Consignes d'urgence - Manuel n° 1
Pour le cas où l'on observerait une déclaration naturelle de la maladie entraînant des symptômes de phase terminale (ci-après “cas N5”), le responsable de l'institut devra, le plus rapidement possible, empêcher ce cas N5 de créer des troubles à l'ordre public.
La priorité absolue étant de protéger le secret défense.
À cet effet, le responsable de l'institut aura le droit de demander les services des troupes spéciales.
Les troupes spéciales pourront, si elles le jugent nécessaire à l'appréhension du cas N5, demander l'autorisation de tirer au responsable de l'institut.
Il serait préférable de tout mettre en œuvre pour conserver les cas N5 vivants, mais si cela entre en conflit avec la mission de secret défense, alors la survie des cas N5 passe au second plan.
La priorité absolue est donnée au respect du secret et à empêcher les informations de filtrer vers l'extérieur.
Cette dernière mission étant moins importante que la première.
Consignes d'urgence - Annexe n° 9 - Questions et Réponses
Q : Si jamais plusieurs cas N5 devaient se déclarer en même temps et que les troupes spéciales étaient dépassées, faudrait-il alors appliquer le manuel 34 ?
Peut-on considérer que c'est le responsable de l'institut qui a le pouvoir de décider si effectivement, ce cas de figure intervient ou pas ?
R : Affirmatif.
Q : Si jamais des substances dangereuses (de type H170 et dérivés) devaient s'échapper des laboratoires suite à des failles dans la sécurité, et que selon toute vraisemblance, cela devrait conduire à un foyer d'épidémie, est-ce que le manuel 34 serait appliqué sur la simple base de cette estimation ?
R : Affirmatif.
Q : Si jamais l'existence du laboratoire secret venait à être découverte suite à des failles dans la sécurité, le manuel préconise l'emploi des troupes spéciales. Mais si jamais l'ampleur de la fuite devait dépasser les capacités de traitement des troupes spéciales, est-ce que nous aurions le droit d'appliquer le manuel 34 par souci de préservation du secret défense ? Peut-on considérer que c'est le responsable de l'institut qui a le pouvoir de décider si effectivement, ce cas de figure intervient ou pas ?
R : Affirmatif.
Q : L'application du manuel 34 demande à être mûrement réfléchie, et seules les plus hautes instances du pays peuvent prendre cette décision. Si le responsable de l'institut devait juger son application nécessaire et urgente, est-ce que la chaîne de commande en serait simplifiée ?
R : Négatif. L'application des consignes d'urgence du manuel 34 ne peut être décidée que par les plus hautes instances militaires.
Par contre, le responsable de l'institut devra leur présenter ses analyses et leur faire un rapport complet.
Consignes d'urgence - Manuel n° 34
Toute reproduction est strictement interdite
Toute consultation externe est strictement interdite
Ce manuel ne peut être consulté que suite à une autorisation expresse. Toute consultation non-autorisée est strictement interdite.
Les consignes d'urgence du présent manuel ne s'appliquent uniquement que sur ordre direct des plus hautes instances. Toute autorité inférieure n'est pas habilitée à en exiger l'application.
De plus, les hautes instances statuant sur la possible application des consignes du présent manuel devront prendre une décision le plus rapidement possible.
Si une situation incontrôlable se déclare et que les plus hautes instances donnent leur accord, alors, dans un souci de préservation du secret défense et pour empêcher toute fuite extérieure, l'Institut Irie (ci-après “l'institut”) devra obligatoirement mettre en place la solution finale.
La solution finale désigne l'ensemble des mesures qui suivent :
- l'élimination totale et systématique de tous les cas N2 et supérieur,
- la destruction totale et systématique de toutes les preuves de l'existence de l'institut,
- l'effacement des preuves de l'application des présentes consignes d'urgence.
Si pour une raison ou pour une autre, le responsable de l'institut n'est pas en mesure de mener à bien ces opérations,
alors la tâche incombera à son second.
Le responsable de l'institut a bien sûr le droit de demander l'aide expresse de son second pour mener à bien toutes les étapes des opérations.
Pour le cas où le second estimerait l'application des mesures du présent manuel comme nécessaire, il a le droit d'en donner l'ordre préliminaire.
La solution finale devra être amenée par les étapes suivantes :
A) Fausse alerte au gaz avec coupure des voies d'accès
L'équipe qui bloquera les routes et autres voies de communication devra porter l'uniforme de la Police et empêcher quiconque d'entrer ou de sortir du périmètre de Hinamizawa.
Il faudra invoquer une catastrophe naturelle avec des épanchements de gaz comme raison officielle.
Les uniformes de Police nécessaires à cette opération de camouflage devront être stockés et très bien cachés dans l'une des anciennes carrières de minerai de Yago'uchi.
Les uniformes devront être régulièrement vérifiés pour permettre une utilisation à tout moment.
Si des personnes ignorent les ordres donnés par les “policiers” et tentent d'entrer ou de sortir du périmètre de Hinamizawa, alors elles devront être abattues sur-le-champ.
Le pouvoir de délivrer l'autorisation de tirer est délégué au chef des “policiers” en faction.
B) Coupure des moyens de communication
Une équipe technique sera chargée d'empêcher et de couper tous les moyens de communication de Hinamizawa vers et depuis l'extérieur.
Elle devra tout mettre en œuvre pour que cette coupure ne devienne pas suspecte -- entre autre, la coupure ne devra durer que le temps minimum estimé pour mener les opérations à bien.
Les installations des télécommunications se trouvant à l'intérieur de la zone de quarantaine, les effectifs qui s'occuperont de couper et gêner les communications auront l'autorisation de tirer sur tout civil s'approchant d'eux.
Le pouvoir de délivrer l'autorisation de tirer est délégué au chef de l'équipe en mission.
C) Rassemblement des patients
L'équipe principale chargée de la préservation du secret défense devra rassembler la population de Hinamizawa dans les locaux prévus en cas de catastrophe naturelle.
Les détails des consignes en cas de catastrophe naturelle sont consignés sur un autre document.
Une fois le rassemblement terminé, procéder aux vérifications pour être sûr de n'avoir oublié personne.
Faire très attention à ne pas éveiller les soupçons quant à la véracité de l'émanation de gaz.
Veiller à interdire aux gens de prendre toutes leurs possessions, pour ne pas ralentir le déroulement des opérations.
Par contre, pour ne pas éveiller les soupçons, autoriser la recherche des livrets de comptes, tampons de signature et autres objets importants.
Pour le cas où certains patients seraient récalcitrants et si vraiment aucune solution ne peut être trouvée, le chef de l'équipe en charge du rassemblement aura le pouvoir de délivrer l'autorisation de tirer. Ne pas utiliser cette prérogative à la légère.
D) Élimination des patients
L'équipe principale chargée de la préservation du secret défense devra éliminer la totalité des patients le plus rapidement possible.
Faire très attention à ne pas éveiller les soupçons quant à la véracité de l'émanation de gaz.
