Jirô Tomitake prit une liasse de documents qu'il plaça dans une pochette, puis plaça la pochette dans sa sacoche.

Tomitake

— Ils étaient vraiment lourds, ce soir.

Ils espéraient vraiment nous voir mourir, ou quoi ?

Takano

— Ahahaha,

oui, même si ce n'était qu'un rêve, il nous aura causé bien des problèmes.

Tomitake

— Dis au Docteur Irie de revoir les résultats de Rika et de refaire toutes les analyses.

Je pense que ses cauchemars sont un signe avant-coureur.

Et s'il lui arrive quelque chose, nous sommes finis.

Miyo Takano s'approcha lentement de lui et lui prit la main, laissant la sienne reposer paresseusement dessus.

Tomitake se raidit, rouge de confusion, alors qu'elle s'approchait encore de lui, laissant son visage tout près du sien -- il pouvait sentir son souffle lui chatouiller les narines.

La situation commençait à faire grimper la température dans la pièce...

Takano

— ... ... Dis-moi, Jirô, je...

J'ai quelque chose de très, très important à te dire.

Est-ce que tu veux bien m'écouter ?

Tomitake

— Quoi donc ?

Tomitake

Toi aussi, tu veux me parler de choses très importantes ?

Tomitake

Hahahaha, tu ne vas quand même pas me dire toi aussi que tu as fait des rêves dans lesquels je meurs en me tranchant la gorge avec mes propres ongles ?

Tomitake

Ahahahaha.

Takano

— ... Et si je prends le gauche ?

Tomitake

— ... Hein ?

Son regard malicieux et envoûtant clouait Tomitake sur place.

Puis, après quelques instants, elle se pencha plus du côté pour mordiller le lobe de son oreille, et finit par murmurer :

Takano

— Ahahaha.

Tu sais, je suis vraiment très surprise.

Si ça se trouve, cette petite a réellement le pouvoir de voir le futur.

Ahahaha...

Tomitake

— Et... Et qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Takano se mit à rire à voix basse, se passant la main dans les cheveux.

Tomitake adorait la regarder faire, son cœur se mettant à battre de plus en plus vite.

Takano

— Tu sais... Je t'aime, Jirô.

Tomitake

— Eh bien... Merci ?

Ahahahaha...

Takano promena ses doigts sur son menton, le caressa, le chatouilla, l'embrassa.

C'était envoûtant, intoxiquant.

Takano

— ... J'ai connu plusieurs hommes, mais leurs ambitions et leurs comportements n'étaient jamais vraiment à mon goût.

Takano

Mais j'ai finalement compris ce que je cherchais, quand je t'ai rencontré. Il me faut un homme intelligent, un homme sérieux, un homme intègre.

Takano

Toi, tu es différent, toi, tu seras capable de m'accepter telle que je suis.

Takano

Je suis persuadée que si quelqu'un peut réellement me comprendre, c'est bien toi et personne d'autre.

Takano

C'est pourquoi j'aimerais me donner tout entière à toi.

Takano

Je veux que tu acceptes mon être tout entier.

Takano

Est-ce que tu comprends ?

Tomitake

— ... Hh... mmm, mm,

Miyo, Miyo, attends,

qu'est-ce que tu as, tout d'un coup ?

Elle ne lui parlait pas comme elle le faisait d'habitude avant ou après l'amour.

Elle avait un sourire cruel sur les lèvres, ce qui voulait dire qu'elle savait quelque chose qu'il ne savait pas, et qu'elle savait aussi qu'il ne voyait pas où elle voulait en venir...

Takano

— ... Bientôt, Jirô, très bientôt...

J'y suis presque.

On aurait dit qu'elle était surexcitée d'attendre quelque chose qu'elle trouvait formidable.

Mais son sourire rendait le tout très étrange. Comme si cette chose formidable qu'elle attendait ne l'était pas pour tout le monde...

Tomitake

— ... Eh bien alors, dis-moi ? Quoi, bientôt ?

Résistant comme il pouvait au désir qui montait en lui, Tomitake tenta de détourner son attention des lèvres voluptueuses qui se frayaient un chemin sur son cou et finit par poser la question.

Takano

— ... Bientôt...

mon rêve se réalisera. Ce jour est enfin arrivé.

Tomitake

— Ton...

...

..

rêve, tu dis ?

Takano

— Oui, Jirô.

Mon rêve.

... ... Je t'en ai parlé, tu sais bien ?

Ou alors quoi, tu n'écoutes pas ce que je te dis quand nous restons paresseusement sous la couette ?

Tomitake

— Euh,

mais si, bien sûr, voyons.

Oui, bien sûr, ton...

Enfin... ton rêve, quoi.

Soit Tomitake ne savait pas de quoi elle parlait, soit il ne comprenait pas à quel rêve elle faisait allusion.

Il avait l'air de vouloir rester vague tout en étant conciliant.

Takano

— ... Bientôt, la malédiction de la déesse Yashiro se réalisera pour de vrai.

Et ce jour-là, la chose dont je rêve depuis toute petite deviendra elle aussi réalité.

Ahahahhaha...

Tomitake

— ... ...

Takano

— Jirô.

Écoute-moi bien.

... Je ne peux plus rester avec toi.

Tomitake

— Pardon ?

Attends, là, qu'est-ce que tu essaies de me dire ?

Takano

— ... Toi et moi n'appartenons pas au même monde, Jirô.

Takano

Hinamizawa est un lieu spécial, il relie le monde des humains et celui des démons.

