— Ah bon ?
P'tit gars, ils sont rentrés, tes parents ?
— Oui, ils avaient les yeux bien rouges et ils sentaient la boisson tonifiante, d'ailleurs.
Il paraît qu'ils ont dû faire deux nuits blanches de suite pour tout finir.
Les adultes ont pas la vie facile.
— Ton père est quoi déjà, peintre ? Illustrateur ?
C'est pas si facile, apparemment.
— Oh, mais c'est vrai, vous l'aviez mentionné.
Je serais curieuse de pouvoir admirer l'une de ses œuvres, si possible !
Mouais.
J'ai déjà vu quelques-unes de ses aquarelles et des toiles acryliques en exposition, mais je suis sûr qu'il bosse encore à côté et qu'il fait autre chose.
Je me demande quel travail il fait réellement.
Et puis, j'ai pas le droit d'entrer dans son atelier.
J'aimerais bien y jeter un œil un jour...
— Et donc ils sont seulement partis deux jours ?
Eh ben, ça t'a pas laissé beaucoup de temps pour passer à l'attaque !
Et donc ?
T'as réussi à te faire le perso que tu voulais ?
Après tout, les parents absents, c'est la situation de base ! As-tu pu le constater par toi-même ?
— ... J'ai pu constater qu'il avait engrangé des tas de points et débloqué le flag pour ce personnage.
Mais de quoi elles parlent ? J'y comprends rien à leur charabia...
— Eh bien alors, tu n'as plus besoin de faire la cuisine, du coup !
Tu as mangé quoi hier soir ?
Hmm ? Eh, mais...
En fin de compte,
j'ai pas cuisiné une seule fois, en fait ?
— Euh, hier ? Euh, des légumes rissolés.
— Ohoo ?
Eh ben alors, tu as appris à faire des trucs potables, en fait !
— Ah oui☆?
Tu as dû les faire un peu frire, alors.
Et ? Tu les as réussis ?
— Ma chère, cessez donc de me serrer si fort, vous êtes un peu trop collante à mon goût.
Et d'ailleurs, que font vos bras sur mes épaules ?
— C'était un bon repas qui a fini devant l'évier à nettoyer la vaisselle dans la joie et la bonne humeur.
— Ouah, hauuuuuu☆ mais c'est super, alors ?
— Mais enfin,
je vous dis de ne pas me serrer si fort contre vous !
— Euh... J'ai raté un épisode ?
J'eus toutes les peines du monde à éviter son regard sans rougir.
— Ah, au fait !
Vous avez quelque chose de prévu pour cet après-midi ?
Je suppose que non ?
Aujourd'hui, nous étions le samedi.
C'était un jour foncièrement magnifique, car nous n'avions jamais école l'après-midi.
Ah, juste pour votre gouverne, à Hinamizawa, le samedi à l'école, on ne fait pas la même chose qu'en ville.
Ici, nombreux sont les élèves qui ramènent leur panier-repas pour manger sur place à midi, puis qui passent le reste de la journée à s'amuser dans la cour de l'école.
C'est un peu comme si l'école servait de parc de jeux pour les enfants, en fait.
Derrière l'école, les montagnes. En contrebas, la rivière et les étangs.
On peut aussi entrer dans les salles pour se protéger du soleil si besoin est.
Ou bien jouer à se cacher dans les tubes en béton, ou même grimper dessus.
Évidemment, on peut aussi rentrer chez soi.
Certains enfants vont aider aux champs ou aident leurs parents à tenir le magasin familial.
Pour que Mion fasse un effet d'annonce pareil,
cela devait être quelque chose de formidable, prévu spécifiquement pour notre club !
Mais malheureusement…
Avant de pouvoir me joindre à eux, j'avais du travail à faire.
— Du travail ?
Nous n'avons vraiment pas de chance.
— Je me demande bien ce que cela peut être.
Vous devez aider votre père dans ses travaux d'artiste-peintre ?
— Hmmmm,
tu lui sers de modèle ?
De modèle...
Pour un nu ?
hauuuuuu♪!
J'osai un regard dans les prunelles des yeux de Rena. Eh mais ! Pourquoi je suis à poil ? Et cette rose dans les cheveux, c'est quoi ? Et puis d'ailleurs, c'est quoi cette pose si suggestive ?
— Non, non, non, non, non,
jamais de la vie, il peut me payer des millions, je ne poserais jamais nu pour lui !
Je choppai la tête de Rena et lui frottai le crâne dans tous les sens. Il fallait faire disparaître ces images de sa tête au plus vite !
— Hauu~~~~!
Aaarrêêêêtteeeeuuhh !
— … Er, désolé.
Bref, si on oublie ton imagination débordante,
ce midi, j'ai du travail,
mais dès que j'ai fini, je peux vous rejoindre, pas de problème.
— Du travail à midi ?
Je vois !
Mais dis voir, ça m'a l'air intéressant, ça.
Laisse-moi deviner,
un tas de gros bonnets viennent manger chez vous ?
C'est un repas d'affaires ?
— Euh... ben...
C'est triste à dire mais... ouais, c'est bien ça.
— QUOI ?
Sur ces grands cris de surprise, je les laissai pour rentrer chez moi...
Hélas,
aujourd'hui était un jour de travail pour toute la famille.
Mon père avait organisé une petite fête chez nous, à laquelle il avait convié une dizaine de personnes travaillant dans sa maison d'édition.
Une fête le lendemain d'une crise de 48h de boulot non-stop : franchement, leur vitalité me laissait songeur.
C'est pas facile d'être un adulte.
Vous vous en doutez, nous étions trop serrés ici.
Et puis faire un beau sourire et faire l'intéressé face à des tas d'inconnus, c'est très fatiguant.
Mais bon, c'est pour le travail, c'est juste avant un gros contrat, alors... je peux pas vraiment me permettre de les décevoir.
Enfin bon, bref, aujourd'hui ne commençait vraiment pas très fort.
— Oh, mais voyez donc ça !
Il a l'air si intelligent !
— C'est mon idiot de fils, Keiichi.
Keiichi, je te présente M. Honda des maisons d'éditions ********.
Et voiçi M. Inoue, le directeur du département de ******.
Présente toi.
— Ah bonjour,
je suis son fils, Keiichi.
Je suis sûr que mon père vous cause toujours des soucis...
— Dites-moi Keiichi, est-ce que vous savez dessiner comme votre père ?
J'aimerais beaucoup voir votre style !
C'est assez bohême et insolent comme profession, peintre.
Enfin, en même temps, je ne sais pas trop ce que mon père fait exactement.
Ça ne m'intéresse pas des masses.
Et puis même mon père n'est jamais vraiment enclin à me les montrer.
Je suis plus un gamin, je vais pas faire un scandale s'il a peint une femme nue.
— Je suis sûr que si vous apprenez avec votre père, vous deviendrez un grand artiste.
— Euh,
je peux vous poser une question indiscrète ?
Il est si fort que ça, mon père ?
Je devais absolument savoir.
Même si la question pouvait paraître incongrue venant de ma part...
À peine avais-je posé ma question
que mon interlocuteur
me tapa
sur les épaules
avec un
grand rire
narquois,
presque
pervers...
— Oh que oui,
je vous assure ! Il est formidable !
— Ah bon ?
Ah ben tant mieux, alors...
— Il ne met jamais de limite d'achats,
il met toujours du fan service,
il répond toujours à ses admirateurs,
il s'intéresse de près à tout, surtout aux NEES qu'il a su récupérer et analyser !
On n'enlève jamais les chaussettes !
Pareil pour les lunettes, et pareil pour les uniformes !
Et ça, il est l'un des rares à l'avoir compris !
Il y a toujours du monde pour faire la queue devant le stand, à chaque fois !
— Euh, mais alors,
ce qu'il peint, ce n'est pas pour accrocher au mur ?
— Non, mais ce n'est pas si grave !
Au début, tout le monde commence par être au milieu dans l'île !
Mais ensuite, on passe au coin de l'île,
puis on est placé au coin de l'île de l'artère principale, puis on monte les escaliers,
et là, on atteint les sommets, le mur, le mur d'Ariake !
Toi aussi,
entraîne-toi avec ton père, sortez une œuvre à quatre mains, alors vous serez au mur !
Je vous encouragerais de toutes mes forces !
Non mais c'est bon, pas la peine de me regarder comme ça, je suis une quiche en dessin...
Je ne comprenais pas trop ce qu'il racontait, mais le monde de la peinture semblait bien plus complexe qu'il n'y paraissait de prime abord.
C'était certainement beaucoup plus passionnant que je ne l'imaginais.
Par respect pour mon père, je décidai de ne pas chercher plus loin.
C'est alors que je remarquai ma mère m'appeler depuis l'autre bout de la salle.
— Keiichi,
téléphone pour toi.
C'est une amie.
Super, gros coup de bol !
Je pourrai m'en servir pour partir d'ici !
Je courus vers le vestibule et me saisis du combiné.
— Oui, allô ?
C'est moi.
— Allons bon,
ce ne sont pas des manières de se présenter au téléphone, mon cher !
Vous devriez en apprendre un peu plus sur les règles de bienséance !