De plus, faire tous les efforts pour offrir une mort digne aux patients.
En cas de problème lors du déroulement de cette étape, si vraiment il n'y a aucun moyen de maîtriser l'un des patients, alors l'équipe aura l'autorisation de tirer.
Le chef de l'équipe principale aura le pouvoir de délivrer l'autorisation de tirer.
Les corps des patients passés par les armes seront considérés comme ayant disparu. Veiller absolument à ne pas les mélanger aux autres dépouilles.
E) Mise au secret des locaux de l'institut
L'équipe en charge des locaux de l'institut devra récupérer plusieurs objets classés top secret (voir la liste des 193 objets par ailleurs) et détruire toutes les preuves.
Les consignes à suivre pour la destruction des preuves se trouvent sur un autre document.
Pour la récupération proprement dite, les effectifs devront suivre les indications des chercheurs de l'institut.
Certains des produits étant très dangereux, faire très attention lors des transports.
Les quartiers secrets devront être soigneusement scellés.
Les portes automatiques seront soudées et l'étage souterrain sera entièrement noyé.
Après avoir soudé les portes, il faudra maquiller soigneusement les pièces.
Les équipes auront trois ans pour récupérer tout le matériel des quartiers secrets.
L'équipe en charge des locaux de l'institut devra éliminer tout civil s'approchant de leur centre d'opération.
L'équipe a interdiction formelle de tirer, sauf si vraiment elle n'a pas le choix.
Le chef de l'équipe principale aura le pouvoir de délivrer l'autorisation de tirer.
F) Recherche de survivants dans le village
L'équipe principale devra passer le village au peigne fin à la recherche de survivants.
Il faudra en particulier chercher les personnes notées comme absentes lors de la vérification.
Si jamais un survivant devait être découvert après la fin des opérations d'élimination des patients, les équipes auront l'autorisation de tirer à vue.
Par contre, si le patient survivant se rend sans faire d'histoires, une exception sera tolérée.
Si l'une des autres équipes découvre un rescapé et que celui-ci se rend, elle devra immédiatement le confier à l'équipe principale.
L'équipe chargée de la protection du secret défense devra se débarrasser des survivants de la même manière que les autres patients.
G) Relais aux équipes civiles
Lorsque les équipes de la sécurité civile envoyées à cause de la catastrophe seront sur place, les troupes en présence les laisseront prendre le relais.
Faire très attention à ne pas éveiller les soupçons.
H) Retrait total des troupes
Lorsque toutes les opérations auront été menées à bien, les équipes en place quitteront le périmètre de Hinamizawa.
Faire très attention à ne pas éveiller les soupçons chez les équipes de la sécurité civile.
En revanche, des sentinelles seront postées en continu près des locaux de l'institut pour veiller à terminer la mission de récupération du matériel contenu dans les quartiers secrets.
De la reine mère et des autres patients
Je suppute que l'agent pathogène est un organisme vivant ayant des similitudes avec les fourmis.
Il y aurait, d'un point de vue organisationnel, toujours une reine mère de vivante. Je pense pouvoir affirmer que cette reine mère est toujours un membre du clan des Furude.
C'est une supposition très facile à justifier à la lecture des nombreux écrits transmis sur l'histoire du village.
De plus, les patients normaux ont une tendance naturelle à vouloir protéger la reine mère. Cet instinct peut être observé très facilement.
Je pense enfin que si les patients normaux sont obligés de rester dans un certain périmètre de leur reine mère pour survivre, la reine mère, elle, a besoin de rester vivre dans un certain environnement géographique.
De la probabilité de déclenchement de la maladie
Je pense qu'il y a corrélation entre le temps passé par les patients loin de la reine mère, la durée de cet éloignement, et la puissance des symptômes qui se déclarent chez l'individu.
Je peux aussi affirmer que l'influence sur la santé mentale des patients est énorme, et qu'une instabilité nerveuse ou un grand attachement sentimental à la région peuvent provoquer plus facilement l'éruption de la maladie.
Pour prévenir la déclaration de la maladie, la méthode la plus efficace est la méthode de relaxation mentale dite méthode Takano. Mais si même cela devait échouer, la seule manière de calmer la progression de la maladie serait le retour auprès de la reine mère.
Des patients en phase terminale
Les patients en phase terminale ayant une paranoïa exacerbée, il devient presqu'impossible de leur faire suivre des ordres -- ou de leur donner une quelconque tâche à faire en groupe.
Les premiers rapports font état de tendances meurtrières et pyromanes. Je pense qu'il est très probable que de tels éléments pourraient causer beaucoup de dégâts à l'intérieur-même de leurs propres compagnies.
Les textes anciens de Hinamizawa disent que les patients en phase terminale étaient souvent exécutés, ce qui me pousse à supputer que les patients en phase terminale ne peuvent pas être sauvés, même par un retour auprès de la reine mère.
Il conviendra donc de les éliminer le plus vite possible.
Je pense qu'il sera très efficace de les séparer des autres soldats déjà avant la déclaration des premiers symptômes.
Je propose de suivre de très près l'évolution des recrues en provenance de Hinamizawa, et de les affecter à un institut médical spécialisé.
En cas de destruction de l'habitat des patients
D'après toutes les raisons évoquées ci-avant, l'on peut supputer que si la reine mère devait mourir, alors tous les autres patients déclareraient la maladie, passant tous en phase terminale.
Cette étape prend moins de 24h lors des crises aiguës, mais jamais plus de 48h.
Si la solution finale n'est pas appliquée dans les 48h après la mort de la reine mère, les troubles à l'ordre public seraient inimaginables.
De plus, d'après la taille de la colonie des patients, il apparaît comme évident que les simples forces de police ne suffiront pas à maîtriser toute la population concernée.
Le plus efficace sera de traiter l'incident comme une agression armée contre l'Empire, et d'envoyer nos troupes pour écraser la rébellion.
January 1945
À l'intention du Colonel Koizumi Conseil Suprême de l'État-Major
Rédigé par Hifumi Takano
Le 23 juin (Shôwa) 58
Archives du Ministère de la Défense -- an 58 -- Acte ah4 n° 20
Au commandant-chef de la compagnie 733
J'ordonne par le présent message à tous les membres de la compagnie armée expérimentale 733 de se tenir prêts à l'action sous 24h, équipés du matériel de guerre urbaine.
Vous-même devrez prendre connaissance du menu détail des consignes d'urgence du manuel 34, que vous trouverez en pièce-jointe. Apprenez-le par cœur.
Choisissez vos membres parmi les plus entraînés à agir pour le maintien du secret défense.
De plus, vous suivrez les instructions des agents du Laboratoire de recherches épidémiologiques pour tester sur vos hommes le vaccin préventif. Ne prenez avec vous que des membres vaccinés.
Le 23 juin (Shôwa) 58
Archives des Laboratoires de la Défense -- an 58 -- Acte ah7 n° 11
À l'intention du commandant-chef de la compagnie 733
Laboratoire de recherches épidémiologiques
Chambre du département épidémiologique
(divers tampons des instances officielles)
À propos du syndrome de Hinamizawa
Ces informations vous sont données en vue de l'opération de décontamination que vous aurez à mener.