Takano

C'est pourquoi nous nous sommes rencontrés,

Takano

toi qui vivais dans le monde de lumière,

Takano

et moi qui croupissais dans le monde des ombres.

Takano

... Tu comprends ce que je suis en train de dire ?

... Ahahahahahaha...

Tomitake

— Miyo... Laisse-moi deviner, tu es encore ivre ?

Tu n'as toujours pas déssaoulé de ta bière ?

Takano

— ... Non, Jirô, l'heure de notre séparation a sonné.

Takano

Merci de m'avoir montré le monde de la lumière.

Takano

Merci de m'avoir fait ressentir cette chaleur que ton corps dégage, cette chaleur humaine douce et réconfortante.

Takano

Merci de ne jamais m'avoir trompée, de ne jamais m'avoir menti, de ne jamais m'avoir trahie.

Takano

C'est vraiment une décision difficile pour moi.

Se décollant de son corps, Takano fit quelques pas en arrière.

Comme si elle voulait signifier la séparation par la distance.

Tomitake

— Miyo, je ne comprends rien à ce que tu me racontes.

Sois plus claire, qu'est-ce qu'il se passe ?

Takano

— ... ... Je n'arrivais pas à me résoudre à prendre la décision, alors j'ai en fait décidé de te laisser le choix, Jirô.

Takano

Je veux que tu choisisses de rester à mes côtés, et que tu abandonnes le côté de la lumière.

Takano

Si les mots doux que tu me susurrais à l'oreille pendant que tu reposais au creux de mes reins ne sont pas des mensonges, tu devrais en avoir le courage. Je sais que toi, tu sauras arrêter facilement ta décision, et t'y tenir.

Alors enfin, Tomitake se rendit compte que Takano attendait de lui une décision extrêmement importante.

Tomitake

— ... Bon sang, non ! Ne me dis pas que... Tu n'as quand même pas...

Takano

— Ahahaha,

eh si, justement.

... Jirô ?

Tomitake se leva et se positionna face à elle.

Il avait l'air de ne pas savoir s'il devait l'engager au combat ou pas.

Takano

— ... Ton travail est plus important que moi, n'est-ce pas ?

... C'est bien ce que je pensais.

Tomitake

— Je n'arrive pas à y croire, Miyo.

Je croyais que je pouvais te faire confiance, à toi !

Takano se mit à rire, un sourire amer sur les lèvres.

Elle semblait vraiment blessée par les reproches dans sa voix.

Takano

— ... Il paraît que la déesse Yashiro a pu faire vivre ensemble les démons et les humains,

mais apparemment, ses pouvoirs ne suffisent pas pour nous unir tous les deux.

... Aahahahahha...

Takano fit encore deux pas et atteignit la porte de la salle de réunion.

Elle l'ouvrit et laissa apparaître six hommes en bleus de travail.

Jirô Tomitake fut saisi par la peur.

Ils entrèrent dans la pièce sans dire mot, le visage inexpressif, et lui barrèrent la route.

Il était particulièrement évident qu'ils étaient là pour lui nuire.

Tomitake

— Qu'est-ce que ça signifie ? J'exige des explications !

Takano

— Le syndrome de Hinamizawa est une bombe à retardement dont la mèche est déjà allumée.

C'est pourquoi Tôkyô t'a donné l'ordre de la désamorcer avant qu'il ne soit trop tard.

Takano

Mais tu dois bien comprendre qu'à Tôkyô, il y a aussi des gens qui voudraient voir cette bombe exploser et faire de jolies couleurs.

Tomitake

— Mais c'est n'importe quoi !

Mais qui aurait un quelconque intérêt à faire ça ?!

Takano

— Il n'existe personne en ce monde pour faire des choses sans espérer quelque chose en retour, Jirô.

C'est ce qui fait tourner le monde.

Tu sais bien que ta question est futile et inutile.

Tomitake

— ... Je n'arrive pas à y croire.

Il y a vraiment des gens assez stupides pour penser ça ?

Le syndrome de Hinamizawa est une maladie très dangereuse, tu es pourtant bien placée pour le savoir !

Takano

— Oh que oui, si elle devait se déclarer, nous serions très embêtés.

C'est bien d'ailleurs pour cela que Tôkyô voulait être prudent, parce qu'ils ne pourraient pas couvrir un incident de ce genre.

Tomitake

— Et alors, ces fous ont réussi à t'acheter ?

Takano

— Non, Jirô, je suis de leur côté depuis le début, c'est la seule raison pour laquelle j'ai été affectée ici.

Je te demande pardon, Jirô,

nous ne vivons pas dans le même monde, depuis le premier jour.

Tomitake

— ... ... Et alors quoi ? Que veux-tu de moi ?

Takano

— Si tu coopères, ma mission sera très facile à remplir.

Mais pour toi, cela signifie te rendre coupable de haute trahison envers l'État.

Tomitake

— Tu veux que je retourne ma veste ?!

Takano

— Jirô.

Takano

Si tu n'as pas menti lorsque tu me professais ton amour, alors aide-moi sans rien dire, je t'en conjure.

Takano

Bien évidemment, tu auras tout ce que tu voudras.

Takano

Je peux même te payer en nature pour le restant de ta vie, si tu veux.

Takano

Mon corps sera toujours à ta disposition, peu importe où, quand, ou comment.

Takano

Je serai à toi et rien qu'à toi.

Takano

Tu pourras satisfaire même tes désirs les plus inavouables, je te le promets.

