À force de regarder le coton sur la rivière, j'avais perdu Rena de vue.
Mais je ne m'en sentais pas seul pour autant.
J'étais ici en terre connue.
J'étais chez moi.
Il valait mieux attendre ici plutôt que de se promener à droite à gauche.
Quelqu'un finirait bien par me trouver.
J'entendis soudain une voix familière.
C'était Tomitake.
Je me dirigeai vers le son de sa voix.
— Alors M. Tomitake, vous avez pu prendre de belles photos ?
— Ah, oui, merci.
Il était avec une femme.
Je crois que je dérange...
— Alors, Keiichi, comment as-tu trouvé notre fête ?
Tu t'es amusé ?
Cette femme était donc du village...
Il faudrait que je commence à retenir la tête des gens, quand même...
Comment elle s'appelle, déjà...
— C'était... C'était très sympa, madame... euh...
Elle se mit à sourire en me voyant faire des efforts pour me souvenir de son nom.
— C'est vrai que tu n'as emménagé ici qu'il y a peu de temps.
Pourtant, à voir comment tu te comportes avec les autres enfants, on ne croirait pas.
Ça, c'est grace aux filles...
— Est-ce que tu te sens enfin un peu plus appartenant au village ?
— ... ... ... Hmmm.
Pas vraiment.
— Tiens donc ? Je ne m'attendais pas à ça venant de toi, Keiichi.
Oh, je me sentais déjà bien intégré au village, pas de doute là-dessus.
Seulement... il y avait trop de choses que je ne connaissais pas.
Par exemple, la tête des gens, pour commencer.
Ou bien alors, l'histoire du village... les événements passés.
— Qu'est-ce qu'il y a,
tu te sens rejeté pour si peu ?
— Nan, pas rejeté,
mais bon...
J'aurais voulu en savoir plus sur la construction du barrage, parce que c'était quand même très important.
J'aurais voulu aussi en savoir plus sur les affrontements qui ont eu lieu à l'époque.
Je voulais aussi savoir ce que c'était que cette histoire de meurtre. C'était apparemment si terrible que les gens faisaient semblant de ne pas être au courant.
Je sais que tout ça, c'est du passé, mais c'est un passé que tout habitant de Hinamizawa qui se respecte se doit de connaître. Pas seulement l'âge d'or, mais aussi les pages sombres de l'Histoire.
— Si c'est vraiment ce que tu souhaites... Je peux toujours te raconter ce que je sais.
Son sourire était très engageant.
Mais sa proposition me prenait tout de même au dépourvu...
Je ne savais pas par quoi commencer.
— Eh bien... Racontez-moi un peu cette histoire de construction de barrage.
C'était très grave, non ? Il paraît que le village entier aurait été submergé par les eaux.
— Le barrage, hein... Hmm. Il vaut probablement mieux que tu demandes à un habitant du village de t'en parler,
mais bon, je veux bien te raconter ce que j'en sais.
Je lisais les articles de journaux dessus à l'époque.
Tomitake se mit à regarder au loin, fouillant sa mémoire, puis il commença son récit.
— Le projet a été décidé il y a 7 ou 8 ans de cela. Il paraît que sur le papier,
le barrage aurait été presque aussi grand que celui de Kurobe.
À l'époque, le Japon avait trois problèmes principaux.
Il fallait remodeler l'archipel pour améliorer les réseaux de communications, et amener suffisamment d'énergie électrique aux nouvelles installations.
De plus, il fallait maîtriser les cours d'eau.
C'est pour cela qu'à l'époque, le gouvernement était prompt à approuver les projets de barrage, car ils résolvaient d'un seul coup ces trois problèmes.
Et lorsque les ingénieurs ont regardé ce coin de la carte, ils ont désigné Hinamizawa pour accueillir un barrage.
— Le lac artificiel attenant au barrage aurait été gigantesque.
Il aurait englouti sous les eaux tous les terrains de Hinamizawa et ceux des autres villages en amont jusqu'à Yago'uchi.
