Je suis crevé.
— Ouah, Keiichi, comme tu bailles !
D'habitude, je me réveillais quand c'était l'heure de manger, mais aujourd'hui, ça n'allait pas être possible...
— Ouais, j'ai regardé la télé jusque vachement tard la nuit... Je suis complètement crevé.
— Hmm, c'est bizarre, ça. Il n'y avait pourtant aucun film porno au programme hier soir ?
— Es-es-espèce de-de-de-de COCHON !
— Attends une seconde ! Pourquoi est-ce que je devrais forcément regarder que des films de cul, hein ???
— Vous êtes un garçon, c'est tout à fait dans l'ordre des choses. C'est la Nature, ce n'est pas sale...
Rika enfonça le clou. Et en plus, elle se mit à me caresser la tête...
— Dites, aujourd'hui j'aimerais bien dormir pendant la pause midi. Juste aujourd'hui, s'il vous plaît.
Non, sérieux.
— Allons donc ! Vous pensez réellement que je laisserais passer une occasion pareille ???
— Si tu m'en empêches, je vais m'énerver.
Je vais me fâcher !
tou-HAAAaaaaahhhaa-ouge. Vache...
Pas glorieux comme intimidation.
J'étais complètement HS.
Je plaçai la tête sur mon pupitre et passai en mode sieste forcée.
Satoko ne voulait pas lâcher le morceau, mais je l'ignorais.
— Satoko, arrête, voyons.
Il s'est endormi...
Oh, regardez-le, il est tout mimi quand il dort...
— Tu pourras le ramener dans ta chambre cette nuit si tu veux, mais pas maintenant, d'accord ?
Laisse-le dormir.
— Allons nous asseoir plus loin.
Il ne faudrait pas qu'on le réveille en parlant trop fort.
Brave petite...
— Et surtout, ne pas le déranger si la maîtresse revient.
Je retire ce que j'ai dit.
En fait, j'avais menti en disant que j'avais regardé la télé jusque tard le soir.
J'avais respecté le couvre-feu habituel, mais... je n'avais pas réussi à oublier ce que cet Ôishi m'avait raconté dans la voiture.
Ici, à l'école, je pouvais oublier. J'aurais presque pu croire que toute cette affaire n'avait jamais existé.
... Qui sait ? Peut-être que Ôishi m'avait fait une blague ?
Mais non... Les faits étaient là.
... Et surtout, je n'avais le droit de les raconter à personne.
Ôishi m'a demandé de l'aider mais... je ne vois pas ce que je pourrais découvrir.
Puisque de toute façon je ne pouvais lui être d'aucun secours, j'aurais préféré ne jamais savoir ce qu'il s'était passé.
Je l'avais vue venir, celle-là. J'ai voulu savoir, et maintenant je le regrette. C'est bien fait pour ma gueule...
Si je n'avais pas appris ce qu'il s'était passé, je serais sûrement en train de m'amuser comme un petit fou avec les autres...
Je ne pouvais pas m'empêcher d'en vouloir à ce policier.
— Quoi ?? Depuis quand ?
— Il paraît que déjà le lendemain, il n'était plus là.
Il a disparu le soir de la purification du coton, il semblerait.
Mion parlait avec une voix étouffée pour ne pas que tout le monde n'entende, mais je n'eus aucun mal à distinguer sa voix.
J'eus plus de mal à entendre ce que disait Rena.
Je pus juste comprendre, au ton de sa voix, qu'elle était terrifiée.
... ne me dites pas qu'elles parlent de Tomitake ?
— ... juste M. To... Juste lui ?
— Aucune idée.
C'est tout ce que je sais.
Je devais garder sa mort secrète, ou en tout cas faire semblant de ne pas savoir.
J'aurais pu me lever et faire croire que j'apprenais la nouvelle, mais à dire vrai, c'était beaucoup plus facile pour moi de me taire et d'espionner la conversation.
La question était de savoir pourquoi est-ce que je tenais tant à espionner leur conversation...
Ça me faisait un peu mal au cœur de faire ça en cachette.
— ... éral, il y a deu... d'autre ?
Par exemple cette f...
— Je ne sais pas si la malédiction l'a frappée ou si les démons l'ont enlevée...
Les démons l'ont enlevée ?
Les démons, dans le sens, les monstres de la mythologie ?
Enlevée, comme, un rapt, quoi ?
Quelle drôle d'expression.
Elle était empreinte de quelque chose de mystérieux, mais en même temps de très malsain...
— Quoi qu'... y a sûr.... d'autre, non ?
C'est obligé, non ?
— Ben oui, on parle de la déesse Yashiro, quand même...
— Oui, mais !
Cette année, on n'a pas... de ... ...avre, non ?
— Le maire en discutait avec mon aïeule, en fait.
Apparemment, ils se sont arrangés avec la police cette année pour que l'affaire ne soit pas ébruitée.
Je connais pas les détails, mais bon, la police est censée garder tout ça secret, s'il se passe quelque chose.
— Alors... il est poss... jà... quelqu'un soit mo...
fait on soit les derni... voir ?
— Ouais...
— Mais alors, la prochaine... ce sera moi,
n'est-ce pas ?
— Mais non, flippe pas comme ca.
Tu es revenue, toi. Tu seras épargnée.
— La déesse a bien tué... non ?
— C'est de l'histoire ancienne, tout ça.
Changeons de conversation, d'accord ?
Elles étaient mal à l'aise, sûrement, parce que bien vite elles se turent et gardèrent le silence.
Je n'ai pas tout saisi dans la conversation, mais... il y avait quelques détails qui m'intriguaient.
Déjà, cette expression, là, “l'enlèvement des démons” ou je ne sais plus trop comment c'était.
Comment elle disait ça ? Les démons l'ont enlevée... Généralement on dit d'une personne disparue sans laisser de traces qu'elle a été enlevée par les dieux. Ça y ressemble, mais ca n'est pas vraiment la même chose...