C'est la fille qui parle le plus bizarrement de toute la région qui vient me faire des reproches ? Ce qu'il faut pas entendre, vraiment...
— Ah, Satoko ?
C'est rare de t'avoir au téléphone, tu n'appelles jamais, d'habitude !
— Cessez donc les amabilités, nous n'avons pas le temps !
Quand au juste vous déciderez-vous à venir ?
— Ah, ouais, désolé.
Ça dure plus longtemps que prévu, en fait,
et mes parents ne me lâchent pas...
J'aimerais venir le plus vite possible pour le club, tu sais...
— Mais enfin, vous n'y êtes pas du tout mon cher !
Pas question de club aujourd'hui,
c'est la guerre, ici !
Il y avait quelque chose d'anormal dans sa voix.
Elle était tendue, très stressée...
— La guerre ?
Ouh là, mais il fallait le dire !
Il se passe quoi, là ?
— Je n'ai pas le temps de vous le décrire en long, en large et en travers !
Nous sommes en danger !
Nous allons perdre !
Mais qu'est-ce qu'il se passe au juste ?
Ne me dites pas que... C'est pas une baston, quand même ?
Je sais pas qui a osé, mais on ne cherche pas les ennuis impunément aux enfants de Hinamizawa !
— OK,
compris !
J'arrive en renfort !
C'est où ?
— Nous sommes sur le terrain de sport de l'école primaire à Okinomiya !
Allez à la gare, ensuite le chemin est indiqué par de nombreuses pancartes.
Mais faites très vite !
Sur le terrain de l'école...
Mais alors, ils sont nombreux à s'affronter ?
Ça doit fritter de partout !
Mais qui a osé ?
Ils vont voir de quel bois je me chauffe !
— D'accord,
j'arrive tout de suite !
Tu veux que je prenne quelque chose ?
Une batte, peut-être ?
— Vous avez une batte en métal ?
Superbe, cela nous sera très utile !
Ramenez-la !
Je raccrochai immédiatement.
Et maintenant, il fallait foncer !
— Ah, Keiichi,
je te cherchais justement.
Voici M. Deguchi, il voudrait absolument que...
— Écoute,
t'as pas une batte ?
Une batte en métal !
Ou bien sinon, je sais pas, un truc assez long, peu importe !
— Euh... je dois avoir un club de golf, si ça peut faire l'affaire.
Y a déjà moins d'impact, mais tant pis, ça fera quand même une arme potable !
Et puis c'est moins lourd, ce sera peut-être plus facile à manier !
— Super, merci !
J'te l'emprunte.
Écoute, j'suis désolé, mais mes amis ont besoin de moi, il faut que je file,
allez, ciao !
— Qu-- Keiichi !
Attends, reviens ici !
Je pris le club de golf, puis mon vélo, et traçai ma route vers Okinomiya.
Tiens bon, Satoko !
J'arrive tout de suite !
Tiens le coup !
À dire vrai, je ne savais pas trop où était l'école à Okinomiya.
Satoko m'avait fait comprendre que c'était urgent et je n'avais pas eu l'occasion de lui demander le chemin exact...
Elle a dit quoi encore ? Que c'était indiqué depuis la gare, non ?
Alors que j'essayais de m'en souvenir, j'entendis une sonnette de vélo m'interpeler derrière moi.
— Bonjour, bonjour.
— Ah,
Rika !
...Hah! Hah!
— ... Eh bien, vous avez fait vite, à ce que je vois.
Pied au plancher.
Raaaah !
C'est pas le moment !
On n'a pas le temps !
— Désolé !
C'est où alors, l'école ?
— Je vais vous y conduire.
Suivez-moi.
Rika se mit en selle,
et je la suivis.
— Satoko m'a appelé, mais j'ai pas trop compris, qu'est-ce qu'il se passe au juste ?
— ... Nous étions en position de force au début.
Mais entre-temps, ils ont eu du renfort.
C'est de la triche.
Des renforts ??
Quand ils ont vu qu'ils ne faisaient pas le poids, ils ont décidé de vaincre par le nombre, les salopards !
— Il nous a tous eus les uns après les autres.
Nous n'avons pas fait le poids.
Je déglutis.
Il devait être sacrément fort...
— Bon, écoute, tu m'en diras plus par la suite !
On n'a pas le temps,
alors dépêchons-nous !
— Comme vous voudrez.
Je la suivis vers le terrain de sport de l'école, à toute allure.
Sur la route, Rika m'expliqua que tous les membres du club étaient déjà sur place.
Mais alors, c'était de ça que Mion voulait nous parler ce matin ?
Si j'avais su, j'aurais laissé mes parents se démerder tous seuls !
... Trop tard maintenant...
D'après ce qu'elle m'en dit, nous avions été en meilleure position au départ, jusqu'à ce que le camp adverse ramène un balèze.
Chacun des membres du club avait essayé, mais aucun n'avait fait le poids !
— Quoi, vous n'avez pas réussi à le mater, toutes ensemble ?
La vache, mais ça doit être un veau, ce type !
— Oh, il est impressionnant, en effet.
C'est un vrai de vrai.
Un vrai de vrai...
Il ne se bat pas comme un blaireau de la rue, mais utilise probablement un véritable art de combat, du karaté peut-être...
— Honnêtement, vous êtes notre seul espoir, Keiichi.
L'école fut enfin en vue.
J'entendais des clameurs depuis leur terrain de sport !
— Oooooooééééh !
Mion !
Rena !
Satoko !
J'arrive !
Je vais tous les buter !
Il y avait plein de vélos laissés à terre un peu n'importe comment dans la cour de l'école.
Je jetai le mien dans un coin.
Je devinais qu'il devait y avoir pas mal de monde sur le terrain.
Mais alors, deux armées sont face à face ?
Je serrai mon club de golf très fort dans les mains.
Je fendis l'air en attaquant dans le vide.
Il me tenait bien en main et était facile à manipuler.
Parfait !
Avec ça, ils vont prendre une bonne raclée...
Je me dirigeai d'un pas rapide vers le terrain.
— Amène-toi, Rika !
Je vais te montrer ce que ça donne quand je m'énerve !
— Super !
Keiichi, on peut vraiment compter sur toi.
J'espère que tu vas t'en donner à cœur joie avec ton club de golf.
Rika m'applaudit lentement.
Fort de ses encouragement, j'étais prêt à livrer bataille jusqu'à la mort !
— ... J'ai juste une question, Keiichi.
Pourquoi un club de golf ?
— Pas eu le choix !
Je pensais prendre une batte de base-ball, mais finalement, il se trouve qu'on n'en a pas à la maison.
Je me suis dit que ce serait mieux que de venir les mains vides !
— Oh, mais c'est très bien pensé de votre part.
Je vais vous caresser la tête, tiens.
Vous ferez sûrement un malheur avec votre club de golf.
Malgré l'heure si grave et la situation si urgente, Rika se mit sur la pointe des pieds pour me caresser la tête.
— Eh,
c'est pas le moment de rigoler, Rika !
... Mais... ?
Crrrrrrraaaaaackkkkk!!
On entendit soudain un grand bruit métallique, puis la clameur d'une foule en délire.
— Droite !
Aaaah, il l'a passé !
— Cours, mais cours !
Va en deuxième base, allez, allez !
— Milieu !
Calme-toi, pas de panique,
envoie en troisième base !
Le joueur du milieu de terrain ramassa la balle, s'arrêta une seconde pour bien la prendre en main, puis l'envoya au défenseur en troisième base.
S'il avait lancé à la va-vite, le coureur aurait pu aller jusqu'en troisième base.
Il valait mieux le laisser aller tranquillos en deuxième base et lancer en troisième, pour être sûr de lui couper la route.
Les ordres de leur entraîneur n'étaient pas idiots...
… Hein ?...
— Ah, le voilà, il est là !
Satoko ! Keiichi est arrivé !
— Vous êtes en retard, et pas qu'un peu !
Seriez-vous contre moi ? J'ai déjà largement suffisamment à faire avec nos adversaires !
— Dites, vous êtes sûres que ce garçon va réellement nous servir à quelque chose ?
Je vous rappelle que nous jouons contre Kameda le gaucher, le meilleur lanceur d'Ôshima !
Vous croyez sincèrement qu'il réussira à battre un lanceur qui est allé en finale de la ligue nationale ?
— Aucun souci,
Keiichi saura inverser la vapeur !
On peut vraiment compter sur lui, vous savez !
Un murmure parcourut l'assistance.
Comment ? Un batteur remplaçant capable de contrer Kameda, ce fusil humain ?
Il a passé les éliminatoires en lançant des matches parfaits, pourtant...
Il est déjà repéré et approché par des pros… Et vous dites que ce gamin peut le battre ?
— Allons, Keiichi ne fera qu'une bouchée de ce zouave !
Il renverra ses balles sans problème bien au delà du mur du fond !
Les murmures redoublèrent.
— Vous saviez qu'il y avait un joueur pareil par chez nous ?
— Mais c'est qui, ce mec ?
— Il a dû faire profil bas tout le long !
— Eh,
regarde, le mec des Hanshin s'est levé, c'est un signe qui ne trompe pas !
