... ... ... ... ... ... sssatt...

sssutt...

sssutt...

J'entendais des pas lents. Quelqu'un marchait avec précaution dans le couloir pour ne pas se faire remarquer. Les pas s'arrêtèrent devant ma porte.

Il y eut un silence... comme si l'on essayait de savoir ce qu'il se passait dans ma chambre.

J'étais encore plongé dans les brumes d'un léger sommeil.

Ma tête redevenait consciente de mes environs, mais mon corps n'arrivait pas encore à suivre.

Je sentais le danger tout près, juste derrière ma porte. Je n'en étais protégé que par une mince couche de bois.

Et pourtant, mon corps était comme pétrifié. Je n'arrivais pas à bouger le moindre muscle.

... ... ... Une peur indicible m'étranglait.

Je vous en supplie... allez-vous-en...

Rho, mon corps n'est toujours pas réveillé ?

Mais si elle entre dans la pièce maintenant, qu'est-ce que je fais, moi ?!

Keiichi

— ...WAAAAAAAAHHHHHH !

Maman de Keiichi

— AAAH !

Je m'étais levé d'un bond et avais jeté dans le même mouvement mon futon sur... ma mère.

Maman de Keiichi

— Mais enfin,

Keiichi !

Voyons, qu'est-ce qui te prend ?

Keiichi

— Oh... Je... désolé,

je suis encore... pas vraiment réveillé.

J'étais persuadé qu'il était du genre 2h du matin.

Mais en fait, les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux, ternes et faibles.

Je ne m'en rendais franchement pas compte, mais nous étions bel et bien le matin.

Hier soir, pourtant, je me suis endormi tout de suite, non ?

Mais alors... j'ai dormi dix heures d'affilée...

Bizarre. Je n'en ai absolument pas l'impression.

Mon horloge interne et mon sens de l'équilibre étaient complètement déréglés.

Je me sentais un peu fiévreux, et me rendis compte que je n'avais pas vraiment guéri.

Maman de Keiichi

— ...Bon, Keiichi ?

Comment tu te sens ?

Tu penses pouvoir aller à l'école sans problème ?

Je n'étais franchement pas en état d'aller à l'école...

quoique. C'était plus un problème d'état d'esprit que de santé physique, en fait.

La peur ressentie la veille m'assaillit de nouveau...

Qu'est-ce qu'il se serait passé si j'avais avalé cette aiguille ?

Ou même si elle s'était seulement enfoncée dans ma langue ?

Il y avait intention de meurtre, ça ne faisait aucun doute, mais elle n'était pas... suffisamment forte.

Si elles avaient vraiment eu la ferme intention de me tuer, elles auraient utilisé un moyen ou une méthode beaucoup plus sûrs.

Elles ne s'en seraient pas remises à une methode aussi aléatoire que le coup de l'aiguille à coudre cachée dans les aliments...

... ... Ça veut dire que... même si j'ai du mal à le croire ou à l'accepter...

à leurs yeux, ce truc de dingues reste encore du domaine de la simple menace.

— Heureusement pour toi que tu n'en es pas mort... mais la prochaine fois, nous veillerons à ce que tu n'aies pas cette chance, compris ?

Ce genre de menace...

Ils me font bien rire, ceux qui envoient des lames de rasoir cachées dans les lettres. Par rapport à ce qui se passe par ici, c'est un truc de chochottes...

Maman de Keiichi

— Tu as été à la clinique ?

Tu as pris tes médicaments ?

Keiichi

— Hein ? Ah, oui, oui...

Le regard pénétrant de ma mère m'énervait.

On sentait bien que ce n'était pas ma santé qui l'intéressait. Elle était simplement agacée à l'idée de me voir manquer deux jours d'école de suite.

Mais c'est vrai qu'après tout, je ne suis pas malade physiquement. J'ai eu un gros choc émotionnel, certes, mais rien de physique.

Maman de Keiichi

— Si tu perds les bonnes habitudes, tu auras du mal à les reprendre !

Allez, lève-toi.

Pour guérir de certaines maladies, il faut commencer par en avoir envie.

Elle me dit ça souvent depuis que je suis tout petit.

Quand j'ai fini l'école primaire, j'ai reçu un diplôme spécial car je n'avais jamais raté un seul jour d'école en six ans, mais ce n'est pas parce que mon système immunitaire était parfait.

Maman de Keiichi

— Allez, lave-toi la figure.

Le petit-déjeuner est déjà prêt.

Tu n'as plus beaucoup de temps, Rena sera bientôt ici.

Ma mère n'avait pas l'air de me laisser le choix, aussi je dus me résoudre à abandonner l'idée d'un deuxième jour de repos.

Maman de Keiichi

— Ah oui, et au fait. C'est toi qui as tartiné le mur du salon avec de la pâte de haricots sucrée ?

Ça ne va pas, non ?

Ton père était furax, tu sais !

Je ne m'en voulais absolument pas d'avoir balancé les gâteaux sur le mur, aussi ne montrai-je aucune réaction particulière.

Ma mère ne me pressa pas plus avant.

Elle vit que je commençais à me changer, et sortit de ma chambre.

Les derniers mots de Mion...

— Si demain tu ne viens pas à l'école, ça risque de ne pas me plaire.

...me revinrent en tête.

Qu'est-ce que cela voulait-il vraiment dire ?

C'était évident en fait.

Je n'avais pas intérêt à rater l'école, ne fût-ce qu'une seule fois.

Donc en fait, où voulait-elle en venir ? Je suppose qu'il me fallait me conduire comme à l'accoutumée à l'avenir.

Si jamais je devais avoir un comportement anormal, les gens sauraient tout de suite que quelque chose de vraiment louche se passait.

Ce qui voudrait dire que d'après mon comportement, certaines personnes, disons au hasard M. Ôishi, pourraient comprendre qu'il y avait du changement.

Donc en fait, il ne fallait pas simplement me taire...

car si mon comportement était anormal, j'aurais en définitive fait passer l'information à des persona non grata...

Et apparemment, les filles n'avaient pas l'intention de me le pardonner si cela devait se produire.

Mais alors... ...

Si je me tiens à carreaux... ...

Il ne m'arrivera rien ?

Est-ce que c'est ça qu'elles veulent me faire comprendre ?

D'un seul coup, je me sentais moins oppressé... et c'était ça le plus inquiétant. C'était un échange de bons procédés très intéressant.

Il me suffisait d'avoir un trou de mémoire sur tout ce que j'avais vu et entendu ces derniers jours... et je pourrais reprendre une vie normale.

Keiichi

— Naaan... Elles ne me feront sûrement pas un pareil cadeau

...

ce serait trop beau.

Je déglutis un grand coup.

Je repris mon raisonnement et le poussai un peu plus loin...

Mion est le genre à être très honnête envers ses amis.

Si ça se trouve, elle a bien vu que j'ai enfreint une loi tacite que je ne pouvais pas connaître, et elle est en train de me tendre une perche pour me donner une seconde chance.