Tomitake et la femme qui l'accompagnait (c'était quoi son nom déjà ? Han, j'en ai marre de jamais me souvenir du nom des gens...) ont disparu après la cérémonie, donc je pense que le sens de cette expression est assez clair.
Le deuxième point qui me titillait, c'était ce commentaire de Rena comme quoi il y aurait forcément une deuxième victime.
Mion a simplement acquiescé en disant que c'était la déesse Yashiro.
Est-ce que cela voudrait dire... que lorsque la malédiction de la déesse frappe, il y a toujours deux victimes ?
Ça explique pourquoi Mion se demandait au début si c'était la malédiction ou l'enlèvement.
Ce sont deux phénomènes bien différents, qui arrivent toujours en même temps.
Je me remémorai les détails de la mort de Tomitake.
Il n'avait pas disparu...
Il avait eu une fin horrible, digne d'une malédiction.
Alors dans ce cas... c'est la femme qui l'accompagnait qui a... été enlevée par les démons ?
La seule chose dont je sois sûr maintenant, c'est que lorsque la malédiction frappe, il y a toujours un nombre pair de victimes.
Le dernier point qui me tracassait... c'était Rena.
Elle avait peur.
... et je ne savais pas pourquoi.
Mais apparemment, elle avait déjà eu affaire à la malédiction, et était persuadée d'avoir fait quelque chose de terrible qui pourrait lui attirer les foudres de la déesse...
La déesse Yashiro est pourtant... la divinité protectrice du village.
Elle est censée protéger les habitants des ennemis de l'extérieur, non ?
Si je me souviens bien, Ôishi m'a expliqué hier que le meurtrier ne choisit plus ses victimes parmi les ennemis déclarés du village.
Mais si cette hypothèse était vraie, alors ce ne serait pas Rena la cible logique, mais moi, car j'ai emménagé depuis seulement quelques semaines.
Rena avait l'air d'être persuadée d'être la prochaine sur la liste...
Qu'est-ce que je fais... Je raconte ça à Ôishi ?
En gros, je vais lui rapporter l'écho d'une conversation que j'ai espionnée entre mes amies les plus proches...
Ça allait de pire en pire.
Plusieurs questions sans réponse m'assaillaient et m'enveloppaient dans un épais brouillard sombre...
La question était : est-ce que je veux vraiment obtenir les réponses ?
Est-ce que ça ne risquait pas de m'enfoncer encore plus dans ce merdier ? Tellement profondément que je n'aurais plus aucun espoir d'en ressortir un jour ?
Je suis sûr qu'un jour, je le regretterai.
Un jour, je me dirai qu'il aurait mieux valu que je ne susse rien...
— La maîtresse arrive !
Keiichi !
Réveillez-vous donc, mon cher !
J'entendis au loin la clochette indiquant la reprise des cours.
Merde... Finalement, avec tout ça, je n'ai pas dormi !
Je levai brusquement la tête.
Au moment où mon dos toucha le dossier de ma chaise, je ressentis une vive douleur.
— Aïïeeeuuuuh !
Apparemment, quelqu'un avait fixé des punaises avec du scotch...
Pas besoin de me faire un dessin, je me doutais de qui c'était !!
— SAAAATOOOOOKOOOOOOOOOO !
Déclarée coupable par défaut, sans juge ni jurés !
Je déclare la peine maximale !
Je me levai d'un bond
et me ramai la gueule par terre.
Quelqu'un avait noué mes lacets ensemble pendant que j'essayais de dormir !
— Bien, bien, Satoko, bravo !
Tu es forte pour pouvoir cacher ta présence, je dois admettre.
J'enlevai mes chaussures et me jetai sur elle. C'est à ce moment-là que la maîtresse entra dans la classe.
— Ooohhohhohho !
La maîtresse est là, mon cher, vous ne pouvez plus rien me faire !
Retournez à votre place !
Tonn, tonn, tonn,
Hhhhh !
Tonk !
Sans me démonter, je lui collai une chouquette monstre.
— Ouiiiiiiiiiiiiinnnnnnn !
Keiichiiii eeeeeest méééééchaaaaant aaaaaveeeeeec moiaaaaaaaa !
— Eh bien alors,
Maebara, qu'est-ce que ça veut dire ?! On ne frappe pas les plus petits !
Allez, excuse-toi !
Je vis Satoko me tirer la langue entre deux pleurs. Espèce de sale gosse !!!!!
— Eh bien ? J'attends toujours, Maebara !
— Mais ouais, c'est bon, ça va, je m'excuse.
Satoko, chte dmand' pardon.
J'y mis toute la mauvaise volonté possible.
Attends un peu, sale gamine !
— Allons, allons, Kei, venge-toi pendant les heures du club !
Tous à vos places !
Mion était dans son rôle de déléguée, je dus donc m'incliner et retournai en maugréant à ma place.
Le cours assommant prit fin, et enfin nous pûmes commencer à jouer après les cours.
Alors, qu'allions-nous faire ce jour-là ?
Si on m'avait demandé mon avis, j'aurais proposé de rejouer au même jeu que la veille.
À cause du flic, je n'avais pas pu vraiment y jouer.
En plus, je n'ai même pas pu me servir de la stratégie mise au point avec Rena !
— C'est bien vrai. Si on y jouait aujourd'hui, Keiichi et moi gagnerions à coup sûr !
— En même temps, que faire ?
Nous n'avons jamais joué au même jeu deux jours de suite.
— Pourquoi ne pas demander tout simplement à Mii ?
Je me retournai et croisai le regard de Mion lorsque celle-ci tapa du poing dans la paume de sa main. Apparemment, elle se souvenait de quelque chose...
— Oups !
J'avais complètement oublié ! Aujourd'hui, il faut que j'aille aider un de mes oncles au magasin...
Désolée, les enfants, mais aujourd'hui, pas de jeu !
— Aider un oncle au magasin ?
Depuis quand tu fais preuve de piété filiale, toi ? C'est une excuse vaseuse !
— Nan, désolée, vraiment.
Ça m'était complètement sorti de la tête.
