars, t'y vas un peu fort, tu sais...
— Pourtant, c'est pas faux, ce que je dis, non ?
L'année dernière, ou bien il y a deux ans, l'assistante sociale était venue, non ?
Et que s'est-il passé ?
Je crois que vous le savez toutes les deux mieux que moi !
Là, je savais pertinemment que j'avais été trop loin.
J'étais en train de la pousser à bout, mais j'étais moi-même à bout de nerfs.
J'avais compté lui parler seulement avec des garanties, mais là, nous étions déjà en pleines discussions.
La maîtresse regarda sa montre et prit le combiné de téléphone sur le bureau du Directeur.
— ... Oui allô ?
Passez-moi le 3455, je vous prie.
— P'tit gars, t'es sûr que t'es OK ?
T'es certain que ça ira avec ça ?
Il était trop tard.
Les dés étaient jetés.
Il nous fallait maintenant prier.
— Ah, bonjour.
Ici madama Cie, de l'école de Hinamizawa. Est-ce que M. Watanabe est là, s'il vous plaît ?
Oui, oui.
J'ai malheureusement une urgence, vous pourriez lui demander de me recontacter au plus vite ?
... Oui.
Merci encore.
Dites-lui bien que c'est urgent.
Merci encore pour tout !
Elle raccrocha,
puis pencha la tête en arrière et respira longuement, un peu comme je le faisais parfois.
— ... Encore une fois, vous deux, je vous pose la question.
Les rumeurs qui circulent en classe sont donc vraies ?
— ... Oui.
Je suis allé hier chez elle et j'ai vu moi-même ce qu'il se passait.
— D'accord, alors vous pouvez me laisser m'en occuper,
je vais me débrouiller, je vous le promets.
— ... Vous allez vous débrouiller ?
Ne vous foutez pas de ma gueule, maîtresse,
il faut pas essayer, il faut réussir, nous n'avons pas le choix !
Si jamais les services sociaux décident encore une fois d'attendre et de voir ce qu'il se passera, vous comptez faire quoi au juste, HEIN ?!
Je n'avais pas encore fini de lui crier dessus que le téléphone sonna.
La maîtresse décrocha aussitôt.
— Oui allô ?
Ah, désolée de vous déranger dans vos recherches.
... Oui.
Oui, J'aimerais vous parler à propos de Satoko Hôjô.
... Oui.
La maîtresse nous fit signe du plat de la main, nous pouvions partir.
Mion se leva et fit mine de sortir, mais je ne bougeai pas d'un pouce.
Il me fallait rester ici pour surveiller qu'elle ne disait pas les choses à moitié.
J'avais la ferme intention de dire à son interlocuteur ce que j'en pensais si elle ne le faisait pas correctement.
— ... Oui.
... Non, pas encore.
... Oui.
Je n'ai pas encore vérifié, mais ses camarades de classe disent que c'est assez sérieux.
— Ça veut dire quoi, “assez sérieux” ?
Amenez-vous TOUT DE SUITE !
Et faites quelque chose IMMÉDIATEMENT !
S'il faut les dénoncer, allez-y !
Mais si jamais l'assistante sociale décide d'attendre et de voir comment la situation évolue,
je vous fais la peau, c'est clair !?
Je devais absolument leur faire comprendre la dangerosité de la situation dans laquelle se trouvait Satoko en ce moment.
C'est pour ça que j'avais crié sur la maîtresse et sur le Directeur au bout du fil.
— Mais je sais,
je leur dirai !
Déléguée, faites-le sortir, ramenez-le en classe.
— Ah, euh... oui.
Allez, p'tit gars.
Laisse-les faire.
— ... Je vous préviens, vous avez intérêt à réussir...
Jusqu'au bout, je lui lançai un regard noir de colère.
La maîtresse avait l'air complètement déboussolée par ma réaction.
Idiote, ton rôle, c'est de me rassurer, pas de me regarder avec des yeux ronds comme des billes !
Mais maintenant, il était trop tard.
Je lui avais passé les rênes.
Il n'y avait plus qu'à prier. Très fort.
Bang.
Mion ferma la porte de la salle des professeurs d'un claquement sec et m'entraîna derrière elle...