Tiens ? Je connais ce plafond.

Cet oreiller aussi... cette couette aussi.

Mais alors... je suis dans ma chambre ?

D'habitude, c'est une pièce où je suis seul, aussi je me redressai brusquement lorsque je ressentis une autre présence tout près de moi.

Ce faisant, j'eus mal un peu partout.

Rena

— Tu es sûr que ça va ?

Tu devrais rester couché, tu sais...

Qu'est-ce que je fais ici ? Et pourquoi Rena est-elle ici aussi ?!

Son sourire... était le sourire qui ornait son visage d'habitude.

Je savais que je ne devais pas baisser ma garde...

Mais en la voyant, je me suis dit que c'était OK, que c'était la Rena normale...

Keiichi

— ... Qu'est-ce que je fais ici ?

Rena

— Tu ne t'en souviens pas ?

Keiichi

— J'ai perdu connaissance, et depuis... plus rien.

Mon corps était beaucoup plus engourdi que je ne le pensais.

Vu les efforts que j'avais faits, c'était peut-être normal, après tout. Je prenais le retour de bâton...

Je bougeai un peu mes jambes pour me réveiller, mais je restai quand même un peu la tête dans le coton.

Rena

— J'ai appelé un médecin au cas où.

Il ne devrait pas tarder à arriver.

Je crois que tu devrais vraiment rester couché.

Je ne suis pas grièvement blessé, je n'ai pas besoin de médecin.

Par contre, c'est assez rassurant de savoir que quelqu'un de neutre sera là dans pas longtemps.

Keiichi

— Et pourquoi je suis ici ?

J'étais pourtant près de l'ancien chantier...

Rena

— C'est ce que j'aimerais bien savoir.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Quand je suis arrivée, tu étais par terre, inconscient.

Keiichi

— C'est pour ça que je te pose la question.

Je me suis fait attaquer par deux types louches, et...

D'un seul coup, les souvenirs de ce qu'il s'était passé me revinrent en tête.

La peur se propagea à nouveau en moi et grâce à elle, je fus complètement réveillé.

Laissons de côté ces deux inconnus pour le moment.

Rena s'est occupée de moi... c'est pas normal.

Je croyais qu'elle essayait de me tuer ?

Mais alors, elle aurait eu amplement le temps et la possilité de le faire quand j'étais inconscient ?

Et pourtant, elle ne l'a pas fait. Elle a d'ailleurs fait exactement le contraire.

Keiichi

— Et tu as réussi à me porter jusque chez moi ? Je suis plutôt impressionné.

J'ai dû te paraître bien lourd.

Je regardai à nouveau son corps gracile. Je n'arrivais pas à comprendre comment elle m'avait porté sur une telle distance, qui plus est jusqu'à l'étage.

Elle n'était peut-être pas seule ?

Rena

— Keiichi, tu ne t'en souviens vraiment pas ?

Elle avait l'air vraiment étonnée.

Rena

— Je n'ai fait que te soutenir avec l'épaule.

Tu n'arrêtais pas de dire que tu n'avais pas besoin d'aide, que tu pourrais marcher jusque chez toi tout seul.

Tu ne t'en souviens vraiment pas du tout ?

Non, je ne me souviens pas de ça.

Je suis devenu inconscient, et puis plus rien.

Keiichi

— Et ces deux hommes, qu'est-ce qu'ils sont devenus ?

Rena

— Pardon ?

Keiichi

— Lorsque tu es arrivée, il y avait deux hommes à côté de moi, non ?

Rena

— Non, il n'y avait personne.

Je n'aime pas la manière dont elle affirme ça.

Ça me rappelle d'autres incidences qui ne m'avaient pas plu...

Je n'ai pas les nerfs pour continuer à la cuisiner.

Je pourrais probablement maîtriser Rena par la force maintenant, mais...

... si je fais ça, j'ai peur qu'elle se transforme de nouveau.

Je n'ai pas envie de lui faire une scène. Autant éviter de la faire redevenir méchante...

Et puis à bien y réfléchir, c'est probable.

Si ces deux hommes avaient été là, elle n'aurait eu aucune chance.

Si elle a pu me traîner jusque chez moi, c'est que ces deux hommes n'étaient plus là, c'est la seule explication.

Rena me souriait toujours.

Son regard était tendre et chaleureux.

Mais j'eus une drôle d'impression tout d'un coup,

qui me fit froid dans le dos.

J'aurais juré que son visage s'assombrissait...

qu'il se faisait plus dur.

Tant qu'elle est encore la gentille Rena... Il faut que j'en profite.

Il faut que j'appelle l'inspecteur Ôishi.

Je tentai de me lever, mais Rena m'en empêcha.

Il ne fallait pas me surmener.

Keiichi

— Oui, mais j'aimerais bien aller aux toilettes.

Rena

— Oh... Euh, oui... effectivement.

Elle ne dit plus rien.

Sortant de la chambre et laissant Rena derrière moi, je descendis rapidement au rez-de-chaussée et me dirigeai vers le téléphone.

Lorsque j'arrivai près de l'entrée, on sonna à la porte.

C'est sûrement le docteur.

C'est pas souvent que le malade va lui-même ouvrir la porte pour accueillir le docteur.

Mais je suis bien content qu'il soit là, cela me fera de la compagnie en attendant l'inspecteur.

