— Allez, j'y vais, à ce soir !
— Fais attention aux voitures !
Et sois là pour dîner !
Aujourd'hui, je partais pour le barbecue qui célébrait la victoire des Fighters de Hinamizawa.
Bien sûr, spécialement pour cette occasion, j'avais fait en sorte de ne pas prendre de petit-déjeuner et avais par conséquent les crocs.
Et puis de toutes manières, connaissant le club, nous aurions sûrement une épreuve ayant trait à l'ingestion rapide de nourriture sous une forme ou une autre !
Comme d'habitude, je retrouvai Rena au croisement.
Mion arriva bientôt, légèrement en retard.
— Parfait !
Alors allons-y !
J'ai pas mangé ce matin, alors j'ai super faim !
— Ahaha, je le savais !
Moi non plus, j'ai rien mangé, Mion !
— Mais vous êtes fous ? C'est pas bon pour la santé !
Moi, j'ai mangé, ce matin !
— Je vois, je vois, tu es une brave jeune fille, Rena.
Le petit-déjeuner, c'est important, c'est vrai.
Bientôt tu auras des nibards plus gros que ceux de Mion et tu auras tous les magazines de photos à tes pieds !
— Hau, tous les magazines avec ma photo ?
Vous croyez que quand j'aurai mon corps de rêve, mon prince charmant viendra sur son cheval blanc ?
— Les princes charmants, ça n'existe pas.
P'tit gars, si tu n'est pas capable d'assumer derrière, je te conseille de ne pas raconter n'importe quoi à Rena.
Elle est capable de manger toute sa nourriture de la journée au petit-déjeuner si elle pense que ça pourrait lui rendre service.
Hmmm, oui, Rena en serait capable, en fait.
Et du coup elle se goinfrerait tout le temps, et donc forcément aucun prince charmant ne voudrait d'elle... ou pas, qui sait ? Tous les goûts sont dans la Nature...
— Bon, il y a plus important !
J'ai la dalle !
Allons-y et faisons-nous péter la panse !
— OUAIS !
Le barbecue était organisé dans l'enceinte du temple Furude, chez Rika, donc.
Le sanctuaire était utilisé pendant les manifestations, lors de la fête du village, ou lors des petites fêtes entre amis, comme ce barbecue.
C'était un peu une salle des fêtes en plein air, adaptée à toutes les cérémonies.
Ce qui me fait penser, la grande fête annuelle du village aura bientôt lieu ici-même...
Ils appellent cette fête “la purification du coton”, si j'ai bien compris...
La vue plongeante sur le village depuis le promontoire du sanctuaire est superbe, et le calme olympien qui règne là-haut est quelque chose qui fait cruellement défaut à la ville.
Arrivés en bas des escaliers, nous jetâmes nos vélos à terre et je me mis à gravir les marches deux à deux.
Lorsque j'arrivai dans l'enceinte du temple, les Fighters de Hinamizawa étaient déjà réunis là avec leurs parents, et tout le monde s'affairait à préparer le barbecue.
Bien sûr, Satoko et Rika étaient déjà là.
Elles remarquèrent notre arrivée et nous firent signe de la main.
— Tiens donc, vous n'avez pas oublié de venir ?
C'est bien dommage, il y en aurait eu plus pour nous.
Pour le coup, je suis déçue !
— Tu es trop naïve, Satoko !
Maintenant que nous sommes là, tu n'auras plus un seul morceau de viande, même pas les restes !
Souviens-toi de la dernière fois que nous avons mangé ici.
Je t'avais battue à plate couture grâce à mes bras plus longs que les tiens, eh bien ça fera la même chose aujourd'hui !
— Comment, vous osez prétendre réitérer cette insulte ?
Je ne le permettrais pas !
— Oh, tu peux crier autant que tu veux, tu ne pourras rien y faire !
Mais t'inquiète pas !
Je mangerai toute la viande, mais je te laisserai les piments et les aubergines !
— ... Et moi je te donnerai tous les morceaux de citrouille que je trouve.
Au mot citrouille, Satoko devint toute pâle.
Apparemment, à ses yeux, c'était une menace bien plus réelle que la différence de longueur de nos bras.
— Je fais transmettre au chef.
Que tu adores la citrouille.
Tel que je le connais, il t'en fera venir exprès depuis les meilleures fermes de tout le Japon !
— C'est super, Satoko !
Tu pourras choisir la sorte que tu préfères !
Tu pourras en manger matin, midi et soir, si tu veux !
— Ouiiiiin !
Reeeenaaaaa !
Ils sont méchants avec mwaaaaaa !
Satoko se jeta dans les bras de Rena en pleurant.
C'est pas bon pour nous, ça ! Moins d'une seconde après l'impact, Rena utilisera sûrement ses fulguropoings pour nous donner une leçon et nous mettre à terre !
N'étant pas stupide non plus, je chopai Satoko en plein vol par le col juste avant que Rena puisse mettre les mains dessus.
C'était censé être la bonne marche à suivre.
Malheureusement, Rena n'avait pas apprécié mon geste, étant pour sa part particulièrement friande de petites filles tenues bien au chaud dans ses bras.
Il y eut plusieurs éclairs et plusieurs bruits d'impact.
— Hau~~♪
Non, non, non, Keiichi♪!
Elle est à moi, tu n'as pas le droit !
Je la ramène à la maison♪!
— Ouiiiiin ! Reeeenaaaaa !
N'oublie pas Mion et Rika !
— Oh, eh ! Attends, temps mort, temps mort !
Aaaaaah !
Vlan spiff bam
— Ok !
Et maintenant Rika !
Rikaaaa ? Viens, gamine ! Allez, reviens, gamine, c'était pour rire !
Ah, Rena, elle est là-bas !
— Attends-moi ici , Satoko, je vais aller la punir !
Et après ça, je te ramène à la maison !
— Miaou !
Miiiiiiii !
Satoko, tu n'as aucun cœur !
— Hau~~ !!
mais tu es toute mimi, Rika !
Hauuuuu ! Toi aussi, je te prends avec !
— Oooohhohhohhohho !
Alors ma chère, on fait moins la fière ?
C'est bien fait pour vous !
Étendus de tout notre long, Mion et moi ne pûmes qu'observer de loin la course inégale entre Rena et Rika, pendant que Satoko riait à gorge déployée derrière elles...
— Est-ce que ça va, Maebara ?
Sonozaki ?
Le chef s'approcha de nous et nous tendit la main pour nous aider à nous relever.
— Bah, c'est un peu notre façon à nous de communiquer,
ne vous en faites pas !
— Ouais ben moi j'aime pas les formes de communication qui laissent des yeux au beurre noir...
L'entraîneur eut un petit rire amusé.
Mion et moi le joignîmes dans sa bonne humeur.
Le rire claironnant de Satoko, les cris de panique de Rika et les élucubrations de Rena furent un spectacle très agréable.
Comme les adultes présents étaient chargés de tout préparer, le barbecue fut prêt en un rien de temps.
Lorsqu'enfin une goutte d'huile se mit à grésiller sur le grill, il y eut de grands cris de joie.
Et lorsque le chef commença à ramener les assiettes de viande, tout le monde cria encore plus fort.
— La vache, mais c'est vraiment de la très bonne viande que vous nous avez ramenée là !
Vous avez dû dépenser une fortune !
— Une promesse est une promesse.
Vous savez combien coûte le gramme de viande pour ces morceaux ?
J'ai fait des frais, sur ce coup-là !
— Voyons, c'est tout à fait normal !
Une viande de piètre qualité n'aurait su faire honneur à la qualité de jeu dont j'ai fait l'éclatante démonstration hier !
— Ahahahahaha !
Oui, c'est vrai.
C'est toi l'invité d'honneur, Satoko !
— Oui, c'est elle qui a tiré le dernier circuit.
Même si la balle était sympa, il fallait tout de même frapper fort pour réussir une si belle trajectoire !
— Satoko est une très grande sportive, vous savez.
— Oui, elle est en avance sur ceux de son âge, c'est bien vrai.
Elle est presque au même niveau que moi, malgré les années qui nous séparent.
— Qui sait, ce sera peut-être une sportive professionnelle plus tard ?
— Oooohhohhohhohho ! Arrêtez donc, vous me faites rougir !
— *mache* *mache*
Satoko, toute occupée à se tordre les doigts de gêne à chaque compliment -- ce qui ne manquait pas d'être adorable, d'ailleurs -- n'avait pas remarqué que nous en avions profité pour nous servir en viande...
— Maebara, c'est lourd !
Tomita et Okamura ramenaient quelque chose.
C'était un plat de viande énorme.
— Wouah !
La vache, ça c'est ce que j'appelle une assiette de barbecue !
Ils avaient ramené un plat de brochettes.
Il y avait de beaux morceaux de viande bien cuits, tous frais, avec des légumes aussi, le tout à point.
J'en salivais d'avance.