— Eh !
Prends le gamin en photo !
Il s'appelle Keiichi Maebara, regarde dans les bases de données et fais transmettre au club !
— C'est lequel d'entre vous, Maebara ?
C'est pour une photo !
Une meute de journaliste se dirigeait vers moi, menée par Satoko.
Complètement pris de court par cette situation improbable, je restai pétrifié, le club de golf encore en main...
— Keiichi, mon cher, par ici !
... Mais ?
Les photographes, derrière leur objectif, stoppèrent net en voyant le club dans mes mains.
Keiichi Maebara, remplaçant surdoué censé inverser la vapeur, était venu à un match de base-ball avec... un club de golf dans les mains.
La grande question était : Pourquoi ?
Moi non plus, à vrai dire, je n'en savais rien...
Il y eut un long silence, très gêné. Ce long moment de solitude ne fut troublé que par les grillons.
Finalement, Rena se lança.
— Euh... Keiichi ?
— Ouais, quoi ?
— Je peux te poser une question ?
Je t'en supplie,
Rena ne la pose pas...
Mon air de chien battu eut l'effet escompté,
et personne ne dit plus rien.
Tel Moïse, je fendis la mer des journalistes assemblés et la traversai dans un silence assourdissant.
Même si je parie que Moïse n'avait pas traversé les eaux en se faisant le plus petit possible...
— T'aurais pu le dire que c'était pour un match de base-ball !
— Comment ?
Ne vous l'aurais-je point dit ?
Mais enfin, je vous ai demandé de venir sur le terrain avec une batte de base-ball, voyons, cela me semble largement assez explicite !
À quoi pensiez-vous donc pour venir accoutré ainsi et muni d'un club de golf ?
— Oh, moi je sais, je sais !
Il savait que nous broyerions du noir, alors il a voulu nous faire rire pour nous remonter le moral !
... J'ai juste, hein ?
Merci Rena pour cette explication à deux balles qui ne fait absolument pas crédible mais qui essaie vraiment de toutes ses forces.
J'espérai juste que les autres seraient assez conciliants pour y croire...
S'il vous plaît.
— Allons donc, il aime le golf,
ce n'est pas grave.
Un grand sourire aux lèvres, Rika s'approcha de moi pour me caresser la tête.
J'écartai sa main, me plaçai derrière elle et la soulevai par les bretelles, comme un chaton.
— Miaou ?
— Rikaaaaa…
Pourquoi ne m'as-tu rien dit tout à l'heure, lorsque tu m'as rencontré près de la gare ?
J'aurais évité de me prendre la honte !
— ...Nipah~☆.
Elle me fit un sourire pur et innocent, chaud et vigorifiant comme le soleil.
Aah, quel bonheur...
Quand elle sourit comme ça, comment voulez-vous lui en vouloir ?
OUI MAIS !
Si elle croit que je vais tout lui passer parce qu'elle me fait un joli sourire, elle me connaît mal !
— Et donc, voici ta punition.
Rena ? Elle est à toi.
— Miiii ?
Je tendis le bras et donnai Rika en l'état à Rena.
Et oui.
Sauf que celle-ci était déjà survoltée en regardant Rika faire ses si jolies simagrées !
— Ha, hauuuuuuuuuuu !
Elle est à moi, à moi !
Je pourrais la manger toute crue !
Hau~!!
Trop mimi~~!!
Rena tira la langue comme un caméléon et l'enroula autour de notre méchant chaton.
— Oooh mais qu'elle est mignonne !
Mais quel joli minou !
Hauuuuuuuuuu !
— Miiiiiiiiii ! Miiiiiii !
Rika ne pouvait plus s'échapper, écrasée contre Rena.
Leurs joues formaient un ammarrage symétrique.
En fait, c'était un peu comme si…
Rena essayait de faire rentrer la tête de Rika à travers sa joue...
— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais je suppose qu'elle l'a mérité...
— Oui,
j'ai mis le temps, mais j'ai fini par comprendre que Rika faisait seulement semblant d'être une gentille petite fille toute mignonne...
— Hau~~!!
Keiichi m'a donné l'autorisation !
Je te ramène à la maison !
— Miiiiiiii !
Miii !
Miiii~~~!!
Bon, laissons-les voir trois minutes, cela devrait suffire comme punition.
— Et alors ?
Cette fameuse urgence, c'était pour le match de base-ball ?
— Exact.
Désolée de vous avoir arraché à votre fête en famille.
Je suppose que je n'aurai pas dû…
mais j'ai pensé que la sécurité de vos amis était bien plus importante que cela.
J'étais du même avis qu'elle.
Et puis, c'était plus un repas d'affaires pour mon père qu'une vraie fête en famille.
Je devrais m'estimer heureux d'avoir été appelé ailleurs, en fait...
— Et donc, où est le danger ?
6 à 7…
Ah, nous perdons ?
Tiens...
Eh, mais c'est la dernière manche !
Et on a déjà deux joueurs sortis !
Mais alors, il est presque fini, ce match ?
— Si vous étiez arrivés plus tôt, nous n'en serions pas là !
Et je vous signale qu'il a été très difficile de ralentir le jeu jusqu'à ce vous vous décidassiez à venir !
— Oui, bon, d'accord, j'ai compris, je m'excuse...
Et donc ?
Je fais quoi, moi ?
Je remplace quelqu'un à la batte, je suppose ?
Pas de problème !
J'en n'ai pas l'air, mais j'allais assez souvent m'entraîner à la batte dans les centres !
Mon père y allait pour déstresser, et je l'accompagnais assez souvent.
Je devrais y arriver...
J'entendis alors un bruit formidable.
Le gant du receveur en tremblait encore.
La poussière soulevée par le choc indiquait clairement que c'était cette balle qui venait de faire un bruit pareil.
— Attends une seconde.
C'est quoi, cette balle super rapide, le lanceur a débloqué le mode dix étoiles ou quoi ?
— Ça surprend, hein ?
Eh ouais,
c'est un lanceur qui joue en ligue nationale, un vrai de vrai, qui va au Kôshien et tout.
T'as déjà entendu parler de Kameda le gaucher ?
— Non, jamais.
Eh, mais Mion,
c'est quoi ce déguisement ?
Mion était bandagée de partout !
Qu'est-ce que c'est que ce délire ?
— Ah, je crois qu'il va falloir t'expliquer depuis le début.
— Ah, t'es là, toi ? T'as déjà fini avec Rika ?
— Oui.
Oh, c'était vraiment bon.
Sa peau était si douce, si sucrée, si parfumée☆!
Hau~~ Mes aïeux, j'en ai eu pour trois bols de riz♪!
— Miiii... elle m'a souillée, je ne pourrais plus jamais me donner à un autre...
Trois quoi ? Si c'est un euphémisme pour ce que je pense, ces joues doivent être vraiment spéciales…
Ma raison parvint à enrayer mon imagination dévorante, mais seulement au prix de grands efforts.
Finalement, je suis déjà adulte, en fait.
— Bon bref, explique-moi le souci, alors.
Pourquoi un mec du Kôshien vient-il jouer dans une petite équipe amateur ?
Elles se regardèrent entre elles.
Puis Rena prit la parole au nom de tous.
— Eh bien,
au départ,
ce n'était qu'un petit match entre deux petites équipes, justement.
— Les Fighters de Hinamizawa et les Titans d'Okinomiya jouent souvent l'une contre l'autre.
Elles sont un peu rivales, et aujourd'hui eh bien le match est un peu plus remuant qu'à l'ordinaire.
— Pour faire simple, c'est une bataille entre écoles.
C'est une rencontre fatidique entre Hinamizawa et Okinomiya !
— Oui enfin fatidique, n'exagérons rien.
— Et donc les membres de notre club de base-ball y participent ?
J'en vois en uniforme, mais d'autres sont habillés comme tous les jours.
En fait je savais même pas qu'on avait un club de base-ball à l'école, quoi.
— Ahahahahaha...
Oui... ce n'est pas un club très motivé, il faut dire.
— Aujourd'hui, par le plus grand des hasards, il leur manque quelques joueurs,
alors nous sommes intervenus.
Je vois.
Donc si des joueurs manquent à l'appel, n'importe qui peut les remplacer au pied levé.
C'est bien un truc spécifique à notre école, ça...
— D'après ce que Rika m'a dit, on gagnait au départ ?
— Mii est une batteuse hors-pair.
Elle nous a fait des circuits dans tous les sens.
Mion se redressa, toute fière.
À peine avait-elle bougé qu'elle fit une grimace de douleur.
— En effet !
À chaque fois qu'elle venait à la batte, elle faisait un circuit et tous les joueurs sur les bases pouvaient revenir au marbre !
— À la différence d'une certaine autre joueuse dont je tairai le nom, elle sait toucher la balle avec la batte, elle.
— Rikaaaa !
— Miiiiiiiiiiiiiiiii...
— OK, je crois que je vois la situation.
C'était une victoire facile jusqu'à ce que l'autre idiot arrive.
— Exact.
Tout allait comme sur des roulettes au début.