— Mais pourquoi vouloir faire un barrage dans une zone habitée ?
Ils auraient pu choisir un coin paumé, non ?
— Hmmm... Apparemment ils pensaient que la géographie du terrain s'y prêtait. Je n'en sais pas vraiment plus, surtout que je n'y comprends pas grand'chose.
Évidemment, ici, les gens étaient contre.
Rika m'avait un jour raconté que les gens avaient “combattu”. Ce que me disait Tomitake avait l'air de confirmer.
— Ils sont allés au tribunal pour cela, cela a même été évoqué à l'assemblée générale du Parlement.
Même les journaux de Tokyo en ont parlé.
Ça rejoint ce que m'avait dit Mion.
Les habitants étaient sûrement unis dans la bataille.
Les habitants considéraient Hinamizawa comme plus que leur chez-soi. Cela était sûrement dû à cette épreuve.
— Et puis, il s'est passé pas mal de trucs louches, sans doute dus à de la corruption.
Le projet a été approuvé et décidé alors que les affaires étaient encore en cours.
Il fallait que je le demande, c'était maintenant ou jamais.
Cet affaire sordide avait éveillé ma curiosité morbide d'adolescent.
Surtout qu'en plus, Mion et Rena l'avaient exacerbée en ne me répondant pas.
C'était une occasion inéspérée.
Je voulais satisfaire ma soif de savoir.
— Il paraît que... qu'il y a eu un meurtre avec démembrement, c'est ça ?
— Oui, c'est vrai.
Je me trouvais justement à Hinamizawa cette année-là,
alors je m'en souviens très bien.
J'avais à peine osé poser la question, mais Tomitake me répondit comme s'il se fût agit de la conversation la plus banale du monde.
— C'était il y a à peu près quatre ans maintenant...
En fait, cela fait tout juste quatre ans, puisque cela c'est passé le jour de la purification du coton.
Le projet avait été houleux, les travaux constament gênés, les chantiers bloqués... Et après toutes ces difficultés, voilà qu'une nouvelle affaire venait défrayer la chronique.
Ce fut elle qui donna le coup de grâce au projet.
Une dispute avait éclaté entre certains travailleurs sur le chantier, et il y eut un mort.
Par peur d'être découverts, les six coupables découpèrent leur victime en six morceaux, et tentèrent de cacher le corps.
En fin de compte, pris de remords, cinq des six coupables se rendirent, mais le dernier disparut sans laisser de traces.
La police n'a jamais retrouvé le morceau du corps que celui-ci avait caché.
C'est en gros ce que je savais grâce aux vieux magazines trouvés dans la décharge.
C'était effectivement tragique, mais rien de si terrible qu'il faille absolument cacher.
Peut-être qu'elles ne voulaient pas me montrer les mauvais côtés de Hinamizawa car je venais juste d'emménager.
J'étais content que mes amies fissent preuve de tact à propos de cette affaire, mais en même temps, cela m'énervait car je n'en étais que d'autant plus curieux.
— C'était une nouvelle affaire dans tout l'imbroglio, alors les gens ont dit que c'était dû à la malédiction de la déesse Yashiro.
Je peux t'assurer que les gens en parlaient partout.
— La malédiction de la déesse Yashiro ? Hmmm...
C'était la divinité vénérée dans ce sanctuaire, celle pour laquelle la fête et le rituel étaient organisés.
Je commençais à comprendre.
Les gens furent convaincus que le dieu protecteur du village avait ainsi puni les félons qui voulaient inonder ses territoires.
— Les jeunes gens du village n'y ont pas cru, mais les anciens étaient persuadés que c'était l'œuvre de la déesse.
Pour eux, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.
La femme aux côtés de Tomitake gloussa malicieusement.
Tomitake trouvait cela drôle, lui aussi. Leur rire fut contagieux, et je me mis moi aussi à en rire.
— Mais je me demande...
Je parie que même parmi les jeunes gens,
ils sont nombreux, maintenant.