Ce que j'ai fait... c'est normalement quelque chose d'impardonnable.

Mais Mion est prête à me donner une nouvelle chance.

Elle est prête à laisser tomber l'incident si j'oublie tout et que je me comporte comme avant... C'est ça, le message qu'elle essaye de me faire passer.

Maman de Keiichi

— Keiichi !

Dépêche-toi, ton petit-déjeuner est en train de refroidir !

Allez, descends, dépêche-toi !

Rena va bientôt arriver !

Keiichi

— Ah... oui, j'arrive tout de suite !

Je jetai mes livres d'école pêle-mêle dans mon cartable et descendis les escaliers en quatrième vitesse.

Je pris mes baguettes et picorai sans appétit.

Je n'avais pratiquement plus le temps de manger. L'heure du rendez-vous avec Rena était déjà passée.

Après ce qu'il s'est passé hier... je suppose qu'elle va rappliquer dans moins de cinq minutes.

Il faut absolument que je sois prêt pour partir à l'école avant qu'elle ne soit là.

Il faut que j'oublie tout ce qu'il s'est passé jusqu'à hier...

Oublions tout et reprenons le train-train quotidien...

Normalement, je devrais déjà être sur le chemin de l'école avec Rena...

Évidemment, c'est le jour où il faut que je me dépêche que je n'ai pas d'appétit.

Ding-doooong !

Je sursautai et lâchai dans un spasme mes baguettes, qui me tombèrent des mains.

Rena était là.

Ma mère me pressa.

Maman de Keiichi

— Allez, Rena est déjà là !

Plus vite, plus vite !

La mine réjouie de ma mère était la copie conforme inversée de ma grise mine.

J'ai eu une sacrée hésitation avant d'ouvrir la porte et d'accueillir Rena.

Est-ce que la Rena qui m'attendait dehors était bien la même que tous les jours ?

Mais je savais aussi que je ne devais pas la faire attendre...

Je devais me comporter comme d'habitude...

Rena

— Bonjouuuuur !

En tout cas, sa voix était très enjouée ce matin.

Rena

— Je suis venue voir ce que tu devenais, comme tu es en retard... Comment te sens-tu ce matin ? Hmm ?

Rena avait l'air de se préoccuper de mon état de santé. C'était sans doute possible la Rena que je connaissais.

... Mais elle ne resterait gentille que tant que je me comporterais normalement.

Je dois tout oublier... faire comme s'il ne s'était jamais rien passé...

J'oublierai qu'il y a eu un meurtre avec démembrement.

J'oublierai que chaque année, il se passe des trucs étranges.

J'oublierai la chute accidentelle, la maladie inconnue, le suicide, le lynchage, la disparition, tout ! J'oublierai tout...

J'oublierai aussi que Rena me fait peur. J'oublierai bien sûr que j'ai peur de Mion.

J'oublierai tout ce qui a été dit entre nous.

J'oublierai les gâteaux de riz fourrés aux aiguilles à coudre.

J'oublierai, je le jure, j'oublierai !

Rena insista une dernière fois.

Rena

— Tu penses pouvoir venir à l'école ?

Keiichi

— Euh... Oui... Oui, je vais très bien aujourd'hui, pas de problème.

Rena

— Tant mieux !

Bon, eh bien alors, allons-y ! Mii nous attend !

Rena me fit un beau sourire rayonnant, comme elle m'en fait d'habitude.

Ça n'avait pas l'air d'être un masque de bonne humeur.

Je pus enfin arrêter de stresser et sus que je n'avais plus rien à craindre.

Rena

— ... mais Satoko ne voulait pas être aidée, elle s'est montrée têtue comme une mule !

Rena me racontait des tas de choses pendant que nous marchions.

Keiichi

— ... ...Ah ouais ?

Et qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Rena

— Comme elle n'est pas très habile, elle ratait à chaque fois... À chaque fois !!

Hauuuu, tu aurais dû voir ses simagrées, elle était mimi...

Rena ne me racontait rien de vraiment important ni de sérieux. Je n'avais pas besoin de faire grand'chose à part hocher de la tête ou sourire de temps en temps. C'était assez facile.

Une femme du voisinage nous croisa et nous interpella.

Villageoise

— Eh ben, Kei ? Rena ? Qu'est-ce que vous faites encore là tous les deux, vous êtes en retard, non ?

La petite Mion a dit qu'elle partait déjà en avance !

Rena

— Ouh là ! Mii doit pas être contente !

Oh non, pas contente du tout...

Dépêchons-nous, Keiichi !

Elle fit un grand sourire à la voisine qui nous avait prévenus, une courbette, puis elle se retourna vers moi, les yeux pleins de malice et la langue légèrement sortie aux commissures de ses lèvres.

En la voyant faire ça, je souris malgé moi.

Rena

— Ah ! Ça y est, tu as enfin rigolé !

Keiichi

— Hein ? Quoi, pourquoi ?

Rena s'arrêta sur le chemin et me dévisagea.

Rena

— Tu n'avais pas l'air en forme ce matin, alors je pensais que tu n'étais pas guéri, en fait. Mais ça a l'air de vraiment aller mieux !

Non ?

Elle me fit un sourire en ce rapprochant et me planta un doigt sur la joue.

Elle était radieuse.

Dis voir, Keiichi Maebara.

Est-ce que tu comptes la soupçonner encore longtemps, malgré ce si joli sourire ?

Est-ce que tu n'aurais pas eu des hallucinations hier, à cause de la fièvre ? Si ça se trouve, tu avais une très forte fièvre et tu ne t'en rendais pas compte...

Honnêtement, je ne pouvais pas m'empêcher de douter de ce que j'avais vécu la veille.

Si les dieux pouvaient m'exaucer un seul vœu...

Il n'y a qu'une seule chose que je souhaite.

Je souhaite oublier ce qu'il s'est passé ces derniers jours.

Pour être plus précis, je souhaite oublier absolument tout ce qu'il s'est passé entre la soirée de la fête du village et hier soir.

Combien de fois me suis-je surpris à faire ce vœu ces derniers jours ?

Si Rena pouvait continuer à sourire de la sorte... peut-être bien que mon vœu pourrait être exaucé.

Oui, j'aimerais bien voir Rena continuer à sourire comme ça.

Encore et encore... pour toujours...

Rena

— Au fait, Keiichi.

Tu as mangé les gâteaux de riz que nous t'avons apportés hier, au moins ?

On ne peut pas dire que mon rêve illusoire ait tenu bien longtemps.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, et l'atmosphère se figea, comme emprise dans la glace.

Rena souriait... comme toujours. Ses yeux étaient empreints de gentillesse, comme toujours... enfin, autant que je puisse en juger.

— Tu as mangé les gâteaux de riz que nous t'avons apportés hier, au moins ?

Elle ne peut pas vouloir dire simplement ça. Le vrai sens de sa question est autre...

Je suppose que ce qu'elle veut savoir, c'est...

si j'ai compris le message.

C'est très certainement son intention.

Rena

— ...

Keiichi ?

