— Ouais.
Et donc d'après ça, ça voudrait dire qu'elle avait déjà été enlevée le jour de la fête...
— ... Alors, c'est la malédiction ?
— N'empêche qu'après cinq années de suite, y a de quoi avoir les jetons...
Eh ben, je reconnaissais bien là Hinamizawa.
La rumeur y court décidément plus vite que son ombre.
Quoique, il s'agit de Mion Sonozaki, en même temps.
Elle a sûrement dû l'apprendre hier soir déjà, même si la Police n'a rien ébruité.
Tous mes amis proches se murmuraient les événements, la mort surréelle de Tomitake ainsi que la disparition de Takano.
En les écoutant, je réalisai à nouveau que Hinamizawa était vraiment peuplé de gens prêts à croire à n'importe quelles histoires.
Lorsqu'il se passe quelque chose le soir de la purification du coton, ils ont un mot magique pour le désigner, et ils y tiennent.
Franchement dit, les meurtres du passé m'étaient complètement égaux.
Celui qui m'intéressait, c'était celui de cette année.
... Surtout parce que celui ou celle qui avait commis ce crime était probablement celui ou celle qui viendrait me tuer moi...
Deux jours étaient déjà passés depuis la fête du village.
Le calendrier indiquait le 21 juin de l'an 58 de notre ère. Mardi, 21 juin 1983.
Ma mort la plus rapprochée était…
le 22 au soir, je crois bien.
Bon sang, déjà demain soir ?
La date de ma mort était sujette à variations, parfois assez importantes.
Je me retrouvais toujours assassinée, mais le jour où le meurtrier passait à l'action avait l'air d'être un peu choisi au hasard.
Ils avaient sûrement leurs raisons. Vu la méticulosité du plan, la date de ma mort ne pouvait jamais être un hasard...
La seule chose dont je pouvais être sûre...
... c'est que la dernière journée que je pouvais passer sans craindre la mort, c'était demain.
Dès demain soir, il me faudrait passer chaque nuit dans la crainte permanente de pouvoir être assassinée n'importe quand...
... Même si, après mûre réflexion, c'était un peu stupide de ma part d'en avoir peur.
D'habitude, je me réveillais tout simplement dans un nouveau monde.
Mes derniers souvenirs conscients n'étaient jamais ceux de ma mort, il y avait toujours une coupure.
C'était pourquoi je n'avais pas tant peur que ça de la Mort.
J'étais surtout frustrée de revenir toujours dans le passé une fois arrivée à un certain endroit -- comme si ma vie n'était qu'un disque vinyl rayé qui avait des ratés de lecture...
— ... ... ...
En tout cas...
c'était vraiment énervant.
Mes camarades de classe ne se doutent de rien, pour eux, demain sera tout aussi paisible et insouciant qu'aujourd'hui.
Mais moi, j'étais différente.
J'étais triste, déprimée, ulcérée...
Malgré tout ce que je pouvais en dire d'habitude, je ne voulais pas mourir.
— Est-ce que tu as encore des regrets ? Ça ira, jusqu'à demain soir ?
— ... Imbécile.
... Évidemment que j'ai encore des regrets...
Hanyû n'avait pas besoin de me le rappeler, je savais que demain soir serait le premier à être dangereux.
Mais elle me le présentait comme si elle savait que réellement, je mourrais demain soir soir, cette fois-ci.
— ... Rika, tu as fait beaucoup de choses, tu t'es vraiment donnée du mal.
Et cette année, ce fut la plus belle fête de la purification de toute ma vie.
Tu n'étais pas d'accord avec ça ?
Si, je m'étais bien amusée.
Vraiment, ç'avait été formidable.
Satoko avait eu le visage couvert de pansements, mais nous avions tous été là, nous avions fait les fous.
Et c'était justement pour ça que j'aurais bien voulu faire durer ce monde-là le plus longtemps possible.
Je ne pouvais pas accepter de le voir se terminer.
Ni dans deux semaines, ni dans une semaine, et encore moins demain soir...