Les brochettes avaient toutes été préparées sur un plat spécial, plus chaud que les autres.
— Ah oui, sans brochettes, c'est pas un vrai barbecue !
— Tu l'as dit bouffi !
Attendez les gars, je vais vous aider.
Oh, hisse !
— Eh, ça !
Regardez ! Regardez !
C'est fou !
Le plat fut accueilli par un concert de voix exultantes.
Chacun obtint une brochette bien garnie en viande et en légumes.
Puis des gobelets en carton remplis de jus de fruits furent distribués.
Dans la main droite, la barbaque.
Dans la main gauche, la boisson.
Comment voulez-vous qu'un homme puisse se retenir dans un moment pareil ?!
— Ooooh, je ne peux pas !
Allons-y mes braves, le dernier à finir a perdu !
*dévore* *dévore*
— Tut, tut, tut, pas encore, p'tit gars.
Reste tranquille, il y a d'abord un petit discours.
— Alors, bonjour tout le monde, et écoutez-moi tous.
Le chef monta sur une caisse de bières, un verre plein à la main.
Oui, c'est une célébration, après tout.
Il faut bien un peu de cérémoniel au début.
Aaaah mais merde, grouille-toi avec ton speech !
À chaque seconde, l'odeur délicieuse s'en va plus loin et prive mes narines de ce fumet délicieux !
Aïïeuhh ! Satoko ? Son talon sur mon pied ?
— Non mais vraiment !
Quel âge avez-vous, mon cher, 5 ans ?
Vous ne savez pas encore vous retenir proprement ?
— ... Si, mais je suppose que mon visage trahit chacune de mes pensées...
— Alors, ça y est, vous avez tous ce qu'il vous faut ?
Hier, ce fut une belle victoire.
Nous avons eu beaucoup de mal à cause du lanceur formidable de l'autre équipe,
mais... un joueur imprévu est arrivé, et ce remplacement providentiel nous a fait gagner la rencontre !
Il y eut des applaudissements nourris.
C'étaient les parents des joueurs qui nous applaudissaient, puisque nous avions les mains occupées...
— Et aujourd'hui, ici-même, nous allons fêter cela.
Comme promis, je vous ai ramené beaucoup de viande, et de la viande très bonne.
Alors mangez bien aujourd'hui et utilisez cette énergie pour les prochains matches !
Puis, après avoir remercié les personnes qui avaient aidé à l'organisation, il porta un toast aux vainqueurs.
— SANTÉ !
Alors bien sûr, normalement, quand on porte un toast, on est censé boire.
Sauf que nous, nous étions jeunes !
Boire, ça pouvait attendre ! Tous autant que nous étions, nous mordîmes avec entrain dans la nourriture.
Après cela, la conversation tourna autour de nos exploits respectifs de la veille.
Qui avait bien frappé quelle balle, qui avait bien joué le coup sur telle base, et caetera.
Et bien sûr, même moi, je me retrouvai au centre des conversations.
— Ouais enfin bon, vous savez les gars, tout ce que j'ai fait avait été prévu et planifié par Satoko, c'est à elle que le mérite revient.
— Oui, c'était son plan, mais bon.
Tu étais le seul à pouvoir embobiner Kameda, je pense.
Je crois que tu mérites largement d'être complimenté, p'tit gars !
— D'ailleurs, Keiichi, tu es allé manger des gâteaux avec lui, après le match ?
Vous aviez l'air de bien vous entendre, tous les deux.
— Ah, les hommes, l'amitié est née de leur rivalité, pour pas changer ! Ahahahahaha !
— Éhéhéhé... De l'amitié entre hommes…
Hmmmm, je sais pas, hein.
Héhéhéhé… Hau… ☆
À voir ses joues toutes rouges et son nez au bord de l'explosion, je sus qu'il me fallait immédiatement lui ébouriffer les cheveux pour lui enlever des tas d'images de la tête...
Et donc ? Où était le héros, ah, pardon, l'héroïne de la veille ?
Oh, là-bas, je la vois...
Satoko était aux côtés de Rika et se complaisait à se vanter de ce qu'elle avait réussi.
Les autres membres de l'équipe n'étaient pas avares de compliments non plus, car malgré la balle plus facile à toucher, la performance avait été conséquente.
Satoko avait l'air plus enjouée et bavarde que d'habitude.
Elle était tellement plus loquace qu'à l'ordinaire que je faillis bien lui chercher des poux dans la tête, juste pour la faire revenir sur Terre.
Mais après tout, c'était son jour de gloire aujourd'hui, alors laissons-la tranquille...
À la voir dans cet état, la Satoko que j'avais connue jusqu'à présent me semblait bien différente, son image ne collait plus.
Mais les deux Satoko étaient bien une seule et même personne.
Enfin bon, moi, son sourire gentil m'allait tout autant que sa bonne humeur débordante.
Tant qu'elle a le sourire...
— Elle a l'air si heureuse...
Quelle enthousiasme.
Sans que je m'en rendisse compte, le chef s'était placé derrière moi.
Apparemment, il observait Satoko de loin, comme je venais de le faire.
C'est pourquoi je sus tout de suite de qui il parlait en disant “elle”.
— Lorsque tu la vois sourire, tu n'as pas l'impression que ton âme se retrouve comme lavée de ses péchés ?
Il avait l'air sérieux en disant cela.
J'aurais bien admis que j'étais d'accord, mais c'était bien trop embarrassant, aussi je décidai de faire de l'humour.
— Vous trouvez ?
Je ne sais pas, hein, son sourire ne me paraît pas suffisant pour laver ne serait-ce qu'une assiette...
— Hahahaha…
Si elle entendait ça, elle serait très en colère.
Mais elle serait quand même très mignonne.
Je n'étais pas certain pour le mignonne, mais oui, elle était marrante à voir quand elle s'énervait.
— Euh, c'est Iriya, c'est bien ça ?
— Non, Irie (Irïé).
Enfin bon, tout le monde m'appelle “chef” car je suis l'entraîneur de l'équipe.
Cela me ferait très plaisir si tu m'appelais aussi “chef”.
Il finit sa phrase en rougissant.
— Et donc, chef, vous... vous avez l'air de bien aimer Satoko à ce que je vois.
Je n'avais aucune raison particulière de le deviner, c'était juste une impression.
— Oui,
elle me plaît.
Je l'aime, je l'adore.
Quand elle sera grande, je compte la demander en mariage.
— Hein ? COMMENT ??
Mais il est taré, qu'est-ce qu'il raconte, ce mec ?
Ok, ok, on se calme, relax, ne laissons rien transparaître.
Mion m'avait prévenu qu'il disait parfois des trucs phénoménaux.
Apparemment, il valait mieux ne pas le prendre au sérieux.
Elle m'avait aussi dit qu'une fois que l'on s'était habitué à ignorer ses phrases plus problématiques, il était très marrant, comme type.
— Eh quoi ?
Hum, Maebara.
Tu as l'air surpris.
Ne me dis pas que tu la veux pour toi tout seul ?
Je ne peux pas accepter cela, voyons !
J'ai mes vues sur elle depuis des dizaines d'années !
— Chef, il y a des dizaines d'années, elle n'était pas encore née...
— Ah... Ah oui ? Ah ben, oui, effectivement... Ahahahaha !
Le chef se mit à rire doucement, un peu gêné.
Je suis pas sûr de bien m'y prendre avec lui, mais qui sait ?
Je vais continuer dans la même veine, je devrais finir par savoir comment me comporter avec lui...
Il continua la conversation puis finit par me faire de nombreux compliments sur ma manière de jouer.
Au cours de cette conversation, je me rendis compte qu'en fait, si l'on exceptait les propos polémiques qu'il tenait parfois, c'était quelqu'un qui avait un bon fond.
— Vous savez, je crois que le coup de circuit de Satoko était quand même nettement plus impressionnant que ce que j'ai pu faire pour l'équipe.
Pour tout vous dire, je ne pensais pas qu'elle enverrait la balle aussi loin.
— Son frère était plutôt le type littéraire, plus calme, plus silencieux.
Je suppose que Satoko a plutôt développé des talents inverses.
Son frère ?
Ah oui, bien sûr, Satoshi.
Son “Totoche”, celui qui est parti de la maison sans elle.
Satoshi Hôjô.
— Ah, peut-être que tu ne le connais pas ?
Le grand frère de Satoko, j'entends.
Il s'appelle Satoshi.
Il faisait partie de l'équipe des Fighters de Hinamizawa, tu sais.
J'aurais bien voulu le voir jouer plus souvent avec nous,
mais… il a changé d'école.
— Ah oui ?
Ah bon...
Changé d'école ?
Bon, cela faisait un peu mieux que dire qu'il avait fugué, mais... oui, si, c'était plus gentil comme expression.
Maintenant qu'il m'en parle,
il me semble que Rena aussi m'avait dit qu'il avait changé d'école.
À l'époque, je ne savais pas qu'il avait fait une fugue, alors je n'avais rien dit, mais...