Takano

Et puis tu sais, l'idée de devenir ton esclave sexuelle jusqu'à la fin de mes jours ne me dérange pas beaucoup, il m'est arrivé de rêver d'enfanter ta descendance, par cinq fois, par dix fois si tel est ton désir.

Takano

Ça ne te dirait pas de me faire l'amour jusqu'à laisser ton odeur sur moi, comme si j'étais ton territoire ?

C'était une forme de violences contre lesquelles les hommes avaient bien peu de protection.

C'était un sortilège noir qui s'infiltrait par toutes les blessures de l'âme pour mieux vous ronger de l'intérieur.

Tomitake se sentit défaillir tellement l'excitation le faisait trembler. Il sentait quelque chose remonter dans son dos qu'il ne connaissait pas.

... Mais il ne voulait pas succomber.

Il ne pouvait pas se permettre de succomber. Il aurait bien voulu, mais il ne pouvait pas. Rassemblant le peu de neurones intacts qu'il lui restait, il se défendit comme il put.

Tomitake

— ... Je…

...

...

...

...

...

… Je refuse...

Takano

— Hmpff, ahahahaha...

ahaha, AHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Elle avait su depuis le début qu'il refuserait son offre.

Mais pourtant, elle riait comme si elle savourait sa victoire.

Car c'était une victoire.

Jirô Tomitake aurait dû refuser son offre tout net.

Et pourtant, intoxiqué par les charmes féminins de son adversaire, il avait eu de longues hésitations.

C'est pourquoi chaque seconde, chaque fragment de seconde pendant lesquels il avait hésité était une victoire pour elle.

Et pour lui, un déshonneur, celui d'avoir contemplé la possibilité de céder.

C'est pour ça qu'elle riait.

Elle riait comme une folle, comme une sorcière, envoûtante, irritante.

Takano

— ... Je savais que tu dirais ça.

C'est à cause de ton intégrité et de ta fidélité que je suis tombée amoureuse de toi...

Takano fit un geste de la main droite, et les six membres des chiens de montagne s'avancèrent lentement vers lui.

Tomitake

— Okonogi ! Comment as-tu pu ?!

Okonogi

— Je suis désolé, Lieutenant.

Takano

— Voyons, Jirô, tu es trop lent à la détente.

Takano

Les chiens de montagne ont toujours été sous mes ordres, tu le sais, pourtant ?

Takano

La clinique a toujours été placée sous notre contrôle.

Takano

Il n'y a bien que toi et le Docteur Irie qui ne soyez pas au courant...

Takano

Hmpff, ahahahaha...

Tomitake

— ... Merde...

Sachant qu'il ne pourrait s'en sortir que s'il prenait les devants et réussissait à prendre ses adversaires de court, Tomitake se décida à passer à l'action.

En un éclair, il plaça deux coups féroces dans l'homme qui se tenait le plus près de lui, l'envoyant s'écrouler dans le mur derrière lui.

Mais les autres ne restèrent pas là les bras ballants.

Ils lui sautèrent tous dessus en même temps, pour profiter de l'avantage numéraire.

Il eut beau mettre des coups de coudes pour se débarrasser des hommes qui l'avaient ceinturé, il ne put pas faire grand'chose.

Il se défendit bien, mais ils réussirent à le plaquer au sol, face contre terre.

Tomitake

— Putain, MERDE !

Lâchez-moi immédiatement ! LÂCHEZ-MOI !

Chien de montagne

— Rah, mais c'est bon, arrêtez de bouger !

Waaaaaagh… !!

Ils avaient réussi à lui bloquer les articulations. Il ne pouvait plus bouger du tout.

Takano

— Impressionnant, Jirô.

Même à un contre six, tu réussis encore à leur poser des problèmes.

Après s'être assurée qu'il ne pourrait plus se dégager, Takano s'approcha de lui avec grâce et élégance, et le dévisagea de haut.

Takano

— ... ... Jirô,

Takano

je sais que tu vas refuser, mais juste pour flatter mon égo, j'aimerais te reposer la question.

Takano

Tu ne veux pas changer d'avis ? Tu es sûr que tu ne veux pas venir de mon côté et m'aider à réaliser mon rêve ?

Tomitake

— ... Non, Miyo, c'est inutile.

Je ne passerai pas dans l'autre camp !

Argh…

Takano

— Merci, Jirô.

Merci d'être aussi franc et catégorique. Avec ça, j'aurais peut-être moins mal quand tout sera fini.

Ahahahaha...

Takano posa une petite mallette sur le sol.

Elle l'ouvrit, en sortit le contenu, et le montra à Tomitake, toujours maintenu au sol.

Tomitake

— ... C'est quoi, cette seringue ?!

Takano

— Allons, Jirô...

Tu dois bien avoir une petite idée, quand même ?

Hmpff.

Tomitake

— ... Non, c'est pas vrai...

Mais pourtant, nous avions détruit tous les échantillons !

Takano

— Jirô,

je sais à quoi tu penses.

Tu penses que même si cette seringue contenait ce que tu crois, de toute façon, nous t'avons injecté un vaccin pour te prémunir de la maladie.

Hahahahaha...

J'ai juste, n'est-ce pas ?

Takano

C'est pour ça que tu restes aussi calme et posé ?

Sauf que tu vois, la dose de vaccin que je t'ai injectée à ton arrivée cette fois-ci ne contenait pas de vaccin.

Takano

Et d'ailleurs, je parie que tu n'en es pas conscient, mais en ce moment-même, tu présentes les symptômes d'un patient N3. Tu es déjà porteur du syndrome de Hinamizawa, il est en période d'incubation.

