— Ils ont refusé ?!
— Oui.
L'un des chefs de service au Conseil Régional m'a appelé tout à l'heure.
Le responsable de l'antenne des services sociaux n'a rien envie de savoir.
Ils essaient là-bas de trouver une solution de rechange, mais nous n'avons pas beaucoup de temps si nous voulons sauver Satoko.
Alors je lui ai dit que nous n'avions pas que ça à faire et j'ai raccroché.
Le maire se rendit chez nous à l'école en matinée et nous expliqua le déroulement des discussions.
Nous étions tous dans la salle des professeurs pour l'écouter.
— Eh bé !
Je sais pas à quoi il ressemble, ce responsable, mais soit il est très courageux, soit il est inconscient.
— Il paraît qu'il nous vient d'un autre coin de la préfecture et qu'il ne connaît pas trop les gens des environs.
Il s'imagine simplement que quelques pelés vont venir hurler dans la rue.
— Non mais quel demeuré, celui-là !
Une autre association, je dirais pas, mais il faut être complètement fou pour s'attirer volontairement les foudres d'Onigafuchi.
— ... Aaaah, le pauvre, j'ai déjà de la peine pour lui...
— Bon, ben il va falloir employer la manière forte.
J'en ai parlé au conseil d'administration, nous savons tous que nous ne pouvons plus reculer.
Maintenant que nous avons sorti cet atout de notre manche, nous ne pouvons plus nous coucher.
— Nous avons l'intention d'aller là-bas tout de suite après l'école.
— Oui,
je vais voir combien de monde nous pouvons vous envoyer, nous aussi.
Je vais aller discuter avec Oryô et nous aviserons de ce que nous pourrions encore faire aujourd'hui.
— Je sais pas comment c'était à l'époque, mais nous sommes un bête samedi, aujourd'hui.
Je me demande si on arrivera à avoir du monde...
— Aaaah, p'tit gars, tu raisonnes encore comme à la ville.
Ici, il y a beaucoup de gens qui bossent dans les champs,
on ne connait ni les samedis, ni les dimanches.
Ne t'inquiète pas, il y aura du monde.
Hmmm, je savais pas.
Je croyais naïvement que tout le monde bossait en ville, “comme tout le monde”.
Mais c'est vrai qu'ici, nous étions en pleine cambrousse, dans l'arrière-pays.
Ceci expliquait cela.
— La plupart des administrations ferment à midi le samedi, mais les services sociaux ferment à 15h.
Je vais leur demander d'être là-bas pour 13h, ça ira, je pense ?
Par contre, je ne peux pas te promettre monts et merveilles, je ne sais pas combien de gens viendront !
— Ne vous en faites pas, nous ne sommes pas difficiles. Nous vous serons reconnaissants quel que soit le nombre de gens qui peuvent venir.
Merci d'avance !
— Ce sera rassurant de savoir qu'il y a des adultes avec nous !
— Oui,
surtout qu'ils ont vu toujours un peu les mêmes têtes ces quatre derniers jours, alors ça va faire du changement !
— ... Le nombre de personnes va dépendre des ordres d'Oryô, n'est-ce pas ?
— Oui, c'est pas faux.
On verra au nombre de gens à quel point mon aïeule veut nous aider.
— Si elle est vraiment d'aussi bonne humeur que le dit Maman, on aura peut-être... trente personnes, je dirais.
Le conseil d'administration et les jeunes.
Ça me paraît plus ou moins correct.
— Une trentaine d'adultes plus une douzaine d'enfants.
Oui, ce sera beaucoup mieux qu'hier !
— Moi aussi, je serai là !
Je ramènerai mon porte-voix.
— C'est vrai ?!
LE porte-voix de la mort qui tue ?
Je croyais qu'il était cassé ?
— Ah, tu parles de l'ancien, toi,
oui, les gendarmes de la brigade anti-émeutes l'ont cassé.
Mais depuis, j'en ai racheté un nouveau ! Aaah, je me sens tout ravigoté !
— ... J'ai comme l'impression que cette année, avant la fête de la purification du coton,
ça va être la fête de quelqu'un d'autre !
— Tu penses qu'ils vont encore nous servir que Satoko ne pense pas être maltraitée et qu'ils vont encore s'y tenir ?
— Ouais, c'est fort probable.
... Et toi, Rika, tu y as réfléchi ?
Tu as essayé de la convaincre d'arrêter de faire sa tête de mule ?
— ... ... J'ai fait tout ce que je pouvais.
Maintenant, tout va dépendre de Satoko.
— Elle aussi, elle est pas commode. C'est franchement pas le moment de faire la fière...
— Tu sais, grande sœur,
il y a la bonne fierté, et il y a la fierté mal placée.
Personnellement, je comprends tout à fait pourquoi elle ne veut pas abandonner.
— Ouais, non, mais c'est pas ce que j'ai voulu dire...
— Peut-être qu'elle pense qu'elle n'a besoin de l'aide de personne.
Mais franchement, nous serions de bien piètres amis si nous n'étions pas capables de voir qu'elle a absolument besoin d'aide en voyant sa tête de l'autre jour.
— Je suis d'accord.
C'est vrai que tout irait plus vite si elle nous appelait au secours.
Mais si nous attendons dessus, nous arriverons trop tard !
— ... Quand tu traverses au feu piéton rouge, tes parents n'expliquent pas en long, en large et en travers pourquoi c'est dangereux avant de te tirer en arrière !
Ils te traînent d'abord jusque sur le trottoir, et quand vous êtes en sécurité, alors, seulement, ils te l'expliquent.
— Oui,
c'est un très bel exemple.
Il nous faut d'abord tirer sa main et la mettre en sécurité.
— Eh bien alors, très bien.
Retournons en classe, je vais annoncer la fin de la journée, comme ça, nous finirons plus tôt.
Je veux que les élèves aient mangé leur repas de midi avant d'aller en ville avec nous !
Ce n'est pas bon de sauter les repas !
À cet instant-là, dans nos esprits, nous étions persuadés de ne pas trouver ne seraient-ce que trente personnes devant le centre.
Mais nous avions été très naïfs, surtout moi, d'ailleurs.
Je ne savais pas ce que c'était, quand Hinamizawa se mettait en colère...
Lorsque la douzaine d'élèves de notre classe arriva sur place, la place d'habitude si calme devant la bibliothèque municipale était méconnaissable.
— ... Oh la vache...
Et tous ces gens sont des gens de Hinamizawa ??
— Non, pas seulement.
J'en reconnais d'Okinomiya, l'ordre est passé de leur côté aussi, il faut croire.
— Eh, mais c'est vrai !
Regardez là-bas, il y en a qui ont encore leur tablier de travail.
Ça fait bizarre de voir ça, en fait...
— ... Il faut croire qu'Oryô n'a pas eu envie de faire semblant...
— Oui, on dirait bien.
En tout cas, cette ambiance me plaît !
Je me revois toute gamine, au milieu des manifestants, c'était pareil !
— Kééééé !
Que se passe-t-il aujourd'hui, c'est formidable !
— Ah, salut, Kameda.
Bah,
que veux-tu, j'ai été gueuler à Hinamizawa, et voilà le résultat.
— Je croyais que seuls les enfants seraient motivés.
Mais tu as réussi à ramener même tous ces adultes,
c'est fantastique, c'est magnifique !
— Je ne pensais pas qu'il y aurait un afflux de troupes d'une telle qualité !
— Les filles et les femmes sont le bien le plus précieux du genre humain !
Il est normal qu'autant de gens fassent le déplacement !
Il y avait plein de gens, mais surtout des gens de tous horizons, enfin, toutes proportions gardées.
... Mais bon sang, combien on est ??
— ... Je dirais qu'il y a là un peu plus de cent personnes...
D'après ce que les gens disent, il y a encore beaucoup de monde sur le chemin, ils sont en retard...
— Maebara !
Désolé d'être en retard...
C'est qui, tous ces gens, mais c'est super !
— Décidément, c'est tout de suite autre chose quand Onigafuchi s'en mêle...
— J'avais entendu les bruits de couloir sur tes hauts faits d'armes, Keiichi, mais là, je suis impressionnée !
— On se croirait revenu plusieurs années en arrière !
Bravo, Keiichi, je ne pensais pas que tu ramènerais autant de gens !
Tu es vraiment l'une des figures de proue de Hinamizawa !
— Jeune homme ! Keiichi !
Oh, tiens donc, mais il y a du monde, finalement ?
— Monsieur le Maire, dites-moi, à combien de gens avez-vous fait passer le mot ?
— Qu'est-ce que j'en sais, moi !
J'ai pris notre ancienne liste de membres et j'ai appelé tous les numéros inscrits dessus.
La plupart ont laissé tombé ce qu'ils faisaient pour venir nous rejoindre !
Aaah, non, les gens, écoutez-moi, aujourd'hui, nous sommes ici en tant qu'association de Hinamizawa, ne prenez pas les banderoles d'Onigafuchi !
— Eh regarde Keiichi, ton père est là aussi !
Bonjour Monsieur !
— Ah, bonjour Rena !
Keiichi, je suis venu !
Maman aussi voulait venir, mais elle attend un coup de fil important pour un gros client.
Elle m'a demandé de faire du bruit pour deux !
— Heh ! Merci !
— J'avais entendu les histoires de la guerre du barrage à l'époque, mais je dois dire que je ne m'attendais pas à ça !
Et c'est toi qui les représentes, tous ces gens ?
— ... Ouais.
Au départ, on était seulement cinq, alors ça me dérangeait pas.
Maintenant, on est beaucoup plus, mais en fait, qu'on soit plusieurs centaines ou plusieurs milliers, ça change pas grand'chose.
Je dois faire le maximum pour sortir Satoko de là !
— ... Keiichi.
Les choses sérieuses vont enfin commencer.
— Ouais.
Cette fois-ci, on a les troupes, et on a le feu sacré !
Je peux les voir depuis tout à l'heure en train de regarder dehors, à travers les rideaux.
Je te parie qu'ils ont les chocottes !
— Monsieur, vous avez vu le monde qu'il y a dehors ?
Qu'est-ce qu'on va faire ?
— Ne vous tracassez pas la tête,
continuez à travailler et ne levez pas le nez de vos dossiers.
S'ils veulent se plaindre, ils iront au guichet, nous avons des employés pour ça.
Je dois me préparer pour un rendez-vous, si vraiment il y a un souci, débrouillez-vous avec eux.
— Moi, je veux bien, mais regardez leurs pancartes, ils veulent “Le responsable et personne d'autre”.
Vous les voyez ?
— ... ... ... Hmmm...
Les grandes pancartes avaient été utilisées autrefois lors de la guerre du barrage.
Mais comme le message était suffisamment vague, on avait jugé qu'elles pouvaient servir cette fois-ci aussi.
En fait, le “responsable” dont les pancartes parlaient était celui du secrétariat de l'urbanisme.
Bien sûr, celui des services sociaux ne pouvait pas le savoir, et c'était tant mieux -- il fallait lui faire peur, et ça marchait.