Bon, ben, j'y vais déjà, moi, OK ?
Mion prit son sac et s'en alla à toute blinde vers la grille principale.
— Mii va vraiment de temps en temps aider ses oncles en ville, tu sais.
Ah ouais ? J'aurais jamais cru. Je pensais qu'elle était du genre à refuser ce genre de corvées.
— Oh, mais elle est payée, à ce qu'elle dit.
Cela lui fait d'ailleurs une belle somme d'argent de poche.
Aaaah, je commence à comprendre.
Ce qui explique la montagne de jeux qu'elle peut se permetre d'acheter.
— Mais... comment dire. C'est pas un job, ça ?
L'école nous l'interdit, non ?
— Il y a marqué en petits caractères que cela ne concerne pas les activités professionnelles liées au cadre familial.
Au temps pour moi.
Et donc ?
Ça tombe à l'eau pour cet après-midi ?
— Alors quoi ? Rompez les rangs ? On fait quoi ?
— On peut jouer même si le chef n'est pas là, quand même ?
Allez, quoi !
J'ouvris le casier avec les jeux et cherchai la boîte du jeu d'hier.
— Ah, le voilà !
Le jeu d'hier !
On a fini juste au moment où je commençais à comprendre le principe, alors j'ai bien envie d'y rejouer.
Il faut au moins que je me venge de Satoko pour ce midi !!
— Ça m'est égal.
Qu'en dites vous, Rena, Rika ?
— Hmmm...
Si vraiment tu insistes, Keiichi, pourquoi pas, mais juste un peu alors...
— Je préfère de loin attendre que nous soyons tous là.
C'est vrai que vu comme ça, elle a pas tort... Hmmm...
— J'ai des courses à faire aujourd'hui. Si on ne joue pas, ça m'arrange.
Il me faut de la sauce de soja, entre autres.
— Ah ! C'est vrai, ça !
Nous n'avons plus de soja, j'avais oublié.
— Bon, dans ce cas je vais aller faire une chasse au trésor... Ça fait un bail.
Ah ben bravo ! Personne n'avait envie de jouer en fait !
Je savais qu'il ne servirait à rien de continuer à geindre. En plus, elles risqueraient de se douter de quelque chose...
Bah, tant pis, je lâche l'affaire.
— Psssss. J'avais plutôt hâte d'y rejouer, à ce jeu, moi...
Dans un geste de dépit, je jetai les tas de cartes pêle-mêle dans la boîte.
— Mais ne vous en faites pas, mon cher, vous aurez encore d'autres occasions de perdre !
Oohhohhohho !
— Le meurtrier, c'est “Satoko”
avec “le pistolet” !
Ha, je le savais que c'était toi !
— Ah oui ???
Eh bien alors... voyons voir...
Satoko chercha à toute vitesse trois cartes dans le tas et me les tendit devant la figure.
— Le meurtrier, c'est “Keiichi”,
avec “la corde”, dans “le vestibule” !
— Pah, j'ai pas besoin d'une corde !
Je vais te tordre le cou !
— Nooon,
n'approchez pas, espèce d'animal !
Bon.
Je me suis au moins vengé de ce midi, ça ira pour cette fois.
— Ouiiiiiin !
Keiichi, vous me le paierez !
— Il a assouvi ses pulsions sur toi.
Pauvre petite.
— Ahahahaha... Comme c'est mimii...
Tout le monde préparait ses affaires.
Je ramassai les cartes pour les ranger.
Soudain, ma main s'arrêta net.
Elle était près d'une carte de meurtrier, mais il y avait quelque chose qui clochait.
— “Rena”
“Satoko”
“Rika”
“Keiichi”
“Mion”
...
“Satoshi”.
Satoshi ? C'est qui lui ?
Les cartes de meurtriers ne sont pas les cartes d'origine.
Elles ont toutes été créées par la suite avec les noms des membres du club.
Alors il serait... un membre du club ?
Il ne me semble pas qu'il y ait un Satoshi dans cette classe.
Je regardai parmi les noms des élèves sur les plaquettes au mur. Pas de Satoshi.
— Allez Keiichi, dépêche-toi !
Je revins à la réalité.
Satoko et Rika se dirigeaient déjà vers les casiers à chaussures. Nous étions seuls dans la salle de classe.
Rena avait déjà son cartable près de l'épaule et s'apprêtait à partir.
— Rena.
Dis-moi, je parie que les élèves, ça va, ça vient, non ? Il y en a beaucoup qui partent en cours d'année ?
Je sais, ce n'était pas très direct comme approche.
Rena avait l'air un peu gênée, mais elle répondit quand même.
— Bah, plutôt, oui.
Hinamizawa, c'est un coin un peu paumé, il faut bien dire.
Alors oui, de temps en temps, certains élèves doivent partir dans une autre école.
— Ah, d'accord... Alors Satoshi est parti ? Quand ça ?
— Ah... désolée,
...
je sais pas.
Elle avait eu une hésitation, mais elle avait été tout de même très prompte à répondre.
— Ne... ne le prends pas mal, hein !
Mais il est parti l'année dernière.
Je venais d'emménager, alors on n'a jamais vraiment discuté ensemble.
Je le connaissais pas beaucoup, vraiment.
Je suis désolée !
Je sais pas, désolée.
C'était en gros la même réponse que lorsque j'avais voulu savoir pour le meurtre d'il y a quatre ans.
J'étais un peu triste d'être laissé à l'écart encore une fois, mais je ressentais aussi une pointe de colère.
Je suis pourtant... un ami, non ?
On ne fait pas de cachotteries et de secrets à ses amis... non ?
Je veux dire, oui, c'est plutôt sympa de ne pas me parler de la malédiction, parce que c'est un truc qui fout bien la trouille, il faut bien l'admettre.
Seulement si tous mes amis ont peur, j'aimerais bien pouvoir partager cette peur avec eux.
Ça sert à ça, les amis, non ?
J'étais à la fois triste et en colère... Je me demande bien quelle tête je tire en ce moment...