Takano

Tu pensais que je n'avais rien remarqué ? Tu fais toujours l'homme fort et stoïque, mais quand je te fais une piqûre, tu tournes toujours le regard, tu ne regardes jamais la seringue.

Takano

Et ça, ce n'est pas une bonne idée, Jirô,

Takano

parce que si tu ne regardes pas ce que l'on t'injecte, tu pourrais choper des maladies.

Ahahahahahaha !

Tomitake

— Putain de bordel de merde,

lâchez-moi !

Il eut beau recommencer à se débattre, il ne put rien faire, les hommes le maintenaient solidement, bien au sol.

Takano avait l'air de beaucoup s'amuser en les regardant faire.

Takano

— Il me semble que tu connais bien les effets du H173, non ?

Takano

Une fois inoculé au sujet, il lui transmet la maladie et engendre une grande nervosité, ce qui recrée une sorte de N5 artificiel.

Takano

Je crois que tu étais présent lors des essais, tu sais à quel point les effets sont spectaculaires.

Takano

Les sujets se plaignaient de fortes démangeaisons dans le cou et sous les aisselles.

Takano

D'après les symptômes décrits dans les traces plus anciennes, il semblerait que les patients N5 déclarent de violentes démangeaisons dans les ganglions lymphatiques.

Takano

C'est peut-être une sorte de réaction immunitaire.

Jirô, tu te rends compte ?

Avec un peu de chance, tu mourras exactement comme te l'a décrit Rika.

Ahahahaha !

Takano

Soit tu mourras des suites des blessures que tu t'infligeras, soit tu perdras la raison à cause de l'inflammation des tissus de ton cerveau.

Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

Alors, Jirô ?

Ahahahahahaha...

Tomitake

— Arrête ! Ne fais pas ça !

Takano

— ... À ce rythme-là, je n'arriverai pas à lui faire cette piqûre.

Vous pouvez l'endormir ?

L'un des hommes sortit un mouchoir, qu'il imbiba de chloroforme et plaça directement dans les narines de Tomitake.

Celui-ci eut d'abord quelques mouvements plus violents, avant de s'arrêter d'un seul coup. Il reposa alors au sol, comme une baleine échouée sur la grève.

Takano se baissa pour lui caresser les traits du visage. Elle put constater qu'il ne montrait plus aucune réaction.

Alors, elle prit sa seringue, et la plaça juste en dessous de la pomme d'Adam.

D'un geste habile, elle fit pénétrer l'aiguille sous la peau.

Elle appuya sur le poussoir, propulsant le liquide dans son corps.

Très vite, le morceau de peau soulevé par la piqûre retomba,

et bientôt, on ne vit plus rien.

Takano

— Adieu, Jirô.

Lorsque tu te réveilleras, tu seras sûrement dans un cauchemar magnifique.

Ahahahaha...

Les autres hommes relâchèrent Tomitake.

Il ne fit plus le moindre mouvement.

Takano

— Transportez-le dans ma voiture. Mettez-le dans le coffre.

Le meneur des hommes fit un signe du menton, et deux d'entre eux se saisirent du corps inanimé, puis sortirent de la salle.

Takano

— Ah, et au fait,

n'oubliez pas son vélo.

Je suis sûr qu'il sera très content de le retrouver en enfer, il pourra continuer à se maintenir en forme...

Les hommes se mirent à ricaner à voix basse.

Okonogi

— Très bien. Désormais, l'opération finale est lancée.

Les rires cessèrent aussitôt.

Takano

— Okonogi, attendez que je reprenne le contact.

Takano

Ne perdez pas le Docteur Irie des yeux, c'est compris ?

Takano

... Et aussi, faites attention à Rika Furude.

Takano

Je ne sais pas ce qu'elle a comme sixième sens, mais en tout cas, elle a pu deviner exactement comment le lieutenant Tomitake allait être assassiné.

Takano

… Ahahahaha.

Je l'aurais bien étudiée un peu plus longtemps, c'est dommage...

Okonogi

— C'est compris.

Vous pouvez compter sur moi.

Faites attention à vous sur le chemin.

Takano

— Allons, ce n'est pas la mer à boire non plus.

... Au fait, où se trouve le Docteur ?

Okonogi

— Je pense qu'il est encore à la fête, qu'il participe à la réunion pour la fin.

Il est encore à l'intérieur du sanctuaire.

Takano

— J'aurais bien aimé voir sa tête quand il verra le corps de Jirô. Ça lui fera un sacré changement par rapport à ses recherches...

Hahahahaha...

Les hommes aussi se mirent à rire avec elle.

Miyo Takano regarda la montre à son poignet.

Il était tout juste avant 22h.

La plupart des voitures avaient fini de repartir, et celles des courageux qui restaient nettoyer étaient sur place.

Les seuls gens encore dehors restaient au sanctuaire pour faire la fête jusque très tard. Ils étaient déjà certainement bien imbibés d'alcool.

Bref, pour quelqu'un qui voulait éviter d'être vu, c'était exactement la bonne heure.

Takano

— Bon, eh bien, je vais y aller.

À plus tard ! Je meurs et je reviens.

Ahahahahaha...

Laissant là ses subalternes, Takano quitta la clinique.

Elle sortit par la porte de derrière, celle du personnel médical.

À la lueur de la lune, on n'entendait que les cris des insectes et, plus loin, l'écho du cours d'eau et de la cascade.

Il n'y avait strictement rien d'autre dans la nuit fraîche de Hinamizawa.