............
— Il a été transféré sans sa sœur ?
C'est pas commun, ça.
La voix des autres enfants se fit un peu lointaine.
Le concert des grillons qui retentissait alentour achevait de nous séparer des autres groupes.
Au départ, je pensai que j'avais sûrement parlé trop bas et qu'il ne m'avait pas entendu,
mais comme il ne répondait pas, même après plusieurs instants,
je me rendis compte que j'avais certainement dit quelque chose de blessant.
Alors que la nervosité me gagnait, il se décida enfin à parler.
— ... Il s'est passé des choses terribles.
Des tas de choses.
Après s'être assuré de ma discrétion, le chef se mit à parler...
— Cela fait déjà trois ans maintenant.
C'était à peu près en cette saison, d'ailleurs.
Les parents de Satoko ont eu un accident.
— ... Un accident ?
— Oui, un accident.
Ils étaient en voyage et visitaient un parc naturel, et sont tombés du haut d'un observatoire.
C'était censé être un simple petit voyage en famille.
Ils se promenaient en famille dans un parc naturel, après la saison des pluies.
Ils avaient trouvé un joli promontoire qui servait de poste d'observation.
C'était là que s'était jouée la tragédie.
Les montures en fer du promontoire étaient trop vieilles.
Avec les pluies qui avaient à peine cessé la veille... il y avait eu une certaine fragilité dans les matériaux.
Le promontoire avait cédé
et les parents de Satoko étaient tombés dans le précipice,
juste devant ses yeux.
En contrebas coulait une rivière,
mais elle avait été en crue
à cause de la saison des pluies.
— Et... ses parents sont... ?
Le chef ne répondit pas. Il secoua la tête et porta son verre à ses lèvres.
Il n'avait pas besoin d'en dire plus, j'avais bien compris qu'ils étaient partis dans un voyage sans retour.
— Mais alors...
Satoko est…
comment dire.
Je voulais choisir mes mots, mais à force de les choisir, je les perdais.
Je ne pouvais pas dire “orpheline”, c'était trop cru.
Ce n'était pas assez décent pour parler de Satoko avec ce terme, même s'il décrivait la vérité.
Mais au fait...
Les filles ne m'avaient pas dit que Satoko et Rika vivaient ensemble ?
Mais c'est vrai en plus, le père de Rika est mort de maladie et sa mère l'a suivi dans l'au-delà...
Donc elle vivait seule...
— Oui, en effet.
Elle vit avec mademoiselle Furude.
Elles sont toutes les deux seules, désormais, et s'entr'aident dans leur vie quotidienne maintenant.
— ...
— Je peux t'assurer que vivre sans le soutien de leurs parents doit être une tâche ubuesque pour deux jeunes filles de leur âge.
Je pense que tu ne devrais pas avoir de mal à comprendre cela, d'ailleurs.
Je ne savais pas quoi répondre. Je vivais encore au crochet de mes parents, alors...
— Mademoiselle Furude semble avoir un franc succès auprès des vieilles personnes dans le village.
Tant qu'elle vivra ici, elle n'aura jamais vraiment de souci à se faire.
— Oui, vous avez raison.
Rika est un peu la mascotte du village.
Elle ne devrait pas avoir trop de mal à vivre ici.
Oui, Rika est tout à fait capable d'obtenir quelques pommes croquettes à l'œil rien qu'en disant bonjour au vendeur.
Si elle en venait à demander de l'aide, je pense que personne ici ne saurait la lui refuser.
— Mais c'est quelque chose de bien spécifique à mademoiselle Furude.
Satoko n'a pas sa chance.
Hmmm, Rika serait donc une exception...
... Oui, en y réfléchissant un peu, il paraît évident que deux enfants vivants seuls auraient d'énormes difficultés.
Il n'était pas difficile de s'imaginer les problèmes que Satoko pouvait rencontrer.
... Ah oui, vraiment ?
C'est vraiment ce que tu penses,
Keiichi ?
Je crois qu'en réalité, ce ne sont que des mots,
et que je n'ai aucune idée de ce que je raconte...
Comment croire qu'elle eût des difficultés en voyant son sourire si espiègle ?
Non, c'était impensable.
Même en sachant la séparation d'avec son frère, je restai insensible. C'était dommage pour elle, sans plus.
Et puis, chaque jour, elle était si souriante.
Et tu crois que parce qu'elle sourit,
elle ne souffre pas ?
Elle ne ressent pas la solitude ?
Hier, quand elle a su que mes parents étaient rentrés, elle avait dit quelque chose, non ?
— Les meilleurs repas sont ceux que l'on prend en famille, voyons...
Ces paroles prenaient une toute autre importance maintenant...
— À une époque, j'ai sérieusement étudié la possibilité de l'adopter.
— Hein ? L'adopter ?
— Ne le lui dis pas, hein ?
Le chef plaça un doigt sur ses lèvres.
— J'ai vécu jusqu'à présent en faisant toujours très attention.
J'ai de l'argent de côté, et j'entretiens de bonnes relations avec les gens.
Mais je ne suis pas marié…
et la loi stipule que seules les personnes mariées peuvent adopter un enfant.
Et c'est pour cela que malgré ma bonne volonté et malgré tous mes efforts, je ne peux pas en faire ma fille adoptive.
Ahahahahaha, c'est dommage, hein ?
J'ai toujours rêvé de l'entendre m'appeler “Papa”.
Disons qu'au départ, je ne savais pas si c'était l'une de ses lubies ou s'il était sérieux, alors je ne prêtais pas trop attention à ce qu'il disait.
Sauf que là... je me rendais compte qu'en fait, c'était très malpoli de ma part de ne pas le prendre au sérieux.
Cet homme…
veut seulement rendre Satoko heureuse, comme il le peut.
C'est peut-être quelque chose d'incroyable à première vue, mais ce n'est pas insensé.
Il souhaite simplement son bonheur.
C'était franc et honnête.
— Je pense que Satoko ne nage pas dans le bonheur.
Mais bon…
j'essaie de lui rendre la vie un peu plus facile.
Oh, je ne peux que lui donner des restes de temps en temps ou lui faire de menus travaux, je sais bien, mais...
— ... Satoko est heureuse, vous savez.
— Pardon ?
Le chef se retourna vers moi, surpris.
— Elle est entourée de gens qui souhaitent son bonheur plus que tout au monde, vous savez.
Il n'y a pas de raison pour qu'elle soit malheureuse.
J'avais baissé la voix, et j'étais très sérieux.
En tant que son Totoche remplaçant, j'étais très reconnaissant de ses intentions, et j'étais de tout cœur avec lui.
— Merci.
Mais garde ça pour toi, d'accord ?
Si jamais elle apprenait que je projetais de l'adopter, elle se mettrait en colère ! Je la vois bien me dire quelque chose du genre “Qui s'abaisserait donc à vous appeler `Papa' ?”
… Ahahah.
Hmm, je ne sais pas.
Satoko est encore une enfant, mais elle sait reconnaître les sentiments des gens.
Je suis sûr qu'un jour...
Je ne sais pas s'il l'avait lu dans mes pensées, mais le chef eut un grand sourire satisfait et reprit un air plus joyeux.
Satoko Hôjô.
Voilà une fille qui avait perdu ses parents et son frère, et qui malgré tout, sans aucune famille au monde, tentait de s'en sortir en vivant avec Rika, elle aussi en situation précaire.
Satoko Hôjô.
Personne ne s'étonnerait de la voir désespérée, et pourtant elle souriait et se comportait comme si de rien n'était, forte et insouciante à la fois.
— Tu sais, j'aimerais la voir sourire pour toujours.
C'était un souhait très simple et très compréhensible.
C'est probablement pour cela que je décidai de surenchérir dans la même direction.
— Ah ben ça alors, quel heureux hasard !
Je pensais exactement la même chose.
— Tiens donc, toi aussi, Maebara ?
Eh bien alors, nous sommes un peu amis, toi et moi.
Alors j'aimerais te faire une promesse.
— Une promesse ?
— Oh, rien de bien compliqué.
Le chef souriait paisiblement.
— Je te promets de ne jamais la faire pleurer.
C'était court et inattendu.
— ... Je vois.
Moi aussi, je vous le promets.
Le chef acquiesça, apparemment très satisfait de ma réaction.
Après cela, nous restâmes silencieux.
Nous ne fîmes qu'observer Satoko en silence, satisfaits de la voir rire avec ses amis.
Elle avait perdu sa famille, mais des gens veillaient sur elle.
C'était très rassurant, quelque part...
— Imaginons que…
qu'un jour, vous puissiez réellement l'adopter. Vous feriez quoi ?
— Hmmm, c'est une question très difficile...
Il se tint le menton et pencha la tête en avant, se creusant les méninges.
— Je crois que je commencerais par lui apprendre à m'appeler “Monsieur” et que je referais toute son éducation en tant que servante.
— Hein ?
Mais de quoi vous parlez ?
