— Une statue du colonel Sanders ?
Aah, ça, effectivement... C'est son point faible...
— Je peux comprendre qu'elle veuille enlever Satoko ou Rika.
Mais lui ? Qu'est-ce qu'elle peut lui trouver, à ce personnage ? C'est un vieux mec avec des binocles !
— Alors là, je ne peux pas t'aider. Demande-lui directement !
Je doute qu'elle te réponde autre chose que sa phrase fétiche, mais bon... ... ...
— Elle va souvent là-bas ? Sur le chantier, je veux dire.
— Elle dit elle-même qu'elle y va de temps en temps.
— Je dois avouer que je trouve ça bizarre... Une jeune fille de son âge en train de fouiller les ordures, c'est pas la meilleure impression que l'on puisse s'en faire.
— Si ça lui plaît, je pense qu'il faut la laisser faire.
— Mais c'est quoi en fait, cet endroit ?
Ils construisaient un barrage ?
Je devais absolument savoir de quoi il en retournait. Ça me taraudait depuis hier soir comme une arête au fond de la gorge.
— Ahahaha, aaaah oui... Mais ils ont abandonné il y a quelques années.
— Nous unîmes nos forces et fîmes face ensemble à l'ennemi...
Je n'aurais jamais cru entendre un vocabulaire pareil venant de Rika...
— Exact !
Il faut dire que c'était un truc à dormir debout !
Imagine, ils voulaient inonder tout le village et ses environs dans le lac artificiel attenant au barrage ! Ils ne nous avaient même pas demandé notre avis !
Le fait que nous soyons là à en discuter implique que leurs revendications furent entendues. Je vois...
— Désolée d'être en retard !
Vous n'avez pas trop attendu ? Dites ?
— Désolée, mon cher Keiichi. Je me suis refait une beauté, mais le maquillage m'a pris plus de temps que prévu !
— Satoko.
Si tu veux aller pisser, attends d'avoir une grosse envie.
Avec la pression, tout sort d'un seul coup, tu pisses plus vite et t'es sûre de plus avoir envie après.
— Comment...
...
Comment osez-vous dire une chose aussi vulgaire à une jouven-... une demoi-... une jeune fille en fleur comme moi !
Elle, une jeune fille en fleur ?
Ben voyons...
Vous vous doutez bien que l'habituelle routine chaotique s'ensuivit.
— Bien.
Je m'en réfère aujourd'hui à vous, chers membres, pour soumettre à votre décision la candidature de Keiichi Maebara, ici présent, en tant que nouveau membre de notre club.
Il participera à toutes nos activités. Qu'en pensez-vous ?
— Aucune objection de ma part !
— Ha-Ha-Ha-Ha-Ha.
Insinueriez-vous que ce miséreux saurait me tenir tête ? Je veux voir cela !
— Satoko et moi-même sommes d'accord pour l'accueillir dans nos rangs.
Apparemment, elles étaient toutes d'accord.
— Décision prise à l'unanimité ! Toutes mes félicitations, Keiichi Maebara.
Je vous déclare apte à passer l'examen d'entrée au club.
— Vas-y doucement, tu veux ? Et dans l'ordre, si possible !
Je n'ai jamais dis que je voulais entrer au club !
Et d'abord, pour y faire quoi exactement ?
— Notre club sert à te préparer à vivre dans la société moderne. Celle-ci est de plus en plus complexe, c'est pourquoi nous proposons de voir comment, dans des environnements changeants,
avec des conditions variées et variables,
l'être humain peut se sortir de situations délicates !
— Je ne suis pas très douée, alors... ne sois pas trop méchant, hein. On est dans le même bateau.
— Ma chère, vous êtes trop faible moralement !
Les faibles se font toujours manger par les plus forts !
Dites-donc, ça a l'air assez violent leur truc...
mais c'est quoi au juste — ??
— Chaque jour, nous jouons ensemble à un jeu différent.
Rika fut la seule à me donner une réponse utile...
Donc pour résumer, ce club sert à expérimenter les jeux que Mion collectionne.
Tous les jours, elles s'essayent à l'un ou l'autre de ses jeux.
Chaque jour, le grand gagnant de la journée se voit attribuer un prix, alors que le grand perdant reçoit un ou plusieurs gages.
— Je préfère te prévenir tout de suite, nous ne sommes pas ici pour jouer comme des chochottes !
Tu devras tenter le tout pour le tout sur chaque partie, c'est clair ?
— Ouais, oh, c'est bon, là, hein.
Le but du jeu, c'est quand même de s'amuser...
— Article premier du règlement :
seule la première place compte !
Aucune attitude laxiste ne sera tolérée !!!
— Article deux du règlement :
tous les efforts jugés nécessaires doivent obligatoirement être fournis !!
Si je comprends bien, en clair... tous les coups sont permis. Ça rejoint ce que Satoko disait...
— Je serai aussi de la partie et je ne me laisserai pas faire.
— Je ne suis pas très douée, mais je me donne à fond !
Je les comprends...