Rena s'arrêta et me regarda droit dans les yeux pour savoir ce qui me faisait tant hésiter.

Keiichi

— ... ... ... Oh, euh...

Ne tremble pas, ne bégaye pas, ne montre aucune hésitation, Keiichi Maebara !

Réponds-lui en te comportant comme n'importe quel autre jour.

Comme d'habitude.

Et surtout, sois le plus naturel possible !

Sauf que ma gorge et mes lèvres étaient sèches, et que je n'arrivais plus à les décoller...

Dépêche-toi de lui répondre, Keiichi...

Si tu réussis à lui sortir quelque chose maintenant, il ne sera pas encore trop tard.

La conversation aura encore l'air naturelle.

Je me fous de savoir ce que tu va lui répondre, mais dis quelque chose !

Keiichi

— C'é....

Rena

— Mais encore ?

Rena se riait malicieusement de ma voix.

Sa réaction était encore dans les limites de ce que l'on pouvait considérer comme normal.

J'ai dû mettre moins de temps à répondre que je ne le pensais.

Je réussis tant bien que mal à continuer ma phrase.

Keiichi

— C'é... C'était très bon !

Malheureusement, je fis tous ces efforts en vain, car Rena n'avait pas l'air de réagir, ni en bien, ni en mal.

Je commençai à paniquer. Si ça se trouve, ce n'était pas la réponse qu'elle attendait.

Or quelques instants plus tard, Rena eut un rire franc, claironnant, qui résonna dans l'air limpide du matin.

Il était contagieux... ce qui me permit de rire aussi.

Rena

— Aha, je vois, je vois.

Et ? Tu les as tous finis ? Tous ?

Mon rire s'étrangla net dans ma gorge.

Qu'est-ce qu'elle est en train de me demander, là ?

Si j'ai réussi à éviter l'aiguille à coudre ?

Si je l'avais avalée, je ne serais plus là pour en parler...

Keiichi

— Euh, non, non, je... il y en avait trop, je n'ai pas réussi à tout finir.

Il en reste encore.

Je réussis à m'en sortir par une pirouette...

Rena

— Ah bon ?

Mais alors, que comptes-tu faire pour tes devoirs ? Tu devais impérativement trouver celui que j'ai fait.

Keiichi

— Ah, ahahaha, euh, je... C'était pour aujourd'hui ?

Rena

— Oui, c'était un devoir à faire pour aujourd'hui.

Ça ne va pas plaire à Mii, ça... Tu vas avoir un gage.

Nous rigolâmes à nouveau.

Personne ne verrait quoi que ce soit d'anormal à cela.

D'ailleurs même moi... Si je n'étais pas aussi stressé par toute cette histoire, je pourrais croire que c'était un matin comme les autres.

Mais je sais que je ne dois pas m'imaginer des choses.

Rena a beau rire aux éclats, elle cache quelque chose d'inimaginable en son for intérieur.

Rena

— MENTEUR !

J'eus le souvenir vivace de sa voix, si cinglante, si différente de la sienne. Qui eût cru qu'elle pouvait crier de la sorte ?

Je sentis immédiatement quelque chose de froid et de visqueux descendre le long de ma colonne vertébrale.

Est-ce qu'elle aurait pu être possédée par quelque chose de foncièrement mauvais, juste à ce moment-là ?

Non. Le visage que Rena m'a montré ce jour-là fait aussi partie d'elle. M. Ôishi m'a raconté un truc sur elle, non ?

Ôishi

— D'après ce que j'ai pu découvrir sur elle, mademoiselle Ryûgû a été renvoyée de son école pour quelques jours.

On dit qu'elle a déambulé dans l'école pour y casser toutes les vitres.

Rena possède un côté... mystérieux, malsain, quelque chose de “pas normal”.

Son sourire a beau être tendre... cette part d'elle n'en est pas moins réelle.

Par contre, je n'arrive pas à m'imaginer ce qui a pu la pousser à un acte de violence pareille. Elle a cassé toutes les vitres de l'école ?

La seule chose qui est certaine, c'est qu'elle n'a pas fait ça sous le coup de l'émotion.

Si elle s'était laissé emporter par la colère... elle aurait cassé une vitre, à la rigueur. Ça, c'est du domaine du crédible.

Mais là, il s'agissait de toutes les vitres de l'école. Ça commence à causer.

Imaginons : elle prend une batte de base-ball et va à l'école exprès pour casser les fenêtres...

Elle casse une fenêtre ou deux, sans se soucier des éclats de verre...

Ses camarades de classe la regardent, sidérés.

Ils sont tellement sciés par ce qu'il se passe qu'ils n'osent même pas bouger.

Où est-ce qu'il y a le plus de vitres dans une école ?

Je dirais... dans le couloir.

Elle en casse une,

avance,

lève le bras.

Casse,

avance,

lève le bras.

C'est difficile de l'imaginer en train de faire ça quand on la voit sourire comme maintenant...

Seulement voilà... il faut absolument que je réussisse à me l'imaginer.

Je ne peux pas dire que c'est inimaginable et espérer que cela n'a donc jamais existé... Je ne suis plus un gamin, ce genre de trucs ne marchent plus.

Je l'imagine en train de marcher sur les éclats de verres, pendant qu'elle éclate d'autres fenêtres dans un vacarme épouvantable, en se dirigeant droit vers moi.

Je parie que ses camarades de classe sont devenus livides et qu'ils avaient du mal à respirer.

Qu'est-ce qu'ils ont bien pu faire quand elle s'est approchée d'eux ?

Est-ce qu'ils lui ont parlé pour la faire revenir à la raison ?

Est-ce qu'ils lui ont sauté dessus pour la maîtriser ?

Est-ce qu'ils ont été appeler quelqu'un en salle des professeurs ?

Probablement aucun des trois.

Je parie que quand ils l'ont vue avec son regard de tueuse, qui se rapprochait en pétant toutes les fenêtres sur son passage... ils ont fermé leur gueule et se sont poussés hors de son chemin, sans rien dire.

Sidérés, ils l'ont laissé faire.

Ce serait un peu dégueulasse de les accuser d'avoir fait semblant de ne rien voir.

Ils n'ont pas fait semblant de rien voir, non...

ils ont seulement sauvé leur peau.

Parce que si l'on fait quelque chose d'autre que les autres élèves, peut-être que cela attirera son attention.

Et comment est-ce que Rena réagirait, dans ce cas-là ?

Je crois que la réponse est évidente.

Rena continuerait ce qu'elle faisait.

Sauf que cette fois... ce serait cet élève qui jouerait le rôle de la vitre.

Je l'imagine me regardant droit dans les yeux, impassible, se rapprochant, entendant le crissement du verre pilé sous ses chaussures.

Fasciné, aspiré par la prunelle de ses yeux, je serais incapable de bouger.

Et Rena me mettrait des coups de batte de base-ball, encore et encore, comme elle avait fait avec les autres fenêtres.

Puis je tombe au sol, en me protégeant la tête tant bien que mal.