Nous ne marquions pas à tous les coups, mais il y avait souvent des joueurs qui arrivaient sur les bases avancées...
— Mais il se trouve qu'aujourd'hui, dans le public, par le plus grand des hasard, il y avait Kameda, le lanceur d'Ôshima.
L'école d'Ôshima était la fierté de notre préfecture, elle envoyait souvent son club de base-ball au Kôshien.
Et ce Kameda, leur lanceur, était soi-disant super balèze.
Ce qui explique la présence de journalistes dans le public pour un match aussi anodin...
— Il semblerait que Kameda ait fait partie des Titans d'Okinomiya quand il était gamin.
— Tu vois le topo ?
Son équipe d'autrefois est en train de prendre une pile, alors il entre comme remplaçant…
et depuis, c'est l'hécatombe.
Plus personne n'a réussi à aller en première base depuis, même pas par hasard... Même pas une petite fausse balle, rien !
— Mais même !
Vous admettrez qu'utiliser un remplaçant de ce calibre dans un match de débutants, c'est tricher !
Les jeunes joueurs des Fighters de Hinamizawa baissèrent les épaules...
Je connaissais de vue la plupart des joueurs.
En fait ils étaient tous dans ma classe.
... Ce qui est logique,
puisqu'il n'y a qu'une seule classe pour toute l'école. Au temps pour moi.
— Eh, salut Tomita, Okamura !
Je savais pas que vous étiez dans l'équipe de base-ball !
— Ma--ma--Maebara...
Leurs uniformes étaient neufs...
Je vis des gens en première place du public, avec des places spécialement à leurs noms.
Sûrement la famille. C'est leur premier match, alors ?
— Okamura a reçu sa batte aujourd'hui, exprès pour ce match, c'est un cadeau de son père.
Elle brillait encore comme un sou neuf.
En tant qu'homme, je savais qu'il voulait rendre son père fier de lui.
— Et il s'est beaucoup entraîné pour la rencontre d'aujourd'hui.
Regardez donc Tomita ! Il s'en est écorché les mains.
C'est vraiment révoltant...
J'eus mal rien qu'à regarder leurs mains, mais en même temps, cela m'indiqua leur état d'esprit.
Je vous comprends, les gars.
Vous vouliez faire bonne impression !
Encore une fois, un bruit sourd.
Le sauveur des Titans d'Okinomiya, Kameda le trucmuche, s'entraînait encore au lancer.
Effectivement, c'est pas rien.
Je comprends que les pros s'intéressent à lui.
Mais des lancers de ce niveau n'ont rien à faire dans un match comme le nôtre.
Et je suis sûr qu'il en est conscient.
— ... Et ce connard…
lance de toutes ses forces contre des gamins ?
— ... Oui.
Je ne trouve pas ça très malin, personnellement.
Son regard était dur.
C'était pas rien que de l'énerver.
Tomita et Okamura reniflaient... Ils avaient du mal à retenir leurs larmes.
Encore une fois, un bruit sourd se fit entendre.
Je me retournai et vis l'autre idiot nous regarder avec un grand sourire.
— Tu comprends ?
On doit faire quelque chose.
C'est la guerre !
— Ouais.
Il va falloir y aller franco !
— Exact.
Et donc, eh bien, nous y sommes allées franco.
Et le coup de Mion lui a explosé à la figure...
Mion se gratta la tête, gênée, puis, quelques secondes plus tard, se tordit de douleur.
— Explosé ? Attends, même au sens figuré, tu veux dire, elle s'est blessée toute seule ?
— Écoutez mon cher, nous n'avons pas le temps.
Disons que nous avons tout tenté et que pour l'instant, nous n'avons aucun résultat probant.
— Mgh…
Quand je pense à tout ce qu'on a fait, et on n'a même pas réussi à faire un point...
— Quand je pense que tu t'étais donné tellement de mal avec ton plan secret... pauvre petite !
Je ne voyais pas quel plan secret pouvait lui occasionner des blessures pareilles, mais connaissant Mion, ça n'avait sûrement pas été piqué des hannetons.
— En même temps…
c'est parce que tu as raté ton coup que le match est encore un match de “base-ball”, n'est-ce pas ?
— Ahahahahaha !
Oui,
je crois qu'on peut dire ça.
… Je crois.
— Bon, eh bien, nous n'avons plus le choix, je suppose ?
Il va falloir terminer cette affaire comme un vrai match de base-ball !
— Oui !
C'est une question de principe !
Ahahahahaha !
Un être normalement constitué se dirait :
« Bon, alors il faut attaquer de manière traditionnelle et efficace »
Sauf que j'étais un fier membre du club et que donc je n'y croyais pas.
— Si tu dis “comme un vrai match de base-ball”,
c'est que tu penses qu'il faut simplement que ça en ait l'air ?
Tant que les gens n'y voient que du feu, tout est permis ?
— Ahahahahahaha !
Eh bien, c'est un peu notre marque de fabrique, en même temps☆!
— C'est exact !
Tout est permis, c'est la règle la plus essentielle de nos activités, voyons ! Oooohhohhohhohho !
Rena et Satoko se regardaient en riant aux éclats.
Ce n'était pas une règle dont il fallait nécessairement être fier, mais au moins, nous n'étions jamais de simples tricheurs, c'était toujours ça...
— Sauf qu'avec toutes ces caméras, il ne sera pas facile d'en placer une.
Rika montra tous les journalistes agglutinés hors-champs.
Hmm, elle n'a pas tort.
Avec tous ces objectifs qui observent nos moindres faits et gestes,
ce ne serait pas facile de trafiquer le terrain.
— Oui,
c'est le plus gros problème.
On ne peut pas utiliser de truc trop osé.
Aïe, ouh làààà...
— Tu sais, Mii, ce que tu voulais faire n'était pas super discret non plus.
Satoko et Rika acquiescèrent furieusement.
— Revenons à nos moutons.
Donc, nous perdons d'un point.
— De plus, c'est la dernière manche, et deux joueurs ont déjà été sortis.
— Si ma tactique avait marché, nous aurions les trois bases pleines, mais...
— Ne perdons pas de temps à nous remémorer des plans qui n'ont pas porté leurs fruits !
Il vaut mieux maintenant passer à autre chose !
C'était un peu dur, mais c'était le meilleur moyen pour remonter le moral de Mion.
Apparemment, Satoko avait un plan...
— Dis-voir, Satoko, je te trouve bien remontée.
Tu as déjà arrêté un autre plan, je suppose ?
— Keiichi,
tu ne sais donc pas à qui tu parles ?
C'est Satoko devant toi,
Satoko Hôjô !
Oui...
Après tout, on la surnomme l'experte en pièges, ce n'est pas pour rien !
Elle fait tomber ses ennemis au tout dernier moment.
Nous savions tous qu'il ne fallait jamais, jamais, JAMAIS baisser sa garde contre elle !
— Je sais que c'est moi qui lui ai tout appris, mais elle a dépassé toutes mes espérances.
Pour ce qui est de vaincre d'un poil, elle est même parfois meilleure que moi.
— ... Au fait, le prochain batteur, c'est Mion, et ensuite c'est à Satoko.
À ce stade du jeu, si le prochain batteur arrive sur une base,
l'attaque du joueur après lui peut nous faire obtenir la victoire.
Mais pourquoi avoir choisi Satoko comme tout dernier joueur ?
— Héhéhé…
Hmmm, alors ?
On a des chances de gagner, du coup, non ?
— Je sais pas ce qu'elle a l'intention de faire, mais il y a anguille sous roche.
Si j'étais lanceur, je ferais exprès 4 faux lancers contre elle.
Je ne pensais pas qu'elle pourrait tirer un coup du circuit.
Mais honnêtement, je me doutais bien que sa présence parmi les batteurs n'était pas un hasard !
— Et puisque c'est Satoko qui m'a demandé de venir en urgence...
Je vois, je vois.
Ouais, je vois où elle veut en venir...
J'ai un rôle à jouer dans le piège qu'elle veut tendre !
— J'en suis toute excitée !
J'ai hâte de voir ce qu'elle a en réserve.
— ... Moi aussi, je suis impatiente de la voir faire un circuit gagnant.
— Mais pour ça, il va nous falloir ton aide, p'tit gars.
T'as compris ?
C'est notre dernière chance d'inverser la vapeur,
alors nous n'avons pas le droit à l'erreur !
— Ouais !
T'inquiète, va.
Admire !
Satoko et moi, on va vous montrer !
— En ce cas, mon cher, venez par ici,
que je vous explique ce que j'attends de vous.
Satoko et moi allâmes dans un coin à l'ombre, et commençâmes à faire des messes basses. Cela nous rendait très louches…
— De quoi ils peuvent bien parler, tous les deux ?
— J'espère juste que leur plan va pas se retourner contre eux...
Les autres membres de l'équipe n'avaient pas l'air d'être rassurés.
Mais Rena leur fit un grand sourire pour les remettre en confiance.
— Ne vous inquiétez pas.
Si Satoko et Keiichi travaillent ensemble, rien ne pourra les arrêter !
— Mais enfin, Rena, ils ont un vrai lanceur de la ligue en face !