Quel timing pour dire des conneries au mauvais moment, ma parole !
— Euh, Maebara ?
Je n'ai encore rien dit, voyons ?
— Mais qu'est-ce que vous racontez ?
Vous venez de dire quelque chose, là, à l'instant !
— Oui, je vous ai entendu.
Vous avez dit vouloir la rééduquer sur le cheval de bois et en faire une esclave dévouée, vous l'avez clamé haut et fort.
— Oh, oui, ce serait merveilleux, en effet...
Je l'imagine bien, attachée au cheval de bois♪
— N'essayez pas de la rendre accro aux jouets avant de lui avoir appris à connaître son corps, OK ?
Si vous y allez trop tôt en faisant n'importe quoi, ça pourrait représenter un vrai danger pour elle, vous savez.
— Ah, oui, je comprends.
Ils écrivent souvent des mises en garde sur les emballages pour inciter les gens à les utiliser proprement.
— Exact.
Contente de voir que tu fais preuve de compréhension, mon cœur.
Bon, eh bien puisqu'apparemment vous êtes très au courant, je peux vous laisser, vous saurez vous débrouiller. Amusez-vous bien !
Shion tourna les talons, souriante, et tentait de s'en aller comme si de rien n'était, lorsque je lui chopai le colback.
— Non mais dis donc, attends voir un peu, toi.
Tu crois que tu peux simplement te pointer et raconter des choses pareilles ?!
— Oh, vous n'êtes pas mal non plus dans le genre, deux adultes à parler d'une gamine comme elle.
Vous voulez que je vous refasse le dialogue avec l'adoption ?
— N-Nwahhhhhhhhh!!
T'étais là depuis tout ce temps et tu n'as rien dit ?
— Allons, mon cœur, tu n'es déjà pas foutu de te débrouiller avec ma sœur, alors contre moi, tu n'as pas la moindre chance !
Eheheheh…
Je vous présente Shion Sonozaki.
C'est la sœur jumelle de Mion.
Si vous croyez qu'elle est un peu plus calme ou retenue, détrompez-vous.
Elle est aussi terrible que Mion, si ce n'est plus.
L'autre jour, en la croisant en ville, je l'ai prise pour sa sœur, et je l'ai senti passer.
Comme elle m'avait dit vivre à Okinomiya, je ne pensais plus la revoir, mais apparemment... l'un n'empêchait pas l'autre !
Je lui tirai la gueule démonstrativement, mais elle n'eut pas l'air de s'en offusquer.
Au contraire, j'ai bien cru qu'elle revenait à la vie, telle une grenouille aspergée d'eau.
— Oh, Shion, merci d'être venue !
J'étais déjà déçu à l'idée de ne pas te voir en cette grande occasion.
— Eh bien, comment dire, je ne savais vraiment pas quoi faire d'autre, alors…
je me suis dit que je pourrais peut-être passer et chercher des ennuis.
— Euh, Chef, pourquoi l'avoir appelée ?
Elle n'a rien fait pour cette victoire.
— Ahahahaha !
Eh bien en fait,
pour tout t'avouer, je suis la manager de l'équipe.
— La manager ??
Tu te fous de moi, là, pourquoi t'étais pas là hier, alors, dans ce cas-là ?
— Ah mais je suis la manager fantôme, c'est pas rien non plus !
Éhé☆
Elle s'imaginait qu'avec un petit sourire et un clin d'œil, on lui pardonnerait tout.
Aucun regret !
— Quand tu ne viens pas, ce n'est pas très marrant, Shion.
Je ne te demande pas de venir aux entraînements, mais si tu pouvais venir nous encourager pendant les matches, comme avant...
— Hmmmm...
Je vais y réfléchir, je suppose.
Si tu entres dans l'équipe, mon cœur, je veux bien reconsidérer ma position.
Si je n'ai pas un bel homme à mater, je n'ai pas vraiment de quoi me motiver à venir...
— Euh... Hein ?
Qu'est-ce qu'elle vient de dire ? J'ai dû mal entendre...
— Mais... Shion !
D'où tu sors, toi ?!
Soudain, quelqu'un courut derrière moi et me saisit par les épaules pour me tirer en arrière.
— Aaaah !
C'est Shii, c'est la sœur de Mii,
salut, toi !
— Bonjour, Rena.
Nous ne nous sommes vues qu'une seule fois et pourtant tu t'es souvenue de mon nom, j'en suis très honorée.
— Oh, mais je te renvoie la pareille.
Merci de t'être souvenue de m'appeler Rena.
— Oui, bon, finissons-en avec les présentations !
Tu n'as pas le droit de le séduire, ce p'tit gars, c'est compris ?
Le club fonde de grands espoirs sur lui !
Il n'ira pas au club de base-ball !
Mion mordit la manche de mon bras et se mit à grogner.
... Faut croire qu'elle me considère comme un jouet, mais elle a l'air d'y tenir.
— Ahahahahahaha,
oui, Keiichi est un membre très prometteur.
Nous ne ferons pas d'échange !
Rena souriait, et pourtant mon alarme interne sonnait le tocsin.
Elle se préparait à lancer une grosse attaque spéciale si Shion s'approchait à moins de 2m de moi...
La vache…
la guerre entre femmes, c'est moche...
— Ahahahaha !
Dommage, dommage.
Je négocierai son prix une autre fois, alors.
— Tu n'as pas le droit de négocier, rien, que dalle !
Chef, pourquoi vous l'avez invitée ?
Elle est pas venue depuis un an !
— Hahhahhahhahha !
Bah, je me suis dit que si elle était là, elle mettrait de l'ambiance !
... Et
je constate que je ne me suis pas trompé.
Oui, si c'était le seul but recherché, effectivement…
il avait réussi son coup.
— Allez,
p'tit gars, amène-toi !
On va tous jouer ensemble,
et il y aura un gage, bien sûr !
— Et toi, Shii, tu viens avec nous ?
Tu verras c'est facile, et ce sera super !
— Hmmm, je sais pas.
Si j'y participe, je vais gagner,
je crois que ma sœur n'apprécierait pas trop de se prendre une pile devant vous.
Mion s'arrêta net et se retourna, des envies de meurtre dans les yeux...
— Grrrr...
— Qu'est-ce qu'il y a, ma grande, c'est pas vrai peut-être ?
Tu préfères que je joue avec vous et qu'on se départage ?
Je ne sais pas si ce serait vraiment dans ton intérêt...
— Bleuah bleuah bleuh !
Dégage, on veut pas de toi !
File !
Bleh !!
Tiens donc, elle a refusé la confrontation ?
Elle doit vraiment ne pas l'apprécier...
— Tu ne la laisses pas jouer avec nous ?
J'aurais bien voulu voir qui aurait gagné de vous deux.
— Ouais, ben moi je peux pas la sacquer.
J'aime pas jouer contre elle !
Mion avait l'air de sacrément mauvais poil,
mais elle me traînait quand même derrière elle.
— Bonne chance, mon cœur,
je t'encouragerai depuis ici !
Courage ! Te laisse pas abattre !
Je ne sais pas si ça lui faisait plaisir de faire chier sa sœur, mais d'un seul coup, elle y mettait beaucoup d'entrain.
Bon !
Puisque nous étions prêts à nous battre, il me fallait changer d'état d'esprit !
Quel était le jeu aujourd'hui ?
Et le gage ?
Allez, amenez-vous !
— Allons, mon cher !
J'espère que vous êtes prêt à perdre !
Je ne vous ferai aucun cadeau aujourd'hui !
— Heh, tu peux toujours venir !
Je vais toutes vous écraser à plate couture !
— Ahahahahaha !
Et moi je viendrai par derrière et je vous battrai tous les deux !
— Et moi, je me ferai plate comme un requin-renard pour venir derrière vous et vous prendre par surprise...
— Hau...
Rika qui me prend par derrière, par surprise, toute plate ?
Oh, je te ramène à la maison, toi !
— Bon, vous êtes prêts ?
Nous sommes nombreux aujourd'hui, alors on va faire un truc simple !
Écoutez bien !
Le jeu d'aujourd'hui procédait par éliminations successives, et les perdants devaient ranger après le barbecue.
— Ahahahahaha,
AhHA-HA-ha-ha-ha-ha !
Shion se poilait comme une malade mentale à chaque fois qu'elle voyait mon visage.
... OK, je comprends, elle a trouvé ça drôle que mon petit piège me saute à la figure...
— Oh, mon cœur, tu aurais dû voir ton visage !
Tu aurais crié,
ç'aurait été la même chose, tellement c'était évident !
Ahahahahaha !
— Chié, putain, merde ! J'étais pourtant certain de gagner en achetant toutes les cartes ciseaux !
Je pensais pas que Satoko et Rika me trahiraient juste à ce moment-là !
Tout avait été parfait pendant la phase où nous devions nous entr'aider...
mais Satoko avait été la meilleure pour savoir quand il fallait lâcher ses coéquipiers !
