Maman de Keiichi

— Bonjour, Keiichi.

... Eh bien ?

À quelle heure tu t'es couché hier soir ?

Ce matin, je m'étais levé du pied gauche.

C'était un réveil très difficile, et ma mère l'avait compris du premier regard.

En fait, j'avais fait un très mauvais rêve pendant la nuit.

Plusieurs de suite, même, et tous parlaient de malheur.

À chaque fois, je m'étais réveillé en sueur, mais comme un fait exprès, je ne me souvenais d'aucun détail de mes cauchemars.

Bien sûr, ce n'étaient que des rêves,

mais cela me mettait quand même de mauvais poil.

Oh, vas-y, quoi.

Tu as coulé des jours heureux jusqu'à hier,

il n'y a aucune raison pour que ça change, tu ne crois pas ?

Et pourtant...

J'avais un mauvais pressentiment…

Pourquoi ?

Le cauchemar était une représentation de mes inquiétudes.

C'était un peu ce que ma conscience refusait de reconnaître dans mon subconscient.

…………Hier…

... Il me revint en mémoire les différentes choses que j'avais apprises sur Satoshi lors de mes conversations de la veille.

Oui...

C'est depuis que j'ai parlé de lui que mon âme est obscurcie par de noirs nuages de peur...

J'étais persuadé que si je passais mes journée dans l'insouciance, celle-ci perdurerait.

Et pourtant, j'avais fait des bêtises qui risquaient bien de me coûter la simplicité bienheureuse de mon quotidien.

Quoiqu'à bien y réfléchir…

Il paraissait invraisemblable que mes actions pussent avoir un quelconque effet sur le monde en général.

Oui, bien sûr.

Si je n'avais pas ouvert ma grande gueule une deuxième fois, je n'aurais pas à me faire de reproches maintenant.

Et puis d'abord, c'est pas parce que j'en ai parlé que d'un seul coup, le destin va changer sa course.

Tout sera comme d'habitude.

Forcément.

Aucune raison de changer.

Ce sera pareil. Tout sera pareil qu'avant.

Hahahaha...

Maman de Keiichi

— C'est quoi comme rire bidon ?

T'as pas l'air réveillé, va te passer de l'eau sur la figure.

Roh, juste au moment où je voulais me remonter le moral...

Il ne restait déjà plus beaucoup de temps avant l'heure où je rejoignais Rena tous les matins.

Je me préparai pour l'école en toute hâte.

Maman de Keiichi

— Allez, bonne journée.

Et fais attention aux voitures !

Keiichi

— C'est bon, t'inquiète, il y a pas assez de voitures pour que ça vaille le coup d'y faire attention, de toutes manières...

Enfin, à Hinamizawa.

Je bondis hors de la maison.

L'air était tout frais, et je comptais sur lui pour me changer les idées.

Allez, Keiichi.

Tu as assez eu de remords, tu as assez payé maintenant, c'est bon !

Allez, ressaisis-toi et va à l'école !

Et retrouve les autres gais lurons là-bas.

Marrez-vous ensemble, faites le boxon !

Et sois gentil avec Satoko, pour t'excuser.

T'as oublié ?

T'es son Totoche de remplacement jusqu'à ce que Satoshi revienne...

Rena

— Bonjour,

Keiichi !

Rena avait été si bizarre hier, et pourtant ce matin, c'est comme si rien ne s'était jamais passé.

Si j'arrive à oublier les événements d'hier, personne ne saura jamais qu'ils ont existé.

Alors, je décidai de tailler dans le lard.

Keiichi

— Hey !

Salut, toi !

Toujours en avance, comme d'habitude !

Jeune garçon

— Salut !

— Bonjour !

J'arrivai à l'école comme tous les jours, très peu de temps avant le début de la classe.

J'en profitais généralement pour dire bonjour à tout le monde, mais aujourd'hui, Rika et Satoko n'étaient pas là.

Elles sont peut-être aux toilettes ?

Ah non, leurs affaires ne sont pas là... Elles ne sont pas arrivées à l'école.

Rena

— Eh ben ?

C'est rare de les voir arriver en retard, ces deux-là.

Rena se mit à faire des pronostics sur les excuses qu'elles trouveraient pour se justifier.

Mion s'y mit aussi, mais ses prévisions à elle étaient complètement farfelues.

Évidemment, pour moi qui voulait me rassurer en la voyant le matin, c'était une situation très ennuyeuse.

C'était très déconcertant,

et un peu flippant, même, pour tout dire.

Cie

— Bonjour à tous, les enfants.

Déléguée, c'est à vous.

Mion

— Gaaaarde à vous !

La maîtresse était là maintenant...

Alors, enfin, on entendit des pas précipités dans le couloir.

La porte s'ouvrit.

Tout d'abord, je vis une petite tête bondir dans la salle de classe. C'était Rika.

Je reposai mon regard sur la porte et vit... rien du tout.

Satoko ne la suivait pas.

Cie

— Vous êtes en retard, Furude.

Et Hôjô ? Où est-elle ?

C'était déjà rare de voir Rika en retard, mais Satoko, ce bloc d'énergie et de bonne humeur, absente ? C'était encore plus étonnant.

Je n'étais d'ailleurs pas le seul à faire des yeux ronds.

Rika

— Satoko... risque d'arriver un peu en retard, je pense.

Cie

— Elle a de la fièvre ?

La maîtresse s'approcha de Rika et lui parla à voix basse.

Mion

— Ahahahahahaha !

Eh ben, c'est pas tous les jours que ça arrive, c'est le moins qu'on puisse dire !

Rena

— Oui.

Par contre, je me demande ce que Satoko peut avoir.

Un coup de froid peut-être ?

Pourquoi faut-il qu'elle soit absente le seul jour de l'année où j'ai envie de la voir ?

Mon inquiétude commençait à se faire préoccupante.

Mion

— Allons, p'tit gars, tu te fais trop de souci, voyons !

C'est une jeune fille qui est à un âge difficile, il y a des jours dans le mois où ça ne va pas trop, si tu vois ce que je veux dire !

Éhhéhhé !

Rena

— Mii, c'est un garçon, enfin, lui parle pas de ça !

Mion eut un rire gras.

En temps normal, j'aurais ri de bon cœur avec elle, mais aujourd'hui, je n'étais pas d'humeur.

Après l'appel, et juste avant la première heure de cours, je décidai de parler à Rika.

Keiichi

— Salut, Rika.

Pauvre petite, tu t'es fait gronder ?

Aujourd'hui, c'est à moi de te caresser la tête.

Je savais que ce matin, je tirais la tronche, alors je me forçais à parler de ma voix la plus enjouée possible.

Je me mis à lui caresser la tête comme elle le faisait d'habitude, mais cela n'eut aucun effet sur sa grise mine.

Rika

— Miaou...

Keiichi

— Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?

Elle a de la fièvre ?

J'aurais accepté n'importe quoi du genre, à vrai dire.