— Keiichi ? Tu me fais peur, là.
Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu prends cet air ?
Ah, ben voilà ma réponse.
Rena avait vraiment peur de mon expression.
— Ahh... Excuse-moi, je...
J'avais vraiment envie d'y jouer, à ce jeu, tu sais. Ça m'énerve de ne pas pouvoir jouer aujourd'hui, c'est tout.
Je lui ébouriffai les cheveux pour détourner son attention.
— Allez, viens. On rentre ?
L'atmosphère était encore un peu tendue lorsque nous quittâmes les lieux.
Pourquoi ?
Pourquoi est-ce que ces jours-ci, il m'arrive tout le temps ce genre de trucs rébarbatifs ?
Tant que je n'avais rien su, j'avais pu m'amuser tous les jours.
Mon ombre si longue sur la chaussée n'avait pas de réponse à m'apporter.
— Keiichi, ça va ? Tu es fatigué... peut-être ?
Peut être ?
Elle essayait de voir ma réaction.
L'atmosphère était déjà tendue, mais son visage craintif n'arrangeait vraiment pas les choses.
— Ah oui ?
— Comment dire...
Depuis ce matin, tu n'as pas l'air en forme.
Tu couves quoi, une grippe ?
Je suis en parfaite bonne santé, enfin je pense.
J'ai jamais été malade au point de rater l'école.
Mais comme je ne répondais rien, Rena continua sur sa lancée.
— Tu sais, je crois que c'est la fatigue du déménagement qui te vient d'un seul coup.
C'est trop différent.
Il faut se réhabituer à de nouveaux lieux, à de nouvelles personnes. C'est fatiguant, tu sais.
— Ah oui, tu crois ?
— Oh,
mais j'en suis sûre.
Il m'est arrivé la même chose l'année dernière quand j'ai emménagé ici.
Je peux le sentir, tu sais ?
Tu sais ?
Je me demandai si elle avait vraiment ressenti cette impression diffuse d'exclusion.
Mais j'eus tout de même la vague impression que Rena était la seule à pouvoir me comprendre.
— Tiens, raconte-moi ton arrivée à Hinamizawa. Ça m'intéresse.
Comment c'était ?
Voyant que je voulais bien faire la conversation, Rena fut soudain bien plus enjouée.
— Ahahahaha !
J'étais pareille, tu sais.
Je ne retenais ni le nom des gens, ni les rues du village.
Je n'étais pas toute seule dans mon coin, parce que Mii était toujours gentille avec moi, mais... Quelque part, je me sentais quand même un peu seule, en fait.
Elle me raconta un peu ses débuts au village.
Les rencontres, les bonnes et les mauvaises surprises.
— Ah bon ? Mais alors, toi aussi Satoko te tendait des pièges ?
— Oui.
J'ai voulu m'asseoir et j'ai vu des punaises sur ma chaise.
Beaucoup de punaises.
Et en voulant les enlever, j'ai...
...
Enfin, bon.
Ce sont de bons souvenirs. J'ai l'impression que c'était il y a si longtemps !
— Quand est-ce que tu as été invitée à participer au club ?
Dès le premier jour d'école ?
— Oh, noooon, non non.
Au début, le club n'existait pas.
On l'a créé.
Je ne sais plus qui a lancé l'idée de faire des championnats et des compétitions après les cours.
— Aah, ça me rappelle, Mion disait qu'elle était la première responsable du club.
Ceci explique cela.
— Écoute, ça reste entre nous, d'accord ? Mii, en fait, au début, elle était super nulle à tous ces jeux !
Elle ne gagnait presque jamais.
— Quoi ???
Mion, perdre ???
J'arrive même pas à me l'imaginer !
— Elle subissait presque tous les gages qu'elle avait proposés !
Ahahahaha !
C'est un secret, n'oublie pas !
Wow... Mion, perdre ?
Mais ça explique pourquoi elle en est arrivée au point de permettre tous les coups pour gagner.
Elle n'a pu montrer ses vrais pouvoirs que dès qu'elle a pu tricher !
— Petit à petit, les autres membres sont devenus mes amis.
Mais c'est seulement récemment... en fait, c'était à peu près quand tu as emménagé.
C'est seulement en te voyant que j'ai réalisé à quel point je m'étais habituée au village.
Je parie qu'au début, les autres n'avaient rien raconté à Rena à propos de la malédiction.
Je pourrai peut-être me considérer comme accepté dans le groupe lorsqu'elles se décideront à me parler de la déesse Yashiro.
— Je me demande quand est-ce que vous me considérerez comme un membre du groupe à part entière.
— Pardon ?
Qu'est-ce que tu as dit ?
— Ah, non rien,
je parle tout seul.
— Ahahahaha. Tu es bizarre, parfois, Keiichi !
Cela l'amusait beaucoup, mais moi, ça ne me faisait pas rire.
Je m'arrêtai brusquement.
Puis... je pris ma décision.
— Dis-moi, Rena.
Vous... Vous ne me cacheriez pas un truc ?
— Hein ?
Non.
Non, non, on n'a rien à te cacher, voyons !
— Ça, c'est un mensonge, n'est-ce pas ?
Rena s'arrêta sur le chemin.
Son regard était sévère et froid.
— Qu'est-ce que tu insinues ?
Keiichi ?
Tout de suite, c'était un autre son de cloche dans sa voix...
— Je sais que vous me cachez quelque chose.
Je me trompe, peut-être ?
Rena eut un regard dur qui m'indiqua qu'elle avait bien compris le message.
Je regrettai un peu d'avoir mis les pieds dans le plat, pour le coup.
Mais je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il se passa ensuite.
— Eh bien, et toi, alors ? Hein, Keiichi.
Tu ne nous mens pas ? Tu ne nous fais pas de cachotteries, dans le dos ?
— ... Hein ?
Le ton de sa voix n'avait pas changé, mais Rena avait une expression sur le visage que je lisais pour la première fois.
Son regard était illuminé et perçant. Cela ne lui ressemblait pas du tout.