Le syndrome de Hinamizawa est une maladie épidémique déclenchée par la présence d'un virus dans le corps humain.
Il n'y a aucun symptôme subjectif en temps normal, mais la maladie peut se déclarer soit à cause d'un trouble mental important, ce qui peut éventuellement être évité, soit à cause de la mort de la “reine mère”, ce qui provoque des symptômes spectaculaires, sans aucune possibilité d'enrayer la maladie.
Les symptômes les plus répandus sont des troubles mentaux, en particulier une paranoïa aiguë.
Malheureusement, dans la plupart des cas, le patient est incapable de se rendre compte de son trouble mental, et la détection de ce problème est quasiment impossible hormis une observation rigoureuse en milieu médical.
On ne peut définir la présence du virus qu'en constatant les comportements connus de la phase terminale.
De plus, la paranoïa à laquelle les patients sont en proie les pousse à des actes violents envers leur environnement immédiat, ce qui est le point le plus problématique de cette maladie.
Comme la contamination agit beaucoup plus sur le mental du patient que sur sa physiologie, on peut même parler d'épidémie mentale déclenchant un dérèglement hormonal important.
Les patients en phase terminale se plaignent de démangeaisons au niveau des ganglions lymphatiques, et certains vont même jusqu'à se gratter les poignets voire le cou jusqu'au sang.
C'est le seul symptôme subjectif connu.
Important
Il y a plusieurs points importants à respecter lors de la décontamination.
L'agent pathogène peut se transmettre dans l'air, par voie transcutanée.
De ce fait, la contamination est impossible à éviter, ce qui rend la prise du vaccin préventif obligatoire.
De plus, tous les soldats ayant participé à l'opération de décontamination feront à leur retour un test de dépistage. Les soldats contrôlés positifs seront immédiatement placés en milieu hospitalier pour suivre un traitement.
Nous vous demanderons de faire particulièrement attention lors des contacts avec les formes de vie évoluées contaminées (les habitants du village).
Si le contact normal ne pose aucun problème, il en va en revanche autrement pour tout contact avec leur salive ou autre sécrétion corporelle. Tout contact avec l'un de ces éléments déclenchera une contamination, même malgré la prise du vaccin.
Nous vous recommandons donc d'éviter autant que possible le contact avec les habitants.
Si l'un des soldats pense avoir été contaminé, utilisez la seringue fournie en annexe pour faire un test vous-même.
Si jamais vous ressentez des démangeaisons au niveau des ganglions lymphatiques, c'est très probablement le déclenchement d'une crise aiguë.
Faites le test immédiatement.
Si vous faites une réaction positive, utilisez votre seringue automatique de C120.
Si après 10 minutes, les démangeaisons ne cessent pas, utilisez votre dose de C120 de secours.
Si vous ne constatez toujours aucune amélioration, allez vous faire soigner au quartier général.
Toutefois, le C120 peut s'avérer dangereux sur des patients sains. Si vous ne faites aucune réaction positive au test, ne vous injectez surtout pas ce produit.
Pour le cas où le produit serait injecté à un patient sain, celui-ci risque dans les 10 minutes une abondante sudation, un début de fièvre, une dilatation des pupilles et des hallucinations.
Si vous constatez ces symptômes, allez vous faire soigner immédiatement au quartier général.
Dans une salle de réunion luxueuse, aux larges canapés en cuir entourant une table en marbre somptueuse sur laquelle reposaient des cendriers en cristal, des officiers très haut placés faisaient leur rapport aux membres les plus importants du gouvernement.
Le secrétaire géneral du gouvernement poussait des jurons toutes les trente secondes, s'exclamant de temps à autre qu'il n'avait jamais rien entendu de pareil.
Oh, c'était bien compréhensible.
La mort d'une seule petite fille allait rendre plus de 2000 personnes aussi violentes que des bêtes enragées.
Non seulement l'existence d'une maladie aussi sordide était pour ainsi dire inconnue au bataillon,
mais en plus, l'Armée avait fait des recherches dessus à des fins militaires, dans le plus grand secret, depuis presque 40 ans ! Au vu des magouilles et de la corruption nécessaires pour financer un tel projet, cette histoire pourrait déclencher un scandale sans précédent, ruinant l'image du pays dans le monde entier.
— C'est bien la première fois que j'entends parler d'une maladie aussi dangereuse !
On n'a absolument rien contre ? Aucun médicament ne peut l'enrayer ?
— Malheureusement, non.
D'après les explications fournies par nos laboratoires, nous venons à peine de mettre au point une méthode pour soigner les patients souffrant gravement de la maladie, ce qui veut dire que dans la pratique, nous ne sommes pour l'instant pas en mesure de traiter toute la population.
De plus, le temps presse, car d'ici 24h au pire et 48h au mieux, les quelques 2000 habitants de Hinamizawa présenteront tous des symptômes de phase terminale.
Les dégâts humains et matériels seront considérables, sans parler de la panique que cela provoquera.
Les hauts dignitaires avaient déjà écouté pendant ce qui avait semblé des heures les membres de l'institut de spécialistes leur parler en long, en large et en travers de ce qui faisait la dangerosité et la spécificité du “syndrome de Hinamizawa”.
Ils n'avaient plus besoin de se le réentendre dire.
Mais bien sûr, cela ne rendait pas la situation plus facile à accepter.
Il était dur d'entendre que la seule solution dans ce cas était de massacrer tous les patients potentiellement porteurs de la maladie avant son éruption.
— Non mais d'accord, ce serait une catastrophe, mais ça veut pas dire qu'on peut simplement ordonner la mise à mort systématique de tous les habitants du coin, d'un simple coup de tampon !
Et de toute manière, qu'est-ce que vous aviez à étudier une maladie aussi dangereuse dans le plus grand secret ?!
C'est bien à cause de ces gens-là que ce problème nous tombe dessus, non ?
Et puis d'abord, des recherches aussi dangereuses sont bien plus nocives pour le pays et l'économie qu'elles ne peuvent leur bénéficier !
Non mais 40 ans de recherches pour une connerie pareille ? Sérieusement ?
J'ai lu les rapports, ils disent que les recherches ont été volontairement retardées pour pouvoir “approfondir le sujet” !
Et après des décennies de magouilles, de corruption et de coups en traître, voilà où nous en sommes !
C'est du terrorisme, ça, Messieurs ! Du terrorisme !
Je leur en foutrai dans la gueule, moi, à ces vieux connards !
Prévenez les gens de “Tôkyô”, tous ceux qui sont mêlés à cette histoire y passeront, TOUS JUSQU'AU DERNIER, est-ce que c'est clair ?
Vous allez me virer tous ceux qui font encore une fixation sur cette guerre !
Ça leur fera une occasion de dégraisser le mammouth !