Ce n'est pas très fairplay de ne pas se donner à fond quand l'adversaire y met ses tripes.
— OK... Pas de cadeaux !
Et c'est ainsi que mon bizu-... je veux dire, mon apprentissage commença...
— Un conseil d'ami, p'tit gars :
Rena n'aura aucune pitié.
L'examen d'entrée promettait d'être chaud...
Mion se mit à fouiller dans son casier.
Elle rapporte ses jeux à l'école ?
Je ne sais pas si elle a le droit... quoique. Après tout, c'est pour le club.
— Si je prends quelque chose de compliqué, tu auras beaucoup plus de problèmes que nous...
Aujourd'hui, je vais prendre quelque chose de facile.
Un jeu de cartes... Un grand classique...
...
Le pouilleux ! Qu'est-ce que vous en dites ?
— OK ! Venez prendre votre taule !
— Il nous faut un gage, autrement ce n'est pas marrant.
Le grand perdant aura des gribouillis au marqueur sur le visage !
Ça vous va ?
— Euh
ju-
juste une question... indélébile ou pas ?
Indélébile ?
Indélébile...? Comment ça indélébile ? Des gribouillis au marqueur indélébile sur le visage ?
— Aucun problème !!!
Satoko était à fond dedans...
Le gage n'avait pas l'air de la déranger plus que ça.
Elle a une sacrée confiance en soi, dites-donc...
Il va falloir que je fasse attention !
— Bon, coupe... Je vais distribuer. C'est parti !
Elles jouaient en fait à une variante du pouilleux.
Ce n'était pas la carte habituelle,
mais une carte tirée au hasard au début du jeu.
Ce qui veut dire qu'une des cartes ne possède pas de double.
Les joueurs ne savent donc pas quelle carte est la mauvaise,
ce qui est nettement plus fun !
— Bon, j'enlève... cette carte.
Mion prit une carte au hasard et la posa face cachée au centre de la table.
Les filles la scrutèrent intensément des yeux.
— Bah, on saura bien quelle carte c'est à la fin du jeu.
Au début, je pense pas qu'on puisse deviner quelle carte c'est.
Et pourtant, les filles ne la quittaient pas des yeux.
Elles étaient très concentrées.
Elles regardèrent leurs cartes, puis celles des autres.
On aurait dit... qu'elles savaient lire à travers le dos des cartes...
Ne me dites pas que...
— Dites, elles sont vieilles, ces cartes...
Est-ce que... Est-ce que vous pouvez deviner les cartes en regardant la tête qu'elles ont ?
— Référez-vous à l'article deux du règlement.
Faites de votre mieux, mon cher !
— Certaines cartes ont des marques vraiment faciles à retenir, tu verras, Keiichi, ça viendra tout seul.
Elle dit ça comme si c'était la chose la plus naturelle au monde...
— OK, si vous le prenez comme ça...
Mais n'allez pas croire que ça vous donne un avantage sur moi !
Je disais ça, mais en fait, il était plutôt évident que j'avais un sérieux handicap.
Après tout, je ne savais pas combien de cartes elles savent reconnaître !
Ce n'était plus un jeu normal.
C'était comme jouer au mahjong contre trois tricheurs,
qui auraient marqué toutes les tuiles !
Qu'elles se pointent !
Je vais leur mettre une raclée !!!
Le retour à la réalité fut très, très douloureux.
— Écoute-bien, p'tit gars,
je vais te dire ce que tu as dans les mains. De droite à gauche :
un 3,
un 4,
un 9,
un valet,
une dame.
— WaAargh !!
— La carte du début, c'était le valet de carreau.
— GaAaRgh !!
— Vous pouvez mélanger vos cartes autant que vous le voulez, je sais toutes les reconnaître !
J'ai fini !
— UuUrrgh !!
Je savais que ce serait dur de les battre... mais là, c'est carrément impossible !
— Vous... Vous êtes des monstres !
Des démons !
Rena... toi, tu n'es pas comme elles, hein ?
— Je suis vraiment désolée, Keiichi.
C'est bien le 3 de cœur, là ?
J'ai fini !
— UwaAaaAaaAaaaAAah !!
Aucune pitié, absolument aucune !!
Même Rena... même Rika !!
Ce club n'est pas à prendre à la légère...
Je parie que les vétérans d'ici seraient capables de survivre dans des conditions extrêmes...
Si par exemple on les mettait, disons... sur une île déserte avec tous leurs camarades de classe et qu'on leur disait de... je sais pas, moi, tuer tous leurs camarades jusqu'au dernier par exemple... Et ben je parie qu'elles n'auraient aucun problème à le faire.
Je les imagine très bien en train de sourire comme des requins en s'approchant en cachette des autres... — Hmmm. Ça ferait un bon film, ça...
— C'est une notation inversée.
On reçoit autant de points de pénalité que l'ordre d'arrivée. Celui avec le moins de pénalité a gagné !
— Keiichi reçoit donc 5 points.
Ben ça commence bien...
— Dites, vous ne croyez pas qu'on devrait utiliser des cartes neuves ? C'est injuste envers lui...