— ... On pourra à nouveau s'amuser ensemble dans le prochain monde, tu verras.
— ... Alors quoi, il est déjà fini, ce monde ?
Regarde comme il est beau, comme il est plaisant ! Et tu me dis que... que c'est déjà la fin ?
Tous mes amis étaient là, au grand complet, et nous étions tous très liés les uns aux autres.
Keiichi ne se sentait pas exclu du groupe.
Rena n'avait pas tous les problèmes familiaux habituels.
Mion et sa sœur s'entendaient à merveille.
Shion était d'ailleurs très proche de Satoko, ce qui était assez étrange, en soi.
... Et nous avions même réglé le problème de Teppei sans recourir au meurtre. Ce qui avait amélioré grandement la situation de Satoko au village.
C'était un monde parfait, on ne pouvait pas rêver mieux.
Et même ce monde-ci...
...
...
devait prendre fin.
— ... Rika.
Nous ne sommes pas des êtres humains, nous ne sommes pas de ce monde. Tu raisonnes trop comme un être humain normal.
Tout le monde a envie de continuer à s'amuser en faisant la fête, c'est naturel.
Mais il arrive un moment où la fête se termine.
C'est bien pour ça que les enfants demandent à ce que ces instants fugaces soient éternels.
Mais ça ne veut pas dire qu'il faut pleurer et vagir à chaque fois qu'une fête prend fin.
Après une nuit de sommeil, le matin revient et le soleil se lève.
Et alors, des choses formidables se passent, encore une fois.
Ce n'est pas comme Cendrillon, ce n'est pas parce que la fête est finie que tout est fini à tout jamais.
— ... Je ne savais pas que c'était ainsi que tu voyais mon amour immodéré pour la vie.
— ... En ce moment, tu es un enfant qui nous fait tout un cirque en s'accrochant à sa chaise parce qu'il ne veut pas rentrer à la maison.
Pourquoi pleures-tu, où est le problème ?
Il y aura d'autres fêtes, beaucoup d'autres fêtes.
J'ai l'impression que tu as encore des réticences à accepter le fait qu'il te faille dépasser la Mort de temps en temps. Alors que pour nous, la Mort n'est qu'un très bref instant.
— Hanyû... Tu n'as... tu n'as pas envie de savoir ce qu'il nous attend au-delà du mois de juin 1983?
— ... Si, j'en ai envie, ce serait mentir que de prétendre le contraire.
Mais je...
Je suis plus préoccupée par... par les blessures que tu t'infliges en étant aussi ardemment attachée à ta vie.
... Tu n'as aucune idée de ce que c'est, Rika.
Je n'ai pu que regarder silencieusement les fêtes jusqu'à présent, les observant seule, dans mon coin, sans pouvoir parler à personne, et ce pendant un laps de temps à rendre fou n'importe qui.
Tu ne sais pas ce que c'est que de regarder tout le monde s'amuser pendant que toi, tu ne peux que rester juste à côté, sans participer.
Personne ne peut me voir.
Personne ne peut m'entendre, et personne ne peut me parler.
Tu crois que tu sais ce que c'est, Rika ?
Et c'est sur ces entrefaits qu'enfin, tu es apparue dans ma vie.
Si tu n'étais pas là, Rika, je ne pourrais pas vivre.
Mais notre grande différence, c'est que moi, je ne peux pas mourir. Je ne pourrais pas, même si je le voulais.
Je suis condamnée à vivre seule, jusqu'à la fin des Temps.
Je devrai me morfondre dans ma solitude jusqu'à ce qu'une nouvelle comme toi vienne au monde.
... Et franchement dit, je ne veux pas.
Je…
Je ne le supporterais pas une deuxième fois. Je n'en ai pas la force ! Je n'en ai pas envie !
— ... Je... Hanyû...
— Tu comprends pourquoi je veux que tu reviennes sur ta promesse ?
Retire ce que tu as dit ! Tu as dit que tu abandonnerais si ça ne marchait pas, je veux que tu retires ça !
— ... ... Hanyû, je...
Écoute, tu...