— Alors, tu es sûr ?
Que tu ne nous fais pas des coups en douce ?
Hmmm ?
Tu nous en fais, n'est-ce pas ?
Tu nous caches des choses.
Rena n'avait rien dit, mais je pense que c'était ce qu'elle voulait me dire.
Bien sûr, il y a le meurtre de Tomitake... Et ce sentiment d'exclusion que je porte en moi. Je savais très bien que je ne leur disais pas tout.
Mais en même temps... Si je ne leur ai pas parlé du meurtre de Tomitake, c'est pour ne pas les effrayer.
Elles m'ont caché la malédiction de la déesse Yashiro pour ne pas me faire peur, non ?
Alors moi aussi je peux leur cacher ça...
On est quitte, non ?
— Non.
Ni mensonge,
ni petit secret.
— Menteur.
Sa réponse avait été immédiate, et je restai interdit.
Rena avança son visage presque sur le mien.
Elle avait un regard inquisiteur, foudroyant, les pupilles parfaitement immobiles... Un peu comme un faucon.
— Comment tu peux affirmer un truc pareil ?
— Keiichi, tu nous as dis hier que la maîtresse t'avait appelé dans son bureau, n'est-ce pas ?
Seulement, moi, je sais ce qu'il s'est vraiment passé.
Tu n'es pas allé dans son bureau.
J'avalai ma salive.
Elle ne disait pas ça au hasard... Elle savait.
— La maîtresse t'a dit que tu avais de la visite.
Mais vous n'avez pas parlé dans le hall d'entrée.
Tu es monté dans une voiture garée plus loin pour discuter.
Avec un parfait inconnu !
Elle sait tout...
Est-ce qu'elle saurait aussi de quoi Ôishi m'a parlé ?
— C'était qui, cet homme ?
— J'en sais rien, je le connais pas.
— Et si tu le connaissais pas, pourquoi est-ce qu'il voulait te parler ?
— C'est ce que j'aimerais bien savoir !
— Et de quoi vous avez parlé ?
— Ça n'avait rien à voir avec vous autres !
C'était un mensonge.
Son accusation résonna et se répandit en écho à travers les arbres.
Quelques oiseaux, surpris, prirent leur envol.
Je respirai un grand coup, mais n'arrivai plus à expirer.
En fait, Rena ne me laissait pas respirer.
C'est là que pour la première fois... J'eus une révélation.
En face de moi... ce n'était pas Rena Ryûgû.
Mais alors, si ce n'était pas elle... Qui était-ce ?
Qui pouvait bien être là, cachée sous les traits de Rena ?
J'étais tellement impressionné que j'en oubliais de respirer. Si longtemps, d'ailleurs, que je crus que j'allais étouffer.
— Tu comprends, maintenant ?
Rena reprit un visage et une voix normale.
Elle avait à nouveau son regard chaleureux et gentil, comme d'habitude... mais je restai pétrifié.
Elle approcha son visage du mien.
Je pouvais sentir sa respiration sur mon visage.
Par contre, mon cœur ne battait pas du tout la chamade.
Je restai paralysé, persuadé que cette personne, qui était Rena mais qui ne l'était pas, allait me bouffer le nez.
... Inconsciemment, je me recroquevillais sur moi-même.
Elle se mit à sourire, comme si elle avait lu dans mes pensées.
Rena... avait toujours le même sourire que d'habitude.
Mais son regard était celui d'un faucon.
Elle s'approcha de moi jusqu'à ce que nos nez soient collés l'un contre l'autre, presque... puis elle me dit d'un ton doucereux :
— Nous sommes comme toi, Keiichi. Il y a des choses que tu préfères ne pas nous dire... Saches que nous aussi, il y a des choses que nous aimerions garder pour nous.
Je ne pouvais ni acquiescer, ni secouer la tête.
La seule chose dont j'étais capable, face à Rena, ou plutôt, face à cette personne qui ressemblait à Rena mais qui ne pouvait pas être Rena, c'était d'avoir peur. Très peur.
J'avais peur du moindre bruit que je faisais, car je ne voulais pas trahir mes émotions. J'avalai ma salive. J'eus l'impression de faire un boucan d'enfer.
Après un long... un très, très long moment, elle reprit la parole.
— Allez, rentrons.
Il commence à faire frais.
C'était à nouveau la vraie Rena.
Elle eut un autre sourire, puis elle tourna les talons et se mit en route, comme si de rien n'était.
Libéré de l'emprise de son regard, je me mis à trembler des genoux et tombai le cul par terre...
En fin de compte, il me fut impossible de bouger jusqu'à ce qu'elle eût entièrement disparu de mon champ de vision.
— Mais qu'est-ce que c'était que ça ??
J'en avais des sueurs froides sur tout le corps.
Lorsqu'enfin je retrouvai l'usage de la parole, je me posai la question à moi-même.
Qui c'était, cette fille ? Qui pouvait bien avoir les traits de Rena... et pourtant ne pas être Rena ?
Qui est-ce que c'était, cette fille ???
Je n'avais plus goût à rien. Je passai le reste de la journée à attendre le repas du soir, sans trop savoir quoi faire.
Lorsque Rena m'a retourné la question tout à l'heure... j'ai eu peur.
Peur ? Peur de Rena ? Non...
Ça n'était pas Rena tout à l'heure.
Mais alors... qui c'était ?
Cette question me glaçait le sang.
Puisque ça ne pouvait pas être Rena tout à l'heure sur le chemin, il faut que je lui parle normalement lorsque je la verrai demain.
Bizarrement, c'était rassurant.
Le bon sens me disait de bien me vider la tête aujourd'hui pour repartir sur des bases fraîches le lendemain.
Sauf que toutes ces pensées et ces émotions se mêlaient dans ma tête et me faisaient un mal de crâne pas possible.
Je repris mes esprits dans un sursaut, et entendis ma mère m'appeler du salon, en bas.
— Keiichi !
Téléphone pour toi, c'est le libraire !
Le libraire ?