— Ils sont nombreux ? Qui ? De quoi ?
— Ceux qui y croient.
À la malédiction.
Tomitake et la femme rigolaient toujours, mais je cessai de rire presque instantanément.
— Depuis...
C'est la même chose tous les ans.
Comme par hasard, toujours dans la même saison...
— Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Tomitake fit un peu durer le suspense. Il regarda les environs et vérifia qu'il n'y avait pas d'oreilles indiscrètes.
— Tous les ans... le soir de la purification du coton...
... ... quelqu'un est retrouvé mort.
— L'année après le meurtre du chef de chantier, le jour de la purification du coton...
L'un des habitants de Hinamizawa parmi les rares qui avaient approuvés la construction du barrage fit une chute d'une falaise, là où il passait ses vacances, et fut retrouvé mort.
Sa femme, tombée elle aussi, fut emportée par le courant, et son corps ne fut jamais retrouvé.
— Les vieilles personnes du village ont commencé à se dire que c'était la malédiction de la déesse Yashiro,
parce que cette personne avait trahi le village.
Cela avait l'air de beaucoup amuser la femme.
— L'année d'après,
le soir de la cérémonie,
c'est le prêtre du sanctuaire qui mourut d'une maladie inconnue.
Sa femme s'est suicidée en se noyant dans le marais le soir-même.
— Le prêtre du sanctuaire ? Le sanctuaire où nous étions aujourd'hui ?
La femme acquiesça.
— Les habitants du village ont dit que la colère de la déesse n'avait pas été suffisamment apaisée.
— L'année encore après, encore une fois le soir de la cérémonie,
une femme au foyer a été retrouvée battue à mort.
... Une femme au foyer ?
Jusque-là, toutes les victimes avaient plus ou moins un rapport avec la déesse Yashiro, mais là ?
Aurait-elle elle aussi eut quelque chose à voir avec ?
— Exact.
Cette femme avait l'air de beaucoup s'amuser,
mais ses paroles étaient cruelles.
— La famille de la victime...
était celle du petit frère de l'homme retrouvé mort la deuxième année.
— Le petit frère en question est toujours vivant...
par contre, il n'ose pas se montrer au village. Il vit dans la ville voisine.
Pendant un bon moment, je restai bouche bée.
J'avais voulu en savoir plus sur la guerre autour du projet de barrage.
J'avais voulu savoir ce que c'était que cette histoire de meurtre.
C'était tout ce que j'avais découvert, et je souhaitais simplement en rester là.
Mais là... je découvrais qu'en fait, cela allait beaucoup plus loin.
Un meurtre.
Un corps abandonné.
Un accident mortel.
Une mort par maladie.
Un suicide.
Un meurtre par violences.
Je suis un garçon très pragmatique.
Je ne veux pas croire pas aux malédictions.
Et pourtant... quand je vois cette suite de meurtres bizarres qui se produisent chaque année, à la même date, tous en rapport avec le barrage...
Je veux dire, bien sûr, on pourrait facilement affirmer que tout cela n'est que dû au hasard.
Sauf que tout de même... Il y a un peu trop de coïncidences.
Il faudrait vraiment être stupide pour croire à un simple hasard...
Je ne crois pas aux malédictions.
Mais il y a effectivement quelqu'un qui se débrouille pour que chaque année, le jour de la purification du coton, il se passe...
quelque chose.
Cette terrifiante réalisation devait se lire sur mon visage, car la femme aux côtés de Tomitake se mit à rire.
Elle aurait pu se moquer de moi ouvertement, cela aurait eu le même effet.
J'avais un peu honte qu'elle pût lire si facilement dans mes pensées, et à vrai dire ça m'énervait. Je décidai de laisser plutôt Tomitake parler.
— Et alors ?
Et l'année d'après, qui est-ce qui est mort ?
Hein, qui ?
— Aaah ça...
...
... D'après toi ?
— Hein ? Pardon ?