— Maiiis y a pas d'lézard ! Kei est un homme, il s'en remettra.
Tu t'en remettras, hein ?
— La vermine du petit peuple doit savoir se comporter en tant que telle. Qu'il pleure donc de honte ! Il ne mérite pas mieux.
Je me mis à trembler de rage, mais évidemment je ne pouvais pas exploser en public. C'est alors que je sentis une main sur ma tête.
Rika ?
— Courage !
Te laisse pas abattre.
C'était exactement ce dont j'avais besoin.
Dans les moments difficiles, il faut garder son calme, et c'est exactement là que j'ai un avantage, car j'y arrive très bien.
Ça m'a toujours aidé à me sortir de l'impasse.
Keiichi Maebara, reste zen. Caaaalme. Voilà...
Commence par regarder les cartes. Prends ton temps s'il le faut.
Rena avait raison : certaines cartes portaient des marques très spéciales et étaient très simples à reconnaître.
Bon... il va falloir la jouer serré. Faisons tout ce qu'il est possible de faire.
— Bien joué, Keiichi. Continue comme ça, c'est bien !
Pour commencer, je cachai certaines marques en resserrant un peu plus les cartes et en recouvrai certaines avec mes doigts.
— Celle avec le coin en moins, ça doit être un 5.
... J'ai fini.
Ça n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd.
Toutes les informations étaient bonnes à prendre.
Enfin, ce fut mon tour.
Satoko me tendit ostensiblement ses cartes, les placant en éventail.
— Il me faut un 7.
... C'est celle-là ?
— Ah, mais je ne sais pas...
Il va falloir la tirer pour le savoir !
Je vis une ombre passer sur son visage.
Il disait clairement qu'elle ne voulait pas me voir tirer cette carte !
L'expression de son visage ne m'a pas échappé !!
— Je sais !
C'est CELLE-LÀ !!
C'était la bonne !
Le 7 de pique !
Un murmure parcourut l'audience...
— Mais... Mais comment a-t-il fait ?
C'est l'une des cartes les plus difficiles à reconnaître !
Elle ne comprenait pas que je ne me servais pas de ma mémoire, mais que je lisais la réaction des joueurs...
— Non mais oh, Kei, ne cache pas la carte !
Je reconnais cette marque, c'est le 2 de carreau.
Hein ???
Mion regardait la carte, stupéfaite à l'idée d'avoir pu se tromper.
Apparemment, personne ne s'y attendait, car les autres aussi regardèrent en faisant des yeux ronds comme des soucoupes !
— Alors ça...
c'est bien l'une des rares fois où elle se trompe.
— Non, c'est pas possible...
... Kei...
...
Tu n'aurais quand même pas osé ?
Elles se servent des marques sur les cartes pour les reconnaître, et parmi ces marques,
il y a entre autres des traces d'ongle.
J'ai donc décidé...
d'en faire de nouvelles !
— Vous êtes en train de dire qu'il a maquillé cette carte en 2 de carreau ?
Mais quel... quel... quel fieffé coquin !
— Joli coup.
J'eus droit à des applaudissements...
— Alors là, bravo Keiichi !
Tu t'en sors très bien, tu sais !? Tu sais !?
Je dois avouer que j'étais assez fier de moi. J'avais quand même battu leur meneuse...
Mais au classement général, les places étaient déjà données. Mion était sûre de gagner, et j'étais certain d'écoper du gage.
Il me fallait quelque chose pour prendre Mion à rebrousse-poil...
— Bah, je suis sûr d'arriver dernier, mais je m'en fous, j'ai fait tomber Mion, c'est le principal...
Héhéhéhéhé !
Le petit rire, c'était du bonus. Je voulais absolument que Mion se sente humiliée...
— Même si tu gagnes celle-là, au classement général tu es bon dernier, mon p'tit gars. Je parie que ça ne fait pas tes affaires...
...
j'me trompe ?
— Bien sûr que non !
— Que dirais-tu d'un duel ?
Je te laisse une chance, une seule.
Si tu gagnes, tu prends la première place et moi la dernière. ... Tu veux essayer ?
Elle a mordu à l'hameçon !
C'était ma seule chance de m'en sortir, et ça avait l'air de marcher !
— Et tu comptes organiser ça comment au juste ?
Je t'écoute, explique les règles.
Mion prit quelques cartes et plaça l'une d'entre elles de côté. Puis elle prit un joker et mélangea les deux cartes longuement.
— Voilà ! Il y a une carte à gauche et une à droite,
et il te suffit de me dire laquelle est le joker pour gagner !
— Rassure-moi, il est bien parmi ces deux-là, le joker ?
— Si tu perds, je retournerai l'autre carte pour prouver qu'il n'y avait aucune triche.
Ça te va ?
Les autres retenaient leur souffle.
— OK...
Tu vas le regretter !!
Mion me présenta les deux cartes.
D'abord, voyons voir si l'on reconnaît quelque chose...