J'ai rien à faire avec le libraire, moi !
Voyons-voir ce que c'est.
— Désolé de vous déranger aussi tard,
c'est M. Ôishi de la librairie d'Okinomiya.
— M. Ôishi ?
Aah, oui, M. Ôishi ! Je vois, je vois.
— Je suis vraiment désolé.
Comme c'est votre mère qui a décroché, j'ai préféré mentir et dire que c'était le libraire.
Si j'avais dit que c'était la police, je ne pense pas que ça lui aurait plu.
Je suppose que c'était sa facon à lui de faire preuve de tact.
Il n'empêche que je ne voulais pas que mes parents entendissent notre conversation.
Je pris le deuxième poste et montai avec dans ma chambre.
— Désolé encore de vous appeler aussi tard,
mais en fait, le numéro que je vous ai donné hier est mon ancien numéro de service, il n'est plus d'actualité.
Mes excuses.
Je vous donne le nouveau numéro. Vous avez de quoi noter ?
— Ah, oui, une seconde...
C'est bon, je vous écoute.
Il me donna son numéro de bureau, que je notai avec application.
Je croyais que c'était tout, mais en fait non. Il se mit à taper la discute sur ceci et cela, et n'avait pas l'air de vouloir en finir.
— Ah, mais au fait, tant que j'y suis, M. Maebara.
Du changement ? Du nouveau ?
Aaaah, je vois.
C'était là qu'il voulait en venir.
C'était bien une technique d'adulte, ça. Des tonnes de détours pour, de fil en aiguille, m'amener exactement là où il me voulait. J'en restai silencieux un court instant.
— Dites, M. Ôishi... Avez-vous grandi ici ?
— Oui.
Je suis né et j'ai grandi à Okinomiya.
S'il est du coin depuis tout petit... il saura peut-être me renseigner.
— Est-ce que vous...
J'ai entendu l'expression “l'enlèvement des démons”, vous savez ce que c'est au juste ?
— Hmmm, eh bien, lorsque quelqu'un disparaît sans laisser de traces, comme ça, du jour au lendemain, on dit par chez nous qu'il a été enlevé par les démons.
C'est une expression locale, une variante si vous voulez.
Dans le reste du Japon, on dit “enlevé par les dieux”. C'est exactement la même chose.
J'étais heureux qu'il répondît sans embages, sans essayer de me cacher quoi que ce soit.
Il était bien plus âgé que moi et nous ne connaissions pas, mais il se montrait plus décent avec moi que mes propres amies. Je n'avais même pas pu leur poser la question...
— Hinamizawa était... hmmm, je ne sais pas si je dois vraiment vous le dire...
— Lâchez le morceau !
Si vous ne dites rien, je ne dirai rien.
— Ah, ne vous méprenez pas sur mes intentions !
Je pensais simplement que cela pourrait vous mettre mal à l'aise...
Il se trouve qu'autrefois, le village de Hinamizawa était craint et réputé pour être le village où vivent les démons.
— Les démons ?
Les monstres du monde des morts, avec le gourdin en or massif ? Vous parlez de ceux-là ?
— Non, plutôt les ogres mangeurs d'hommes.
Ils venaient au village, enlevaient l'un des habitants et le mangeaient. C'est une vieille légende que l'on se transmet dans la région.
C'était donc pour ça que cette expression était née...
— J'ai entendu dire que l'enlèvement et la malédiction allaient toujours de pair, mais...
je ne comprends pas trop ce que cela veut dire. C'est quoi cette histoire, au juste ?
Je savais déjà qu'il y avait eu cinq morts bizarres, cinq années de suite.
Mais par contre, je ne savais pas qu'il y avait eu aussi cinq enlèvements.
— L'enlèvement et la malédiction vont de pair ?
C'est la première fois que j'entends ça.
Vous êtes sûr ?
— Je n'en sais rien, c'est pour cela que vous pose la question.
Mion et Rena en discutaient aujourd'hui. Si c'est la malédiction de la déesse Yashiro, alors il y aura forcément un enlèvement. C'est ce qu'elles ont dit.
À l'autre bout du fil, Ôishi murmurait dans sa barbe.
Il a peut-être une piste ?
— M. Maebara,
vous savez ce qu'il s'est passé pour le premier incident ?
Le meurtre avec démembrement.
— Oui.
L'un des six meurtriers est toujours en fuite, c'est bien cela ?
— C'est exactement cela.
Imaginons un instant qu'il ne soit pas en fuite... mais qu'il ait été “enlevé par les démons”. Qu'est-ce que vous en dites ?
Quoi ???
C'est plutôt osé comme théorie, surtout de sa part.
Il y a quatre ans, il s'est produit un meurtre sordide comme il y en a rarement, mais cela arrive.
Les meurtriers ont été identifiés.
La police a imprimé des avis de recherches avec la photo du dernier suspect.
Ils ont cherché partout, et ils se sont sûrement démenés pour qu'il ne puisse pas s'enfuir.
Mais même après quatre années de recherches, la police ne l'a toujours pas trouvé.
... Si l'on part du principe qu'il n'y a pas que des incapables dans la police...
Alors la théorie de l'enlèvement, apparemment si fumeuse, n'est plus réfutable d'un simple sourire et d'un haussement d'épaules.
— Admettons. Et l'accident l'année d'après ?
L'homme et sa femme sont morts en faisant une chute dans le ravin, non ?
— Eh bien en fait...
Officiellement, seul le mari est mort.
Le cadavre de la femme n'a pas été retrouvé.
D'après les lois en vigueur, nous n'avons pas le droit de déclarer quelqu'un mort tant que le cadavre n'a pas été retrouvé et identifié. C'est pourquoi officiellement, la femme est seulement portée disparue.
La rivière au fond du ravin était en crue ce jour-là.
La police a dragué des kilomètres de rivière sur l'affluent principal et même certains confluents. Mais au bout du compte, ils ont quand même fait chou blanc.
— Oui, mais enfin bon... Elle est morte ? C'est juste que l'on n'a pas retrouvé le cadavre.