— ... Il y aura bien sûr un temps pour rechercher les responsables et les juger, mais pour l'instant, il nous faut prendre une décision pour remédier à la situation.
Alors, l'homme qui tournait le dos à tous les autres en regardant à travers les lamelles des stores baissés prit la parole, clouant le bec du secrétaire général.
— Monsieur le Premier Ministre.
Je vous en prie, il nous faut votre autorisation.
— ... Dites-moi quelle sera la probable évolution de la situation si nous n'autorisons pas les opérations de décontamination.
— Bien sûr.
D'ici 36h, quasiment 100% de la population du village présentera des symptômes de la phase terminale.
Perdus dans leur paranoïa, ils commettront nombres d'actes anti-sociaux.
D'après les rares exemples documentés nous pouvons nous attendre à constater des suicides, des meurtres, des incendies volontaires, des vols avec violences et des viols.
Il ne restera pas la moindre trace d'ordre public.
Il faudra s'attendre à ce que les événements dépassent le cadre de Hinamizawa et se sachent dans la région.
Cela va forcément s'ébruiter dans les médias, et là, le monde entier nous regardera avec insistance.
Nous ne pourrons pas éviter que les gens sachent que tout cela est arrivé par la faute d'une maladie étrange.
L'opposition ne va pas se gêner pour parler de cela et de la réaction du gouvernement lors des prochaines élections, qu'elle va sûrement gagner.
Sans compter les critiques du gouvernement de tous bords, même à l'intérieur de “Tôkyô”.
Et vous savez très bien que c'est grâce à leur soutien que la modernisation de l'archipel peut être financée.
Et puis surtout, il y a le risque qu'un membre du gouvernement révèle au public l'existence des recherches militaires sur la maladie.
Si cela devait arriver, ce serait un coup crucial pour la cote de confiance de notre pays sur la scène internationale, il nous faut éviter cela à tout prix !
— ... ... Et si nous vous donnons l'autorisation de décontaminer la région ?
— En ce cas...
Eh bien, nous avons l'intention de mettre en scène une catastrophe naturelle, donc nous ne pourrons pas empêcher l'opposition de se plaindre des événements et de la réaction du gouvernement.
Mais les gens ne sauront jamais pour les recherches, cela semble très irréaliste.
Si jamais le reste du monde devait savoir que nous faisions des recherches militaires sur cette maladie, nous perdrions notre place dans la dynamique économique et politique asiatique.
— Et bien sûr, comme le gouvernement reçoit des aides internationales, il ne pourrait pas faire campagne sur la catastrophe !
Ah, mais quelle bande de traîtres !
L'opposition va nous prendre le pouvoir !
Et alors là, le Japon risque de se faire annexer sans même une déclaration de guerre !
— ... D'après les différentes simulations, si les plus petits partis venaient à se mettre ensemble, alors effectivement, le rapport de force entre parti et opposition serait inversé.
Quant à l'opinion publique internationale, elle serait bien sûr contre nous.
Il y aurait forcément des voix à l'ONU pour réclamer une enquête sur notre supposé programme d'armement NBC.
Les pays voisins risquent de voir une montée du racisme anti-nippon, voire de former des gouvernements aux forts relents anti-japonais, avec le risque d'un fort soutien de leurs populations. Et puis, les relations diplomatiques vont se durcir.
Notre pays sera dévasté politiquement.
— La confiance du reste du monde nous sera retirée à tout jamais.
... Rah, putain de merde !
Ça veut dire que ce problème ne sera plus seulement que celui de la région autour de Hinamizawa...
... Mais oui, mais quand même !
La vie de 2000 personnes contre le silence ? C'est beaucoup trop !
— ... Il nous faut à tout prix cacher que des recherches sur des armes biologiques ont été menées sur le sol japonais. Cela ne doit jamais être découvert.
— ... Je vais avoir l'immense honneur de torcher le cul des derniers cadavres de la grande guerre, j'en ai bien peur...
— Est-ce que vous êtes au moins sûrs de pouvoir mener à bien les opérations de décontamination dans le plus grand secret ?
Si ça devait se savoir, le scandale serait encore pire !
— Oui, ne vous inquiétez pas.
Nous donnerons cette mission à des bataillons de l'armée entraînés tout spécialement à ce genre de manœuvres.
Les soldats de ces unités ont été formés spécifiquement pour le cas où cette situation arriverait.
Nous sommes sûrs et certains qu'ils réussiront cette mission.
— C'est la première fois que je lis cette expression, “la guerre urbaine”. Qu'est-ce donc au juste, un euphémisme pour parler d'un massacre au gaz ?
Je suis très étonné d'apprendre que l'armée entraînait des hommes à massacrer des civils au gaz.
— Si vis pacem, para bellum. Il est impossible de se prémunir d'une attaque au gaz si l'on n'a pas soi-même vu
ou déclenché une attaque au gaz pour en étudier les conséquences.
Le bataillon armé expérimental mène des recherches et s'entraîne jour et nuit pour se parer à toute, et je dis bien toute, éventualité d'attaque contre la nation.
Quelqu'un poussa un léger soupir de frustration.
Où était la frontière entre le sensible et l'inhumain dans cette affaire ?
C'était un peu facile d'utiliser la carte de la sécurité nationale -- est-ce que ça pouvait réellement justifier toutes les recherches et toutes les exactions ?
Mais en même temps, il fallait bien faire le nécessaire pour se préparer au pire...
C'était l'un de ces maux nécessaires, qui avaient été acceptés en tant que tels par les gouvernements avant eux.
Les recherches de l'institut Irie en faisaient elles aussi partie.
— ... Je vois. On utilise donc des méthodes inavouables pour détruire des recherches inavouables... Ça se tient.
— C'est une mission qui doit être très dure moralement. Les membres des différentes unités ne risquent-ils pas de parler ou d'essayer de se confier ?
— Non, le risque est néant.
Ils ont tous été triés sur le volet parmi les membres du 1er bataillon de l'armée de l'air puis sélectionnés pour leur grande loyauté.
C'est leur première opération réelle, mais ils ont eu un entraînement extrêmement sévère et sont formés à garder le secret.
— ... C'est une bien belle équipe d'assassins discrets que nous avons là.
— Monsieur le Premier Ministre.
Je vous en prie, il nous faut l'autorisation d'appliquer les consignes d'urgence du manuel 34.
— ... Monsieur le Directeur,
est-ce que l'Agence de la Défense peut m'assurer que cette opération se déroulera sans anicroche ?
Est-ce que réellement, cela permettra d'enrayer l'épidémie avant que l'incident ne soit plus, enfin, disons, avant qu'il n'y ait trop de victimes ?
Est-ce que vous réussirez à limiter les pertes humaines ?
— Oui, Monsieur le Premier Ministre.
Nous avons déjà donné l'ordre préliminaire, les troupes se tiennent prêtes à l'action.
Dès que nous aurons votre autorisation, nous pourrons commencer à nous déployer et à lancer les opérations.
— ... ... Je ne peux pas vous ordonner de massacrer 2000 personnes.