Rika

— ... ... ...

Rika avait l'air perturbée et abattue.

Ce n'était pas normal du tout, et eut le don de me rendre encore plus inquiet.

Mion

— Roh, allez, file, zou !

Il y a des choses dont on ne peut pas parler aux garçons, nous !

Allez, retourne à ta place, p'tit gars.

Mion se redressa et me montra ma place du doigt, me faisant son regard sérieux de déléguée.

Rika se remit à regarder son pupitre, l'air toujours aussi maussade.

Elle avait dit que Satoko risquait d'arriver un peu en retard, ce qui en soi était une formulation un peu inhabituelle.

Il me semble pourtant qu'elles vivent ensemble.

Elle devrait savoir si Satoko arriverait en retard ou pas, comment pourrait-elle avoir un doute ?

Cette raison inexplicable à son absence n'était pas pour me rassurer.

Va chier, quelle journée de merde...

Depuis ce matin, tout va de travers...

Rena

— Qu'est-ce tu as, Keiichi ?

Tu n'as pas l'air en forme depuis ce matin.

Faisant attention à ne pas se faire caler par la maîtresse, Rena m'adressa la parole à voix basse.

Keiichi

— ... Ça se voit tant que ça ?

Rena

— Oui.

Tu es presque en train de me saper ma bonne humeur...

Ben alors occupe-toi de ton cul et me regarde pas… Je ne répondis rien.

Rena

— Tu pourrais m'en parler ?

Je ne sais pas ce qui te tracasse, mais si je peux t'aider, n'hésite pas...

Je ne me moquerai pas de toi, je te le promets.

Elle me regarda droit dans les yeux.

Keiichi

— ... Jusqu'à hier, tout allait pour le mieux, et je me suis bien amusé.

— Pardon ?

Rena fit de grands yeux, ne comprenant pas trop où je voulais en venir, mais elle eut la gentillesse de se taire et de me laisser poursuivre.

Keiichi

— Chaque jour était tranquille, agréable, amusant.

Et ça ne m'inquiétait pas de voir les jours se suivre et se ressembler.

Rena

— ... Oui,

je comprends.

C'est vrai qu'on s'amuse tous les jours.

Je parie qu'aujourd'hui aussi, nous allons bien nous amuser.

Keiichi

— ... Tu peux vraiment me le dire haut et fort ?

Rena

— Euh…

… … …

Rena ne dit plus rien.

Pas étonnant.

Moi-même, je ne savais pas trop où je voulais en venir.

Keiichi

— Tu sais, ça fait quelques jours que j'ai une vague angoisse.

Keiichi

J'avais un peu peur parce que tous les jours, justement, on s'amuse comme des fous.

Keiichi

J'avais peur qu'un jour, sans prévenir, il y ait un os, comme une ampoule qui éclate sans crier gare et qui te laisse dans le noir total.

Rena

— Hmmm, oui,

je crois que je peux comprendre ça.

Elle me sourit et acquiesça.

Rena

— On nous a toujours appris que les bonnes choses ne duraient jamais.

Rena

Alors forcément, parfois, on a peur du retour de manivelle.

C'est un peu triste, mais…

au moins, nous avons appris à nous donner du mal pour faire en sorte que tout aille pour le mieux le plus longtemps possible.

Keiichi

— ... Oui, t'as pas tort.

Rena

— Alors entre nous, je ne t'en veux pas de te faire du souci, ce n'est pas bizarre comme réaction.

Imagine que…

Oui, imagine que le volcan dans le coin se réveille et fasse une grosse explosion.

Keiichi

— Ouh là, c'est pas très comique ton histoire...

Rena

— Imagine que tous les habitants du village meurent dans l'éruption du volcan, sauf toi. Qu'est-ce que ça te ferait ?

Keiichi

— Ben... Euh, je sais pas trop...

J'essayai de m'imaginer Hinamizawa en village fantôme, et moi errant dans les rues dévastées.

À mes pieds, des tonnes de gravas, et les corps des habitants jonchant le sol, de temps en temps.

C'était horrifiant.

Est-ce que la mort de mes amis me rendrait triste ?

Ou est-ce que le fait que moi, je n'aie pas pu mourir avec tout le monde, me rendrait triste ?

Je ne sais pas trop, mais je pense que je me mettrais à pleurer.

Keiichi

— Ben, je pense que j'aurais mal au cœur.

Peut-être que je pleurerais.

Rena

— Et alors, je parie que tu penserais quelque chose comme :

Rena

Si c'est le destin et si j'avais su, j'aurais profité un peu plus et un peu mieux des autres jours... Non ?

Je n'aime pas penser qu'une chose pareille serait due au destin,

mais...

… … …

Keiichi

— ... Oui, t'as peut-être raison.

Rena

— Si les jours heureux doivent un jour s'en aller, personne n'en sait pour autant quand cela arrivera.

Alors je pense que pour ne pas regretter ces beaux jours, il faut vivre chaque journée du mieux possible.

Keiichi

— ... Oui, pas bête.

Rena

— Mais c'est très difficile de s'en rendre compte par soi-même.

La plupart des gens s'imaginent que c'est normal.

Rena

Ils sont persuadés que les jours d'après seront exactement les mêmes qu'aujourd'hui et qu'hier.

Alors ils remettent à demain les belles choses qu'ils pourraient faire aujourd'hui.

Ce n'était pas la même Rena que d'habitude aujourd'hui, apparemment.

Elle ne prenait pas mes inquiétudes à la légère.

C'était rassurant, quelque part.

Rena

— Mais toi, tu t'en es rendu compte, Keiichi.

Et ce n'est pas rien, tu sais.

Tu devrais conserver précieusement le souvenir de cette angoisse.

Keiichi

— La... conserver préciseusement ?

Rena

— Oui, tu m'as bien entendue.

Rena

Tu ne le sais pas, peut-être que demain le volcan explosera et qu'il tuera tout le monde.

Rena

Alors sois gentil avec tout le monde aujourd'hui.

Rena

... Pour ne pas le regretter lorsque la fin sera venue.

Keiichi

— Pourquoi, tu le fais, toi ?

Pour ne pas regretter si demain tout le monde devait mourir dans l'explosion du volcan ?

Rena

— Oui, je le fais.

Je la regardai sans rien oser dire.

C'était pourtant pas le sujet où l'on pouvait faire des blagues.

Rena

— Tu sais, je... J'ai déjà vécu ça. Un jour, plus rien n'était comme avant.

Je sais qu'il n'y a aucune garantie.

... Alors, je vis ma vie.

Au maximum.

... Donc en gros, Rena connaissait exactement le genre d'angoisse indescriptible que je ressentais.

Et en plus, elle savait ce qu'il me restait à faire.

... Hmm ?

Oh, eh, du calme, Keiichi, pas la peine de pleurer...

Keiichi

— Hier... je crois que j'ai fait un rêve en rapport avec Satoko.