Rassuré, j'ouvris nonchalament la porte d'entrée... et le regrettai aussitôt.

Keiichi

— M... Mion ?

Mion

— Tiens, ben, t'es debout, toi ?

On m'avait dit que tu t'étais évanoui, alors je suis venu voir ce que c'était, mais là...

Keiichi

— Comment tu sais que je me suis évanoui ?

Mion

— Rena m'a prévenue par téléphone.

Pourquoi, il me faut un mandat pour venir chez toi ?

Je comprenais très bien pourquoi Rena avait appelé un médecin, mais...

Pourquoi appeler Mion aussi ?

Dans mos dos, j'entendis Rena descendre lentement les escaliers.

Mion

— Dis-voir Rena, il m'a l'air en forme, non ?

Pfff, et dire que je me suis fait du souci pour lui, j'ai perdu mon temps...

Rena

— Oui,

moi aussi, apparemment.

Elles éclatèrent de rire.

Elles avaient l'air de rire de bon cœur... mais je ne pouvais m'empêcher de remarquer une ombre malicieuse sur leur visage.

Mion

— Ouh là, qu'est-ce qui lui est arrivé à votre boîte à chaussures,

elle a morflé dis-donc.

Elle était telle que je l'avais laissée hier.

Keiichi

— Ah, euh... Je suis tombé.

J'avais la batte en main, et en mettant les bras devant j'ai tapé avec la batte en plein dedans.

Mion

— Ça, c'est ce qui arrive quand on fait des choses qu'on n'a pas l'habitude de faire et qu'on a deux mains gauches.

Ouais, c'est bon, mêle-toi de tes affaires, ma grande.

Rena

— Tes parents vont avoir une mauvaise surprise en rentrant, on dirait.

Je rangerai ça avant de partir, d'accord ?

Mion

— Allez, mon p'tit Kei, hop hop hop.

Tu es gravement malade, alors va te coucher !

Allez allez, demi-tour droite, et au pieu !

Elles m'entraînèrent à l'étage.

Je n'aurai plus l'occasion d'appeler l'inspecteur.

Elles m'ont forcé dans mes draps.

Mion, toute curieuse de rentrer ici pour la première fois, se mit à regarder un peu partout.

Elle touchait aussi un peu à tout et se faisait régulièrement reprocher son comportement par Rena.

Ça me rendait un peu nerveux de la voir se prélasser dans ma chambre, mais la conversation était des plus banales, et très amusante.

Et au milieu de ces banalités, Mion prononça un mot qui lui semblait particulièrement évident.

Mion

— Et alors, Rena ?

Tu as appelé le Chef ?

Rena

— Oui.

Je l'ai appelé juste après t'avoir appelée.

Il a dit qu'il arrivait tout de suite.

Le chef ?

Ce mot n'était pas à sa place dans cette conversation.

Rena a passé un coup de téléphone pour appeler un médecin,

puis pour appeler Mion,

... puis pour appeler le chef ?

Mais c'est qui, le chef ?

Leur conversation était des plus paisibles et des plus normales, aussi l'impression de malaise était bien légère.

Keiichi

— Mais de quoi vous parlez, toutes les deux ?

C'est qui le chef ?

Mion

— Ahahaha, Kei, tu le connais pas ?

Le Chef, c'est le chef, quoi !

Rena

— Le chef de plateau. Le chef de régie.

Le chef de chantier.

Ahahahahahahaha !!

Dans mes souvenirs, je cherchai quel « chef » pourrait bien avoir un rapport avec moi.

Je n'en trouvai qu'un seul.

C'était celui que Rena avait mentionné le dernier...

le chef de chantier du barrage.

Celui qui avait été tué lors du premier meurtre.

Ça peut pas être ça...

Il est mort il y a des années.

Elle ne peut pas l'avoir appelé au téléphone.

Keiichi

— Oh, je comprends rien à ce que vous racontez, là.

C'est quoi le rapport entre ce fameux chef et moi ?

Keiichi

Tu as dis qu'il viendrait, mais... ici, chez moi ?

C'était des questions très connes, mais il fallait les poser.

Elles ne répondirent pas, se contentant simplement de sourire gentiment.

Il y avait une différence flagrante et anormale entre leur comportement et le mien.

Je commençai à paniquer et à m'énerver.

Je ne comprenais rien à leur charabia !

Mion

— Mon p'tit gars, t'es à fond dans le base-ball en ce moment, non ?

Le Chef sera fou de joie quand il entendra ça.

Keiichi

— Mais c'est qui, ce chef ?

Rena

— Ahahaha ! Le chef, c'est le chef, voyons !

Ahahahahahaha !

Keiichi

— Mais c'est QUI, ce chef, bordel ?

魅音

— Ahahahahahahahahahahahahahaha !

Elles se regardèrent et cela les fit éclater de rire.

Ces éclats de rire me rendaient dingue... c'était vraiment horripilant.

魅音

— Ahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha

Elles rirent un bon moment, mais elles s'arrêtèrent abruptement.

Mion

— Au fait,

il faut qu'on l'ait fait avant que le chef ne soit là.

Kei, tu t'en souviens j'espère ?

Mion était encore souriante, mais ses yeux étaient extrêmement sérieux.

Keiichi

— Me souvenir ? Me souvenir de quoi ?