Tomita et Okamura me firent des remontrances.
— On vous l'avait pourtant dit de pas lui faire confiance !
Ces deux-là s'étaient fait avoir très tôt dans le jeu.
Précisément en faisant confiance à Satoko.
— Oui, je sais...
Moi qui voulais vous venger, tous les deux...
Je le savais, mais franchement, pendant les jeux du club, les filles étaient vraiment sans pitié.
Je suppose que je n'étais pas encore à leur hauteur...
— Hmm, il n'y avait pas un gage pour celui du club qui finirait dernier ?
Shion devait pourtant pertinemment savoir que j'essayais d'oublier cela...
— Hmmm…
je sais plus. On avait prévu un truc ?
— Ah oui c'est vrai, Maebara, vous étiez d'ailleurs tous super excités quand la déléguée en a parlé. C'était quoi, ce gage ?
— Hmmm... euh...
— Ma sœur m'a demandé tout à l'heure de lui procurer un uniforme de l'Angel Mort,
est-ce que ça a un rapport ?
Elle m'a demandé la plus grande taille possible, je vois pas pourquoi...
Tomita et Okamura se firent très silencieux, me décochant un regard à la fois plein de pitié et de résignation.
— Hé... héhéhé, hahahaha,
haHAHAHAHAHAHAHA !
Que faire d'autre ?
Plus je riais, et plus la situation me paraissait risible et ridicule, et donc plus mes rires étaient nourris...
Mais meeeerdeuuuuh !
Pourquoi j'ai perdu ?
— Tiens donc ?
Ben alors, Maebara, que t'arrive-t-il ?
Tu ris, tu cries ou tu pleures, décide-toi, voyons !
— Laissez-le, ce n'est rien. Il fait juste semblant d'être énervé, mais en fait, il est content.
Le gage qu'il vient de prendre va lui permettre de faire une expérience très enrichissante, et il en est tellement heureux qu'il n'arrive pas à cacher sa joie !
N'est-ce pas☆?
— Non !
Je vais t'en faire, moi, des expériences enrichissantes !
Je me tins la tête à deux mains et me roulai par terre.
C'était un peu exagéré pour quelque chose qui tenait en trois syllabes.
J'étais tout simplement dégoûté.
Snif…
Le chef me tapota gentiment les épaules.
Il veut me consoler ?
— Maebara,
lorsque tu fais face à une situation difficile que tu ne peux pas éviter...
il faut s'imaginer être une servante en train d'être éduquée proprement.
Et là, tous les sévices corporels et les situations embarrassantes deviennent excitants...
Et du coup, ce n'est plus si grave♪!
Me tenant par les épaules, le chef se mit à rougir, perdu dans ses pensées,
puis murmura quelques mots d'une voix très suave tout en tourbillonnant sur lui-même.
Je me demande franchement ce qu'il lui passe dans la tête, à ce mec.
Quand il entend les gens parler, son cerveau doit certainement traduire les mots dans une autre langue vaguement en rapport avec le japonais...
En tout cas, le mot “éducation” a l'air d'affoler pas mal de synapses...
— Tomita ?
Okamura ?
Il est... spécial, votre entraîneur.
Je m'étonne qu'il puisse garder le poste, d'ailleurs.
Ils se regardèrent et eurent un petit rire gêné.
Puis ils ajoutèrent : “Ben, d'habitude, il est vraiment sympa, hein...”.
Lorsqu'enfin le chef finit de tournoyer, il avait un visage tout à fait normal.
Son temps de rémanescence est trop court pour moi, j'arrive pas à suivre...
— Bon, eh bien alors, continuons donc à ranger, voulez-vous ?
Maebara, tu m'as l'air un peu plus costaud,
tu veux bien prendre les grands plats et les ramener près du point d'eau ?
— Ouais, j'y vais...
Je me saisis des plats dégoulinants de graisse et les soulevai.
La vache, mais ils sont super lourds !
C'est où qu'on les lave ?
Là-bas ?
Pressé de les poser à terre avant que mes bras ne lâchent, je me dirigeai vers le point d'eau au pas de course.
Comme de nombreux adultes étaient là, occupés à laver, je dus me résoudre à en chercher un autre.
L'un des parents d'élève m'indiqua qu'il y en avait sur le côté de la salle de réunion du conseil municipal, aussi je décidai de m'y rendre.
C'était tout petit, il n'y avait qu'un seul robinet.
Je n'étais pas certain que les plats passaient dedans, mais bon, c'était toujours plus rapide que d'attendre que les autres aient fini...
Tournant le robinet, je fus agréablement surpris par la pression de l'eau.
Je plaçai l'un des plats dans le jet d'eau et passai la main pour nettoyer…
mais ça ne marchait pas très bien.
— Tiens,
voici une éponge et un peu de produit.
À l'eau seule, tu n'y arriveras pas.
C'était Shion.
Elle me jeta l'éponge et la bouteille de produit, que j'attrapai au vol.
— Oho, merci.
— Tu aurais pu simplement les poser à l'autre et laisser les adultes s'en occuper, tu sais.
Tu es vraiment trop gentil, mon cœur.
Je ne suis pas sûr que ce soit un compliment.
Je lui fis un sourire en guise de réponse.
— En tout cas, je suis surpris d'apprendre que tu es la manager.
Je pensais que tu étais plutôt du genre à ne pas te prendre la tête sur des choses chiantes comme ça.
— Oh, mais tu as vu juste,
c'est trop chiant comme poste pour moi.
C'est pour ça que je ne viens plus, d'ailleurs.
— Bah, l'entraîneur t'as demandé gentiment, non ?
Retournes-y de temps en temps.
— Ahahahahaha ! Bah, si j'y pense.
Oui, donc en gros, si elle n'y pense pas, elle n'ira plus jamais.
Pas de chance…
Bon, si je continue à discuter, je n'aurai jamais fini, alors concentrons-nous un peu sur la vaisselle...
Shion ne me proposa pas son aide, mais ne semblait pas décidée à m'empêcher de bosser. Elle resta près de moi, à regarder l'eau couler.
— Ah au fait, j'ai entendu pour hier.
Il paraît que tu as fait des merveilles ?
— C'est Satoko qui a tiré le coup du circuit, c'est elle qu'il faut féliciter, tu sais.
Je savais pas qu'elle était si douée en sport,
c'était une grosse surprise.
— Oui, c'est pas du tout comme Satoshi.
Je parie qu'elle a eu tous les gènes sportifs à la naissance.
En regardant ses yeux, j'eus l'impression qu'elle parlait de lointains souvenirs.
— Satoshi ?
— Son grand-frère.
Satoshi Hôjô.
Ah, je vois.
Tu as emménagé ici cette année, c'est ça mon cœur ?
Oui, tu ne l'as donc jamais rencontré.
Je trouvais vraiment curieux qu'elle le connût.
— Je ne l'ai jamais rencontré, mais j'en connais un peu sur lui.
Après la mort de leurs parents,
il a été transféré, c'est ça ?
Je ne voulais pas la vexer en disant tout net qu'il avait fait une fugue.
— ... Transféré ?
Qui t'a raconté ces salades ?
Je mis du temps à remarquer que sa voix était un peu différente qu'à l'ordinaire.
— Ben…
je sais pas, c'était qui ?
Je sais plus, mais c'est ce qu'on m'a dit,
qu'il avait changé d'école.
— ... Et c'est qui, ce “on” ?
Tu répètes seulement ce qu'on t'a dit, n'est-ce pas ?
— Oh tu sais, je sais plus vraiment qui me l'a dit.
Enfin bon, j'ai pas de raison de remettre ça en doute, en même temps.
J'y ai pas réfléchi plus que ça, c'est pas la mort non plus, quoi.
— Si, justement.
Tu as vu l'avis de transfert d'école ?
Tu sais s'il a fait les paperasses pour ?
Ou si quelqu'un l'a vu remplir les formulaires ?
Ou entendu qu'il l'avait fait ?
C'est là que je me suis rendu compte que non seulement elle me pressait de questions,
mais qu'en plus elle me lançait des regards furieux, me fixant du regard avec insistance.
— ... Shion ?
Qu'est-ce qu'il y a, t'as un regard de tueuse, là...
C'est seulement lorsque je le lui fis remarquer qu'elle se rendit compte de ce qu'elle faisait.
Elle prit une grande inspiration, ferma les yeux, se recoiffa, et reprit un air plus calme.
— Je... Désolée.
Écoute, mon cœur,
tu ne sais pas grand'chose de Satoshi, mais ne dis pas qu'il a changé d'école, d'accord ?
Vraiment, ce serait bien que tu arrêtes de raconter ça.
S'il te plaît.
Je compris que j'avais dû dire quelque chose d'irréfléchi.
Mais comme je ne voyais pas quelle bêtise j'avais pu dire,
je lui dis simplement “pardon”.
— Ben écoute, c'est ce qu'on m'a dit, et c'est ce que je croyais.