Mais Rena s'en fout, elle frappe sur ma tête, mon dos.

Elle frappe, encore et encore, toujours plus fort, frénétiquement.

Je me demande quelle tête elle tire pendant qu'elle me frappe.

Alors je risque un coup d'œil.

Son expression du visage est presque impavide, mais tout de même irritée.

Je sais pourquoi... C'est parce que cette vitre-là ne casse pas en faisant un joli bruit, comme les autres fenêtres.

Ainsi, encore et encore, Rena frappe.

Sans s'arrêter.

Mais le bruit qu'elle attend ne vient pas.

De plus, les autres élèves de la classe ne font rien pour l'arrêter.

Évidemment, puisqu'aucun d'entre eux ne veut devenir la prochaine cible.

Mais que quelqu'un m'aide, quoi !

Ou bien quoi, vous ne me connaissez plus, sauf quand c'est pour s'amuser comme des fous ?

Tu me diras... c'est normal après tout. La moyenne générale, c'est ce qui forge les alliances en classe.

Qu'est-ce que ça leur apporterait de venir aider un accro aux cours de bachotage comme moi ?

Et puis forcément, au bout d'un moment, il y aurait un bruit sec, un peu comme quand on casse une noix, et quelque chose de pas vraiment rouge, mais pas vraiment noir non plus commencerait à gicler partout...

Enfin bref. Tout ça pour dire, ce n'est pas le genre de choses que Rena ferait sur le coup de la colère.

J'expirai profondément et, forçant mon cœur à se calmer, je me remémorai les autres propos que m'avait tenus M. Ôishi.

Ôishi

— Il se trouve que tout ce qui fut dit lors des séances avec le médecin fut consigné pour pouvoir affiner le diagnostique et estimer l'évolution de la maladie. J'ai lu ces rapports et Rena...

Ôishi

parle de quelque chose...

Ôishi

assez souvent d'ailleurs.

Keiichi

— Et quoi ?

Ôishi

— Il y a cette expression qui revient dans la conversation.

La déesse Yashiro.

Après cette scène à l'école, Rena a été renvoyée, puis examinée dans une clinique psychiatrique.

Puis elle a eu des séances avec un médecin, et pendant les consultations, elle a parlé. Parlé de...

“la déesse Yashiro”.

Ôishi

— Elle raconte qu'une sorte de fantôme qu'elle nomme “la déesse Yashiro” vient la voir la nuit.

Elle s'arrête devant son lit, près de sa tête, et elle la fixe du regard.

Je ne vois pas trop le contexte, puisque ce n'est qu'un extrait de la conversation, mais... ça ne devait pas être banal comme conversation.

Mais alors... est-ce que Rena aurait insinué qu'elle avait été poussée à cet acte de violence extrême car la déesse Yashiro aurait pris possession de son corps ?

Jusqu'à présent, je n'ai jamais voulu reconnaître l'existence de la malédiction.

C'est pourquoi j'ai tenté jusqu'ici de me persuader que toutes ces morts bizarres avaient été orchestrées par de vrais êtres humains.

En discutant avec M. Ôishi, j'ai pu obtenir une conviction plus forte qui abondât en ce sens. Ces événements répétés ne sont pas l'œuvre d'une malédiction, mais celle d'une entité humaine.

Sauf que... toutes mes amies sont impliquées au cœur de ces événements.

Le prix que j'avais à payer pour oser ne pas croire en la malédiction, c'était d'apprendre que mes amies les plus proches étaient toutes liées de très près à toutes ces affaires sordides.

Pourquoi ?

Comment ?

Dans quel but ?

Rena, coupable ?

Les autres filles, coupables ?

C'était quelque chose de nettement plus difficile à croire et à accepter que l'existence de la malédiction de la déesse Yashiro.

Mais après avoir détruit toutes les fenêtres de son école, Rena a avoué que la déesse Yashiro avait pris possession de son corps.

En fait, aussi étrange que cela puisse paraître, cela me rassurait.

C'est donc vraiment ça.

Je savais bien que Rena n'était pas capable de montrer un tel visage.

C'est justement parce que cet être bizarre, cette déesse Yashiro, l'a possédée, que Rena a...

fait ce truc de dingue.

Ce n'est pas de sa faute.

C'est de la faute de la déesse !

Oui, oui... je sais.

Je devrais revoir mes priorités.

Au début, je poussais dans la direction du tueur humain pour ne pas avoir à croire en la malédiction, et...

dès que ça a commencé à sentir le roussi pour mes amies, j'ai comme par hasard changé d'avis et j'essaye de faire croire en cette même malédiction.

En fait, pour moi, qu'est-ce qui est le plus important ? Est-ce que je serais plus prêt à accepter l'existence de la déesse Yashiro et de sa malédiction,

ou bien le fait que les filles soient bien placées dans la liste des suspects ?

Je n'avais pas envie d'y réfléchir.

Je n'avais pas envie d'y réfléchir, car... car je croyais que ce faisant, je pourrais continuer à vivre dans l'insouciance du quotidien.

Mais malheureusement...

...

C'était désormais impossible.

J'ai bien reçu le message qu'elles m'ont envoyé.

Et je trouvais ridicules mes pitoyables efforts pour tout interpréter de façon à ce que comme par hasard, tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Humain ou malédiction, peu importait. Je n'avais pas nécessairement besoin de connaître la nature de mon ennemi.

... Je ne me laisserai pas faire tuer.

Ah, ça non ! Et puis quoi encore ?

Surtout que je ne sais même pas pourquoi il faudrait que je me fisse buter !

Rena

— Keiichi ?

Tu tires une de ces têtes depuis tout à l'heure...

Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Qu'est-ce qu'il se passe ?

En entendant la voix de Rena, je revins d'un seul coup à la réalité.

Nous étions dans l'entrée de l'école.

Je secouai la tête légèrement plusieurs fois, comme pour me débarrasser des pensées ignobles et effrayantes qui m'avaient empoisonné le cerveau jusqu'à maintenant.

Je veux bien être crédule... mais il y a des limites. Rena ne ferait jamais ça !

Mais au fond de moi, la petite voix qui défendait Rena et se voulait persuasive était bien esseulée...

J'ouvris grand la porte. Alors que je pénétrai dans la classe, un effaceur plein de craie tomba sur ma tête.

La poussière de craie vire-voletant dans un nuage, je passai un douloureux moment à tousser et à enlever la craie de mes yeux.

Satoko

— Oooohhohohohoho !

Cela vous apprendra à faire du chiqué pour ne pas aller à l'école !

Rika

— Keiichi, Rena, bonjour.

Rena

— Satoko, Rika, bonjouuuur !

Je n'étais pas vraiment dans la bonne attitude pour montrer quelque réaction que ce soit au piège de Satoko.

Lorsque je passai à sa hauteur, elle se mit en position de défense, et fut très surprise lorsqu'elle vit que je ne faisais que passer à côté d'elle, sans essayer de me venger.

Satoko

— Or çà ?

Quelle déception...