Il se fout de moi ou quoi ? Ça ne passe pas du tout avec son visage, il y a un truc louche, là...
— Euh dites, je suis sérieux, là ! N'essayez pas de m'envoyer chier !
— Allons, allons, Keiichi, calme-toi !
C'est seulement à ces mots-là que je me suis rendu compte que j'étais très énervé.
— Je ne suis pas en train de t'envoyer chier, pour reprendre tes mots.
Seulement bon... il se trouve que... l'année suivante, c'est, comment dire...
— C'est aujourd'hui.
Encore une fois, ce fut la femme qui mit les points sur les i.
...Je sentis soudain le souffle froid du vent sur la sueur de mon visage.
— Personne n'ose le dire... mais tout le monde pense qu'il risque d'y avoir encore de nouveaux morts ce soir.
— Mais pourtant, tout le monde avait l'air de bien s'amuser ?!
— La femme qui a été tuée l'année dernière ne croyait pas en la déesse Yashiro.
Il s'avère qu'elle n'a pas assisté au festival.
— Tout le monde raconte que si l'on ne participe pas à la fête, on risque de s'attirer les foudres de la déesse.
Tu n'as vraiment entendu personne en parler ?
Je n'en avais jamais entendu le moindre mot.
— Mais alors... tout le monde participe parce que... parce qu'ils ont peur de la malédiction ?
— Je pense que oui.
Il y a aujourd'hui tellement de monde ici, c'est du jamais vu.
— Oh, oui, je pense que tout le monde a peur...
de la malédiction de la déesse Yashiro.
... ... ...
Je ne savais vraiment plus quoi dire.
Nous sommes à l'ère Shôwa, “la paix éclairée”.
L'homme a fait de nombreux progrès dans les domaines de la science. L'ignorance et l'obscurantisme ont beaucoup reculé.
Nous avons la télévision en couleurs, nous avons marché sur la Lune.
Et pourtant...
Malgré toute notre modernité...
— Ils voulaient inviter des enfants des villes avoisinantes pour mettre un peu d'animation,
mais finalement, à cause de cette histoire, très peu d'écoles ont bien voulu participer.
L'une des organisatrices s'en plaignait l'autre jour.
— La police n'est pas en reste. Ils disent que les meurtres n'ont rien à voir l'un avec l'autre,
mais ils ont quand même posté des tas de policiers en civil dans le sanctuaire.
Je commençais à comprendre pourquoi Mion et Rena ne voulaient pas en parler.
Si jamais il ne se passait rien cette année, elles n'auraient jamais besoin de me raconter ce qu'il s'était passé ici.
Si jamais rien ne se passait cette année... eh bien tant mieux.
Cela voudrait dire que nous n'aurions plus besoin d'en avoir peur.
Je n'aurais alors qu'à faire semblant de ne rien savoir,
et elles pourront faire comme si jamais rien ne s'était passé.
... Et au moins comme ça, on pourra continuer à s'amuser comme d'habitude.
— C'était peut-être un peu trop éprouvant comme histoire...
La femme se remit les mèches de cheveux en arrière en soupirant.
— Non, non, ne vous inquiétez pas..
C'est pas un problème.
Je voulus ne rien montrer de mon désarroi intérieur, mais je pense que cela n'a pas marché, bien au contraire...
Tomitake avait l'air de regretter m'en avoir parlé.
Il soupira, puis me dit d'un ton bizarrement enjoué :
— Voyons, Keiichi, ne me dis pas que tu crois à cette histoire de malédiction ?
— Naaaan... Quand même pas, mais...
— Tu sais, si tous les meurtres étaient commis d'une manière incompréhensible, sans mobile apparent, et surtout sans que l'on connaisse les coupables, je serais enclin à dire que bon, peut-être...
Sauf que ce n'est pas le cas.
La police a enquêté sur toutes les affaires et elle a des éléments tangibles.
Je ne sais pas pourquoi, mais quand j'ai entendu le mot “la police” je me suis senti rassuré.