Même avec un piège, je ne vois pas...
— Héhhéhhé...
Allons, allons, regardez, observez, et prenez-en de la graine.
Le match va être très intéressant...
Héhhéhhé…
Mion savait tout ce qu'il allait se passer et devait se forcer à ne pas rire.
Ce qui était très agréable à voir en tant que membre de son équipe, mais qui devait sûrement paraître malsain vu depuis les rangs de l'équipe adverse...
Mion fit signe à l'arbitre.
— Un remplaçant !
À la place de Mion Sonozaki, inscrivez Keiichi Maebara.
— Vous êtes sûres que vous voulez le faire jouer lui ?
L'arbitre avait encore en mémoire mon entrée fracassante et à côté de la plaque. Son regard n'était pas rassuré.
— Hmmmm,
vous ne devriez pas le sous-estimer !
Les autres membres de notre club eurent tous un sourire narquois.
Le plan d'attaque de Satoko était très simpliste, mais compliqué à mettre en place.
Et d'après toutes les situations requises, je me mis à penser qu'en fait, tout avait déjà été calculé à l'avance.
Elle avait prévu le petit point de différence.
Elle avait su que je viendrais en retard.
Et elle avait prévu qu'elle serait la dernière à prendre la batte.
En fait, elle avait probablement tout agencé et manigancé.
Je parie même qu'elle savait qu'il y aurait une longue pause lorsque j'arriverais.
Et que Kameda en profiterait pour aller aux toilettes.
En fait,
il est même possible qu'elle ait adapté ses actes en temps réel pour que tous les événements se goupillent correctement.
Et une fois que l'ennemi était aux toilettes, dans un territoire éloigné et isolé... l'attaque pouvait commencer.
Ainsi, le lanceur adverse, Kameda,
se trouvait là.
Debout devant un urinoir, il soulageait sa vessie comme si de rien n'était.
Pour lui, je suppose que gagner ce petit match était une évidence,
et qu'il tentait de nous le faire comprendre en prenant son temps au petit coin.
Sauf que cette arrogance fera ta perte.
Tu ne le sais pas encore,
mais tu es déjà sous notre contrôle !
J'entrai dans les toilettes, l'air de rien.
Il y avait trois urinoirs.
Kameda se tenait debout devant celui du fond.
Je m'installai juste à côté de lui.
Normalement, dans cette situation, le nouveau venu laisse un urinoir d'espace.
Mais en me plaçant délibérément juste à côté de lui, je lui signifiai que je réclamais son attention.
— Tiens donc, mais c'est le fameux remplaçant de la dernière chance.
Héhéhé...
Il semblait se souvenir de moi comme étant l'idiot qui était arrivé ici avec un club de golf.
Mais cela ne me dérangeait pas.
Depuis le moment où je m'étais mis debout à côté de lui, il avait perdu.
Le match allait se finir par un retournement de situation à notre avantage.
Je n'avais plus qu'à dire ce que j'avais à dire, comme me l'avait expliqué Satoko.
Héhéhé...
C'est moi qui devrait rigoler !
— Vous croyez que Keiichi réussira ?
— Allons, cela devrait se dérouler sans problème.
S'il y met du sien, il gagnera les doigts dans le nez, si vous me passez l'expression !
Tomita et Okamura se regardèrent et posèrent prudemment une question.
— Euh... Est-ce que... Est-ce qu'il réussira à le contrer, vraiment ?
— Ahhahahahaha !
Ne me dites pas que vous n'avez toujours rien remarqué, alors que vous êtes en classe tous les jours avec lui ?
Il n'en a pas l'air, mais il a de quoi devenir l'un des maîtres de la société.
Qui sait, si on se met ensemble, on pourrait peut être bien conquérir le monde entier !
Héhéhé...
— Le monde entier ??
Les autres joueurs échangèrent des regards anxieux.
« Tu savais qu'il était si fort, toi ? »
« Mais déjà, c'est quoi sa force spéciale ? »
Kameda me regardait avec un air stupide. Il avait perdu la voix.
— ... Attends mec.
Je crois que j'ai mal compris,
tu peux répéter ?
J'eus un petit rire sardonique, puis je le regardai droit dans les yeux et répétai ma requête.
— Je ne le dirai pas trois fois.
Laisse-nous gagner.
C'était très direct.
Il n'y avait pas de menaces ou de coercition.
Je comprenais très bien qu'il eût du mal à saisir la portée de ce que je lui avais dit.
— Mais, t'es con ou quoi ?
Tu veux que je vous laisse gagner ?
Mais ça va pas la tête ?
— Je t'ai dit ce que je voulais.
J'attends une simple réponse :
oui
ou non ?
— J'ai même pas besoin d'y réfléchir, c'est tout vu !
Mais tu crois quoi ?
T'es sûr que ça va, la tête ?
Kameda était clairement dérouté.
Il ne voulait pas rester ici, cela se sentait.
Il tourna les talons, puis se dirigea d'un pas ferme vers la sortie.
— ... Kameda.
C'est quoi une victoire, pour toi ?
— C'est évident, non ?
C'est un but absolu, un guide vers les sommets !
C'est irremplaçable !
Je me mis à glousser, comme pour me moquer de sa réponse.
— Aaah la la...
c'est bien une réponse de sportif, ça.
La victoire est un absolu.
Quelque chose d'irremplaçable ?
Hahahaha !
— C'est pourtant l'évidence même !
Aucune menace et aucun prix ne sauraient être suffisamment grands pour me faire abandonner !
J'avais attendu qu'il dise ça.
Je fis trois tours et demi sur moi-même et tendis mon doigt...
jusque sur sa joue !
— Alors je suppose qu'il est de mon devoir de te poser la question :
si la victoire a une telle valeur à tes yeux...
quel prix serait à ta convenance pour t'acheter ?
— Mais qu'est-ce que tu racontes ?
Il n'existe rien au monde pour pouvoir m'acheter !
Héhéhé...
Ses paroles nient les accusations, mais ses pieds ne bougent plus.
Il s'est arrêté !
Il est en train d'attendre.
Il se fait des films et se demande bien ce que je veux lui proposer !
— Dans les revues de sport, j'ai lu une interview de toi où tu disais que tu aimais bien la fondue de viande et que tu n'aimais pas trop les choses sucrées.
Mais il me semble aussi savoir que c'est un mensonge.
— Co... Comment ?
— Eh bien... disons que tu ailles dans un restaurant où ils proposent le menu à volonté avec la fondue de viande.
Que ramèneras-tu sur tes assiettes en allant chercher le rab ?
De l'épaule ?
De l'échine ?
De la langue ?
Héhéhé...
Aucun des trois, il me semble.
Non, tu ne vas pas te resservir de viande.
Tu vas prendre des puddings, de la gelée aux fruits, des tartes et des gâteaux !
Le genre de petits trucs sucrés tous mignons, qui ressemblent un peu à des filles un peu coquettes, avec des fils, des lacets, des froufrous et des accessoires de mode un peu partout...
Tu ADORES les gâteaux comme ça !
Kameda devint tout pâle.
J'avais appris par les membres de notre club que là où il allait manger la fondue à volonté, il se bâfrait de tartes et gâteaux.
Et je savais aussi qu'il avait honte d'aimer les choses sucrées à son âge !
En même temps, le pauvre, il ne pouvait pas savoir que son restaurant préféré à Shishibone était tenu par les Sonozaki.
Note pour plus tard : faire très attention à ce que je fais la prochaine fois que je vais en famille au restaurant.
— Non, c'est pas vrai !
J'aime les gros morceaux de barbaque, ceux av--
— C'est pas vrai et tu le sais bien !
Tu aimes les gâteaux avec plusieurs couches de crèmes de toutes les couleurs, ceux qui sont faits avec grand soin, comme des poupées, comme des choses fragiles et fugaces !
À croire que dans l'assiette, ce ne sont pas des gâteaux que tu vois, mais de jeunes filles encore dans l'âge de l'innocence, habillées avec grand soin par leur mère poule, aux yeux transparents, respirant la pureté,
que toi, sale sportif plein d'acné qui crève la nique, tu t'empresses de souiller !
En les mordant, en les mâchant !
— Noooooooooooon, tais-toiiiiiiiiiiiiiiii !
— Si, et tu le sais bien !
Tu ne manges pas tes desserts, tu leur fais l'amour !
Tu les souilles,
leur fais les derniers outrages,
les suces de leur vie !
Tout ce que tu aimes, c'est te sentir fort en les salissant !
— Nnnooooooooooooooooooooooooonnnnn !
C'est pas vrai, je suis perdu !
Mon secret !
Les gens ont découvert mon secret !
Je ne peux plus vivre comme ça !
Seule la mort peut me sauver de la honte... c'est ma seule issue !
— Imbécile ! La vie est trop précieuse pour en disposer ainsi !
PAF !
Je lui mis une gifle monumentale qui résonna très fort et le fit tomber à terre.
Il s'affaissa, pleurant silencieusement, comme une femme battue.
— Aah…
Je sais bien... Je sais bien que je suis le seul au monde à penser des choses pareilles en mangeant mon dessert...