Rena

— Ahahahahaha, mais enfin Keiichi, tu as déjà oublié ?

On parle du gage !

Tu sais, le gage, quoi !

Rena

Tu as déjà oublié ?

Tu n'as pas fait tes devoirs le jour où nous t'avions apporté des gâteaux.

Ceux où tu devais deviner lesquels avaient été cuisinés par Rena ?

... T'as oublié, n'est ce pas ?

Oui, c'est vrai, elles m'avaient donné ce genre de devoirs.

Mais je les ai tous jetés après avoir découvert l'aiguille dans l'un d'eux.

C'est pourquoi je n'avais pas répondu à leur question.

Alors elles veulent me donner le gage pour ça ?

Mais pourquoi maintenant ?

魅音

— Ahahahahahahahahahahahahahahahahaha !

Les questions qui me traversaient l'esprit pouvaient se lire sur mon visage, c'était clair.

Et la seule réponse qu'elles voulaient bien me donner, c'était ce rire pétant.

Je n'y comprenais vraiment plus rien.

Aujourd'hui, depuis que je me suis levé ce matin, tout part en vrille.

C'est pas normal.

Je comprends pas.

Rena m'a poursuivi,

et puis je me suis fait attaquer par deux inconnus,

et maintenant Mion et Rena veulent me donner un gage.

魅音

— Ahahahahahahahahahahahahahahahahaha !

Mais enfin... qu'est-ce qu'il y a de si drôle ??

Je mis peu de temps à me rendre compte qu'un changement décisif s'était sans doute opéré pendant que je faisais pas attention.

Qui sont réellement ces filles, au juste ?

Qui sont elles..?

Comment ont-elles pu prendre la place des vraies Mion et Rena ?

Je me rendis soudain compte que Rena se tenait derrière moi.

Avant que j'aie eu le temps de me demander comment elle avait fait pour se placer ici, elle me bloqua les bras en me chopant les aisselles.

Keiichi

— Hé ! C'est quoi le délire, là ?

Rena

— Ne bouge pas, d'accord ?

C'est le gage.

Ahahahahahahahahahaha !

Je sais que je n'étais pas trop en forme en ce moment, mais là, elle avait mis le paquet pour m'immobiliser.

Je me suis mis à me débattre pour de vrai, sans faire de chichis... mais je ne réussis pas à me bouger d'un poil.

Cédant peu à peu à la panique, je compris qu'elles avaient fini de jouer.

La Rena que je connais n'a pas ce genre de force physique !

Mais alors... c'est qui au juste, la fille derrière moi ?

Mion

— Allons, Kei, faut pas te révolter comme ça...

Article... euh... je-ne-sais-pas-combien du règlement.

Le perdant n'a pas le droit de se débattre pour ne pas subir le gage !

Mion... enfin, en tout cas la fille qui avait pris la place de la vraie Mion, me parla comme son double le ferait.

Seulement, moi, je suis sûr et certain que ce n'est pas la vraie Mion.

C'est un leurre ! Un faux !

Mion

— Héhhéhhé...

Bon, allons-y gaiement avant que le Chef ne soit là...

Mion fouilla dans ses poches... et en sortit un objet bizarre.

Je voyais bien ce que c'était, mais mon cerveau refusait de comprendre pourquoi elle transportait cet objet dans sa poche.

Keiichi

— ... Mais...

c'est quoi...

ça ?

Elle tenait en main...

...

une petite...

seringue.

C'était le genre de seringues transparentes avec lesquelles les médecins me faisaient des piqûres contre la fièvre quand j'étais gamin.

Rena me serrait de plus en plus fort.

Puis elle se mit à rire copieusement dans mon oreille, même si honnêtement le son que cela faisait ne ressemblait pas du tout à un rire.

Ce rire était... trop malsain pour provenir de la vraie Rena.

Mais alors... c'est ça, la vraie voix de cet imposteur ?

Je ne pouvais plus me débattre... et Mion s'approchait.. la seringue à la main, prête à l'emploi.

Elle la fit passer plusieurs fois devant mon nez, pour que je puisse l'admirer sous toutes les coutures.

Mion

— Mais ne t'inquiète pas, va,

ça fera pas mal...

Héhhéhhéhhéhhé !

Keiichi

— Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu vas me faire ?

Qu'est-ce que c'est que ce cinéma ?

Mion

— Franchement, p'tit gars, tu racontes n'imp'.

Tu sais très bien ce que je vais faire, non ?

Keiichi

— Non, pas du tout !

J'y comprends rien à ce que vous me faites comme délire, là !

Mion

— Mais si, tu sais...

Tu vas pas faire ton innocent maintenant, quand même ?

Keiichi

— Arrête de tourner autour du pot et dis-moi ce que tu vas me faire, bordel de merde !

Mion

— ... ... Il va t'arriver la même chose qu'à Tomitake.

Keiichi

— Hein...? HEIN ???

La même chose... qu'à Tomitake ?

Ça veut dire quoi au juste, ça ?

Où est le rapport avec... avec cette seringue ?

Rena

— Eh bien alors Keiichi, qu'est-ce qu'il se passe, tu es devenu sénile ou quoi ?

Tu dois quand même t'en douter un peu, depuis le temps, non ?

Rena approcha sa tête près de mon cou et se mit à me susurrer dans l'oreille.