Peut-être parce que cela faisait un super contraste avec le mot “malédiction” ?
— Tiens, par exemple, le premier meurtre, celui avec démembrement.
Je t'ai dit que les coupables avaient été arrêtés ?
Tous sauf un.
Mais pour celui-là aussi, ce n'est qu'une question de temps.
Et le mobile... il est évident, le mobile. On a un groupe de gens qui avaient trop bu et qui se sont disputés.
Cela n'a rien à voir avec une quelconque malédiction.
... Tu ne crois pas ?
Maintenant qu'il le dit... le seul rapport avec la déesse, c'est que le meurtre a été commis le jour de la cérémonie...
— C'est pareil pour l'accident de ce couple, l'année d'après.
Comme les villageois les détestaient, la police a été particulièrement soigneuse dans son enquête.
Le résultat, c'est qu'il ne s'agissait que d'un accident.
Pas un meurtre.
— Oui, mais bon... ils sont morts le jour de la cérémonie, tout de même ?
— Ahahahaha !
Réfléchis une seconde, Keiichi.
Les gens du village les détestaient. Tu penses vraiment qu'ils pouvaient se permettre de rester le jour de la cérémonie ?
C'était certainement la période de l'année où c'était le plus dur pour eux.
C'est pour cela qu'ils ont choisi ces jours-là pour partir en vacances. Pour être loin du village.
Je ne vis pas tout de suite où il venait en venir, mais je finis par comprendre.
C'est pourquoi je décidai de le confronter directement au point le plus louche.
— D'accord, mais alors, qu'est-ce que vous faites de la mort du prêtre ?
Il meurt d'une maladie inconnue.
Le jour de la cérémonie, quand même !
— Oh, sa mort est la plus facile à expliquer.
La cérémonie de la purification du coton était la chose la plus importante de l'année, il devait avoir fort à faire. Il était peut-être déjà faible physiquement, et la fatigue a fait le reste.
Peut-être était-il gravement malade, on ne le sait pas.
— Oui, mais comme ça, d'un seul coup ?
On a la médecine moderne quand même, vous ne pouvez pas me dire que de nos jours, on puisse encore parler de mort subite par maladie inconnue ?
— Ça, c'est à cause de la rumeur.
Imagine un peu, il se passe deux ans de suite un meurtre ce jour-là.
La troisième année, les gens vont être très sensibles à tout ce qui va se passer. La rumeur enfle, et enfle...
Parce que bon, c'est vrai qu'une mort subite, comme ça, cela ne paraît pas naturel.
Mais dans ces cas-là, la police pratique une autopsie.
Et l'autopsie a révélé que sa mort était vraiment tout simplement une mort par maladie.
Parce que bon, c'est vrai qu'une mort subite, comme ça, cela ne paraît pas naturel.
— Et sa femme ? Elle s'est suicidée, non ?
Qu'est-ce que vous dites de ça ?
— Je t'ai déjà expliqué ce qui s'était passé.
La troisième année, tout le monde était sur les nerfs.
Lorsque le prêtre a été retrouvé mort, les plus croyants ont tout de suite affirmé que c'était la malédiction de la déesse Yashiro.
La femme du prêtre aussi.
Il paraît que l'on a trouvé une lettre d'adieu dans laquelle elle disait quelque chose du genre :
...
Ma mort apaisera la colère de la déesse Yashiro.
— Mais alors... et le meurtre après, alors ?
Toujours le jour de la cérémonie !
— C'est une affaire réglée. On a trouvé le coupable,
il a dit qu'il voulait juste s'amuser à faire peur à tout le monde avec cette histoire. C'était un malade mental.
— Mais alors... alors, le meurtre après ? Celui de... ah !
...Oh...
Ben oui. L'année d'après, c'est cette année.
Tomitake rigola.
— Il ne se passera plus rien.
Pas cette année.
La malédiction, ce n'est qu'une histoire.
C'est simplement le hasard qui a fait que les incidents se sont tous déroulés à cette date.