Rika

— On dirait bien que Keiichi n'est pas encore dans son assiette.

Rena

— Eeeh oui.

Alors ne soyez pas trop dures avec lui aujourd'hui, d'accord ?

D'un seul coup, je sentis une tape franche sur l'épaule. Ça fait mal, dis-donc !

Mion

— Yo ! Alors mon p'tit Kei, tu t'es bien reposé ?

C'était Mion.

J'avais passé la matinée à réfléchir sur Rena, mais Mion aussi faisait partie des suspects.

Souviens-toi, Keiichi Maebara.

Rappelle-toi son regard surnaturel hier.

Keiichi

...

Oui... Salut, au fait.

Mion

— Eh ben alors, ça m'a l'air un peu raplapla tout ça ? C'est tout ce que tu trouves à dire ?

Et les gâteaux que nous t'avons filés hier, tu les as pas mangés ou quoi ?

C'est bien précisément parce que je les ai mangés que je tire cette tête, je te signale...

Mais les mots refusèrent de dépasser mon larynx.

Keiichi

— J'avais pas d'appétit...

J'en ai mangé une partie, mais il m'en reste pas mal.

Mion

— Ah oui ? Mais, et tes devoirs, alors ?

Tu sais lequel Rena a préparé ? Quelle est ta réponse ?

Rena

— Apparemment, il a oublié de faire ses devoirs pour aujourd'hui.

Ahahahaha !

Mion

— Ah... Ah ben là, mon pauvre, on t'avait prévenu. Tu vas prendre un gage !

Hé hé hé hé hé hé hé hé...

Mion eut un rire de sadique et partit s'asseoir à sa place.

Apparemment, aucun des élèves de la classe ne soupçonnait quoi que ce soit.

En même temps, c'est tout à fait normal.

Pour qui connait seulement la conversation que nous avions menée...

il n'y avait pas raison de soupçonner anguille sous roche.

Et je dois dire que... c'était bien ce qui me faisait peur.

Le fait que rien ne puisse trahir les événements les plus fous qui arriveraient à une personne donnée, en l'occurence, moi... et bien je trouvais cette situation terrifiante.

Plus tard, enfin, la maîtresse entra en classe.

Elle demanda comment je me sentais, puis fit l'appel, puis l'ennui du train-train quotidien reprit son cours.

Pour une fois, je dois dire que cela m'arrangeait bien que la maîtresse ne s'occupât pas de moi en classe.

Je fermai les yeux et me mis à réfléchir sur la situation injuste dans laquelle je me trouvais.

Pour commencer... il faut surtout que je n'oublie pas la dangerosité de la situation dans laquelle je me trouve.

Je suis entré en possession d'informations sensibles à leur sujet, ce qui fait de moi un indésirable.

Elles devaient penser qu'après plusieurs rencontres avec M. Ôishi, j'étais certainement sur le point de découvrir leur plus grand secret.

Je ne pense pas trop me mouiller en disant que les gâteaux de riz d'hier soir étaient un avertissement.

... Quoique. Pour ne pas changer, je choisissais mes mots comme une chochotte. Un “avertissement” ? Je ne crois pas, non.

Ces gâteaux de riz sont pour elles un moyen de me faire peur, de me confiner chez moi pour leur faire gagner du temps.

Elles veulent simplement gagner du temps pour...

pour mettre en place le dispositif qui me fera disparaître sans laisser de traces.

Après tout, docile ou pas, conciliant ou pas, j'en savais trop.

À cet instant, la texture du bois de mon pupitre me fit penser au garçon qui avait été assis ici l'année dernière, celui qui avait disparu : Satoshi Hôjô.

Est-ce qu'il lui était arrivé la même chose ?

Est-ce qu'il a été supprimé parce qu'il en savait trop ?

... ... Merde !

Elles n'auront pas ma peau si facilement...

Ça, jamais !

Mais déjà, à la base... Est-ce que vraiment je peux affirmer que quelqu'un veut attenter à ma vie ?

Depuis un bon moment, je les soupçonnais... et en même temps je voulais les protéger, les disculper.

Je les voyais pourtant dire et faire des tas de trucs louches, mais je continuais à croire que tout cela n'était que mensonges.

Ou plutôt, je me forçais à vouloir le croire.

Est-ce que par hasard je soupçonnerais mes amies ?

Est-ce que je les défends ?

Est-ce que quelqu'un veut m'assassiner ?

Ou pas ?

En fait, le débat est tout autre.

Si l'on réfléchit bien à la situation dans laquelle je suis... je devrais être allé bien plus loin dans mon cheminement depuis belle lurette.

Mais quand même... Est-ce que Rena et les autres veulent-elles vraiment...

Enfin, tu sais, quoi.

Une autre voix dans ma tête vint se moquer avec mépris de ma conscience.

Serais-tu par hasard un gros con, Keiichi Maebara ? Je crois que tu es un sacré con, en fait, parce qu'il me semble franchement ÉVIDENT qu'elles veulent te supprimer !

Mais... mais qui sait ? Cette aiguille à coudre est peut-être vraiment arrivée dans la pâte de riz gluant par hasard ! C'est peut-être seulement un accident !

Ah ouais ? Et comment veux-tu que l'aiguille à coudre se retrouve par hasard dans le gâteau ? Tu crois qu'elle s'est bêtement trompée dans les ingrédients, peut-être ? Arrête d'être aussi naïf, parce que là, ça commence à bien faire !!

Oui, c'est vrai que Rena et Mion ont parfois eu des réactions un peu bizarres... mais cette aiguille, c'était peut-être une erreur ?

Une erreur de quoi ? De QUOI, hein ? Des réactions “un peu bizarres” ? Je t'en foutrais, moi !

Elles sont pas normales, c'est pourtant clair !

Rena m'a juste repris parce que j'avais menti, c'est tout... Et puis Mion m'a juste demandé ce que j'avais mangé à midi ce jour-là, hein...

Ah, mais oui, bien sûr. Et Rena est restée simplement par hasard une heure dans le couloir, devant la porte, à écouter ta conversation avec Ôishi ?

Eh bien... Euh... Elle attendait que j'aie raccroché, si ça se trouve ?

Ah ouais ? Pendant une heure, comme ça, devant la porte, dans le noir, sans dire un mot, sans bouger ? Et pour finalement se barrer sans rien dire après ?

...

Pourtant, tu as entendu ce que M. Ôishi t'a dit, non ?

Tu sais ce qu'elle a fait dans son ancienne école !!

Mai-mais elle a dit aux médecins que c'était la faute de la déesse Yashiro...

Keiichi

— T'en n'as pas marre de dire des conneries, Keiichi Maebara ?! Tu ne te rends pas compte que ta vie est en danger, ou quoi ?

Je fus surpris par ma propre voix.

Sans faire attention, j'avais inconsciemment dit tout haut ce que je pensais tout bas...

Légèrement effrayé par mes mots crus, je gardai le silence un petit instant... puis regardai autour de moi pour vérifier si quelqu'un m'avait entendu.

