Bien évidemment, Irie savait que Tomitake et Takano étaient morts.

Et son comportement au téléphone en disait long sur le degré de nervosité et de désarroi qui régnait à l'institut, et aussi à Tôkyô.

Je les trouvais sacrément gonflés, quand même. Ils ne faisaient pas tout ce cirque quand il s'agissait de supprimer des gens, mais là, quand ça les touchait eux, c'était la fin du monde...

Un détail très intéressant : le chef des hommes de Takano, Okonogi, était là aussi.

Il était de facto le maître des chiens de montagne.

J'étais surtout venue pour vérifier que ma protection était vraiment assurée, même malgré les nouveaux développements.

La plupart des autres fois, par le passé, après la mort de Takano, ils se désintéressaient complètement de mon sort.

Rika

— Okonogi.

Je sais que Takano est morte, mais est-ce que vous pensez que je m'en sortirai ?

Okonogi

— Ahahaha, z'en faites pas, Rika,

on vous protègera quand même, on surveille bien les environs !

Vous n'avez pas besoin d'aller demander la Police.

... Aaaah, d'accord, ils surveillent “les environs”, en effet.

Ils savent donc tout ce que je fais, à qui je parle, et de quoi j'ai parlé avec Ôishi tout à l'heure...

Rika

— L'inspecteur Ôishi m'a parlé de l'enquête.

Il paraît que Takano n'est pas morte ? C'est vrai ?

Okonogi

— Allons, dites pas de bêtises,

Okonogi

c'est une déclaration officielle de la police de Gifu.

Okonogi

Vous savez, l'inspecteur Ôishi doit prendre sa retraite à la fin de l'année, alors il veut à tout prix trouver un coupable à la malédiction de la déesse Yashiro, et ça le dérange pas s'il doit l'inventer de toutes pièces !

Okonogi

Il peut raconter tout et n'importe quoi, vous feriez bien de ne pas trop croire tout ce qu'il dit.

Il n'avait pas tort, d'un côté.

Cette année, c'était sa toute dernière chance de faire la lumière sur ce dossier.

Tout comme celui qui se noie tente par tous les moyens de s'accrocher au moindre roseau, Ôishi avait la fâcheuse propension à croire n'importe quels bobards.

Rika

— ... Et toi, Okonogi, tu en penses quoi, de cette affaire ?

Okonogi

— Disons que pour l'instant, nos supérieurs font leur enquête, donc je ne voudrais pas me risquer à dire des bêtises.

Okonogi

Vue la nature de leurs relations, il semble indiscutable que c'était quelqu'un de très au courant qui a fait ça.

L'écoutant d'une oreille attentive, je jetai un regard à Irie.

Apparemment, tout le monde le soupçonnait d'avoir fait le coup et il faisait son possible pour se défendre.

Puis, enfin, la conversation téléphonique prit fin.

Irie avait l'air plutôt énervé, presque furieux. Il avait toujours travaillé en se donnant corps et âme pour Tôkyô, mais aujourd'hui, il était le premier sur lequel ils avaient porté leurs soupçons.

Irie

— Ah, Rika, oui, c'est vrai.

Je suis désolé, ce fut plus long que prévu.

Rika

— Eh bien, Irie, tu m'as l'air dans de beaux draps.

Irie

— Que puis-je dire, vous les avez entendus ?

Il est extrêmement probable que leurs morts soient dues à un complot interne.

Et Tôkyô a immédiatement pensé que j'étais derrière tout ça.

Irie

Mais pourquoi pensent-ils en premier lieu à cette possibilité ? C'est quoi, leur problème ?

Chose très rare, Irie ne mâchait pas ses mots et ne cachait pas ses émotions.

Il devait avoir l'impression d'être bien mal remercié pour tous ses efforts.

Mais une chose était vraie, il s'était réellement farouchement opposé aux coupes budgétaires dues au recentrage du champ de ses recherches.

Pour le scientifique, c'était une évidence-même que de se battre pour garder son budget, mais Tôkyô n'avait peut-être pas la même lecture et la même compréhension de ses réactions.

... En fin de compte, ils étaient tous un peu suspects.

Irie

— Je comprends bien ce qui te tracasse, Rika.

Maintenant qu'ils sont morts, cela laisse le champ libre pour venir t'assassiner toi.

D'ailleurs, c'est le point qui fait le plus peur à Tôkyô aussi.

Okonogi

— Les chiens de montagne ont reçu l'ordre de vous surveiller et de vous protéger à tout prix, Rika.