... C'est pas le cas ?
Non, je savais bien que ce n'était pas le cas.
Après la mort de ses parents, il avait fait une fugue, laissant sa sœur derrière lui.
Mais comme je ne voulais pas le dire, je faisais semblant de ne pas savoir.
Shion sembla remarquer qu'elle me mettait mal à l'aise, et baissa le ton.
— Ah, écoute, désolée.
C'est pas un reproche, hein.
J'ai été un peu dure avec toi, mon cœur.
Je te demande pardon.
— ... Bah, c'est pas grave, je t'en veux pas.
C'était pas tout à fait vrai.
Disons qu'elle m'avait fait un peu peur sur ce coup-là.
Est-ce que c'est un problème s'il a fait une fugue ?
Ou est-ce si dérangeant de dire qu'il a changé d'école ?
Mais Shion avait tourné les talons, m'empêchant de lui poser plus de questions.
— Eh, Shion ?
— Bon courage, mon cœur.
On dirait que tu arrives à la fin.
Ce plat est le dernier.
Heureusement qu'elle le disait.
Absorbé par notre conversation, j'avais complètement oublié les plats de viande.
J'ouvris le robinet un peu plus fort
et frottai le plat vigoureusement.
Lorsque je me retournai, Shion n'était plus nulle part.
Lorsqu'enfin j'en eus fini avec le plat, les autres avaient presque fini de tout ranger.
D'un seul coup, le fond de l'air s'était fait frais, et un petit vent s'était levé pour disperser la chaleur de l'après-midi.
— Allez, tout le monde, rassemblez-vous !
Le chef nous remercia d'être venu et annonça la fin du barcecue.
Aujourd'hui encore, la journée avait été très amusante, mais elle était terminée.
En fin de compte, il semblait bien que le jeu s'était soldé par la victoire de Mion.
Après m'avoir trahi, Satoko s'était faite avoir au dernier moment, et avait vraiment la rage à cause de ça.
— Ceux qui trahissent les autres finissent par être trahis à leur tour,
c'est une bonne leçon !
— Oh, mais quelle insulte !
Je ne veux pas me l'entendre dire par vous !
— Ahahahahaha !
Moi, je n'ai cru à personne,
et j'ai fini deuxième !
— Tu dois avoir une sacrée intuition,
car tu sais bien discerner la vérité du mensonge.
Alors ça par contre, je ne m'y attendais pas.
J'ai toujours pensé que Rena tombait à chaque fois dans le panneau.
— C'est plutôt toi qui est très dupe, p'tit gars.
Tu voulais tous nous bouffer, et tu t'es fait manger tout cru le premier !
Quand tu seras plus grand, fais attention aux ventes pyramidales, d'accord ?
— Oui, oui,
je tâcherai de pas me faire avoir...
… *snif*.
Même si nous étions de grands amis en temps normal, dès qu'il y avait un jeu, c'était chacun pour soi.
Et pourtant, après la partie, nous pouvions rire des pires coups bas.
C'était vraiment formidable.
— Mais bon, il y a plus intrigant !
J'ai hâte de voir ce cher Keiichi dans cet uniforme !
Êtes-vous bien sûre que c'est possible ? Le gérant ne risque-t-il pas de nous en empêcher ?
— Je ne sais pas vraiment.
Mais Keiichi risque d'être tout mimi là-dedans !
Mimi !
J'ai bien envie de voir ce que ça donne☆!
— Moi aussi, j'ai hâte.
Je le ferai tomber pour qu'il soit obligé de frotter ce qu'il a renversé.
— Aaah, mais c'est une excellente idée ! Eheheh !
— Raah !
Mais pourquoi je gagne jamais quand c'est important ?
Chaque fois que je veux absolument gagner, je foire mon coup !
Qu'est-ce qu'il me manque, hein ?
J'ai pas assez la foi, ou quoi ?
Hngaaaarh !
— Oooohhohhohho !
Les cris de rage des vaincus sont une douce musique à mes oreilles !
— Pauvre petit…
Rika me caressa la tête.
— Alors toi aussi, c'est ce qu'il te faut pour progresser ?
On dirait franchement Mii l'année dernière.
Mion était comme moi, l'année dernière ?
Mais alors quoi, elle n'arrêtait pas de perdre et de se plaindre ?
Notre chef invincible avait donc commencé comme les autres, intéressant...
— Eh, il a pas besoin de savoir ça !
Mion plaça ses mains sur la bouche de Rena pour l'empêcher d'en dire plus.
Tous les autres éclatèrent de rire.
Après quelques instants encore, Rika tira sur la manche de Satoko.
— ... Bon, eh bien,
il va falloir que j'y aille, tout doucement.
— Ah... C'est vrai, il faut faire les courses pour ce soir.
J'aurais franchement préféré discuter jusque tard la nuit, mais bon...
Apparemment, il était l'heure de partir.
Satoko et Rika nous dirent au revoir, et Mion, Rena et moi-même nous mîmes en route.
— Bon, alors à demain.
On se voit à l'école !
Nous nous fîmes signe, les bras tendus.
— Bon... eh bien, allons-y !
Une à une, nous descendîmes les marches du long escalier qui partait du temple...
Lorsque le soleil se couche, la chaleur de l'après-midi s'en va comme si elle ne nous avait jamais étouffés.
Bercés par le chant des cigales, nous étions en train d'oublier les grosses températures d'aujourd'hui.
— Oui, et pourtant, c'est vrai que nous ne sommes qu'en juin.
Cette année, nous n'avons pas vraiment eu de mousson, c'est passé direct à l'été.
Oui, elle avait raison.
D'habitude, en juin, c'était la mousson, la pluie interminable, les hortensias, les limaces...
Et pourtant, depuis mon arrivée ici, il n'y avait pas vraiment eu de jour de pluie.
— Les prévisions météo ont annoncé de la pluie pour la fin de la semaine et plus tard, donc on aura quand même une courte mousson.
Ils ont même donné les alertes pour les crues.
J'espère juste que ça tombera pas le jour de la purification du coton.
— Oui,
c'est vrai qu'il vaut mieux avoir le temps de saison, c'est plus rassurant.
En tout cas, moi, j'aime la pluie.
— Quoi ? Mais t'es pas bien, quand il pleut toute la journée, il y a de quoi devenir dingue !
T'es pas d'accord, p'tit gars ?
— Hmm ? Si, si.
Je mis un peu de temps pour lui répondre.
En fait, j'étais plongé dans mes souvenirs de la conversation d'avant, avec sa sœur jumelle Shion.
Lorsque j'avais dit que Satoshi avait changé d'école, Shion s'était vraiment énervée.
Elle m'avait remonté les bretelles pour avoir dit des idioties.
C'est vrai que c'était un mensonge,
mais je ne voyais pas ce qu'il y avait de si grave.
Je sais pas, c'était…
Enfin, quelque chose clochait, quoi.
J'étais énervé, un peu comme un gamin qui s'est fait engueuler sans vraiment comprendre pourquoi.
Et comme je n'étais pas spécialement doué pour cacher mes émotions, ça m'est sorti tout seul.
— Satoko avait un frangin, non ?
Il s'appelait Satoshi, je crois ?
— ... Euh...
Dès la mention de son nom, leur bonne humeur s'envola.
Aïe, apparemment, c'est un sujet de conversation qui fâche.
En tout cas, c'est l'impression que j'en avais.
Mais bon, maintenant que je l'avais dit, c'était trop tard.
Et puis, franchement, ça m'intéressait.
— Et il est devenu quoi, encore ?
Il a déménagé ?
Ce n'était probablement pas très convaincant, mais j'essayai de feindre l'ignorance pour en apprendre plus.
— Euh... Eh bien...
Mion regarda en direction de Rena, cherchant quoi dire.
Rena me regarda moi, puis Mion, puis moi à nouveau, et Mion finit par dire à voix basse :
— ... Ah, je ne te l'avais pas dit ?
Il a “changé d'école”.
Mais vu la scène que Shion m'avait faite...
Je décidai de répéter ce qu'elle m'avait dit.
— Oui, mais... qui t'a dit qu'il avait changé d'école ?
— Euh...
Je suppose que la formulation était un peu agressive, puisque j'avais eu la même impression de la part de Shion tout à l'heure.
Je tentai de faire mon possible pour ne pas faire dégénérer les choses.
— Je veux dire, s'il avait changé d'école, il aurait dû faire des tas de papelards, non ?
Mais... en fait, il n'y a rien de tout cela ?
Mion et Rena me regardèrent en silence, les yeux ronds comme des billes.
Il m'est apparu clair que j'étais en train de faire quelque chose de pas très malin.
Après tout, elles ne faisaient que cacher la fugue de Satoshi pour ne pas vexer Satoko.
— ... Bon, maintenant, c'est pas un reproche, hein ?
Je voudrais juste savoir ce qu'il lui est arrivé, à ce mec, c'est tout...