Je ne me souviens pas de ce que j'ai rêvé au juste, mais... depuis ce matin, je ne suis pas tranquille.

Rena

— Et tu voulais te rassurer en la voyant à l'école ?

C'est ça ?

Oui, c'était exactement ça.

Ce matin, si j'avais pu voir les visages souriants de tout le monde,

j'aurais pu oublier tout cela.

Rena

— Eh bien alors, quand Satoko sera là, tu as intérêt à être très gentil avec elle, d'accord ?

Rena

Quoique, en fait, ce serait peut-être mieux de te comporter comme tous les jours, en fait.

Rena

Tant que nous nous amusons, tout me va.

Keiichi

— ... Oui, c'est vrai.

Il vaut mieux se comporter de façon à ne rien regretter.

Finalement, je ne saurais pas dire si parler avec Rena m'avait rassuré ou inquiété encore plus.

Mais je savais que dès que Satoko serait là, je serais super sympa avec elle.

Enfin, l'heure de mettre nos tables en commun arriva.

Mais Satoko n'était pas là.

Et pourtant, cinq paniers-repas furent mis en commun sur nos tables.

Rika avait ramené celui de Satoko avec elle.

Mion

— Ben alors quoi, elle aurait dû arriver avant midi ?

Rika

— ...

Aujourd'hui, Rika se comportait vraiment bizarrement.

On pouvait lui parler autant qu'on voulait,

elle était ailleurs, elle ne nous entendait pas.

C'était la première fois que je voyais Rika aussi molle.

Et je pense que tout naturellement, cela eut une influence sur notre humeur à nous.

Hum, je vois.

Je comprenais maintenant encore mieux ce que Rena m'avait dit tout à l'heure.

J'étais prêt à déplacer des montagnes et à me donner à fond pour ne rien regretter, même si la fin du monde devait se pointer, pour peu que nous fussions enfin tous réunis.

Et comme un fait exprès, justement ce jour là, nous n'étions pas tous ensemble.

C'est pas normal... C'est trop soudain.

Je veux dire, pourquoi la chance devrait-elle nous fuir comme ça, sans prévenir, du jour au lendemain ?

Tu le crois, ça ?

Le volcan est encore en sommeil, il n'y a pas eu de tremblement de terre, et la forêt n'est pas en feu.

Les grillons sont toujours en train de chanter, et le soleil est toujours haut dans le ciel.

C'était quasiment la même journée qu'hier…

et pourtant...

Je vis les baguettes de Rena se rapprocher tout doucement de mon panier-repas, puis me piquer les légumes frits.

Rena

— Si personne n'en veut, je les prends !

Mmmm, mais ils sont super bons !

Elle les avala d'une seule bouchée.

Mion

— Ah, j'ai presque honte sur le coup-là !

Comment ai-je pu me faire devancer par Rena, moi, la meilleure d'entre tous ?

Ok,

alors moi, je prends les miniburgers !

Rika

— Miiii ! Je vais plus avoir de légumes à manger, à ce rythme-là.

Rika, un peu après la bataille, retrouva le sourire et chercha des yeux dans quel panier-repas elle pourrait piquer quelque chose.

J'étais très étonné de les voir passer aussi vite à autre chose.

Rena me fit un clin d'œil.

(Alors, Keiichi,

amuse-toi !

Demain, le volcan pourrait exploser !)

Keiichi

— Vas-y, c'est franchement pas marrant.

Je ne peux pas laisser ça arriver, mon dernier repas va quand même pas être une bête prune confite avec un peu de riz ?

Allez, hop, je pique les boulettes de viande !

Je profitai du mouvement de mes mâchoires pour me forcer à sourire.

C'était un peu pour donner le change, et aussi un peu pour me convaincre tout seul.

Mais même si au départ, c'était clairement du chiqué, c'est peu à peu devenu bien plus naturel.

Satoko n'était toujours pas là,

mais à un moment, je me rendis compte que notre pause midi était tout de même aussi joyeuse qu'à l'habitude.

Nous nous chamaillions.

Nous riions.

Nous faisions les idiots.

Merci à vous, les filles.

C'est probablement la meilleure chose à faire.

Comme ça, quand Satoko sera là, nous pourrons lui offrir des sourires magnifiques.

Plus je rigolais, et plus l'angoisse que j'avais eue ce matin se faisait lointaine.

Keiichi

— On dit que la chance sourit à ceux qui sourient, ce n'est qu'un proverbe à la noix, mais il a peut-être du vrai.

Mion

— Oui.

Je devrais peut-être rire 24h24, qui sait, ça peut valoir le coup.

Rena

— Moi, je suis sûre qu'il y a du vrai dedans.

Quand on sourit tous les jours, tous les jours deviennent des jours heureux.

Rika

— ... C'est bien, ce que tu dis, Rena.

Keiichi

— Qu'est-ce que vous en dites, on tente le coup ?

Nous nous tendîmes les bras pour les passer sur nos épaules,

puis prîmes de grandes inspirations.

Membres du Club

« HAHAHAHAHAHA HAHAHAHAHA ! »

Nous nous mîmes à rire du plus profond du diaphragme.

Comme pour expulser tout ce qui nous tracassait au fond de nous en même temps.

Lorsque nos paniers-repas furent vides, nous étions tous revenus à la normale.

Alors que nous étions en train de discuter, Tomita et Okamura vinrent vers moi, hésitants.

Tomita

— Euh... Maebara ?

Désolés de te déranger maintenant, mais...

Okamura

— Nous aurions besoin de toi...

Ils avaient l'air un peu gênés.

Keiichi

— Eh bien, vous voulez quoi ?

Keiichi

C'est pour faire disparaître les zones noires des images pornos dans les magazines ?

Keiichi

Je vous préviens, on dit souvent qu'il faut mettre du beurre dessus, mais ça marche pas !

Et le sable non plus.

Okamura

— Ah bon ?

La vache, je savais pas, merci !

Tomita mit un coup de coude à Okamura.

Tomita

— Ah, euh, oui.

Ben en fait, notre balle est restée coincée sous la gouttière.

Comme tu es grand, on a pensé que tu pourrais la déloger sans problème...

Keiichi

— Ah oui ?

Vous savez que quand on demande, il faut savoir donner, je suppose ?

Et je suis plutôt cher, je vous préviens !

Vous ne m'achèterez pas si facilement !

Ils se concertèrent un moment, puis me donnèrent leur réponse.

Okamura

— D'accord, nous te donnons le droit de dormir pendant les cours.

Ça te va ?

Keiichi

— ... Qu'est-ce que ça veut dire au juste ?

Si je veux dormir en cours, je dors,

j'ai pas besoin d'avoir votre autorisation.

Tomita

— Non, ce n'est pas vrai et tu le sais !

Si tu veux, la prochaine fois, on caftera à la maîtresse, et on verra.

Mion

— Ahahahahahahahaha !

Aaaah je vois, vous êtes doués, les jeunes !