— Vous avez parlé à trois de leurs représentants l'autre jour, n'est-ce pas ?
D'après ce que me disait la personne du Conseil Régional, il paraît qu'ils apprennent bien vite à reconnaître qui est qui.
Ils vous auront probablement reconnu avant que vous n'ayez atteint votre voiture sur le parking...
— Chef, il paraît qu'il y a plusieurs personnes qui montent la garde devant notre porte de secours !
— Mais qu'est-ce que c'est que ce cirque ?
Ils n'ont quand même pas l'intention de m'enlever ?!
— ... Vous savez, à l'époque des affrontements du barrage, chaque manifestation finissait dans des effusions de sang.
Si vous pouvez décaler votre rendez-vous, ce serait une bonne idée de le faire, à mon humble avis...
— Hmmm, vous n'avez peut-être pas tort, en effet.
Et puis, ce n'est pas si urgent. Je vais travailler sur quelques dossiers aujourd'hui, je pense...
On entendit alors depuis l'extérieur le son strident d'un amplificateur que l'on mettait en marche.
— Aaah, test, test ! Trois, quatre, trois, quatre !
C'est bon ?
Bonjour, c'est l'association de quartier de Hinamizawa qui vous parle.
Nous voulons tout d'abord nous excuser pour le bruit que nous faisons, mais nous n'avons pas le choix.
Test ! Test !
Apparemment, le porte-voix pouvait monter très haut. À chaque fois que l'on entendait “test”, le son avait été augmenté.
Sortie de nulle part, on vit alors débouler une camionnette avec d'énormes haut-parleurs sur le toit.
Alors, enfin, le responsable des services sociaux commença à se rendre compte du genre de personnes à qui il avait déclaré la guerre.
— Ils sont vraiment nombreux...
On dirait bien qu'ils se préparent à entrer...
— S'ils entrent, ils nous empêcheront de travailler.
Il nous faut trouver le moyen de les empêcher d'entrer...
L'heure du rendez-vous était largement dépassée, maintenant.
Pourtant, malgré la demi-heure que nous avions attendue en plus, le maire nous disait qu'il y avait encore des gens qui étaient en train de venir.
Ils étaient encore nombreux à venir ????
Rena recompta la foule et trouva un peu plus de cent cinquante personnes présentes.
Impossible de savoir si autant de gens feraient le déplacement lundi soir.
En tout cas, il serait bon de pouvoir leur rendre une petite visite maintenant !
— Très bien, Keiichi,
je pense que nous pouvons y aller !
Le maire fit signe que nous allions avancer.
Avant d'entrer dans le bâtiment, il avait l'air de vouloir faire un petit discours.
Apparemment, il avait une autre idée et une autre expérience des manifestations.
— Mii, tu crois vraiment que nous pourrons tous entrer ?
— Oh non, sûrement pas.
Les gens déborderaient de partout si nous entrions.
C'est pour ça qu'on va d'abord leur parler de l'extérieur.
— Grande sœur,
essaie de rien casser aujourd'hui, on n'est pas là pour vandaliser le coin !
— Eh, mais c'est pas moi qui faisais ça, je te signale !
D'ailleurs, merci ! Toutes les conneries que tu as faites à l'époque sont inscrites dans MON casier judiciaire !
— Tiens, mais, ce ne serait pas M. Ôishi ?
Je me retournai et vis effectivement M. Ôishi qui se rapprochait de nous.
Hahahaha ! Je savais que jouer au mah jong, ça créait des liens !
Il n'était pas de Hinamizawa, mais il venait quand même nous soutenir !
— Maebara !
Bonjour, bonjour !
— M. Ôishi !
Vous arrivez pile au bon moment !
Nous voulions justement entrer dans le bâtiment !
Il avait d'ailleurs ramené quelques amis à lui.
Ils étaient encore en uniforme -- il y avait quatre policiers derrière lui.
— Maebara, j'ai un truc à te dire, et c'est urgent !
À vous aussi, M. Kimiyoshi ! Bonjour, au fait ! Venez...
— Tiens donc, Ôishi ?
Que se passe-t-il ?
— J'ai quelque chose de très urgent à vous dire à tous les deux.
Je peux vous parler en privé ?
Un peu plus loin que le reste du groupe, si possible.
— ... Hein ?
Mais ! Mais pourquoi !?
— Eh bien, pour faire simple, vous êtes sur la propriété privée de l'administration.
Vous n'avez pas le droit de squatter l'endroit.
Je restai bouche bée, comme assommé.
Nous étions à deux doigts du succès, nous avions enfin un grand nombre de personnes, et juste au moment où nous allions porter le coup de grâce, M. Ôishi, enfin, disons plutôt la Police, nous demandait de nous disperser.
— Mais enfin, ça veut dire quoi !?
Ils ne veulent pas faire leur travail, ou quoi ?
— Ouais, c'est vrai, on fait rien de mal !
On est juste venu porter plainte !
Pourquoi est-ce qu'on aurait pas le droit ?
— Déjà, vous vous êtes rassemblés ici sans autorisation de la préfecture.
Et puis, il y a aussi une clause dans le règlement intérieur de ces bâtiments qui autorise le responsable à demander l'expulsion des gens si leur présence gêne au bon déroulement de leur travail.
— Ah ouais ?
Et c'est qui qui a le droit d'ordonner ça ?
— Eh bien, j'imagine que c'est tout simplement le responsable de l'antenne.
— Oh, mais quelle enflure !
Alors il ne veut pas nous entendre, sous aucune condition ?
Mais alors, on fait quoi, nous ?!
On ressort et on reste sur le trottoir ?!
— Non, si vous voulez protester sur la voie publique, vous devez d'abord demander une autorisation de défiler à la préfecture.
Si vous voulez en savoir plus, venez me voir au commissariat à l'occasion.
Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, vous n'avez pas le choix.
... Aaaah, Maebara, mon pauvre ami,
je crois bien qu'ils ne t'aiment pas, à l'administration...
— ... Mais enfin, c'est pas vrai ! C'est pas possible !
Mais vous pouvez pas faire ça !
Mais vous n'avez pas vu le nombre de gens que j'ai pu rassembler ?
Je peux pas repartir maintenant !
Voyant l'état dans lequel le maire et moi étions, mes amis arrivèrent au trot.
Puis, après avoir été mis au parfum par M. Ôishi, ils eurent en gros la même réaction.
— Mais enfin, mais !
Mais c'est dégueulasse !
— Ils ne font que noter le nombre de gens qui viennent, ils ne font rien d'autre !
C'est bien pour ça que nous étions obligés de rameuter un grand nombre de personnes pour nous soutenir !
— ... Je pense pas que ça nous servira à grand'chose de nous plaindre,
s'ils ont ce genre de prérogatives, ils vont pas se gêner...
Là, on n'a vraiment pas le choix, soit on obéit à la Police, soit on se la met à dos.
— Éhhéhhéhhé !
La guerre du barrage est finie depuis un moment !
J'aimerais bien ne pas avoir à reprendre du service, si c'était possible.
— Putain, MERDE !
Mais alors on fait quoi !?
On s'en va et on revient une autre fois ?
— De toute façon, la prochaine fois, ce sera la même chose.
Ils invoqueront la même raison pour nous renvoyer chez nous.
Le responsable ne veut plus nous voir, c'est clair.
C'est ce qui arrive quand l'administration vous a dans le colimateur.
— Mais alors on fait quoi, Mii ?
— ... Il ne nous reste que la patience.
Si nous ne pouvons pas nous rassembler chez eux, il faudra y aller par petits groupes et placer des banderoles, ou bien hurler avec le porte-voix.
Il faudra le faire tous les jours, tous les jours, tous les jours, et leur mettre la pression comme ça.
— Mais alors, on s'inscrit dans la durée ?!
— ... C'est comme les Yakuzas,
si tu leur tiens tête, tu risques d'obtenir le contraire de l'effet recherché.
— Alors l'invincible association d'Onigafuchi laisse tomber ?!
Vous n'avez pas honte ?!
Vous ne pouvez vraiment rien faire de plus !?
— Shion... Tu sais, nous avons fait des actions fortes, mais surtout, nous les avons eus à l'usure.
Puisqu'ils sont aussi ostensiblement contre nous, nous devons faire comme autrefois, entourer leurs locaux et leur rendre la vie quotidienne impossible, pour les énerver sur le long terme...
Mais ça n'a aucun sens !
On est tellement nombreux, aujourd'hui...
J'étais persuadé qu'on en finirait aujourd'hui avec cette histoire !
... Aujourd'hui encore, Satoko avait été absente.
L'oncle avait appelé pour dire qu'elle avait à nouveau de la fièvre.
Lorsque la maîtresse avait demandé si Satoko serait là lundi, il avait promis qu'il ferait tout pour qu'elle soit en forme.
Ce qui ne voulait pas dire que nous n'avions pas de souci à nous faire.
Nous étions samedi, lundi serait donc après-demain.
Nous n'étions pas sûrs que Satoko survivrait jusque-là sans séquelles.
Dans le monde que j'avais imaginé l'autre fois, elle avait été meurtrie déjà avant la fête de la purification du coton.
Apparemment, la situation n'était pas aussi terrible que dans ce monde imaginé,
mais ça ne voulait pas dire qu'elle était hors de danger.
Elle serait peut-être dans cet état lamentable lundi, en arrivant à l'école.
— ... Alors c'est tout, il faut y aller à l'usure ?
Après tout ce qu'on a fait, il va falloir attendre que les services sociaux veuillent bouger leur cul ?
— On ne peut pas faire ça, Keiichi.
Satoko ne tiendra jamais le coup, nous devons la sauver le plus vite possible.
Je ne pourrais pas te dire pourquoi, mais je suis persuadée que c'est maintenant ou jamais, je le sens !
— ... Quand je pense que pour une fois, nous avions réussi à fédérer un tel mouvement... Tout ça pour qu'ils nous interdisent le passage ?
Rika était tellement dégoûtée qu'elle en avait les larmes aux yeux.
... Putain de merde, va chier !
Quand je pense à tout ce que lui ai dit, en plus !
Je ne peux pas abandonner maintenant !
J'ai réussi à rassembler un nombre inimaginable de gens, personne n'aurait parié dessus il y a à peine quelques jours !
J'avais le soutien de l'association du village, j'avais même obtenu l'autorisation de la grand'mère à Mion !
Qu'est-ce que je dois faire de plus !?
Qu'est-ce que je dois faire pour réussir à réaliser notre vœu ?!
Qu'est-ce qu'on a oublié ?
Merde !
— Rika, ce n'est pas la peine de tirer cette tête, voyons.
— ... Mii ?
— ... Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire.
Absolument tout.
On est d'accord ?
— Ouais, je suis sûr qu'on a fait tout ce qui était à notre portée.
— Alors maintenant, il n'y a plus qu'à attendre que le vent tourne en notre faveur.
Nous sommes prêts, alors maintenant, il ne reste plus que ça à faire.
Nous finirons bien par avoir notre chance !
— Ouais, d'accord, mais quand ?
Saloperie de putain de bordel de MERDE !