Takano trouvait cela très agréable. Humant l'air délicieux, elle s'approcha alors de sa voiture.

Dans son coffre, le corps de Tomitake attendait son heure.

Puis, sur la banquette arrière, elle put voir le vélo pliable qu'il affectionnait tant.

Ahahaha,

désolée, Jirô, je te demande pardon.

Je n'aurais peut-être pas dû placer ton vélo à une meilleure place que toi.

Mais ne t'inquiète pas, je vais vous déposer tous les deux bien assez tôt...

Je peux le déposer sur la route d'Okinomiya,

elle est sombre et il n'y a jamais personne...

Elle trouva l'endroit idéal,

mais curieusement, il y avait justement une voiture de police stationnée dans la pénombre. Elle dut se résoudre à chercher un autre endroit.

Bien sûr, ils veulent vérifier qu'il n'y ait pas une cinquième fois de suite, c'est compréhensible.

Félicitations pour votre assiduité, messieurs, et bonne continuation.

Je me doute que vous êtes à des lieues de vous imaginer que j'ai dans mon coffre le corps de la victime de cette année...

Elle roula plus avant, plus profond dans la nuit.

Elle atteignit le début de la montagne et s'engouffra dans des ténèbres insondables.

Tout autour d'elle, des champs de riz.

C'est en tout cas ce qu'elle déduisait en entendant le concert des grenouilles et des crapauds.

Miyo gara sa voiture sur le bas-côté de la route, juste au bord des champs.

C'était la dernière limite pour s'arrêter, car après le prochain virage, les habitations reprenaient.

Elle était beaucoup plus proche d'Okinomiya qu'elle ne l'avait prévu.

Il avait été prévu de se débarrasser du corps bien plus loin des habitations, mais l'endroit idéal avait été occupé par des policiers, donc elle n'avait pas eu trop le choix.

Miyo sortit de sa voiture, ouvrit son coffre, saisit Tomitake et le déposa tant bien que mal par terre, dans le fossé.

Puis elle revint pour jeter aussi son vélo.

Elle eut l'impression que Tomitake commençait à gémir faiblement.

... Il n'allait probablement pas tarder à se réveiller.

Takano

— Adieu, Jirô.

Je dois t'avouer que cela fut très plaisant.

J'aurais bien passé plus de temps avec toi, c'est dommage.

Ahahahaha...

Tu te réveilleras bientôt,

et tu mourras comme n'importe quel autre patient N5.

Takano

Après avoir eu de grosses hallucinations, tu connaîtras une mort ignoble.

Takano

Je me demande si tu te trancheras la gorge, comme ces gens qui ont connu la poussée d'asticots.

Takano

Je ne le saurai jamais, puisque je ne peux pas rester t'observer, c'est vraiment pas de chance.

Takano

Ahahaha...

Takano

Et alors, ta mort surréelle et ma disparition seront attribuées à la malédiction de la déesse Yashiro, et nos noms resteront dans l'Histoire.

Takano

Ta mort apportera sa pierre à l'édifice de la malédiction, tu te rends compte ?

Les gens vont y croire dur comme fer... Jirô... Il y a de quoi être fier, tu sais ?

Takano

Tu vas désormais quitter ton enveloppe charnelle pour devenir un morceau d'une légende presque éternelle.

... ... Ahahaha, hahaha, ahahahahaha...

Ce furent les derniers mots qu'elle adressa à son compagnon.

Takano reprit le volant et repartit à pleins gaz.

Le fossé croisé séparant les champs n'avait été éclairé que par les phares de sa voiture, aussi ne mit-il que quelques secondes pour disparaître à tout jamais dans les ténèbres, même en scrutant dans le rétroviseur...

Takano sortit de la banlieue d'Okinomiya, tourna dans plusieurs petits chemins, et finit par atteindre la pleine montagne, déserte, plongée dans le noir de la nuit.

Cela faisait maintenant un bon moment qu'elle était partie de Hinamizawa.

Il était bientôt minuit.

Elle était peut-être même déjà arrivée aux frontières de la préfecture, certainement même les avait-elle déjà passées.

Mais à part quelqu'animal ou autre objet pris dans la lumière de ses phares, elle ne distinguait quasiment rien de la montagne environnante.

Puis, enfin, Miyo Takano arrêta son véhicule au beau milieu de la route, dans un endroit où vraiment, l'on ne distinguait rien à part les ténèbres.

Elle coupa le moteur, éteignit ses phares, et dut se faire violence pour ne pas céder à la panique -- en l'absence de tout repère visuel, elle avait presque l'impression d'être coupée de la réalité.

Les secondes s'égrénèrent, terriblement longues, comme si le Temps s'était ralenti.

Après plusieurs instants -- ou peut-être seulement quelques secondes -- elle vit des phares s'allumer deux fois très brièvement.

Comme cela était convenu, Takano se mit à actionner ses propres phares, dans une séquence très ordonnée.

À la fin de la séquence, l'obscurité régna quelques secondes, puis les phares d'en face s'allumèrent et le restèrent. Enfin, plusieurs silhouettes se découpèrent dans leur lumière, s'approchant d'elle.

Deux hommes en uniformes de livreur vinrent toquer à la fenêtre de sa voiture.

Takano ouvrit sa fenêtre.

Les deux hommes observèrent son visage, puis jetèrent un regard sur leurs documents, comme pour confirmer son identité.

Takano

— Contente de vous voir, la route était longue.

C'est moi, Takano.