La carte de droite ne présente aucune trace particulière. Je ne vois pas de quelle carte il pourrait s'agir.
— Laquelle ça peut être... Keiichi, sois prudent !
— T'inquiète pas pour ça ! C'est ma seule chance, je ne la laisserai pas filer!!
J'avais la vague impression d'avoir déjà vu la carte de gauche.
— Hé, mais c'est le....!
Encore une fois, c'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd.
Mion tiqua de la langue.
La carte de gauche ne faisait pas partie des quelques cartes que j'avais appris à reconnaître.
Mais si je me base sur la réaction de Satoko, quelle que fût cette carte, elle avait fait partie du jeu...
Donc ça ne pouvait pas être le joker !
— Hmmm.
Tu as l'air de pencher pour la carte de droite ?
Tu veux la voir ?
Tu la veux ?
Si j'ai déjà déduit que la carte de gauche ne pouvait pas être le joker, cela revient à dire que l'autre carte est forcément le joker.
Je n'ai pas besoin de Mion pour me faire comprendre que la carte de droite est louche.
Mais peut-être ne devrais-je pas me baser uniquement sur le commentaire d'une seule personne ? Satoko s'est peut-être trompée...
Il faut être prudent sur ce coup-là !
...
Ah !
... Je sais !
Ça me revient maintenant...
Ces marques-là...
Cette carte, c'est le 7 de trèfle !
— Hum...
Je crois bien que c'est le 7 de trèfle.
Je le savais !
La carte de gauche, c'est bien le 7 de trèfle !
Et donc l'autre carte est FORCÉMENT le joker !!!!
Au moment où mes doigts allaient effleurer la carte de droite, je m'arrêtai tout net.
— Hmpf !
Oui, oui, oui...
Bravo, Mion, je suis impressionné.
J'entendis les autres murmurer dans mon dos. Apparemment, personne ne comprenait pourquoi je m'étais arrêté.
— ??
Eh bien quoi ?
Mais qu'est-ce que vous faites, mon cher ?
Vous avez dit vous-même que la carte de gauche était le-
— Chuuuuut.
— Tiens, tiens, voyons ça.
Qu'est-ce qui te fait dire que la carte de droite n'est pas le joker, p'tit gars ?
Tous les autres furent surpris à ces mots.
Tous, sauf moi.
— Je ne sais pas quelle carte tu tiens à droite.
Par contre, je sais que tu tiens le 7 de trèfle dans la main gauche.
— Eh bien alors ?
La carte qui reste est donc forcément le joker, non ?
Mion a promis de ne pas tricher, je vous rappelle !
— Je n'en doute pas.
Elle tient certainement le joker dans l'une de ses mains...
— Keiichi, tu as une intuition très développée...
— Quoi ?
Rika, qu'est-ce que...?
— Réfléchissez un peu.
Le 7 de trèfle...
Je l'ai jeté tout à l'heure avec le 7 de pique !
Les filles se mirent à regarder les cartes sur la table.
Elles étaient toutes mélangées, il était impossible de vérifier si c'était vrai !
— Ce qui veut dire...
que Mion a pris une carte déjà jouée... et a caché la vraie carte en dessous.
— Ah, je comprends maintenant !
Elle veut te faire croire que la carte de gauche est le 7 de trèfle, alors qu'en fait, c'est une autre !
Pour la première fois depuis le début du jeu, Mion n'avait plus l'air aussi sûre d'elle.
Je pointai du doigt vers elle en y mettant tout l'effet dramatique possible et m'écriai :
— Le joker...
...
est sous la carte de gauche !!!!!!
Ce fut une seule seconde,
mais cette seconde fut aussi intense qu'une année entière pour nous tous.
La première personne à rompre le silence lourd... fut Mion.
— En tant que chef de ce club depuis sa création, j'ai pu voir de nombreux joueurs jusqu'à maintenant.
Mon p'tit gars...
Tu es
le meilleur.
The best of the best of the best !
Je suppose que c'est le meilleur compliment qu'elle sache donner.
Soupirant, elle posa les cartes.
... J'ai
gagné !!!
Rika s'approcha et fêta ma victoire en posant sa main sur ma tête.
— Quoi ?
Rika... tu...?
Rena et Satoko avaient l'air horrifiées.
— Quoi, qu'est-ce qu'il y a encore ? Hé, je n'ai pas triché, vous avez toutes vu ! J'ai gagné en jouant fairplay !
— Quand Rika caresse la tête, c'est pour consoler les gens...
Hein ? Mais alors, ça voudrait dire que...
C'est alors que j'entendis Rena pousser un petit cri d'effroi.
— Oh, regarde, Keiichi !
Les cartes !
— Tu sais, p'tit gars, j'avais confiance en tes capacités.
J'étais sûre que tu réussirais à voir mon coup de bluff.
...Heheheh !
Mon sang se glaça dans mes veines...
...
— J'ai pris le risque.
Si tu avais été une de ces chochottes qui ne réfléchissent pas avant d'agir, j'aurais perdu cette partie.
Instantanément, nous comprîmes ce que ça voulait dire...