Vous pouvez dormir tranquille !

Rika

— ... Merci, Okonogi, c'est rassurant à savoir.

C'était la première fois que j'entendais de leur bouche que des ordres leur avaient été donnés.

Jusqu'à présent, Irie perdait sa protection, et eux se mettaient à m'ignorer royalement.

Ce qui voulait dire que même si je n'avais pas réussi à sauver Tomitake et sa copine, j'avais quand même obtenu des conditions très avantageuses cette fois-ci !

Rika

— ... Vous ne savez vraiment pas qui a pu les tuer ? Même pas une vague idée ?

Irie

— Les gens de Tôkyô mènent l'enquête.

D'après les premiers éléments, la personne qui a fait ça était au courant de tout ou presque.

Heh, c'est d'ailleurs bien pour ça que je suis le premier à avoir été soupçonné.

Rika

— Il faut dire aussi que tu es le seul à pouvoir déclencher une mort comme celle de Tomitake.

Irie

— Mais non, ce n'est pas vrai !

Irie

Je parie que Tôkyô fait référence au H173,

Irie

mais lorsqu'ils m'ont demandé d'arrêter les recherches sur ce genre de produits dangereux, ils m'ont aussi donné l'ordre de détruire tous les échantillons, et je l'ai fait !

Irie

Donc normalement, c'est impossible !

Okonogi

— Oui, d'accord,

Okonogi

mais il n'empêche que M. Tomitake est mort dans ces circonstances-là et pas dans d'autres. Forcément, Tôkyô n'a pas le choix, ils doivent vous soupçonner vous, vous êtes la seule personne censée connaître la formule, j'imagine ?

Okonogi

Et puis, il était vacciné contre la maladie, en plus !

Okonogi

Et malgré le vaccin, elle s'est déclarée chez lui.

Irie

— Que voulez-vous que je vous dise ? Ça ne peut être que le hasard. Un hasard avec une chance astronomiquement faible, mais un hasard, rien de plus !

Et puis même, de toute façon, ce n'est pas réaliste !

D'habitude, Irie est un homme calme et posé.

La plupart des fois, il perdait son calme après la purification du coton, à cause des soupçons que ses supérieurs portaient sur lui...

Rika

— ... Et vous ne pensez pas que Takano pourrait être la meurtrière ?

Elle était au courant de tout, elle, non ?

Irie

— Qui, Takano ?

Ce serait énorme... Non, vraiment ? Hmmm...

Il était clair que la possibilité lui avait traversé l'esprit depuis un moment, mais qu'il n'osait rien dire. Surtout que cette théorie éclaircissait toutes les zones d'ombres sur les circonstances.

Mais ni lui, ni moi ne trouvions un mobile possible qui viendrait étayer cette thèse.

Les êtres humains sont des animaux mûs par un mobile, par une raison.

C'est pourquoi on cherche souvent plus à savoir pas seulement qui a fait le coup, mais surtout pourquoi.

La réponse à l'un pouvant même parfois déboucher sur la réponse à l'autre. Même si l'un dans l'autre, ce n'était peut-être pas si important que ça, au final.

Le mobile, il fallait l'obtenir de la bouche du meurtrier, après tout.

Personne ne pouvait se mettre dans la tête des autres et penser à leur place.

C'est pourquoi Irie avait, je pense, la mauvaise attitude. Il ne pouvait pas affirmer que Takano n'était pas la meurtrière simplement parce qu'il ne voyait pas son mobile...

Okonogi

— Rika, je vous trouve bien méchante de dire des choses pareilles sans preuves à l'appui.

Takano était pourtant très gentille avec vous !

Vous devriez avoir honte de la soupçonner.

Okonogi n'était pas tendre avec moi non plus, et surtout, je n'aimais pas le regard qu'il avait eu en me parlant...

Rika

— ...........

C'était vrai qu'elle avait fait beaucoup pour moi par le passé.

Et donc il était tout à fait vrai que j'étais bien ingrate de la soupçonner aujourd'hui.

Mais ça n'était pas une raison suffisante pour l'écarter de la liste des suspects.

Ou bien est-ce que par hasard, moi aussi, j'avais attrapé les mauvaises habitudes d'Ôishi ?

Est-ce que j'étais devenue sujette à croire à n'importe quoi, simplement à cause de mon envie de m'en sortir ?

Irie

— En tout cas, une chose est sûre, quelque chose de très mauvais se prépare, et très près de nous par-dessus le marché.

Il vaudrait mieux être très prudent à l'avenir.