Keiichi

— Espèces de sales petits voyous !

Qu'est-ce que c'est que ces manières ?!

Grrrr !

Okamura

— Non, pas taper, pas taper !

C'était une blague, quoi...

Mion

— Ben alors, p'tit gars ?

Pourquoi tu n'obéis pas, ils te tiennent, là !

Éhhéhhé !

Ooooh, tu vas voir, toi...

J'eus une illumination, et saisis leurs mains.

Keiichi

— OK, d'accord, je marche.

Je vais vous récupérer cette balle, alors donnez-moi le droit de dormir en cours.

Tomita

— Hein ?

Euh, ouais, d'accord, je suppose...

Keiichi

— Regarde, Mion !

Moi, j'ai obtenu l'autorisation,

mais pas toi...

Tomita, Okamura !

La prochaine fois que Mion bulle en cours, ne vous gênez pas pour le dire.

C'est compris ?

岡村

— Sir, yes sir !

Rena et Rika se tordirent de rire.

Leur balle... était bel et bien coincée sous la gouttière au premier étage, c'était à croire que c'était fait exprès.

Keiichi

— Filez-moi le bâton, là.

Je pense que je devrais l'atteindre.

Eeeet hop !

Tsk !

Je frappai plusieurs fois la balle.

Rah, elle bouge pas !

Allez, encore une fois !

Tomita

— Ah, tu l'as eue !

Tu l'as eue, Maebara !

Merci ! Merci beaucoup !

La balle s'était détachée et était tombée derrière le bâtiment de l'école.

Les deux autres partirent la chercher sur-le-champ.

Je restai ici, seul.

Bon, ben je crois que j'en ai terminé avec eux, non ?

Rah la la,

la pause midi est encore longue.

Bah, retournons en cours.

On va attendre que ça se passe à bavarder avec les autres.

Mais mes plans furent contrés lorsque

je repassai devant l'entrée de l'école...

Homme d'âge mûr

— Bonjour bonjour, ça va ?

Désolé de vous déranger pendant la pause.

C'était un homme d'âge mûr qui m'était inconnu.

Quoique ! Il me semble l'avoir déjà croisé... mais je sais quand même pas qui c'est.

Lorsqu'il me fit un grand sourire...

j'eus un frisson d'horreur.

... Je n'avais aucune raison d'avoir peur,

mais…

Je ne pus pas m'empêcher de frissonner.

Je ne savais pas trop pourquoi je réagissais de la sorte, et restai un moment interdit, à y réfléchir.

Je ne pouvais dire qu'une seule chose.

Dans une école, je préférais quand il n'y avait que les élèves et la maîtresse.

Lui, il n'avait rien à faire ici.

C'était un peu comme lorsqu'une chenille aux couleurs bizarres vient se poser sur votre front quand vous dormez.

Vous sentez ses poils, ça ne gratte pas vraiment, ça ne pique pas vraiment non plus, mais c'est désagréable.

Je ne pouvais pas blairer sa tête.

J'avais envie de fuir.

C'était irrationnel, mais vraiment très fort comme sentiment.

Une voix résonna dans ma tête.

Bah c'est bon, qu'est-ce que t'as contre lui, c'est la première fois que tu le rencontres, non ?

Tu n'as pas honte ?

Et pourtant, je restai sans répondre.

Peu à peu, une sueur collante se mit à couvrir mon visage.

L'homme eut l'air de croire qu'il me faisait peur, alors il me sourit un peu plus gentiment.

Ôishi

— Aah, désolé.

Ôishi

Je ne suis pas un déséquilibré mental, hein ?

Ôishi

Éhhéhhé, je viens du commissariat d'Okinomiya, je m'appelle Ôishi.

Ôishi

Tenez, voilà mon badge.

Ôishi

Hum…

Ôishi

Ah,

Ôishi

bougez pas,

Ôishi

il est l-- il est, euh... aïe.

Ôishi

Mince alors, il était là... Ah ben j'ai l'air bête, là... Mais c'est pas normal, je l'avais, pourtant ?

Il fouilla encore dans plusieurs petites poches, puis finit par trouver ce qu'il cherchait. Il me montra son carnet et son insigne avec un petit rire gêné.

Je suppose qu'il voulait se rendre moins menaçant avec toutes ces simagrées, mais ça ne prenait pas sur moi.

Mais pourquoi étais-je aussi nerveux ?

Oh, j'avais bien une raison.

Nous avions été très heureux jusqu'à présent, sans l'avoir jamais rencontré. Alors pourquoi venait-il nous voir aujourd'hui ?

Le fait de rencontrer aujourd'hui quelqu'un que je n'avais jamais vu auparavant était la preuve irréfutable qu'aujourd'hui serait un jour différent.

Ce qui par conséquent, prouvait que…

que l'insouciance des jours heureux était bel et bien terminée.

Je déglutis très fort.

Reste calme, reste zen, Keiichi.

C'est pas parce que l'autre pervers du commissariat s'est pointé que c'est la fin des haricots, hein.

Il est venu simplement pour le boulot, rien de plus.

Ouais, il est venu juste pour son boulot, c'est probablement vrai...

Donc si c'est pour le boulot, il devrait aller en salle des professeurs, non ?

S'il m'a adressé la parole, c'est uniquement pour me demander où elle était.

Keiichi

— ... Si vous cherchez la salle des profs,

il faut entrer par là, puis...

Comme je ne pouvais pas le sentir, je me décidai à lui indiquer l'endroit sans plus attendre.

... Sauf que l'inspecteur Ôishi n'avait pas l'air d'être intéressé par ça.

Ôishi

— Non, non,

je n'ai rien à leur demander.

J'aimerais que vous ailliez appeler l'une de vos camarades de classe pour moi, vous voulez bien ?

Éhhéhhé !

Keiichi

— ... Une camarade ?

Et qui au juste ?

Ôishi

— Ah, attends, c'est une fille, je te sors son nom…

Voilà ! Satoko Hôjô. Tu peux aller l'appeler ?

Ma vision partit en arrière,

comme si j'avais une baisse de tension.

J'en étais sûr.

... J'avais eu raison

d'avoir peur.

Je sentis encore une fois cette sensation désagréable de grattement, mais à l'oreille cette fois-ci.

Un peu comme si la chenille s'était posée dans le lobe de l'oreille et se demandait si elle pouvait entrer dans le trou ou pas.

C'est pour dire.

Keiichi

— Et que veut la police à Satoko ?

Ôishi

— Oh,

rien de spécial en fait.

Je veux juste lui poser deux trois questions, c'est tout.

Ça m'arrangerait beaucoup si elle pouvait y répondre.

Pourquoi ?

Pourquoi Satoko ? Ça ne pouvait pas être un hasard, pas aujourd'hui...

Et puis, si ce n'est pas important, pourquoi la police vient-elle exprès la voir à l'école, en plein jour ?

Il est pas net, ce mec.

Il pue.