La situation était sulfureuse, mais j'étais effrayé par ce que laissait entendre ce ton.

Sénile ?

Moi ?

Mais enfin, comment ça ?!

Elles me réservent... le même sort que Tomitake ?

Ôishi

— Au début, on pensait qu'il avait été renversé par un chauffard et que celui-ci avait pris la fuite.

Ôishi

Mais l'officier qui s'est approché pour voir s'il était conscient a tout de suite vu que quelque chose clochait.

Comment dire... Eh bien, en fait, il avait la gorge tranchée.

Keiichi

— Vous voulez dire, il a été égorgé avec un couteau ?

Ôishi

— Non...

Avec des ongles.

Des ongles ???

Mais comment on égorge quelqu'un avec les ongles ??

Il faut gratter, il faut arracher la carotide, c'est un truc de dingue !

Mais oui...

M. Tomitake est mort en se tranchant la carotide avec ses propres ongles...

Mais c'est pas une mort normale !

C'est inimaginable comme truc, la seule façon pour provoquer une mort pareille, ce serait...

Ôishi

— Je pensais que cela était dû à une drogue ou à un poison, mais l'autopsie n'a rien trouvé.

Oui, c'est vrai, ça.

La police a pratiqué une autopsie, et n'a trouvé aucune trace d'une quelconque drogue ou d'un médicament suspect. Non ??

Keiichi

— La police... a dit que lors de l'autopsie du corps de M. Tomitake... ils n'avaient pas trouvé de traces de drogue !

AHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !!!

Elles furent toutes deux prises d'un immense fou rire.

En même temps, c'était un peu normal.

Ce n'est pas parce que la police n'avait rien trouvé que le produit en question n'existait pas !

Ce qui veut dire que... que le médicament qui a poussé Tomitake à se suicider d'une manière si invraisemblable existe vraiment ?

Et je vais malgré moi prouver son existence, dès que Mion me l'aura injecté...

Ce qui revient à dire... que je vais connaître la même fin.

Je vais devenir fou et je finirai par m'arracher la carotide moi-même... et je mourrai !

En ce moment précis, je n'avais plus besoin de douter.

Ni de l'existence de ce genre de produit,

ni du fait que Mion en possédait,

ni du fait qu'elle allait me l'injecter.

Quand un ballon de foot vous arrive droit sur la figure, vous ne vous mettez pas à penser aux raisons métapsychiques qui ont poussé le ballon vers vous, non ? Eh ben là, c'est pareil.

Mion

— Rho, écoute, grand, abandonne, tu veux ?

Allez, zou !

Mion se comportait comme si de rien n'était, c'était horrible.

Elle ne laissait rien transparaître de la gravité de l'acte. C'était quand même une exécution, mine de rien !

Et pourtant, elle ne montra aucune hésitation, comme si elle avait déjà fait ça des dizaines et des centaines de fois, tous les jours.

Elle allongea le bras et me chopa par le col de la chemise...

Je ressentis un choc à l'arrière de mon crâne, et la lumière ne fut plus.

Qu'est-ce qui se passe ? Vertige ? Évanouissement ?

Ou bien est-ce que quelqu'un m'a frappé ?

Je perdis l'équilibre et tombai dans les vapes...

Je me remis à genoux... et lorsque je repris pleinement mes esprits, ma chambre avait bien changé.

Les bourdonnements cessèrent de résonner dans ma tête... et le sang se remit à circuler normalement dans mes veines.

Combien de temps suis-je donc resté prostré à terre ?

Quelques minutes ?

Quelques dizaines de minutes ?

Je regardai mon horloge au mur. J'avais l'impression que les aiguilles n'avaient pas bougé.

Il ne s'est écoulé qu'un ou deux instants ? Vraiment ?

L'air de ma chambre n'était plus aussi lourd et oppressant que tout à l'heure... Il y régnait maintenant un calme plutôt sinistre.

Rena n'était plus en train de me maintenir en place, et Mion n'était plus devant moi, prête à m'injecter un truc dangereux avec une seringue.

Impossible...

Ne me dites pas que...

que tout ça...

je l'ai rêvé ?

Je ne ressentais aucune présence dans la pièce, à part la mienne...

C'était la première fois qu'il m'arrivait un truc pareil.

Mais enfin... je suis sûr que... Mion et Rena...

Je commençai à douter de ma santé mentale, mais en même temps, je retrouvai un peu de mon calme.

Héh... Je savais bien que ça ne pouvait pas être vrai... C'était juste une hallucination.

Elles ne me feraient jamais ça...

Mes yeux se mirent à me brûler.

Je sentis une émotion forte me remonter des entrailles.

Mais pourquoi ?

Cela ne m'étonnait pas de me mettre à pleurer.

Ce que je ne comprenais pas...

C'était pourquoi je ressentais une telle tristesse.

De toutes les émotions possibles, pourquoi la tristesse ?

Je ne comprends pas.

Non, je ne comprends pas...

Mion avait toujours été gentille avec moi.

Elle ne s'était jamais attardée aux détails. Pour elle, homme ou femme, jeune ou vieux, nous étions tous égaux dans l'amitié.

Cette même Mion gisait près de ma fenêtre, dans une position anormale.

Sa tête et le haut de son corps étaient couverts de sang brun.