Mais mon devoir, en tant que premier ministre du gouvernement, est de m'assurer qu'il y aura le moins de victimes possibles.
— Monsieur le Premier Ministre, croyez-moi, je sais parfaitement ce que vous ressentez.
— ... Monsieur le Directeur.
Choisissez la méthode qui occasionnera le moins de victimes.
Si réellement vous remarquez que 2000 personnes ne pourront pas être sauvées, alors, qu'il en soit ainsi. Mais faites vite, et surtout faites en sorte de sauver toutes les personnes que vous pourrez.
— Oui, bien sûr !
Merci pour cette courageuse décision !
Je reviendrai vous voir avec de bonnes nouvelles !
— ... Les nouvelles ne sont pas bonnes lorsqu'elle parlent de 2000 victimes, Monsieur le Directeur.
Okuno.
Je veux parler aux pontes de Tôkyô dans la semaine, organisez une réunion.
Ils ont des comptes à rendre à la Nation, et je veux qu'ils m'en rendent compte en personne.
— ... À vos ordres, Monsieur.
— Et au fait, vous avez pu arrêter ce... Kyôsuke Irie ? Le chef de l'institut ?
— Non, il s'est donné la mort par empoisonnement.
Nous pensons que c'est un acte désespéré dû à l'arrêt des recherches -- cela réduisait à néant tout ce qu'il avait réussi dans la vie. En tout cas, c'est ce que pensent mes hommes sur le terrain. C'est à se demander ce qu'il voulait réellement faire de sa vie.
— ... Nous n'en saurons donc jamais plus sur les raisons qui ont poussé cet homme à cet accès de folie...
Nous autorisons l'application des consignes d'urgence du manuel n° 34.
Le 23 juin (Shôwa) 58
Le Premier Ministre du Cabinet Japonais ******** ********
Le Directeur de l'Agence de la Défense ******** *****
— Attention, attention, à cause du nombre limité de nos appareils de transports, nous ne pouvons pas vous prendre et vous, et vos possessions !
Ne prenez pas de valise avec vous !
Je répète, ne prenez pas de valise avec vous !
Si vous voulez prendre de l'argent liquide ou bien vos livrets de compte et autres sceaux administratifs, c'est d'accord, mais pas de sac de transport !
De plus, n'utilisez pas vos véhicules, cela ne ferait qu'aggraver les problèmes de circulation !
Nous étions en plein milieu de la nuit,
et pourtant, les gens continuaient d'affluer au dehors.
Certains fermaient les portes de chez eux à clef, certains arrosaient leurs plantes, certains encore mettaient une montagne de nourriture dans la gamelle de leur animal de compagnie.
Ici et là, des pleurs d'enfants, qui attestaient de la gravité de la situation.
Ailleurs, les cris énervés des vieillards faisant l'appel.
Apparemment, des gaz volcaniques dangereux auraient émané des flancs de la montagne en plusieurs endroits, coupant le village du reste du monde.
Il régnait une odeur de souffre au dehors, et plus encore, les policiers et même l'Armée étaient venus prêter main forte aux habitants. C'est que forcément, ça devait être vrai.
Les vieillards les plus pieux surent que la déesse Yashiro était en colère et voulait les punir pour la mort, la veille, de Rika Furude. Ils étaient prostrés au sol, égrainant leurs chapelets.
Ils étaient persuadés que les miasmes des enfers seraient déversés sur le village en châtiment. La déesse Yashiro était connue pour faire ça, de temps en temps.
Des soldats équipés de masques à gaz les dépassaient et tentaient de les emmener dans les centres d'évacuation.
— Mais pourquoi donc que vous êtes venus armés jusqu'aux dents ?
— Nous monterons la garde dans les rues pendant votre évacuation.
Il y a toujours des gens pour venir piller les maisons et les magasins pendant les temps de crise.
— ... Peut-être à la ville, mais pas chez nous...
— Équipe n° 1, l'évacuation a commencé, tout se passe normalement.
... Bien reçu !
Nous allons vous envoyer quelques hommes.
— Messieurs, je peux quand même prendre la tablette mortuaire de mon mari ?
— Oui, d'accord, pourquoi pas !
Mais dépêchez-vous !
Dites aux responsables de bien faire l'appel et de noter sur les listes les noms des absents !
Ah, est-ce que quelqu'un a besoin d'aide pour marcher ?
En cas de besoin, dites-le-nous, un soldat viendra vous porter !
— Ooooh, c'est sûrement à cause de l'assassinat de Dame Rika...
— Ô déesse Yashiro, ô déesse Yashiro, je vous en supplie, épargnez-nous !
— Allez, bougez-vous, c'est comme pendant les exercices, il faut aller dans les centres d'évacuation !
Quand les chefs d'équipe auront fait l'appel, prévenez les gens de l'association !
— Les miasmes sont sortis des abysses des démons...
La déesse Yashiro est en colère...
— Vous voyez comme on est nombreux, vous pourrez pas tous nous sauver !
Laissez-nous mourir ici, chez nous !
— Ne vous inquiétez pas,
nous sommes en train d'acheminer des bus spécifiquement équipés contre les attaques au gaz. Et puis, nous avons aussi des hélicoptères !
Ne vous en faites pas, nous vous sortirons de là !
— Allez les gens, on va au bâtiment des Eaux et Forêts !
Non, pas ceux du quartier 4, vous, vous devez aller derrière le bureau de poste !
— Mesdames et messieurs, ne paniquez pas, c'est comme lors des entraînements.
Gardez la tête froide et rendez-vous à votre lieu d'évacuation.
Essayez de rester en groupe, s'il-vous-plaît !
Une seule personne qui paniquerait pourrait gêner la progression de toutes les autres !
Alors restez groupés !
Ne vous en faites pas, nous protégerons vos habitations !
Les membres des unités portaient tous des masques à gaz,
aussi les habitants ne pouvaient pas voir les expressions sur leurs visages. Mais qu'y auraient-ils vu, s'ils avait pu ?
Que devaient-ils ressentir à mentir en promettant un retour au normal, alors qu'ils savaient pertinemment que ces gens-là ne reviendraient jamais ?
L'un des soldats de l'équipe en pleurait, mais ses larmes restèrent à jamais secrètes...
— Non, faites demi-tour !
Tous les déplacements de civils en véhicule sont interdits !
Il y a une nappe de gaz plus avant sur la route, vous courez un danger mortel !
Vous devez quand même sentir la forte odeur de souffre par ici !
Certains avaient ignoré les ordres pour pouvoir prendre avec eux certaines possessions -- chose bien impossible à faire lors d'une évacuation à pied.
Mais toutes les routes étaient bloquées par des patrouilles.
Les hommes portaient masques à gaz et uniformes, et surtout, l'odeur agressive du gaz ambiant finissait par convaincre les quelques fugitifs de la réalité du danger.
Certains aussi essayèrent de joindre leur famille à Okinomiya, mais les lignes étaient toujours occupées.