Enfin, mon cerveau reprit le contrôle.
J'avais complètement perdu mon sang-froid et je m'étais emporté comme un gamin... et franchement, j'avais honte.
— Keiichi, je sais que tu aimes bien ce village.
Même en imaginant que la malédiction existât réellement,
je ne pense pas qu'elle te vise toi.
C'était rassurant.
Je pense qu'il vaudrait mieux oublier tout ça le plus vite possible.
Je continuerai à sourire devant Mion et Rena, faisant comme si de rien n'était.
Je suis de toute façon sûr que tout ce qu'elles souhaitent, c'est qu'il ne se passe rien ce soir et qu'elles puissent me parler demain comme d'habitude.
La femme nous écoutait, assise sur un rocher. Elle se leva en s'étirant.
— Bon...
Il faut que je rentre, moi...
— Ouh là, j'avais pas vu l'heure... Je crois que j'ai eu la langue un peu trop pendue.
Il ne restait plus grand'monde dans le coin, seulement quelques familles qui profitaient de la fraîcheur du soir.
Je regardai ma montre... Je venais de discuter presque une heure complète.
— Tu es venu avec des amis, non ?
Tu devrais les chercher !
— Oui, c'est vrai...
Si ça se trouve, elles me cherchent déjà !
— Ahahahahahaha !
Petit Casanova, tu as déjà des filles à tes trousses ?
— Eh bien, bonne nuit, Keiichi.
À plus tard, Jirô.
... Jirô ? En voila un qui n'est pas innocent non plus, apparemment...
La femme s'essuya la jupe et se dirigea vers la cour du sanctuaire, où les gens discutaient encore.
— Keiichi !
Désolée, excuse-moi !
À peine était-elle partie que Rena arrivait en courant.
Les autres apparurent les unes après les autres.
Quand on parle du loup...
— Ah, désolée, Kei !
J'ai tapé la discute avec d'autres gens, et tu m'étais complètement sorti de la tête !
Je pouvais en dire autant, donc je ne me plaignis pas.
— Tiens donc, M. Tomitake est avec vous ?
Quel heureux hasard !
— Nous devons annoncer les résultats du concours au stand de tir.
— Aah.. c'est vrai, oui !
Et donc, j'ai fini dernier, si j'ai bien compris ?
En fait, après moi, Rika avait tiré aussi.
Mais il ne lui restait que des cibles difficiles, assez petites et assez mal placées.
Elle avait bien visé, mais elle avait raté tous ses tirs. Elle aurait donc dû finir dernière.
Sauf que.
Elle ne mit que quelques secondes à obtenir un lot de consolation, après s'être mise à miauler de désespoir. Le forain n'a pas eu le cœur de la laisser perdre. Il lui a donné un paquet de chewing-gum.
Du coup, elle n'était plus la dernière.
— Parfois, je me dis que tu caches vraiment bien ton jeu, Rika.
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, Keiichi.
— Et donc ! Le dernier est... Tomitake !
Tout le monde applaudit cette déclaration. Tomitake restait debout au milieu, un peu gêné.
— Eh bien, Monsieur, vous êtes prêt ? Voilà le gage !
— Hein, quoi ? Oh, j'avais complètement oublié qu'il y avait un gage !
Vous êtes trop naïf, Tomitake. Il y a une raison pour laquelle nous ne voulons pas perdre...
Mion sortit un gros feutre indélébile de sa poche.
Aah, celui-là, je le connais.
— Mion, fais preuve de respect envers les guerriers.
Tu aurais pu prendre un feutre effaçable.
Un indélébile c'est trop dur.
— Ah, mais si j'avais fait ça, ça partirait au lavage !
Ce serait dommage.
— Oh là, les enfants,
allez-y mollo avec moi, d'accord ?
Nous le tenions par les bras et les jambes. Mion, un marqueur à la main, s'avance...
— Et... Voilà.
... pour écrire non pas sur son visage, mais sur son t-shirt.