Les éclaboussures rouges sur les murs alentours venaient sûrement d'elle.

Et Rena...

Elle qui m'avait toujours accueilli en souriant, elle qui avait été si gentille depuis le premier jour où nous nous étions rencontrés, le jour où j'ai emménagé ici...

Cette même Rena gisait dans une mare de sang.

...

Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?

Est-ce que quelqu'un est venu à ma rescousse ?

Est-ce que c'est lui qui a...?

Je remarquai soudain le poids anormal de mon bras droit.

Je tenais quelque chose en main.

C'était la batte en métal de Satoshi.

Elle était couverte de sang... Il ne faisait aucun doute que c'était l'arme avec laquelle elles avaient été tuées.

Manifestement, je tenais l'arme incontestée du crime en main.

Et j'étais seul dans la maison.

Keiichi

— Mais alors...

...

c'est moi ?

Si je regardais la situation objectivement, cela ne pouvait être que moi qui avait fait le coup.

Keiichi

— C'est moi... qui les ai tuées ?

OUI ! Bravo, c'est formidable !

Effectivement, Keiichi Maebara.

C'est bien toi le meurtrier.

Je me mis à me parler à moi-même.

Euh, dis-voir...

Pas la peine de me montrer des souvenirs de ce qu'il s'est passé, mais... je ne pense pas que j'aie à avoir des regrets ou des remords.

C'était elles ou moi.

Tu en es bien conscient ?

Keiichi

— Oui, mais...

ce sang !

Tout ce sang... c'est pas vrai...

Ni Rena, ni Mion ne bougeait.

Elles avaient plus qu'une petite blessure, ce n'était pas un mince filet de sang qui avait coulé.

Il y avait du sang qui avait giclé un peu partout. C'était la preuve que je les avais frappées encore et encore.

Keiichi

— Elles... Elles sont mortes ?

Toutes les deux ?

Au plus profond de moi, j'étais très calme, mais à la surface, j'avais les nerfs en pelote.

Calme-toi, Keiichi.

Où est passé ton calme légendaire ?

Allons, allons...

Penche ta tête en arrière et respire un grand coup.

Allez... ... ...

Une fois.

Deux fois.

Allez, respire.

...

Reste calme.

Reste zen...

À force de réciter ce mantra, je regagnai peu à peu mon sang-froid.

Enfin, ma vision redevint normale, et tous mes sens se remirent à fonctionner correctement.

Et enfin... j'eus le souvenir de ce qu'il s'était passé...

Rena et Mion m'avaient sauté dessus.

Elles avaient essayé de m'injecter un produit pour me faire subir “le même sort que Tomitake”.

Et juste avant qu'elles ne pussent le faire, j'avais contre-attaqué...

En me penchant violemment en avant, puis en arrière, j'avais fait valser Rena.

Puis j'avais frappé avec le talon dans le ventre de Mion, de toutes mes forces.

Son ventre était tout mou.

Comme Rena était revenue à la charge, je l'avais poussée d'un coup d'épaule contre le mur, violemment.

Toutes deux à terre, j'eus un bref moment de répit, que je ne laissai pas passer.

Je pris la batte de Satoshi, qui traînait sans surveillance dans un coin de la chambre...

... Et là, plus rien.

Tout était noir.

Comme si le magnétoscope en moi n'avait pas enregistré la suite...

Mais en fait... ce n'était pas tout à fait ça.

En fait, l'enregistrement était bel et bien là.

Sauf que... quelqu'un d'autre en moi avait décidé que ce programme n'était pas pour moi, et il avait éteint le téléviseur.

L'écran était devenu tout noir, parce qu'il avait été éteint, mais la bande vidéo continuait.

Le magnétoscope lisait la bande vidéo, mais l'écran ne me relayait plus les informations.

Et la bande continuait... et continuait.

Des scènes horribles se jouaient de l'autre côté du tube cathodique...

Mais même en comparant avec ces images qui m'étaient interdites...

... la scène sous mes yeux était difficile à accepter.

Les murs de ma chambre étaient mouchetés de traces de sang, et les filles gisaient toutes deux dans des positions grotesques.

Elles ne bougeaient plus.

Je n'arrivais pas à distinguer si elles respiraient encore...

Quelles qu'aient pu être mes raisons... je...

j'ai frappé des filles...

des amies.

D'ailleurs,

si ça se trouve...

je les ai même tuées.

Mais si je ne l'avais pas fait, ce sont elles qui m'auraient tué.

À bien peser le pour et le contre.... c'était un peu bizarre de s'en vouloir.

Oh bien sûr, ma réaction fut exagérée, mais à la base, cela reste de la légitime défense.

Eh oui ! Et j'ai même des preuves.

Il restait la seringue de Mion.

Je suppose que le médicament inconnu qui se trouve dedans permettra de décrypter les mystères qui entourent la mort de M. Tomitake.

Et puis, une analyse plus poussée des personnes dans l'entourage des filles devrait permettre de remonter jusqu'au commanditaire de ces meurtres.

Mais la justice va peut-être quand même me demander des comptes.

Bah, après tout, je suis prêt à leur en rendre, c'est de bonne guerre.

En tout cas, maintenant, la police va forcément devoir mettre son nez dans cette affaire.

Ça ne se passera pas comme cela s'est passé il y a quelques années, avec Rena.