Ils essayèrent encore et encore, en vain.
La panique avait dû provoquer tellement d'appels que les standards avaient saturé. C'était la seule explication logique.
Et puis aussi, certains tentèrent d'utiliser leur C.B.
Ils tentaient de savoir ce qu'il se passait ailleurs dans la région, comment les gens réagissaient, ce que les secours étaient censés faire. Mais le signal était complètement déformé par la friture et la neige des communications.
Il en allait de même pour la télévision et la radio.
Personne ne pouvait plus contacter l'extérieur, par aucun moyen.
C'est pourquoi ils furent bien obligés de croire les informations que leur donnaient les gens en uniformes.
Lorsque vous fuyez dans la nuit noire, vous vous dirigez toujours vers le petit point de lumière que vous distinguez à l'horizon,
sans jamais douter de ce que ce soit la bonne marche à suivre.
En entendant toute la friture sur les fréquences de sa C.B., un ancien combattant eut une réflexion, comme perdu dans ses souvenirs.
— ... Aaaah, oui, quand les yankees nous brouillaient les ondes, ça faisait le même bruit...
Et il avait parfaitement raison.
Mais lui-même ne voulait pas croire à l'énormité de ce que cela pourrait signifier. Et puis, balloté par son fils et sa belle-fille, emmené plus ou moins de force vers le centre d'évacuation, il coupa brusquement le signal et se hâta de les suivre...
Les habitants finirent par être rassemblés là où l'indiquait le plan d'évacuation d'urgence.
Certains se retrouvaient à l'école du village, d'autres à la salle municipale.
Il fallait attendre l'arrivée des moyens de transports sécurisés, aussi avaient-ils été priés de rester dans les bâtiments.
Et puis, c'était plus facile pour recenser les présents et les absents.
— On ne sait jamais ce qu'il peut se passer, fermez bien toutes les issues et les fenêtres !
Nous allons les bloquer avec du gros ruban adhésif pour empêcher le gaz de pénétrer à l'intérieur.
Est-ce que vous voulez bien nous aider à le faire ?
— Ouais, pour sûr !
Eh, les jeunes ! Allez-y, y a du travail pour vous !
Les habitants prirent les rubans fournis par l'armée, et tout le monde y alla de sa contribution pour bloquer les fenêtres et les voies d'aération.
De temps en temps, les soldats menaient des échanges nerveux avec leurs talkies-walkies. Ce n'était pas très rassurant, mais il fallait faire avec...
Et puis, à force d'attendre, l'aiguille finit par indiquer dans les 3h du matin. La tension était palpable, et personne ou presque n'avait sommeil.
Tout le monde savait, d'instinct, que la nuit serait terriblement longue.
Sauf que justement, pour eux, la nuit allait bientôt prendre fin...
— C'est la malédiction...
C'est la déesse Yashiro...
Oooh, Dame Rika, pourquoi vous ?
Louée soit la déesse Yashiro, louée soit la déesse Yashiro...
— Je le savais, les enlèvements des démons au sanctuaire n'étaient que le commencement...
— Moi je vous le dis, le sanctuaire tout entier s'est fait engloutir, il n'en restait pas un seul...
Et ensuite, les démons ont mangé les entrailles de Dame Rika...
Tout le monde se murmurait que la mort sordide de Rika Furude, retrouvée la veille, et la disparition de ses amis et des policiers qui assuraient sa protection étaient dues à des forces surnaturelles.
L'expression “l'enlèvement des démons” était sur toutes les lèvres.
Mais personne ne sut rien de la courte bataille menée par Keiichi et les filles ce soir-là. Personne ne remarqua qu'eux aussi partageaient le même sort que le village.
Aveuglés par leurs croyances, les anciens se mirent à dire, le plus sérieusement du monde,
que tous les gens qui avaient disparu ce soir-là avaient déjà été tués par la déesse pour venger la mort de Rika.
Personne ne réfléchissait,
personne ne remarquait l'évidence.
Personne ne se rendait compte que les faits réels étaient désormais noyés et engloutis sous une masse d'histoires inventées de toutes pièces.
Parce qu'à Hinamizawa,
tout ce qu'il arrivait de mal était toujours mis sur le dos de la malédiction de la déesse Yashiro.
Mais finalement, depuis quand est-ce que c'était le cas ?
Jusqu'à ce que ces meurtres en série soient surnommés “la malédiction”,
ce mot n'était qu'un slogan de campagne repris contre le projet de barrage. Ce n'était pas une expression qui revenait vraiment couramment dans la conversation, pour ainsi dire.
Mais quelqu'un s'était arrangé pour que cela devînt le cas.
Quelqu'un avait finit par recréer cette atmosphère au village, dans laquelle il était plus ou moins normal de voir, chaque année, la malédiction de la déesse Yashiro frapper à nouveau.
Mais pour remarquer cette supercherie, il aurait fallu être nettement moins fervent, religieux et obnubilé par les histoires occultes...
— Mon Commandant, toutes les équipes ont terminé le recensement de la population.
Les dernières personnes qui étaient parties d'elles-mêmes viennent de rejoindre leur centre d'évacuation.
Ils sont tous là.
— ... Je vois.
Enfin, enfin !
La malédiction de la déesse Yashiro va devenir réalité.
Tout ça parce que quelqu'un l'a offensée en pratiquant la purification du coton sur sa supposée réincarnation, Rika Furude. C'est pour ça que la déesse doit se venger.
Et c'est cette punition divine qui viendra couronner cette série de malédictions.
Plus personne ne pourra décemment parler d'“incidents”.
Parce que la déesse aura montré sa colère de manière tangible.
... Hmpfhfhfhf, ahahahahaha ! Aahh.
Commencez la décontamination.
— ... Ici le commandant-chef.
... Nous allons observer une minute de silence.
Mon Commandant, je vous demande juste une minute.
— Faites donc, si ça vous fait plaisir.
Takano se mit à rire d'une manière légèrement moqueuse.
Le commandant-chef fit le signe de croix sur sa poitrine, puis il s'adressa à ses hommes.
— ... Notre Père, qui êtes aux cieux.
Que votre lumière guide ces malheureux innocents vers votre royaume.
Puisse leur noble sacrifice empêcher la propagation de la maladie et de nouvelles victimes.
Et puissiez-vous aussi nous pardonner l'horreur de ce que nous allons commettre.
Puissiez-vous nous pardonner d'être ici en cette nuit...
Le commandant-chef de la compagnie 733 n'était ni vraiment chrétien, ni vraiment pieux.
Il était plutôt agnostique, à vrai dire.
Mais il se sentait coupable, il voulait être pardonné.
C'était pour ça qu'il priait.
Il ne connaissait pas vraiment le dieu à qui il s'adressait...
mais il fit quand même sa prière.
Pour obtenir le pardon.
Pour pouvoir vivre avec le meurtre de tous ces gens sur la conscience, plus tard.
Derrière lui, Miyo Takano aussi se mit à parler à voix basse.
Mais elle se parlait à elle-même.