Satoko dormait d'un sommeil de plomb.
Teppei savait que si sa nièce n'allait pas à l'école, l'autre salope de maîtresse allait encore se plaindre.
Il avait l'intention de l'envoyer à l'école, à coups de pied dans le derche, s'il le fallait.
Mais il avait beau lever sa nièce sans ménagement, elle retombait aussi sec, et se rendormait en quelques secondes.
Il lui vint soudain à l'esprit que cette fois-ci, elle avait peut-être vraiment de la fièvre. Il plaça son front contre le sien ; effectivement, il était brûlant.
S'il la faisait aller à l'école dans cet état-là, la maîtresse lui ferait la remarque.
Coincé des deux côtés, il n'eut pas le choix et dut appeler l'école pour prévenir qu'elle avait à nouveau de la fièvre.
La maîtresse se mit à lui poser des questions et à faire durer l'appel, alors, dans un moment d'impatience, il lui hurla que “cette fois-ci, elle avait VRAIMENT la fièvre” et raccrocha violemment.
Après plus d'une heure à avoir réfléchi aux possibles conséquences de cette bourde, Teppei se rendit compte -- mais un peu tard -- qu'il était de très mauvaise humeur.
Depuis qu'il s'occupait de cette gamine, il avait la scoumoune.
L'autre conne lui avait déjà rendu visite le lendemain de son retour.
D'ailleurs, elle appelait aussi de temps en temps.
Les services sociaux, aussi.
Et invariablement, ils voulaient tous parler à Satoko.
Il osait espérer qu'elle saurait tenir sa langue, puisqu'elle ne voulait pas le voir basarder la chambre de son grand frère Satoshi, mais il savait que les gens qui étaient acculés avaient tendance à faire des idioties.
Il ne comprenait pas pourquoi, dans ces conditions, elle lui était aussi obéissante.
La seule chose dont il était sûr et certain, c'était qu'il ne pouvait pas la tenir indéfiniment par la seule crainte de représailles.
Il se servait de son regard hargneux en ce moment, pour mettre un terme à la plupart des problèmes, mais il savait qu'il n'irait pas loin avec ça, et certainement pas jusqu'à l'année prochaine.
Il devait se casser de cette baraque, le plus vite possible.
Et c'est pour ça qu'il voulait trouver ce putain de livret de compte.
Satoko était recroquevillée dans sa couverture, comme un chaton tout sale.
À bien y regarder, elle transpirait beaucoup, et sa respiration était haletante.
Pas de doute, elle avait vraiment une grosse fièvre.
Mais pour Teppei, ce n'était pas une raison de s'inquiéter, mais au contraire, de se réjouir.
Il pensait que s'il entrait maintenant dans la chambre de Satoshi, elle ne remarquerait rien.
Il avait pour l'instant évité d'y entrer, puisque cela lui assurait qu'elle se tairait à l'école.
Enfin, il avait quand même pénétré dans la pièce quand elle était partie, mais il avait fait très prudemment -- elle n'avait rien remarqué.
Mais désormais, Teppei n'avait plus la patience de prendre des gants.
Il voulait partir de ce trou à rats le plus vite possible.
Il n'avait pas envie de continuer à s'entendre dire il-ne-savait-quelles conneries en rapport avec Satoko.
De toute façon, les choses ne pouvaient aller qu'en s'empirant.
Il marcha sur la pointe des pieds jusqu'à l'étage, sans faire le moindre bruit.
Alors qu'il faisait lentement coulisser la porte de la chambre de Satoshi, il sentit un petit choc.
La porte avait dû heurter un meuble ou un petit objet --
lorsque soudain, il y eut un grand *taaaaam*
qui résonna très fortement, comme un coup de cymbales.
La porte avait vraisemblablement heurté une commode et l'un des objets dessus était tombé.
Alors que Teppei poussait des jurons intérieurement pour ne pas attirer plus l'attention de sa nièce,
il entendit des pas précipités qui se dirigeaient à toute vitesse vers lui.
Elle n'avait pas été réveillée par ce bruit.
Ce bruit, c'était une alarme qui l'avait prévenue que quelqu'un entrait dans la chambre de son frère -- elle savait apparemment exactement ce qu'il se passait.
— Arrêtez !
N'entrez pas là-dedans, arrêtez !
— Rah, putain, quand je pensais enfin pouvoir le faire tranquillement,
j'ai vraiment pas de bol, moi, merde !
Rah, écoute, j'ai besoin de ce fric !
Je sais que Satoshi a mis ce livret dans sa piaule !
Je sais que tu l'as caché ici !
Alors maintenant, arrête de faire chier et tiens-toi tranquille, merde !
— Je ne sais rien de ce livret,
il n'y a rien dans la chambre à Totoche !
Je vous interdis de la mettre en désordre !
Elle doit rester comme elle est, jusqu'à son retour !
Totoche, Totoche !
— Rah, mais ta gueule à la fin !
Satoko poussa un cri sourd, puis tomba en arrière, roulant sur elle-même.
— Ah... Uwaaaaaaaaaaaaaah!!
Aaaaaaaaah!!
Totoche !!
Totoche !!
Puis, comme si quelque chose avait cédé, elle se mit à crier et à pleurer en hurlant.
S'il la frappait trop fort et qu'elle avait un bleu, il savait que les services sociaux viendraient encore l'emmerder.
Pour lui qui réglait souvent ses problèmes simplement en frappant dans le tas, l'interdiction de frapper était une torture.
Mais maintenant qu'il lui avait mis un coup par réflexe, il n'était plus à un coup près.
Satoko hurlait en pressant sa joue gauche.
Elle s'était probablement mordu l'intérieur de la joue en essayant de serrer les dents : elle avait de la bave ensanglantée autour de la bouche.
Ses cris et ses pleurs repartirent de plus belle, incohérents.
— Waaaaaaaah, waaaaaaaaaaah !!
— Eh merde, j'ai tout gagné, maintenant, putain...
L'assistante sociale viendra la semaine prochaine,
si sa joue n'a pas dégonflé, je vais être dans la merde...
Rah, mais putain,
FERME TA GUEULE !
Tu me fais chier avec ton Totoche !
T'es quoi ? Un disque rayé ?
Boucle-la, connasse !
Voyant Satoko recroquevillée à terre, il lui mit un grand coup de pied, de toutes ses forces.
Depuis que Rina avait disparu, il avait des problèmes et des emmerdes tous les jours.
En plus, il se retrouvait avec cette gamine avare et chouineuse.
Elle savait à peine faire le ménage et la cuisine, et rien d'autre ! Elle ne faisait que trembler en le regardant, pas un mot aimable, pas une attention, rien !
À force de l'entendre geindre et hurler, Teppei sentit la moutarde lui monter au nez, mais cette fois-ci, il n'avait pas l'intention de se retenir.
— BORDEL DE MERDE, J'T'AI DIT D'FERMER TA PUTAIN DE GUEULE !
— Putain, merde, mais non, c'est pas possible !
M. Ôishi, si vous êtes humain, je vous en supplie, fermez les yeux !
Satoko est vraiment en danger, qui sait ce qu'il lui arrive en ce moment-même ?!
— Ouhhoh, on se calme, garçon.
Touche-moi, seulement, et je t'embarque pour obstruction aux forces de l'ordre.
— Mais putain !
— Arrête, p'tit gars, il ne faut pas entrer dans son jeu !
— Ôishi, c'est pas en jouant au con avec nous que vous profiterez longtemps de votre retraite !
— Oooh, tu vas me faire peur, presque.
Tu ferais bien de tourner ta langue dans la bouche avant de parler, sinon je t'arrête pour menaces et voie de fait.
Éhhéhhéhhé...
— ... Arrête, voyons, Keiichi.
Tu vois bien qu'il est de notre côté.
— Ah ouais ?
Et t'as fumé quoi, toi, pour dire une connerie pareille ?!
— ... Réfléchis une seconde et tu verras.
Il nous parle gentiment depuis tout à l'heure.
Il dit juste ça parce que c'est son métier qui l'y oblige, mais sinon, il est de tout cœur avec toi.
S'il avait vraiment envie de nous faire disperser, il aurait ramené deux camions d'hommes et aurait commencé à taper dans le tas. Il ne perdrait pas son temps à venir discuter avec nous.
— Ouais, mais il nous empêche quand même d'entrer !
Comment tu peux dire qu'il est de notre côté ?!
— Chef, le chef vous demande à la CB.
— Ah, merci.
Eh bien, je vais m'absenter quelques petites secondes, messieurs dames.
Je vous prierais de commencer à prévenir vos amis pour qu'ils fassent place nette.
Et si vous avancez ne serait-ce que d'un pas, je prendrai ça pour une déclaration de guerre.
Alors tenez-vous à carreau !
Éhhéhhéhhé !
— Espèce d'enFOIRÉ !
— Ici Ôishi, ici Ôishi,
je vous reçois cinq sur cinq. Je vous écoute ?
— Ôishi ?
Alors, comment ça se présente ?
— Oh, pas de problème.
Ils sont très calmes, pour une fois.
Par contre, ils ont réussi à rameuter pas mal de monde, alors les ordres prennent du temps à se propager parmi les troupes et à atteindre tout le monde. Pour ma part, j'ai déjà tout réglé avec leurs meneurs.
— Ah oui ?
Non parce que, nous avons encore reçu un appel des services sociaux,
ils me disent que rien ne bouge.
— Oui, mais c'est parce qu'ils sont nombreux, c'est ce que je vous disais.
J'ai parlé aux meneurs,
ils m'ont dit qu'ils allaient faire passer le mot aux autres. Laissez-leur cinq, dix minutes, le temps de réagir. Peut-être plus, en fait, il y en aura sûrement certains qui ne seront pas convaincus facilement.
Si jamais les services sociaux rappellent, dites-leur bien que c'est réglé, mais que c'est juste une question de temps.
— Quand j'ai su que c'était Onigafuchi, je me suis dit que tu saurais mieux quoi faire, je vois que j'ai été inspiré. Tu penses que tout finira dans le calme ?
— Oh oui, ne vous en faites pas pour ça.
Vous savez, la guerre du barrage, c'est de l'histoire ancienne, désormais.
Laissez-leur juste un peu de temps, c'est tout.
— Chef, vous êtes vachement doué pour mentir, je trouve.
Vous n'avez rien réglé du tout !
— Éhhéhhéhhé !
Tu sais, je sais pas quel est le plus menteur dans cette histoire.
— Vous savez, le patron en a rajouté une couche avec les risques de violences.
Vous ne pensez pas qu'on devrait demander des renforts et les surveiller de plus près ?
— Nounours,
faut pas être méchant avec les gens.
— Pardon ?
— Regarde-le, ce gamin. Il a été rameuter tous les gens qu'il connaît pour essayer de sauver l'une de ses amies.
Regarde le résultat !
S'il a réussi à obtenir le soutien de l'association, ça veut dire qu'il a été plaider auprès d'Oryô Sonozaki.
Tu sais ce que c'est que d'imposer une décision à l'impératrice Sonozaki, surtout à son âge ? C'est inimaginable !