Il sent les emmerdes à plein nez.

Je savais pertinemment

qu'il ne venait pas annoncer à Satoko que quelqu'un avait trouvé son porte-monnaie.

Je n'arrivais pas à m'imaginer ce qu'il pouvait lui vouloir, mais ça ne pouvait rien être de bien...

Keiichi

— ... Erm...

Je m'éclaircis la gorge.

Elle était aussi sèche que la terre des champs en plein été.

Et elle me donna une voix rauque, qui me rendit plus hargneux que je voulais réellement l'être.

Keiichi

— ... Vous, vous voulez peut-être la voir, mais elle non.

Allez-vous-en.

L'inspecteur ne s'attendait manifestement pas à cette réponse.

Il me regarda en levant les sourcils, très étonné.

Mais à dire vrai, moi aussi j'étais étonné.

Je n'aurais jamais cru pouvoir parler sur ce ton à un policier...

Si tu te dépêches, tu peux encore rattraper le coup.

Si tu peux le virer, peut-être que tu pourras considérer que toute cette histoire n'était jamais arrivée.

Et alors,

peut-être que le bonheur quotidien reviendrait...

Ôishi

— Eh bien ma foi ! Vous êtes bien dur avec moi, dites donc.

Vous êtes son manager ?

Il me faut un rendez-vous ?

Éhhéhhé !

Keiichi

— Si vous vouliez simplement lui parler, vous auriez pu téléphoner.

Pas la peine de venir en plein jour la cuisiner à l'école.

Vous vous doutez bien que le ton de ma voix n'était pas des plus sympathiques lorsque je lui dis ceci.

Je ne savais pas pourquoi, mais ce mec ne me plaisait pas.

Il n'avait rien à faire ici.

Il fallait le faire disparaître.

C'était une réaction digne d'un gamin, mais elle me prit par surprise.

Tout le monde a le droit de ne pas pouvoir blairer les insectes.

Mais ce n'est pas une raison pour le dire haut et fort à tout le monde.

Le pire c'est que j'en suis conscient.

Ôishi

— Hmmm,

vous êtes le genre justicier,

je vais vous dire, je n'aime vraiment pas les gens qui jouent aux justiciers...

L'inspecteur se gratta le cou.

Il faisait le mariole, mais je sentais bien qu'il était énervé.

Écoute, Keiichi.

Pourquoi tu cherches les ennuis avec ce gars-là ?

C'est pas comme s'il était là pour te filer la poisse ou le malheur. Ce ne sont pas des objets transportables.

Je sais.

Il n'est pas venu faire une livraison, il ne te demande pas une signature pour te refiler une tonne de malchance tombée du camion.

Je sais, je sais tout cela…

et pourtant...

Après quelques instants de silence lourd, l'inspecteur Ôishi poussa un long soupir.

Puis il se retourna et appela plusieurs petites filles qui couraient dans la cour.

Ôishi

— Euh, dites, les enfants ?

Je peux vous déranger une minute ?

Vous pourriez aller appeler Satoko Hôjô, s'il vous plaît ?

Jeune garçon

— ... ... ...

Elles voulurent répondre, le sourire aux lèvres, puis remarquèrent mon visage, et se mirent à hésiter.

Ôishi

— Il n'y a personne de ce nom dans cette école ?

Satoko Hôjô ?

Jeune garçon

— Eh bien... Elle n'est pas venue à l'école aujourd'hui...

Ôishi

— Elle n'est pas là ?

Il souriait, mais je sentais bien, dans sa voix, qu'il était furax.

Les filles firent un pas en arrière, peu rassurées.

Ôishi

— Ah bon, je vois…

Ahahahahaha !

Ah la la la la la,

ben c'est pas de chance, ça.

Son rire n'était franchement pas du genre contagieux.

Lorsqu'il se rendit compte que personne ne rigolait à part lui, Ôishi arrêta brusquement de rire.

Ôishi

— Dites-moi,

les filles...

Vous pourriez me dire comment il s'appelle, ce garçon ?

Hum ?

Il s'accroupit et passa ses bras sur les épaules des gamines, les regardant droit dans les yeux.

Il les fixa du regard en silence et attendit.

Mon nom en échange de leur liberté, hein ?

Ôishi

— Je vois, je vois.

Keiichi Maebara, hein ?

Il n'avait fait que répéter mon nom…

Mais je sus instantanément que quelque chose de mal allait se passer.

C'était comme s'il m'avait soulevé par le col de la chemise...

Ôishi

— Aaah, mais oui bien sûr, le fils unique des propriétaires de la villa Maebara...

Ahahahaha !

Il paraît que votre père est un grand artiste.

Ôishi

Il fait une expo deux fois par an dans Ariake, à Tokyo, c'est bien cela ?

Oh, je ne sais pas ce qu'il dessine, mais en tout cas il est connu.

Ôishi

Et votre mère, elle a l'air très intelligente, aussi.

Il semblerait qu'elle ait eu un parcours académique exemplaire.

Ôishi

J'ai entendu dire qu'elle sortait de l'université ?

Ôishi

Vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais pour une personne de sa génération, aller à l'université, c'était quelque chose !

Ôishi

Qui sait, votre mère vient peut-être d'une famille très fortunée...

Ôishi

Enfin, c'est ce qu'il se raconte dans le coin. Vous ne le saviez pas ?

Ôishi

Elle ne va jamais aux réunions des femmes au foyer,

Ôishi

d'ailleurs, ce n'est pas très poli, vous savez.

Ôishi

D'accord, elle y est allée la toute première fois, mais à la campagne, les gens font attention à ce genre de choses, vous savez...

Ôishi

Éhhéhhéhhéhhé !

Un sentiment indescriptible me remontait le long de la colonne vertébrale.

C'était la première fois de ma vie que je ressentais cela...

Jamais encore un parfait inconnu ne m'avait raconté autant de détails sur ma vie !

L'inspecteur Ôishi s'approcha de moi et me plaça les mains sur les épaules, puis approcha son visage pour me regarder droit dans les yeux.

Ôishi

— Par ici, il ne fait pas bon se faire des ennemis...

Sinon…

Aïe !

Il a une force prodigieuse dans les doigts, mes épaules me font super mal !

Ôishi

— ... Ça vous retombe toujours dessus au plus mauvais moment.

Vous connaissez le proverbe, “qui sème le vent récolte la tempête”.

C'est un peu le contraire de “quand le vent souffle, les vendeurs de seaux prospèrent”.

Ôishi

Parfois, il suffit de faire une toute petite chose de rien du tout qui n'ait pas plu à quelqu'un, et cela peut vous faire des problèmes par la suite, dans les situations les plus inattendues...

Ôishi

Et je parie que ça ne vous plairait pas trop ?

Ôishi

Éhhéhhéhhé...

Ôishi

Je ne connais personne qui aime chercher les ennuis.

Vous ne voudriez pas vous faire

des ennemis,

Ôishi

quand même ?