Les hommes purent constater que c'était bien elle en personne, et prévinrent leurs complices.

Chien de montagne

— ... QG, à vous !

Le poussin est sauf.

Il a été suivi ou pas ?

Quartier Général

— ... *tschh*

*tschh*

Apparemment non. La voie est libre sur 400m.

Chien de montagne

— Vous n'avez pas été suivie, c'est parfait.

Très beau travail.

Je vous en prie, veuillez vous rendre dans le centre de commande.

Laissez-moi vous débarrasser des documents.

Takano

— Les documents sont dans une mallette, dans mon coffre.

Tenez, voilà la clef.

J'aimerais bien avoir un café, si possible.

Vous voulez bien m'en préparer ?

Le centre de commande était situé dans un semi-remorque dont l'arrière était empli d'appareils de communication.

La lueur des écrans et des boutons recréait une ambiance féerique dans la pénombre des lieux.

Homme

— Mon Commandant, votre café.

Un homme en bleu de travail vint lui tendre un gobelet en papier.

Takano

— Merci.

Est-ce que tout est en règle pour mon cadavre ?

Homme

— L'équipe de Gifu nous a prévenus qu'elle en avait terminé avec la falsification.

Takano

— De Gifu ?

Ils m'ont fait brûler dans un vieux baril, au fin fond des montagnes, ou quoi ?

Homme

— Ah, je ne connais pas les détails.

Je vais me renseigner sur-le-champ.

L'opération finale avait commencé.

C'est ainsi que cette opération avait été nommée.

L'objectif de la première phase des opérations était de sortir Takano de Hinamizawa et de récupérer 18 documents-clef.

Cette partie-là était un succès sur toute la ligne.

Puis, il y avait la suppression de l'agent de communication envoyé par Tôkyô.

Takano s'en était chargé, avec une méthode peu ordinaire.

Mais la façon dont il était mort n'était pas de son crû.

Tomitake devait absolument mourir comme un patient N5 pour faire porter les soupçons sur le Docteur Irie.

Leur hiérarchie avait demandé à faire croire que l'institut Irie, furieux de devoir arrêter les recherches et de voir son budget réduit, avait décidé de vendre les fruits de leurs travaux à d'autres forces.

La mort si étrange de Tomitake devait être désignée comme étant une preuve de ce scénario, mais cette tâche incombait à une autre personne.

De plus, la hiérarchie avait demandé la mort de Takano.

Mais Takano n'avait pas besoin de se supprimer elle-même.

Elle avait pris les devants, se doutant que l'opération serait bientôt déclenchée, et s'était procuré un cadavre de rechange, tour de passe-passe accepté par ses supérieurs.

Takano elle-même ne savait pas de quelle manière elle allait “officiellement” mourir.

Mais d'après les premiers éléments, c'était une équipe de Gifu qui avait tout préparé.

Si l'agent de communication -- le lieutenant Tomitake -- et le surveillant de l'institut -- le commandant Takano -- venaient à mourir dans des circonstances pour le moins étrange, Tôkyô n'aurait d'autre choix que de porter ses soupçons sur l'institut Irie.

Et donc, la mise en scène de la rébellion de l'institut Irie avait été, elle aussi, un objectif très important de cette opération...

Homme

— Je vous présente mes excuses, mon Commandant.

L'équipe de Gifu s'est aperçue d'un problème.

Takano

— ... Un problème grave ?

Que s'est-il passé ?

Homme

— Ils auraient commis une erreur lors du choix du cadavre.

Celui qu'ils ont pris serait déjà mort depuis 24h.

Takano

— ... Tiens donc ? Je suis curieuse de voir ce que ca va donner.

Si je vous suis bien, cela revient à dire qu'officiellement, j'étais déjà morte hier.

Son cadavre de remplacement aurait dû être choisi parmi les morts de la journée.

Le corps aurait été choisi si possible parmi les brûlés, pour rendre l'identification plus lente et plus contraignante.

L'équipe aurait trouvé le corps idéal et serait passé à l'action,

pour se rendre compte seulement plus tard, d'après certains indices sur le corps, que celui-ci aurait été brûlé 24h après le décès de la personne.

Ce qui posait un problème dans la chronologie logique des événements.

Homme

— L'équipe de Gifu est en route pour récupérer le corps.

Takano

— Ahahaha.

Non, laissez donc.

C'est parfait, ce cadavre sera le mien.

Homme

— ... ?

Mais alors...

Takano

— La déesse Yashiro engloutira le village tout entier. Si les gens apprennent que sa messagère était en fait déjà morte lorsqu'elle a été vue à la fête, ils vont beaucoup jaser !

Takano

Ahahaha, non, c'est superbe,

c'est mieux que je ne pouvais l'espérer.

Ahahahaha...

Pendant un bon moment, Takano ne put s'empêcher de pouffer de rire, très satisfaite, allant clairement jusqu'à rire à voix haute, sur un ton proprement dérangeant.

Dans le poste de commandement, aucun des officiers ne comprenait ce qui la faisait rire de si bon cœur.

Elle par contre ne semblait pas gênée outre mesure de rire toute seule, comme une idiote.

Takano

— Peu importe.

Donnez l'ordre à Gifu de ne surtout pas changer le corps.

Et puis, un petit imprévu de temps en temps, c'est très bien.

Homme

— En êtes-vous bien certaine, Mon Commandant ?

Il resterait une possibilité que...

Takano

— Que rien du tout.

Miyo Takano a été vue par de nombreuses personnes dans le sanctuaire Furude, ce soir.