Si la police peut s'occuper de cette affaire... elle devrait pouvoir la résoudre.

Elle s'intéressera alors sûrement encore une fois aux autres meurtres.

Ôishi réouvrira les enquêtes, et il fera toute la lumière sur les événements.

Ce qui veut dire que mes vœux seront exaucés.

Je ne veux pas mourir.

Je veux aussi savoir ce qui se passe dans ce village... et je risque de le découvrir bientôt.

Oui, bientôt, mes deux vœux seront exaucés.

Le médecin que Rena a appelé sera ici dans peu de temps.

Je lui dirai tout ce qu'il s'est passé.

Mais d'abord, il faut que je prévienne l'inspecteur...

C'est là que quelque chose me revint en mémoire.

Rena a appelé un médecin pour lui demander de venir, mais elle a aussi téléphoné à un certain « chef ».

D'après la conversation des filles, j'imagine bien qu'il est profondément impliqué dans les incidents des années précédentes.

Mais je n'avais pas le temps de contempler toutes les nouvelles subtilités que cela laissait présager.

Tout n'est pas encore fini.

Je ne suis pas en sécurité ici.

OK, reste calme, Keiichi.

C'est pas encore fini, alors ne relâche pas ta garde.

Tu dois absolument rester en vie jusqu'à ce que tu puisses tout raconter à la police !

À cet instant précis, je crus entendre des voix dehors.

Des gens parlaient entre eux, donc ils étaient au moins deux.

Je risquai un œil dehors en bougeant imperceptiblement les rideaux.

Je fus très surpris par ce que je vis.

Il y avait quatre ou cinq hommes devant la grille de l'entrée.

D'après leurs vêtements et leur comportement, je supposai qu'ils étaient complices des deux hommes qui m'avaient attaqué tout à l'heure.

D'ailleurs, ceux-là étaient peut-être parmi eux.

L'un d'entre eux portait une blouse blanche.

Mais il ne ressemblait pas à un médecin.

Je sus instantanément que c'était un déguisement.

Je parie que c'est lui qui devra m'attirer vers la porte d'entrée.

Il viendra sonner, me fera croire qu'il est docteur, et dès que je lui aurai ouvert la porte, les autres me tomberont dessus.

C'est alors que, promenant mon regard un peu vers le fond du paysage, je vis la voiture stationnée derrière ces hommes.

Une grosse berline... toute blanche !

Pas de doute, c'est bien elle.

C'est la voiture qui a failli me renverser !

L'homme en blouse blanche gravit notre perron et s'approcha de notre porte d'entrée.

Les autres hommes se tenaient en arrière, cachés, attendant un signal...

Je suppose que je ne pourrai pas leur faire croire que je ne suis pas là.

Ils auront vite fait de casser un carreau et de s'inviter chez moi.

Il faut que je sorte d'ici, coûte que coûte !

Ensuite, je trouve une cabine téléphonique et j'appelle Ôishi.

Puis je me cache en l'attendant.

Bon, premièrement, il me faut une arme !

Ensuite, mes chaussures !

Aaaah, mais avant toute chose, il faut encore que je fasse absolument quelque chose.

Je n'ai pas envie de mourir.

Je survivrai, et je montrerai à la face du monde le véritable visage de la malédiction de la déesse Yashiro !

Mais il se peut aussi que je me fasse tuer, que j'en aie envie ou pas.

C'est pourquoi...

il me restait encore quelque chose d'important qu'il me fallait faire maintenant.

Je pris mon horloge dans les mains et m'emparai de la feuille que je comptais laisser pour la police.

Aaaah, et merde !

Mais quel est l'idiot qui l'a fixée là avec 15 tonnes de ruban adhésif ?

Bon, la feuille sera un peu déchirée, pas grave.

Je pris un stylo qui traînait par là et rajoutai de nouvelles lignes.

Si jamais je ne réussis pas à joindre l'inspecteur,

il n'aura que cette feuille pour l'aider dans son enquête.

Qui eût cru qu'une bête feuille de papier arrachée d'un cahier puisse être aussi importante ?

Bon, j'ai pas de temps à perdre. Allons-y avec ce que j'ai appris.

Il faut que je lui laisse des indices pertinents !

— “Rena et Mion étaient complices des coupables.”

Ça, c'était un fait avéré et irréfutable.

Je n'ai toujours pas envie de le croire,

mais les faits parlent d'eux-même !

Bon, je vais écrire encore tout ce qui pourrait l'aider un peu.

— “Il y a aussi quatre ou cinq hommes.

Ils possèdent une grosse berline blanche.”

En tout cas, ils étaient à peu près ce nombre dehors.

Mais ils avaient peut-être encore d'autres complices.

Et puis.... il y avait ce « mystérieux chef ».

Le mot « chef », à la base, c'est pas un mot fréquent dans le coin.

Le seul chef en rapport avec ce village, c'est l'ancien chef de chantier du barrage.

C'est la toute première victime de la série de meurtres.

Il a été lynché, puis découpé en six morceaux.

Le seul morceau qu'il reste à trouver, c'est son bras droit.

Mais alors, la police a pu vérifier qu'il est bel et bien mort, non ?

Mais Rena a bien affirmé qu'elle avait appelé le chef.

Elle a bien dit « le chef ».