Tiens donc,

mais vous avez les épaules très dures,

il faut vous décontracter de temps en temps, laissez-moi vous faire un petit massage...

Eeeeh ben alors, ça va pas déjà mieux comme ça ?

Éhhéhhéhhé...

... Putain de sa race, mais il me fait super mal !

C'est pas seulement qu'il me masse trop fort…

en fait...

je pense qu'il sait où masser pour que ça me fasse mal

La vache, il ne me touche que les épaules, mais j'ai mal dans tout le dos...

Aïe !

Les filles de la classe me regardaient, mais personne ne bougeait.

Elles ne savaient pas trop si elles devaient appeler la maîtresse...

Moi personnellement, je sais pas si mes épaules vont tenir encore longtemps…

il me fait vraiment très mal, ce con !

Putainnnn…

Irie

— Bon, vous ne voudriez pas arrêter ?

Vous voyez bien que vous lui faites mal.

Ôishi

— Hmmm ?

Ôishi jeta un coup d'œil par dessus l'épaule.

C'était l'entraîneur.

Ôishi

— Tiens, tiens.

Bonjour docteur,

cela faisait longtemps !

Éhhéhhéhhé !

L'inspecteur n'avait pas l'air content d'avoir été dérangé, mais il se sentait apparemment quand même en situation de force.

Et puis, il continuait de me faire mal en serrant mes épaules...

Irie

— Arrêtez avec les amabilités, voulez-vous ?

Vous pourriez commencer par relâcher ce garçon.

L'inspecteur regarda le chef en silence, le jaugeant.

Évidemment, il avait toujours ses pattes sur moi.

Ôishi

— Oh, mais ne m'en voulez pas, je voulais venir vous voir après, de toute façon.

Mais bon, je sais que vous êtes un homme très occupé, que vous n'avez pas trop le temps de discuter.

Irie

— Oui, ce n'est pas faux.

Mais bon, si ce n'est que cela, je peux vous accorder autant de temps que vous le désirez.

Par contre, pensez à ramener un mandat.

N'oubliez pas que j'ai le droit de refuser de coopérer.

Le chef ne montrait même pas l'ombre de l'attitude décontractée dont il avait fait preuve lors du barbecue.

Il fixait Ôishi des yeux et lui intimait silencieusement l'ordre de me lâcher.

Alors bon, c'est vrai qu'il n'était pas vraiment en position de force.

L'inspecteur avait l'air calme et sûr de lui, il était évident qu'il en imposait plus.

Et puis, regardez-les, quoi. Le chef est un gringalet à côté de l'inspecteur.

Il ne fait pas le poids...

Et pourtant, le chef ne lâchait pas prise.

Il était pâle et transpirait à grosses gouttes, mais il se battait quand même.

Ôishi

— ... ... ...

Ahahahaha !

Soudain, l'inspecteur relâcha mes épaules.

D'un seul coup, je relâchai tous mes muscles et tombai par terre.

Irie

— Maebara,

tout va bien ?

Keiichi

— Chié, ça fait mal...

J'essayais de me tenir les épaules.

La douleur avait immédiatement cessé, mais j'avais encore quelques élans...

Irie

— Tu es sûr que ça va, Maebara ?

... Comment osez-vous faire ça à un enfant ?

Keiichi

— La vache, ça fait vraiment mal, putain...

Ôishi

— Allons, allons, je vous ai juste massé les épaules,

Ahahahaha !

vous n'êtes pas en sucre, quand même ?

Il faut arrêter d'en faire des tonnes, vous êtes un homme ou une chochotte ?

J'aurais bien voulu lui répondre,

mais je ne sus pas quoi dire.

Irie

— Tu peux lever tes épaules ?

Elles te font mal ou pas ?

Si ça fait très mal, il vaut mieux regarder ça.

Allons à l'infirmerie.

Le chef m'aida à me relever et me soutint pour m'aider à marcher.

Ôishi

— Roh, mais c'est du chiqué.

Et puis, ce n'est pas comme si je lui avais laissé des marques.

Non ?

Vous savez, je suis un inspecteur de police dans l'exercice de mes fonctions !

Éhhéhhéhhé !

Irie

— Je ne sais pas ce que vous lui vouliez, mais si vous en avez fini, allez-vous-en.

... Je ne manquerai pas de parler de ce qu'il s'est passé au chef du commissariat d'Okinomiya.

Ôishi

— Ouh, c'est pas bon pour moi, je suppose…

Éhhéhhéhhé !

L'inspecteur tourna prestement les talons et se redirigea vers son véhicule, stationné devant les grilles de l'école.

Il y monta sans nous saluer et démarra.

... Saloperie...

Mais c'est qui, ce type ? Merde !

Irie

— C'est l'inspecteur Kuraudo Ôishi.

Il est un peu violent.

Les gens du village le détestent.

Tu devrais faire attention avec lui, Maebara.

Kuraudo Ôishi... hmmm.

Mon intuition sur lui avait donc bien été la bonne.

Il nous avait apporté les ennuis...

Non, non et non !

Je refuse d'admettre que j'avais vu juste ! Les jours heureux ne sont pas terminés !

Bordel, c'est pas possible... C'est pas possible !

Le chef avait l'air de connaître l'école sur le bout des doigts, car il me conduisit à la salle de l'infirmerie du premier coup, sans se tromper.

Certaines filles de la classe nous suivaient, inquiètes.

Attirés par la commotion, la maîtresse et le Directeur furent bientôt sur les lieux.

Cie

— Maebara !

Que s'est-il passé ?

Tu es blessé ?

Fille

— Euh, eh bien,

tout à l'heure, il parlait avec un monsieur, et...

Mais elles n'eurent pas le temps d'en dire plus.

Irie

— Ne vous en faites pas,

il s'est blessé en tombant.

Je ne crois pas que ce soit bien grave, mais je me suis dit qu'il valait mieux vérifier.

Je vous emprunte l'infirmerie.

Directeur

— Hmm, très bien.

Faites ce que vous avez à faire, je compte sur vous.

Le Directeur s'inclina très bas devant lui.

Apparemment, le chef connaissait bien les gens de l'école.

La salle de l'infirmerie s'ouvrit toute grande, mais point d'infirmier en vue.

En même temps, rien d'anormal à cela.

Il n'y avait personne d'autre à l'école que la maîtresse et le Directeur.

Le chef ne sembla pas se soucier outre mesure de l'absence de docteur à l'école, et pénétra dans la salle sans se gêner.

Il me dit de m'asseoir et alla se laver les mains.

Aaaah, mais bien sûr...

Il est l'entraîneur d'une équipe de sport, il doit avoir des joueurs qui se blessent de temps en temps…

Il doit savoir s'en occuper, un tant soit peu.

Irie

— Tu peux me montrer la blessure ?

Tu as encore mal ?

Keiichi

— Non, en fait, plus du tout.

Je vous assure, tout va bien.