Takano

Même si l'autopsie devait révéler la supercherie, la plupart des donneurs d'ordres feraient en sorte de ne pas faire de vague et conclueraient à une erreur du médecin-légiste.

Ahahahahahahaha !

Selon toute apparence, Miyo Takano aimait prendre des risques.

Homme

— ... À vos ordres.

Je vais faire passer le message à Gifu.

Takano

— Et alors,

en fin de compte, mon cadavre était-il calciné dans un baril, au plus profond de la montagne ?

Homme

— C'est exact.

Ils se sont débrouillés pour que l'on puisse voir les flammes depuis une station service située sur l'autoroute, en contrebas de la montagne.

En entendant cela, Takano stoppa net, bouche bée, un regard de stupéfaction incrédule sur le visage.

Puis, après quelques secondes d'un silence terrifiant, elle partit dans de grands éclats de rire, encore plus intriguants.

Évidemment, personne ici présent ne comprenait ce qu'il lui arrivait.

Takano

— Eh bien, je commence à comprendre.

Les gens ne la considéraient pas pour rien comme la réincarnation de la déesse Yashiro.

Takano

... Les faits m'obligent à reconnaître la possibilité que cette gamine possédait réellement quelque chose de surhumain en elle.

Dites aux chiens de montagne en place à Hinamizawa de surveiller R de très près.

Homme

— À vos ordres.

Homme

— Mon Commandant,

j'ai intercepté une communication avec le central d'Okinomiya, le corps du lieutenant Tomitake a été découvert.

Takano

— ... Alors, enfin, ils l'ont trouvé.

Enfin, ENFIN, le spectacle va commencer.

Ahahaha, ahahaha, ahahahahahaha !

Kumadani

— Chef, le docteur est là.

Ôishi

— Ah, OK. Bonsoir !

Ôishi

Alors, qu'en dites-vous, Docteur Irie ?

Ôishi entra dans coin délimité par des bâches.

À l'intérieur, les gens de la balistique photographiaient le corps dans tous les sens.

Le docteur Irie était accroupi près du cadavre de Jirô Tomitake.

Il se releva, blanc comme neige.

Irie

— ... ... Je n'arrive pas à y croire.

Ôishi

— Eh ben rassurez-vous, vous n'êtes pas le seul.

À première vue, le macchabée a eu la gorge tranchée.

Par ses propres ongles.

Ôishi

C'est pas commun comme façon de mourir.

Probablement une drogue louche là-dessous.

Irie

— ... Est-ce que ça pourrait vouloir dire qu'il était constamment sous traitement ? Qu'il se droguait, peut-être ?

Ôishi

— Alors ça, allez savoir, hein ?

J'imagine que ce sera notre travail de le découvrir.

Irie

— ... Monsieur l'Inspecteur,

c'est quoi ce morceau de bois ?

Ôishi

— Oh, j'imagine qu'il s'en servait pour frapper autour de soi.

Et puis il a fini par le jeter et à se gratter la gorge, parce que ça lui chantait.

Irie

— ... Mais pourquoi avoir utilisé ce bâton ?

Ôishi

— Ça paraît évident, il voulait se défendre.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais le macchabée a des traces un peu partout.

Irie

— ... Si, je les ai vues. Il a été frappé.

Ôishi

— Ce qui veut dire que vraisemblablement...

...

...

...

Après la fête, sur le chemin du retour, il s'est fait agresser.

Ôishi

On l'a maintenu au sol, puis injecté un produit qui l'a rendu tout fou dans sa tête, et il s'est donné la mort.

Irie

— ... Je n'ai jamais entendu parler d'une drogue suicidogène, je ne suis même pas sûr que le mot existe... Enfin, je ne connais aucun produit qui pousserait au suicide. Et encore moins qui pousserait à se gratter la gorge jusqu'à se la trancher.

Ôishi

— Je ne suis pas un expert non plus, je dois dire. Je sais que certains camés ont des tendances suicidaires lorsqu'ils sont vraiment atteints, ça y ressemble, non ?

Ôishi

Bah, de toute façon, le vieux va nous trouver ça pendant l'autopsie.

Kumadani

— Monsieur Ôishi, excusez-moi !

Nous avons trouvé ce qui est probablement le vélo de la victime, à quelques centaines de mètres d'ici.

Ôishi

— Ah oui ? Bien, bien, merci !

Il y avait des indices ?

Kumadani

— Eh bien, pas au premier abord.

La balistique est en train de s'en charger.

Ôishi

— Donc, reprenons. Il s'est fait sûrement attaquer là où il a laissé le vélo, donc...

De là, il a fui, ou bien il s'est battu, en ramassant le morceau de bois, et il est arrivé ici... Hmmmmmmmm...

Croisant les bras et fronçant les sourcils, Ôishi se mit à réfléchir en soupirant.

Le docteur Irie observait encore le cadavre de Tomitake, répétant parfois les mêmes mots que tout à l'heure.

Irie

— ... C'est inimaginable. C'est incroyable, impossible.

… Je n'arrive pas y croire.

Dès le premier regard, Irie avait immédiatement compris que la mort si étrange de Tomitake était due aux hallucinations et aux blessures que les patients s'infligeaient lorsqu'ils étaient atteints du “syndrome de Hinamizawa” en phase terminale.

Il ne s'était pas servi du morceau de bois pour frapper des ennemis réellement présents autour de lui. La paranoïa engendrée par le niveau 5 de la maladie -- la phase terminale -- lui avait simplement fait croire à la présence d'ennemis.