Elle ne peut pas l'avoir appelé dans l'au-delà.

Et la police ne pensera certainement pas qu'une personne morte puisse être mêlée à tout ça.

Eh, mais... et si c'était l'effet escompté ?

Je sais pas.

Mais ça pourrait peut-être devenir une indication précieuse pour l'inspecteur.

Oui, c'est pas bête, en fait.

Il faut reprendre l'affaire depuis le tout début.

La première affaire n'était un meurtre isolé, mais le premier d'une longue série de morts étranges et suspectes.

...

alors...

il y a là forcément un détail qui le mettra sur la bonne piste !

— “Regardez à nouveau le dossier de la victime du meurtre avec démembrement.

Elle est vivante.”

Normalement, il y a dû y avoir une autopsie, un truc pour officialiser la mort de cette personne.

En tout cas, c'est ce qui semble le plus logique.

Mais est-ce que c'est vraiment le cas ?

Il peut y avoir une astuce bien tarabiscotée pour rouler les policiers dans la farine...

Je ne peux rien affirmer.

Mais en tout cas, la première victime est peut-être vivante.

En même temps, j'ai pas le temps d'y réfléchir.

Ah, mais oui, quel idiot...

J'ai un truc beaucoup plus important à écrire que mes conjectures !

— “La mort de Tomitake a été causée par un médicament inconnu.”

En effet.

C'est ma seule preuve concrète !

Si cette preuve lui arrive dans les mains, il pourra certainement résoudre cette affaire !

Je ne pouvais pas laisser une pièce si importante du dossier traîner par terre.

— “Veuillez trouver ci-jointe une seringue contenant une dose de ce produit.”

Une fois ceci écrit, je ramassai la seringue et la coinçai fermement derrière l'horloge avec le ruban adhésif.

Je vérifiai qu'elle était bien fixée pour ne pas tomber au sol...

plusieurs fois !

Ding-dong...

J'entendis sonner à la porte.

Ça y est, ils sont là !

Je ne pouvais plus me permettre d'écrire encore un roman.

Mais malgré tout...

je ne pus m'empêcher de terminer par ces mots :

— “Je ne comprends pas comment tout ceci a pu arriver.”

...

... C'était peut-être l'information la plus véridique de toute la feuille.

— “Si vous lisez ce message, c'est que je suis mort.

Peut-être aurez-vous trouvé mon cadavre, ou peut-être pas.”

Si tout se passe comme l'ont décidé les meurtriers...

... soit je mourrai par la malédiction,

soit je serai enlevé par les démons.

— “Vous qui lisez ce message,

je vous en supplie, vous devez découvrir la vérité.

C'est la seule chose que je souhaite au monde.”

Avec ça... je pense que mon testament est complet.

Oh, je ne vais pas obligatoirement mourir, rien n'est encore joué.

Mais bon...

c'est juste... au cas où.

Je pliai la feuille et la recollai derrière mon horloge, que je remis en place.

Je ne pus m'empêcher de prier.

M. Ôishi...

Si jamais il devait m'arriver quelque chose, je vous en supplie, trouvez cette feuille ! Je m'en remets à vous !

Je jetai un dernier regard aux corps inertes allongés dans ma chambre.

Il est l'heure...

Adieu, Rena.

Adieu, Mion.

Keiichi

— Je...

j'ai toujours cru...

que vous étiez mes amies.

Et pourtant... comment avons-nous pu en arriver là ?

Je ne m'étais jamais amusé à l'école, là où j'habitais avant.

J'étais obnubilé par ma moyenne, et je ne parlais que de mes notes, je les comparais à celles qu'il me fallait obtenir pour accéder à l'école de mon choix, je regardais quelles étaient les écoles auxquelles j'aurais accès en cas de plantage aux examens, etc, etc, etc...

Ç'avait été une vie triste et monotone.

Mes amis, c'étaient les autres élèves de la classe qui faisaient de leur mieux pour avoir de meilleures notes que moi, toujours rivaux, toujours dans l'adversité.

C'est grâce à vous que j'ai pu comprendre que ce genre de vie n'était franchement pas enviable.

Le mois que je viens de passer avec vous fut merveilleux.

Nous nous sommes amusés comme des fous pendant les repas, et après les cours aussi, et pendant la fête du village, aussi...

Je sentis quelque chose de chaud sur mon visage.

À ma grande honte, je me rendis compte que je pleurais.

Je ne devrais pas pleurer, elles ont essayé de me tuer !

Mais je ne pouvais pas endiguer les rivières qui coulaient sur mes joues.

Elles ont attenté à ma vie, mais je m'en fous.

Elles ont bien failli me tuer, mais je m'en fous.

Les souvenirs du mois que nous avons passé ensemble... resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Est-ce que ces jours heureux n'étaient qu'une gigantesque farce ?

Est-ce que leur gentillesse était un piège soigneusement préparé, pour mieux me tromper, depuis le premier jour ?

Est-ce j'étais le seul à m'être fait des films et à m'imaginer que nous étions amis ?

Non... Non, ce n'est pas possible !

Rena et Mion... étaient mes amies !

Je ne laisserai rien ni personne ternir l'éclat des souvenirs de nos jours heureux !

Je suis certain qu'elles ont été forcées à faire ça.

Ou bien alors... elles ont été possédées par un être supérieur, par la déesse Yashiro, qui les a poussées à m'attaquer !