Mion ramassa la carte perdante.
— Tu sais, p'tit gars, je pense que tu peux être fier de cette défaite.
Elle retourna la carte...
La carte qui allait sceller l'issue de cet affrontement.
Sous le 7 de trèfle, il y avait ...
...
le 2 de carreau !
Elle avait prévu que je chercherais la petite bête...
Si j'avais simplement pris la carte sans faire de chichis... Merde !
— Moi, Mion Sonozaki, en ma qualité de chef de ce club,
autorise
le dénommé Keiichi Maebara à adhérer à notre club à compter d'aujourd'hui !
Je tombai à genoux, pendant que les autres accueillaient cette déclaration par un tonnerre d'applaudissement.
— Score final :
la première place revient à moi-même, Mion Sonozaki. Le grand perdant du jour est...
Keiichi Maebara !!
Cette déclaration fut elle aussi ponctuée de rires et d'appaudissements.
Ça m'énervait d'avoir perdu, mais la frappe chirurgicale à mon amour-propre avait été indolore.
— J'étais sûre que ce serait marrant dès que Mii a placé la carte cachée !
— Lorsqu'il a arrêté sa main juste avant de tirer la bonne carte, j'ai compris qu'il était tombé dans le panneau...
— Oui, il s'est fait avoir en beauté et comme il faut.
Hein ? Quoi ?
Attendez-voir, là, j'ai peur de comprendre...
Vous le saviez depuis le début ? Et vous avez fait semblant d'y croire ?
— On a joué le jeu pour que ce soit plus amusant.
...
... Espèces de...
— Vous êtes des monstres !!! Toutes autant que vous êtes ! C'est pas humain, ça !!
— Bon, eh bien alors, passons au gage.
C'est ton premier jour,
alors on va y aller mollo.
Je voudrais pas que tu arrêtes l'école...
Les trois autres me bloquèrent les bras et les épaules.
Mion s'approcha en se léchant les lèvres...
Elle sortit de sa poche... un marqueur.
Un marqueur énorme. Et surtout, indélébile.
— Bon, eh bien alors, allons-y gaiement !
Mion enleva le capuchon et approcha la pointe énorme du marqueur de mon visage immobilisé.
— N-No...
NNNnnnooooooooooooooonnn !!!
L'écho de mon cri d'agonie se réverbéra dans toute l'école...
Dès la sonnerie de la fin des cours, Rena bondit de sa chaise et disparut en un clin d'œil.
Je parie qu'elle va essayer de prendre la statue du Colonel Sanders de l'autre jour.
Cet après-midi était donc l'un des rares où je raccompagnais Mion de l'école.
— Elle est donc partie voir sa montagne de trésors...
Mouais. Je ne pense pas que les gens qui vont jeter tout cela là-bas s'imaginent un seul instant dans quel état ça la met...
— Montagne de trésor... bel euphémisme pour un chantier de barrage.
Mais j'y pense... peut-être que Mion voudra bien me mettre au courant.
Je veux absolument savoir ce qu'il s'est passé là-bas... un meurtre ?
— Dis-voir...
il s'est passé quelque chose là-bas ?
Il y a longtemps ?
— Un peu, mon neveu. C'était la guerre !
On s'asseyait devant les machines pour bloquer le chantier, on faisait des manifestations, aussi !
C'était pas vraiment ce que je voulais savoir, mais ça pouvait toujours être intéressant.
— En même temps, c'est compréhensible. Ils ont voulu noyer tout ce que vous aviez...
Je crois que moi non plus, je ne me serais pas laissé faire.
— Les fonctionnaires avaient tout décidé sans rien nous demander.
T'aurais dû les voir, si fiers devant leur projet à la con !
Quand ils ont compris qu'ils ne nous achèteraient pas, ils nous ont emmerdé comme tu n'imagines pas...
Ils étaient vraiment à gerber !
Ça avait l'air de la travailler. Elle respirait avec difficulté, comme si elle y était encore.
— En tout cas, chapeau. Vous avez eu gain de cause contre l'État ?
— Le maire et les autres élus du coin ont fait toutes les démarches administratives possibles et imaginables pour faire arrêter tout ça.
Ils sont allés à Tokyo, ils ont rencontré des ministres...
Et puis un jour, alors qu'on ne s'y attendait pas, le projet a été annulé.
On a tout gagné !
Ahahahahaha !
— Mais... il n'y a jamais eu de problèmes plus graves ?
Personne n'a été blessé pendant les manifs ? Personne n'est mo-
— Y a RIEN eu du tout.
Clair, net et précis.
Elle réagissait comme Rena.
Circulez, y a rien à voir...
Tomitake avait parlé d'une « sale histoire » et parlait d'un bras que l'on n'aurait « jamais retrouvé ».
À vrai dire, j'avais tout de suite pensé qu'il y avait eu une sordide affaire de meurtre ici. Mais peut-être pas, après tout.
La curiosité m'avait piqué et ne me laissait plus tranquille.
— Bon, eh bien à demain !