Ce que je venais de dire... mettait le doigt sur le nœud du problème.

Je les soupçonne de vouloir me tuer, et en même temps, quelque part, je nie cette réalité.

Mais maintenant, il est trop tard... Je ne peux pas me permettre d'hésiter.

Je sais tout cela.

Seulement bon... Je suis un garçon comme tous les autres. Un élève moyen qui a mené jusqu'à maintenant une vie tout à fait dans la norme...

Franchement, est-ce que n'importe qui pourrait croire sans poser de questions que ses propres meilleurs amis veulent le tuer ? Ces mêmes amis avec lesquels on avait passé des moments formidables jusqu'à très récemment ?

Ça ne te paraît pas gros ?

Keiichi

— Arrête de vouloir jouer au gentil, Keiichi !

Cette fois-ci, j'avais dit cela sciemment, d'une voix très basse, en contractant mes abdos le plus fort possible pour me faire presque crier.

Il y a une chose dont je suis sûr maintenant.

Je suis... trop naïf.

Je n'arrive pas à comprendre à quel point Rena est une personne effrayante et dangereuse.

C'est même pire, je n'essaye même pas de comprendre.

À trop me complaire dans les avertissements de M. Ôishi, j'en avais oublié de faire attention au principal.

À force de jouer le mec déçu, je n'avais pas posé les bonnes questions.

Je n'avais rien compris.

J'avais pris la fuite.

Il faut que je me débarrasse de mes idées naïves préconçues ! Ce n'est pas parce que je n'arrive pas à m'expliquer un phénomène précis que celui-ci n'existe pas...

Lorsqu'enfin je réussis à prendre une décision, la cloche sonna la fin des cours.

Dis-donc, c'est passé vite.

La journée est déjà finie ?

Je ne me souvenais ni avoir mangé, ni avoir suivi les cours. Aucun souvenir, rien, nada.

Mes compagnons étaient en train de placer leurs pupitres ensemble pour les activités du club.

Si je n'avais pas réfléchi aujourd'hui, je me serais joint à eux avec grand plaisir...

Satoko

— Tiens donc, mon cher ?

Que signifient ces préparatifs ? Quelle impudence, compteriez-vous par hasard nous fausser compagnie ?

Satoko se comportait comme d'habitude... tellement que ça m'en faisait mal au cœur.

Rena

— Ben ? Keiichi, tu ne te sens pas bien aujourd'hui ? Dis ?

On allait justement pouvoir les battre à plate couture...

Hauuuu...

La déception qui se lisait sur son visage m'était tout aussi insupportable.

Dis voir, Keiichi. Tu crois pas qu'il soit possible que... qu'en fait ce soit M. Ôishi le grand méchant dans l'histoire, et qu'il me raconte des bobards juste pour me séparer des autres ?

BAF !!

Je venais de me gifler moi-même.

Rena

— Euh... Keiichi ?

Haaaa... Est-ce que Rena projette-t-elle vraiment de me tuer ?

J'aimerais bien que quelqu'un me dise que c'est pas vrai.

Quitte à me mentir, j'aimerais que quelqu'un me dise que ce n'est pas vrai.

... ... Encore une fois, je suis reparti dans mes illusions naïves !

Mais pourquoi est-ce que je suis si faible ?!

Rena

— Est-ce que ça va ? Tu as mal à la tête ?

Apparemment, Rena prenait mes tourments internes pour les symptômes d'un simple mal de tête.

Rena

— Tu es pâle, tu sais ?

Tu peux rentrer tout seul ?

Tu veux pas plutôt que je te raccompagne ? T'es sûr ?

Keiichi

— Naan... Non merci, ça ira. Je... Désolé.

Je peux rentrer tout seul.

Amusez-vous bien toutes les quatre.

Mion prit cette nouvelle très mal. Son regard se fit sévère et elle serra les lèvres, sa bouche très petite.

Mion

— Quand je pense que j'ai exprès repris le jeu de la dernière fois parce qu'on m'avait dit que tu voulais absolument prendre ta revanche...

Satoko

— Eh bien, cher ami ? Les flammes de votre désir de revanche auraient-elles cessé d'ardre en votre cœur ?

Je vous trouve bien pitoyable !

Je ne mordrai pas à l'hameçon.

Sans faire plus de commentaire, je pris mon cartable et poussai ma chaise pour me lever.

Je sentis une main se poser sur ma tête.

Rika

— Keiichi, vous n'avez pas l'air en forme.

Pauvre petit...

C'était Rika.

Elle me caressait la tête avec sa petite main, obligée de se tenir sur la pointe des pieds et de tendre son bras au maximum pour m'atteindre...

C'était très agréable... et cela ne m'en rendait que plus furieux.

Keiichi

— Je suis désolé.

Bon, eh bien...

Bonne journée à toutes !

Sur ces mots, je quittai la classe à toute vitesse.

Elles en parlaient entre elles en me regardant, mais je ne parvins pas à entendre ce qu'elles disaient.

Je me dirigeai du même pas pressé vers l'entrée,

sortis mes chaussures,

les mis,

puis j'avançai,

plus loin, toujours plus loin.

Vide ton cœur de tout sentiment à leur égard, Keiichi Maebara !

Je ne sais pas pourquoi... mais elles veulent t'assassiner !!

Elles complotent, elles murmurent dans ton dos. Elles t'observent et attendent le moment le plus opportun pour commettre leur forfait !

Et pourtant... je n'arrive pas à les haïr.

Mais enfin, tout de même... Ce sont mes amies, quoi !

Une part de moi se lamentait de ma naïveté, tandis qu'une autre se désespérait du fait qu'une part de moi-même pût se lamenter de cette même naïveté,

arguant que le fait de se lamenter en lui-même était déjà la preuve irréfutable que j'avais déjà perdu ladite naïveté, source des lamentations premières... Vous suivez encore ?

Pour faire simple, ma personnalité était en train de se scinder. Je dirais même que quelque chose, ou quelqu'un, était en train de déchirer ma personnalité en deux, en fait. Enfin, en tout cas, c'était l'impression que j'en avais.

Si c'est ça, la malédiction de la déesse Yashiro...

Alors c'est quelque chose de très cruel et de très éprouvant.

Déesse... Ô déesse Yashiro... j'admets ma faute. J'ai pêché en refusant de croire en votre malédiction.

Mais dès aujourd'hui, j'y croirai.

Je le jure, j'y croirai dur comme fer.

Votre malédiction existe bel et bien...

Alors s'il vous plaît... épargnez-moi cela...

Je vous en prie... Je vous en supplie...

Le dîner fut très mauvais ce soir-là.

Les aliments n'avaient ni saveur, ni bouquet.

Même la vapeur odorante de la soupe miso, qui d'habitude ne manquait jamais de me donner faim, me parut être un simple nuage de vapeur, plus ennuyeux qu'autre chose.

Mon père était assis avec nous, ce soir.

C'était une occasion plutôt rare, je dois dire.

Lorsqu'il est à fond dans son travail, il mange et il dort à son rythme.