On ne peut pas considérer cela comme un enlèvement, non ?
— Tant que l'on n'a pas retrouvé le cadavre, nous ne pouvons pas affirmer qu'elle est morte.
Tant qu'un certain laps de temps, fixé par la loi, ne s'est pas écoulé, nous sommes obligés de considérer que cette personne est vivante.
Je ne sais pas si c'est suffisant.
En tout cas, la femme a disparu.
C'est la seule chose qui soit sûre.
— Et la troisième année ?
Le prêtre est mort de maladie.
La femme s'est suicidée !
— M. Maebara...
En fait, c'est le même cas de figure.
La femme s'est soi-disant jetée dans le marais sans fond situé sur les hauteurs de Hinamizawa.
La police ne dispose donc pas de preuve irréfutable.
Seulement de la lettre d'adieu et des sandales retrouvées au bord du marais.
Les plongeurs de la police ont retrouvé des affaires appartenant à la disparue, mais pas le cadavre, et pourtant ils ont cherché.
La commission d'enquête suppose un enlèvement camouflé en suicide, et les recherches se poursuivent.
— Je ne sais pas si les conditions sont réunies pour parler d'un enlèvement par les démons.
Mais comme vous me l'avez dit, il y a bien une personne décédée et une personne disparue chaque année.
— Cette année, c'est la femme qui accompagnait M. Tomitake qui a disparu.
Mais alors, l'année dernière, quand cette femme au foyer s'est fait tuer,
qui a disparu ?
Le coupable a été trouvé, n'est-ce pas ?
— Oui, le coupable a été arrêté.
C'était un ancien toxicomane, accro à l'héroïne. Il était devenu complètement fou.
Il a avoué le meurtre pendant un interrogatoire, alors que l'on cherchait des indices sur une enquête complètement différente.
Mais bon...
Je dois avouer qu'effectivement, peu de temps après l'arrestation, l'un des enfants qui vivaient chez la victime a été porté disparu.
Je ne peux infirmer la possibilité qu'il ait été mêlé au meurtre...
c'est pourquoi il est toujours activement recherché.
— Mais pourtant, vous l'avez, le meurtrier ?
Ou bien vous pensez que c'était un complice ?
— Vous savez... Je pense que le meurtre a été commis par une seule personne.
Enfin, de toute façon, on ne le saura jamais.
L'homme qui a avoué est mort en prison.
Il s'est enfoncé une cuiller dans la bouche jusqu'à s'en étouffer.
Les gardiens n'ont jamais su si c'était un suicide ou si quelqu'un l'avait un peu aidé.
— Mais alors... ça veut dire qu'effectivement, chaque année, il y a un cadavre et un disparu, depuis maintenant cinq années de suite ?
— Oui, effectivement.
Ah, mais vous savez, je suis aussi étonné que vous !
Je n'avais jamais remarqué.
Je ne pense pas que cela nous mène à la solution.
Ce ne sont que des coïncidences.
— Vous pensez que... que les personnes qui ont disparu avaient un point commun ?
Ôishi contempla cette possibilité.
Je me mis à résumer la situation.
— Alors, la première année, c'est un employé du chantier du barrage.
La deuxième année, la femme de la victime.
La troisième année, la femme du prêtre.
La quatrième année, c'est l'un des enfants de la victime, et la cinquième année, c'est la petite amie de la victime... Enfin, j'imagine.
Il n'y a pas vraiment de point commun.
— À part la première année, il y a quand même beaucoup de compagnes...
Oui, c'est vrai, après tout.
Mais alors... qu'est ce qui est si différent avec le meurtre de la quatrième année ? Pourquoi un enfant ?
La deuxième et la troisième année, c'est un couple marié qui a été frappé.
Au fait... Le mari de la victime de la quatrième année est encore vivant, non ? Tomitake m'en avait déjà parlé, il me semble...
— Mais cet enfant qui a disparu la quatrième année, c'est qui ?
— Oh, il était très calme et plutot sérieux.
Il a un an de plus que vous.
Il s'appelle Satoshi Hôjô.
— Quoi ? Satoshi, vous dites ??
Hôjô... J'avais entendu ce nom quelque part.
On m'avait pourtant dit qu'il avait changé d'école l'année dernière !!
— Il allait à la même école que vous jusqu'à l'année dernière.
Vous n'en n'avez jamais entendu parler ?
Peut-être... Si, le premier jour, on m'a dit que ma place était celle d'un gars qui venait de quitter l'école pour une autre... Je crois...
Mais alors... je suis assis sur la chaise d'un élève qui...
...
a disparu l'année dernière... enlevé par les démons ?
...
C'était sa place !?
Je frissonnai en repensant au bois frais de mon pupitre...
La série de meurtre...
ou plutôt la malédiction de la déesse Yashiro...
avait maintenant un lien visible avec moi.
J'avais l'impression de déjà savoir que la fraîcheur de mon pupitre était la même que celle des mains de la déesse quand elles serreraient mon cou...
— ... ... La malédiction, hein... Hmmm.
Je me demande si elle n'existerait pas vraiment.
OK, je l'avoue.
Je crois en la malédiction de la déesse.
Et franchement, je fais dans mon froc.
C'est exactement pour cela que j'aimerais bien trouver quelqu'un pour me rassurer en me prouvant par A + B que c'est bien un être humain qui est derrière tout ça...
Mais plus je cherche, et moins cela semble possible.
En fait, c'est même le contraire qui se passe, plus je cherche et plus il paraît évident que la malédiction existe !
Si ça continue comme ça...
il va fatalement arriver un jour où je découvrirai quelque chose que je n'aurais jamais dû savoir...
Je me demande ce qui serait mieux pour moi.
Chercher à connaître la vérité, pour le regretter par la suite ? Ou bien rester pour toujours dans l'ignorance ?
Si ça se trouve... l'année prochaine, ce sera moi la victime de la malédiction.
Ce qui ne me laisse qu'un an de répit avant le bourreau.