Et p'tit gars, t'as pas intérêt à effacer ça avant de rentrer à la maison !
— Mais oui, je sais, c'est bon, là...
Mion regarda encore une fois mon visage et se retint ostensiblement d'éclater de rire.
Qu'est-ce qu'elle a bien pu écrire...
Mion, j'te retiens !
Si un jour les rôles sont inversés, je t'écrirai un truc que tu ne pourras jamais effacer,
même avec la brosse à mailles !
En rentrant à la maison, je tombai évidemment nez à nez avec ma mère. Je me souviendrais longtemps de la honte prise ce jour-là...
À peine rentré, je remarquai l'atmosphère tendue qui régnait à la maison.
À vrai dire, ce n'était pas rare.
Mon père était tout le temps impossible quand il était en panne d'inspiration.
Il se mettait alors à marcher de long en large dans la maison, les bras croisés, pestant et maugréant contre tout et n'importe quoi.
Ma mère me souffla à l'oreille :
— Ah, te revoilà, Keiichi. Ton père n'est pas d'humeur, alors ne lui parle pas, d'accord ?
— Quoi, encore une panne d'inspiration ?
— La date butoir des deux projets était la même, alors il n'a pas eu le temps de recharger les batteries,
et tu sais combien ça lui est nécessaire...
Ses œuvres nous font vivre et manger. S'il arrive à court d'idées, nous sommes finis.
(Il n'empêche, pour qu'il puisse nous faire vivre de ses dessins, c'est qu'il doit être sacrément fort...
Mon père, un maître artisan ? Difficile à croire...)
— Il pourrait prendre l'air, je suis sûr que ça lui donnerait de bien meilleures idées.
— Cette fois-ci, le thème de l'œuvre c'est l'espace-vie.
Apparemment ton père veut prendre notre maison comme modèle.
Genre, le thème à peine pas chiant...
— Keiichi !! T'as vu l'état de ta chambre ? Range un peu ton bordel ! Non mais à quoi ça ressemble, tout ça ?
— Oui, OK, je rangerai tout à l'heure !
Mais qu'est ce qui lui prend de vouloir se servir de ma chambre ? Il est malade !
— Keiichi, on ne mangera pas avant un bon moment encore.
Tu devrais aller te promener.
Mon père était de mauvais poil, mais ça ne durait jamais longtemps.
Dès qu'il avait trouvé une idée, il changeait du tout au tout. Il se mettait à siffloter dans la joie et la bonne humeur.
J'avais tout intérêt à disparaître jusqu'à ce qu'il trouve une idée.
— Oui, je pense que je vais aller faire un tour dehors en attendant.
Enfin bon, c'est vite dit. Je n'ai nulle part où aller en particulier.
Il faut juste que ça me passe le temps.
Je pris mon vélo et me mis à réfléchir.
J'irais bien lire l'un ou l'autre magazine, mais la ville est à une heure de route en vélo.
Il ferait nuit noire sur le chemin du retour, donc je n'ai pas trop envie d'y aller sans bonne raison.
Je vous assure qu'il faut être sacrément burné pour se promener de nuit dans Hinamizawa. L'ambiance est surnaturelle et fout vraiment les boules.
Si, par malheur, Mion ou Satoko venait à l'apprendre...
Un sourire en coin se dessina sur mon visage.
Mais au fait !
Rena est peut-être encore sur le chantier.
Elle a peut-être eu du mal à déloger la statue du Colonel Sanders.
Si je lui rendais un petit service...
— Elle pourrait me renvoyer l'ascenceur un jour ou l'autre...
Muni de bonnes intentions -- quoique légèrement intéressées -- je me dirigeai vers l'ancien chantier.
Qui sait, Tomitake sera peut-être là-bas aussi.
Il est le seul à avoir avoué connaître l'affaire.
Si je pouvais le rencontrer à nouveau, j'aurais des tas de questions à lui poser...
Lui demander, « Il y a vraiment eu un démembrement à Hinamizawa ? »
Parce que c'est surtout ça qui me travaillait l'esprit.
Rena avait l'air d'avoir du mal à extraire la statue.
Le Colonel Sanders était bien enterré...
Elle n'y arrivera pas toute seule.
Je compris que Tomitake n'était pas là. Lentement, je me dirigeai sur la pente instable.
— Salut, Rena.
Pas trop dur ?
— ...Whoa,
whoa,
Keiichi !
Qu'est-ce tu fais dans un endroit pareil ?
Le choix de mots est intéressant...
Au moins, elle est consciente de ce qu'elle fait.
— Nous avons reçu un appel d'urgence à propos d'un accident !
Où est le blessé ?
— Hein ? De quoi tu parles ?
Quel accident ?
...Hein !?
— Notre central a reçu un appel de détresse disant que le colonel Sanders était retenu prisonnier, enseveli sous une tonne de gravas. Est-ce bien vrai ?
— Hein ? Oh, OK, je comprends maintenant.
J'ai eu peur sur le coup...
— Trève de plaisanteries,
je me suis dit que tu pourrais avoir besoin d'un coup de main.