— ... Vous pensez qu'il n'y aurait pas autant de monde ici si Mme Sonozaki n'avait pas donné des ordres ?
— Et tu sais, la gamine qu'il veut sauver, c'est Satoko Hôjô, la fille de la seule famille qui s'est opposée publiquement à Oryô à l'époque.
Ça les a pas dérangés de faire comme si de rien n'était en début de semaine, la gamine aurait pu crever, déjà.
Mais là, ils se bougent pour la sauver, c'est le monde à l'envers !
Et ce gamin, il a réussi à faire cesser des années de discriminations, en seulement deux jours.
... Je dois t'avouer une chose, j'ai assisté à l'un de ses discours.
C'était pendant la réunion pour l'organisation de la fête, je devais faire acte de présence, alors j'y étais.
Il y est allé au courage.
Les vieux du village lui ont gueulé dessus, ils l'ont insulté, ils l'ont même frappé, et il leur a rendu chaque mot, chaque coup, sans se démonter.
Et ils les a convaincus de l'aider.
Alors ils lui ont dit qu'ils se bougeraient seulement si Oryô Sonozaki donnait son accord.
... Et maintenant, regarde-moi le peuple qu'il y a derrière lui. Ça veut dire qu'il est allé chez elle et qu'il se l'est mise dans la poche, elle aussi !
... Ce gamin deviendra quelque chose, quand il sera grand.
Tu sais, Nounours, je serais toi, je me débrouillerais pour entretenir des relations amicales avec lui.
Éhhéhhéhhé !
— Alors vous lui avez fait une fleur ? Je me disais aussi.
D'habitude, vous ne faites pas dans la dentelle. Je me demandais ce qu'il vous était arrivé, c'est pas courant de vous voir tenter une résolution à l'amiable.
— ... Pour être honnête avec toi, j'aimerais lui faire récolter les louanges.
Normalement, la Police n'avait pas le droit de faire du sentiment -- ce que disait M.Ôishi était grave.
Mais l'officier Kumadani eut l'air de comprendre.
Il eut un faible sourire, tout comme son collègue.
— On rentre en disant à nos supérieurs qu'on les voyait commencer à se disperser ?
— Éhhéhhé !
Nooon, quand même pas, n'abusons pas des bonnes choses.
Et puis, ni toi, Nounours, ni lui, ne savez encore de quoi Onigafuchi est capable.
Tu vas voir, ça va bientôt changer.
Ouvre bien les yeux.
— Vous voulez attendre jusqu'à ce que la situation dégénère ?
Eh ben, comme d'habitude, nous avons le rôle ingrat.
— Éhhéhhéhhé !
Tu veux une clope ?
L'inspecteur tendit son paquet à son collègue, qui se servit en riant.
À cet instant précis, deux voitures laquées noir de jais firent irruption dans la rue, tous pneus hurlant.
— Quand on parle du loup, enfin, les voilà !
Allez, Nounours, amène-toi.
Des deux voitures descendirent des hommes portant des costumes très chers, aux attitudes radicalement différentes.
L'un était large et imposant, avec une vraie tête de mafieux, un autre ressemblait plus à l'un de ces secrétaires discrets mais redoutablement efficaces.
Il y avait aussi un vieillard en kimono traditionnel, portant blason, accompagné de toute une troupe d'hommes de mains. On aurait dit que la tête d'un gang mafieux était arrivée à son tour.
— Eh, on cherche Keiichi Maebara ! Keiichi Maebara, où êtes-vous !
Montrez-vous !
— Euh, c'est, c'est moi !
Qu'est-ce que vous me voulez ?
— N'aie pas peur, nous sommes à ton service, jeune homme.
— Mais vous êtes qui ?!
— Ah !? Mais... TONTON ?
Mais qu'est-ce que tu fais là ?
— Oh la vache, c'est pas vrai ? Dis-moi que je rêve !
Pour que Mion et Shion fussent dans un état pareil, ces gens-là devaient sûrement ne pas faire dans le détail...
— Allons, Keiichi, tu es notre représentant.
Il n'y a plus à hésiter, allons-y.
Ils me tapèrent dans le dos, m'enjoignant à partir.
Sauf que bon, il y avait la Police pas loin, quoi !
— Un instant, les enfants, on se calme.
Ici l'inspecteur Ôishi, du commissariat d'Okinomiya.
Bonjour à tous, Messieurs.
Je peux savoir où vous allez ?
— S'tu veux, toi ?
Depuis quand la Police empêche les représentants du peuple d'aller porter plainte ?
— Allons, allons, Maître Sonozaki.
Je suis envoyé ici à la demande du centre de protection de l'enfance.
Attends, il a dit “Maître Sonozaki” ?
Maître dans quelle école ?
Dans l'école de nulle part, j'ai bien l'impression.
Ce vieillard, c'est sûrement le fameux député de la préfecture.
Mion m'a raconté je sais plus quand que lorsqu'il se met à hurler, il fait vraiment très peur.
— Silence ! La Police ferait bien de rester en dehors de tout ça !
D'ailleurs, quel est le couillon de la lune qui t'a envoyé ici !?
— Écoutez, je ne peux vraiment pas vous laisser passer, ce sont les ordres du grand chef du Commissariat.
Je ne veux pas risquer ma carrière, je suis à quelques mois de la retraite, moi !
— Ah oui ? Le chef du commissariat d'Okinomiya, hein ? Il va voir, cet imbécile !
Je vais te le traîner en conseil de discipline, moi ! Tu peux déjà le prévenir en rentrant au poste !
Je vis le collègue de M. Ôishi faire tout son possible pour se retenir d'éclater de rire.
— Très bien, très bien, si vous insistez !
Mais je dois vous prévenir, le règlement de ces bâtiments stipule que, euh...
le chef de l'antenne des services sociaux a le droit de faire évacuer ou expulser les gens de ce bâtiment,
s'il estime que leur présence gêne au bon déroulement de son travail.
Alors que l'inspecteur expliquait la situation avec un sourire un peu gêné, mais très conciliant, le secrétaire très stylé s'avança et prit alors la parole.
— Bonjour,
je suis Maître Sonozaki, avocat.
J'ai pris la liberté de consulter le règlement dont vous nous parlez, mais dans le cas qui nous intéresse, il s'agit clairement d'un abus de pouvoir.
Voici une copie fac-similé de ce règlement.
De plus, Monsieur Keiichi Maebara est le représentant légal officiellement mandaté par l'association de quartier de Hinamizawa pour représenter leurs intérêts par procuration.
Voici le mandat de procuration.
L'association de quartier de Hinamizawa est une association de personnes de bonne foi dont la création a été supervisée par la branche de Shishibone du conseil régional.
De ce fait, Keiichi Maebara est donc le représentant légal officiel d'une association de personnes.
Ce déni d'accès aux locaux est donc clairement un abus de pouvoir destiné à l'empêcher d'accomplir la mission dont il est investi. Ceci est en infraction avec le code de déontologie des fonctionnaires japonais.
D'où il appert que l'ordre du responsable du centre de protection de l'enfance est nul et non-avenu. Si jamais la Police devait persister dans l'accomplissement de cet ordre,
— Euh, c'est bon, c'est bon, ne nous énervons pas ! Je vous demande pardon, je m'excuse de vous avoir importunés !
Tenez, passez, entrez donc !
— Ben alors, j't'avais dit d'dégager, tu pouvais pas le faire plus tôt ?!
Allez, Maebara, il faut y aller, maintenant !
— Euh, si je puis me permettre, si vous entrez tous dans ce bâtiment, ce point de règlement deviendra effectif...
— Ne vous en faites pas, Inspecteur.
Seul le représentant légal et ses conseillers juridiques entreront.
Je ne pense pas que nous serions assez pour perturber le travail des dizaines de fonctionnaires du bâtiment.
J'aperçois dans leur hall d'entrée quatre larges sofas, et nous sommes moins de dix personnes, je ne pense pas que soit excessif ?
— Éhhéhhéhé, oui, bien sûr, je disais juste ça pour la forme.
Je vous en prie, vous pouvez passer.
— Allez, Maebara, allons-y.
Désormais, il n'y aura plus personne pour nous barrer le passage.
— Euh, oui, bien sûr !
Eh, Rena, Mion, Shion, Rika,
venez !
— Oui,
il est temps d'en finir !
— Tu penses que c'est Oryô qui est responsable de tout ça ?
— ... Oui, c'est clair.
Je pensais pas qu'elle les appellerait, je dois dire.
— Je croyais qu'elle fermerait les yeux sur nos activités, mais là, elle met la gomme.
Que lui est-il arrivé, à la vieille folle ?
— Moi, je ne suis pas trop surprise,
j'étais sûre qu'elle nous aiderait autant que possible.
— Ah ouais ?
Quand je pense à la façon dont je lui ai parlé, putain merde ! Quand j'irai lui dire merci, je lui roulerai un patin !
— Bon, assez discuté, maintenant ! Sus à l'ennemi !
— OUAIS !
Enfin, l'assaut allait pouvoir être donné !
— Eh, Maebara ! Déléguée ! On compte sur vous !
— Sauvez Satoko !
— Eh, gamin ! Te fais pas dans le froc !
— Nous arrivons au point stratégique !
Bonne chance !
— Soldats, serrez les rangs ! Sécurisez les voies de passages ! Couvrez nos troupes !
— Kééééé ! J't'en supplie, mets-leur une bonne branlée !
— Ouais, t'inquiète !
Vous allez voir ce qu'on va leur mettre !
— ... Maebara,
j'attendrai ici.
Je veux entendre une bonne nouvelle quand vous sortirez d'ici !
— Moi aussi,
j'attendrai le résultat de cette rencontre de pied ferme !
Je serrai le poing et le levai bien haut, portant sur mes épaules les espoirs de tous ici présents.
Puis, accompagné des gros poissons des Sonozaki venus m'aider, enfin, je pénétrai à l'intérieur du bâtiment.
Enfin ! Enfin !
De l'autre côté des portes automatiques, le monde baignait dans la fraîcheur de la climatisation, à mille lieux de la chaleur écrasante du dehors.
Le vacarme aussi, bien que perceptible, était nettement moins bruyant,
quoiqu'encore largement perceptible.
Tous les fonctionnaires présents plongèrent le nez dans leurs dossiers, voulant nous faire croire qu'ils ne nous avaient pas vus.
Ils attendirent jusqu'à ce que je leur adressasse la parole avant de s'occuper de nous.
— Bo-b-bonjour,
que puis-je faire pour vous ?
— Keiichi Maebara.
Je suis venu vous demander la mise sous protection immédiate de Satoko Hôjô.
— On est pas là pour palabrer, où est le responsable !?
Le représentant de l'association de quartier de Hinamizawa est ici, qu'est-ce que c'est que ces manières ?
— Monsieur le Responsable ne peut pas vous recevoir, il est occupé.
Je me chargerai de prendre vos dépositions...
— Bonjour, Madame.
Maître Sonozaki, avocat du barreau.