Laisse-moi un peu de temps, d'accord ?
J'aurais voulu essayer de me débattre, de me défendre bec et ongles jusqu'au bout, rien qu'une seule fois.
Je n'aurais qu'à décider plus tard, lors du résultat.
Si j'estime qu'il y a un espoir, je n'aurai qu'à continuer.
À l'inverse, si je remarque bien que la situation est désespérée, je n'aurai qu'à arrêter les frais.
Je pourrais suivre son conseil et faire comme il me plaisait du peu de temps qu'il me restait à vivre.
Et puis, si je me préparais déjà mentalement au pire, en redevenant une observatrice impartiale de ce mois de juin 1983, alors, je pourrai peut-être avoir la force d'attendre un nouveau monde aussi merveilleux...
Hanyû observa ma réaction et sembla réfléchir à ce que je lui avais dit. Décidant que c'était plutôt une réponse qui lui convenait, elle eut un petit sourire et se mit à hocher de la tête, très satisfaite.
— Qu'est-ce qu'il y a, Rena ?
Tu calcules tes chances de pouvoir embarquer Rika sous le bras sans te faire toper ?
— Dis-moi, Keiichi,
tu ne trouves pas que Rika n'a pas la forme, en ce moment ?
— ... Je sais pas trop.
Elle est peut-être encore fatiguée de la cérémonie et de tout le stress ?
Rika se tenait à l'écart, seule, le regard mélancolique.
J'avais pensé à la fatigue un peu par défaut, sans trop y réfléchir, mais maintenant que je l'observais, je me rendais bien compte que ce n'était pas la fatigue qui la mettait dans cet état...
— Avec la libération de Satoko, elle devrait être en train de danser et de chanter à s'en rendre malade.
Et pourtant, elle est bizarre depuis quelques jours.
Je me demande si elle n'a pas des problèmes...
— Pourtant, on a réglé le cas de Teppei une bonne fois pour toutes, non ?
Je ne vois pas quel autre problème elle pourrait avoir ?
Pendant un moment, je m'étais demandé si elle et Satoko ne seraient pas séparées, le temps que Satoko obtînt un nouveau tuteur.
Mais même ce problème-là était en passe d'être réglé.
Les Kimiyoshi et les Sonozaki étaient en train de décider des derniers détails à ce sujet.
En fait, Rika était déjà elle-même sous la tutelle du maire, M. Kimiyoshi.
S'il prenait aussi Satoko, elle deviendrait sa sœur, et si les Sonozaki la prenaient sous leur aile, elle deviendrait officiellement la sœur de Shion.
En fait, plus j'y réfléchissais, et moins je voyais où pouvait être le problème.
— Dans ces cas-là, le mieux, c'est encore d'aller lui poser la question, non ?
— ... Hmmm.
Parfois, c'est faire preuve d'un grand manque de tact, quand on fait ça.
Enfin, si c'est toi qui le fais, ce sera moins grave, j'imagine.
— Ça veut dire quoi, ça ? Que j'ai pas de tact, de toute façon ?
Rena ne répondit qu'en tirant légèrement la langue, un petit rire gêné lui échappant, s'excusant vaguement.
Sans trop me poser la question, je décidai d'aller la confronter.
Peut-être que les problèmes avec Satoko sont plus complexes que ça et qu'elle n'a jamais osé nous le dire.
Mais alors du coup, ça nous concernait aussi, tous autant que nous étions.
— Eh ben alors, toi ? Ça m'a pas l'air d'aller très fort.
... Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Des problèmes ?
— ...
... Ah, oh ! Keiichi ?
Apparemment, elle avait été un peu dans son monde à elle. Elle mit du temps à remarquer que je lui avais parlé.
— ... Pourquoi, j'ai l'air de me faire du souci ?
— Ouais, plutôt, enfin, c'est une impression, hein ?
Tant que tu m'en diras pas plus, je saurai pas. Il s'est passé quelque chose ?
Ce n'était qu'une bête question qui appelait un oui ou un non, mais Rika mit un temps fou avant d'essayer de répondre.