Je retournai les manches de ma chemise et regardai mes épaules.

Il n'y avait aucun bleu, même pas de traces d'ongles ou de doigts !

Pourtant, sur le coup, j'avais cru qu'il allait m'exploser la clavicule...

C'était bizarre comme la douleur était partie.

Eh ben, pourtant j'ai dégusté. Et il n'y a aucune trace...

Irie

— Ce qui veut dire que cet enfoiré a l'habitude...

Il a dit “cet enfoiré” ?

Irie

— La prochaine fois que vous le verrez, ne le provoquez pas.

Irie

Vous n'y gagneriez rien.

Irie

Si des agents de police en uniformes venaient à vous rendre visite à la maison, je crois que tu aurais des problèmes avec tes parents, non ?

Keiichi

— ... Euh, oui, si, effectivement...

Irie

— Mais

que s'est-il passé ?

Pourquoi t'es-tu fâché avec lui ?

Keiichi

— Ben... Il a dit qu'il voulait parler à Satoko, en fait.

Irie

— Quoi ?

À Satoko ?

Le chef baissa les yeux et prit un air maussade.

Oh, ça veut dire quoi, ça ?

Il pense que l'inspecteur aurait eu de bonnes raisons de venir ?

Irie

— ... ... ...

Le chef était perdu dans ses pensées, silencieux.

Toujours sans rien dire, il sortit des compresses de la boîte de premiers soins et les appliqua sur mes épaules.

Irie

— ... ... ... ...

Irie

— Il a peut-être l'intention de la cuisiner encore...

C'est vraiment un obstiné...

J'eus l'impression qu'il se parlait plus à lui-même qu'à moi.

Keiichi

— Comment ça, il veut encore la cuisiner ?

Il est déjà venu plusieurs fois la voir ?

Irie

— ... ...

Le chef ne répondit pas, mais il ne le nia pas non plus.

Mais que pouvait bien vouloir la police à Satoko ?

Qu'a-t-elle bien pu faire pour mériter ça ?

Irie

— Maebara.

Tu... aaah, oui, c'est vrai,

tu as emménagé cette année.

Keiichi

— Euh…

oui, c'est bien cela, mais ?

Irie

— Est-ce que tu as déjà entendu parler des liens…

qui unissent Satoko et la malédiction de la déesse Yashiro ?

... Un peu, oui, mais vraiment un tout petit peu, en fait...

Keiichi

— Eh bien, ses parents étaient les leaders de ceux qui étaient pour la construction du barrage,

Keiichi

et ils sont morts dans un accident, et les gens ont dit que cet accident était dû à la malédiction.

Enfin, c'est tout ce que j'ai entendu.

Le chef baissa les yeux, un peu gêné, l'air de dire : “Ah, tu le savais…”.

Ils étaient dans un parc en vacances quand ils sont morts.

Et ensuite, elle a vécu avec son frère…

puis Rika est venue se joindre à eux ?

Hum…

Irie

— Après la mort de leurs parents, Satoshi et Satoko ont été placés dans la famille de leur oncle.

Keiichi

— Ah... je savais pas.

Je savais qu'elle vivait avec Rika depuis la disparition de Satoshi,

mais je ne savais rien sur ce qu'il lui était arrivé avant.

Irie

— Cet oncle, c'est le petit frère de leur père.

Mais malheureusement, lui et sa femme ne sont pas vraiment des gens recommandables.

Sa formulation était polie...

Mais justement, elle me donnait à réfléchir. Quel genre de personnes pouvait le répugner à ce point ?

Irie

— Lorsqu'il a hérité des enfants de son frère, qui était un peu l'ennemi de tout le village, je pense que lui et sa femme ont eu pas mal de problèmes.

Donc du coup, les enfants ne furent pas les bienvenus chez eux.

Irie

Je pense que Satoko et Satoshi en ont bavé quand ils vivaient là-bas.

Le chef me raconta plusieurs anecdotes à ce sujet.

Lorsque les enfants furent assignés chez leur oncle, ils perdirent tout l'argent qui leur avait été légué en héritage.

Ils furent placés dans des chambres minuscules et menèrent une vie très ténue.

Et puis, leur oncle et leur tante se disputaient sans cesse.

Et lorsqu'ils étaient dans les parages, ils payaient un peu les pots cassés.

Il y avait toujours les insultes, les remarques insidieuses, les punitions...

Irie

— Même aujourd'hui encore, j'en ai froid dans le dos.

Irie

Lorsqu'on voit Satoko, on n'arrive pas à s'imaginer, mais…

il lui arrivait de rester debout, à ne rien dire, pendant des heures, le regard complètement vide...

... Effectivement, je n'arrivais pas à me l'imaginer. D'ailleurs, je n'avais pas envie d'essayer de me le représenter.

Mais bon, aujourd'hui, Satoko était bien différente.

Je ne sais pas comment était sa vie avant, mais ce n'est plus le cas désormais.

Il y avait eu quelque chose qui avait mis fin à ce quotidien si horrible.

Irie

— ... L'année dernière, le soir de la purification du coton, sa tante a été assassinée.

C'était un taré qui l'avait frappée avec une batte ou une barre à mine.

Irie

Mais comme c'était le soir de la fête, les gens ont commencé à raconter que c'était la malédiction qui avait encore une fois frappé.

Tout le village pense que ce n'est pas un meurtre ordinaire.

Quelques jours après, l'homme qui avait été arrêté pour ce meurtre et qui avait tout avoué s'est suicidé en prison.

Mais du coup, personne n'avait vraiment pu vérifier s'il avait dit la vérité. C'était peut-être vraiment la malédiction, finalement...

Irie

— Cet oncle était né et avait grandi à Hinamizawa après tout.

Alors forcément, il a eu peur et il à fini par quitter le village.

Il s'est enfui dans un village pas loin d'Okinomiya, il changeait souvent de maîtresse et d'adresse...

Keiichi

— ... Et c'est comme ça

qu'ils en ont été débarrassés ?

Irie

— La tante est morte et l'oncle a mis les voiles.

Tous ceux qui leur cherchaient des ennuis avaient donc disparu.

Mais... comme pour prendre la relève, cet homme est apparu.

Keiichi

— Cet homme, c'est qui ?

Le chef aussi vérifia que personne n'était tout près et me dit à voix basse :

Irie

— Ôishi.

Keiichi

— ... Ôishi ?

Ah, le mec de tout à l'heure ?

Je me souvins de l'angoisse irrationnelle que j'avais eue en le voyant pour la première fois.

Irie

— ... Il est un peu... bizarre.

Irie

Tous les événements liés à la malédiction de la déesse Yashiro ont été plus ou moins élucidés, mais il ne lâche pas le morceau, il n'accepte pas les faits et veut continuer à enquêter sur les incidents.

Il n'accepte pas les faits ?

Mais... si la police fait une enquête et qu'elle résout les affaires,

pourquoi est-ce que l'inspecteur n'est pas d'accord avec les conclusions ?