Je veux faire croire que je suis un sportif, mais en réalité, je suis pervers et anormal...
— Oui, c'est vrai.
Tu es un pervers ! Un déviant sexuel !
— Aaaaaaaaaaaaaaah !
Un second claquement retentit.
Mais cette fois-ci,
j'avais frappé du plat de la main sur ses épaules !
— Cesse de pleurnicher, Kameda !
Les jeunes garçons sont tous de sales pervers, mais ils ont le droit !
Il me regarda, abasourdi.
— Hein... Quoi ?
— Les hommes sont tous des pervers, depuis leur naissance !
Mais selon qu'ils acceptent leur condition d'animal lubrique ou pas, cela fait toute la différence du monde !
Tu n'as fait que suivre ton instinct !
Tu peux en être fier !
Tu peux marcher la tête haute !
Tu peux être fier de toi !
Au lieu de l'insulter, comme il s'y était attendu, je le portai aux nues. Kameda était clairement dérouté.
— Ouais !
Tu sais quoi ? Tu m'as convaincu !
J'ai toujours cru que les desserts, c'était juste le dernier truc manger à la fin du repas,
mais en fait non !
J'étais dans l'erreur !
Et c'est toi qui m'as ouvert les yeux !
Grâce à toi,
à partir de demain, mes desserts seront meilleurs, car j'en découvrirai d'autres aspects !
Tiens, par exemple...
Le gâteau à la fraise !
Kameda déglutit bruyamment.
— Aah, le gâteau à la fraise...
Et oui !
J'ai toujours pensé que c'était banal, bidon même, mais il a un côté très traditionnel... Il me fait penser à une servante des temps anciens, tu vois, un peu comme celles du Rokumeikan, l'ancienne ambassade japonaise au XIXe siècle !
Leurs jupes ne sont pas courtes, ce ne sont pas les aguicheuses de maintenant !
Je te parle de vraies servantes !
Nous n'avons rien pu mettre d'autre qu'une malheureuse fraise comme garniture, mais je vous en prie, faites-nous l'honneur d'y goûter !
Oui, ce côté si humble, si effacé ! Ah, je sens cette
PASSION dans mon cœur !
— La... La PASSION…….
— Et c'est justement parce qu'il n'y a qu'une seule fraise en garniture que la discrète décoration en crème rappelle un peu les rubans, les froufrous et autres broderies des blouses...
Et lorsque, tel un noble de bonne famille, l'on sépare délicatem-- Non, mieux !
Lorsque l'on aspire la fraise bruyamment comme un maître de maison lubrique et abjecte, on se sent si puissant !
Et même encore...
Pense à... pense au petit trou, à la cavité rose et humide qui se découvre lorsque la fraise a été mangée...
Lorsque tu passes ta langue dessus,
tu sais quel goût ça a ?
Tu le sais, hein☆?
— Le goût lorsqu'on lèche... l'entrée de la cavité ?
— Je sais pas pour toi, mais je peux plus me retenir !
En rentrant, je passe au Angel Mort et je m'enfile des gâteaux à la fraise jusqu'à satiété !
Éhhéhhéhhéhhéhhé... Toutes ces jolies filles apprêtées si joliment, uniquement pour moi !
Je les vois trembler dans l'assiette, ne sachant qui sera la prochaine à y passer, alors que je les déguste l'une devant les autres, comme pour leur montrer, pour les démoraliser, leur faire comprendre ce qui les attend !
Et à chaque fois, à peine repu de l'une, mon regard se promenant sur elle, relevant leur visage, une main sous leur menton, me demandant tout haut qui j'allais désormais hono-- euh manger...
Héhéhé...
(NdlR : Faites-moi plaisir, remplacez de vous-mêmes dans le texte les “petites filles” par des “gâteaux”, n'oubliez pas que c'est le thème de la conversation☆!
Keiichi présente juste les choses de manière un peu plus, disons... adaptée à son public.)
— ll faut les chérir…
J'ouvre la bouche… bien grande... et… glup…
Kameda ne faisait que répéter des bribes de cette description, fasciné, subjugué. Avez-vous jamais entendu un homme vous parler aussi passionnément des gâteaux à la fraise ?
Non, bien sûr que non !
En tout cas, je l'espère pour vous !
Kameda, quant à lui, semblait perdre de sa résolution !
— Kameda...
Pour la toute dernière fois :
laisse-nous gagner.
— … Hum…
M…
Mais... je peux pas...
— Alors tant pis.
Hors de ma vue !
Je le repoussai puis tournai les talons.
— Bon allez, j'y retourne et je perds ce match,
c'est pas important !
Par contre, après le match,
je passe à l'Angel Mort, et là... je crois que je vais me faire un menu à volonté avec les froufrous des poupées occidentales toutes fraîches...
Gnéhhéhhéhhé !
Oh, ce soir, je vais explorer tous leurs coins et recoins, c'est obligé !
À
volonté ?!!!
Oubliant qu'il était dans des toilettes, Kameda se jeta à terre, les deux mains au sol, prosterné devant moi.
— Je... je…
J'avais tort !
— Quoi, Kameda, qu'est-ce que tu veux ?
Si tu as quelque chose à me dire, alors dis-le haut et fort !
— C'est... la première fois de ma vie que je rencontre quelqu'un comme toi !
J'ai toujours cru que je n'étais pas normal... Je me suis toujours caché pour vivre ce vice !
— Mais qu'as-tu donc à hésiter, jeune padawan ?
Je t'ai pourtant dit à l'instant
qu'un homme avait le choix d'accepter sa condition ou non !
Marche la tête haute !
Allons,
donne-moi ta main !
Montre de toi-même ta grandeur d'âme !
Viens avec moi dans ce monde... Reconnais son existence une bonne fois pour toute !
— ...Uhh...... uuuuhhhhhhhhhhhhh!!!!
Il se mit à pleurer à chaudes larmes.
Puis me topa dans la main très fort !
À cet instant,
Kameda et moi échangions la poignée de main virile la plus formidable du monde.
Il était muet, secoué par les sanglots.
Elle dura longtemps, comme si elle tissait des liens très chauds et très forts entre nos deux âmes.
C'était presque comme si deux frères séparés pendant leur plus tendre enfance se retrouvaient après trente années de blocus.
C'est ici qu'est né l'homme légendaire qui allait devenir le seul homme à avoir été interdit de séjour à l'Angel Mort lors des jours de desserts à volonté.
Il racontera plus tard de lui-même qu'aujourd'hui aura été un jour fatidique pour lui.
Mais bon, ce n'est pas le propos, alors revenons au présent.
— Bon, allez, à plus tard.
Débrouille-toi pour bien respecter le scénario, d'accord ?
Je le laissai aussitôt derrière moi et m'apprêtai à repartir…
Mais Kameda m'interpela.
— Attends, s'il te plaît !
Je t'en prie, dis-moi ton nom !
— Qui, moi ?
!... Je m'appelle Keiichi Maebara,
ou plutôt non, hmmm...
Je n'aimais pas trop donner mon vrai nom.
Il me fallait un truc cool, un nom d'espion, un nom de code, quoi.
— Tu peux m'appeler
K.
— K ? À l'anglaise ?
Kéééé !
En fait, c'était peut-être pire que mon vrai nom...
Tentant de cacher ma gêne, je quittai les lieux le plus vite possible.
Par la suite, on m'apprendra que j'étais sorti tout fier et majestueux, en fait...
— Unité Keiichi, ici Satoko.
Donnez-moi l'alpha et l'oméga, à vous.
— Unité Satoko, ici Keiichi.
Les négociations furent un succès.
Les accords ont été scellés par des menus à volonté sur les desserts de l'Angel Mort.
Unité Mion, est-ce un problème ? À vous.
— Deux places pour des menus avec desserts à volonté, c'est compris.
Ça roule ma poule,
je vous mets ça de côté !
— Je serais curieuse de savoir comment il l'a convaincu.
— Oh, à mon avis, ils ont parlé des desserts en des termes très élogieux… À mon avis ! Hau !
Enfin, le match reprit.
J'entrai comme batteur à la place de Mion.
Mais déjà, le reste du match était écrit !
Un formidable bruit sourd retentit !
Une balle fulgurante, presque aussi rapide qu'une balle de revolver, m'avait frôlé le torse.
Les photographes prirent des photos, exultants.
Une balle superbe, comme d'habitude !
Cet été, il ira loin, je parie !
Regardez l'autre, il est droit comme un piquet !
Eh, Kameda est pas un peu bizarre ?
Il transpire un peu beaucoup, non ?
Je montai la batte sur mes épaules et me mis à ricaner.
— Eh ben alors, Kameda ?
T'es pas en forme aujourd'hui ou quoi ?
— ...
— Tu veux me faire rire ? Je ne vais pas m'abaisser à tirer dans une balle aussi lente, quand même !
— ... Espèce de...
Le gant du receveur fit un bruit formidable.
Cette balle aurait dû tromper le batteur. Extrêmement rapide, elle était partie sur le côté très tard.
Mais je n'avais pas bougé d'un cil.
J'étais en position, calme, impavide.
— Un lanceur vraiment rapide n'a pas besoin de faire de chichis, Kameda.