Ce n'était pas un reproche.
Mais plus j'en parlais, et plus je me donnais l'impression de les cuisiner sur ça.
En fait, il était même possible que ce soit une forme de harcèlement de ma part.
Ou bien une manière de me venger pour le savon que m'avait mis Shion avant.
Eh merde, quand je pense que la journée avait si bien commencé...
Mais pourquoi est-ce que j'ai ouvert ma grande gueule ?
J'étais trop curieux, et je le regrettais amèrement.
Alors que j'allais leur demander d'oublier ça, Mion se mit à parler.
— Eh bien...
en fait…
c'est pas pour te le cacher, hein,
je veux pas que tu te fasses une mauvaise idée sur nos intentions, mais...
Sa façon de parler était vraiment pas normale, on aurait dit une gamine prise la main dans le sac...
Mion eut l'air d'abandonner.
— Satoshi…
eh bien...
Non, il n'a pas vraiment changé d'école.
Elle n'avait pas l'air fière d'en être réduite à l'avouer.
Alors bien sûr,
j'ai voulu m'excuser,
lui demander pardon pour ça.
Mais Rena me coupa la parole.
— Il ne rentre pas, en fait.
— Pardon ?
Rena n'avait pas l'air spécialement gênée d'en parler, elle prononçait tout haut et fort.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Eh bien, depuis un certain jour, il n'est pas encore rentré à la maison.
C'était une formulation très bizarre.
Normalement on dit cela lorsque l'absence date du jour-même.
Je veux dire, on part du principe que la personne rentrera encore pendant cette journée.
Enfin bref, ce n'est pas une façon de parler pour quelqu'un qui a fait une fugue.
— Ben alors, qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Il est où, alors, Satoshi ?
— Je ne sais pas.
— ...
Rena avait l'air très distante.
Tellement, d'ailleurs, que je ne sus pas trop quoi lui répondre.
— ... Ben, c'est comme elle dit, quoi.
Un jour, comme ça, il n'est pas rentré, et depuis, eh bien, toujours pas.
Je suppose que Mion disait cela pour débloquer la situation, vu que ni Rena ni moi ne lâchions prise.
— Bah, tu sais, on a cherché un peu partout, et la police aussi, hein.
Alors, on s'est dit qu'il avait probablement fait une fugue.
— Donc en fait, vous savez pas trop, mais peut-être que c'est une fugue ?
J'ai toujours cru que les jeunes qui fuyaient leur maison laissaient des messages derrière eux.
C'est pour cela que personnellement,
j'avais pensé naïvement qu'il avait laissé une lettre à Satoko pour s'excuser de son geste.
Mais pour être honnête, vu ce que me raconte Mion, ce n'était sûrement pas comme ça que ça s'était passé.
— Eh bien, un policier a fait quelques recherches, et...
Ben, Satoshi avait économisé un peu en faisant des petits boulots, et...
Le jour où il a disparu, en fait, il a retiré tout ce qu'il avait sur son compte.
Et apparemment, quelqu'un aurait vu un jeune qui ressemble beaucoup à Satoshi sur le quai de la gare à Nagoya, alors...
Ah, et donc ils ont pensé qu'il avait économisé pour pouvoir fuguer. Pas bête.
Mais alors que j'étais en train d'y réfléchir,
Rena m'annonça un truc sans crier gare.
— Tu sais, je crois que c'est un mensonge,
cette histoire de fugue.
— ... Attends une seconde.
OK, alors il a pas changé d'école,
mais il n'a pas déménagé non plus,
et il n'a pas fugué ?
Alors quoi ? Il lui est arrivé quoi ?
— Arrête avec ça, Rena.
Mion murmura quelque chose à l'oreille de Rena.
Mais apparemment,
Rena
n'avait pas l'intention de se taire...
— Tout le monde sait que c'est la malédiction de la déesse Yashiro.
— ... Quoi ?
La malédiction ?
Il m'a fallu quelques instants pour bien saisir ce que Rena venait de me dire.
Mion eut un claquement de la langue et secoua la tête en silence.
— Avant de disparaître, Satoshi m'a confié son secret.
Il m'a dit que quelqu'un l'observait.
Que quelqu'un le suivait tout le temps,
jusque chez lui,
jusque devant sa couette, et l'observait toute la nuit.
— ... Arrête avec ça, Rena.
— C'est l'un des signes avant-coureurs de la malédiction, pourtant, c'est évident.
Je pense que quelque part, Satoshi voulait s'enfuir de Hinamizawa, se débarrasser du village.
Et ça, la déesse Yashiro ne lui a pas pardonné.
— Je t'ai dit d'arrêter...
— La déesse Yashiro est la divinité protectrice du village.
Elle ne pardonne jamais à ceux qui pensent déserter.
Moi, je lui ai demandé pardon, et je me suis repentie !
Mais pas Satoshi, je suppose.
Et c'est pour ça que je sais,
que je suis intimement convaincue qu'il a été emporté par la malédiction !
— La malédiction de la déesse Yashiro ?
N'allez pas croire que je n'étais qu'un perroquet qui ne savait que répéter, hein ?
Mais les mots sortirent tous seuls...
La malédiction... de la déesse Yashiro ?
— Même si la police semble décidée à en faire une affaire de fugue, moi je n'y crois pas, je n'y ai jamais cru, et je n'y croirai jamais !
C'est juste un sale mensonge que les décideurs du village se sont inventés parce que c'était plus pratique pour eux !
Même si les autres ne veulent pas croire en la malédiction, moi, je te le dis, en fa--
PAF !
Mion avait giflé Rena.
Genre, très, très fort.
— J't'ai dit d'arrêter avec ça, alors tu vas la fermer, oui ?
Si je dois me mettre en colère, ça va mal se passer, ma grande !
Eh l'autre, elle est déjà en colère... et franchement, avec la tête qu'elle tirait, elle ne risquait pas de pouvoir le cacher.
Rena la regarda en silence, et resta sans bouger un moment, pensive.
Puis, au bout d'un moment, elle reprit une expression plus douce, comme si le chant des cigales l'avait apaisée.
Nous arrivâmes au croisement où Mion nous quittait d'habitude.
Jusque là, personne n'avait osé reparler.
Seules les cigales s'étaient permises de rompre le silence.
— ... ...
Normalement, ici, Mion nous dit au revoir et Rena et moi rentrons seuls.
— Ah, au fait, p'tit gars.
Je t'avais dit que je te filerais quelques séries, tu viens ?
Tu peux passer les prendre aujourd'hui, si tu veux.
Hein ?
Mais... On n'a jamais parlé de ça ?
Ah, bien sûr ! En fait c'est juste une excuse pour me parler en privé...
— Ah oui ? Ah bon.
Bon, ben alors, j'y vais déjà, OK ?
Je n'aurais pas su dire si elle l'avait compris ou pas.
Mais toujours est-il que Rena s'en alla.
— Allez, salut !
À demain.
— Oui,
à demain.
Keiichi ? Ne reste pas trop longtemps, d'accord,
il est déjà tard.
— T'inquiète, je passe juste lui prendre quelques livres.
Allez, salut.
Par rapport à la belle journée que nous avions passée, c'était une séparation bien banale et bien déprimante...
— Ne te bile pas trop pour ce qu'il s'est passé tout à l'heure.
Enfin, Mion brisa le silence.
Cela faisait longtemps maintenant que Rena était partie.
— Ouais, bof, tu sais...
... C'est un peu ma faute, aussi.
— Je... Je voulais pas te cacher spécialement ce qu'il était arrivé à Satoshi, tu sais.
C'est juste que... je n'aime pas trop en parler.
Je commençai à comprendre pourquoi il valait mieux ne pas trop parler de lui par ici.
Surtout après avoir vu comment Rena réagissait sur le sujet.
D'ailleurs, rien que la réaction de Shion était suffisante pour donner envie de ne plus en parler.
... En fait, là n'était pas le problème.
Le problème était que c'était une histoire qui en soi n'était pas bonne à raconter.
C'était presque indécent de s'intéresser tant que ça aux événements.
Mais c'était peut-être justement l'une des raisons qui me poussait à y réfléchir.
Pourquoi est-ce que tout le monde flippait dès qu'on parlait de lui ?
(Idiot, tais-toi, cesse d'y penser !)
Vous vous doutez bien qu'à peine l'avais-je pensé que ma bouche prenait le relais.
— Écoute, je ne te le demanderai plus jamais, mais...
J'aimerais beaucoup que tu me dises franchement ce qu'il s'est passé.
Que lui est-il arrivé,
à Satoshi ?
Il a fait une fugue, non ?
— … … …
Pendant très longtemps, Mion ne répondit pas. Puis, lentement, comme si elle n'y tenait plus, elle se mit à me raconter l'histoire…
— Tu as déjà entendu parler de la malédiction de la déesse Yashiro ?
— Un tout petit peu, mais je n'en sais pas grand'chose.
Oui, j'étais un peu au courant.