— Personne ne sait quel jour Dieu descendra sur la terre.
Tout comme personne ne sait à quelle veille le voleur doit venir.
C'est pourquoi tu devras toujours être prête et vigilante, pour que la foi ne te fasse pas défaut lorsque le jour viendra.
Car il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes, mais tu ne devras pas te laisser induire en erreur.
... Hmpf. Hahahaha...
L'un des ingénieurs aux commandes des communications l'avait écoutée parler.
— Ah, c'est tiré de l'évangile selon saint Matthieu, ça.
— Ah bon ?
Mon grand-père aimait beaucoup dire cela, je pensais que c'était de lui.
Même ton Dieu ne sait pas quand tu seras récompensée, alors va toujours de l'avant, cherchant avec ardeur. Je croyais que c'était simplement pour dire de ne jamais baisser les bras.
— Pourquoi, vous pensez qu'aujourd'hui sera le jour de votre rétribution ?
— Oui, bien sûr, pourquoi ?
Même si effectivement, je doute que vous puissiez comprendre.
Hmpfhfhfhf, ahahahaha...
— ... Sauf votre respect, Mon Commandant, je pense que l'avènement du Christ sera empli de miséricorde.
Il me semble quelque peu déplacé de le citer en un moment aussi tragique.
Il voulait sûrement reprocher à Takano son manque de discernement dans le choix de sa citation.
Mais Takano se mit à en rire, trouvant la scène très amusante.
— Ahahahahaha,
d'accord, d'accord, je m'excuse.
Va donc te faire tenter par ton dieu.
Quant à moi, à partir d'aujourd'hui, c'est moi qui tenterai les hommes.
— ... La minute de silence est maintenant terminée.
Alors, la dernière séparation entre la normalité et l'horreur prit fin. Cette minute que les soldats ne voulait pas voir finir arriva à son terme...
— À toutes les unités, commencez l'opération de décontamination.
Aucun des soldats ici présents n'avait jamais entendu un ordre donné sur un ton aussi morne et fatigué...
À l'intérieur des salles de classe, les gens se serraient, nerveux, tentant de ne pas céder à la panique.
Les soldats placés aux portes avant et arrière des salles les fermèrent.
Personne ne comprit vraiment pourquoi ils faisaient cela.
Oh, n'allez pas croire qu'ils trouvèrent cela suspect.
Un vieil homme s'approcha de la porte pour la réouvrir,
parce qu'autrement, la chaleur serait irrespirable.
Mais alors qu'il posait la main sur la porte, il tomba sur le côté.
Sa femme s'approcha de lui, le sermonnant gentiment, pour lui tendre la main et l'aider à se relever.
Mais elle aussi, à peine arrivée à ses côtés, tomba toute seule,
sans aucune raison.
Et alors,
ici, puis là,
puis encore ailleurs,
des gens se mirent à tomber, depuis les portes jusqu'aux murs du fond.
C'était un spectacle très étrange.
Comment vous décrire cela ?
... Hmmm, disons que s'il avait été question de dominos, alors le spectacle aurait été magnifique et fascinant.
Mais ici, ce n'étaient pas des dominos qui tombaient les uns après les autres, mais des êtres humains...
Les gens assis les plus loin des portes observèrent ce curieux phénomène.
Ils avaient les yeux ronds comme des billes, cherchant frénétiquement ce que cela pouvait bien signifier, mais apparemment bien incapables de le comprendre.
Les portes se rouvrirent un peu et des mains apparurent, avec des sortes de bombes de spray. Elles en jetèrent encore quelques-unes dans la salle de classe.
Alors, les gens qui avaient observé cette chute de dominos
devinrent des dominos à leur tour.
Bien sûr, cette chute tragi-comique de dominos n'avait pas seulement lieu que dans l'école.
Elle se déroulait aussi dans les autres pièces du bâtiment des Eaux et Forêts.
Elle se déroulait d'ailleurs dans tous les centres d'évacuation.
Des vies entières tombaient comme des mouches,
géants fatigués et éreintés pour certains,
jeunes intrépides pleins de rêves et de projets d'avenir pour d'autres.
Elles s'affalaient, titubaient, tombaient raides, l'une après l'autre, dans la joie et l'allégresse. C'était presque rigolo à voir. Presque.
Dans la salle de réception, juste à côté de la salle des professeurs, il y eut soudain de l'agitation. Certains habitants avaient eu la bonne intuition en voyant les bombes de gaz au sol et avaient arraché les rubans qui maintenaient les vitres en place pour s'enfuir par les fenêtres et traverser la cour.
Nombreux étaient ceux qui s'étaient dirigés vers les fenêtres,
mais ils avaient fait du trop bon travail en aidant les soldats tout à l'heure,
et les quelques secondes passées en trop les avaient emportés vers l'au-delà.
— Nous avons des fuyards depuis la salle de réception.
4 patients sont sortis par la fenêtre !
— Autorisation de tirer !
Feu à volonté ! Vite ! Tirez !
Les soldats de l'unité pointèrent leurs pistolets mitrailleurs sur le dos des fuyards.
Une suite mécanique de coups de feu déchira le silence si splendide de la nuit.
On ne pouvait pas considérer cela comme une suite harmonique digne d'un rite funéraire.
Les civils s'effondrèrent à terre, les bras en croix, dépouilles humaines déchirées de partout.
L'hymne joué pour célébrer leur mort n'avait résolument pas la même décence que le silence si poignant de l'obscurité ambiante.
Parmi ces quatre personnes en fuite, il y avait un policier.
Il répondit quelques coups de feu, lui aussi.
On entendit des impacts de balles sur les murs des bâtiments.
Les soldats se firent instinctivement plus petits et plus prudents.
Le policier vit là sa chance et sprinta vers l'école,
mais bien sûr, tout cela fut inutile.
Non seulement leurs armes avaient une portée équivalente à plusieurs fois la distance d'ici l'école,
mais en plus, ils étaient parfaitement entraînés à tirer sur des cibles mouvantes. Ils n'avaient aucune chance de le rater.
Et donc, le résultat fut sans surprise.
Les gens eurent le choix entre mourir sans s'en rendre compte, gazés,
ou mourir dans la peur et la douleur, criblés de balles.
— Que s'est-il passé ?
Quelqu'un a riposté ?
Répondez !
— Tous les fuyards ont été exécutés.
L'un d'entre eux était un policier en faction ici, il nous a tiré dessus.
— OK, ramassez les corps.
Faites bien attention à les conserver à l'écart des autres.
Les soldats s'approchèrent des quatre corps sans vie au dehors.
Après avoir bien vérifié qu'ils étaient tous morts par balle, ils les prirent et les traînèrent derrière eux.
— Quartier Général, ici Unité 1.
Décontamination des Eaux et Forêts terminée.
4 fuyards exécutés.
— Quartier Général, ici Unité 2.
Décontamination terminée.
Aucun fuyard.
— Quartier Général, ici Unité 3.
Plus de 10 personnes ont pris la fuite,
nous sommes à leurs trousses.