Ce qui voulait dire que oui, il s'était passé quelque chose...
— ... ... Keiichi, je...
J'aimerais vous faire écouter un poème.
Ne me demandez pas qui l'a composé,
je veux juste que vous l'écoutiez et que vous me donniez votre avis dessus.
— Ouais, pas de problème. Balance, c'est quoi, ton poème ?
Rika ferma les yeux, comme si elle cherchait dans sa mémoire,
puis récita un poème court.
Tout le monde a droit au bonheur.
Le plus dur, c'est de l'obtenir.
Tout le monde a droit au bonheur.
Le plus dur, c'est de le garder.
D'ailleurs, même moi, j'ai droit au bonheur.
Le plus dur, c'est de trouver un compromis.
— Ouah, il est plutôt compliqué, ton poème !
C'est toi qui l'as composé ?
Ah, désolé, c'est vrai, il faut pas que je demande.
— ... Exactement.
Je vous demande juste de me dire ce que vous en pensez.
— “Tout le monde a droit au bonheur.
Le plus dur, c'est de l'obtenir.”
Ouais, ça, je comprends.
Tout le monde a le droit d'aspirer à vivre heureux.
Mais ça ne veut pas dire que ce vœu est exaucé pour tout le monde.
— “Tout le monde a droit au bonheur.
Le plus dur, c'est de le garder.”
Ça, c'était moins facile, déjà. Il ne s'agissait probablement pas de garder le bonheur, mais de garder le droit au bonheur. Comme si l'on devait remplir sa part du contrat pour avoir droit au bonheur.
... Oui, tout le monde a le droit de se donner du mal pour devenir heureux.
Mais ça ne veut pas dire que cela réussit à tout le monde.
— “D'ailleurs, même moi, j'ai droit au bonheur.
Le plus dur, c'est de trouver un compromis.”
Le compromis du bonheur ? Tout simplement ?
Oui, on peut toujours demander à avoir plus, c'est un processus sans fin.
Si l'on commence à vouloir ceci, cela, on peut aller loin...
Et donc il faut savoir dire stop à un moment, faire un compromis.
... Ouais, c'est logique.
C'est plutôt un message positif, il faut se contenter du bonheur que l'on trouve, parce qu'on ne peut jamais être entièrement satisfait.
... Mais quelque part, c'est un peu triste de devoir faire des compromis sur le bonheur, non ? C'est comme si on abandonnait l'idée d'être un jour satisfait de sa condition humaine...
— Je pense que ce poème reflète l'état d'esprit de la personne qui l'a composé.
— ... Oui, moi aussi.
Et donc ? Vous en pensez quoi ?
Elle ne voulait apparemment pas l'admettre,
mais j'étais prêt à parier que c'était Rika elle-même qui avait composé ces vers, et qu'elle essayait de nous expliquer ses problèmes à travers eux.
Je sais que je suis un mec et que je suis pas très futé, mais même moi, j'avais remarqué...
— C'est un poème très triste, je trouve.
— ... Très triste, vous dites ?
— Je comprends les deux premières strophes sans trop de problèmes.
Tout le monde a le droit de vivre heureux, mais ça ne veut pas dire que tout le monde peut atteindre facilement le bonheur et mener une vie heureuse.
C'est une mise en vers des dures réalités de la vie.
Mais je trouve que la dernière strophe a quelque chose de... spécial.
Dans ce vers, le mot “compromis” veut dire “abandonner”.
Donc le poète -- “moi aussi” -- abandonne en fait l'idée de devenir un jour heureux, et cherche à trouver le bonheur dans ce qu'il a maintenant, et à se satisfaire de sa condition.
— ... Donc vous pensez qu'il essaie de se mentir à lui-même ? C'est un peu ça ?
— Ouais, et pas qu'un peu ! On sent bien qu'il a des regrets à n'en plus pouvoir.
Comme s'il avait la preuve irréfutable que même si n'importe qui dans le monde pouvait devenir heureux en se donnant du mal, eh bien lui, il pourrait se mettre debout sur la tête, il n'y arriverait jamais.