Ne me dis pas que les batteurs contre lesquels tu joues d'habitude tombent tous dans le panneau ?
À moins que si ?
Héhéhé…
— ... Saligaud...
Les journalistes et les spectateurs remarquèrent que quelque chose ne tournait pas rond.
Le lanceur du Kôshien... avait peur ?
Le tir suivant était encore une fois très rapide, mais peu précis, et fut déclaré balle.
Je quittai ma pose et me mis à rire.
— Eh ben alors, Kameda ?
Tu as tellement peur de tirer tout droit, au milieu ?
Ne me dis pas que tu vas m'accorder un but-sur-balles, quand même ?
— ... Merde...
Les murmures ne tarissaient plus dans la foule.
Les journalistes étaient en train de perdre leur latin.
— Mais…
Mais c'est quoi, ce gamin ?
Il sort d'où, ce Maebara ?
Regardez-le, il n'est pas impressionné le moins du monde !
— Oh, je parie qu'il a bien compris qu'il ne faisait pas le poids, c'est du théâtre, tout ça.
Il n'a pas l'air sérieux, Kameda ne peux pas perdre contre lui, voyons !
— Eh bien moi, je ne crois pas que ce soit du chiqué.
Les grands joueurs savent reconnaître ceux de leur acabit.
Et nous savons tous que Kameda est un très, très grand lanceur.
Ce qui veut dire que…
qu'il a compris ce que valait réellement ce batteur !
Mais alors, un homme qui avait l'air du métier enleva ses lunettes de soleil et se mit à plisser des yeux tout en m'observant...
— Quoi…
Non…
Vous n'êtes pas sérieux ?
Sans rire, vraiment ?
L'autre abruti qui est venu avec son club de golf serait un génie du base-ball ?
— Il n'a certainement plus vu d'intérêt au base-ball s'il n'avait personne à sa hauteur... ce qui explique qu'il soit passé au golf !
— Un joueur de base-ball hors-pair se met au golf...
Bonne accroche, mais ce serait une perte terrible pour la profession !
Il faut lui donner une raison de rester !
Réserve-moi la manchette du sport, on changera les gros titres !
Encore une fois, le gant du receveur résonna.
— Balle !
C'est la quatrième...
Mais qu'est-ce qu'il se passe...
Évidemment, tout ceci avait été orchestré par Satoko.
Kameda était un prétendant sérieux au titre, très en vue.
Il ne pouvait pas se permettre de perdre aussi facilement, il fallait quelque chose pour rendre le tout un peu plus crédible.
Satoko avait réussi à recréer une certaine tension, qui rendait ses erreurs plus excusables aux yeux du monde...
— ... Satoko,
c'est un peu exagéré, là, non ?
— Oooohhohhohhohho !
Allons, allons, continuez, mon cher !
Le futur du base-ball japonais repose sur vos épaules !
Mais je fais quoi, moi, si un pro vient réellement me voir pour m'embaucher ?
Il va forcément s'apercevoir de la supercherie !
Ah, mon visage ! Je dois toujours respirer la confiance en moi si je veux que ça marche !
— Balle !
But-sur-balle !
— T'as eu peur, Kameda ?
Sale trouillard, tu me déçois !
Kameda baissa la tête, (faisant semblant d'être) dépité.
(K, c'est bon comme ça ?)
(Ouais,
c'est super, Kameda !
Allez, au prochain, maintenant !
Terminons-en vite avec ce match, nous devons... tu-sais-quoi☆! Héhéhéhé...)
(Oh oui, oh oui☆! Menu à volonté, nous voilà !)
Kameda et moi échangeâmes des sourires méchants !
Je ne compris pas trop pourquoi, mais nous fûmes littéralement mitraillés par les flash des appareils photos.
Je suppose qu'ils ont cru que nous nous reconnaissions l'un et l'autre comme de grands rivaux.
Je courus à petites foulées en première base, tandis que les journalistes continuaient à m'abreuver de photos.
À peine arrivé là-bas, l'un d'entre eux s'approcha de moi pour m'interviewer.
— Maebara, c'est juste ?
Est-ce que tu penses régler tes comptes avec Kameda au Kôshien cette année ?
C'est pas vrai, cette histoire enfle, ça devient de pire en pire...
Autant lui dire tout de suite que je ne m'intéresse pas au base-ball...
— Au Kôshien ?
Mais non voyons, tout ce petit monde japonais autour de cette balle ne m'intéresse pas...
Désolé de vous décevoir, hein.
Ouah, vous avez entendu ?
Il compte entrer directement dans un grand club en Amérique !
Mais alors, ce serait une première historique pour le Japon !
Quoi ?
Euh, mais...
Mais pourquoi ils comprennent toujours dans la mauvaise direction ?
Raah, et puis zut, qu'ils se démerdent entre eux !
Je pris une pose bien macho pour la photo...
— Parfait !
Comme prévu, Kei est en première base !
— Maintenant... plus que Satoko !
Je me demande comment elle va s'y prendre !
Comment elle va s'y prendre ?!
— C'est évident, voyons,
un coup de circuit et nous aurons gagné !
Satoko prit la batte et la fit tournoyer dans tous les sens.
Je ne sais pas si c'est à cause du contraste avec moi, mais en tout cas, quelques journalistes rigolaient en douce.
— Il a pu atteindre une base, mais pas de chance, le suivant n'est pas à la hauteur...
— Ooh, d'accord, en fait Kameda a évité le danger potentiel.
Pour pouvoir arracher la victoire le plus facilement possible...
— Mais du coup, ça en dit long, pour que Kameda en ait tellement peur, il doit être très fort !
Ce Keiichi Maebara !
— Allons !
Mon cher Kameda, ne soyez pas timide !
— Hahahahaha…
Ne me prends pas pour un idiot, gamine !
Tu ne sais pas qui je suis ou quoi ?
K était...
Je veux dire, Maebara était un gros morceau, mais toi...
— Bah, la petite a raté tous ses tirs jusqu'à maintenant.
Même si Kameda lui fait une fleur, je ne la vois pas réussir un coup du circuit...
J'entendis les commentaires des autres journalistes. Satoko n'atteindrait pas la balle.
Mais alors...
Elle a été sortie en trois tirs à chaque fois, depuis le début du match ?
Le bruit sourd du gant du receveur retentit.
Et juste après le bruit, Satoko fit un swing avec la batte, ratant donc complètement le tir.
J'entendis un soupir de frustration déçue dans les rangs des supporters des Fighters.
Ce n'était pas étonnant outre mesure.
Satoko avait raté tous ses tirs.
Elle n'avait aucune chance de toucher la balle.
Il n'était donc pas particulièrement étonnant d'entendre Kameda lui parler ainsi :
— Ah, ma pauvre, à quoi bon lancer à pleine vitesse contre toi...
Allez, va, je te donne une chance.
La prochaine, je la lance plus bas et plus lentement.
Essaye au moins de toucher la balle, au moins une fois ! Tu pourras en parler à ta mère en rentrant à la maison ce soir, ça te fera un souvenir !
Bien sûr, nous nous étions mis d'accord sur ce qu'il lui dirait.
Il me regarda du coin de l'œil,
pour s'assurer qu'il avait bien fait ce qu'il fallait.
(Ouais.
C'était impeccable, très naturel aussi !
Tu es doué, petit filou !)
(Mais non voyons, K, c'est trop d'honneur. Héhéhéhé...)
Les journalistes nous regardèrent encore une fois et partirent encore une fois dans je ne sais quel délire.
(Mais dis-moi, K,
tu es sûr qu'elle touchera la balle ?)
(T'inquiète pas, lance la balle comme on t'a dit de le faire, et nous nous occuperons du reste !
T'en fais pas, je crois que je sais ce qu'elle va faire.)
Kameda se mit en position de tir.
— Allons, dépêchez-vous !
Mais lancez-moi une balle pas trop rapide, vous avez promis !
Je vous la renverrai pour un tour de circuit, vous allez voir !
Lorsque j'avais appris qu'elle avait raté tous ses tirs jusqu'à maintenant, j'avais su ce qu'elle comptait faire.
J'en étais désormais sûr et certain !
Comme il l'avait annoncé, Kameda lança une balle plutôt molle, comme lorsque l'on joue simplement à la balle.
Une personne normale l'aurait facilement, mais Satoko ? Elle avait tout raté !
Et c'est parce que Satoko voulait nous faire penser cela...
que les membres de notre club avaient su qu'il s'agissait d'un piège !
Eh oui.
Aujourd'hui, elle avait raté tous ses tirs juste pour préparer ce moment-là.
C'était pour préparer le terrain à Kameda,
pour lui donner une excuse de lancer moins fort.
Et là...
On entendit un bruit métallique claironnant !
Oh ! OUAHH !
Elle l'a eue !
C'est énnnnnnorme !
— Pas la peine de courir, je pense.
Ooooohhohhohhohho !
La balle décrivit un arc de cercle très haut dans le ciel, pour rester coincée sur le toit de l'école...
Les journalistes restèrent muets comme des carpes, stupéfiés par les événements.
Puis, quelques secondes plus tard...
les exclamations fusèrent !