C'est là que d'un seul coup...
Rena...
Rena était persuadée d'être la prochaine victime de la malédiction.
— Pardon, Rena Ryûgû ?
C'est l'une de vos camarades de classe, n'est-ce pas ? Elle a emménagé à Hinamizawa l'année dernière.
Hmmm... Je pense que tout simplement, ces affaires sordides l'ont choquée.
On ne peut pas lui en vouloir d'avoir peur...
Ce n'est pas de cela que je parle.
Elle a affirmé qu'elle était la prochaine sur la liste.
Elle avait l'air de savoir exactement pourquoi.
— Je pense qu'elle en est sûre et certaine, comme si c'était l'évidence-même.
Comment dire, elle avait...
Sa peur panique.
Sa transformation, tout à l'heure.
Cette personne qui était Rena, et qui en même temps n'était pas elle...
Je me demande si ça n'a aucun rapport avec l'affaire.
Je racontai à Ôishi tous les trucs bizarres qui s'étaient passés aujourd'hui.
— Je vois...
Bien, je vais regarder ce que je peux trouver de mon côté.
Quant à vous, essayez de faire attention à elle.
— Vous voulez... que je la surveille ?
— Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, M. Maebara !
Je vous demande de faire plus attention à ses faits et gestes, pour qu'elle ne devienne pas la prochaine victime !
J'eus un sourire. Les adultes sont vraiment doués pour déformer la vérité...
TONN TONN !
Lorsque j'entendis toquer à ma porte, je fis un bond.
Sans réfléchir, je cachai le combiné du téléphone.
— Keiichiiii, ouuuvre !
C'était mon père de l'autre côté de la porte. Il avait l'air de très, très bonne humeur.
Mais qu'est-ce qu'il me veut ?
Surtout à cette heure-ci !
— Ah, désolé, c'est mon père.
On en reste là pour ce soir ?
— Très bien.
Encore une fois, je m'excuse de vous avoir appelé aussi tard.
Appelez-moi s'il y a du changement.
J'en ferai de même.
Bonne soirée !
— Keiichiiii, allez, viiite.
J'ai les mains occupées.
Mais qu'est ce qu'il fout ?
En me levant, j'eus des fourmis dans les jambes. J'avais dicuté longtemps au téléphone, assis n'importe comment...
J'ouvris la porte et vis mon père portant un plateau.
Il avait ramené deux tasses de thé rouge et les petits gâteaux très chers que l'on garde pour les invités de marque.
Les deux tasses étaient très belles. Le sucrier était plein, il y avait même des zestes de citron frais. C'était le grand jeu.
Il y a quelque chose de louche là-dessous.
— Mais... c'est quoi ça, P'pa ?
Pourquoi ?
— Haha, n'essaye pas de te défiler, Keiichi.
Laisse-moi entrer.
Il souriait jusqu'aux oreilles.
C'est peut-être bien la première fois de ma vie que je reçois pareil traitement de faveur de sa part.
Qu'est-ce qu'il a bien pu se passer ?
— Et alors, de quoi avez-vous parlé ?
Uh oh.
Ce n'est pas que je veuille absolument le cacher à mon père...
mais je vois mal comment lui expliquer que j'avais tapé la discute avec un inspecteur de police pendant tout ce temps...
— Rien de spécial.
C'était un ami à moi.
— Je ne te parle pas du téléphone, voyons.
Elle était là, n'est ce pas ?
Rena.
? Rena ? Pourquoi Rena ?
— Elle n'était pas là.
— Oooh, le petit timide !
N'essaie pas de le cacher, voyons, elle était là jusqu'à maintenant !
J'ai voulu vous apporter du thé mais je l'ai croisée dans le couloir alors qu'elle repartait.
Je ne comprenais pas ce que mon père me disait.
Et pourtant, je sentis des sueurs froides me couler tout le long du dos.
— On... on a discuté si longtemps que ça ?
— Rena est montée à l'étage vers la demie, alors... vous avez discuté presque une heure.
— Euh, tu l'as vue monter à l'étage ?
— Bien sûr.
Je lui ai même dit laquelle était ta chambre.
Rena est venue il y a une heure chez moi.
Mon père l'a accueillie à l'entrée... et il m'a appelé, je suppose.
Sauf que j'étais au téléphone et que je ne l'ai pas entendu.
Et alors il l'a conviée à entrer et à aller directement dans ma chambre, à l'étage. Ça paraît logique.
Il lui a dit où était ma chambre, au fond du couloir.
Elle lui a dit merci et elle est montée...
Et une heure après...
Elle est repartie lorsque mon père a voulu nous apporter du thé.
Il s'est passé presque une heure entre le moment où elle est montée...
Et le moment où elle est repartie.
Mais alors... Où est-ce qu'elle était pendant tout ce temps ??
Ma chambre n'est séparée du couloir que par une porte et des murs très minces.
Et donc...
pendant une heure...
Rena est restée là...
debout dans le couloir si étroit...
juste devant ma porte.
Ma porte est toute fine.
On entend probablement tout ce qui se dit dans la pièce.
D'un seul coup, je me souvins de tous les détails juteux dont j'avais parlé à l'inspecteur...
— Voyons, laisse ton fils tranquille, va.
Range plutôt ton atelier,
avant qu'un pot encore ouvert ne tombe par terre.
Ça, c'était ma mère qui lui parlait d'en bas.
Mon père était déçu, mais il descendit le sourire aux lèvres.
Je regardai mon père sortir de ma chambre... et mon regard s'arrêta. C'était sûrement là que Rena était restée debout.
Elle était là tout à l'heure, à moins de deux mètres, dans mon dos...
Tout ce temps, dans le noir, dans ce couloir si étroit ?
Qu'a-t-elle vu ?
Qu'a-t-elle entendu ?
Mais surtout, pourquoi ???
Ce soir-là, je restai encore longtemps à regarder fixement la vapeur qui s'élevait en se distordant des deux tasses de thé et emplissait ma chambre d'une odeur pénétrante...