Le reste de cette conversation sera enregistré et pourra servir lors d'un témoignage.
Nous aurions besoin de poser des questions à quelqu'un capable d'engager la responsabilité de cet établissement.
— ... En ce cas... Je vais voir si M. le responsable ne peut pas vous accorder quelques minutes.
Veuillez patienter un instant, je vous prie...
— Tiens donc, bonjour, Harayama.
Cela faisait bien longtemps.
— Oh, monsieur le Député ! Merci encore pour l'autre fois, votre présence nous a beaucoup aidés !
— Je suis aujourd'hui l'un des membres représentant de l'association de Hinamizawa.
Veuillez nous conduire à votre responsable, je vous prie.
— Oui, oui, bien sûr, excusez nos employés.
Toi, amène-les jusqu'au bureau du directeur ! Et toi, aide-la à préparer du thé pour tout le monde !
Le député de la région avait fait taire la Police, et le député du district faisait taire les fonctionnaires...
Je savais qu'il y avait les deux chez les Sonozaki, et je savais qu'ils étaient chacun efficaces, mais...
aujourd'hui, j'avais les deux avec moi.
Dans un sens, j'étais devenu invincible.
Nous arrivâmes devant le bureau du directeur, mais celui-ci n'était pas à sa place.
Il était forcément dans le bâtiment, quelque part.
De toute façon, nos gens avaient bloqué toutes les issues.
Il ne pouvait pas s'enfuir, même s'il en avait envie !
Il ne croyait quand même pas pouvoir jouer la montre ?
Dans la salle de réunion, à l'étage, le responsable de l'antenne tournait nerveusement en rond, jetant de temps à autre des regards craintifs et discrets à travers le store.
— Mais pourquoi est-ce qu'ils ont réussi à entrer ?!
Que fait la Police, bon sang ?
— Les deux Maîtres Sonozaki, députés de région et de district, sont avec eux.
Ils ont aussi un avocat qui demande à obtenir des réponses juridiquement contraignantes.
Vous êtes la seule personne à pouvoir apporter ce genre de réponses...
— ... Je sais ! Nous sommes samedi aujourd'hui,
et il est bientôt 15h.
Je resterai caché ici jusqu'à 15h,
et dès que l'heure sonne, vous me foutez tout le monde dehors !
Pendant ce temps, je vais demander conseil aux membres du Conseil Régional...
— Il vous a déjà appelé ce matin pour vous dire de céder à leurs revendications, si ma mémoire est bonne...
— Moi, j'ai vu que c'était une association de quartier, je pensais avoir affaire à quelques personnes du coin !
Pourquoi ils sont là, les députés ? Et les Yakuzas !
Et regardez dehors, il y a au bas mot deux cents personnes dehors qui veulent ma peau !
— ... Oui, Monsieur.
C'est bien ce que je vous avais dit.
Ce sont les gens de l'association de quartier de Hinamizawa.
— Bon, il me reste dix minutes à tenir.
Si jamais ils me voient, je suis bon pour me faire menacer de mort.
Mais ils peuvent venir, je suis un fonctionnaire de l'État, moi !
Je veux pouvoir terminer ma carrière, un jour, en étant fier de n'avoir jamais cédé à la corruption !
Je ne veux pas être un faible, je ne veux pas céder aux pressions extérieures !
Le téléphone de la salle de réunion se mit à sonner.
Le responsable eut un grand sursaut et se retourna.
Alors que le chef de service tendait la main pour décrocher, le responsable lui fit signe qu'il n'était pas là.
— ... Oui, allô ?
Ici Harayama.
... Ah, bonjour, oui, je vous le passe.
Monsieur, le Conseil Régional pour vous.
— Oui, allô !
J'ai un gros problème, là !
Ils sont plus de deux cents à encercler le bâtiment !
Il y a même des députés qui sont venus !
Mais que s'est-il passé !?
— Et alors ? Je vous avais prévenu, non ?
— Mais enfin, c'est votre boulot de régler ça en douce !
Alors faites quelque chose !
Vous êtes là pour ça, quand même !?
— Non, ce n'est pas notre travail attitré.
Le but de mon département est de faciliter la communication et la coopération entre les habitants et l'administration.
— Oh, ne jouez pas au plus malin avec moi !
Vous devez bien avoir un moyen de régler cette affaire !?
— Oui, dans ce genre de cas, il faut accepter un compromis avec l'autre partie.
Et je vous conseille de ne pas monter sur vos grands chevaux,
nous ne sommes ici que parce que ces gens habitent ici.
Alors, Monsieur.
Vous ne pensez pas qu'un peu d'eau dans votre vin pourrait vous faire le plus grand bien ?
— Mais enfin, vous êtes dans mon camp, merde !
À quoi ça rime si l'association de quartier peut acheter vos services !
Je les emmerde !
Je respecte les règles, je suivrai la Loi, un point c'est tout ! Et s'ils ne sont pas contents, c'est exactement le même prix !
Un fonctionnaire se doit d'être impartial !
Je me tiens à ce principe depuis que j'ai commencé ce métier !
C'est parce que je suis un homme intègre que j'ai gravi les échelons !
— ... La décision vous appartient, Monsieur.
Je vous ai donné le meilleur conseil que j'ai pu.
Je vous l'avais bien dit, pourtant.
Oui ou non ?
Je vous l'ai dit.
Je vous ai dit de pas les mettre en colère !
— Bah, allez, va, dégage ! Espèce de misérable vaurien, ne t'avise plus jamais d'appeler ici !
Je raccroche !
Il raccrocha violemment le combiné.
— ... ... Monsieur,
imaginons que vous réussissiez à gagner en jouant la montre. Ils reviendront lundi, vous pouvez en être sûr. Que ferez-vous lundi ?
Si même le Conseil Régional a jeté l'éponge, cela signifie probablement que l'affaire a pu arriver jusqu'aux oreilles de M. le Préfet.
Elle sera certainement au centre de nos prochaines réunions avec notre hiérarchie...
— Et alors ? Je n'ai rien fait de mal, la préfecture n'a rien à me reprocher !
Et si M. le Préfet s'en mêle, eh bien, je lui dirai ma fa--
aaAAAH !?
Le téléphone s'était remis à sonner.
Encore une fois, le responsable de l'antenne fit signe qu'il n'était pas là, tremblant de peur.
N'ayant guère le choix, son subordonné décrocha.
— ... Oui, allô ?
Pardon ?
... Euh, oui, bien sûr, je vous en prie.
... Oui, bonjour Monsieur.
Bien sûr, Monsieur, juste un instant.
... Eh bien, Monsieur,
c'est... la préfecture, pour vous.
— La Préfecture ?
Pas le Conseil Régional ?
Bon sang, mais qui est-ce, encore !?
— C'est M. le Préfet au téléphone, en personne.
— ... Exactement.
Oui, oui,
ce sont bien les représentants de l'association de quartier de Hinamizawa, elle regroupe tous les habitants de la section 6 du district.
Oui, je pense que ce serait le mieux.
Essayez de savoir ce qu'ils veulent au juste.
... ... Mais non, voyons.
Bien sûr, il est important d'être impartial et de ne pas faire de favoritisme, mais si nous ne savions pas nous adapter aux situations de crise de chaque région, il ne servirait à rien d'avoir des antennes partout dans le pays.
Ahhahahahahahaha, oui !
Je compte sur vous.
Je serai dans mon bureau à Gogura ce soir jusque 18h. Lorsque vous aurez réussi à trouver un compromis satisfaisant pour les deux parties, venez me faire votre rapport, discrètement.
Encore une fois, je compte sur vous. À plus tard donc.
D'un ton calme et suave qui ne laissait toutefois aucune chance de rétorquer la moindre chose, un homme d'âge mûr, portant uniforme et galons, reposa négligemment le combiné du téléphone sur son socle.
— Chuis vraiment désolée d'te causer autant d'soucis, hein. C'est vraiment gentil de faire ça pour nous.
Sur le sofa qui faisait face au large bureau de marbre, une vieille dame assise : Oryô Sonozaki.
À ses côtés, sa fille Akane se tenait bien droite, silencieuse.
— Allons bon, ce n'est rien.
Je dois avouer que je suis très surpris de vous revoir ici toutes les deux, cela faisait bien longtemps que vous ne m'aviez plus rendu visite.
Lorsque j'ai appris que vous étiez venues ici en personne, j'ai d'abord cru à un malheur dans votre famille.
— Bah, je suis vieille, moi, je fais les choses comme dans le temps. Quand tu veux demander un service, il faut avoir la décence de déplacer ses fesses, c'est la moindre des choses.
Je m'excuse si ça pose problème.
— Mais non, mais non.
Et puis, il s'est vraiment mal comporté avec vous, ce responsable.
C'est ma faute, quelque part, j'aurais dû lui faire comprendre que nous collaborions très souvent avec vous lorsque je l'ai muté là-bas.
En son for intérieur,
le préfet était pourtant bien surpris de voir l'Impératrice Sonozaki faire le déplacement simplement pour faire accélérer le traitement d'un dossier pour la protection d'une mineure.
L'Impératrice ne se déplaçait qu'en cas d'extrême nécessité.
De plus, il était très rare qu'elle vînt se mêler des affaires des autres d'une manière aussi peu directe.
Elle voulait très certainement faire jouer les apparences non pas en sa faveur, mais en celles de ce jeune homme, ce Keiichi Maebara.
Il avait tout de suite compris que si elle ne voulait pas ébruiter l'affaire, c'était pour lui attribuer tout le mérite de cette réussite.
Il était donc, naturellement, très curieux de savoir qui était ce garçon, et ce qu'il avait fait pour qu'elle en fût aussi énamourée.
— Il m'a l'air formidable, ce garçon.
Il est bien rare de voir un jeune citoyen de son âge intenter pareille action pour sauver l'une de ses amies.
— Oui, c'est ce que j'y dis aussi !
C'est un jeune bien comme il faut.
Je peux partir maintenant que je sais que la relève est assurée...
— Allons, Maman, ne dis pas n'importe quoi, ça porte malheur !
— Ahhahahahahahaha !
Aaah, c'est bien de vivre longtemps, quand même.
Akane, à partir de maintenant, j'espère que tu lui viendras en aide, si nécessaire.
— Eh bien dis-moi, il te plaît tellement que ça ?
Ne me dis pas que tu m'en veux encore de ne pas être un garçon ?
15h arrivèrent, et une voix préenregistrée annonça la fin de l'ouverture des bureaux.
Alors seulement, enfin, le responsable de l'antenne se montra.
On aurait dit une autre personne -- la transformation était saisissante.
La première fois que je l'avais vu, il avait eu l'air distant, pas vraiment intéressé par ce que j'avais à lui dire.
Mais maintenant, il avait le visage beaucoup plus rond, il baissait la tête à tout bout de champs, il s'exprimait tout en “bien sûr, bien sûr” et en “vous avez tout à fait raison”.
Alors c'était ça, une victoire éclatante ?
Ma parole seule n'aurait jamais eu ce genre d'effet sur lui.