Je m'étais douté de ce qu'elle comptait faire,
mais le coup avait été tellement beau que j'en restai un moment silencieux.
Satoko arriva tranquillement en première base.
— Eh bien, mon cher, que faites-vous donc ?
La deuxième base, c'est dans l'autre sens.
— Satoko... Tu es douée au base-ball ?
Satoko me fit un grand sourire qui découvrit l'une de ses dents, mais ne répondit pas.
Maintenant que j'y pense, elle y jouait parfois avec Tomita pendant la pause midi.
Mais donc si les autres venaient exprès la chercher, c'est qu'elle devait assurer un tant soit peu...
— Et tu as raté tous tes tirs avant ?
Même avant que Kameda soit là, non ?
Eh ben, tu en gardes toujours en réserve, je suppose...
— Allons, je m'égosille à vous le dire tous les jours !
Il ne faut placer qu'un seul piège,
cela suffit amplement, mais il faut qu'il fasse effet au tout dernier moment ! Ooohhohhohhohho !
Regardez-la moi, comme elle est classe !
En fait, elle avait simplement été trop paresseuse pour se donner le mal de jouer,
mais elle savait comment présenter les choses sous un bien meilleur angle !
Nous arrivâmes sur le marbre, et notre victoire fut enfin officiellement annoncée !
Les autres membres de l'équipes vinrent nous congratuler.
— Maebara !
Formidable, incroyable !
Je suis vraiment épaté, là !
Tomita et Okamura ne tarissaient plus d'éloges.
— Alors, Tomita, Okamura ?
Je vous avais dit que j'inverserais la vapeur, non ?
— Tu a été magnifique, Keiichi ! Joli travail !
— Mais non, voyons, c'est rien pour moi, ça...
Je topai sur ses mains avec un grand claquement sec.
— Bien joué à toi aussi, Satoko !
Joli dernier tir !
— Voyons, ma chère, vous ne savez donc pas qui suis-je ?
Oooohhohhohhohhohhohho !
Ahahaha, sacré elle, il faut s'en méfier !
Satoko Hôjô !
— Toi aussi tu étais super, p'tit gars !
Chapeau pour l'avoir embobiné !
— C'est notre tombeur aux lèvres magiques.
— Ahahahaha, Rika, je crois que les gens pourraient mal le prendre !
— Il n'empêche que je suis bien d'accord,
c'est quelque chose que vous êtes le seul à savoir faire, mon cher !
En tout cas, pour ma part, j'en serais bien incapable.
Vous devriez me donner quelques cours particuliers à ce sujet un de ces jours...
— Non, si tu savais faire la même chose, tu deviendrais trop dangereuse pour la société... J'ai même pas envie de l'imaginer, tiens.
Promets-moi que tu n'essaieras jamais !
L'arbitre annonça la fin du match, puis vint nous rejoindre.
— En tout cas, j'aurais jamais cru.
Je suis vraiment surpris de voir que vous avez gagné.
— Alors, je vous avais dit que Satoko pourrait la renvoyer, cette balle ?
Vous ne me croyez jamais, ça devient lassant, vous savez !
Le juge se gratta la nuque, un peu gêné, puis il s'excusa profusément envers Satoko pour avoir douté d'elle.
— Et alors, on vous avait dit que Keiichi était incroyable !
Il n'a pas son pareil pour nous sortir d'affaire au dernier moment.
— Ahaha, oui, quand il est arrivé avec son club de golf à la main, j'ai eu peur, mais bon...
Je dois bien avouer que j'ai fait de l'huile en regardant sa confrontation avec Kameda !
Ah oui, notre petite scène arrangée.
Je souris, un peu gêné.
Ils pensaient tous que nous avions eu un vrai affrontement, alors qu'en fait, pendant tout ce temps, nous avions des pensées scabreuses sur des desserts et autres cavités légèrement humides... ouh là, changeons de sujet, vite !
— Et maintenant, Chef, à nous !
J'espère que vous n'avez pas oublié votre promesse ?
— Euh, oui, enfin non, bien sûr... je suppose que je n'ai pas le choix...
Aaaah la la la, ahahaha...
— Ahahaha,
super, super !
Keiichi, demain, on fera un barbecue !
Rena frappa dans ses mains et toute l'équipe se mit à crier de joie.
Tomita et les autres étaient même en train de danser.
— Ben quoi, qu'est-ce que vous avez tous ?
C'est quoi, cette histoire de barbecue ?
Vous pourriez me le dire ?
— Ooohhohhohhohho !
Le Chef nous avait promis de nous offrir un barbecue avec de la viande de grande qualité si nous gagnions le match d'aujourd'hui !
Lorsque Kameda est apparu, nous avons eu peur de perdre, mais heureusement, vous êtes arrivé, mon cher !
Je commence à comprendre...
Oui, c'était un match qu'il ne fallait pas perdre, effectivement !
— Sacré Irie, il va devoir dépenser une fortune, pauvre petit...
— Oui, j'ai pas de chance sur le coup-là, mais une promesse est une promesse...
— Je vous préviens, nous sommes en pleine croissance,
alors nous mangerons sans vous faire de concession !
Aaaahhahahahahahaha !
Vous avez entendu, les enfants ?
Demain, vous devez vous faire péter la panse !
— OUAIIIIIS !
Les membres des Fighters de Hinamizawa jetèrent leurs casquettes en l'air, levant le poing et la voix dans l'air chaud de l'après-midi.
Rika caressait la tête de l'arbitre.
Il ne faisait pas trop le fier.
Je suppose que cette victoire allait lui coûter bonbon.
— Oui, c'est vraiment pas de chance.
Mais bon, tant pis, je vous l'avais promis, alors...
Je crois que je vais aller faire les courses, il va me falloir pas mal de viande, je suppose...
— Eh, Chef, n'oubliez pas, de la bonne viande, du bœuf de première qualité si possible !
Si vous ramenez trop de légumes, vous allez m'entendre !
— Oui, c'est bon...
L'arbitre laissa pencher sa tête bien en avant, comme s'il était dégoûté.
L'arbitre ?
Mais pourquoi tout le monde l'appelle “Chef” alors, c'est l'entraîneur ou quoi ?
Sur son uniforme d'arbitre, je remarquais le sigle des Fighters de Hinamizawa.
Mais alors, c'était vraiment l'entraîneur de l'équipe ?!
— C'était quoi ton nom déjà ? Maebara, c'est bien cela ?
Je peux t'appeler comme ça ?
— Euh, oui, oui.
— Si tu n'avais pas été en première base, nous n'aurions jamais pu gagner.
Tu es invité au barbecue de demain,
cela me ferait très plaisir.
D'ailleurs, tant que j'y suis, cela me ferait très plaisir que tu entres dans l'équipe, tout court.
Avec toi, nous pourrions aller loin dans le championnat de la préfecture !
— Ahahahaha...
Allons, Chef, laissez-le tranquille avec ça...
— Vous devriez commencer à vous faire du souci pour vos finances, vous savez ?
Oooohhohhohhohho !
C'était déjà un adulte comme il faut, mais il avait l'air très proche de nous.
Le Chef, hein ?
— Content de faire ta connaissance.
Je suis Kyôsuke Irie, l'entraîneur des Fighters de Hinamizawa.
Il me tendit la main.
Je la lui serrai dans un geste viril.
— Moi, c'est Maebara.
Content de vous connaître.
Mais l'entraîneur prit son autre main pour me caresser la mienne !
— Hmmmm, mais c'est que tu as des mains très douces...
Et un grain de peau très fin, mais c'est parfait, parfait...
Oooh, ta peau est vraiment trèèèèèès douce...
— Pardon ?
Non mais, eh, OH !
— Je vais devoir donner des ordres à mes domestiques personnelles pour qu'elles fassent aussi bien attention à leurs mains que tu le fais...
Sinon, je devrais les châtier, oh oui, les châtier comme il se doit... éhéhéhéhéhé☆!
— Vos domestiques ?
Mais de quoi vous parlez ?
— Haaaaa…
Si mes domestiques me massaient avec des mains aussi douces,
je crois que je ne tiendrais que quelques secondes…
Owiiiii☆!
Ses yeux roulèrent vers le haut... Il était dans son monde à lui, une sorte d'espace démoniaque parallèle, et passa en mode “super hanyaaan”.
... Mais qu'est-ce que c'est que ce type ?!
— Ahahahahaha !
Regardez-le, il est tout déboussolé !
— Le chef est un peu bizarre, un peu étrange, si tu veux,
mais il est très marrant !
Je voyais bien qu'il était un peu spécial, mais à mon avis, il était bien plus que “marrant” ou “étrange”.
Je ne sais pas si on va s'entendre lui et moi...
Dans mon for intérieur, j'y allais bon train de mes commentaires irrespectueux à son sujet, mais je n'en laissai rien paraître.
— Allons,
cessez ce cinéma, je vous prie !
Ce cher Keiichi est très embarrassé !
— Haaaa....
Il a les mains si douces...♪
L'entraîneur ne lâcha ma main qu'après avoir reçu sur la tête un triple combo de bassines en fer et être tombé dans les pommes...