C'est un peu cette impression qu'il dégage, ce poème. Et je trouve ça vachement triste.
— Alors dites-moi, Keiichi.
La personne qui parle dans ce poème, que doit-elle faire ?
— Bah, allez, là, courage ! Te laisse pas abattre !
— ... Pardon ?
— Celui qui a composé ce poème a réfléchi au sujet, et il a trouvé sa réponse. Il sait sous quelles conditions il pourra se déclarer heureux.
Et j'ai pas l'impression qu'il soit super gourmand.
Et puis regarde, il a dédié trois strophes à la question ! Il y a réfléchi vraiment sérieusement, il s'est bien creusé la tête.
— ... ... ...
— Donc s'il a tellement envie d'atteindre le bonheur tel qu'il l'entend, eh ben, il doit pas se laisser abattre. Il ne doit jamais abandonner, jamais, tu m'entends, Rika ?
On a retourné une situation qui paraissait impossible en à peine quelques jours !
On s'y est tous mis, et ça a marché, y a pas de raison pour que ça ne marche pas une deuxième fois.
Et puis d'ailleurs, tu as bien vu comment ça s'est passé !
Alors c'est bon, je vois bien qu'il y a un truc qui te tracasse.
Dis-moi ce que c'est, sois sympa, quoi.
— ... ... Oui, c'est vrai, il y a effectivement quelque chose que j'aimerais vous avouer.
Mais si je vous en parle, vous ne pourrez plus vivre en paix à Hinamizawa.
... Pour moi, le bonheur serait de vivre au-delà du mois de juin 1983, à Hinamizawa, avec tous mes amis.
C'est pourquoi je ne veux pas risquer de vous impliquer tous simplement pour sauver ma peau et y survivre toute seule. Cela n'aurait aucun sens pour moi.
— Attends, on ne pourra plus vivre en paix ici ?
Mais pourquoi ?
— ... Parce que s'il se sait que je vous en ai parlé, ils vous tueront tous jusqu'au dernier.
C'est pour ça que je ne peux pas vous demander de l'aide.
— Ils nous tueront ? Attends, là, c'est grave, ce que tu dis.
Il y a quelqu'un qui te fait du chantage ou quoi ?
Le verbe tuer faisait partie du vocabulaire courant dans les écoles, mais pas dans son sens premier, comme ici.
Et il faisait encore plus étrange venant de Rika, elle n'était pas du genre à dire les choses à la légère.
Je poussai un très bref cri de surprise, restant un instant complètement abasourdi.
— ... Le plus triste étant que je ne sais pas qui sont mes ennemis.
La seule chose que je sais, c'est qu'ils finissent toujours, et je dis bien absolument toujours, par me tuer.
— Attends, attends, attends, Rika.
Parle-moi, il faut que tu me racontes ça.
C'est quoi, cette histoire, que t'est-il arrivé ?
Me dites pas que Teppei la fait chanter ?
Non, il ne peut pas.
La Police l'a arrêté, il est au frais. Et en plus, les Sonozaki se chargeront de lui faire comprendre qu'il ne serait plus jamais le bienvenu au village, donc il ne reviendra pas.
Si jamais il lui prenait l'idée de menacer Rika après ça, il avait de fortes chances de finir coulé dans du béton dans un chantier, ou enroulé comme du sushi...
... Et puis même, Rika devrait savoir qu'il lui suffisait d'en toucher un mot à Mion pour se débarrasser de lui.
Donc si elle tire quand même un visage grave, c'est que c'est grave de chez grave.
— ... Je suis désolée, Keiichi.
Si j'en dis plus, vous serez impliqués.
Et si vous êtes impliqués et que vous vous faites tuer, même en considérant que moi j'y survive, je n'atteindrais pas le bonheur dont je rêve.
C'est pour ça que je ne peux pas vous en parler.
Parce que vous en parler reviendrait à ne pas faire de compromis.
— Écoute, Rika, je ne comprends rien à ce que tu me racontes depuis tout à l'heure.