— Oh ?... ... Tu es venu pour moi ? C'est...
... ... hauu.
Si je ne vois pas Rena rougir au moins une fois tous les jours, j'ai l'impression d'avoir une carence quelque part.
C'est bon, là, j'ai eu ma dose quotidienne.
— Tu veux bien arrêter ca ? C'est assez gênant...
— Hm, de quoi ?
Qu'est ce qui est gênant ? Qu'est ce qui te fait rougir, là ?
Je décidai d'ignorer ses questions, pour faire bonne mesure.
— Allez, pousse-toi de là.
Elle est où, cette statue ?
— Oh, ah, oui.
Penche-toi, tu le verras entre les deux trucs, là. Tu le vois ?
— Ah oui quand même... Il est bel et bien enterré, le pauvre !
La statue était allongée à plat, coincée entre des tas de poutres, de branches, j'en passe et des meilleures. Cela formait un enchevêtrement qui la retenait prisonnière.
Rena m'expliqua qu'il y avait eu nettement moins de choses dessus la veille.
Ce qui voulait dire que quelqu'un était venu dans la nuit pour bazarder ses vieilleries sur le tas.
— Et tu avais l'intention de virer tout ça à la main, toute seule ???
Avec tes bras de crevettes...!?
Ses bras longs et fins ne me paraissaient pas indiqués pour ce genre de gros travaux.
— Mais oui, mais il est tellement mimi...
Les statues devant les restaurants sont enchaînées à un gros bloc de béton, je ne pourrais pas en prendre un comme ça, alors que celui-ci est libre !...
hauu...
Si je la convainc d'abandonner ce projet, elle est capable de planifier un cambriolage devant le prochain restaurant...
Je ne peux pas la laisser faire ça ! Il lui faut un casier judiciaire vierge !
— Bon, OK, écarte-toi. Je m'en occupe.
Rena rougit encore une fois, mais je ne fis pas de commentaire.
Le tas était énorme.
En plus, je ne pouvais pas me permettre de prendre mon temps.
Si quelqu'un en rajoutait une couche, on n'y arriverait jamais.
— Keiichi, je prends de ce côté-là. Laisse-moi t'aider.
— Non, je pense qu'on va se gêner les pattes plus qu'autre chose. Bouge-toi de là. Attention...
Nnnnngggggggggghhhhhh !
Tirer sur des trucs,
les casser
et les jeter.
Je ne mis pas longtemps à suer à grosses gouttes.
Dans le soleil couchant, de nombreux objets se mirent à voler.
Parfois une poutre,
parfois une planche,
parfois un panneau de contreplaqué.
Putain de sa race, mais ça n'en finira jamais ??
Plus j'en enlève, plus il y en a, c'est pas possible !
La statue est pourtant là, juste devant moi !
Je commençais à avoir un peu honte de ne pas aller plus vite que ça, après ce que j'avais dit à Rena tout à l'heure...
— Je crois que si on veut vraiment l'avoir... il nous faudra une scie ou une hache.
— C'est bon, Keiichi, ça suffira comme ça.
Tu es trempé de sueur, arrête donc !
C'est pas grave, va...
— Je fais ça pour toi, c'est tout, hein.
Alors, c'est bon, là.
Rena se tut immédiatement, rouge d'embarras.
Ah, c'est la boulette, là... C'était pas ce que je voulais lui dire. ... Bah, après tout, tant pis.
Bon, OK...
— Je veux bien faire une pause.
C'est pas évident, dis-donc !
Je me vautrai dans un coin d'herbe, les bras écartés.
— Je suis désolée...
Tu transpires tellement !
Rena m'épongeait le front avec un mouchoir.
C'était pas désagréable, je dois dire.
— Euh, si tu veux, j'habites pas loin, je pourrais ramener à boire ?
Bouge pas,
je reviens tout de suite !
Elle laissa son mouchoir sur mon front et partit sur les chapeaux de roues.
Le soir tombant marqua le début du chant des cigales.
Je m'assurai que Rena était bel et bien partie, puis me dirigeai vers un coin particulier du tas de gravas.
J'avais remarqué tout à l'heure un tas de vieux journaux et de vieux magazines.
Il me semblait bien...
qu'ils étaient par là...
Ça y est ! Ils sont là.
Un gros tas de journaux pas très recommandables. Le genre à colporter les ragots les plus sordides, en se basant sur des sources d'infos de tierce main, comme un enquêteur amateur...
Il y avait là tous les exemplaires des dernières années, empilés dans l'ordre.
— C'était vraiment une sale histoire...
La police n'a jamais retrouvé le deuxième bras, c'est bien ça ?
Si Tomitake ne m'a pas raconté d'histoires, quelqu'un a été tué et découpé dans le coin.
On vit dans un monde de dingues.
Ce genre d'histoires arrive malheureusement de plus en plus souvent...
Mais le pire, c'est que ça attise la curiosité des gens, alors forcément, ce genre d'histoires fait vendre.
Ce qui veut dire que les journaux ont forcément dû en parler.