Mais grâce à la présence de tous les autres, ma voix avait atteint des sommets d'efficacité...
— C'est entendu !
Je suis encore désolé pour tous les problèmes que cette histoire vous a causés.
Je vais m'occuper de ça de ce pas.
Harayama, veuillez téléphoner chez M. Hôjô.
— Euh, oui, immédiatement !
Satoko ! Satoko, c'est l'heure de vérité !
On y est presque ! Tu seras bientôt libre !
À la sonnerie du téléphone, Teppei arrêta net son pied.
Il pensa tout d'abord laisser sonner dans le vide, mais si c'était les services sociaux, ils rappliqueraient ici en quatrième vitesse.
... Il avait déjà salement amoché sa nièce.
Il ne pouvait absolument pas tolérer de visite.
Il n'avait donc pas le choix, il lui fallait répondre au téléphone.
— ... ... Saloperie ! Bon, t'as pris suffisamment pour l'instant.
Et maintenant, écoute moi bien, p'tite conne, je vais répondre à ce coup de fil, et quand je reviens, tu me donnes ce putain de livret, c'est compris ? Active ta mémoire !
— ...Ugh... hic.....
Satoko releva la tête. Le visage couvert de bleus, elle ne sut pas quoi répondre, se contentant de gémir de douleur et d'essayer de se faire la plus petite possible.
— ... Oui, allô ? Qui est à l'appareil ?
— Bonjour, c'est le centre des services sociaux de Shishibone.
— Quoi, encore vous ?
Mais purée, vous n'avez rien d'autre à faire de votre peau, ou quoi ?
Et si vous ouvriez un peu les autres dossiers qui traînent chez vous ?
Nous ne sommes pas les seuls au monde, quand même !?
— Excusez-moi de vous déranger,
mais nous voudrions passer vous voir d'ici quelques minutes, cela pose-t-il un problème ?
— É-évidemment que ça pose un problème !
On est en train de tout modifier dans la maison, pour tout réarranger !
La maison n'est pas en état pour recevoir de la visite !
Revenez un autre jour !
Pourtant, la personne au bout du fil n'avait pas l'air de vouloir lâcher prise.
L'espace d'un instant, Teppei eut une furieuse envie de leur raccrocher au nez, mais une voix lui disait que ce serait une très mauvaise idée. Au prix d'un gros effort, il se retint.
— Nous avons appris que Satoko était malade aujourd'hui, elle est donc à la maison ?
J'espère que vous ne la faites pas sortir malgré son état de santé ?
Non, parce qu'en fait, il y a quelque chose que nous devons absolument lui demander, le plus vite possible.
— Quoi encore, mais qu'est-ce que vous lui voulez à la gamine !?
Je suis son père, je peux répondre pour elle, vous pouvez me demander à moi, ce que vous voulez !
— Vous refusez donc de nous laisser lui parler ?
— Mais, j'ai pas dit ça !
J'ai dit que je pouvais très bien répondre à sa place !
Non mais dis donc, je te trouve bien sans-gêne, aujourd'hui !
Qu'est-ce que c'est que ce bordel, donnez-moi votre nom !
— Je vous repose la question,
est-ce que nous pourrions parler à votre nièce au téléphone ?
— ... ... Rah, putain, espèce de...
Finalement, répondre aux fonctionnaires, ce n'était pas comme frapper les têtes des taupes.
Jusqu'à présent, il avait frappé le plus fort possible en espérant qu'ils ne recommenceraient pas pendant un moment, mais apparemment, ce n'était pas la bonne méthode.
Aujourd'hui, la personne au bout du fil était vraiment culottée, comme si elle essayait de le provoquer.
Teppei n'avait plus beaucoup de bon sens, mais suffisamment encore pour savoir que s'il ne faisait pas parler la gamine au téléphone, ils ne se gêneraient pas pour venir s'imposer chez lui.
Ils sont déjà bien énervés au téléphone.
S'ils comptent venir débarquer chez lui, ils seront plus que deux agents, c'est sûr.
Ou alors, ils ramèneront carrément la Police avec eux.
Et là, il sera impossible de les envoyer bouler.
Teppei savait très bien à quel point la Police pouvait être dangereuse quand elle le voulait.
— Bon, attendez un peu, hein,
elle est malade, la gamine, elle est couchée.
J'en ai pour une minute...
Teppei bloqua le micro du combiné et appela sa nièce, qu'il savait recroquevillée à terre, en haut des escaliers.
— ... Eh, Satokoooo ?
C'est les gens des services sociaux, ils veulent te parler.
Tu peux venir au téléphooooone ?
Il avait une voix bien mielleuse pour quelqu'un qui venait de la frapper comme un âne bâté.
Un spectateur extérieur aurait déjà trouvé ce changement bien flippant, mais pour Satoko, c'était encore pire.
Satoko savait que c'était lorsqu'il avait cette voix-là qu'il était le plus dangereux.
Malgré les coups qu'elle avait déjà endurés, elle descendit les escaliers sans faire d'histoires.
Teppei se saisit des épaules de Satoko avec ses larges mains si propices à frapper et lui dit sur un ton très bas :
— ... Quoi qu'ils te disent,
on est
une famille heureuse, c'est clair ?
T'as pas intérêt à te tromper en le disant.
Je me suis bien fait comprendre ?
— ... Oui.
— Et rappelle-toi bien, si tu m'énerves, la chambre de ton frère sera pas belle à voir.
D'ailleurs, si tu arrives à les convaincre au téléphone, c'est promis, je n'y entrerai plus.
Allez, on fait la paix !
OK ?
Hein ?
Il serra très fort l'épaule avec ses doigts.
Celle-ci devait être à deux doigts de briser net, car le visage de Satoko se tordit soudain de douleur.
— On a fait la paix ?
Hein ?
Hein ?!
— ... Oui, bien sûr, je ne suis pas stupide…
Nous sommes très soudés...
Alors seulement, Teppei passa le combiné à sa nièce.
Il passa derrière elle, les deux mains enserrant ses fragiles épaules.
On aurait dit un prédateur en train de maintenir sa proie en place avec ses griffes...
— Allô, Mlle Satoko Hôjô ?
Ici M. Harayama, de l'antenne des services sociaux de Shishibone.
Comment se passe votre quotidien ?
Est-ce que tout va bien avec votre oncle ?
— ... ... ...
Le son du combiné était très faible, aussi Teppei n'arrivait-il pas à distinguer ce qu'il se disait dans la conversation.
Mais il savait aussi que le silence était une forme de réponse, aussi se mit-il à lui serrer les épaules pour la forcer à dire quelque chose.
— ... Oui.
Bien sûr, tout se passe très bien...
— Je vois, il n'y a donc aucun problème.
... Pardon ?
Ah, oui, bien sûr, je vous en prie.
— Allô ?
Satoko ?
C'est moi, Keiichi !
Tu vas bien ?
— ... Oui, oui, bien sûr,
je vais bien...
— Écoute-moi, Satoko, on a réglé le problème !
Le chef des services sociaux n'attend qu'un signal de ta part pour envoyer des gens te chercher !
Il n'y a pas que le chef d'ici qui veut te sauver, on a eu le soutien du préfet, il a dit que ton dossier était la priorité numéro un !
Ça t'en bouche un coin, hein ? T'imagines un peu, c'est le Clan des Sonozaki qui a fait tout ça !
C'est la grand'mère de Mion qui a donné les ordres !
Pour Satoko, le Clan des Sonozaki faisait clairement partie de ses ennemis déclarés.
Oryô Sonozaki en particulier semblait systématiquement avoir une dent contre elle.
Alors pourquoi aurait-elle utilisé ses contacts pour faire quelque chose pour elle ? C'est un peu trop gros pour y croire.
— Je sais que depuis la fin de la guerre du barrage, ils se sont toujours montrés froids et distants envers toi, juste à cause de ton nom.
Moi, je suis pas très fûte-fûte, j'avais pas remarqué, mais toi, tu as dû en subir, des brimades au quotidien.
Sauf que j'ai poussé une gueulante et que tout ça, c'est du passé, maintenant !
Il n'y aura plus jamais personne au village pour te chicaner !
Je suis dégoûté de pas pouvoir te les montrer au téléphone, mais là, dehors, ils sont presque trois cents autour du bâtiment !
Ils ont délaissé les préparatifs de la fête de demain et ils sont venus aussi sec, pour pouvoir dire aux gens d'ici de se bouger et de te sauver !
... Quoi ?
Ah, oui.
Euh, y a quelqu'un des Sonozaki qui veut te faire passer un mot.
La grand'mère de Mion
te passe le bonjour.
Elle dit qu'elle te présentait ses excuses.
Elle a dit qu'elle t'invitait dans leur demeure principale pour faire ça officiellement, la prochaine fois.
Alors, tu vois ?
Elle est de ton côté, maintenant !
C'est elle qui est allée directement chez le préfet pour lui expliquer le problème, il paraît !
Mais tu sais, on a fait pareil.
Depuis le deuxième jour, on revient ici, tous les jours !
Et à chaque fois, les gens se ralliaient à notre cause, ils étaient tous les jours plus nombreux à élever la voix et à protester pour exiger ta libération !
Et maintenant, on a tout le village derrière nous !
Attends, je te passe Rika...
— Satoko ?
C'est moi, c'est Rika.
— ... Rika.
— ... Keiichi et les autres ont tout réglé, Satoko, tout.
Tu n'as plus aucun ennemi à Hinamizawa, je te le jure.
... À partir d'aujourd'hui, quand nous irons faire les courses toutes les deux, les gens ne feront plus semblant de ne pas te voir et de ne pas t'entendre.
Et si je reçois un bonbon, tu en auras un aussi.
Plus personne ne sera méchant avec toi. Plus jamais.
Satoko ne sut pas si elle devait se réjouir ou se lamenter de voir que Rika avait été au courant de ces chicaneries.
Elle se décida pour un rire désabusé, que l'on pouvait prendre dans les deux sens.
— ... Non, ma chère, je ne vous crois pas.
— ... T'es pas la seule, ma grande,
moi non plus, j'y crois toujours pas.
— ... Plaît-il ?
Quelque chose clochait.
Au bout du fil, la voix de Rika était beaucoup plus mature et adulte que Satoko ne la lui connaissait.
C'était une voix qui ne lui était ni habituelle, ni naturelle.
— Tu sais, lorsque Teppei est revenu te reprendre, j'ai pensé que c'était un Destin impossible à contrer,
que c'était une impasse de laquelle je ne pourrais jamais te sortir, alors j'ai abandonné.
Et je sais que tu as fait pareil.
Mais ce n'était pas le Destin,
ce n'était pas une impasse.
Keiichi s'est moqué de moi, il m'a dit qu'il casserait les murs pour me faire un passage, et après avoir ouvert bien grand sa gueule, il s'est bougé le cul et il l'a fait !
Satoko, tu n'as plus besoin de te taire !
Notre main est là, devant toi, tendue jusque devant ton nez !
Tu n'as qu'à faire oui de la tête et elle te touchera !
— ... Tout cela est fort bien, mais je…
Je dois devenir plus forte.