Le temps et l'heure sont les cadets de ses soucis.

Le fait qu'il soit à table avec nous peut signifier qu'il vient de terminer un gros chantier, ou bien alors qu'il a une sacrée panne.

Papa de Keiichi

— De toute façon, je te dis qu'il ne comprend pas le concept de la motivation artistique, ce n'est pas plus difficile que cela.

Maman de Keiichi

— De toutes manières, tu lui as juste dit que tu lui ferais un devis, mais tu n'as rien signé, non ?

Si vraiment tu n'aimes pas travailler avec lui, tu n'as qu'à l'envoyer paître !

Papa de Keiichi

— Oui, mais c'est un petit monde, tu sais, il faut s'entr'aider dans le milieu, au cas où. Mais franchement, ce travail va être plus une corvée qu'autre chose...

D'après leur conversation, ce n'était pas la joie pour eux non plus.

Le repas n'était déjà pas bon comme ça, mais alors là, c'était la fin des haricots.

Tout en les observant d'un œil désintéressé, je réfléchissais à ce qu'il s'était passé aujourd'hui.

Maintenant que je ne peux plus faire confiance à mes amis les plus proches... à aucun de mes amis, en fait, je manque désormais cruellement de gens à mes côtés.

Je n'ai personne en qui je puisse avoir une confiance aveugle, personne pour me sortir du pétrin en cas de coup dur.

Si seulement il y avait quelqu'un de mon côté dans cette affaire... Au moins, je ne serais pas aussi désespéré.

Je cessai de manier mes baguettes et risquai un regard vers mes parents, toujours en grande discussion.

La première chose qui m'était passée par la tête, il y a quelques jours, c'était de tout leur raconter.

Maintenant que je ne pouvais plus faire confiance à absolument personne à Hinamizawa, mes parents étaient les seuls à qui je pouvais encore me confier.

Mais qui me disait qu'ils comprendraient ma situation ?

Prenons l'exemple de Rena.

Depuis que nous avons emménagé ici, elle vient tous les jours me chercher pour aller à l'école, elle nous file parfois des légumes ou des fruits, c'est l'une des personnes les plus sympathiques du voisinage.

Comment je leur dis, moi, qu'elle veut ma peau ? Comment le leur faire comprendre ?

Je ne pense pas qu'ils me croiraient.

Mon père est toujours dans sa tour d'ivoire, alors il ne risque pas de me comprendre, et ma mère est tellement terre-à-terre que je peux être certain de sa réaction. Elle me traînera dans l'hôpital psychiatrique le plus proche...

C'est triste à dire, mais ils ne me font pas plus confiance que cela.

Et même en admettant, en imaginant qu'ils veuillent bien me croire... Que pourraient-ils faire ?

Ils ne vont pas faire éclater l'affaire au grand jour, et je ne pense pas qu'ils aient les moyens physiques de me protéger.

En fait... je pense même que si je leur en parle, cela pourrait les mettre en danger.

Quand j'y pense, les années précédentes, elles n'ont pas fait dans la dentelle. Trois couples sont déjà morts, après tout. Il n'y a franchement pas de quoi rire.

Il n'est pas impossible qu'il nous arrive à tous les trois un petit accident... et que nous disparaissions.

Ce qu'il faut bien se mettre dans le crâne, c'est qu'il est dangereux d'en savoir trop.

Le plus inquiétant dans l'histoire, c'est que je ne vois pas comment les autres font pour apprendre comment on est entré en possession de certaines informations...

Mais à l'inverse, tant que mes parents n'en sauront pas trop, ils ne leur arrivera rien... non ?

En tout cas, dans mon cas,

le monde est devenu fou depuis que j'en ai appris un peu trop.

Donc en fait, on peut résumer ça comme suit.

Tant que mes parents ne sauront rien, ils ne risqueront rien.

Et tant qu'ils seront à la maison, je serai en sécurité. Les autres ne m'attaqueront pas.

Oui, je sais, c'est une hypothèse que je bâtis sur du sable et du vent.

C'est un moyen de me rassurer, une manifestation physique de mon désir profond de trouver un refuge.

C'est juste pour me persuader que je suis plus en sécurité chez moi que dehors, mais je sais bien que cela ne veut pas dire qu'il ne peut rien m'arriver ici...

Bon, je sais désormais que je ne peux pas compter sur mes parents... non, ce n'est pas vrai, je ne peux pas me permettre de les impliquer dans tout ça, ce n'est pas la même chose.

Donc, à bien y regarder, la seule personne qui puisse être de mon côté... c'est M. Ôishi.

C'est la seule personne qui comprenne la situation dans laquelle je suis.

Il n'est malheureusement pas vraiment intéressé par ce qu'il pourrait m'arriver, mais il a vraiment envie de boucler cette affaire.

Ça me mettait en rogne.

C'était lui qui m'avait mis dans le pétrin, et j'allais devoir compter sur lui pour m'en sortir...

Ce qui signifiait que tout se déroulait comme il l'avait prévu.

Mon boulot, c'était d'être un bel appât à poisson qui flotterait entre deux eaux, l'air appétissant.

Ôishi n'avait plus qu'à attendre que les prédateurs fussent agglutinés autour de moi pour donner un coup de filet !

Ça ne me plaît pas, mais c'est probablement la meilleure solution.

Alors quoi ? Qu'est-ce que je fais, maintenant ?

La règle d'or à la pêche, c'est d'être patient.

Il faut attendre, encore et encore, jusqu'à ce que le poisson morde de lui-même...

Sauf que moi, je ne suis pas un appât.

Avant de me faire manger, je peux tenter de me défendre si je le veux.

Lorsque mes meurtriers passeront à l'attaque, je devrai me débrouiller pour éviter leur assaut à la dernière seconde et attendre que M. Ôishi les cueille.

Il va sans dire que n'est pas une tâche aisée.

M. Ôishi va avoir du mal à trouver le bon timing.

Il vit en effet non pas à Hinamizawa, mais en ville, à Okinomiya.

Même si je lui fais passer un appel de détresse, il lui faudra bien 30 minutes pour rappliquer.

Il va falloir que je réussisse à fuir pendant tout ce temps...

Il faudrait par exemple... que je lui fixe un point de rendez-vous au cas où les choses tournent mal.

Comme ça il sait tout de suite où je suis et ça m'évite de m'enfuir au hasard... Ensuite, je n'ai plus qu'à l'attendre là-bas.

Keiichi

— Ouais... Ouais. Ça commence à prendre forme...

La situation était toujours sans issue pour moi, mais au moins, j'avais un plan pour retarder l'inévitable, le moment venu. Je n'aurais jamais cru que cela pût me remonter tellement le moral.

Je sais !

Il me faudrait une arme pour me défendre, quelque chose que je puisse facilement transporter.

Hmmm... ... ... un couteau suisse ?

Pas vraiment efficace si je dois me battre.

Et puis de toute façon, les gens se douteront bien que c'est une arme.