J'avais surpris des conversations en classe.
Apparemment, la déesse Yashiro protégeait le village, et un culte lui était voué dans le temple qui avait servi aujourd'hui pour notre barbecue.
Il y a quelques années, les gens ont voulu construire un barrage qui aurait englouti le village sous les eaux, mais...
des gens du chantier furent retrouvés morts, et il y eut plein d'autres choses bizarres,
et du coup, les gens d'ici ont appelé ça la malédiction de la déesse Yashiro.
— Les parents de Satoshi, ceux qui sont morts,
tu sais, eh bien, ils faisaient partie de ceux qui étaient pour la construction du barrage.
— Quoi ? Je croyais que tous les villageois avaient fait bloc ?
Mais alors, certains étaient d'accord ?
Le plan du barrage prévoyait d'engloutir totalement Hinamizawa et les environs.
J'avais entendu dire que les villageois s'étaient tous unis comme un seul homme pour faire capoter le projet, mais apparemment, il y avait eu certains pour l'approuver.
— ... Oui, enfin bon, ils avaient leurs raisons.
Tout le monde n'était pas d'accord concernant le barrage.
Mais bon, les parents de Satoshi étaient un peu les leaders des pro-barrage.
— Je vois... les parents de Satoko et de Satoshi étaient donc un peu exposés ?
— Oui.
L'État avait sorti les biftons pour racheter les terrains,
et beaucoup parmi les habitants les plus pauvres du village étaient intéressés.
— ... ...
Oui, à part quelques exceptions, Hinamizawa n'était pas un village très riche.
Si les gens n'avaient pas spécialement de fierté à posséder les terres familiales, alors...
Il n'était pas difficile d'imaginer qu'ils auraient accepté une aide pour commencer une nouvelle vie ailleurs.
Sauf que bien sûr, c'était une situation délicate, et que les gens ne pouvaient pas forcément se permettre de dire à voix haute ce qu'ils pensaient tout bas.
Sachant tout cela, certains s'étaient quand même montrés face à l'adversité. Et plus par hasard que par choix, les plus visibles avaient été les parents de Satoko.
En ce sens, on pouvait dire que leurs parents avaient eu beaucoup de cran.
Ils avaient endossé le mauvais rôle...
— Et donc,
pas de bol...
le jour de la fête du village, celle dédiée à la déesse Yashiro, ils ont eu un accident, et ils sont morts.
Alors certaines personnes du village ont commencé à dire que c'était peut-être la malédiction de la déesse qui les avaient frappés.
Je me souvins de ce que le chef m'avait raconté cet après-midi.
Ils avaient été en vacances dans un parc naturel, et là, ils étaient tombés du haut d'un poste observatoire...
— Et alors, même la fugue de Satoshi a été considérée comme faisant partie de la malédiction ?
— ... Ben... ouais,
c'est un peu près ça.
Ce n'était pas très clair comme réponse, mais je me rendais bien compte que ce n'était pas un sujet de conversation facile, aussi je ne lui posai plus de questions.
— Je suppose que je n'ai pas à te l'expliquer,
mais Satoko n'aime pas trop en parler.
Ni de des parents, ni de Satoshi, ni de la malédiction.
C'est pas vraiment une histoire joyeuse, tu vois.
Oui, c'était compréhensible, évidemment.
Je ne pouvais que faire oui de la tête, en silence.
— C'est pour ça que je ne parle jamais de sa famille.
Et si vraiment quelqu'un me demande pour Satoshi, je réponds simplement qu'il a changé d'école.
Je peux compter sur toi ?
Je veux la voir sourire, encore et encore.
Je commençais vraiment à m'en vouloir d'avoir parlé de ça,
ce n'était pas malin de ma part, et je le regrettais sincèrement...
— ... Ouais.
Ouais, je vois, d'accord.
Je regrette d'avoir posé des questions sans trop réfléchir.
Mion eut un petit sourire, soulagée.
Je pris ceci comme un signal pour prendre congé, et je repartis sur le chemin de la maison.
J'aurais pu réellement aller chez Mion, en fait, mais il était vraiment tard.
J'irai chez elle une prochaine fois.
— OK, bon, ben salut, Mion.
Désolé pour aujourd'hui.
À demain.
— Ouais.
Salut.
Je lui fis un bref signe de la main.
Puis, comme par après-coup, Mion se retourna à nouveau et m'interpela.
— Ah, p'tit gars ?
Aussi, s'te plaît.
Est-ce que tu pourrais faire gaffe à pas parler de Satoshi devant Rena, par la même occasion ?
— ... Hein ?
— Ben, t'as bien vu comment elle a réagi tout à l'heure...
Je sais pas pourquoi, mais Rena, elle croit dur comme fer à la malédiction. Franchement, elle ne prend pas ça à la légère.
D'ailleurs, c'est comme ça depuis qu'elle a emménagé ici, en fait.
— ... … …
Effectivement, elle n'avait pas eu l'air de plaisanter tout à l'heure.
On en était resté là parce que Mion était intervenue, mais sinon...
Je me demande bien ce qu'il se serait passé après...
— Je me demande pourquoi elle prend cette histoire tellement au sérieux.
Et tant qu'on y est, Shion aussi.
— Je sais pas.
Elle est... Écoute, tu le dis à personne, d'accord ?
Si tu le dis, je ne t'adresse plus jamais la parole, c'est compris ?
Ouh là, mais c'est qu'elle était sérieuse ?
— Mais non, je ne dirai rien.
Alors, c'est quoi le truc avec elle ?
— Elle m'a raconté qu'elle avait déjà dû subir la malédiction de la déesse.
— Pardon ?
— Personnellement, je crois qu'elle nous fait un syndrôme de la victime ou je sais pas comment ça s'appelle.
Mais elle, non seulement elle le dit, mais en plus elle y croit vraiment fort.
Si tu la charries là-dessus, tu vas y laisser des plumes.
Elle a l'air toute gentille d'habitude,
mais si tu lui cherches les poux... elle devient franchement flippante.
— ... C'est compris.
Ne pas en parler en sa présence, c'est ça ?
De Satoshi.
— OK, merci.
Si possible, essaie de ne plus jamais en parler tout court, tant que tu y es.
Cela vaut mieux pour Rena,
et surtout pour Satoko.
Et cela valait certainement mieux pour tout le monde.
Et a fortiori pour ma propre peau aussi.
Mion me jaugea du regard un moment, espérant découvrir si j'avais compris le topo ou pas.
— ... Ouais...
Ouais, ok,
c'est d'accord.
— Merci.
Mion tourna les talons et s'en alla.
Je suivis son dos du regard, puis, quelques instants plus tard, je me retournai de même et me remettai en route vers chez moi.
Sacré Satoshi...
Avait-il réellement fugué ?
Ou bien avait-il disparu à cause de la malédiction ?
Dans un cas comme dans l'autre, je n'aurais jamais dû chercher à savoir...
Un petit vent frais se fit sentir, comme pour me punir.
J'avais souhaité préserver le sourire de Satoko, et pourtant...
Ma curiosité avait eu le dessus, et j'avais très vite franchi des lignes dont j'aurais dû me garder…
Je suis vraiment nul.
J'espérais pourtant vivre aujourd'hui dans la même insouciance qu'hier.
Et je partais du principe de demain serait tout aussi amusant qu'aujourd'hui.
Et pourtant, j'étais suffisamment stupide pour poser des questions qui fâchaient...
Hier, nous nous étions amusés comme des fous pendant le match de base-ball.
Aujourd'hui, nous nous étions amusés comme des fous au barbecue pour célébrer la victoire des Fighters de Hinamizawa.
Je m'étais vraiment super bien amusé.
Et pourtant...
J'avais aussi fait un truc stupide qui avait tout foutu en l'air.
À partir de demain, il va falloir faire attention.
Je vais devoir veiller à ne plus répéter ce genre d'erreurs.
Je ne voudrais pas perdre ce groupe à cause d'aujourd'hui.
Mais même si je me préparais à faire super gaffe par la suite...
je n'arrivais pas à chasser de mon esprit la possibilité qu'il fût déjà trop tard, et que le bonheur après lequel je courais avait déjà disparu pour toujours...
... ... …
Nan, je me fais des idées.
Allez, Keiichi, calme-toi, reste zen.
La roue du destin tourne avec des engrenages gigantesques.
C'est pas le petit truc de rien du tout que tu as vu tout à l'heure qui pourrait foutre en l'air les journées à venir.
Mais même en y réfléchissant logiquement,
il me sera impossible de me calmer jusqu'à ce que les événements de demain me prouvent qu'effectivement, je me faisais du souci pour rien.
— Je dois pas être bien dans ma tête, moi.
Je ne devrais pas y prêter tellement d'importance...
Ce serait bien si on pouvait déjà être demain.
Comme ça, je pourrais vite constater que tout était en ordre et que je pouvais me détendre.
La nuit fut très longue ce soir-là.