— Je sais ce qui te traumatise.
Et je sais que c'est une belle preuve de volonté que de vouloir surmonter cela toute seule.
Ça ne doit pas être facile de vivre en culpabilisant pour avoir forcé Satoshi à toujours prendre sur lui pour te sortir des mauvais pas.
Et je sais que c'est pour ça que tu veux supporter les mauvais traitements de Teppei toute seule.
Tu veux les affronter et y survivre sans demander d'aide à personne, pour faire amende honorable à la mémoire de ton frère.
Je peux comprendre ça, tu sais, c'est une décision très noble et courageuse, qui prouve que tu essaies de grandir et de te prendre en mains.
Si Satoshi était là, il applaudirait.
Il te caresserait la tête.
Il te caresserait la tête en disant “Mhhm”.
— ... ... Totoche...
— C'est ça, ce que tu crois ?
Alors laisse-moi te dire une bonne chose, espèce de cruche,
tu te fourres le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate si tu crois que tu es ne serait-ce qu'à un milliard d'années-lumières d'arriver aux chevilles de ton grand frère !
Satoko resta interdite au téléphone, clairement blessée par les propos vexants de sa meilleure amie.
— ... ... ...
— Toi, tu imagines que c'est être forte que de supporter la douleur en silence,
mais où est la différence avec l'année dernière, dans ce cas ?
Tu supportes la douleur, en attendant que ton frère rentre et te sauve.
Tout ce que tu essaies de faire, c'est de faire moins ta chuineuse, mais t'as pas l'intention de réellement tenter de résoudre tes problèmes !
Tu as pourtant toujours vécu dans les jambes de ton frère, et tu n'as jamais compris quelle était sa force ?
Satoshi ne tremblait pas de peur comme un animal en fuite, il ne se cachait pas, il ne craignait pas la confrontation.
Il se battait, il s'est battu !
Il s'est levé et il s'est interposé entre toi et ta tante, et il lui a gueulé dessus !
Il s'est levé pour te sauver !
Essaie un peu de dépoussiérer tes souvenirs ! Tu ne te souviens pas de lui, quand il ouvrait les deux bras bien des côtés pour empêcher ta tante de le dépasser par les côtés et de te tirer les cheveux ?
Je ne dis pas qu'il n'avait jamais peur, il avait sûrement la peur au ventre, lui aussi.
Mais toi, tu ne regardais que son dos !
Tu ne sais pas à quoi son visage ressemblait quand il devait te protéger !
Il n'avait franchement pas envie de faire face à son hystérique de tante.
Mais il ne pouvait pas se permettre d'avoir peur et de laisser sa sœur se débrouiller toute seule !
Il était toujours tiraillé entre la peur et le devoir de s'interposer pour sauver sa sœur. Et toi, tu ne l'as jamais vu, tu ne l'as jamais remarqué, tu n'as jamais ne serait-ce qu'essayé de savoir !
— Il se battait, Satoshi.
Il n'endurait pas la douleur, il n'encaissait pas les coups, il ne faisait pas que rester là, stoïquement.
Il s'est levé, il s'est battu !
Jadis, il y a fort longtemps, j'ai été comme lui.
Et puis je suis devenue comme toi,
j'ai pensé que c'était inutile et j'ai arrêté de me donner du mal.
Je me suis mise à endurer, à supporter stoïquement mon Destin sans me plaindre.
Je me suis dit que ça ne servirait à rien de demander de l'aide, alors j'ai fermé ma gueule et j'ai souffert en silence, pendant plus de cent ans.
Tu es exactement dans la même situation, désormais.
Tu fais ta désabusée, mais tu attends que quelqu'un d'autre vienne te sauver.
Mais maintenant, j'ai envie de me dresser et de me sortir les doigts du cul.
C'est pourquoi je suis là, j'ai pris le combiné des mains de Keiichi, j'ai pas attendu qu'il pense à me le donner.
Je veux contrer les plans du Destin, je veux être celle qui l'enverra paître !
Et c'est pour ça que je veux te convaincre de nous appeler au secours !
— ... ... ...
— Satoko,
j'imagine qu'il est juste derrière toi, non ?
Il est bien derrière toi, Teppei ?
— ... Oui.
Oui, bien sûr.
— Alors retourne-toi et dévisage-le, regarde bien sa fratz !
Tu vois comme elle est moche ? Et comme elle te fait peur ?
Alors quand tu l'auras bien regardée, tu penseras à ton frère. Lui s'est coltiné cette tête tous les jours, il a dû avoir le courage de la regarder encore et encore !
Si vraiment tu veux faire amende honorable envers Satoshi, ce n'est pas en restant stoïque que tu y arriveras !
Tu dois à ton tour devenir forte comme lui, tu dois apprendre à te montrer courageuse comme lui !
Tu dois faire face à tes problèmes ! Réveille-toi un peu, bon sang !
Poussée et exhortée par Rika, Satoko se retourna, très lentement.
Teppei Hôjô regardait sa nièce avec un sourire féroce, les deux mains fermement placées sur ses épaules.
La question n'était pas de savoir qui de sa tante et de son oncle faisait le plus peur.
Il fallait voir si elle avait le courage de s'y opposer ou pas.
Son frère, lui, s'était révolté.
Il aurait pu éviter tous les problèmes en faisant comme s'il ne voyait rien, mais non, il s'était interposé pour sauver sa sœur.
Sans se laisser submerger par la peur, il avait fait face à ses problèmes, de front.
Et que faisait-elle ?
Elle avait toujours cru qu'elle expierait sa faute en ayant la force de ne plus appeler son frère à l'aide.
Mais Rika avait eu raison sur toute la ligne.
Satoko n'avait pas cherché à devenir forte.
Elle avait cherché à devenir résistante, pour tenir jusqu'à ce que quelqu'un d'autre vienne la sauver.
Elle ne cherchait pas la force de résoudre elle-même ses problèmes.
Elle attendait sur un autre pour le faire, et ça, c'était une attitude de faible.
Satoshi s'était dressé.
Il avait regardé ce visage effrayant et s'y était opposé.
Et c'était pour ça que Satoshi avait été fort !
— ... Alors, t'as les jambes qui tremblent ?
T'as les dents qui s'entrechoquent ?
Tous les poils de ton dos se hérissent ?
Eh ben sache que Satoshi ressentait aussi tout ça quand il devait s'interposer entre toi et ta tante.
Il faut que tu comprennes ça.
Alors, d'après toi, qu'attendait-il de toi, ton grand frère, hein ?
Tu crois qu'il voulait te montrer l'exemple pour quoi au juste ?
Si jamais tu ne comprends toujours pas, même maintenant, alors laisse tomber !
Parce que Satoshi n'aurait aucune raison de revenir !
— ... Eh ben alors ?
C'est quoi le problème ?
Ça cause beaucoup, dis voir.
Rika avait raison, le rictus cruel de Teppei faisait trembler ses jambes.
Ses dents s'entrechoquaient et les poils de son dos se hérissaient.
C'était donc ça que Satoshi avait dû combattre à chaque fois qu'elle avait pleuré...
— Âllez, Satoko, montre-nous si tu es forte.
Montre à Satoshi comme tu es devenue forte en un an, c'est maintenant ou jamais.
Il est temps pour toi de faire brûler dans ton cœur la même flamme courageuse qui l'habitait lui l'année dernière !
— ... Mais Rika... Je...
Si Satoko demandait de l'aide maintenant, ce n'était pas comme si des gens apparaîtraient par magie en sortant du téléphone et feraient disparaître Teppei dans un nuage de fumée.
Si elle demandait de l'aide au téléphone,
elle serait exposée à la violence et la folie furieuse de Teppei pendant les longues, très longues minutes pendant lesquelles les services de Police ou autre seraient en route.
Elle avait déjà mal partout là où il l'avait frappée tout à l'heure.
D'ailleurs, rien que d'y penser, le goût ferreux de son sang lui revenait en bouche.
Ce n'était pas aussi facile que Rika le disait.
Il ne me suffisait pas de simplement opiner du chef, il me fallait survivre en attendant l'arrivée de la cavalerie aussi !
Ce n'était pas une décision facile à prendre !
Comment est-ce que Totoche faisait, quand il me protégeait ?
Je ne voyais jamais son visage, mais je me souviens encore de ce qu'il disait et de ce qu'il rétorquait.
Rika a raison, sa voix comportait de légères traces qui indiquaient clairement une grande peur et une grande nervosité.
Et pourtant, il avait réussi.
Il avait chassé ses peurs et puisé en son âme le courage nécessaire pour se révolter !
Oui, Rika a raison,
j'ai les jambes qui tremblent, mes dents s'entrechoquent et les poils de mon dos sont hérissés.
Et maintenant, il me faut me révolter.
Je dois tenter ma chance.
Je dois me battre.
Et je dois vaincre.
— Satoko.
Je vais repasser le combiné à la personne des services sociaux.
Ce sera à toi de le lui dire.
— ... Oui.
Bien sûr, j'entends bien, oui...
— Montre-moi ton courage. Je te regarde, Satoko...
— Oui allô, j'ai repris l'appareil.
C'est à nouveau M. Harayama.
Je vous repose donc la question : est-ce que tout ce passe bien entre vous et votre oncle Teppei ?
Tandis qu'elle écoutait la question au téléphone, Satoko observa à nouveau son oncle.
Il lui faisait peur, à l'époque aussi.
Mais aujourd'hui, celle qu'elle avait été jusqu'à aujourd'hui était dans ses jambes, terrorisée de peur.
“Montre-moi ton courage. Je te regarde, Satoko...”
Ça n'était pas valable que pour Rika. Totoche aussi me regarde sûrement, de là où il est !
— ... de là.
— Pardon ?
Je n'ai pas compris, vous pouvez répéter ?
— SORTEZ-MOI DE LÀ !
Presqu'immédiatement, Teppei lui mit une gifle formidable, qui l'envoya valser du côté.
Satoko tomba à terre, le téléphone toujours dans les mains.
— Espèce de p'tite salope,
t'as osé me trahir !?
— Et alors ?! Je vous DÉTESTE !
Allez-vous-en ! Partez et ne revenez jamais plus !
C'est ici chez moi ! Chez moi et mon frère,
et certainement pas chez vous !
Alors hors de ma vue ! Du balai !
DÉGAGE D'ICI, SALOPARD !
— J'vais t'refaire le portrait, moi,
sale petite pute !
— AAAAAAAAAAAAHHHH !
Satoko ne fit même pas mine d'éviter les coups.
Elle ouvrit grand les bras et se jeta sur son oncle.
Bien sûr, pour Teppei, ce n'était pas une attaque, c'était plutôt un geste ridicule.
On aurait dit un petit chiot qui viendrait essayer de vous mordiller pour jouer...
Mais pour Satoko, cet acte était bien celui de la rébellion.
Pour la première fois, elle prenait les armes.
Pour la première fois, elle avait cessé d'encaisser en attendant le salut, et elle avait pris les choses en mains.
Si je veux être sauvée, je dois me sauver toute seule.