Irie

— ... Les gens racontent que lorsqu'il s'approche de quelqu'un, il arrive toujours des problèmes à cette personne.

À Hinamizawa, les gens le surnomment...

Mion

— P'TIT GAAAAAAARS !

La porte s'ouvrit violemment et Mion entra dans la pièce.

Juste après elle, Rena et Rika la suivirent, puis Tomita et Okamura, puis encore plusieurs autres élèves.

Mion

— P'tit gars, ça va ?

C'est Ôishi qui t'as eu ?

T'es pas blessé ?

Irie

— Calme-toi, Mion,

il n'a rien.

Je lui ai fait une compresse juste au cas où.

Rena

— Tu es sûr que ça ira, Keiichi ?

Sûr ?!

Ils nous ont dit qu'il t'avait serré le cou et soulevé du sol...

Keiichi

— Nan, calme-toi, c'est bon.

Il m'a juste fait mal en me serrant les épaules.

Regarde, j'ai même pas un bleu.

Rika

— ... Miii...

Mion

— Putain,

mais vous faisiez quoi, hein ?

Vous êtes ses amis, pourtant,

alors restez pas plantés comme des cons,

aidez-le, merde !

Tomita

— Ben, euh, déléguée, je...

Mion avait l'air vraiment furax.

Tomita et les autres se firent tous petits.

Keiichi

— Arrête, Mion,

ils n'étaient pas là quand c'est arrivé.

Leur gueule pas dessus, ils n'y sont pour rien.

Mion

— ... Putain de sa race,

mais quel enfoiré !

Mion donna plusieurs coups de pieds dans les meubles et sur le sol.

Alertée par le bruit, la maîtresse arriva.

Cie

— Eh bien alors, qu'est-ce que c'est que cet attrouppement ?

On reste sage dans l'infirmerie !

Déléguée, faites sortir tout le monde de la pièce !

Rena

— Allez, tout le monde !

On peut repartir,

Keiichi va bien, vous avez entendu ?

Allez, Mii, toi aussi.

Peu à peu, grâce à Rena -- Mion était trop sur les nerfs pour remplir son rôle -- la salle se vida de ses occupants.

Alors il s'appelait Kuraudo Ôishi, et il était inspecteur en place à Okinomiya...

Finalement, ma première impression sur lui n'était pas si erronée.

Et puis, son entrée en scène confirmait mon angoisse de ce matin.

Déjà que l'absence de Satoko ne m'avait pas rassurée...

Irie

— Bon, eh bien,

je pense que je vais y aller.

De toute façon, je voulais parler à Mme Cie.

Keiichi

— Ah... vous aviez autre chose à faire ?

Ben merci de vous être occupé de moi, alors...

Le chef se mit à rire.

Irie

— Allons, tu ne vas t'en formaliser, quand même.

 Et puis, grâce à ça, j'ai pu encore une fois goûter à la délicieuse sensation de ta peau de satin.

C'était très plaisant☆!

Sacré lui, il faut toujours qu'il finisse par déconner à un moment où un autre...

Irie

— Allez, je me sauve.

La blessure est superficielle, mais ne te fais pas masser les épaules pendant deux ou trois jours quand même, on ne sait jamais.

Irie

Et si jamais tu as de la fièvre, ou si tes épaules devaient gonfler ce soir, n'hésite pas à m'appeler.

Enfin, je ne crois pas que ce sera nécessaire, mais bon, au cas où.

Keiichi

— ... Ah, au fait, chef.

Tout à l'heure, vous commenciez une phrase,

vous m'avez dit que les gens avaient un surnom pour Ôishi ?

L'entraîneur stoppa net.

Irie

— ... Euh, oui, en effet.

Les gens l'appellent

“le messager de la déesse Yashiro”,

en fait.

Évidemment, ce n'est pas un compliment, tu t'en doutes.

Keiichi

— Le messager... de la déesse ?

Irie

— ... Est-ce que tu es au courant pour les meurtres qui ont eu lieu pendant la purification du coton ces dernières années ? C'est à ça que les gens font référence quand ils parlent de la “malédiction”.

Keiichi

— ... Comment ? Des meurtres en série ?

Quoi ?

C'était pas impossible en fait, il me semblait en avoir entendu parler il y a longtemps, en écoutant les conversations en classe...

Lors de la fête du village, en juin, chaque année, il y avait une personne retrouvée morte,

et une autre qui était enlevée par les dieux -- enfin, dans la région, on disait “enlevée par les démons” -- c'était une histoire bien ficelée, en fait.

J'étais persuadé que c'était du flan,

qu'ils avaient inventé ça pour me faire peur, comme je venais d'emménager, mais...

Il faut croire que c'était vrai, alors ?

Irie

— Je ne sais absolument pas qui a commencé à l'appeler comme ça,

mais un jour, nous nous sommes rendus compte que c'était son surnom attitré.

Keiichi

— ... Et... Pourquoi ?

Irie

— Cet homme décide en fait de la victime de la malédiction.

Enfin, c'est ce qu'on raconte.

En fait, tous les ans en juin, Ôishi se rend très souvent à Hinamizawa.

Irie

— Nous nous sommes rendus compte que la plupart des gens qui sont morts ou qui ont disparus étaient les personnes auxquelles il rendait fréquemment visite.

Juste avant le meurtre avec démembrement il y a quatre ans, le chef de chantier était souvent vu avec Ôishi.

Il y a trois ans, c'étaient les parents de Satoko.

Juste avant leur accident, Ôishi les avait interrogés chez eux.

Il y a deux ans, Ôishi avait parlé plusieurs fois au prêtre et à sa femme... les parents de Rika, donc.

Et l'année dernière, il avait rendu visite plusieurs fois à Satoshi.

Et Satoshi avait disparu

quelques jours après...

Et cette année, il cherchait à entrer en contact avec Satoko ?

Keiichi

— ... Je trouve pas ça drôle...

Irie

— Ce ne sont que des rumeurs, Maebara.

Rien de bien sérieux, juste des on-dits.

Keiichi

— ... ...

Personnellement, je m'en foutais de son surnom dans le village.

Ce que je ne trouvais pas drôle, c'est que plus j'en apprenais sur lui, plus ma crainte irrationnelle de tout à l'heure se retrouvait justifiée...

Keiichi

— Mais... Vous savez, Satoko est absente aujourd'hui ?

Irie

— Quoi, vraiment ?

Apparemment, il n'était pas au courant.

Mais alors, il ne sait pas pourquoi elle n'est pas venue à l'école ? J'avais espéré qu'il saurait...

Irie

— Écoute, je dois y aller.

Retourne en classe et dis à tes camarades de ne plus s'inquiéter.

Keiichi

— Oui, vous avez raison.

C'est ce que je vais faire.

Le chef ouvrit la porte.

Il sortit de l'infirmerie et se dirigea d'un pas ferme et résolu vers la salle des professeurs...