Lorsque les symptômes de la paranoïa se déclaraient chez les patients, ils devenaient violents et erratiques, c'était l'un des effets secondaires les plus frappant parmi les rares malades jamais observés.

Mais Tomitake n'était pas un patient comme les autres, il recevait une injection de vaccin à chacune de ses visites.

Il était impossible qu'il pût présenter les signes d'une phase terminale en aussi peu de temps.

Il ne voulait pas trop y penser, mais...

la seule possibilité d'en arriver à ces résultats était de lui injecter directement un agent pathogène virulent.

Et ce, dans une dose extrêmement concentrée.

Le seul coupable qui lui vint à l'esprit fut le H173.

C'était un poison censé provoquer la mort en déclenchant une crise aiguë.

C'était le pire de tous,

un truc ignoble

qui pouvait faire devenir fou n'importe qui.

Mais Irie avait détruit tous les échantillons il y a longtemps déjà -- il y avait eu des ordres en ce sens.

Il n'étudiait plus que la possibilité de trouver un vaccin, si ce n'est un antidote.

De plus, Tomitake n'était pas n'importe qui, c'était son contact avec Tôkyô.

La personne qui avait décidé de le supprimer de cette manière savait exactement qui il était.

Mais comment cette information avait-elle pu être découverte ??

À peine s'était-il posé la question que le visage de Takano lui traversa l'esprit.

Takano aussi était envoyée par Tôkyô, elle était là pour le surveiller.

Elle devait le tenir à l'œil, ni plus ni moins.

Est-ce qu'elle aussi avait été... Non, ce serait...

Irie

— Maintenant que j'y pense, où est Madame Takano ?

Que lui est-il arrivé ?

Ôishi

— Pardon ?

Aah, oui, votre infirmière ?

Irie

— Je pense qu'elle était avec lui.

Est-ce qu'elle va bien ?

Ôishi

— ... Docteur, vous connaissez son numéro de téléphone ?

Irie

— Bien évidemment.

Ôishi

— Nounours,

prends le numéro de téléphone et demande au poste de vérifier si elle est chez elle.

Kumadani

— Oui, Chef !

Docteur, donnez-moi le numéro.

Irie

— Bien sûr. Vous avez de quoi écrire ?

Après avoir noté le numéro, l'officier Kumadani le répéta à voix haute pour confirmer, puis il sortit précipitamment.

Ôishi

— Docteur,

cette... Takano, elle était plutôt souvent avec le macchabée, hein ?

Irie

— Oui, ils étaient proches.

Ôishi

— Vous ne sauriez pas si ça marchait entre eux ? Ou si justement il y avait des problèmes ?

Irie

— Allons bon, ne soyez pas ridicule !

Non, non,

tout allait très bien entre eux, ils s'entendaient bien.

Tomitake et Takano n'étaient pas seulement liés par leur relation privée.

Ils étaient plus ou moins de la même promotion, envoyés tous deux par le même département de l'agence de Tôkyô.

Ces deux-là savaient des tas de choses que même lui ne savait pas sur le projet.

Il était impossible de les imaginer ayant des différents à propos de leur mission.

Ôishi

— Si elle n'a rien, tant mieux.

Mais sinon, elle est peut-être morte aussi. Ou bien c'est elle qui a fait le coup.

... Eh oui, c'est une infirmière, n'est-ce pas ? Elle a accès aux produits de votre clinique, je suppose ?

Irie

— ... Nous n'avons pas ce genre de drogues chez nous, et même en imaginant leur existence, si jamais nous en avions,

elles seraient dans les armoires sécurisées, Madame Takano n'y aurait pas accès.

Ôishi

— Je suis d'accord, mais elle a plus de chance de trouver des produits qu'une simple personne lambda, non ?

Irie

— Puisque je vous dis que ce type de drogue n'existe pas ! Nous n'en avons certainement pas chez nous !

Irie accumulait les mensonges maladroits, tout en cherchant frénétiquement une solution à cette impossible équation.

Mais n'étant pas au courant des atermoiements internes de Tôkyô, il ne pouvait s'aventurer à aucune conclusion.

Il était une grenouille cloîtrée dans son puits, ignorante du monde du dehors.

Kumadani

— Chef, elle ne répond pas au téléphone.

Une équipe se prépare à aller chez elle, ils demandent son adresse.

Ôishi

— Docteur, vous la connaissez ? Vous pouvez nous la donner ?

Ôishi

Nounours ?

Ôishi

Tant que tu y es, demande au commissariat central de nous donner la liste de toutes les femmes retrouvées aujourd'hui dans la préfecture, vivantes ou mortes.

Ôishi

Et ça vaut aussi pour les autres préfectures dans le coin, demande quelles victimes n'ont pas encore été identifiées.

Ôishi

Demande au chef de nous faire une demande de renseignements officielle, je vais en avoir besoin tôt demain matin.

Kumadani

— Oui, Chef ! Tout de suite, Chef !

Homme

— Le commissariat d'Okinomiya a pris contact avec le commissariat central de Gifu.

Homme

— Mon Commandant, vous êtes bien sûre de ne--

Takano

— Oui, je suis sûre.

Takano

Ce n'est pas grave.

Takano

Continuez la mission.

Takano

De toute façon, nous arrivons à la phase finale.

Takano

Même en imaginant que l'un d'entre eux remarque l'erreur dans l'heure de la mort, tout sera terminé avant qu'il ait pu convaincre quiconque d'autre.

Takano

Ahahahahahahahahahaha...