Ça n'a servi à rien d'accepter la mauvaise fortune, strictement à rien.
Je croyais avoir appris la leçon, mais pendant un an, j'ai en fait prouvé que je n'avais rien appris de Totoche !
— C'est quoi ce regard, sale merdeuse !?
J'vais t'péter toutes tes dents, moi, tu f'ras moins la maligne !
Au moment où Teppei armait son poing, on entendit frapper violemment à la porte.
— Teppei Hôjô ! Ouvre cette porte, c'est la Police !
Il se retourna avec des yeux incrédules.
La gamine avait hurlé dans le combiné à peine une minute auparavant !
— Ouvre cette porte, TOUT DE SUITE !
Tu l'auras voulu, on la défonce ! Allez les gars !
— Alors ?
Est-ce que Satoko a dit quelque chose ?
— Satoko nous a appelés au secours !
Les services sociaux vont envoyer quelqu'un !
— Elle est en danger !
Son oncle est sûrement en train de la tabasser, en ce moment-même !
Après la réponse de Satoko, tout le monde avait pu clairement distinguer les bruits d'une scène de violences à l'autre bout du fil.
Ce qui voulait dire que Satoko avait eu le courage d'appeler au secours alors que son oncle se trouvait juste à ses côtés !
— Il faut y aller, VITE !
Quelqu'un a une voiture ?!
Plusieurs personnes se mirent à courir vers leur véhicule.
La foule sembla comprendre instantanément ce qu'il s'était passé, et était en passe de s'enflammer.
Putain, MERDE !
Satoko, tiens bon, je t'en supplie... J'arrive !
— Maebara, c'est bon, c'est réglé, calme-toi.
Une équipe de policiers vient à l'instant de pénétrer de force chez les Hôjô.
Il n'a pas eu le temps de la frapper.
— Hein ? Pourquoi ?
Mais ? COMMENT ?
— Aaaah, alors ça, va savoir.
Quoi qu'il en soit, l'affaire est réglée, donc soyez gentils et dispersez-vous, d'accord ?
Bon, ben c'est pas tout ça, mais j'ai la taupe au guichet, alors j'me sauve.
Allez, bonne année !
Éhhéhhéhhé !
— Pendant que nous écoutions Satoko parler au téléphone, Ôishi était tout le temps en train de parler dans son talkie-walkie.
— Ce qui voudrait dire qu'il avait déjà placé des hommes devant la maison de Satoko ?
— Aaaah, mais oui, bien sûr !
La Police devait sûrement surveiller Teppei à cause du meurtre de Rina !
Tout s'explique !
— Mais c'est qui, Rina ?
— Venez vite, montez !
Nous devons rentrer à Hinamizawa, le plus vite possible !
Il y avait déjà plusieurs patrouilles de Police devant la maison des Hôjô.
Satoko était assise sur la pelouse, elle parlait à un officier.
Son visage tuméfié était très impressionnant. Il était difficile de soutenir une telle vision.
— Oh, Satoko !
Ça va ?
Tu n'as rien ?
— Ooooohhohhohho ! Êtes-vous aveugle ou stupide, très chère ?
— Chef !
Vite, il faut l'examiner ! S'il vous plaît !
— Il faut l'emmener à la clinique.
Satoko, tu peux marcher toute seule ?
Satoko opina vigoureusement du chef et se releva d'un bond.
Elle avait l'air salement amochée, mais apparemment, elle avait le moral. C'était rassurant.
Ce qui était moins rassurant, c'était le spectacle insoutenable des bleus qu'elle avait partout sur le corps.
Quelle enflure ! Comment pouvait-on frapper une enfant avec une telle violence ?
Je sentis la bile et la rage me remonter dans la gorge.
— Satoko...
— … Ooohhohhohho !
Alors, Rika, j'espère que vous avez bien regardé ?
Quand on me cherche, on me trouve !
— ... Oui.
Oui, j'ai vu à quel point tu étais courageuse.
C'était magnifique, Satoko. Tu as gagné.
Tu as vaincu le Destin !
Les larmes aux yeux, les deux amies se tombèrent dans les bras l'une de l'autre.
On entendit alors une autre voiture arriver.
Je me retournai et sus immédiatement que c'était la voiture de fonction de l'inspecteur Ôishi.
— J'ai bien l'impression que nous ne sommes pas arrivés à temps.
Je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu être plus efficace.
— Non, ne dites pas ça !
Si vous n'aviez pas fais ça, qui sait dans quel état nous l'aurions retrouvée !
Merci beaucoup, au contraire ! Merci du fond du cœur !
— ... Eh ben alors, M. Ôishi, vous voyez, quand vous voulez ? Vous pouvez être vachement sympa !
— Éhhéhhéhhé !
Et alors, comment va-t-elle ?
— Le Chef est en train de l'examiner.
Elle est bien amochée.
— Ah, Nounours,
ils ont fait quoi avec Teppei ?
— Nous l'avons arrêté.
Komiyayama est venu avec un fourgon tout à l'heure, et nous l'avons ramené au poste.
— Alors, il ne reviendra plus ?
— Non, c'est pas comme s'il avait été condamné à mort, hein.
J'ai pas envie d'y réfléchir trop pour l'instant, mais il pourrait revenir un jour, oui...
— ... Non, on l'en empêchera. Je me débrouillerai pour qu'il n'ait plus jamais envie de revenir à Hinamizawa.
— Oh là, tiens donc ?
J'ai cru entendre l'héritière du clan des Sonozaki proférer des menaces de mort envers un citoyen.
Ce n'est pas très gentil, c'est interdit par la Loi, vous savez ?
— Mais non, mais non, ce ne sont pas des menaces, voyons !
Nous allons simplement lui dire que s'il devait repointer sa face de rat à Hinamizawa ou à Okinomiya, il y aurait plein de gens qui auraient des comptes à lui demander, alors qu'il serait plus sage et plus sûr pour lui de partir loin, très loin !
— Aaaah, c'est une mise en garde, alors ? Ah ben ça change tout, forcément !
Éhhéhhéhhé !
— Mais alors, maintenant, Satoko est vraiment hors de danger ?
Pour de bon ?
Pour toujours ?
— Hmmm, oui et non, mais presque.
Disons qu'il reste pas mal de choses à régler, mais que nous avons un peu le temps de voir venir, c'est pas urgentissime.
Par exemple, il y aura d'abord un procès pour signifier le retrait de l'autorité parentale, mais du coup, il faudra trouver un nouveau tuteur à Satoko.
Quelqu'un doit s'occuper d'elle.
Mais bon, maintenant que Mémé a enterré la hache de guerre, je pense que nous trouverons bien quelqu'un au village qui voudra se porter garant,
surtout que tout le Clan des Sonozaki fera en sorte de résoudre ce problème.
Je pense que Satoko s'en tirera bien.
— Elle vient de partir pour la clinique.
Irie a dit que les blessures étaient moins graves qu'elles ne paraissaient.
— Ah ouais ?!
Super ! Tant mieux !
— Espérons qu'elle pourra sortir d'observation pour demain !
— Ouais, non, il faut pas rêver non plus, hein, ça me paraît un peu gros quand même...
— Non, tu ne comprends pas, Mii.
La question est de savoir si elle pourra aller à la fête de la purification du coton, demain soir.
— En tout cas, ce fut une sacrée semaine, les enfants ! Si jamais nous pouvions tous être présents demain à la fête, ce serait une belle victoire sur les événements ! Presque un happy end, vous ne trouvez pas ?
— Oui,
ce serait la preuve de notre réussite totale.
— Je suis d'accord.
Et puis, j'imagine que Satoko aussi est curieuse de voir comment tu vas te débrouiller lors de la vente aux enchères, p'tit gars !
— Aaaaaaaah !
J'avais complètement oublié ! Raah, je vais avoir la pression, nooooon !
— ... Ne vous en faites pas, Satoko sera là.
Je remarquai alors que de nombreux villageois nous avaient rejoints.
Ils avaient été parmi ceux qui avaient encerclé le bâtiment, en ville.
Ils voulaient tous savoir si Satoko allait bien.
Franchement dit, au vu de ses blessures, il était difficile de savoir quoi leur répondre.
Mais Satoko était désormais libérée, non seulement de son oncle, mais aussi de la prison mentale dans laquelle elle s'était elle-même enfermée. Quelque part, elle avait l'air radieuse.
Et puis, le Temps saurait guérir toutes ses blessures.
Il était de notre devoir d'aider à accélérer le processus.
Pas seulement nous, ses amis,
mais tout le monde, les villageois aussi.
Le village aussi était désormais libéré des fantômes du passé. La ségrégation envers Satoko n'aurait plus lieu d'être...
En tout cas, j'avais l'impression d'avoir vécu la semaine la plus longue de toute ma vie.
En une semaine,
nous avions réussi à nous rassembler,
à faire front,
à vaincre les différences,
puis à vaincre tout court.
Nous avions payé un prix très fort.
Mais la victoire nous avait récompensés encore bien plus que nécessaire.
Demain se tenait la plus grande fête de Hinamizawa, la purification du coton.
Cette fête était dédiée au culte de la déesse protectrice du village, la déesse Yashiro.
D'après les légendes, elle avait réussi à faire vivre des peuples ennemis ensemble.
La malédiction qui opposait les Hôjô au reste du village depuis les temps de la guerre du barrage était maintenant levée.
Et demain, Satoko Hôjô participerait avec tout le monde aux cérémonies de culte célébrant la grandeur de la déesse Yashiro.
C'était considérable ! C'était réellement un happy end !
C'était vraiment un miracle que d'être passé du désespoir le plus profond d'une situation insoluble, à la victoire d'aujourd'hui.
... Ou non, en fait, ce n'était pas un miracle.
Un miracle n'est qu'une chose qui se produit lorsque tout le monde y met du sien.
À plusieurs, on peut réussir des choses impossibles à faire seul.
À plusieurs, on peut obtenir des choses que tout seul, on ne pourrait obtenir que par miracle.
Mais si nous pouvons tout obtenir facilement en nous y mettant à plusieurs, alors il n'y a plus aucun miracle.
Tout n'est plus qu'une conséquence logique de la fatalité.
Il y avait une légende qui racontait qu'autrefois, la déesse Yashiro avait réussi à faire régner la paix entre les humains et les démons sortis des profondeurs des marais.
Je ne savais pas trop quelle était la morale de cette légende,
mais il y avait fort à parier que la déesse avait réussi une chose impossible à réaliser tout seul.
Donc en un sens, nous pourrions presque nous vanter de notre réussite devant l'autel de la déesse, demain soir.
— Alors gamin !
T'as gagné ? T'as gagné ! Ahahahahaha !
— On a réussi, on a réussi ! Ahahaha, ça valait le coup d'y aller tous les jours !
Les gens se mirent à pousser des cris de joie.
Tout le monde se félicitait de savoir que Satoko était saine et sauve.
Alors seulement, nous réalisâmes l'énormité de la situation, et nous nous joignîmes tous aux scènes de liesse, les bras sur les épaules, ivres de joie...