Okonogi

— Ne vous en faites pas, Patron,

nous avons aussi reçu l'ordre de vous offrir une protection rapprochée.

Irie eut un rire désabusé.

Lui aussi devait penser que le gardien protecteur serait surtout un surveillant qui l'aurait constamment dans la ligne de mire...

Okonogi

— Quant à vous, Rika, je vous en prie, ne parlez pas trop à la Police.

Okonogi

Beaucoup des choses que vous savez sont classées secret défense, même si vous ne faites pas exprès, si jamais vous en dites trop, nous aurons beaucoup de problèmes.

Oui, enfin, c'est surtout celui qui en aura trop appris qui aura des problèmes, puisqu'ils devront le supprimer...

Mais bon, ce n'était ni le lieu ni le moment de parler de ça.

Mais en tout cas... si vraiment c'est Takano qui a fait le coup...

... alors ça veut dire qu'Okonogi est au courant et qu'il est complice.

Ce qui expliquait pourquoi il prenait sa défense.

Il lui fallait nous empêcher de réfléchir dans cette direction...

Mais sérieusement, si c'était vrai, alors j'étais bien dans la merde.

Si Takano est mon ennemie,

et que donc les chiens de montagne sont avec elle...

alors je me trouve en plein territoire ennemi.

Irie était le chef de la clinique, mais ce n'était qu'un titre de fonction. Il n'était qu'un simple scientifique qui faisait des recherches ici. Si anguille sous roche il y avait, il n'était sûrement au courant de rien.

Mais plus je réfléchissais à la situation, moins elle me paraissait claire.

Pourquoi donc Takano ferait-elle une chose pareille, aussi compliquée et contraignante ?

Rah, et moi qui essaie en plus de comprendre le pourquoi du comment, ce n'est pas si important que ça, finalement...

Était-elle vraiment le cerveau derrière tout ça ?

Ou bien est-ce que j'étais moi aussi en train de faire un délire paranoïaque, comme Ôishi ?

Parce que plus j'y pensais...

plus le fait de demander aux chiens de montagne de me protéger m'apparaissait comme étant suicidaire.

C'était comme faire entrer le loup dans la bergerie !

J'ai vécu cent ans déjà.

Et pendant tout ce temps, j'ai fait de l'œil à l'institut Irie, parce que je ne savais pas qui était responsable de ma mort.

Et si c'était justement celle-là, l'erreur que je ne devais pas faire ?

... Non.

Irie est un homme intègre, il ne peut pas être derrière tout ça.

J'en ai eu la preuve formelle dans plusieurs mondes déjà, il m'a souvent fait montre de sa loyauté.

Non, Irie, je peux lui faire confiance.

Le problème, c'est qu'il n'est pas en mesure de me protéger.

Mon regard croisa celui d'Okonogi.

Il me souriait avec beaucoup de confiance en soi, se tapant le torse pour me persuader qu'il empêcherait le danger de m'atteindre, mais je n'arrivais pas à me défaire de l'idée qu'il se moquait bien de moi.

... En fait, si ça se trouve, c'est moi qui ai développé un syndrome de Hinamizawa sans m'en rendre compte. Je commence à devenir parano, c'est peut-être le début de la fin pour moi aussi ?

Je n'y comprenais plus rien.

Qui était de mon côté, qui ne l'était pas ?

... Non, je ne pouvais pas retomber dans ce travers.

J'avais découvert, au fur et à mesure, en qui je pouvais avoir confiance, dans presque tous les mondes que j'avais visités.

Parmi ceux que je pouvais compter parmi mes amis sans me tromper, il y avait.

.

.

Irie,

Ôishi...

Et mes amis proches, aussi.

Mais si Okonogi est un homme de main de Takano, alors il va me faire surveiller de très près, maintenant.

Si jamais il découvre avec qui je prends contact, il pourrait tout à fait exécuter les ordres “habituels” et me supprimer sans autre forme de procès.

... ... Lorsque ma conscience s'est éveillée dans cette incarnation, je me suis plainte du peu de temps qu'il me restait pour changer les choses.

Mais en fait, ce n'avait pas été le cas.

Je venais de vivre deux semaines extrêmement riches en événements.

Et je pouvais être sûre que je n'en avais plus que pour quelques jours à vivre.

Qu'est-ce que je pouvais faire ?

Comment pourrais-je faire pour empêcher les choses de se dérouler ?

... Est-ce que Hanyû avait raison ? Est-ce qu'il était trop tard ? Est-ce que nous avions perdu, cette fois encore ?