Non, ce qu'il me faut, c'est quelque chose de long, pour garder mes ennemis à distance... une batte de base-ball par exemple.

Je me souviens avoir vu une batte en fer à l'ecole.

Si je pouvais l'avoir avec moi en cas de besoin, ça me rassurerait beaucoup.

Il suffit que je fasse semblant de m'entraîner et personne ne se douterait de quoi que ce soit.

Demain, j'irai à l'école un peu plus tôt et je la prendrai.

Peut-être que le simple fait d'être armé les fera réfléchir à deux fois avant de mettre leur plan à exécution.

Il me faut encore un truc... une assurance.

Je vais simplement laisser une trace écrite de tout ça. Simplement un résumé de ce qu'il s'est passé, un peu comme un journal intime.

Si jamais il m'arrivait de “disparaître dans la nature”, eh bien il resterait toujours le journal.

Je suis sûr qu'Ôishi pourrait me venger en s'aidant de ce journal pour découvrir mes assassins.

Jetant un dernier regard en arrière vers mes parents, toujours pris par leur conversation, je montai dans ma chambre.

Je déchirai aussitôt une page dans l'un de mes cahiers et me mis assis à mon bureau.

... Depuis quand n'avais-je plus tenu un journal ? Depuis mes derniers devoirs d'été de l'école primaire, non ?

Au cas où il m'arriverait vraiment quelque chose, la police devra pouvoir obtenir des indices grâce à ce journal.

C'est pourquoi il faut absolument que j'y décrive uniquement les faits.

Mais par quoi commencer...

Je décidai de commencer au hasard et de laisser les mots me guider.

“Je m'appelle Keiichi Maebara, et quelqu'un veut me tuer.”

Je souris, gêné. Ça ressemblait étrangement à certaines phrases débiles et bidons qui pullullaient dans les romans policiers à deux balles. Qui eût cru qu'un jour, moi aussi je me mettrais à écrire ce genre de choses ?

“Je ne sais pas qui ni pourquoi, mais l'on cherche à me supprimer.”

Je soupçonne Rena et les autres filles, mais je n'ai pas de preuves tangibles.

... Il vaut mieux ne rien écrire que d'écrire quelque chose de faux.

Ça ressemblait tellement à un roman de seconde zone que je ne pouvais m'empêcher de rire en relisant mes phrases ridicules.

Est-ce que la police allait vraiment pouvoir tirer quelque indice que ce soit de ce texte ?

Il me faut espérer, je n'ai pas le choix.

En fait, j'aimerais mieux espérer que ce journal ne servît à rien, faute de meurtre...

Pff, ouais, c'est ça... mais ça risque pas d'arriver.

C'était trop court. Il me fallait encore au moins une ligne...

“La seule chose que je sais, c'est que cela a un rapport avec la malédiction de la déesse Yashiro.”

Hmmm... C'est peut-être un peu trop gros, non ?

Il vaut mieux que je n'en écrive pas plus pour l'instant.

Je risque de partir en conjectures et d'écrire des affabulations.

Si j'avais envie de passer pour une source sérieuse, il fallait absolument arrêter mon message ici.

... Au pire, je n'aurais qu'à écrire d'autres lignes lorsque j'aurais découvert d'autres choses.

Je pliai la feuille et me mis à chercher un endroit où la cacher.

Si je la mets dans un endroit trop évident, mes assassins pourraient la trouver.

Mais d'un autre côté, si je la cache dans un endroit trop secret, personne ne la trouvera, pas-même la police...

Après y avoir longuement réfléchi, je décrochai mon horloge du mur et fixait la feuille de papier à l'arrière, avec du ruban adhésif.

Puis je la remis en place.

... OK,

on ne remarque pas qu'il y a quelque chose de caché derrière.

Maintenant, il me faut faire en sorte que mes parents tombent dessus s'il m'arrivait quelque chose.

Je regardai l'horloge sous tous les angles possibles, puis, une fois satisfait, je descendis voir mes parents.

Ils étaient toujours dans leur discussion à propos du travail.

J'attendis un peu, mais comme ils n'avaient pas l'air de vouloir faire une pause, je décidai de leur couper la parole.

Keiichi

— Euh, je sais que vous êtes dans une discussion importante,

mais j'aimerais juste vous dire un truc.

Je n'étais pas habitué à les approcher de la sorte, aussi la surprise rendit mes parents instantanément muets comme des carpes.

Maman de Keiichi

— Qu'est-ce qui se passe, Keiichi ?

Keiichi

— Je... J'ai un service à vous demander.

C'est... juste au cas où, d'accord ?

Papa de Keiichi

— Écoute, Keiichi, si ce n'est pas urgent, j'aimerais que tu remettes ça à plus tard.

Ta mère et moi avons des choses assez urgentes à discuter.

Mon grand, ça m'étonnerait que vos discussions soient plus importantes que ce que j'ai à vous dire... enfin bon, allons à l'essentiel.

Keiichi

— S'il devait m'arriver quelque chose... Je veux dire, c'est juste en théorie, d'accord ?

Si je devais mourir un de ces quatre.

Mes parents firent des yeux ronds comme des billes.

Keiichi

— Si je devais mourir dans pas longtemps, je...

je voudrais être enterré avec l'horloge qu'il y a sur mon mur, d'accord ? Mettez-la dans mon cercueil.

Avec ça, ils remarqueront sûrement ce que j'ai fixé derrière.

Mon mémoire.

Mes parents me regardaient, immobiles, les yeux écarquillés.

... En même temps, c'est compréhensible.

Keiichi

— Cette horloge, j'y tiens beaucoup, c'était un projet en technologie.

Je peux compter sur vous, hein ?

Maman de Keiichi

— Il y a un problème ?

Keiichi...

Il s'est... Il s'est passé quelque chose ?

Ma mère me regardait avec un regard extrêmement sévère.

Je suppose que c'est une réaction naturelle quand votre fils vient vous voir un soir pour vous demander ce genre de choses.

Je suis désolé de vous créer des soucis supplémentaires, mais surtout souvenez-vous de l'horloge, c'est tout ce que je vous demande.

Il y eut un grand moment de silence, qui nous mit tous trois assez mal à l'aise. Je décidai de retourner dans ma chambre.

Keiichi

— Écoutez, il faut que j'aille très tôt à l'école demain, alors je vais me coucher.

Bonne nuit.

Sur ces mots, je quittai le salon.

Demain matin, j'irai le plus tôt possible à l'école pour pouvoir récupérer cette batte de base-ball.

De plus, il ne faut plus jamais que j'aille à l'école avec Rena.

J'entendis ma mère m'appeler pendant que je montais les escaliers, mais je fis semblant de ne pas l'avoir entendue.

Je ne peux pas leur en parler.

Si je leur en parle, je les mettrai en danger.

Cette bataille, c'est la mienne. Une guerre allait commencer, et j'étais le seul à pouvoir me battre.

Je ne me ferai pas tuer.

... Pas comme ça, sans même savoir pourquoi... Ça, je ne l'accepterai jamais.