— “La prochaine fois sera la bonne ! Mion”
La suivante fut Rena. Elle prit le marqueur et écrivit : “Montrez-nous les photos que vous faites la prochaine fois ! Rena”
Je rigolai doucement.
— C'est pas vraiment un gage, là. Ce sont plutôt des tags porte-bonheur !
— Oooohhohhoho ! Je ne suis pas une chochotte, moi !
Je vais lui coller un message dont il ne se remettra pas !
— “Ha, non mais quel nullos ! Satoko”
— “Tu feras mieux la prochaine fois. Rika”
— À toi, Keiichi.
Je ne savais pas trop quoi écrire, mais après avoir relu ce que les autres avaient mis...
— “Revenez vite nous rendre visite ! Keiichi”
Tomitake resta silencieux un fameux moment.
Au début, il avait été effaré de voir son t-shirt ruiné, mais son expression avait vite changé.
— Euh, je dois le porter pendant le retour à Tokyo ?
— Mais bien sûr ! Jusqu'à ce que vous soyez chez vous !
— Vous pourriez aussi le mettre lorsque vous reviendrez !
Ça serai sympa !
Il était gêné comme tout.
Son visage était tout rouge.
— D'accord, je le mettrai la prochaine fois.
Promis !!
Nous applaudîmes cette décision.
C'était très approprié.
Nous pûmes voir la femme qui accompagnait Tomitake près de la porte de l'enceinte du sanctuaire.
Il la remarqua et comprit qu'il était l'heure de rentrer.
— Eh bien alors, vous faites attendre votre dulcinée ?
Il serait pas un peu l'heure de rentrer à la maison ?
Hein ?
— Euh...
Oui, si, tu as raison... héhéhé.
Tomitake se dirigea vers elle et sembla s'excuser du retard.
Nous lui criâmes encore une fois au revoir de là où nous étions.
Il se retourna et nous fit signe de la main.
Puis il disparut dans l'obscurité de la nuit.
Finalement, cela s'était plutôt bien passé.
Bah, ce n'était pas la première fois.
Donc je suppose qu'elles avaient l'habitude.
— Ça y est, il est parti.
— On devrait en faire autant. Il est tard !
Rika devait rester car les membres du comité d'organisation avaient une réunion. Satoko restait avec elle.
Je rentrai, comme d'habitude, avec Rena et Mion.
Sur le chemin du retour, nous eûmes encore des discussions enflammées sur la soirée passée.
On aurait dû faire ci, on aurait dû faire ça, et ainsi de suite.
Mion partit de son côté. Il ne restait que Rena.
Puis nous arrivâmes près de chez moi.
— Il est si tard... Tu es sûre de vouloir rentrer toute seule ?
— Oui, y a pas de problème !
Je n'habite pas loin et je rentrerai en courant, de toute façon.
— Si tu rencontres un type louche, hurle de toutes tes forces, OK ?
— Si je hurle... tu viendras à ma rescousse ?
— Si je t'entends.
— Hauu !...
... ... OK !
Je crierai tellement fort que tu m'entendras !
Rena écarta les bras le plus possible et se mit à courir à bonne allure.
Hmmm, je ne pense pas qu'un adulte se risquerait à l'attaquer dans ces conditions. Personne ne ferait le poids.
Une fois Rena partie, tout parut très calme.
Une malédiction, hein ? Hmmm. Tout le monde y pensait sans oser en parler.
Ce soir, les gens avaient peur.
Personne n'osait l'avouer, bien sûr, mais la peur était là.
Mais bon, il suffit que ce soir, rien ne se passe, et nous pourrons oublier toute cette sordide affaire.
Rien ne se passera ce soir. Rien du tout.
— Eh bien alors, Keiichi, ne reste pas là, voyons,
tu vas attraper froid.
C'était ma mère.
— Finalement,
tu es allée à la fête ou pas ?
— Non, malheureusement,
ton père ne s'est pas réveillé.
C'est un peu dommage.
Ma mère avait l'air très déçue.