Reste à trouver où.
Je détachai les numéros du paquet et feuilletai les pages humides.
Rien là.
Là non plus.
Toujours rien.
Pas là non plus.
Comme je ne savais pas quand avait eu lieu le meurtre, je ne savais pas non plus par où commencer.
Je ne connaissais ni la victime, ni l'agresseur.
Je savais juste que le meurtre avait eu lieu.
De temps en temps, je levais le nez pour m'assurer que Rena n'était pas encore revenue.
Bien sûr, ces journaux contenaient des photos de charmes parfois, et je ne voulais surtout pas être calé en train de fouiller dedans, mais le problème était bien plus grave que cela.
Elles étaient deux à avoir catégoriquement nié les faits.
Mais je sais que ce meurtre a eu lieu !
... ... À moins que Tomitake m'ait raconté des bobards.
Si elles avaient simplement acquiescé...
— “Ah, oui en effet.”
Même sans en dire plus, je pense que ma curiosité malsaine aurait été amplement satisfaite.
Mais ce qu'il s'est passé fut si terrible qu'elles veulent oublier l'affaire.
J'avais l'impression d'être un fouille-merde qui cherchait à découvrir quelque chose de secret...
Comme par exemple un vieux squelette que mes amis me cacheraient dans mon propre intérêt.
— “Un ouvrier mort lynché sur le barrage de Hinamizawa ! ILS L'ONT DÉCOUPÉ EN MORCEAUX !!”
Je l'ai !
Il y avait tout un dossier spécial dans le numéro, avec quelques photos en couleur au début du magazine.
Les pages du dossier spécial collaient, je n'arrivais pas à les séparer.
Rena sera bientôt là, je pense...
J'abandonnai les pages et me concentrai sur le début du magazine.
On voyait sur la photo des policiers de la criminelle en train de transporter un sac, tandis que de nombreux journalistes les inondaient de photos.
La photo était noircie, mais les lettres du texte étaient blanches et donc parfaitement lisibles.
— “Une tragédie vire au cauchemar sur le barrage de Hinamizawa ! Lynché et dépecé !”
— “La victime était le chef du chantier. C'était un homme assez coléreux et violent, qui mettait tous les jours une pression énorme sur les ouvriers et...”
— “Ras-le-bol des brimades quotidiennes ? Toujours est-il que le chef du chantier fut retrouvé dans un état horrible, ...”
C'était donc ça...
Il s'était donc bien passé quelque chose !
Les détails de l'histoire commençaient en deuxième page.
Sans aucune hésitation, je tournai la page.
Et là...
— “Après avoir frappé à mort leur victime avec des machettes et des pioches,”
“ils la découpèrent en six à coups de hache,”
Je n'avais eu qu'à lire cela pour comprendre la cruauté du geste. C'était effectivement...
une sale affaire.
Normalement, quand on lynche, ce sont des coups de poings et des coups de pieds...
Mais là... Des machettes, des pioches, une hache ??
C'est plus un lynchage, ça...
C'est ce qu'on appelle un meurtre avec circonstances aggravantes, pour faire joli... mais c'est simplement une boucherie.
À plusieurs, en plus.
À coup de machettes...
de pioches...
de hache.
— Hwaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa
— Hé ! Ça va, c'est que moi !
Mais qu'est-ce qui te prend, je t'ai effrayé !? Je t'ai effrayé !?
Rena, elle aussi surprise par mon cri de frayeur, laissa tomber la hache qu'elle avait ramenée dans l'herbe.
— Ben, euh, tu disais qu'il nous faudrait une hache,
alors je suis allée dans notre remise et j'en ai pris une, je me suis dit que ça pourrait servir, et...
Elle se mit à parler à toute vitesse, visiblement choquée, cherchant comme elle pouvait des excuses et des explications.
Je devais vraiment avoir l'air dangereux ou lui faire peur pour qu'elle se comporte de la sorte.
— Je, écoute, je... je suis désolé de t'avoir fait peur, j'ai eu une réaction excessive.
— Non, y a pas de problèmes, vraiment, c'est moi...
Bientôt il ferait nuit.
J'étais crevé et le reste pouvait largement attendre le lendemain.
— Il reste encore une grosse poutre, je crois qu'on va avoir besoin de ta hache de toute façon.
Rapporte-la encore demain, d'accord ? Je crois que ça va m'être très utile.
Tu veux bien ?
— ... D'accord.
— Mais tire pas cette tête, voyons. Tu l'auras demain, ta statue, promis-juré !
— Oui, après tout, ce n'est pas si mal ! Ahahahaha !
Je l'aurai demain ! Demain !
Nous savions tous les deux qu'il ne servait à rien de s'excuser encore.
Je bus un peu de thé que Rena avait eu la gentillesse de rapporter, puis essuyait la sueur fraîche qui perlait sur mon front. Nous décidâmes de rentrer.
Pendant tout le chemin du retour, les journaux que j'avais cachés dans ma veste me parurent être un bien lourd et honteux fardeau.