Elles étaient mes deux meilleures amies !

Je suis sûr qu'elles ne m'ont pas attaqué par plaisir !

En même temps... Elles n'étaient pas du genre à céder au chantage. Elles n'étaient pas du genre à trahir leurs amis.

Et puis, soyons réaliste une seconde, la déesse Yashiro n'existe pas, alors elle risque encore moins de prendre possession de leur corps.

Mais alors... ça voudrait dire que... ce sont les vraies Mion et Rena qui m'ont attaqué ?

Mais qu'est-ce que je raconte, moi ?

C'est du grand n'importe quoi, tout ça.

Je suis en train de voir si c'étaient les vraies ou pas les vraies filles...

... mais je les ai quand même butées.

Et puis, elles n'ont pas 150 corps et doubles de rechange.

La seule vérité, c'est celle des faits, celle des résultats.

Et le résultat, c'est que leurs corps sans vie gisent à mes pieds !

Je suis simplement en train d'essayer de me trouver des excuses...

pour ne pas accepter le fait d'avoir tué mes meilleures amies.

Mais toutes mes jérémiades n'y changeront rien, elles sont mortes, pour de bon !

Je sentis une brèche s'ouvrir dans le barrage qui maintenait mes émotions en place.

Mon indifférence, gage de ma stabilité mentale, se taillait la malle... et était remplacée peu à peu par une folie furieuse.

Je les ai tuées.

Je les ai tuées.

Rena et Mion.

J'ai tué mes meilleures amies !

La sonnette retentit pour la seconde fois.

Cet écho implacable me remit les idées en place.

Je n'ai plus de temps à perdre !

Il faut que je m'en aille d'ici !

Je ne veux pas mourir.

Je veux faire la lumière sur toute cette affaire.

Je veux savoir qui m'a mis dans une telle situation !

Dussé-je croûpir dans la boue et manger de l'herbe...

... je vivrai !

Je survivrai !

Je le jure !

C'est pour ça que j'ai tué Rena.

J'ai même tué Mion.

Tout ça pour survivre.

Alors je ne peux pas me permettre de mourir maintenant !

Je leur dois bien ça...

Il faut que je survive, quoi qu'il arrive !

Je courus à l'entrée, chopai mes chaussures. Juste à cet instant, l'homme se mit à sonner avec insistance.

Il est là... juste derrière cette porte !

Sur la pointe des pieds, en faisant le moins de bruit possible... je me rendis dans la cuisine.

Je voulais prendre la porte de derrière.

Juste avant de l'ouvrir, j'y collai une oreille et tentai de ressentir s'il y avait quelqu'un ou pas...

Personne ?

Je mis mes chaussures... puis ouvris lentement la porte, pour ne pas faire de bruit...

Homme

— Il est là, à la porte de derrière !

Une voix perçante fît écho.

Cette voix soudaine, cinglante, m'envoya des frissons de peur dans tout le corps.

Je n'ai plus le choix !

Cours, Keiichi !

Je perdis bien vite toute trace de sang-froid et même d'intelligence.

Les branches et les épines avaient beau me griffer et m'écorcher les bras, je ne ressentais plus aucune douleur.

Je ne ressentais pas non plus la fatigue de mon cœur, qui pourtant battait à tout rompre.

Chaque cellule de mon corps se révoltait et criait son désir de survie...

Elles ne souhaitaient strictement rien d'autre.

... Je parie qu'en fait, elles n'osaient pas se plaindre.

C'est pour cela que je ne ressentais strictement rien...

Je courus, encore et encore.

Je courus avec l'énergie du désespoir, toujours dans la même direction, celle que je croyais être l'avant.

Je ne voulais pas savoir si je les avais semés ou pas, je me contentais de courir... pour le reste, je verrais après.

Je ne savais plus où exactement je voulais me rendre.

Où que j'aille, je ressentais une présence.

Cette présence me suivait à la trace, comme une ombre, exactement un pas derrière moi.

Si je tombe ou si j'ai une crampe...

...

je suis mort.

C'est clair, net et précis.

C'est pourquoi je ne me suis pas retourné.

Je ne me suis pas arrêté.

J'ai couru, encore et encore...

J'ai couru le plus vite que j'ai pu.

Vjziii, vjzii vjzii vjzii vjzzz...

J'entendis soudain le chant des cigales annoncer le crépuscule.

Leur chant essayait de me dire quelque chose, il ressemblait...

aux lamentations des autres victimes.

Irai-je bientôt grossir leur rang et mêler mes sanglots aux leurs ?

Vjziii, vjzii vjzii vjzii vjzzz...

Les cigales sont les seules à savoir ce qu'il s'est passé.

Elles savent tout, tout, tout.

Je suis sûr qu'elles savent.

C'est pourquoi je dirigeai ma course vers l'endroit où leurs chants me semblaient les plus nourris.

Mais plus je m'en approchais, et plus ils s'éloignaient.

Je n'arrivais pas à les rejoindre.

Mais pourquoi vous partez ?! Revenez, revenez !!

Est-ce que c'est ma faute ?!

Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?!

Vous voulez des excuses ? Alors en voilà !!

Je vous demande pardon.

Je vous demande pardon !

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Pardon...

Seules les cigales savent ce qu'il s'est passé.