Mais une chose est sûre, tu sonnes comme Satoko la semaine dernière !
— Pardon ? Comme Satoko ?
— Ouaip.
Tu t'imagines que souffrir en silence est une vertu ? Tu n'as plus le courage de te battre, comme si tu avais oublié ce que c'est.
En tout cas, c'est comme ça que ça sonne à mes oreilles.
C'est pourtant toi qui es allée donner des leçons à Satoko au téléphone samedi dernier. Alors quoi ? Les règles comptent pour tout le monde, sauf pour toi, ou quoi ?
Mes mots eurent l'air de lui faire très mal.
... Rika se mordit les lèvres et resta un moment silencieuse, à me fixer du regard.
— ... ... Si je vous en parle, ils vous tueront tous aussi, j'en suis sûre.
— J'ai pas trop envie de me faire tuer, je dois dire.
Mais si nous te laissons comme ça sans rien faire, tu vas te faire tuer, si j'ai bien compris ?
Eh bien figure-toi que nous non plus, on ne veut pas d'un monde sans toi.
— ... Quoi ?
— Tu n'as pas envie de nous mêler à tes problèmes parce que tu tiens à nous, mais figure-toi que nous aussi, nous tenons tout autant à toi. Eh oui, ça marche dans les deux sens !
Alors s'il faut se battre, je suis partant.
Et puis, deux avis valent mieux qu'un, non ?
Si nous nous y mettons tous, on finira par trouver une bonne idée !
— ... Mon pauvre ami, je crois bien que... même les membres du club ne seront pas à la hauteur...
— Et donc parce que tu ne veux pas nous mêler à tout ça, tu refuses de nous en parler ?
Alors quoi, tu as l'intention de continuer comme ça, en tenant ta langue, pour te faire tuer et mourir toi seule ?
— ... ... ... ... Oui, c'est exactement ça, en fin de compte.
— Ne va pas t'imaginer que nous allons tous t'admirer parce que tu as su souffrir stoïquement.
Dis-toi bien que ce qu'il te faut, c'est le courage de te battre.
... Quand tu te sentiras prête, viens me voir, d'accord ? Peu importent la date, l'heure du jour ou de la nuit, te pose pas de questions, nous sommes tous là pour toi.
Et je suis sûr qu'on pourra faire quelque chose, si l'on s'y met tous ensemble.
— ... Merci.
Rika souriait, mais son regard était empreint d'une immense tristesse.
Comme si elle refusait poliment la charité.
Je ne savais pas quoi, mais Rika faisait face à un énorme problème.
Un truc qui était en fait une question de vie ou de mort, pour elle.
Et qui en plus devait être terriblement compliqué, car elle n'osait même pas se confier et demander de l'aide.
Même pas à nous...
— ... Alors, Keiichi ?
— Rika a des problèmes ?
C'est pas commun...
— ... Satoko,
je m'excuse de poser la question, mais... Tu sais pas si quelqu'un veut attenter à sa vie, à Rika ?
— PLAÎT-IL ?
Mais enfin, très cher, vous divaguez ?
— Dame Rika est un symbole du village, voyons.
Certains se prosternent à genoux devant elle pour l'idôlatrer. Il ne risque pas d'y avoir quelqu'un pour la tuer, va.
— Oh purée, eh !?
Mais c'est super grave, alors ?
Plus je me renseignais auprès des autres, et moins je voyais qui pouvait vouloir l'assassiner.
Et mes amis y voyaient encore moins clair que moi...
— ... Elle ne m'a pas dit ce qui la tracassait.
Mais une chose est sûre, elle a un gros, gros problème, extrèmement sérieux.
Si vraiment elle a confiance en nous, elle viendra bientôt nous voir pour nous en parler.
Il faut qu'on soit prêt pour elle, quel que soit ce qu'elle ait à nous dire. Il faudra la croire et lui offrir notre aide !
Je peux compter sur vous ?
Nous nous regardâmes tous en silence, puis, nous étant mis d'accord, nous scellâmes notre décision en opinant tous du chef en même temps...