Nous aurons bientôt terminé, ce n'est qu'une question de temps.
— Quartier Général, ici Unité 4.
Décontamination terminée.
Aucun fuyard.
— Quartier Général, ici Unité 3.
Confirmons 13 fuyards, tous exécutés.
Décontamination terminée.
— Bien reçu.
Dites aux unités de maintien du secret de bien vérifier les listes de présence et les identités des cadavres.
Miyo Takano riait toute seule dans son poste de commande.
Étant dans son véhicule blindé, elle n'avait pas pu voir les gens s'écrouler sans bruit.
Et pourtant, elle voyait très bien les scènes de crime.
Devant ses yeux, elle imaginait très bien les habitants de ce stupide village tomber les uns après les autres,
comme des mouches, sans même se rendre compte de ce qu'il leur arrivait.
— ... ... ♪
Elle se mit à bouger les mains en l'air, dans le vide.
Personne ne la voyait faire, mais même si cela avait été le cas, personne n'aurait compris pourquoi elle faisait cela.
... En fait, elle tenait et jouait de la baguette comme un chef d'orchestre.
À chaque mort, à chaque chute, elle entendait une note dans le silence cristallin de cette terrible nuit, et, ivre de cette musique, elle se prenait au jeu, sachant que c'était elle qui avait orchestré tout cela.
— Mon Commandant, les opérations de décontamination sont terminées.
Pouvons-nous arrêter de brouiller les signaux de communication ?
— Oui, bien sûr, faites, faites.
Hmpfhfhfhfhf...
— Ici l'équipe de l'institut, au rapport.
Avons terminé l'extraction de tous les documents secrets. La porte est soudée et la pièce maquillée.
Procédons à l'ennoyage du quartier secret.
— Ici l'équipe des voies d'accès, au rapport.
Rien à signaler.
— Ici l'équipe technique des communications.
Cessons de brouiller les signaux.
Commençons à réparer les lignes de téléphone.
Mais Miyo Takano ne les écoutait pas, elle ne les entendait même pas.
Elle sifflotait un air majestueux, perdue dans sa danse et dans ses pensées, tout sourire.
Incapable de comprendre cette bonne humeur, un ingénieur tout proche ne put s'empêcher de lui poser la question.
— ... Vous m'avez l'air vraiment très satisfaite, Mon Commandant.
— Oui, c'est vrai.
Je crois que c'est la plus belle nuit de toute ma vie.
... Aaah, j'imagine que vous n'entendez pas cette ode,
ce chant de gloire célébrant la naissance d'un nouveau dieu.
— ... Un chant de gloire, vous dites ?
— Hmpfhfhfhf, ahahahahahahahahaha...
Miyo Takano se mit à rire suffisamment fort pour être entendue, puis elle se passa une main dans la chevelure, fièrement, et déclara :
— Oui,
un chant de gloire !
Car sur cette région sans dieu, une nouvelle divinité est née ce soir.
Hinamizawa était un endroit vide.
La seule chose qu'il restait encore ici n'était que le nom et le souvenir de la déesse Yashiro.
Ce n'était qu'une ruine avec à peine les vestiges d'une présence divine autrefois.
Mais j'ai pu la ramener à la vie.
Vous comprenez ce que cela signifie ?
Non, bien sûr que non, hmpfhfhfhfhfhf !
Vous en connaissez beaucoup, des dieux qui punissent les humains sur cette terre ?
Des dieux qui subissent le test de l'esprit critique humain et en sortent vainqueur ?
Il n'y en a pas, aucun, pas un seul !
Pas un seul, sauf MOI !
Oh, ça non, personne ici ne pouvait la comprendre, bien sûr.
Et certainement pas les soldats qui étaient avec elle dans le poste de commandement.
Mais cette incompréhension si lisible sur leur visage la rendait encore plus extatique.
— Sans malédiction, point de dieu.
C'est la peur de la punition divine qui engendre le respect et la foi.
C'est ça, la vérité derrière l'existence des dieux !
Ils ne donnent pas naissance à des cultes, c'est l'inverse, ils naissent lors de la création d'un culte.
En ce cas, ils n'ont pas besoin de punir, mais dans les temps anciens, tous les dieux châtiaient leurs fidèles, tous !
Alors pourquoi ?
Parce que c'était là la preuve de leur essence divine !
Un dieu ne sachant maudire n'est qu'une idôle que les humains auront beau jeu de violer encore et encore !
Lorsque j'ai vu cette région, cette coquille vide,
j'eus une révélation, je vis un signe du destin !
Pendant les 100 ans qui séparent la révolution de Meiji et le projet du barrage, Hinamizawa a perdu sa divinité.
Mais je vis le signe des dieux, je sus d'instinct qu'il était de mon devoir de la faire renaître à la vie !
Et les cieux m'ont donné toute l'aide possible et imaginable !
Ils ont joué du hasard pour faire pousser un bouton, une naissance de malédiction, dont j'ai par la suite pris très grand soin.
J'ai planté l'arbrisseau et l'ai fait grandir, il a pollenisé et s'est chargé de fruits superbes !
Vous comprenez, maintenant ?
Ce soir est le soir de la récolte !
C'est le jour de la malédiction, le dernier jour relaté par les écrits sur la légende de la déesse Yashiro !
Maintenant que ce jour est arrivé, alors réellement, nous pouvons dire que oui, la déesse Yashiro a existé !
Oh, même si vous ne comprenez pas ce soir, ce n'est pas grave, vous finirez par vous en rendre compte.
Un jour, vous comprendrez l'énormité de ce que j'ai accompli, de ce que je suis devenue, et vous comprendrez que les gens parleront de moi pendant des éternités !
Les dieux déclenchent des malédictions.
Mais la malédiction de la déesse Yashiro, c'est MOI qui l'ai déclenchée !
Je suis devenue la déesse Yashiro, et ce soir, je vous maudis !
Prosternez-vous devant moi, chantez mes louanges, et craignez ma colère !
Les fragments épars que j'assemble ne sont ni malédiction, ni mort.
Mon fil coud et écrit l'Histoire !
L'Histoire retiendra cette malédiction et portera mon nom pour les siècles et les siècles !
Je suis devenue cette malédiction, j'ai transcendé ce corps de chair, même si celui-ci devait retourner poussière, l'Histoire, elle, resterait !
Je viens d'atteindre la vie éternelle !
Humains, maudissez-moi donc, haïssez mon corps ! Haïssez votre condition, votre enveloppe charnelle qui disparaîtra sans laisser de traces, vivez dans la jalousie et dans la crainte !
Et rendez-vous compte de ma grandeur !
Car en vérité, je suis la déesse Yashiro.
J'ai désormais atteint un stade supérieur, le niveau des dieux.
Mon corps disparaîtra, mais mon nom sera scandé et transmis sur la terre, pour l'éternité !
Ahahahahahaha, ahaha, ahahahahahahaha !
AaaaHAHAhahahAHAHAha, AAAAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !